La zététique consiste à questionner les raisons pour lesquelles nous pensons que quelque chose est vrai.

Vous avez dit Placebo ?

L’effet Placebo est auréolé de mystère. Ce mot latin bien énigmatique est employé dès que l’on observe un effet thérapeutique sans que cet effet soit directement imputable au médicament ou aux soins que le malade a reçus. Il est tentant d’attribuer à notre inconscient, notre psyché ou notre volonté le pouvoir de guérir le corps indépendamment de toute aide extérieure, et bien des gourous et auteurs New Age suggèrent à ceux qui leur accordent du crédit d’abandonner la médecine « classique », fondée sur des données scientifiques, pour se tourner vers une médecine plus « naturelle », plus en accord avec l’identité profonde des individus, plus respectueuse, plus douce, etc.

Il y a une tentation à la pensée magique en chacun de nous, notre égo est séduit par l’idée que l’on puisse aller mieux par soi-même, que la guérison soit un pur acte de volonté. Et le Placebo vibre à la fréquence de cette corde sensible.

Le mot Placebo, qu’on le veuille ou non, est désormais porteur de ce sens ésotérique en partie parce que c’est un mot complètement incompréhensible pour le commun des mortels qui ne savent pas qu’il s’agit d’une forme du verbe « plaire » en latin… donnée étymologique qui ne nous renseigne d’ailleurs aucunement sur la signification qui lui est donnée par les professionnels de la santé et de la recherche.

placeboeffectDans le monde de la science, l’effet Placebo n’a jamais eu le sens de « pouvoir de l’esprit sur le corps », c’est pourtant ainsi qu’il est souvent entendu aujourd’hui. Le Placebo, c’est d’abord le pouvoir de l’esprit sur l’esprit, et, par des mécanismes qu’il reste à expliquer en détail, c’est l‘influence des ressentis de l’individu sur certaines fonctions sécrétrices du corps (production d’antalgiques, par exemple) qui ont elles-mêmes in fine un impact sur les paramètres médicaux. L’incomplétude de notre compréhension des phénomènes impliqués ne doit pas laisser croire qu’il est raisonnable d’y discerner quoi que ce soit de paranormal. Si quelque chose de paranormal/énergétique/vibratoire est à l’origine de l’effet placebo, il deviendra raisonnable de le défendre après qu’une preuve aura été produite et dûment expertisée. En l’état actuel de nos connaissances, c’est une hypothèse coûteuse car aucun indice sérieux ne pointe dans cette direction de manière spécifique.

Changer les mots ?

C’est pourquoi il pourrait être profitable de mettre de côté ce vocable ambigu et d’employer une expression plus transparente pour faire comprendre la nature de cet effet. On propose donc de remplacer effet placebo par « effets contextuels » (au pluriel) afin de montrer que ce qui se passe autour du traitement, pendant, avant ou après, a son importance sur la manière dont le patient va réagir.

On explique aujourd’hui l’essentiel de ces effets contextuels ; on sait sous quelles conditions ils se manifestent, on sait même en maximiser les effets. En face du New Age et des pratiques alternatives irrationnelles et dangereuses, une erreur inverse doit absolument être évitée, c’est celle de croire qu’il y a une opposition entre effets contextuels et vraie médecine. Les effets contextuels sont une composante de tous les traitements, y compris ceux qui ont un effet intrinsèque, il ne faut donc pas les bannir, mais au contraire les utiliser au bénéfice du patient, dans le cadre d’une prise en charge qui tient compte de la dimension psychologique de l’acte thérapeutique.

NB. L’effet placebo englobe un autre type d’effet, que l’on pourrait oublier tant il est trivial : notre corps guérit tout seul comme un grand dans la plupart des situations. Nous avons un système immunitaire et tout un tas de mécanismes de réparations qui entrent en jeu dès que nous sommes victimes d’une maladie ou d’une blessure. Quand nous consultons un soignants ou que nous prenons un traitement, c’est généralement au moment le plus désagréable, au pic de la douleur et des symptômes. À l’effet du traitement va donc s’ajouter celui de la guérison ‘naturelle’ du corps. Ce n’est peut-être plus exactement un effet contextuel (encore qu’on soit toujours dans l’environnement de l’acte thérapeutique…) mais c’est à tous égards un effet non spécifique et sans lien avec le soin apporté au malade.

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Un vide dans la pratique médicale ?

Si les médecines alternatives/douces/énergétique/etc. pullulent, c’est peut-être aussi parce que la médecine classique donne l’impression d’avoir choisi de négliger la dimension empathique et psychologique, le lien entre soignants et soignés, central dans les affections psychologiques et psychiatriques, mais également présent dans tous les cas dans la transaction qui s’opère quand une personne demande à une autre de la soigner.

Il y a peut-être un vide empathique à combler de la part de nos praticiens de la santé qui doivent mettre les effets contextuels de leur côté. À l’inverse doit-on tolérer, souhaiter, encourager la pratique consistant à vendre des produits dénués de toute activité intrinsèque et donc employer 100% d’effets contextuels en faisant croire aux patients à l’existence d’effets spécifiques ? Nous nous étions déjà posé la question sur ce blog.

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Tout comprendre ou presque.

Pour tout savoir sur l’effet Placebo, voici trois vidéos.
Dans la première, l’équipe de la Tronche en Biais retrace l’histoire du concept et la manière dont on a traqué les causes de l’effet Placebo.

Dans la deuxième, Climen le pharmacien nous présente le principe de l’homéopathie qui n’est pas vraiment une médecine par les plantes comme on l’entend souvent dire.

Enfin, Le Psylab explique l’importance de la dimension psychologique dans l’acte thérapeutique.

 

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Ressources pour aller plus loin :

— Article de Jean Brissonnet : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1604

— Article de Jean Benoist http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoist_jean/aspirine_ou_hostie/aspirine_ou_hostie_texte.html


Article similaire

Un certain talent dans la manipulation.

Comment réagir face à ce qui ressemble à de la manipulation ? Comment dénoncer une pratique qui nous semble constituer un abus de faiblesse, une véritable escroquerie se nourrissant de la détresse et de la crédulité. Par la dérision, peut-être, comme nous le faisons dans la vidéo ci-dessous.

Mais y a-t-il d’autres moyens d’action ? Des erreurs à ne pas commettre ?

escrocsPar exemple il vaut mieux éviter de traiter William d’escroc, même s’il ressemble beaucoup beaucoup beaucoup à un escroc, parce que ce terme serait susceptible de nous être reproché jusque devant un tribunal. Il est arrivé à des gens qui voulaient dénoncer des malversations de se retrouver poursuivis, et alors évidemment, ça coûte cher, ça atteint la liberté d’expression et ça peut faire mal à l’image.

Daemon Delaplace, qui s’y connaît un peu dans ce genre de chose, vous propose ci-dessous une analyse de la situation. Et vous verrez que le niveau d’organisation derrière l’entreprise WILLIAM est d’un raffinement qui fait froid dans le dos.

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La Loi Ne Vous Protège Pas de Votre Bêtise : William le Médium, Où l’On Sait l’Utilité de la Zététique en Droit.

Vled et Mendax ont levé un très joli lièvre en la personne – pardon : le personnage – de « William le médium ». Nous ne parlons pas là de croyances irrationnelles sur lesquelles Mendax porterait le fer féroce de sa rationalité affûtée ou de scientifiques trop médiatiques pour être vraiment crédibles que Vled repousserait de la pique barbée de son implacable scepticisme.

Nous parlons de ce que nombre d’entre nous considérera comme une escroquerie, définie comme « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge». L’article 313-11 du nouveau Code Pénal punit l’escroquerie de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

Alors, William le médium, escroc ou simple attrape-gogo ?

Ce qu’on peut affirmer à prime abord, c’est que la méthode est sophistiquée : premier ferrage par appel téléphonique automatique. Un courrier suit. Il est composé de deux enveloppes de couleurs différentes et d’une enveloppe retour non affranchie, de cinq feuillets imprimés en couleur, de textes très travaillés en français parfait (note de la TeB : le français de William est émaillé de quelques fautes quand même, n’exagérons pas) et présentant une mise en page étudiée.

Le nombre de manipulations auxquelles « le client » doit procéder est tel que cela équivaut à pratiquer un tour de close-up sur soi-même sans en connaître le truc : ouvrir la première enveloppe jaune, choisir une carte et la mémoriser sans ouvrir l’enveloppe blanche ; brûler la lettre contenue dans l’enveloppe jaune et conserver les cendres avant d’ouvrir l’enveloppe blanche ; lire le texte exposant la malchance, puis celui posant les dons de William comme solution ; apposer son empreinte digitale et compléter les informations du « bon d’aide d’urgence » ; faire le chèque, affranchir l’enveloppe retour et la poster.

Ce courrier a clairement été conçu par des professionnels du marketing direct disposant de moyens et d’outils modernes (psychologie comportementale et cognitive, grande base de données, géomarketing, « technologie intégrée de gestion d’appel automatique et de routage et d’impression de courrier à la demande).

Est-ce pire que, par exemple, la télé-voyance, pratique très consommatrice de publicité, qui a pignon sur rue et qui n’est sans être délictuelle?

 En renvoyant à vos frais aux Pays-Bas le coupon réponse contenu dans l’enveloppe blanche accompagné d’un chèque:

  • Vous confirmez votre adresse et votre numéro de téléphone
  • Vous précisez votre date de naissance et votre adresse email
  • Vous apposez votre signature et votre empreinte digitale
  • Vous communiquez vos coordonnées bancaires car elles sont stipulées sur votre chèque
  • Vous sollicitez l’aide de « William le Médium » et choisissez de lui verser une participation « modique » de 19 euros

Les 5 premiers paragraphes du coupon réponse visent uniquement à vous faire réitérer votre consentement de cinq manières différentes, articulées logiquement, le rendant irréfutable.

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Observez bien la séquence : premier paragraphe, « J’accepte », second paragraphe « Je sais » ; troisième paragraphe « Il est hors de question que je reste sans rien faire » ; quatrième paragraphe, « C’est pourquoi, à partir de l’empreinte que je vous laisse (…) je vous demande (à deux reprises)» ; cinquième paragraphe, « Je vous règle donc ».

Vous acceptez l’aide de « William le médium » que vous savez nécessaire pour régler un problème qui est précisément décrit. Vous vous devez agir mais n’y arrivez pas seul et vous reconnaissez que « William  le médium » peut vous aider en accomplissant 2 actes précis. En conséquence de quoi vous acceptez de payer 19 euros pour service rendu.

« William le Médium », une fois votre réponse reçue et votre chèque encaissé, s’empressera de vous envoyer un opuscule de quelque pages (cout papier+ impression ou simple photocopie couleur = 2 à 10 centimes d’euros) : votre « Grand Plan Personnel de Retour à la Chance ».

La réalité de la transaction commerciale est établie : vous avez bien reçu un produit, que vous avez certes payé 400 fois trop mais que vous avez sollicité en toute connaissance de cause.

Il n’y a rien d’illégal à vendre une Logan au prix d’une Aston Martin – c’est ce qu’on appelle en droit civil un dolus bonus. C’est le boniment du marchand, l’exagération du camelot, la pub pour le déodorant qui fait tomber toutes les meufs/keums canons qui vous fait acheter un produit plus cher que sa vraie valeur. Et c’est de votre faute, car rien ne vous obligeait à acheter ce que vous saviez être une Logan au prix d’une Aston Martin.

Ce qui est illégal en revanche, c’est de faire passer une Logan pour une Aston Martin, ou de vendre une Aston Martin et livrer une Logan. Il y a tromperie dans le premier cas et manœuvre frauduleuse dans le second, donc dolus malus annulant la transaction – nonobstant commission potentielle d’un délit (abus de confiance ou escroquerie) relevant du droit pénal.

Votre chèque sera encaissé sur un compte en banque situé, par exemple, aux Antilles néerlandaises. Tout autre paradis fiscal fera également l’affaire. Ce chèque, établi à l’ordre de « William », passera sans aucune anicroche. Aucune vérification de la correspondance de l’ordre avec l’identité du titulaire du compte d’encaissement ne sera effectuée dans les centres de traitements des chèques situés en Asie (Inde principalement) : le montant du chèque est inférieur à 20 euros.

Il est en l’espèce difficile de parler d’escroquerie, même si les méthodes de « William le Médium » sont sans doute en partie illégales et que son intention – le lucre – est clairement établie.

Pire : vous avez été vous-même le complice de « William le médium » en brûlant la lettre qui était contenue dans l’enveloppe jaune, détruisant ainsi toute preuve en votre possession de son démarchage personnel par courrier et de l’utilisation du « truc » des cartes.

Encore pire : si vous faites opposition à votre chèque, c’est vous qui vous retrouverez dans l’illégalité. Il est certes fort peu probable que « William le médium » entame des poursuites contre vous pour défaut de paiement. En revanche, on a déjà vu des victimes se faire harceler au téléphone, les gens à l’origine de ces arnaques, sûrs de leur impunité, n’ont aucun scrupule à intimider pour garantir le silence des victimes.

La justice ne juge pas de la morale : on peut être dans la légalité en étant foncièrement immoral. Porteriez-vous plainte, elle sera soit irrecevable, soit classée sans suite. Quel juge lancera une demande de coopération judiciaire européenne ou une commission rogatoire internationale aux Pays-Bas pour enquêter sur une éventuelle escroquerie dont le préjudice se monte à 19 euros ? C’est ridicule quand on le compare à celui de près de 60 milliards d’euros qu’on doit au plus grand escroc de tous les temps, Bernard Madoff. Vous aurez bien fait rire les pandores à l’apéro et vous aurez perdu 19 euros. Que 19 euros ? En êtes-vous bien sûr ?

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Cette image n’a pas de rapport direct avec le billet, mais elle apparait dans les recherches Google à « escroc ». Coïncidence ?

Encore bien pire : Vous avez envoyé à une boîte postale aux Pays-Bas détenue par des gens qui n’ont visiblement aucune morale des données personnelles et vos coordonnées bancaires.

Ces données seront stockées et exploitées, vraisemblablement sans aucun contrôle.

Dans le meilleur des cas, elles seront revendues à des entreprises qui gèrent, exploitent et vendent des fichiers marketing. En fonction de votre âge et de votre lieu de résidence, il est aisé d’estimer votre pouvoir d’achat. Vous avez envoyé un chèque ? Vous êtes donc solvable puisque pas interdit bancaire. Vous avez une adresse email, donc accès à internet. Préparez-vous à recevoir tant par la poste que par email de nombreuses offres mirifiques et autres sollicitations urgentes de fondations caritatives dont vous n’avez jamais entendu parler.

Dans le pire des cas, ces fichiers peuvent être revendus à des organisations criminelles, si ce n’est pas déjà une organisation criminelle qui est à l’origine du courrier.

  • Vous avez communiqué suffisamment d’informations sur vous pour qu’on puisse usurper votre identité numérique pour, par exemple, accéder frauduleusement à vos comptes bancaires ou obtenir votre numéro de carte bleue, sa date d’expiration et son code de vérification pour fabriquer une fausse carte
  • N’importe qui peut s’accorder une autorisation de prélèvement sur votre compte bancaire, simplement à partir de votre numéro de RIB, en apposant une fausse signature, simplement parce que les entreprises n’effectuent que rarement des vérifications
  • Il ne manque plus qu’à découvrir votre commune de naissance (ce qui est assez facile) et les noms de vos parents (également facile via les réseaux sociaux ou par simple coup de fil à un membre de votre famille) pour pouvoir demander une copie de votre acte de naissance qui permettra l’obtention d’une pièce d’identité à votre nom, en ayant fait au préalable une fausse déclaration de perte ou de vol.

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  • Cette vraie-fausse pièce d’identité est une preuve de nationalité. Elle est suffisante pour la plupart des démarches administratives (CAF, CPAM, sécurité sociale, allocations chômage etc.). L’usurpateur pourra toucher vos prestations sociales à votre place.
  • Cette vraie-fausse pièce d’identité est suffisante pour s’établir dans n’importe quel pays de l’Union Européenne, y ouvrir un compte en banque, prendre un abonnement de portable, demander un crédit ; signer un bail etc.
  • Cette vraie-fausse pièce d’identité est suffisante pour voyager dans de nombreux pays ne faisant pas partie de l’espace Schengen, par exemple pour aller faire le djihad en Syrie en passant par la Turquie.

Effrayant, non ? La probabilité d’une usurpation d’identité est mince mais malheureusement bien réelle. Et quand cela arrive, ça donne ça et c’est pas beau : http://sosconso.blog.lemonde.fr/2013/11/06/identite-usurpee-un-cauchemar-sans-fin/

Si on usurpe votre identité, vous devrez d’abord prouver que vous êtes bien vous (véridique) et ensuite que vous n’avez pas fait ce que votre usurpateur a commis. Vous allez alors vous rendre compte que prouver ce que vous n’avez pas fait est particulièrement ardu et que « Carte d’identité + carte vitale + carte bleue = votre vie » est un axiome.

L’exemple de « William le médium » est obscène, ne serait-ce que parce qu’il vise les plus vulnérables d’entre nous (âge, éducation, ressources) mais également très sophistiqué. Ce n’est pas un hasard si le médium choisi est le courrier postal.

Le phishing est une pratique courante sur internet. Les cybercriminels ne se fatiguent pas à pénétrer des systèmes informatiques bien défendus quand ils peuvent obtenir les données dont ils ont besoin par le « social engineering ». Ce sont les mêmes méthodes que William le Médium.

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Addendum : ouvrez maintenant la petite enveloppe blanche.

La première partie de cet article était volontairement alarmiste, les risques décrits et les exemples choisis volontairement extrêmes. Loin de nous l’envie de jouer les oiseaux de mauvais augure. Laissez-nous toutefois ne pas vous rassurer : ce qui est décrit en matière de fraude et d’usurpation d’identité est déjà arrivé. Ces cas sont rares mais bien réels. Il faut cependant conserver le sens des probabilités : si vous répondez à William le médium, il encaissera votre chèque et ce que vous risquerez est de faire l’objet de très nombreuses sollicitations d’autres patents charlatans.

Ne nous jetez pas la pierre ! Il fallait bien que nous attirions et conservions votre attention. Maintenant que vous avez lu l’article contenu dans notre enveloppe jaune, laissez nous ouvrir pour vous notre enveloppe blanche.

Si vous croyez que William le médium procède au petit bonheur la chance en se disant que les gogos sont légion et qu’il suffit de jeter son filet au hasard car il ramènera toujours quelque chose, vous faites erreur. William le médium emploie des techniques de marketing qui n’ont rien à envier à celle utilisées par la grande distribution ou les poids lourds de la vente par correspondance et du commerce électronique. Le marketing, nous vous le rappelons, est l’art de proposer des biens et des services qui correspondent aux besoins des clients à qui on ambitionne de les vendre (et non à créer des besoins comme c’est trop souvent le cas, mais il s’agit d’un autre débat). Quand il est pratiqué correctement et selon la loi, c’est plutôt une bonne chose et une activité parfaitement légitime. En revanche, quand ces techniques sont utilisées pour soutirer de l’argent, nous sommes au mieux confrontés à un problème éthique, au pire à un délit.

Annuaire

Non, William le médium ne contacte pas ses « victimes » au hasard.

Et nous allons vous décrire ce que nous pensons avoir compris de ses méthodes. Tout commence par un appel téléphonique automatique. Ces appels sont générés à partir de bases de données qui s’achètent à des entreprises spécialisées. On peut sélectionner les noms, adresses et numéros de téléphone des prospects en fonction d’un certain nombre de critères : code postal, âge, catégorie socioprofessionnelle, possession d’un véhicule, nombre de personnes dans le foyer, le niveau d’étude etc.

L’intérêt de sélectionner ainsi des contacts – cela s’appelle un ciblage – est de s’assurer que les gens à qui on va s’adresser sont bien ceux qui auront la propension la plus élevées à vous acheter notre came. Vous conviendrez qu’il y a peu d’intérêt à contacter des gens qui n’ont pas le permis de conduire pour tenter de leur vendre une voiture, ou de contacter 99% de la population française pour leur vendre une Ferrari.

  • Premier dilemme : William le médium sélectionne vraisemblablement les gens à qui il va s’adresser selon des critères qui font froid dans le dos : foyer de 1 ou 2 personnes, bas revenus, région pauvres, zones périurbaines et rurales, faible niveau d’étude. Les habitants de Neuilly sur Seine n’ont sans doute pas le plaisir de recevoir ses sollicitations…

William a donc ce fichier ciblé en main et achète (vraisemblablement en sous-traitance) un service d’appel automatique. Vous recevez un premier appel où il vous est demandé ce de faire un « opt-in » en jargon marketing: « Si vous souhaitez recevoir ce courrier, appuyez sur la touche # » (par exemple). Ce faisant, non seulement vous acceptez de recevoir ce courrier, mais vous vous « qualifiez » vous-même : votre nom, votre numéro de téléphone correspondent bien à votre adresse et aux données qui y sont liées dans la base de donnée achetée par William le Médium.

Le système procède alors à une remontée de « fiche » vers un service d’impression à la demande, vraisemblablement géré par le même prestataire : le courrier sera personnalisé, imprimé, mis sous pli et envoyé. L’envoi de ce courrier déclenche à son tour automatiquement un nouvel appel téléphonique automatique vous prévenant de l’arrivée imminente du courrier.

  • Deuxième dilemme : William le Médium est une entreprise qui vise à abuser de la crédulité « des pauvres gens » en utilisant des techniques modernes et coûteuses de marketing. Pour le premier appel, le courrier et le deuxième, il faut compter environ 2 euros par contact… Cela signifie donc que cet investissement est rentable et que, mathématiquement, au moins une personne sur 10 répond et renvoie un chèque – en sus de la revente de vos données personnelles…

Or, la collecte de données personnelles est réglementée en France, et les bases de données ainsi crées doivent être déclarées à la Commission Informatique et Liberté (la fameuse CNIL). Vous possédez également un droit de consultation et de rectification des données contenues dans ces bases de données.

Or les données collectées par William le sont hors de tout cadre légal, d’autant que vous les avez envoyées aux Pays-Bas. Les données ont-elles bien été saisies aux Pays-Bas et la base de données se trouve-t-elle bien physiquement aux Pays-Bas ? La réponse est vraisemblablement non, car l’échange et la vente de données personnelles est également strictement réglementée au sein de l’Union Européenne (c’est par ailleurs là un point d’achoppement récurrent depuis 25 ans avec les Etats Unis).

  • Pour résumer : vous avez envoyé vos données personnelles et vos coordonnées bancaires à une entreprise dont la licéité est douteuse en dehors de tout cadre légal, sans droit de contrôle ni sur le contenu de ces données ni sur leurs utilisations. Cela ne vous inquiète pas ?

 

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Daemon Delaplace

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Sur le thème du droit pénal face au paranormal, l’AFIS a publié un article il y a déjà quelques années : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article140.

Notez que le personnage ou le groupe qui se cache derrière officie depuis plusieurs années, au moins 2009, probablement en toute impunité :

http://www.ufc-quechoisir-metz.org/william-nous-prend-pour-des-poires

https://lamerejoie.wordpress.com/2011/05/04/arnaque/

De votre côté vous pouvez peut-être éviter à quelqu’un de tomber dans ce genre de piège en en parlant autour de vous. N’hésitez pas à partager cet article et la vidéo.

(Il s’agit du texte rédigé en préparation d’une petite intervention publique lors de la Soirée Médiévale de Montbazon organisée par le vidéaste Nota Bene le 25 juillet 2015)

Avant propos : Je ne suis pas historien et je vais donc vous présenter un regard de non historien sur l’histoire du scepticisme, il y aura donc des approximations, des oublis et – j’espère très peu— d’erreur. Mais ce sera un regard de sceptique pratiquant, donc j’espère que le point de vue que je vais partager avec vous n’est pas dénué d’intérêt.

Quesako ?Pyrrhon-de-Elis

Le scepticisme c’est la doctrine philosophique selon laquelle la pensée humaine ne peut déterminer une vérité avec certitude. Cela vient du grec skeptikos, « qui examine ». Cette idée est formellement exprimée par Pyrrhon d’Elis au 4ème siècle avant notre ère (360–275), avant d’être reprise sous différentes formes par plusieurs philosophes, et notamment Arcésilas de Pitane dans sa Troisième Académie.

Le scepticisme trouve sa source, ou en tout cas ses arguments fondamentaux dans le constat simple que nos sens peuvent nous tromper sur la réalité de ce que nous croyons observer. Nous sommes tous victimes à un moment ou à un autre d’illusions, d’hallucinations, de rêves et de toutes sortes d’incompréhensions qui nous donnent une fausse image de la réalité ; dès lors on doit douter de ce que nos sens nous donnent à percevoir. Les sceptiques inventent le principe de la « suspension du jugement » qui est une sorte d’agnosticisme sur les faits ; pour les sceptiques mieux vaut s’estimer ignorant plutôt que d’accepter une connaissance erronée.

Je vous rappelle qu’on est à une époque où l’on ignorait presque tout sur la chimie, la physique, la biologie, sur la manière dont fonctionne la matière, dont gravitent les planètes, etc. Ce qui n’empêchait pas certaines personnes de prétendre avoir tout compris.

Ce qui est crucial, me semble-t-il, c’est que c’est une pensée qui est par essence anti-dogmatique : aucune vérité n’est tenue pour absolue, ce qui empêche en théorie toute espèce d’affirmation péremptoire sur l’univers et surtout sur la volonté des Dieux. L’idée de révélation divine accordée à un individu se heurte à la pensée sceptique qui explique que nous n’avons aucun moyen de savoir si cette révélation est véridique ou totalement inventée. C’est donc l’école du doute là où on voudrait de la certitude, voire de la foi. Et ça pose un léger problème, bien sûr.

Les sceptiques ont toujours été, depuis leur apparition, des gens absolument insupportables.Je-suis-sceptique-par-votre-comportement

Le rejet du scepticisme.

Et c’est donc naturellement une doctrine qui a été beaucoup caricaturée. On présentait Pyrrhon comme un handicapé de la vie. Puisqu’il affirmait ne pas pouvoir faire confiance à ses sens, on raconte qu’il se cognait aux arbres car il ne croyait pas ses yeux, et ses disciples devaient l’accompagner dans ses déplacements sans quoi il allait sans méfiance au-devant des chariots et des précipices.

Portrait Herm ofDéjà Socrate (mort en -399), un peu avant Pyrrhon avait ruiné les prétentions des philosophes qui l’avaient précédé en montrant qu’ils ignoraient la vérité sur ce qu’ils prétendaient connaître. La célèbre phrase de Socrate est quasiment du scepticisme avant l’heure : « Je sais que je ne sais rien. » On sait comment il finit sa vie : condamné à boire la cigüe, notamment pour cause d’athéisme (ou pour être plus exact dans les mots d’aujourd’hui : pour cause d’impiété).

A mon sens il y a une confusion très importante à ne pas commettre quand on parle de scepticisme, et si j’insiste c’est parce que justement elle a été commise par le passé et qu’elle continue de polluer les débats d’idée encore aujourd’hui. Cette confusion consiste à croire que le scepticisme prône l’égalité des opinions. A l’époque antique on parlait d’équipollens, et de nos jours c’est le relativisme, le nivellement de toute parole comme si les experts n’existaient pas, comme si la science n’était qu’un avis parmi d’autres. Comme si nous étions tous également ignorants, et qu’aucune ignorance n’était pire qu’une autre. Ce n’est pas ce que dit le scepticisme, car l’idée que toutes les opinions se valent est en soi une affirmation, et ce genre de certitude dogmatique est totalement étranger au sceptique.

Le scepticisme, c’est l’idée qu’une vérité est toujours susceptible d’être corrigée par de nouvelles informations, c’est l’obligation que l’on se donne de toujours laisser la place à la réfutation.

Et ce qui est très frappant, c’est qu’après l’antiquité et les heures un peu sombres du bas Moyen Âge, les philosophes en particulier chrétiens et musulmans qui ont en leur temps redécouvert Pyrrhon, Zénon, Socrate, Empédocle, Anaxagore, Démocrite, et cetera… vont consacrer leur temps à tenter de démolir le scepticisme. En effet ces philosophes vivent dans des sociétés dominées par le monothéisme, dans un contexte extrêmement dogmatique, et ils sont tous ou quasiment tous passés par les institutions religieuses pour faire leur éducation. Ils sont formatés pour vouloir que la connaissance absolue existe. Parce que si la connaissance absolue n’existe pas, si les sceptiques ont raison, alors on ne peut plus vraiment faire confiance aux Écritures, on ne peut-plus être certain de tout ce dont on veut être certain.

Et la réponse de ces philosophes consistera, de manière assez récurrente, à admettre d’abord la vérité sur laquelle ils veulent construire leur système, et en ce temps-là c’est l’existence de Dieu ; les philosophes et les théologiens proposent donc tout naturellement que la connaissance pure, la seule véritable forme de connaissance vient de l’illumination. Ça vient de l’intérieur, donc ça ne se prouve pas, donc ça ne se réfute pas, et donc il n’y a pas à en douter. Échec et mat ! Mais vous conviendrez comme moi, je pense, que c’est une faible réponse, raison pour laquelle à la Renaissance,  la philosophie va prendre ses distances avec la religion, puis va donner naissance à la science qui se caractérise par sa dimension expérimentale. Dès lors la manière de produire de la connaissance va être chamboulée. On va cesser de produire des hypothèses ad hoc pour renforcer un système à travers des expériences de pensée, et on va plutôt s’attacher à tester réellement ce que le monde a à dire sur les hypothèses de travail.

Le scepticisme scientifique, actuel, c’est l’importance accordée à la réfutabilité et à la méthode expérimentale, c’est l’usage de la vraisemblance : on ne cherche plus la vérité, mais la meilleure approximation de la vérité, le modèle le plus fidèle à la réalité, on recherche le plus vraisemblable et on le corrige sans cesse, dans un mouvement asymptotique vers le Vrai (hypothétique et potentiellement inatteignable). On voit donc que la science et l’épistémologie ont besoin du scepticisme, exactement celui dont on parlait déjà dans l’Antiquité… mais ne peuvent pas s’y limiter. Parce que le scepticisme porte en soi les germes du nihilisme, du rejet de la connaissance et de toutes les formes de négationnisme et de conspirationnisme qu’on peut imaginer. L’embarras s’installe lorsqu’on considère que le doute est une fin en soi.

Le scepticisme, ça peut être TRES mal employé.

Comme dans tous les domaines, il existe une forme extrême du scepticisme. Comme la plupart des extrémismes, celui-ci prend des libertés avec la logique et on se retrouve donc en présence d’une chose assez baroque qu’on pourrait appeler un scepticisme dogmatique, c’est-à-dire une belle contradiction, puisque le scepticisme est à la base une démarche anti-dogmatique (mais si, souvenez-vous). Notez comme les conspirationnistes de toutes les époques sont très attachés au doute qu’ils professent : leurs doutes ressemblent à des certitudes déguisées.

Dans ce contexte, le scepticisme qui servait à l’origine à écarter les propositions incertaines afin de demeurer agnostique des choses sur lesquelles on ne savait rien ou pas suffisamment est aujourd’hui instrumentalisé par ceux qui veulent douter de certaines vérités établies, des vérités certes incomplètes, mais qui offrent des garanties de proximité avec la réalité. Parmi nos contemporains, on doute volontiers de la théorie de l’évolution, de l’utilité des vaccins, du changement climatique, et de mille autres vérités admises par le consensus scientifique. Et on se réclame en cela d’un scepticisme qui serait une forme de sagesse et d’insoumission à une doxa, une pensée unique. Et ces gens sont pour beaucoup de bonne foi, ils pensent vraiment être les vrais sceptiques opposés à une pensée dogmatique pleine de présupposés.

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Le problème c’est qu’ils n’ont pas complètement tort. Il y a une forme de dogmatisme dans la manière dont la société choisit de croire une chose ou de ne pas la croire. Il y a même une forme de dogmatisme parfois dans le monde de la science où les idées nouvelles ont du mal à se faire admettre. Notre société n’est pas parfaite, elle a des défauts : la belle découverte que voilà. Mais ce qu’oublient de considérer les gens qui pratiquent la pensée hypercritique (le doute hyperbolique) c’est que la manière dont nous produisons aujourd’hui nos connaissances sur le monde passe par un crible extrêmement exigeant qui est la démarche scientifique. La démarche scientifique c’est l’usage raisonné du doute, et c’est surtout la recherche systématique de l’erreur.

Alors, bien sûr les sceptiques extrémistes ont raison, d’une certaine façon : Oui, nos connaissances actuelles ne sont pas absolues, bien sûr elles sont incomplètes, et de futures théories, de futures expériences les amélioreront encore et encore. Mais ils ne sont pas les seuls à le savoir, ce constat est inscrit dans l’ADN de l’épistémologie actuelle.

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Conclusion

On sait aujourd’hui des choses que les sceptiques de l’antiquité ne savaient pas. Nous disposons d’instruments pour observer et enregistrer la nature, pour aller plus loin que nos sens humains si faillibles, nous savons mettre au point des protocoles en double aveugle pour éliminer la subjectivité des résultats, nous disposons des statistiques pour extraire le signal du bruit, nous avons même des connaissances sur la manière dont notre esprit fonctionne, sur comment nous produisons de la connaissance et sur comment nous nous abusons nous-même. Bref, nous sommes ignorants, mais beaucoup moins qu’avant.

 Le scepticisme ne doit pas, ne peut pas être une excuse pour défendre un point de vue irrationnel ou incohérent ou contraire à ce que nous disent les faits. Nous avons derrière nous vingt-cinq siècles de philosophie qui en témoignent.

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Sources : Consultez wikipedia au sujet des philosophes sceptiques de l’antiquité, ainsi que l’article sur le scepticisme philosophique. Wikipedia, à condition de savoir l’utiliser, c’est bien.
Les anglophones pourront consulter l’excellent site de l’Encyclopédie de philosophie de Stanford : http://plato.stanford.edu/index.html

Cet article est le développement de mon intervention dans l’émission Podcast Science 225. J’ai été invité suite à un autre article où il était question de génétique et d’homosexualité.

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Quid de la sexualité ?

Avant de voir de ce que la biologie a à dire de l’homosexualité, prenons un peu de temps pour parler de ce qu’on peut dire sur la sexualité en elle-même.

On prend la sexualité pour acquise, on la trouve banalement partout autour de nous dans la nature, et pourtant c’est un phénomène très étonnant si on y réfléchit bien. Les organismes vivants sont des réplicateurs. Ils sont le résultat de la compétition darwinienne de réplicateurs plus anciens, et cette réplication est rendue possible par la transmission d’une information, c’est le génome et la structure qui le code.

Pour se reproduire, les réplicateurs ont inventé le clonage, c’est de loin le mode le plus productif. Un individu en produit x qui eux-mêmes vont en produire x et cetera, et cetera. C’est donc important de savoir que la reproduction n’implique pas forcement le sexe. Alors dans ces conditions pourquoi un groupe comme les animaux a-t-il renoncé à la productivité écrasante du clonage pour faire du sexe ? La majorité des organismes actuels, en particulier les unicellulaires, se reproduisent la plupart du temps de manière asexuée. Même si beaucoup sont capables de faire du sexe, elles ne s’adonnent à cette activité que dans des conditions spéciales.

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Pourquoi une telle abstinence ?

Parce que c’est extrêmement couteux le sexe : il faut posséder une structure, un organe qui permette cette fonction, ainsi que les gènes qui régulent toutes les étapes de l’échange d’ADN. Chez certaines espèces, il faut passer du temps à trouver un partenaire, à le choisir soigneusement, parfois au prix de parades nuptiales très coûteuses en temps et en énergie. Le sexe, on le sait, est un vecteur de maladies, de parasitisme, il est donc un facteur de risque. Et puis quand on fait du sexe, on ne transmet que la moitié de ses gènes. Non seulement on fait moins de descendants, mais ils portent la moitié des gènes d’un autre !

Du point de vue purement égoïste d’un réplicateur (cf. Le gène égoïste de R. Dawkins) tout cela est exorbitant, surtout quand il faut apporter des soins parentaux. Mais surtout, l’usage du sexe a abouti à une invention hors de prix, une extravagance saugrenue, un accessoire encombrant : les mâles.

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Ce organe sexuel possède des parties femelles et des parties mâles.

Un mâle c’est un individu incapable de produire lui-même sa descendance. D’une certaine manière, il parasite le corps des femelles pour qu’elles répliquent à sa place la moitié de ses gènes. Pourquoi diable les femelles fabriquent-elles des fils ? On pourrait s’en passer ; songeons que les plantes ont une sexualité efficace qui ne fait intervenir quasiment que des individus hermaphrodites. Les mâles pur sucre sont plutôt rares dans le monde végétal. On pourrait presque se dire que l’existence des mâles est… contre-nature.

Sauf que, bien sûr, il y a une explication logique à tout ça. Le truc, c’est qu’on ne peut pas comprendre l’évolution si on se contente de raisonner à l’échelle des individus. L’échelle de l’évolution, c’est le pool génique, c’est la population dans laquelle s’effectue le brassage de toutes les formules génétiques entre lesquelles s’opère la sélection naturelle.

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Pour un tour d’horizon de la place du sexe dans le monde vivant, vous pouvez regarder cette conférence de Pierre-Henri Gouyon : https://www.youtube.com/watch?v=_ukNvDl1rj0

Vous pouvez également consulter cet autre épisode de podcast Science sur le sujet.

Pourquoi le sexe alors ?

Malgré ce que nous venons de dire, le succès évolutionnaire de la sexualité est criant : elle est présente presque toutes les espèces eucaryotes. Pierre-Henri Gouyon propose même de voir la sexualité comme ayant débuté avec la vie. Dès l’instant ou des structures réplicatrices ont commencé à échanger des bouts d’information, ces échanges répondent déjà à la définition de ce qu’est le sexe d’un point de vue évolutionnaire[1].

La reproduction sexuelle disparait parfois dans un lignage qui devient alors isolé de son espèce-mère, mais invariablement, ces lignages isolés finissent pas disparaitre. Cela illustre l’avantage à court terme de la reproduction asexuée (le clonage permet d’envahir une niche écologique), mais son désavantage à long terme. Qu’est-ce qui rend le sexe si avantageux pour permettre aux lignes qui le pratiquent d’être tellement plus compétitives que les autres ?

Pour le comprendre, considérons que les individus sont des sortes de tuyaux à travers lesquels passe un flux d’information génétique. Lorsqu’une population pratique le sexe, les gènes sont constamment brassés. À chaque génération la recombinaison chromosomique assure la production d’un maximum de compositions génétiques dans lesquelles les mutations aléatoires sont elles aussi distribuées. Les variants produisant des phénotypes peu adaptés sont éliminés par la sélection naturelle : la lignée peut donc être représentée comme un fin réseau ou les tuyauteries sont toutes reliées les unes aux autres : les gènes les plus avantageux vont donc avoir tendance à toujours rester présents et à diffuser très vite dans l’ensemble de l’espèce.

Quand le sexe disparait le brassage se réduit à peau de chagrin, avec seulement une recombinaison des allèles présents dans l’individu qui se reproduit isolément : la lignée asexuée pourrait être représentée comme un ensemble de tuyaux beaucoup moins réticulés. Dans ce groupe de tuyaux les gènes avantageux auront moins de chance de pouvoir se diffuser dans la population ; ils courent un risque accrus de disparaître malgré les avantages qu’ils représentent.

Or, on sait que lorsque l’environnement change (climat, maladies, espèces invasives et tous types d’évènements) la survie de l’espèce est toujours remise en question. Un tel changement modifie les pressions de sélection et une population aura d’autant plus de ressources pour s’adapter qu’elle possèdera une diversité de phénotypes associée à une plus grande richesse génétique. La faible variété génétique d’une lignée asexuée la rend inévitablement moins adaptable. Dans ce contexte, le sexe c’est la survie.

Le sexe a de gros avantages

— La vigueur hybride : deux copies du génome provenant de deux parents permettent d’assurer que chaque gène sera présent au moins une fois sous une version favorable. Ce mécanisme limite les effets délétères des mutations.

— En tant que mode de redistribution de la diversité, le sexe multiplie les formules génétiques, ce qui est particulièrement efficace pour faire face à des changements dans le milieu. ? D’ailleurs quand les organismes unicellulaires capables de choisir entre clonage et sexe sont placés dans des situations stressantes, eh bien ils optent pour le sexe, c’est la pédale d’accélérateur de l’évolution des lignées, celle qui leur permet d’avancer assez vite pour ne pas se faire rattraper par la sélection naturelle (cf théorie de la reine rouge).

— Le sexe permet de produire des cellules œuf qui sont bien souvent une forme de résistance. Ce phénomène est lié à celui cité précédemment, c’est un mécanisme fortement avantageux sur le long terme au pont de vue évolutionnaire, et cela explique que les lignées asexuées, privées de cette étape clef, aient du mal à perdurer.

[1] Sous la direction de Pierre-Henri Gouyon & Alexandrine Civard-Racinais, Aux Origines de la Sexualité, Fayard, 2009, Paris.

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Venons-en au sujet dont il était question dans l’émission Podcast Science.

Les questions qui se posent.

Le thème que l‘on m’a demandé de traiter est l’homosexualité du point de vue de la génétique. Existe-t-il, oui ou non, des déterminants génétiques à l’orientation sexuelle ?

Sur ce sujet il y a plusieurs questions qui se posent. Je vais en poser quatre, volontairement naïves.

1 — Y a-t-il un gène de l’homosexualité ?

2 — En dehors des gènes, qu’est-ce qui pourrait en être la cause ?

3 — Si c’est bien un gène, comment se maintient-il au fil des générations ?

4 — Si c’est un gène, encore une fois, doit-on craindre des idées eugénistes ?

Et on va voir que les éléments de réponse que l’on a à ces questions qui restent en partie à résoudre, sont des éléments qui répondent tout autant à l’énigme de l’existence de l’homosexualité qu’à celle du sexe en lui-même.

Question 1 : Y a-t-il un gène de l’homosexualité ?

C’est une question naïve, parce que personne ne se demande s’il existe un gène de l’hétérosexualité ou de la bisexualité. Et pourtant nos gènes étant la feuille de route à partir de laquelle s’échafaude notre corps dans lequel sont inscrits nos instincts, forcément il existe une population de gènes impliqués dans nos comportements sexués.

Les études scientifiques qui cherchent à comprendre comment la génétique influence la sexualité ont mis en évidence ces dernières décennies un certain nombre de loci sur le génome. Loci, c’est le pluriel de locus, et un locus c’est un endroit plus ou moins grand sur l’un de nos chromosomes. L’une des dernières études et la plus grande en nombre d’individus testés s’est intéressée au génome des hommes homosexuels chez lesquels on a retrouvé 8 loci, 8 endroits sur le génome qui sont fortement corrélés avec l’orientation sexuelle.

Ca veut donc dire que non, il n’y a pas 1 gène de l’homosexualité, mais oui, le terrain génétique a un rôle dans l’homosexualité. Corrélation ne voulant pas dire causalité, on ne sait pas encore dans le détail quelle chaine d’évènements relie à une extrémité le terrain génétique et à l’autre le comportement de l’individu

Question 2 : En dehors des gènes qu’est-ce qui pourrait être la cause de l’homosexualité ?

Le phénotype, c’est-à-dire l’ensemble des caractères visibles de l’organisme, est le résultat de l’interaction du génome avec son environnement, et donc l’homosexualité pourrait très bien être le résultat d’une influence environnementale au cours du développement.

Comme l’expliquait Irène dans l’épisode 185[1], les hormones et l’environnement maternel prénatal sont des suspects que la science surveille de près. Les hormones et l’environnement maternel prénatal pourraient jouer un rôle. On sait que l’ordre de naissance peut jouer un rôle. Les chances ou les risque d’être homosexuel pour un homme donné augmentent de 33% pour chaque frère plus âgé que lui né de la même mère. La différence se joue au niveau de l’environnement maternel, et sans doute en relation avec le système immunitaire de la mère (Blanchard 2001)[2]. Ce fait est d’ailleurs très intéressant parce que, sans surprise, on a montré que les mères des hommes homosexuels ont tendance à avoir plus d’enfants que les autres, mais c’est aussi le cas de leurs tantes[3]. Du coup l’hypothèse génétique est renforcée [4]. Et on en arrive à la dernière question et à la réponse la plus intéressante.

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C’est sans doute in utero que se jouent beaucoup de choses sur l’orientation sexuelle.

NB : Pardon si mes exemples concernent surtout l’homosexualité masculine, il semblerait qu’elle soit simplement plus facile à étudier. En effet, l’orientation sexuelle des femmes serait plus « fluide», plus liée à des déterminants sociaux que celle des hommes. On parle de plasticité érotique, et ce caractère n’est pas encore expliqué en regard de la théorie de l’évolution. http://www.livescience.com/33992-gay-women.html

Question 3 : Comment une formule génétique produisant un individu homosexuel peut-elle se fixer dans la population ?

Si les homos ne peuvent pas se reproduire, les gènes qui rendent ceux qui les portent homos devraient disparaitre, non ? Eh bien c’est là qu’il faut prendre du recul et cesser de penser à l’échelle des individus. En fait on sait théoriquement assez bien comment une telle chose est rendue possible par les mécanismes évolutionnaires. On observe dans la nature, chez plus de 1500 espèces à ce jour des comportements homosexuels. C’est donc un caractère qui est largement distribué chez les animaux. Pour expliquer cette large présence, nous avons deux possibilités : ou bien c’est une convergence évolutive et l’homosexualité est apparue séparément chez toutes ces espèces, ou bien c’est un trait ancestral qui s’est maintenu dans toutes ces lignées depuis plusieurs dizaines ou centaines de millions d’années.

Dans un cas comme dans l’autre on se retrouve devant l‘énigme d’un caractère qui rend de facto stérile et qui est pourtant conservé par l’évolution. C’est étonnant, mais pas tant que ça, et les fourmis ouvrières, ou bien les termites ou encore les abeilles pourraient nous dire que c’est un peu ce qu’elles vivent au quotidien : chacune d’entre elle est stérile, et pourtant leur espèce est florissante.

Caractère ancestral ou convergence évolutive, dans un cas comme dans l’autre on est en présence de ce que Maynard Smith appelait une Stratégie Evolutivement Stable, un équilibre dans la distribution des compositions génétiques au sein d’une population. Et l’équilibre est le suivant : si un ensemble de déterminants génétiques rendent des femmes plus fertiles, alors ces déterminants, disons des gènes pour aller vite, vont se fixer dans la population. Si ces versions de gènes, quand ils sont présents tous ensembles dans le corps d’un individu le rendent homosexuels, alors ils auront tendance à disparaitre. Et la proportion finale de ces gènes dans la population sera celle qui permet la maximisation de la transmission de ces gènes avec un taux suffisamment bas pour ne pas produire trop d’individus homo et suffisamment haut pour rendre les femelles plus fertiles. Quand on réfléchit à l’échelle des populations, des pools de gènes, on se rend compte que l’homosexualité telle qu’on la découvre à travers les travaux récents des biologistes, fait partie intégrante du fonctionnement naturel des lignées évolutives.

Question 4 : Doit-on craindre un eugénisme ?

Dans l’absolu, on peut imaginer que soient mis au point des tests qui permettent de dire aux parents si leur enfant est porteur des marqueurs génétiques corrélés à l’homosexualité. Et dans un monde ou l’homophobie est toujours tenace, cela laisse imaginer des cas d’interruption de grossesse en vue d’éviter de mettre au monde un petit homosexuel… Mais il y a plusieurs raisons pour penser que cela ne se produira pas.

— D’abord l’orientation sexuelle n’est pas binaire, et l’échelle de Kinsey (image ci-dessous) nous explique qu’il y a un continuum entre homo et hétéro en passant par cinquante nuances de gris… au moins.

— Ensuite on a vu que l’environnement prénatal avait une influence, et par conséquent le génome seul ne pourra sans doute jamais suffire à prédire l’orientation du futur adulte.

Cela fait deux bonnes raisons scientifiques de ne pas chercher à réaliser ce genre de test : ils seront inefficaces. Encore faut-il que les gens soient sensibles aux arguments scientifiques…

échelle de kinsey

— Il y a une troisième raison. Une raison éthique. Notre société devra décider tôt ou tard si les parents ont le droit de « choisir » les caractéristiques de leurs enfants comme un produit sur un catalogue de cuisine aménagée. Rationnellement on doit répondre non, pour tout un tas de raisons. Et j’aimerais citer encore une fois l’évolution, qui nous a appris que la meilleure des stratégies est toujours de laisser au maximum de formules génétiques la chance de faire leurs preuves au contact du monde.

C’est pourquoi une société dirigée par la raison et non par l’idéologie ne peut pas sombrer dans l’eugénisme… si elle est vraiment dirigée par la raison et non par l’idéologie. Et c’est pour cela qu’il faut laisser aux chercheurs la liberté d’étudier ces questions et de comprendre ce qui fait que nous sommes qui nous sommes.

L’homophobie n’est jamais le produit de la connaissance, elle est le produit de l’ignorance.

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[1] http://www.podcastscience.fm/dossiers/2014/02/12/le-sexe-et-l-evolution/

[2] Blanchard R. 2001. Fraternal Birth Order and the Maternal Immune Hypothesis of Male Homosexuality. Hormones and Behavior 40, 105–114. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0018506X01916812

[3] Iemmola F. & Ciani A.C. 2009. New Evidence of Genetic Factors Influencing Sexual Orientation in Men: Female Fecundity Increase in the Maternal Line. Archives of Sexual Behavior 38, 393-399. http://link.springer.com/article/10.1007/s10508-008-9381-6

[4] Une étude sur la drosophile qui vient de sortir montre un phénomène assez similaire à celui observé chez l’homme. Les lignées produisant des mâles avec des comportements homosexuels produisent également des femelles plus fertiles que les autres. http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/282/1809/20150429
Hoskins et al. 2015 A test of genetic models for the evolutionary maintenance of same-sex sexual behaviour

Le cerveau est-il « fait » pour qu’on pense avec ?

Nous avons tendance à le dire ainsi, mais il faut se méfier du langage, de ses limites et de qu’il nous force parfois à dire sur nous-mêmes. Le langage est un piètre outil pour la description du monde réel, mais il faut faire avec ou bien se tourner vers les maths…

En tant que produit de quelques milliards d’année d’évolution, le cerveau n’est pas différent des autres parties qui composent notre corps : il est un organe de survie. Ses caractères sont ceux qui ont été transmis au fil des générations car ils étaient compatibles avec la survie de nos ancêtres.

La rationalité, la philosophie, la cohérence, la capacité à nourrir des réflexions introspectives  aboutissant à des vérités sur le monde… tout cela n’est pas forcément une activité naturelle du cerveau. La preuve… ça le fatigue.

Le cerveau perçoit bien souvent des choses pourtant invisibles grâce à sa formidable capacité à produire des inférences aussitôt interprétées en une vision du monde ou de soi. C’est son côté obscur : les coulisses de son fonctionnement, ce qui échappe à notre perception de ce qui se passe dans notre propre esprit.

Pourquoi voit-on des formes dans les nuages, des visages dans les nœuds des arbres, des conspirations au coin de la rue et des miracles à tout bout de champ ?
Il est bien possible que cela soit la conséquence, le produit dérivé, d’une compétence cruciale pour l’Homo sapiens : sa théorie de l’esprit, qui est  la faculté de voir les états mentaux d’autrui (les sentiments, les désirs, les motivations) et donc de lire de l’intentionnalité partout. C’est juste plus fort que nous.

 

Cette conférence a été donnée lors de Geekopolis 2015 à Paris grâce à l’invitation des collectifs Conscience et Vidéosciences.

 

Le Néant sinon rien !

La question existentielle par excellence, que l’on doit à Leibniz, reste sans réponse pleinement satisfaisante. Mais il est bien possible que ce soit parce que la question est chargée du présupposé que le Rien serait nécessairement l’état initial, la valeur par défaut du cosmos, la référence naturelle[1]. Il semble logique de croire qu’au début tout était vide, c’est d’ailleurs une idée fortement imprégnée dans la culture judéo-chrétienne. La cosmogonie traditionnelle de notre culture fait émerger l’univers à partir du néant. Or, rien ne prouve que le néant soit le point de départ. Rien ne prouve que l’univers aurait pu ne pas exister. Et même si c’est contre-intuitif, parce que c’est contre-intuitif, ce simple fait permet de regarder la question sous un angle un peu nouveau.

« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

— On n’a aucune preuve que Rien puisse exister… »

 

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Un autre regard sur la question consiste à mettre le temps en perspective. Nous sommes 13,7 milliards d’années après le Big Bang, et l’univers, de jour en jour, se précipite vers une importante quantité de néant : l’expansion qui va en s’accélérant va isoler les galaxies puis les déchirer. Dans cent mille milliards d’années, toutes les étoiles se seront éteintes et les trous noirs auront commencé à s’évaporer. L’entropie maximale, l’état d’équilibre ultime sera atteint… et certains modèles prédisent qu’à partir de cet univers mort une fluctuation quantique pourra produire un nouveau Big Bang dans un temps presque infiniment long estimé à dix puissance dix puissance cinquante six années… Cela permet d’élaborer une réponse différente…

« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

— Parce qu’il suffit d’attendre : Rien arrive. »

 

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Le néant nous tend les bras.

 

La physique quantique, si exotique par certains aspects, mais toujours validée par l’expérience à ce jour, semble montrer que des particules apparaissent spontanément dans le vide quantique, pour disparaître aussitôt. Il y a certes un gouffre entre une particule et un univers, cependant dans le principe il n’y a pas entre les deux une différence de nature, mais une différence de degré : les données de la physique quantique ménagent une possibilité pour l’apparition spontanée de l’univers. Or, on dit souvent qu’en physique quantique tout ce qui n’est pas impossible se produit. La simple possibilité que l’univers puisse apparaître spontanément, même en admettant qu’elle soit infime, constitue donc une réponse quantique à la question de Leibniz.

« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

— Parce que Rien est instable.[2] »

 

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La fluctuation quantique

 

Les physiciens nous expliquent que la gravité a une énergie négative. Les modèles cosmologiques en vigueur montrent qu’à l’échelle de l’univers l’énergie négative de la gravité compense précisément l’énergie positive contenue dans la matière (la fameuse formule E=mc²), ce qui fait que la somme totale de l’énergie dans l’univers est égale à zéro. Et cela ressemble tellement à rien que la question de Leibniz semble d’un seul coup moins pertinente.

 « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

— Parce que ça ne fait aucune différence. »

 

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Néant vs multivers

 

Vouloir répondre à la question en invoquant Dieu n’est pas un moyen rationnel d’expliquer quoi que ce soit, car il nous resterait à expliquer l’existence de Dieu. Dieu n’est une cause sans cause que par la vertu de la définition qu’on veut en donner, or on a bien vu au sujet de la preuve ontologique que la définition que nous donnons aux concepts ne leur garantit jamais une quelconque réalité dans la nature.

 « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

— Parce que Dieu existe !

— Mais alors, pourquoi y a-t-il Dieu plutôt que rien ?

— Parce que c’est ce que j’ai décidé de croire. »

 

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Parce que !

Vous pouvez répéter la question ?

Nous n’avons pas la réponse à la question « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », mais cela ne signifie pas que la question soit pertinente. Nous n’avons pas non plus la réponse à  : « Pourquoi les licornes ne pondent-elles pas d’enclumes ? » qui est pourtant une question tout à fait compréhensible et syntaxiquement correcte.

Il semble nécessaire de questionner certaines questions pour sonder si elles reposent sur des éléments clairement définis à partir desquels élaborer une réponse de manière méthodique. Or nous ne disposons pas d’une définition clair du néant, nous ne sommes même pas certains que le néant tel que l’entend Leibniz dans sa question puisse avoir une réelle existence.

La zététique consiste aussi à douter de la pertinence des questions que l’on se pose et à rejeter celles qui contiennent en elles-mêmes des obstacles à leur élucidation. La question fondamentale de Leibniz est peut-être un cas d’école de ce genre de situation.

 

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[1] Oui, il y a un aspect « sophisme naturaliste » dans cette question.

[2] Déclaré par le prix Nobel de physique Frank Wilczek.

 

Pour aller un peu plus loin

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Coopération oculaire

Quel est le lien entre le blanc de votre œil, la coopération sociale et la croyance dans les esprits ?

 

Les humains sont très forts pour percevoir la direction du regard de leurs congénères, à quelques degrés d’angle près. Tous les jours, nous en faisons l’expérience, et dans certaines situations, c’est même une source de gêne de s’apercevoir que l’on ne peut pas regarder quelque chose impunément. Cette faculté est peut-être à l’origine d’une croyance largement répandue selon laquelle nous serions capables de ressentir quand quelqu’un fixe son regard sur notre nuque. La vérité est que : non, nous n’avons pas ce pouvoir-là. Intéressons-nous plutôt aux capacités que nous possédons effectivement et qui sont donc bien plus passionnantes.

 

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« Mes yeux sont là ! »

 

Quelques spécificités anatomiques et leurs conséquences.

Notre sclérotique (le blanc de l’œil) est… blanc, ce qui est une particularité de l’espèce humaine. Chez la plupart des animaux, et notamment chez les autres primates, la sclérotique a la couleur (sombre) de l’iris. Relativement à la taille du corps et du visage, l’œil humain est plus grand que celui des autres primates, et il est horizontalement plus allongé. Ces caractères facilitent l’estimation de la direction du regard. On sait d’ailleurs que dans nos interactions avec d’autres personnes, notre regard s’attarde surtout sur la région des yeux et de la bouche.

« Les yeux sont le miroir de l’âme » est une formule poétique qui ne repose pas sur la seule beauté des mots : nous avons l’habitude de nous intéresser tout particulièrement aux yeux de nos interlocuteurs. Et cela n’est pas dû au hasard.

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La coopération oculaire, qu’est-ce que c’est ?

 

Cette capacité humaine assez exceptionnelle est certainement liée au caractère social très marqué de notre lignée. Les instincts pré-humains puis humains ont été profondément influencés, lentement manufacturés par les interactions sociales de nos ancêtres. Savoir suivre le regard de nos congénères améliore la communication non verbale, d’où l’hypothèse de la « coopération oculaire« [1] qui propose que les particularités physiques de notre œil, notre attachement à utiliser les yeux d’autrui dans la lecture des expressions du visage, et notre propension à prendre pour un visage tout ce qui a vaguement la forme d’une paire d’yeux (paréidolie) ont évolué de concert en favorisant la coopération des individus et la transmission des caractères promoteurs de ces comportements.

En clair : l’hypothèse de la coopération oculaire consiste à considérer notre don pour la lecture de l’angle du regard comme un élément fondamental de la communication non verbale à l’origine de notre capacité à coopérer avec nos semblables.

 

 pareidolia11Ceci n’est pas un œil.

Mais votre cerveau est trop désireux de ne jamais rater le fait que vous soyez observé… Conséquence : le concept d’œil ne vous quittera pas tant que vous regarderez cette image, ou même tandis que vous lisez ces mots et que l’image est en périphérie de votre champ de vision… alors que vous savez pertinemment qu’aucun œil ne se trouve ici.

C’est comme ça.

L’apparition de la coopération oculaire ?

Pour mesurer l’impact de cette coopération oculaire, prenons l’exemple du chien et du chat. Même si ces animaux suscitent chez nous une empathie comparable, le niveau de coopération est très différent. Les chiens sont utilisés dans de nombreux contextes pour aider l’humain dans des missions de sauvetage, de détection de substances, de surveillance, etc. Le chat n’agrée pas de la sorte à ce genre d’arrangement et il ne se rend utile qu’en d’exceptionnelles occasions. Des études ont montré que parmi les différences notables entre ces deux anidont-make-eye-contactmaux, le chien a la capacité toute spéciale de comprendre le geste du pointage du doigt. Il sait que lorsque nous pointons un objet, c’est vers cet objet que nous attirons son attention à lui. Il peut dès lors adopter un comportement approprié qui conjugue le contexte et l’objet en question. Bien sûr d’autres paramètres entrent en jeu qui expliquent la plus grande coopération du chien que celle du chat, comme le fait que les loups vivent en meute là où les chats sauvages sont solitaires (mais notez bien que, justement, la plus grande sociabilité du chien est précisément au cœur du sujet).

Quoi qu’il en soit, la coopération oculaire a dû commencer à fonctionner chez nos lointains parents d’une façon assez similaire à nos interactions actuelles avec la gent canine. C’est un mode de communication non verbale très efficace pour échanger des informations simples.

Coopération vs trahison.

On sait que les grands singes sont prompts à coopérer dans un environnement défavorable à la trahison par un congénère ; à l’inverse quand la trahison devient possible, ils sont enclins à plus d’égoïsme. La coopération oculaire a pu favoriser l’altruisme en signalant aux membres du groupe qu’ils sont observés.

Des travaux avec des chimpanzés ont montré que lorsqu’on place deux morceaux de nourriture, l’un clairement en évidence dans le champ de vision du mâle dominant, et un autre caché dans un recoin où le dominant ne peut la voir, un chimpanzé dominé ne va s’approprier que celui qui n’est pas dans le champ visuel du dominant. Cela s’explique a minima par la capacité du chimpanzé dominé à se représenter ce que le dominant est capable de voir, et par la connaissance qu’il a du comportement du dominant (l’expérience laisse la place à l’hypothèse selon laquelle le dominé serait en mesure de se figurer les états mentaux de son congénère, mais sans la démontrer)[2].

Chez les humains des études réalisées ces dernières années ont montré que lorsque nous nous sentons observés nous trichons moins, nous sommes plus susceptibles de nous conformer aux codes moraux qui correspondent aux attentes intuitives du groupe, ce qui maximise nos chances de survie[3]. On voit déjà apparaitre un schéma dans lequel le regard d’autrui influence notre comportement (et cela ne surprendra personne).

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Le contact oculaire est crucial dans les rapports humains.

Un scénario évolutionnaire crédible consiste à dire que les groupes d’animaux sociaux de nos lointains ancêtres étaient capables d’encourager l’entraide et de décourager la trahison grâce au signal oculaire. Dans le paradigme évolutionnaire, les comportements dont nous parlons n’ont pas besoin d’être conscients pour produire un effet bénéfique sur le groupe et être par conséquent retenus par la sélection naturelle. On peut les qualifier de comportements moraux étant donné leurs effets, mais leur nature n’a pas besoin d’être autre chose qu’intuitive. D’ailleurs, si nous nous interrogeons sur nos codes moraux les plus irréductibles : le rejet de l’injustice, la réciprocité, le dévouement à nos proches répondent à des commandements intuitifs au moins autant qu’à des processus cognitifs pleinement conscients.

Pour nous en convaincre, il suffit de voir comment un capucin réagit à un traitement inégal dont il est la victime, dans cette vidéo.

Le grand œil et l’évolution.

L’histoire de l’évolution de notre espèce se singularise par bien des aspects, et surtout par l’émergence d’une sphère culturelle et d’une lignée mémétique dans le prolongement de la lignée génétique qui nous a créés. Ainsi il est passionnant de constater que les notions abordées ci-dessus sont certainement déterminantes dans la chaîne causale qui a conduit à l’un des aspects les plus universels et les plus curieux de l’humanité : la croyance dans le surnaturel.

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La coopération est LA stratégie qui a façonné notre branche de l’arbre de l’évolution

Reprenons les éléments qui se sont produits dans notre passé évolutionnaire.

1) La capacité des pré-humains à inférer les états mentaux de leurs congénères, ce qu’on appelle la théorie de l’esprit, permet de se représenter mentalement une réalité invisible : ce qu’un autre pense, ce qu’il veut… ses jugements, etc.

2) L’internalisation des codes moraux au fil des générations produit des instincts propices à la survie de la lignée, mais incompréhensibles par l’individu ; nous avons donc tendance à rationaliser nos jugements instinctifs à travers une narration morale (voire moralisatrice).

3) Notre méfiance envers la trahison, notre attachement à la justice nous a fait utiliser notre parfaite lecture du regard d’autrui comme un signal invitant à respecter les codes en vigueur.

Tous ces éléments mis bout à bout pointent dans la direction de l’apparition de croyances en l’existence d’entités invisibles garantes de l’ordre moral : d’innombrables entités possédant des caractères globalement humains, en dehors de leur nature invisible, surveillent nos gestes et ceux de nos congénères[4]. Et ainsi, la théorie explique l’animisme qui est vraisemblablement la première forme de croyance surnaturelle de l’espèce humaine et qui est le fruit de l’apophénie : la perception d’un objet ou d’une personne qui n’est pas là…

Les entités animistes ou religieuses ressemblent à s’y méprendre à la partie non matérielle de nos congénères : une personne capable d’émettre un jugement moral, de réagir à une injustice (esprits, dieux, fantômes, etc.). Le lien entre la croyance en ces entités et la présence dans notre cerveau du module de la théorie de l’esprit est patent.

Pour que cette croyance se fixe dans la proto-culture, il faut qu’elle soit transmise de génération en génération de manière darwinienne, ce qu’elle fait en accroissant la conformité du comportement individuel aux attentes du groupe par crainte de la punition. L’individu croyant, d’un point de vue à la fois mémétique et génétique a tout intérêt à favoriser la croyance similaire chez autrui afin de s’assurer que les autres subissent la même pression avec les mêmes conséquences sur le respect des codes de la (proto)société.

 

 

L’œil et l’origine des croyances.

 Il s’agit d’un scénario difficile à prouver de manière formelle mais qui semble parfaitement cohérent avec ce que nous savons des mécanismes de l’évolution (génétique et mémétique). Comme toujours, d’autres facteurs ont certainement joué des rôles plus ou moins importants autour de ceux que nous avons évoqués ici.

En tout état de cause les données de la psychologie et des sciences de l’évolution dessinent toujours plus finement un faisceau de preuves qui permettent d’ors et déjà de considérer la religion comme un phénomène naturel qui trouve sa source dans l’encodage darwinien au niveau social et culturel des comportements à l’origine de nos jugements moraux.

 

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Références

[1] Kobayashi, H. and S. Kohshima 2001. Unique morphology of the human eye and its adaptive meaning: comparative studies on external morphology of the primate eye. Journal of Human Evolution (40) (5): 419-435.

[2] Povinelli D.J, Vonk J. 2003. Chimpanzee minds: suspiciously human? TRENDS in Cognitive Sciences 7:157-160.

[3] Gervais W.M., Norenzayan A. 2012. Like a camera in the sky? Thinking about God increases public self-awareness and socially desirable responding. J Exp SocPycho. 48, 298–302

Piazza 2011. ‘‘Princess Alice is watching you’’: Children’s belief in an invisible person inhibits cheating. Journal ox Experimental Child Psychology

[4] Gervais W.M. 2013. Perceiving Minds and Gods. How Mind Perception Enables, Constrains, and Is Triggered by Belief in Gods. ? Perspectives on Psychological Science July 2013 8: 380394

Pour aller un peu plus loin…

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La science n’est pas sans défaut.

 

 La science est à l’heure actuelle la seule démarche dont nous disposons pour produire de la connaissance objective. Pour savoir si un médicament est efficace, pour comprendre de quoi est faite la matière, ce qu’il se passe dans le système solaire, pour vérifier une filiation ou tester la composition d’un produit du commerce, nous nous tournons vers la science.

Le consensus scientifique est le plus haut degré de certitude auquel nous pouvons prétendre, en dépit des polémiques et des idéologies. Ce consensus nous permet de savoir que la Terre n’est pas le centre de l’univers, il a relié de manière définitive le virus du VIH avec le sida, il nous permet d’expliquer les arcs en ciel, les tsunamis et les volcans. Bref, le consensus scientifique est l’un de nos outils les plus précieux dans la compréhension du monde.

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Depuis un siècle et demi, la publication des travaux scientifiques dans les revues professionnelles est le moyen par lequel les experts de chaque domaine partagent des conclusions qui vont être discutées et devenir éventuellement la vérité consensuelle : ce qu’on appelle l’état de l’art. Mais il y a un mais. En tant qu’aventure humaine, la science est émaillée d’imperfections, sa fiabilité n’est pas absolue, certains défauts entachent la confiance que l’on peut placer en elle. Quelle est la gravité de ces défauts ? Quelles sont les solutions, si elles existent ? C’est que nous allons regarder de plus près.

Chaque année se publient des milliers d’articles scientifiques dont les résultats sont souvent fondés sur des calculs statistiques à partir d’observations. Ces résultats étant statistiques, il en résulte inévitablement que quelques-uns des articles qui sortent arrivent à de fausses conclusions. Telle est la limite de la méthode.

Ce n’est pas dramatique parce que sur chaque sujet il se publie un certain nombre d’articles. Plus le sujet est délicat, important ou polémique, plus les études sont nombreuses. Et c’est heureux car quand le nombre d’études augmente, il devient presque impossible que toutes puissent avoir tort. Par conséquent, si toutes les études montrent que l’homéopathie est inefficace, alors cela veut dire qu’il est raisonnable de le penser.

Oui, mais alors… que faire si certaines publications vont à l’encontre du consensus ? À qui faire confiance ? C’est là qu’il est intéressant de se pencher sur les biais de la publication scientifique.

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Nous allons donc passer en revue :

1) L’Effet Tiroir

2) Le deuxième Effet Tiroir

3) L’effet Sexy

4) La consanguinité

 

1) L’effet Tiroir.

Les revues scientifiques ont tendance à accepter de publier plus facilement les études qui contiennent un résultat « positif », qui rejettent l’hypothèse nulle, c’est-à-dire celles qui concluent positivement sur la réalité d’un effet. On le constate dans le domaine des effets biologiques des ondes électromagnétiques : les éditeurs ou les correcteurs jugent plus durement une étude si elle conclut à une absence d’effet.

Le biais à l’œuvre est culturel. Tous autant que nous sommes avons tendance à penser qu’un travail est important et de qualité s’il montre que quelque chose est vrai. Par conséquent, nous avons besoin que les scientifiques attachent autant d’importance aux travaux qui démontrent que quelque chose est faux.

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—> Ce biais a pour conséquence que le consensus scientifique aura tendance à surestimer la réalité des effets testés (effets des médicaments, des ondes, de la psyché et autres hypothèses de départ).

Une solution proposée (et déjà en place dans le milieu pharmaceutique) est de déposer un projet de recherche détaillant le protocole AVANT de réaliser les travaux. Ainsi, pourvu que le travail soit accepté par les pairs, il est assuré d’être publié quels que soient les résultats : c’est la garantie d’une meilleure objectivité.

 

2) Le deuxième Effet Tiroir.

En parfaite connaissance du premier Effet Tiroir, les chercheurs ont tendance à davantage exploiter leurs résultats positifs que leurs résultats non significatifs.

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Aujourd’hui, le travail des chercheurs est jugé sur la quantité des articles et sur la qualité des journaux. Certains chercheurs vont préférer s’orienter vers des questions susceptibles d’intéresser les journaux (biais de thématique) et peuvent également préférer s’intéresser à des jeux de données prometteur pour leur hypothèse de départ : les jeux de données qui ont le plus de chance de leur permettre d’avoir un article accepté dans une revue à fort facteur d’impact. Cela risque toujours de se faire au détriment d’un jeu de données plus fidèle à la réalité du phénomène. Une forme d’autocensure frappe les expériences qui ne donnent pas les résultats « espérés ».

Chez les scientifiques on évoque souvent, sur le ton de la blague, l’idée de créer un jour un Journal des Résultats Négatifs. En l’absence d’un tel journal, beaucoup d’expériences pourtant réalisées restent à l’état de graphes et de tableaux, leurs auteurs ne prenant jamais la peine de rédiger un article peu vendeur. Ces données s’entassent au fond des tiroirs et n’accèdent jamais au rang de la publication scientifique.

Et l’on peut imaginer que, peut-être, tous les laboratoires du monde occupent une partie non négligeable de leur temps et de leurs ressources à conduire des expériences que d’autres ont déjà menées, des expériences dont les résultats décevants n’ont incité personne à les publier.

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3) L’Effet Sexy

Les nouvelles idées, pour peu qu’elles soient défendues par des institutions solides ou des chercheurs déjà respectés, sont dites « sexy », elles séduisent les éditeurs. Cet attrait pour la nouveauté a tendance à remettre en question les connaissances établies et les consensus en place. C’est à double tranchant.

C’est une bonne chose, cela permet à ces idées nouvelles de se diffuser et donc d’être soumises à l’examen par les experts et à leurs critiques.

Mais mes journalistes scientifiques et les vulgarisateurs sont souvent particulièrement friands des articles qui semblent chambouler un champ disciplinaire, ce qui donne l’illusion dans leurs comptes-rendus qu’il existe une controverse qui n’est le plus souvent qu’une perturbation passagère dans le champ des idées, ou tout simplement un apport intéressant à un corpus déjà en place.

Par exemple de nouveaux fossiles d’hominidés, quand ils viennent contredire l’arbre phylogénétique de la lignée humaine tel qu’il est compris, ne font pas trembler les fondations de la théorie de l’évolution. Ces fossiles sont un ajout d’information qui contribue à corriger ce qu’on croyait savoir.

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4) La consanguinité

Le nombre d’experts dans un domaine particulier n’est pas infini. Sur chaque question pointue ne travaillent qu’un petit nombre d’équipes de par le monde. Il en résulte que certains chercheurs très influents figurent dans la liste des auteurs de la plupart des papiers ayant trait à leur spécialité. Des études qui semblent indépendantes ne le sont pas réellement.

Si un chercheur jouissant d’une telle position utilise son influence pour défendre une idée erronée, cette idée se retrouvera dans une proportion d’articles qui, au final, risque d’apparaître majoritaire dans la communauté scientifique.

Heureusement sur les sujets réellement polémiques et à forte valeur ajoutée, le nombre d’équipes est plus important, et la réplication des travaux est plus systématique, ce qui atténue le risque. Mais sur des sujets moins « chaud », ce biais est peut-être responsable d’un certain nombre de méconnaissances dont nous ne pouvons pas avoir connaissance, par définition.

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La puissance salvatrice des méta-analyses.

De plus en plus régulièrement des chercheurs s’adonnent à un travail de recollement des données. Ils rassemblent les résultats des dernières années sur une question bien particulière afin de les comparer et d’en tirer une conclusion générale dans ce qu’on appelle des méta-analyses. Sur des sujets controversés (ne serait-ce que dans l’esprit des non-experts), c’est un bon moyen d’obtenir le fin mot de l’histoire : y a-t-il oui ou non consensus sur telle ou telle question ?

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À cette fin il est souvent révélateur de classer les études en fonction de la puissance de leur appareil statistique (qualité du design expérimental, qualité des contrôles, nombre de réplicats, prise en compte des éventuelles interdépendances des données, etc.). Si on observe une nette tendance à obtenir la réponse A du côté des études de haute qualité statistique et la réponse inverse du côté des publications avec des statistiques moins performantes, cela signifie que le consensus A est plutôt de bonne qualité.

Par exemple, c’est ce qu’on obtient avec toutes les méta-analyses qui s’intéressent à l’homéopathie. Les études qui montrent le plus d’effet des produits homéopathiques sont systématiquement celles qui sont les plus fragiles au niveau de leurs statistiques, tandis que les études de bonne qualité sont d’accord entre elles pour dire que l’homéopathie n’a pas d’effet[1].

Le tableau n’est pas si noir, et en dépit des défauts réels que nous avons identifiés, et des risques toujours présents de conflits d’intérêts pour des raisons financières ou politiques, la démarche scientifique demeure notre meilleur moyen d’apprendre comment fonctionne le monde. Nous devons prendre soin de cet outil, l’examiner de près, et ne jamais rechigner à l’améliorer.

Nous n’avons pas, et nous n’aurons sans doute jamais aucune connaissance sur l’univers dont le degré de certitude surpasse celui du consensus scientifique qui est une approche asymptotique de la compréhension du monde. C’est pourquoi, quand vous défendez une idée qui va à l’encontre du consensus scientifique, faites rapidement votre autocritique, car statistiquement : vous avez tort.

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[1] http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2805%2967177-2/abstract

Un article qui aborde une question similaire : http://www.largeur.com/?p=4384

Une découverte ?

 

L’équipe d’Alan Sanders vient de publier dans le journal Psychological medecine la plus grande étude à ce jour sur les déterminants génétiques de l’homosexualité. On a déjà eu droit par le passé à certains raccourcis du style « on a trouvé le gène de l’homosexualité ». Ce n’est pas aussi simple, mais disons qu’il existe des régions du génome qui ont été corrélées avec l’homosexualité chez l’humain ou l’animal.

Pendant 5 ans l’équipe de Sanders a récolté des échantillons chez 409 paires de jumeaux mâles dizygotes[1] et homosexuels. Ils ont ensuite dressé un profil génétique de ces individus grâce à des marqueurs fins (Single nucleotide polymorphism). Parmi les 818 hommes, le seul trait partagé de manière univoque était l’homosexualité. La méthode génétique utilisée permet de répondre à la question : Trouve-t-on une région du génome qui existe sous une forme différente chez ces individus-là par rapport à la population générale, et qui soit donc significativement corrélée à ce qui les distingue : leur homosexualité ?

 

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L’étude a trouvé 5 zones dans le génome humain qui correspondent à cette définition. Les chercheurs prennent soin de préciser qu’ils n’ont trouvé aucun gène de l’homosexualité en tant que tel. Il s’agit de régions dans lesquelles une combinaison de facteurs peut prédisposer à une certaine orientation sexuelle plutôt qu’une autre. Par ailleurs, 2 de ces zones avaient déjà été pointées par des travaux précédents en 1993 et 2005, et l’équipe de Sanders s’était apparemment montrée plutôt sceptiques envers ces premiers résultats. Cela consolide la validité de leurs travaux.

Que faut-il ne PAS en conclure ?

Les auteurs eux-mêmes ont bien précisé qu’il n’était pas question de dire qu’on a trouvé le gène, ni même les 5 gènes de l’homosexualité, car on ignore comment les paramètres génétiques interagissent avec l’environnement, et cette étude, quand bien même elle était trois fois plus grandes que les précédentes, ne garantit pas une prise en compte de tous les facteurs impliqués dans un comportement humain complexe. Rappelons-nous qu’Alfred Kinsey a montré qu’il existe un continuum entre les comportements purement hétérosexuels et purement homosexuels (l’échelle de Kinsey, avec notamment les divers degrés de bisexualité, et même l’asexualité : l’absence d’attirance sexuel), ce qui indique que les déterminants génétiques, s’ils existent (et c’est de plus en plus probable) sont certainement subtils.

L’étude portant, pour des raisons de faisabilité méthodologique, exclusivement sur des hommes homosexuels, il n’est pas certain que les mêmes régions soient impliquées chez les femmes présentant des comportements homosexuels, quant au cas de la bisexualité, il n’est pas dans le focus de ce travail non plus. Il faut donc se retenir de faire des conclusions trop larges.

 

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Conséquences ?

Si l’homosexualité est bien le résultat d’une formule génétique (sans doute associée à des facteurs environnementaux lors du développement), cela confirme ce que l’on sait déjà : l’orientation sexuelle n’est pas un choix. Cette vérité toute simple a aujourd’hui encore besoin d’être rappelée, et la science le fait fort à propos.

Mais évidemment, ce genre d’étude éveille le spectre de l’eugénisme, la crainte que l’homosexualité puisse être considérée comme une maladie génétique, et donc destinée à être guérie. Ne nous leurrons pas, nous entendrons et nous lirons cela encore et encore. Et il faudra être attentif à y répondre convenablement.

Compte tenu de l’état de l’homophobie à l’échelle du monde, on peut s’attendre à ce que des politiques réclament la mise au point de tests génétiques destinés à empêcher la naissance d’enfants porteur des facteurs génétiques corrélés à ce comportement. Et ailleurs dans le monde certains parents voudront y avoir recours. L’homosexualité reste pour beaucoup synonyme d’anormalité, d’abomination, de souffrance, de rejet… Et à ce moment-là, que devront faire les scientifiques ?

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Question subsidiaire : Comment un gène de l’homosexualité pourrait-il bien se transmettre ?

are-you-a-wizardComme il nous reste du travail pour savoir précisément le niveau de détermination génétique de ce comportement, la réponse sera nécessairement théorique et spéculative.

Nos gènes codent pour la fabrication de protéines dont le niveau d’expression, mais aussi la localisation ainsi que le timing de cette expression sont responsables des propriétés de notre organisme (morphologie, physiologie, comportement, etc.). Un seul et même gène est bien souvent impliqué dans différentes fonctions à différents endroits du corps et/ou à différents moments. C’est ce qu’on appelle la pléiotropie.

L’évolution du vivant fonctionne à l’échelle des populations à l’intérieur desquelles la reproduction assure un brassage génétique et où la sélection naturelle élimine certaines formules génétiques défavorables aux individus ou aux groupes. Nous possédons tous deux versions de chacun de nos gènes, deux allèles, l’un venant du père, l’autre de la mère. Il peut exister de multiples allèles d’un gène dans une espèce. On peut imaginer (c’est là que commence la partie spéculative) qu’existe un gène A dont l’une des versions (ou allèle), disons la numéro 2, apporte un avantage sélectif au porteur. Cet avantage peut être de toutes les natures imaginables : il rend l’individu plus fertile, il améliore sa capacité à séduire un partenaire de bonne qualité (évolutivement parlant), il le rend plus agressif ou au contraire plus conciliant dans des situations où cela est un avantage, etc. Dans la même population un autre gène B a lui aussi un allèle (disons le 4) qui apporte des avantages (peu importe lesquels) : un corps plus puissant, une meilleur digestion, une meilleure résistance aux parasites, etc.

 

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Ces deux allèles auront tendance à être conservés par la sélection naturelle car ils confèrent aux organismes qui les portent une meilleure chance de survie et/ou de reproduction. C’est le fondement de la théorie de l’évolution.

Seulement voilà, dans notre exemple ces deux versions de nos deux gènes, lorsqu’ils se retrouvent dans un seul et même corps, vont avoir entre un effet nouveau. Leur combinaison produit un nouveau résultat : l’individu devient homosexuel. D’un point de vue évolutionnaire, bien sûr, cela est synonyme de l’arrêt de la transmission de ces allèles. Chaque fois qu’un individu possède ces deux allèles ensemble, aucun des deux ne peut être transmis. Mais rappelons-nous qu’individuellement ils apportent des avantages. Pour que chacun de ces allèles se maintienne dans la population (ou dans l’espèce) il suffit, en nombre de descendants, que les avantages dans la population générale dépassent le désavantage dans les individus porteurs des deux allèles. Dans ces cas-là on arrive souvent à un équilibre dynamique avec le maintien au sein de la population d’une proportion stable d’individus porteur de l’allèle A2, ou bien de l’allèle B4, d’aucune ou bien des deux.

Cela signifie que les gènes de l’homosexualité, s’ils existent (et s’ils existent, ils sont plusieurs), peuvent bien être transmis à l’échelle d’une lignée.

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[1] C’est-à-dire des « faux » jumeaux issus de deux cellules œufs : leurs génomes respectifs sont aussi différent l’un de l’autre que ceux de n’importe quelle fratrie. À l’inverse, les jumeaux monozygotes sont considérés génétiquement identiques. Ces « faux » jumeaux partagent 50% de leurs gènes, et c’est ce qui intéresse les chercheurs ici : deux profils génétiques proches mais dont les différences permettent de chercher le facteur génétique lié à des différences de phénotype.

En voilà une bonne question !

Les réactions au billet précédent (Portrait robot de l’ignorance) où la règle des 10% était utilisée comme simple exemple m’ont incité à aller jeter sérieusement un œil sur le film Lucy. Je ne comptais pas faire de billet sur ce film, ce blog n’a a priori pas vocation à faire de la critique cinéma. Pour tout dire, je n’avais même pas envie de voir ce film dont l’argument, l’infâmeuse règle des 10%, me semble un enfantillage qui ne devrait pas exciter un grand garçon comme Luc Besson contre lequel je ne nourris(sais) aucune forme d’animosité.

Le présent article sera donc le point de vue forcément pointilleux et agaçant d’une personne attachée à la qualité de la vulgarisation de la science, c’est-à-dire la transmission des concepts et des résultats vers un public qui n’a pas nécessairement les clefs pour comprendre l’état actuel des connaissances sur le monde. Il n’y aura ici aucune analyse de la composition de l’image ou de la musique, du jeu des comédiens, aucun commentaire sur la technique ou les effets spéciaux, aucune mise en perspective dans la filmographie des intervenants. Je m’attacherai au propos : les idées, les concepts, les personnages, les valeurs. Et ce sera suffisant pour avoir un article assez long comme ça. À ceux qui désirent une critique mordante sur le film scène par scène, je suggère en complément la lecture du très bon article de Odieux Connard que je suis allé consulter après avoir rédigé ce texte.

 

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Lançons-nous : Lucy, écrit et réalisé par Luc Besson.

 Premier point : avec ce film on ne s’attend pas à de la hard science-fiction avec tout un tas de concepts pointus. Luc Besson fait plutôt dans le divertissement, et cela ne pose aucun problème en soi. Le divertissement de qualité est un aspect fondamental du cinéma, il ne sera donc pas question pour moi d’exiger un film « sérieux » ou didactique. Mais l’argument du film, la règle des 10%, totalement contre-scientifique, est embrassé tout au long du film sans jamais être remis en question, même par un personnage mineur. Est-il interdit de penser dans ce film ? Lire la suite