La zététique consiste à questionner les raisons pour lesquelles nous pensons que quelque chose est vrai.

Pour les besoin de l’émission de la Tronche en Live, que vous pouvez visionner ici, notre invité a rédigé un petit dossier sur l’erreur, avec plein de références. C’est avec plaisir que nous le partageons avec vous.

Erreur et Sérendipité

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L’erreur, ça semble rarement cool… On dit pourtant souvent que l’erreur est humaine. Et en étendant quelque peu la définition de ce qu’est une erreur, on pourrait carrément dire que l’erreur est biologique. L’erreur, dans le vivant, c’est la source même de la variation, c’est ce qui permet l’introduction d’un caractère aléatoire lors de la reproduction (les mutations, les erreurs de copie). Si les premiers organismes vivants n’avaient réalisé que des copies totalement fidèles de leur matériel génétique, l’absence de variation de génération en génération n’aurait pu permettre leur évolution. Et il est fort probable que la moindre pression sélective sur ces proto-organismes tous identiques les auraient condamnés à l’extinction. Si vous avez donc envie de dépasser le stigmate de l’erreur, rassurez-vous en vous disant que l’erreur est la source de l’exquise diversité du vivant. Pour résumer, sans erreur, y’aurait pas de vie.

Mais saviez-vous que l’erreur est aussi essentiellement scientifique ? L’erreur est au cœur de la méthode scientifique et est souvent son objet : on cherche à l’identifier, la caractériser, la limiter, etc.

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Brillantes exploitations de l’erreur.

Parfois même, l’erreur peut être au cœur des découvertes scientifiques… Sans parfaitement correspondre à la définition, des découvertes par erreurs peuvent rentrer dans un phénomène plus général qu’on appelle la sérendipité, le fait de découvrir quelque chose qu’on ne cherchait pas directement. J’ai découvert l’origine de ce mot en écoutant une chronique d’Alan Vonlanthen de Podcast Science qui citait les aventures des trois princes de Serendip, un conte persan où les princes y font sans cesse la découverte de choses qu’ils ne cherchaient pas, par une subtile combinaison d’accidents et de sagacité. Le néologisme de sérendipité fut ensuite créé par le comte d’Oxford Horace Walpole en 1754 pour désigner ce moteur très important de découvertes scientifiques. Dans son sens général, cela évoque le fait qu’une observation, à priori aléatoire (le fait que des laitières du XVIIIème siècle, contractant souvent la variole bovine, semblaient immunisées contre la variole humaine) inspire un scientifique, Edward Jenner, pour l’analyser et permettre une découverte majeure (en l’occurrence le premier vaccin, contre la variole, en inoculant des enfants avec du pus des plaies des laitières malades de la variole bovine).

Mais dans cette histoire, il n’y a pas vraiment d’erreur (enfin il y a une grosse erreur d’éthique et de déontologie, mais passons) : c’est plutôt la providence qui est révélée ici, ou la grosse schkoumoune comme on dit dans le métier. La question qui nous intéresse maintenant, c’est s’il existe vraiment des découvertes dont l’origine est une bonne grosse gaffe de derrière les fagots ?

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Monsieur Fleming et sa paillasse mal rangée.

L’exemple le plus connu de conneries qui mène à une découverte, c’est celle d’Alexander Fleming, qui aurait pu finir comme un fort peu célèbre microbiologiste incapable de faire pousser correctement des bactéries dans des boites de Petri. Il avait une réputation de bordélique et, à plusieurs reprises, laissait ses sécrétions contaminer ses boites de cultures bactériennes. C’est comme ça qu’il a découvert, après avoir laissé tomber une larme dans une de ces boites, que les bactéries ne poussait plus là où la larme était tombé. Et bing, il mis en évidence une enzyme capable de bousiller des bactéries. Rebelotte 6 ans plus tard: il part en vacances en laissant sa paillasse en bordel, avec des piles de boites de cultures. En revenant, il découvre qu’un champignon y avait poussé, et encore une fois, il découvre que là où pousse le champignon, les bactéries trépassent: c’est la découverte de la pénicilline, premier antibiotique correspondant aux sécrétions du champignon.

Quelques pages où trouver plus d’info sur la sérendipité :
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Les trois princes de Serendip

Mais finalement les exemples où des erreurs et gaffes flagrantes sont à l’origine de découvertes ne pullulent pas. La question qu’on est en droit de se poser c’est : est-ce que ces exemples sont véritablement rares, ou est-ce qu’ils sont cachés, car leurs auteurs sont honteux d’avoir réalisés ces gaffes ?

Faut dire ce qui est vrai: faire des erreurs constitue toujours un fort stigmate. On sort rarement indemne d’admettre qu’on fait des erreurs, et c’est potentiellement la raison pour laquelle on a tendance à vouloir masquer qu’on en fait. En science, ça peut être un peu curieux puisque le système de la méthodologie scientifique, et notamment son processus de publication de résultats, s’attache à impliquer tous les chercheurs, tantôt du côté de la personne qui produit et présente des potentielles découvertes scientifiques, tantôt du côté de l’expert sollicité pour déterminer si ces potentielles découvertes ont été réalisées selon des protocoles rigoureux et si les résultats obtenus ne constituent pas des erreurs d’interprétations. De ces découvertes, souvent, les scientifiques bâtissent des théories qui, comme nous l’expliquait Mendax, sont des ensembles de concepts capables de rendre compte du fonctionnement du monde. Une fois formulées, ces théories ne sont pas pour autant à l’abri de critiques, bien au contraire. Kathryn Schulz, dans son livre ‘Being Wrong’, nous explique qu’en réalité, non seulement on peut réussir à prouver que certaines théories sont fausses, mais qu’à vrai dire, c’est le sort de la très grande majorité des théories. Et les scientifiques s’accordent à dire que ce type d’évènement, l’effondrement d’une théorie, marque de manière retentissante le succès de la science, et non son échec. Pourquoi? Et bien parce que quand des théories s’effondrent face à de nouvelles découvertes ou des réinterprétations de résultats, cela marque le progrès de nos connaissances générales ; nous nous écartons alors d’une position erronée pour nous rapprocher d’une compréhension véritable de la nature. Certaines anecdotes illustrent le comportement exemplaire de certains scientifiques qui ont pris à cœur cette perspective sur l’erreur. Dans son ‘The God Delusion’ (titre français « Pour en finir avec Dieu »), Richard Dawkins rapporte l’anecdote d’un biologiste d’Oxford ayant pendant 15 ans affirmé qu’une structure cellulaire, l’appareil de Golgi, n’existait pas. A la suite d’une présentation d’un de ses pairs qui venait présenter des résultats convaincants quant à l’existence de cet appareil de Golgi, notre biologiste est venu à sa rencontre pour lui serrer la main, le féliciter, et le remercier en déclarant ‘je vous remercie d’avoir prouvé que j’avais eu tort pendant 15 ans’.

Très personnellement, l’exemple le plus édifiant d’un tel comportement où un scientifique cherche d’abord à prouver que sa découverte est une erreur, avant de considérer qu’elle puisse être vraie, c’est une scène du film Contact adapté d’un livre de Carl Sagan. Ellie, le personnage interprété par Jodie Foster dans le film de Zemeckis, capte un signal d’origine potentiellement extraterrestre. En tant que spectateur, si on n’est pas un peu la tête dans le guidon, on se doute bien que la narration va nous mener à comprendre qu’il s’agit d’un signal extraterrestre. Pourtant le film passe près de 5 minutes à illustrer le comportement sceptique d’Ellie qui, en face de ses collègues, les incitent à prouver qu’elle a tort de penser qu’il s’agit d’un signal extraterrestre: Make me a liar, leur dit-elle.

Ca fait quoi d’avoir tort ?

Bizarrement, il semble qu’on remarque assez rarement l’utilité de l’erreur dans le processus d’apprentissage. Pourtant c’est très souvent le fait de faire des erreurs qui nous permet de corriger, de réviser nos idées et de changer pour le meilleur. Qui plus est, la vérité absolue, si elle existe pour certains aspects de l’univers, est totalement unique. Par contre, comme l’observait Benjamin Franklin, il semble exister une infinité de manières de se tromper, et on peut s’attarder à admirer la diversité de conneries, d’erreurs, d’absurdités dont est capable l’esprit humain, source parfois d’une poésie insoupçonnée. Dans la chanson Don Diego 2000 de Dionysos, on nous conte l’histoire d’un homme doué d’une dyslexie magique qui suture des mots à l’oreille d’une fille aux yeux en pâte d’amande. Pas mal comme gaffes linguistiques, non ?

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L’erreur c’est parfois une question de point de vue (mais pas toujours, et pas sur tous les sujets)

Du coup, y’a deux choses qu’il faudrait souvent garder en tête vis-à-vis de l’erreur. La première, c’est qu’avoir tort, en fait, c’est pas particulièrement désagréable. À vrai dire, comme le fait remarquer Kathryn Schulz, ça ressemble particulièrement à ce qu’on ressent quand on a raison. C’est parce qu’on confond souvent avoir tort avec la réalisation qu’on a tort. Avoir tort, c’est le plus souvent à nos dépens, sans qu’on en ait conscience. Du coup, présentement, sur pas mal de sujets, j’ai tort, vous avez tort et on s’en porte pas plus mal. Ce qui est plus difficile à digérer, c’est quand on s’aperçoit qu’on a tort. Parce que, généralement, on perd la face, et souvent c’est une réalisation catalysée par une personne qui nous démontre qu’on a tort, et qui en prend un malin plaisir.

Ça m’amène à la deuxième chose importante à garder en tête vis-à-vis de l’erreur : si on change d’avis et qu’on réalise que l’erreur est souvent positive, source d’enseignement, alors il faut savoir la tolérer, la gérer quand on s’aperçoit qu’elle est présente chez autrui. Et ça, ça demande des compétences en communication, en empathie, et c’est loin d’être facile.

Po3235148771_disagreement_xlargeur en revenir au premier point, si on sait qu’on est très certainement en train d’avoir tort, alors il faut prendre cette opportunité pour apprendre de ses erreurs : peaufiner les outils pour les détecter et les interpréter. Généralement, ça relève d’une hygiène mentale et d’un scepticisme rigoureux. Pour ça, il faut peaufiner des outils du scepticisme, sur soi-même. Jean-Michel Abrassart, fondateur du podcast Scepticisme Scientifique, observe, à juste titre, que de nombreux sceptiques utilisent les outils du scepticisme pour prouver aux autres qu’ils ont tort. A vrai dire, les outils du scepticisme sont d’autant plus efficaces et utiles lorsqu’ils sont avant tout utilisés sur nous-mêmes. Comme la plupart des outils, en soi, la méthode scientifique et le scepticisme n’a pas de valeur intrinsèque et c’est son utilisation qui va en déterminer l’impact (positif ou négatif) qu’ils peuvent avoir sur nous-mêmes et sur autrui. À l’instar du marteau qui peut être utilisé pour clouer ou pour assommer son voisin, le scepticisme peut, si uniquement employé pour prouver aux autres qu’ils ont tort, avoir des conséquences particulièrement négatives à une échelle individuelle mais parfois même à celle d’une communauté.

J’avoue que, personnellement, c’est une tendance qui m’assaille systématiquement. Quand je regarde une vidéo de la Tronche en Biais ou d’Hygiène Mentale, quand je lis des livres sur le scepticisme, je me surprends parfois à réfléchir pour essayer de trouver, dans mon entourage, sur qui utiliser tel ou tel outil sceptique pour prouver que cette personne à tort. C’est un peu normal en même temps: on peut très rapidement développer une envie de prouver à tous les autres qu’ils ont tort, c’est presque grisant. Mais ce qu’on fait au final, c’est souvent perpétuer le stigmate de l’erreur, et surtout, on perd des opportunités de vérifier si on en perpétue pas nous même, des erreurs.

C’est pourquoi pour optimiser le bénéfice des erreurs, il est particulièrement important qu’en tant que sceptique, on les popularise, qu’on les rende agréables, et surtout qu’on montre qu’on est capables d’en faire, et de les gérer sainement, en en bénéficiant nous-même.

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Admettre son erreur.

Comment aborder un débat d’idées ?

Mike Meraz a été l’hôte d’un fantastique Podcast, Actually Speaking, qui a employé le parti pris audacieux de mettre de côté l’aspect scientifique du scepticisme pour se concentrer sur son aspect humain, et essentiellement sur des problématiques de communication. Il s’est notamment penché sur l’efficacité de telle ou telle méthode de communication pour changer l’opinion de notre entourage. Son mot d’ordre : vivre de manière sceptique, mais savoir garder ses amis ! Cela signifie qu’il s’est surtout concentré sur des discussions et des communications qui peuvent avoir lieu entre personnes qui se connaissent, entre proches, et donc pas nécessairement des cas correspondant à deux figures publiques qui s’affrontent.

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Le débat n’est pas forcément public et médiatique.

Son premier constat, c’est que dans toutes discussions où deux personnes ne partagent pas la même opinion, il y a très peu de chances que l’une d’entre elle arrive à changer l’opinion de l’autre sur le moment, et qu’à la fin de la conversation on se retrouve en face d’une personne prompte à changer d’avis et admettre avoir eu tort. Et pourtant c’est souvent ce qu’on s’attend à obtenir en démarrant une conversation.

Ce qui est bizarre, c’est que nombre d’entre nous n’ont pas été convaincus du jour au lendemain sur tel ou tel controverse, et excessivement rarement après une conversation frustrante et houleuse. C’est très rare qu’on nous oblige à réfléchir et que ça marche. Généralement, les réalisations, les grands bouleversements de notre manière de penser ne sont pas obtenus sous la contrainte.

Ce qu’il faut réaliser c’est que de la communication, sans objectifs définis appropriés à la situation, mène à de la frustration. Dans le cas précédent l’objectif invraisemblable qui est visé mène à une conversation frustrante. Si on se définit un objectif à notre portée, alors on a plus de chances de réaliser une communication positive et fructueuse.

Pour être en mesure de savoir si un objectif est à notre portée, il faut se demander ce qui, selon nous, peut être formulé par notre interlocuteur pour nous signifier que l’objectif est accompli. Si cela vous semble invraisemblable, c’est que probablement votre but est irréaliste et va vous mener vers une conversation frustrante. Au final, ça vous oblige à réfléchir avant de prendre la parole, et c’est totalement en accord avec les principes du scepticisme. En plus ça limite les conversations frustrantes qui peuvent vous permettre de vous dissocier d’avec une image négative.

D’autre part, il y a une notion de contrôle importante et de qui le détient. Si l’objectif visé est de changer l’avis de la personne en face, on place l’interlocuteur en position de contrôle : lui seul peut décider du sort de la conversation. Vous lui donnez en cadeau votre perspective d’accomplissement. Dans une conversation conflictuelle, votre interlocuteur peut penser que tant qu’il ne partage pas votre point de vue, vous avez perdu. Et si votre objectif est de changer sa manière de penser ou son avis, vous allez probablement vers un échec car votre objectif est peu réaliste. Une autre manière de voir si votre objectif est réaliste, c’est de déterminer si vous êtes véritablement en contrôle de votre sens d’accomplissement. Votre but vous maintient-il en contrôle de votre niveau de frustration ?

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Faut-il sauter à la gorge de votre interlocuteur à la moindre erreur ?

Il ne faut pas non plus oublier d’admettre que nos proches, nos amis, peuvent commettre des erreurs. Leur tomber immédiatement dessus ne correspond pas véritablement à la reconnaissance de l’utilité de ce qu’est une erreur, ni à la réalisation que le meilleur moyen d’apprendre de ses erreurs, c’est souvent via une quête semi-individuelle, et favorisée par un contexte agréable et un sentiment de liberté. Le psychiatre George E. Vaillant utilisait une parabole avec des chenilles et des papillons: Il est très fréquent que les chenilles se transforment en papillon et soient alors persuadées qu’elles étaient de petits papillons dans leur jeunesse. La plupart d’entre nous sommes devenus sceptiques à travers un long et fastidieux voyage. S’attendre à ce que notre entourage le réalise le temps d’une discussion est totalement illusoire et injuste.

Votre rôle, en tant que sceptique, pourrait être d’une part de donner un bon exemple de la méthode sceptique, en partageant votre propre expérience, vos propres apprentissages de vos erreurs: donnez l’exemple de ce que vivre une vie sceptiquement peut apporter de bénéfique.

Vous pouvez aussi vous donner comme rôle de ne pas nécessairement pointer les moments où vos proches font des erreurs, mais plutôt les moments où ils en tirent un apprentissage précieux.

Le partage de connaissance, sans émettre de jugement sur les opinions de vos proches, peut éventuellement accomplir ce que vous recherchez: devenir une référence, un soutien pour leur éventuelle transformation.

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Cependant il y a un équilibre entre le soutien et la remise en question. Généralement, nous, les sceptiques, on est assez balaises pour remettre toute affirmation en question. Mais généralement, cela fait fuir notre entourage. On représente un perpétuel challenge, et parfois malgré nous : c’est ce qu’on réalise par exemple en présumant des connaissances de notre entourage, de leur intérêt pour nos propres centres d’intérêts, de leur capacité ou leur familiarité avec des concepts scientifiques ou philosophiques. La remise en question peut être excessive quand on bombarde notre entourage de faits scientifiques non digérés, quand on s’attend à ce qu’ils déploient une méthode académique ou épistémologique, quand on piétine leur croyance sans égard et surtout, quand on leur fait croire qu’il faut qu’ils changent pour pouvoir continuer à nous parler, voire d’être un bon être humain. Surtout s’il s’agit de vos proches, il peut être capital pour conserver de bonnes relations de ne pas systématiquement remettre tout ce qu’ils disent en question. C’est éreintant et non constructif. N’allez pas à toutes les batailles. De la même manière ne vous transformez pas en manuel scolaire à chacune de vos interventions. Si la plupart d’entre nous changent après avoir lu tel ou tel livre, d’autres effectuent ce changement en interagissant avec des personnes, grâce à une connexion. Et on n’est pas capable d’avoir une connexion avec un manuel scolaire.

À l’inverse, on peut apporter un soutien trop prononcé. C’est ce qui se passe si, par exemple, on laisse tout passer, on laisse dire des choses qui nous semblent fausses sans intervenir de peur de briser nos relations, quand on suggère qu’on est d’accord puisqu’on se tait, quand on est trop neutre voire qu’on suggère que le relativisme complet est tolérable.

Comme c’est human-errorsouvent le cas, il faut un peu des deux, et déterminer un équilibre adéquat. Il est cependant très important de comprendre que la remise en question d’une opinion peut être traumatisante. En sachant ça, il est utile d’essayer d’éviter ce traumatisme, car c’est très peu propice à l’apprentissage. On dit souvent qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, mais on n’est pas obligé de bousiller une barquette de 24 pour partager une omelette à deux…

Pour pouvoir atteindre un bon équilibre, y’a pas 30000 façons, faut s’entrainer, faut s’exercer, et vous inquiétez pas, vous allez faire des erreurs, mais avec un peu de chance et de bonne volonté, vous allez probablement apprendre de vos erreurs pour vous améliorer.

L’Entretien épistémique ?

Les gars de la Tronche en Biais ont évoqué l’entretien épistémique comme une bonne méthode pour qu’un interlocuteur soit confronté à ses propres erreurs : l’entretien épistémique, selon eux, correspond à une discussion sans débat permettant, à terme, d’amener votre interlocuteur devant ses propres contradictions, devant les limites de ses connaissances actuelles. En constatant lui-même les anomalies de sa méthode, il vous verra moins comme un adversaire que comme un partenaire dans l’examen des raisons pour lesquels il croit ce qu’il croit.

Personnellement je remarque qu’il y a éventuellement un problème d’objectif tel que je l’ai énoncé plus haut avec une perspective de changement d’opinion à la fin d’une discussion.

Mais plus important pour moi, il y a surtout une lacune quant à la méthode permettant d’écouter efficacement votre interlocuteur. Quoi? Bien écouter, c’est pas tout simple? Il suffit pas de croiser les bras et de laisser votre interlocuteur blablater, alors?

Ça c’est probablement une manière d’écouter très inefficace, car écouter est un art. Surtout si on veut maîtriser l’art de l’écoute active. De base, dans une conversation, on est des brêles pour écouter: on est distrait, on est dans nos propres pensées, on se concentre sur les arguments qu’on va sortir pour tacler notre interlocuteur, etc. Écouter de manière active, c’est véritablement porter toute son attention à l’interlocuteur. C’est montrer également à l’interlocuteur qu’on est engagé dans l’écoute, et investi dans la conversation. C’est choisir de montrer qu’on comprend, ou qu’on veut clarifier immédiatement une incompréhension.

Alors pourquoi choisir l’écoute active: et bien car elle aide à construire une relation de confiance avec votre interlocuteur, et elle vous permet de comprendre le contexte et le contenu de son propos. L’écoute active, c’est particulièrement efficace quand on couple cette technique à celle d’éviter d’utiliser la seconde personne. Dire ‘tu’ ou ‘vous’ à tout bout de champ, laisse transparaître un certain degré d’accusation et il peut être souvent utile de se concentrer sur la première personne: de partager son expérience, son ressenti.

Pour en revenir à l’écoute active, dans le cadre d’un entretien épistémique, elle peut permettre de réfléchir comme un miroir les croyances d’une personne, de renvoyer cette image. En ça vous devez jouer le rôle d’un miroir efficace : vous devenez l’outil d’autoréflexion permettant à votre interlocuteur d’appréhender pleinement ses propres croyances, ses décisions, positions, opinions avec une clarté et une perspective quasi impossible à obtenir soi-même.

En plus être écouté montre qu’on entre dans une communication où le flux d’information n’est pas unilatéral, ce qui permet de se sentir estimé et de construire un environnement de communication partagé. En plus, quand on fait un effort conscient sur soi-même pour écouter l’autre, cela a souvent l’effet d’une soupape de sécurité qui vide un peu la pression et la frustration qu’on peut accumuler.

Il faut aussi se rendre compte et transmettre le fait qu’écouter ne signifie pas nécessairement agréer, accepter, valider. Ce n’est pas en coupant la parole à une personne à tout bout de champ qu’on démontre au mieux qu’on n’est pas d’accord avec ce qu’elle dit. Couper la parole à quelqu’un laisse déjà la possibilité à cette personne d’estimer qu’elle ne s’est pas totalement exprimé, que son opinion n’a pas été entendue. Pour des spectateurs de ces échanges, ça peut en plus avoir l’effet pervers de jeter une aura de mystère sur le fameux sujet non exprimé par votre interlocuteur, ce qui peut alimenter un esprit de controverse. Et en plus, ça nous fait paraître menacés. Si vous êtes confiants sur la validité de vos opinions, laissez vos interlocuteurs parler pour que l’intégralité des deux opinions puissent être comparées. Si vous n’êtes pas confiants, vous aurez au moins de nombreuses informations obtenues auprès de votre interlocuteur et qui consisteront en autant de points de réflexions et recherches pour informer ou confirmer vos propres croyances.

Mais attention à ne pas confondre l’écoute pour obtenir des informations et l’écoute active. L’écoute active rajoute une couche à la simple collecte d’informations: elle permet de renforcer vos relations avec vos interlocuteurs, fournit les conditions propices à l’éveil personnel et au changement, augmente votre capacité à influencer et persuader et surtout permet de désamorcer des situations conflictuelles.

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L’écoute active.

Voici 5 points permettant de réaliser une écoute active efficace. Faut pas se le cacher, c’est compliqué, c’est dur, et la pratique de l’écoute active montre à quel point écouter peut être considéré comme un art. L’écoute active c’est:

1: Prêter attention.

Comment prêter attention – Des petites astuces. Regarder la personne dans les yeux, éviter les distractions (si vous sentez que vous êtes hyper en colère, ou distraits, c’est peut-être pas le moment d’avoir cette conversation), ne pas réfléchir à la manière dont on va formuler sa propre réponse mais se concentrer sur ce qui est dit, faire attention au langage corporel de son interlocuteur, ne pas se concentrer sur les tics de langages ou le maniérisme de l’interlocuteur qui peut nous agacer mais se concentrer sur le message qui nous est véhiculé.

2: Montrer qu’on écoute

Hochez la tête, agréez, souriez, ne vous braquez pas en croisant les bras en attendant la fin de l’intervention de votre interlocuteur, mais plutôt penchez-vous vers lui pour montrer que vous êtes absorbé par son propos.

3: Fournir un retour d’information, du feedback

C’est peut-être le plus compliqué… Là, vous allez devoir intervenir pour clarifier le message que vous venez d’acquérir. C’est bien la différence avec une écoute passive: l’écoute active implique que vous réfléchissiez immédiatement au message qu’on vous délivre. Pour cela, vous pouvez simplement répéter une phrase clé qu’on vient de vous communiquer, mais ça peut être vite lassant. Du coup il va falloir plutôt paraphraser votre interlocuteur en lui sortant des phrases du genre: ‘si je comprends bien, ce que tu me dis c’est pif et paf’. Il faut aussi, de temps à autres, résumer ce qui a été dit. C’est très important pour voir si vous avez suivi, si votre interlocuteur sait où il en est de son raisonnement, etc. Et puis n’hésitez surtout pas à poser des questions. En tant que prof, je peux très vite savoir si un étudiant suit mon cours ou non de cette manière: s’il me pose une question approprié, c’est que j’ai obtenu son attention (c’est très agréable). Dès que vous sentez que vous ne comprenez plus, c’est le moment d’intervenir. Il est tellement facile de faire semblant d’écouter en hochant la tête même si on ne pige rien. Poser une question pour être sûr qu’on a compris, c’est garantir à votre interlocuteur que sa voix est écoutée.

4: Différer son jugement, l’expression de son opinion.

 En très bref, ne coupez pas la parole de votre interlocuteur et ne vous précipitez pas avec un contre argument à la moindre pause dans son argumentaire. Si vous montrez que vous êtes patients, il est à peu près certain que vous bénéficierez du même type de patience en retour pendant votre réponse: est-ce que c’est pas une situation idéale pour communiquer et transmettre ce que vous voulez dire?

5: Répondre de manière appropriée:

Après avoir laissé parler votre interlocuteur dans le cadre d’une écoute active, vous détenez maintenant non seulement des informations sur son message, mais aussi probablement sur ses émotions. Vous avez une perspective, un contexte dans lequel votre interlocuteur pense ce qu’il pense, croit ce qu’il croit. Vous serez éventuellement surpris d’apprendre que votre interlocuteur, de prime abord véhément sur l’inexistence de l’évolution, tient cette opinion essentiellement pour des raisons totalement différentes d’une simple adhésion à une logique créationniste: ça peut être l’expression d’une méfiance envers le monde académique, une crainte envers la disparition dans la société de certaines valeurs chère à votre interlocuteur ou encore d’une pression interne d’adhérer aux opinions d’un tiers qui leur est cher pour éviter de fragiliser ses relations, un mariage tendu par exemple. Utilisez maintenant ces informations à bon escient dans votre réponse. Soyez franc, honnête, mais n’édulcorez pas votre propre opinion pour autant.

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Y a-t-il d’autres stratégies valables ?

Je vous ai exposé des techniques de communications à utiliser essentiellement avec des proches et non des stricts inconnus ou des figures publiques. Dans ce second cas, vu notre investissement émotionnel et affectif  minimal, on peut être tenté de privilégier un discours beaucoup plus conflictuel, confrontationnel, utilisant le ridicule pour véhiculer l’inanité des opinions de vos interlocuteurs. Alors je vais peut-être vous surprendre, mais en soi, je ne trouve pas ça une mauvaise stratégie. L’agression, le ridicule, qu’on oppose souvent à la patience, l’éducation, correspond à un outil particulièrement efficace dans certains contextes pour promouvoir le scepticisme et l’esprit critique. Ces deux approches constituent des outils pour combattre l’ignorance. Opposer ces deux approches en essayant de savoir laquelle est la meilleure peut revenir à se demander ce qui est le meilleur outil: le marteau ou le tournevis. Cette question est totalement creuse si on supprime le contexte de l’utilisation de ces outils. La question qu’on doit se poser c’est quand utiliser ces outils, et comment les utiliser de manière efficace. Pour cela, une bonne méthode, c’est de se demander quel peut être le préjudice généré par votre interlocuteur. Alors attention, dans ce cas précis, à ne pas faire une erreur courante dans le monde sceptique qui est de confondre l’interlocuteur d’avec le sujet exposé. J’entends souvent dire qu’il ne faut pas se concentrer sur l’interlocuteur mais sur son sujet: c’est hyper dangereux en fait. La plupart d’entre nous, sceptiques, sont familiers avec des sites comme ‘What’s the Harm’ (http://whatstheharm.net/ ) qui compile tous les préjudices (morts, blessures, gaspillage économiques) perpétrés par des pratiques paramédicales ou occultes. Se concentrer sur le message et retirer l’interlocuteur de l’équation, c’est risquer de communiquer le fait que votre interlocuteur est directement responsable de ces préjudices. Je sais pas si vous imaginez le poids de responsabilité qu’un sceptique peut larguer tranquillos sur les épaules d’une personne sans prévenir:

« Bonjour, tu crois en l’homéopathie? Tu es responsable de la mort de N gamins. Ciao ! »

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Ce qui se passe en fait c’est qu’on n’a pas réellement déterminé le préjudice véritablement généré par notre interlocuteur. Et si on détermine qu’une personne est plus ou moins heureuse, saine, et ne porte pas un gros préjudice à elle-même et à son entourage, il faut savoir que la promotion du scepticisme est probablement plus efficace lorsqu’elle se base sur de l’éducation, des exemples, de la coopération, plutôt que de la confrontation.

Cependant, on peut se trouver dans des situations où il est utile de savoir ajuster son niveau d’agressivité. Personnellement, c’est une des pratiques que j’ai le plus de difficulté à mettre en œuvre, mais un véritable équilibre dans la gestion de ce niveau relève d’un entrainement et d’une pratique régulière.

La première mission, on l’a vu, c’est de déterminer le préjudice généré par votre interlocuteur. N’hésitez pas à prendre le temps de réfléchir avant d’intervenir, ça vaut le coup.

Votre niveau d’affirmation de vous-même, de transmission des principes du scepticisme doivent être calibrés. Évitez d’être trop brutal lorsque vous estimez que votre interlocuteur ne sait rien ou peu de choses du scepticisme.

Votre niveau d’intervention doit également être calibré: faible si vous estimez que la personne est susceptible de se poser des questions, très fort si le niveau de préjudice généré est important et immédiat.

Le ridicule et le discrédit? Il peut être utilisé, mais privilégiez son utilisation vers un individu pour lequel vous avez déterminé qu’il est une figure très publique, qu’il porte préjudice à autrui, qu’il refuse de s’en tenir à toute forme de raisons et surtout qu’il est en mesure d’influencer les autres. S’il s’agit d’une personne peu écoutée et influente, ne tirez pas sur l’ambulance…

À l’inverse privilégier la communication patiente et ouverte quel que soit la situation peut être une erreur: cela peut laisser penser que vous préférez esquiver, être inactif, et du coup minimiser l’importance du sujet que vous voulez promouvoir… On ne peut pas être gentil en toute circonstance, il faut savoir s’adapter à son auditoire.

Je vous communique tout ça non pas en expert: au contraire je suis ceinture blanche niveau junior dans la communication du scepticisme. J’ai passé par contre pas mal de temps à me poser des questions sur l’efficacité des différentes formes de communication et j’ai la volonté de m’entrainer à promouvoir de la meilleure manière qui soit, le sujet qui nous intéresse tous ici: le scepticisme et l’esprit critique. Comme beaucoup de bonnes choses, ça nécessite énormément d’entrainement et de pratique et je pense qu’on va faire énormément de gaffes sur le chemin. Mais ne soyez pas rat: partagez vos échecs, vos erreurs, pour que notre communauté grandisse ensemble rapidement.

En conclusion, j’espère que ce live aura été truffé de nombreuses et belles erreurs.

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Regardez l’émission !

(suffit de cliquer) 

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Mike Meraz:

Kathryn Schulz Being Wrong:

Autres liens sur l’erreur :

https://associationslibres.wordpress.com/2015/06/15/accepter-lechec-les-neuroscience-du-foirage/

« Des affirmations extraordinaires réclament des preuves plus qu’ordinaires. »

Carl Sagan.
Carl-Sagan

Le statut de la preuve.

Cette citation est parfois mal comprise. D’aucuns pensent qu’elle est fausse, car ils estiment qu’il faut exactement le même niveau de « preuve » pour prouver… tout. Et a priori cela semble vrai : une preuve définitive et absolue peut être exigée tout autant pour l’existence du Yéti ou pour celle de l’Arc de Triomphe… Mais un rhéteur maniant le doute hyperbolique à la Pyrrhon sera capable de nier l’existence de l’un comme de l’autre, précisément parce qu’une preuve absolue, ça n’existe pas.

Il est en effet impossible de réfuter la croyance de celui qui prétend que l’univers tout entier n’est qu’une hallucination ou la projection de son propre esprit. Mais qui voudrait s’y aventurer ? Est-ce employer son temps de manière raisonnable ? Qui veut administrer la preuve absolue qu’il a raison ?

Ceux d’entre nous qui usent du doute méthodique savent que toute proposition irréfutable est étrangère à la pensée critique. Pour être dans le champ de l’analyse rationnelle, une proposition doit être réfutable, c’est pourquoi une preuve scientifique est toujours provisoire, soumise à la découverte éventuelle d’une preuve qui la contredirait ou apporterait des nuances à ce que nous tenons pour vrai aujourd’hui. Je le répète : une preuve absolue, en science, c’est une expression antinomique, une absurdité axiomatique.

Il n’est jamais question en science de prouver de manière absolue « X = Y », mais d’apporter les éléments qui permettent de dire avec une confiance suffisante qu’il est raisonnable de considérer que « X = Y » est exact jusqu’à preuve du contraire.

Et par conséquent la question que se pose un sceptique [et il convient toujours de l’être dans le cadre d’une démarche scientifique] est la suivante : Ai-je une bonne raison de penser que « x = y » est vrai, et au contraire y a-t-il des raisons de penser que c’est faux ? Enfin, une fois cela pris en considération, est-il raisonnable de ma part de considérer que « x = y » est vrai. Nulle part il n’est question de prétendre détenir la vérité mais de faire un choix raisonné entre l’acceptation ou le rejet d’une proposition.

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Le paranormal, quezako ?

La définition de paranormal est « Qui n’est pas explicable par la science. » C’est à la fois extrêmement simple et terriblement nébuleux. Les phénomènes paranormaux sont par définition des phénomènes que nos outils rationnels ne peuvent expliquer. Cela pose deux problèmes :

1- Qui serait assez prétentieux pour affirmer que jamais la science n’expliquera X ?

Dès lors comment affirmer que X est bel et bien paranormal ? Il faut ajouter à la définition que le phénomène n’est pas explicable par la science actuelle, et cela change déjà pas mal de choses.

2- L’existence de X peut-elle être constatée par la science ?

Cette deuxième question est plus pragmatique. Prenons comme exemple l’effet psi, c’est-à-dire la capacité ‘paranormale’ supposée de l’être humain à faire bouger des objets par la pensée, ou bien à communiquer à distance là aussi par le seul moyen de la pensée.

Dans un premier temps la science n’a pas besoin d’établir un modèle explicatif de l’effet psi, ni d’en comprendre les modalités ou n’importe quelle composante. Rien de cela n’est requis pour constater l’existence du phénomène. L’existence de la gravité était perceptible et démontrée bien avant que les physiciens ne commencent à nous expliquer de quoi il s’agit. J’ajoute qu’il est bien possible que nous n’ayons qu’une compréhension tout à fait parcellaire de que ce la gravitation est en réalité, voire que nous soyons condamnés à ne jamais réellement comprendre de quoi il s’agit… Si tel est le cas, la gravitation est, par définition, paranormale.

Notez comme cela n’empêche nullement les scientifiques d’utiliser des modèles théoriques qui donnent des résultats pratiques, ce qui ne laisse place à aucun doute sur l’existence de la gravité. Le paranormal, c’est donc potentiellement ce qui échappe à l’explication scientifique, mais ce n’est certainement pas ce qui échappe à l‘observation scientifique.

Tout phénomène dont un humain fait l’expérience se produit dans un contexte où il est scientifiquement possible de constater la réalité de cette expérience, soit par des observations directes, des mesures sur le terrain ou encore, dans l’hypothèse où l’expérience serait purement subjective, par l’examen de l’activité cérébrale de la personne qui vit ce phénomène. Tout phénomène qui affecte un être humain est ipso facto de nature à être constaté par un autre être humain. Le paranormal ne fait pas exception, et force est de constater qu’aucune expérience scientifique, jamais, n’a produit le constat de la réalité d’un phénomène qui corresponde à ce qu’on appelle le paranormal.

La conclusion rationnelle qui s’impose est donc que les phénomènes paranormaux n’existent pas[1].

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Le curseur vraisemblance.

Mais revenons à la phrase de Sagan : « Des affirmations extraordinaires réclament des preuves plus qu’ordinaires. » Et montrons qu’il s’agit d’un principe de bon sens que nous appliquons tous, sauf quand nous avons déjà décidé de croire quelque chose.

Pour ce faire, réalisons ensemble une petite expérience de pensée.

  1. Vous rencontrez une personne que vous connaissez un peu, mais pas trop… Elle vous dit qu’elle a déjeuné au restaurant la semaine passée. À moins de suspecter qu’elle ait des raisons de mentir (elle cherche un alibi par exemple), rien ne vous permet de penser qu’elle vous ment. Elle vous dit qu’elle a mangé des moules et cette affirmation tout à fait ordinaire vous semble crédible : je suppose que vous acceptez bien volontiers que cette proposition est vraie. Fin de la première étape.
  2. Cette personne que vous connaissez, mais très peu, vous dit que les moules l’ont rendue malade. Rien n’indique qu’elle soit de mauvaise foi, elle croit réellement ce qu’elle vous dit. Pourtant cette affirmation est un peu moins ordinaire que la précédente, en tout cas on peut l’espérer. Et vous pouvez imaginer bien d’autres scénarii où ce ne sont pas les moules qui ont rendu cette personne malade. Sans doute lui demandez-vous si elle est certaine du lien de causalité. Elle vous répond que sur six convives ce soir-là, les trois qui ont mangé des moules ont tous été malades, et l’une de ces personnes est justement présente pour vous confirmer que c’est exact. Je pense que ces informations supplémentaires peuvent vous convaincre qu’il est raisonnable de penser que les moules servies ce soir-là ont bien rendu malades au moins trois clients, c’est un évènement malheureux mais qui n’est pas inconcevable, ce genre de chose arrive parfois. Cette proposition moins ordinaire est assortie des éléments de preuve qui la rendent crédible.
  3. Un peu plus tard, elle vous confie que l’indigestion de moules lui a donné accès à des réminiscences sur ses vies antérieures. Elle fut autrefois un shaman dans les steppes asiatiques et vous donne quelques détails sur ses visions. Jusqu’à présent cette personne semblait tout à fait saine d’esprit, et si elle vous dit cela c’est à l’évidence qu’elle pense que c’est la vérité. D’ailleurs le convive qui a été rendu malade par les moules confirme l’histoire, car lui-même a eu accès à son passé de corsaire dans les mers chaudes des caraïbes. Notez que les preuves sont exactement de la même nature que dans l’étape 2 : deux récits concordants. Pourtant cette fois il vous semble que la proposition extraordinaire selon laquelle une indigestion de moules dans ce restaurant éveille une personne à ce qu’elle a connu dans une vie antérieure est loin d’être avérée, et vous jugez même qu’il est raisonnable de penser que c’est faux en l’état actuel des choses. La personne aura pu se laisser abuser, après tout vous ne la connaissez pas très bien et il se peut qu’elle soit sujette à une vision déformée du monde ou qu’elle soit facilement influencée par diverses modes de suggestion.

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Dans les trois cas ci-dessus présentés vous avez très certainement attribué un niveau de vraisemblance à chaque proposition avancée. Dans le premier cas ce niveau est assez élevé pour qu’elle soit acceptée comme telle. Dans le deuxième cas, la vraisemblance de la proposition est un peu plus faible, il est raisonnable de douter du lien de causalité avancé par le premier témoin, mais les informations supplémentaires suffisent pour convaincre un interlocuteur raisonnable que la version présentée est probablement vraie. Dans le dernier cas on se trouve avec une proposition sans aucun précédent avéré et qui viole ce que l’humain sait ou croit savoir sur la nature et le fonctionnement du monde. À tort ou à raison, vous estimez qu’il vous faut plus que deux témoignages pour attester qu’il est raisonnable de croire que cette indigestion donne accès à des souvenirs d’une vie antérieure.

Vous avez emDoubtFactorployé, peut-être sans le savoir, une logique bayésienne en attribuant a priori un niveau de crédibilité à ce qui vous est raconté. Vous avez placé un curseur de vraisemblance. Et ensuite vous avez comparé les éléments de preuve à ce curseur pour déterminer si oui ou non vous deviez la tenir pour vraie. Et vous avez par vous-même démontré qu’une affirmation extraordinaire réclame des preuves plus qu’ordinaires.

Extraordinary claims require extraordinary evidence. 

***

Sur le même sujet :

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[1] Jusqu’à preuve du contraire, évidemment.

Article proposé par L Pellegrin, cristallier, alarmé par le développement constant de la charlatanerie que représente la lithothérapie. Une véritable démonstration des dangers de ce marché de la superstition par un passionné de géologie et de belles pierres.

Le  mot lui-même est une composition récente, et émerge des alentours de la période « New age ».

Cependant l’usage des pierres à raison médicale est ancien chez certains peuples. En Asie tout d’abord où, selon l’endroit, on associait les pierres en fonction de leur couleur à des organes (en Chine ou au Japon). Elles étaient parfois réduites en poudre et consommées (Mongolie), et d’une manière générale les cristaux qui présentaient une esthétique particulière accompagnaient les croyances locales, elles-mêmes à la source de leur vision du monde et donc bien sûr de leur médecine.

Ensuite, bien plus tard, au Moyen-Âge en Europe on donne des vertus magiques aux minéraux et les alchimistes s’en emparent. De la réduction en poudre de certains minéraux ils obtiennent des substances auxquelles on prête des propriétés étranges en lien avec les préoccupations humaines de base: le sexe, le pouvoir, ou la mort. Le premier donne lieu à quelques tentatives cocasses vite abandonnées, le second enrichi son homme (ça brille, c’est rare…c’est cher). Quant au dernier point… on veut croire que l’on trouvera l’élixir de jeunesse, la pierre philosophale, la panacée, etc. et tout cela doit provenir d’une pierre.

Les pierres traînent dans certains ouvrages de pharmacie, et les résultats d’expériences spectaculaires à partir de poudres minérales de cette alchimie devenant peu à peu de la chimie encouragent à persister dans cette idée. Il se passe des choses avec les pierres, et plus elles paraissent cristallisées, plus elles offrent des substances « pures ». Il me semble sain de rappeler à ce stade que, jusqu’à une époque plutôt récente, la barrière entre science et occultisme était inexistante.

À la deuxième moitié du vingtième siècle, la vague New Age s’empare de ce qu’elle perçoit comme des arts exotiques, et récupère à son compte de nombreux principes venant d’Asie, créant au fil de traductions douteuses son propre vocabulaire et sa propre culture à partir de ces croyances étrangères. Le mot lithothérapie est en train de naître et des pratiques « médicales » émergent, notamment l’utilisation de minéraux, et surtout des cristaux.

On observe ces dix dernières années une recrudescence de la pratique de la lithothérapie, et les revendeurs de cristaux thérapeutiques fleurissent un peu partout, tant sur le net que sur les marchés.

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Qu’en disent les intéressés ?

            Je passe sur la déclaration courante dans le monde de la lithothérapie consistant à dire qu’il faut y croire pour que cela marche. Soit l’effet est purement psychologique et n’a donc aucun rapport avec les minéraux, soit il y a un effet réel indépendamment du fait d’y croire ou non. Le placebo est certes un effet réel, mais il est le contraire d’un effet spécifique lié, en ce qui nous concerne, aux pierres.

« Pour comprendre le fonctionnement de la lithothérapie il faut dans un premier temps reconnaître l’existence d’énergie non visible qui nous compose et qui compose tout ce qui est manifesté, une aura d’énergie qui est aussi réel (sic) que ce que vos yeux vous permettent de voir du plan physique. Ces énergie (sic) subtiles qui nous composes (sic) sont les manifestation (sic) de notre état d’être au niveau émotionnel, mental et spirituel. Si nous changeons d’émotion nous changeons la fréquence vibratoire de notre émotionnel. Les minéraux ont une énergie forte qui ont des caractéristiques très marqué (sic) en fonction de leur composition, une énergie subtile stable qui est utilisé (sic) en lithothérapie pour […] obtenir des amélioration (sic) de notre état d’être. »
http://www.pierres-lithotherapie.com/

[NDR : Il s’agit de l’un des sites les plus fréquentés et les mieux références sur Google. L’extrait n’a pas été choisi en raison de son orthographe défectueuse.]

 

 Malheureusement, aucune de ces phrases n’a de sens. « L’énergie » n’existe pas dans la réalité physique. Elle n’est pas une matière. Elle est la représentation abstraite de phénomènes physiques réels et variés. C’est un outil mathématique et conceptuel. Rien de plus.

On peut aussi trouver des choses comme : « N’oublions pas que toutes les Pierres possèdent une énorme puissance, une énergie originelle et naturelle et un rayonnement pur. » http://www.energesens.com/la-lithotherapie-energesens-132-1.html

Les mots « puissance », « énergie » et « rayonnement » ont des sens que l’auteur semble ne pas connaître réellement. Disons-le tout de suite : non les pierres n’émettent pas de « rayonnement », sauf radioactivité et/ou chaleur. Et oui, on a bien vérifié.

Sur www.pouvoirdespierres.com, on peut lire:

« Il semblerait que l’impact énergétique des pierres sur notre organisme et notre psychisme résulte d’une analogie structurelle. Chaque jour nous ingérons des éléments minéraux essentiels à notre équilibre. Une pierre au creux de votre paume, ou portée en bijou , enclenche un processus de résonance vibratoire, lequel stimulera les minéraux organiques, palliant à d’éventuels dysfonctionnements. Chaque pierre possède une vibration qui lui est propre et nous pénètre de son énergie en activant nos portes énergétiques, nos chakras. « 

Un cristal est un agencement spécifique d’éléments chimiques répété à l’identique toujours de la même manière, et qui forment une structure plus ou moins complexe à plus grande échelle. Il n’existe qu’un nombre limité d’agencements possible, ce qui limite le nombre de structures possibles à l’arrivée. On qualifie ces structures de minérales en raison de cet agencement régulier d’atomes. En géologie, n’importe quel atome peut former un minéral, dès lors qu’il cristallise. En biologie, on appelle minéraux une classe d’éléments chimiques qui entrent dans la composition des organismes. Les deux termes de « minéral » n’ont absolument pas le même sens. Le rapprochement provient d’une confusion sémantique.

Contrairement à ce qui est dit, un cristal (ou une pierre) ne vibre pas comme ça par lui-même.

Et quand bien même il y aurait analogie, pourquoi devrait-il y avoir une interaction? Quel peut-être le rapport entre la vibration d’un minéral et le fonctionnement d’un corps ? Par quel biais, par quel vecteur interagissent-ils ?

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Dans ce sens j’ai trouvé autre chose:

« La première molécule que construit la cellule humaine lorsqu’elle se duplique est une molécule de dioxyde de silicium (travaux du Professeur Monnot, Prix Nobel de Chimie en 1965). Elle sert de moyen de transmission à l’ADN pour transmettre ses codes au corps cellulaire. Le corps humain se compose d’environ 75000 milliards de cellules, donc d’autant de molécules de dioxyde de silicium qui est également la composition du Quartz ou Cristal de Roche. « 

En effet, il s’agit du même élément chimique. Il n’y en a pas tant que ça au final, des éléments chimiques. Pourquoi spécifiquement la silice, et pas le carbone par exemple?

« Le Quartz constitue 12% de la Lithosphère (croûte terrestre) et sert de mémoire et de conducteur à tous les micro-processeurs qui permettent aux moindres machines présentes autour de nous de fonctionner. Sur le plan énergétique et au niveau de la transmission des fréquences, il est donc évident qu’il existe un lien profond entre notre corps, la planète Terre, et les machines qui peuplent le moindre espace de nos lieux de vie. « 

Nous y sommes. Cet « argument » rencontré couramment fait une confusion entre la silice, élément chimique et le quartz, qui est un cristal composé exclusivement de silice et d’oxygène (il n’est pas le seul). Dans nos objets nous utilisons une structure artificielle de silice qui n’est pas du quartz (sauf pour les montres). Le verre aussi est fait de silice… En quoi le fait que l’on retrouve un même élément un peu partout implique-t-il un lien entre les structures qu’il compose ?

« Le corps humain est donc un gigantesque émetteur-récepteur, capable de capter des éléments et des fréquences qui vont bien au-delà de ce que nous pensons ordinairement. »

D’où sort ce « donc » ? Pourquoi penser que le fait d’avoir de la silice dans nos cellules permet de transmettre quoi que ce soit ? C’est ici que la magie opère.

cristal de quartz

Cristal de quartz

La silice est amagnétique. Le quartz ne transmet des charges que quand on le frappe ou le frotte suffisamment fort, et il vibre si on lui envoi du courant (ceci étant dû au fait qu’une contrainte mécanique implique une contrainte sur les atomes qui réarrangent en conséquence leurs électrons, et inversement). Ces deux effets sont les deux faces d’une même pièce appelée effet piézo-électrique. Cet effet sert souvent de justification à la lithothérapie, mais il n’implique rien d’autre qu’une très faible circulation d’électrons.

Il ne se passe absolument rien à distance. C’est comme dans la citation précédente : il n’y a rien qui justifie le genre d’interaction façon super-intrication-quantique décrit ci-dessus. C’est un phénomène éminemment local (comme tous les phénomènes compris à ce jour d’ailleurs électromagnétisme compris, mais c’est une autre histoire). Mais surtout, quid des minéraux sans silice utilisés en lithothérapie ? Parce qu’il y en a des tas : calcite, aragonite, malachite, cérusite, sidérite, la si fameuse magnétite, tout le groupe de la pyrite et d’innombrables autres… ?

Ce texte détruit la majeure partie de la lithothérapie tout seul en restreignant d’office son explication aux minéraux silicatés.

Et ce site propose des formations…

Il y a des années, le public a rencontré une vulgarisation scientifique de masse. Les notions d’onde et ses représentations mathématiques (comme la fréquence), la notion d’énergie, et l’utilisation dans la technologie de l’électromagnétisme ont peuplé notre culture sans que l’on sache très bien de quoi il s’agit. Nous nous sommes mis à utiliser ces technologies comme on userait de magie.

On appuie sur un bouton et une lumière apparaît. On voit des choses se produire à distance sans qu’il ne se soit rien passé de visible. Une bête antenne devient un objet mystérieux que l’on décrit avec des mots bizarres, et un petit rectangle en plastique fait naître d’une simple pression des images dans une boite avant même d’avoir eu le temps de dire « Abracadabra ».

Des bribes d’informations incomprises, des mots mal définis (« énergie » et « onde » en tête) sont parvenus au public. Il les a mélangés, et ces demi-connaissances associées aux mysticismes du passé ont peuplé notre monde de nouvelles créatures imaginaires. Ce ne sont plus des dragons ou des chimères, le soleil n’est plus tiré par un char dans les cieux, aujourd’hui on se soigne en faisant des passes au-dessus des gens, en suçant des cailloux ou en buvant sa pisse, le soleil s’est peuplé d’extraterrestres et l’univers « d’énergie », mystérieuse, invisible et porteuse de promesses.

Il est dommage de voir tant de gens fascinés par les pierres passer à côté de leur « véritable » magie. La même magie que celle d’un livre. Écoutez un géologue de terrain un jour, il fera raconter à ces pierres des milliards d’années d’histoire de la Terre. Étudiez la croissance d’un minéral, et vous en apprendrez de bonnes sur le vivant.

On peut apprendre à voir au-delà de la profondeur du temps, les grands schémas, ces notions compliquées deviennent des mouvements et des transformations simples. En regardant une falaise on peut voir les fluides s’insinuer, changer au fur et à mesure que leurs composant cristallisent pour donner peu à peu d’autres minéraux. Les montagnes s’élèvent, se tordent et se déchirent lentement, leurs entrailles à nues sous nos yeux exposent leur passé lointain, de la nébuleuse solaire jusqu’à l’arrivée de la vie, née des minéraux, et qui a tout transformé. Ce vivant a remodelé le monde minéral, de la moindre roche de surface jusqu’aux profondeurs telluriques. De nouvelles pierres, de nouvelles laves et de nouveaux cristaux sont apparus de telle sorte qu’aujourd’hui, c’est une autre planète que nous avons sous les yeux.

Le monde est plus vaste, passionnant, et bien plus lié au vivant que tout ce que ces croyances mystiques ou les énergies mystérieuses bienfaitrices n’osent l’imaginer.

Panoramic Rainbow Crystal Banner

Petit guide de bonne pratique

En lithothérapie on part du principe que les cristaux possèdent une énergie (?) qui fait vibrer le cristal qui ferait vibrer (par magie ?) les éléments chimiques en commun dans notre corps, qui feraient vibrer (encore par magie ?) notre corps, ou certaines parties, et le tout entrerait en résonance. Et cela nous serait bénéfique par le biais de notre « énergie vitale » ou « aura ». Ou quelque chose d’approchant.

À noter qu’en parcourant les différentes manières d’appréhender la chose, toutes s’accordent sur le fait qu’une pierre se « décharge » au contact du patient, et doit être « rechargée » en suivant divers protocoles. Ceci en raison d’une « perte d’énergie » du cristal, ou parce qu’il accumulerait de« l’énergie négative » durant son utilisation. Lorsque ce dernier vocabulaire est privilégié on parle volontiers de « purification » de la pierre. Ailleurs sur Lithotherapie.net on prétend même que les pierres sont vivantes, et que c’est l’énergie négative accumulée au cours de leur utilisation qui provoque leur dégradation.

Pyrite

Pyrite

On « recharge » la pierre en l’exposant au soleil, en l’enterrant, en la plaçant dans une eau courante, dans du sel (un grand classique qui a fait le tour du monde, le sel chasse les mauvais esprits, les fantômes , etc…), dans de la fumée d’encens…

Pour bénéficier des bienfaits des pierres, la lithothérapie préconise de tenir le cristal dans la main un certain temps, de le disposer dans sa maison, autour de soi, parfois sur les points d’acupunctures lors de séances, sous son oreiller, voire carrément dans son lit (vous vous souvenez de ce que j’ai dit au début sur les cristaux et le sexe ? On va finir par y arriver). On peut aussi les porter en bijoux. Certains prescrivent de laisser tremper un ou plusieurs cristaux dans de l’eau un certain temps, puis d’en boire un peu. Ils appellent cela un élixir.

Bien sûr, la couleur du cristal aurait une importance. Notons toutefois que les seules études montrant un quelconque effet des couleurs sur l’humain ont été réalisées en saturant les champs visuels des sujets, pas en leur montrant trois centimètres carré. L’effet des couleurs sur l’état mental du sujet étant bel est bien avéré, on peut éventuellement supposer qu’un mécanisme psychologique similaire pourrait intervenir en se concentrant sur une pierre d’une couleur donnée. Cependant, on parle bien ici d’une influence psychologique sur l’humeur liée à la lumière. Autrement dit, une fois encore, nous sommes bien loin d’un effet spécifiquement lié aux pierres.

Quelques tourmalines

Des forces inconnues ?

Les cristaux n’ont aucune propriété exceptionnelle qui sortirait du cadre scientifique classique. Cependant, ceci n’arrête pas les tenants qui voient les cristaux comme des concentrateurs de forces mystiques ou au moins mystérieuses. Elles seraient donc indétectables par nos moyens techniques et obéiraient à des lois différentes. De telles forces peuvent-elles exister ?

Les « lois » de la nature ne sont que l’expression mathématique du comportement de la matière. Ce ne sont pas des entités indépendantes qui imposeraient leur qualité, elles dérivent des propriétés de la matière elle-même. Pour que d’autres forces existent, il faudrait que la matière ait une structure très différente que celle que l’on observe.

Et justement, il nous serait impossible d’expliquer correctement cette structure. S’il y avait bien des forces inconnues nous observerions des agencement atomiques inexplicables avec les modèles actuels, or ce n’est pas le cas. Si les explications scientifiques se bornent à ne faire intervenir que trois forces (gravité, force électro-faible et force nucléaire forte) c’est parce que la matière elle-même impose a maxima ces trois forces seules.

S’il existe d’autres forces, elles n’interagissent pas avec la matière et n’ont donc aucun impact sur nous.

Ceux qui voudraient que l’esprit humain puisse intervenir sur ces forces,devraient se rappeler que l’esprit est le résultat de l’activité électrochimique du cerveau. Et comme les corps matériels ne peuvent faire émerger que des forces naturelles, on ne peut assimiler l’esprit humain à une entité surnaturelle, entité qui par conséquent ne pourrait pas interagir avec une quelconque force paranormale.

D’ailleurs enregistrer l’activité d’un cerveau nécessite des capteurs disposés directement sur le crâne tellement cette activité est faible en intensité. Ces capteurs doivent être complexes pour parvenir à ce résultat, ce qui contraste avec la simplicité extrême d’un cristal.

formation de lithothérapie

Une séance de lithothérapie

La lithothérapie : ça ne marche pas.

C’est partiellement vrai.

En fait, certains minéraux sont effectivement utilisés en pharmacie. La halite par exemple (cristal de sel, comme celui de la table), et les médicaments à base de carbonates (le bicarbonate de sodium pour soigner les brûlures d’estomac par exemple) qui sont souvent extraits des minéraux du groupe du même nom (la calcite en est le plus connu). Plusieurs minéraux argileux sont associés à des pommades.
On peut aussi citer le talc ou la pierre d’Alun.

D’une manière générale, une grande part des éléments chimiques qui entrent dans la composition de toute sortes de choses, et par extension des médicaments, proviennent soit de roches soit de cristaux. Mais dans tous ces cas l’action des minéraux dans ces préparations est d’ordre chimique, en parfaite cohérence avec ce qui est connu des processus chimiques. Il y a donc le cas des élixirs à étudier de plus près, car il s’agit bien là d’une mise en solution et d’une ingestion. On a ici, enfin, un mode d’interaction potentiel entre la pierre et le métabolisme du patient.

vaisseau de cristal de quartz thérapeutique

« Vaisseau de cristal de quartz thérapeutique »

Un élixir, vraiment ?

Je vous l’ai dit, un cristal est un assemblage d’éléments qui se répètent à l’identique dans l’espace. S’il n’y a pas de géométrie particulière, on appelle cela un verre. Une roche est un assemblage minéral. Elle peut contenir ou non des cristaux (et des cadavres d’organismes, des tas…). Cela peut paraître anodin mais c’est important. Parce qu’après il y a la réalité. La vraie, celle qui fait mal à la tête.

Un cristal n’a pas UNE composition chimique, mais une fourchette de compositions possibles et même des « sites variables » sur lesquels différents éléments peuvent ou non venir se fixer. Des substitutions imprévues d’éléments peuvent avoir lieu (silice et aluminium par exemple), et à l’intérieur de leur structure on trouve parfois des espaces dans lesquels d’autres choses peuvent venir se loger (eau, sulfates, oxydes métalliques, etc…).

On ne sait jamais vraiment ce qui se cache dedans. De plus les cristaux croissent dans l’espace qu’on leur laisse… en d’autres termes, ils n’ont pas toujours la bonne forme à tel point que c’est parfois un cauchemar de les identifier correctement. Quant aux roches, c’est bien pire.

Les cristaux sont fascinants, on les collectionne, on les échange, on les vend… et ce commerce s’accompagne de contrefaçons. Il existe toutes sortes de manières de contrefaire des cristaux : on peut les tailler, les teindre, couler du verre ou même en faire pousser soit même. Aujourd’hui, l’explosion de la demande a automatiquement décuplé ce genre de trafic.

Et comme identifier un minéral est souvent complexe, discerner certaines contrefaçon devient presque impossible… à moins d’y mettre des moyens dont seuls les labos peuvent disposer.

Et c’est sans doute pour cela qu’autant de minéraux polis circulent dans ce milieu : cela rend la mise en évidence de l’arnaque très difficile car en polissant un minéral on perd la majeure partie des informations nécessaires à son identification « à l’œil ». Plus de forme naturelle, plus de stries de croissance, de plan de clivage, plus de patine ou de macle, sa surface gagne en éclat et en transparence et parfois même sa couleur peut changer. Suivez ce lien, pour quelques exemples de contrefaçons avec photos comparatives.

Si vous pratiquez la lithothérapie et que vous avez acheté une « pierre roulée » d’améthyste, je vous engage à faire des recherches sur ce que l’on appelle les « améthystes zonées »… Les chinois les produisent en masse dans des usines, et la vôtre en sort probablement.

Amethyste zonée chinoises

Améthystes zonées chinoises

 

Un élixir est une soupe chimique de faible concentration qui peut contenir n’importe quoi en solution. Cependant, que la source de la solution soit une poudre achetée dans une boite de chimie ou un minéral ne change rien. Ce n’est pas le minéral qui entre en solution, mais seulement quelques ions qui se trouvent dans sa composition. On ne sait jamais lesquels, et certains d’entre eux n’entrent même pas dans la composition théorique du minéral. Ce serait donc une espèce d’homéopathie à chimie aléatoire.

 

Un danger véritable.

Ça craint.

Pour les personnes souffrant d’allergies d’abord. Même une légère allergie peut être déclenchée par une pierre, par exemple si elle a mariné dans de l’eau et que les minéraux sont un peu instables (ce qui n’est pas rare et souvent invisible à l’œil profane). En bijou à même la peau à longueur de journée certaines pierres subissent des altérations. J’ai déjà assisté à ce genre de choc allergique causé par une amphibole (que sa propriétaire appelait « œil du tigre », j’y reviendrai) portée en pendentif.

Quelques exemples parmi d’autres :

  • La pyrite n’est que rarement uniquement de la pyrite. Elle contient le plus souvent une certaine proportion d’un autre minéral : la marcassite qui se dégrade par l’action d’une bactérie, et dégage de l’acide sulfurique gazeux. Presque toutes les pyrites font ça. Le dégagement est faible, mais laissez la pierre quelque mois dans une vitrine avec d’autres minéraux et les effets de l’acide deviendront visible. La pyrite est sensée soigner les affections respiratoires. J’ai croisé des recommandations avec cette pierre dans le genre : à poser à coté, voire sur la poitrine, d’un nouveau-né.
  • Encore mieux, la pyrite peut se confondre facilement avec d’autres pierres de son groupe minéralogique, comme la relativement fréquente arsénopyrite, qui peut libérer… de l’arsenic.
  • Puisqu’on en est à l’arsenic, le réalgar, très beau cristal rouge, est recommandé pour, je cite : « renforcer le système immunitaire, purifier le sang, éliminer les toxines, compenser les déséquilibres sanguins, soutenir le muscle cardiaque ». Ce sulfure d’arsenic est très stable. À moins que l’échantillon ne se trouve trop souvent au soleil (et là je vous demande de faire le lien avec les techniques de « rechargement » de pierre) auquel cas il s’altère en une fine poudre : l’orpiment, lui aussi un sulfure d’arsenic. Mais sous forme de poudre cette fois. J’imagine que tout le monde a entendu parler de l’arsenic…
Realgar

Realgar

De même avec le plomb contenu dans le galène, recommandé aux gens souffrant de vertiges. On retrouve ce métal toxique dans beaucoup de minéraux.

Betafite

Betafite

Si vous portez un bout de bétafite (recommandé parfois en cas de pré-diabète et d’ulcères variqueux), la radioactivité assez forte de ce minéral vous assure d’un cancer en quelques années.

Le sulfate de fer est considéré sur le site : lithothérapie.com, comme un vermifuge en Inde. En France c’est un puissant « bryocide » (anti mousses) que l’on met sur le gazon pour tuer radicalement lesdites mousses. L’ingestion d’un quart de livre de sulfate de fer a été la cause d’une mort en 3 heures (American Journal of Clinical Pathology vol:18 N°12).

La crocoïte est un « Bon stimulant sexuel pour l’homme comme pour la femme (chakra du sexe). De ce point de vue, ses effets sont assez proches de ceux de la vanadinite. » (http://www.reynaldboschiero.com/). Eh bien voilà, nous y sommes au sexe, avec un chromate de plomb (cancérogène reconnu : http://www.inrs.fr/media.html?refINRS=FAS%2025). Accessoirement, la Vanadinite est aussi un composé de plomb.

crocoïte

Crocoïte

Les lithothérapeutes préviennent leurs lecteurs et leurs patients qu’il convient de ne pas faire n’importe quoi avec les minéraux potentiellement dangereux, quand ils sont au courant. Sauf que ces minéraux ne sont jamais parfaits, pas toujours identifiés correctement et pas toujours vrais. Je ne suis pas sûr que tout le monde mesure bien le risque à laisser une pierre, fût-elle un cristal, mariner dans de l’eau avant d’en boire le contenu. Ou de la garder à même la peau (la sueur induit une acidité qui altère beaucoup de minéraux).

On a déjà eu des cas d’empoisonnements dus à des minéraux artificiels vendus comme cristal naturel quelconque (des cristallisations de dichromate de potassium ont été assez fréquentes à une époque, et se trouvent encore aujourd’hui. Sous cette forme, c’est un poison mortel.

Dichromates de potassium

Cristaux de dichromate de potassium vendus comme étant de la Lopézite

Des cas de morts ont déjà été enregistré, notamment une petite fille en 1996 qui en a inhalé un fragment de cristal. (« Le règne minéral », No:11 octobre 1996, Jacques Galvier, Syndicat Professionnel des Négociants en Minéraux, Fossiles et Gemmes).

Je parle aussi d’expérience.

            Dans la très large majorité des cas les problèmes de santé liés aux pierres sont légers et bénins, et l’on en entend parler seulement dans le milieu des cristalliers. Ils ne sont pas, ou très peu, documentés et seuls les risques graves font l’objet d’études. Les minéraux et fossiles sont normalement stockés dans des vitrines et ne sont pas manipulés tous les jours, encore moins infusés dans de l’eau à boire.

Cependant, de nombreux troubles peuvent être en lien avec une manipulation récurrente de cailloux, ou la saturation d’un environnement restreint. Sans parler des quelques cas de cancer (et mort) chez les fournisseurs de minéraux uranifères (à base d’uranium), parmi les professionnels et les grands amateurs du milieu, nous avons déjà pu constater des démangeaisons, irritations (fréquentes, surtout avec les sulfates), toux, problèmes de peau, problèmes respiratoires légers, maux de tête chroniques (j’ai déjà été victime de ces derniers à cause d’une caisse d’ammonites pyrifères entassées dans une trop petite pièce : ma chambre).

Qu’arriverait il à une personne cherchant à soigner ce genre de trouble avec les cristaux l’ayant provoqué ?

 

Le cas de l’ambre

            L’ambre n’est pas un cristal, ce n’est même pas un minéral, elle est purement organique. Sa composition chimique et son absence de forme propre la rapproche bien plus d’un plastique (et ses contrefaçons sont d’ailleurs en matière plastique). Il s’agit de résine de conifère densifiée et partiellement polymérisé (on dit souvent « fossile », cependant contrairement aux véritables fossiles l’ambre n’a subi aucune minéralisation ou migration minérale). À ce titre, aucune des tentatives d’explication théorique sur le fonctionnement de la lithothérapie ne peut inclure ce genre d’objets (pas de minéraux, pas de structure, pas d’effet se rapprochant de l’électromagnétisme excepté une vague possibilité d’électricité statique du même acabit qu’avec nos vêtements et nos cheveux).

ambre de la baltiqueIl existe une explication qui sert à justifier son effet antidouleur supposé : la libération d’acide succinique, effectivement présent dans certaines ambres (et dans beaucoup de choses d’origine organique, on en rejette d’ailleurs dans nos urines). Sauf que cet acide n’a pas d’effet particulier sur le corps. On s’en sert d’ailleurs comme excipient en pharmacie (on en trouve dans l’Inofer chez nous) et comme additif alimentaire (E363)

Il n’empêche qu’avant même l’invention du mot lithothérapie, de nombreuses vertus lui étaient associées. Il est encore courant de croiser des personnes faisant sucer des morceaux d’ambres aux enfants en bas âge, ou de les leur mettre en collier, afin d’atténuer la douleur de la pousse des dents. Cette pratique, que condamne la Société Française de Pédiatrie en raison de sa dangerosité potentielle, n’a à ce jour montré aucun effet avéré sur l’enfant. En revanche une espèce d’effet placebo sur les parents a pu être constaté. Ces derniers se réveillent moins la nuit à cause des pleurs du bébé, et le fait de se rassurer sur l’état de leur enfant en attribuant aux dents certains pleurs de douleurs et en résolvant le problème par un collier d’ambre en a fait passer à côté de maladies infantiles. Ajoutons à cela le risque de strangulation avec le collier et d’étouffement si une ambre se détache et vient à être avalée et on comprend bien l’avertissement de la SFP.

Dans la mesure où aucun effet positif mesurable n’a pu être constaté à ce jour, que doit-on conclure du rapport risque/bénéfice à ce sujet ? (Sachant que la douleur de la pousse des dents chez l’enfant est certes pénible, mais bénigne).

Quant à la raison pour laquelle tant de parents jurent avoir constaté un effet sur leur enfant, les vidéos de TeB expliquent très bien le genre de biais d’analyse qui provoquent cette impression.

 it's a rock

La vulgarisation en géologie

            Je ne sais pas ce que vous pourriez penser d’un astrologue qui sortirait la nuit avec un groupe de personnes pour expliquer son travail et montrerait des constellations inexistantes, se tromperait sur les planètes et les noms des étoiles, apprenant ainsi involontairement des choses fausses à son public (indépendamment de son adhésion ou non à l’astrologie). Il n’y a pas mort d’homme, mais il n’est sans doute pas très sain d’apprendre au public des choses erronées, fussent-elles sans importance de prime abord.

what-you-see-what-a-geologist-seesLes lithothérapeutes NE SONT PAS des géologues (et encore moins des pétrologues). Or la géologie est une discipline vaste et complexe. En dehors même des prétentions de la lithothérapie, un nombre incalculable d’erreurs de conception, de classification et d’identification courent dans ce milieu dont la source est avant tout commerciale.

Par exemple, la calcédoine n’est pas une variété d’opale bleu comme on lit souvent (c’est exactement l’inverse) et l’héliotrope n’est pas un cristal en soi. Ces trois objets sont de la calcédoine, elle-même étant simplement du quartz cristallisé plus fin que d’habitude.

Le jade n’est pas un cristal, mais trois cristaux très différents aux apparences vaguement identiques que l’on n’a pas su distinguer les uns des autres avant une époque récente. En fait on faisait parfois la distinction entre jade impérial (kosmochlor) et jade (néphrite ou jadeite selon l’échantillon). Cependant, lorsque l’on se retrouve devant une pierre appelée « jade » sur son étiquette on a l’impression de savoir de quoi il s’agit, et l’on se trompe.

La serpentine n’existe pas vraiment, c’est une catégorie taxonomique abandonnée par les scientifiques car elle regroupe des choses trop différentes.

Le fameux œil du tigre est parfois une amphibole parfois un mélange de quartz et d’amiante (cette amiante aussi est toxique). Ce nom fait seulement référence à l’apparence de certains échantillons polis, il n’apprend rien.

Autre exemple frappant :

« Une orthose est recommandée lors des régimes alimentaires amaigrissants. Elle favorise l’élimination, la dissolution des graisses, le travail des reins et de la vessie.
Elle calme les douleurs dentaires sur les molaires, les dents de sagesse, les os de la mâchoire.
Elle agit sur les glandes salivaires et favorise la salivation.
« 

à comparer avec:

« La pierre de lune régule les cycles menstruels et aide le système digestif et reproducteur. Elle est excellente pour les femmes enceintes, de plus, après l’accouchement, elle favorise la lactation. Placée sur la chakra de la gorge, elle atténue également les maux liés à celle-ci. « 

La pierre de lune EST une orthose. Deux noms pour un même cristal (l’orthoclase en fait) distingués sur la base d’une altération, qui passé par le filtre de la lithothérapie deviennent deux choses distinctes.

Orthose adulaire

Orthose adulaire

C’est encore pire lorsque l’on croise des « pierre de lune de… » avec le nom d’un site et qui s’avère le plus souvent être une calcédoine bleue (rien à voir avec une orthose donc, qui appartient à la famille des feldspaths), que d’autres appelleront opale sans véritablement connaître sa teneur en eau (ce qui est important pour classifier correctement les calcédoines). « Pierre de lune » désigne aussi parfois des labradorites peu colorées. Autant dire qu’avec des noms pareils on peut désigner un peu n’importe quoi.

La tourmaline est souvent présentée comme un cristal unique, et on fera dépendre ses effets de sa couleur, alors qu’il s’agit d’une large gamme de plusieurs variétés.

Jusqu’à l’ambre gris, parfois classé dans les ambres (c’est de la sécrétion intestinale de cachalot).

Je remarque d’ailleurs qu’une incompréhension plutôt importante gagne du terrain dans le public : la dénomination de « cristal de roche », qui semble être de plus en plus interprétée comme « cristal translucide très pur ». Je rappelle au cas où qu’il s’agit en fait d’une très vieille façon d’appeler le quartz hyalin (le quartz auquel tout le monde pense : transparent en cristaux hexagonaux avec des pointes). Tout cela parce que « cristal de roche » sonne mieux que « quartz ».

Les exemples de ce type sont innombrables. Cristaux et roches ne sont pas bien connus du grand public, ce qui permet aux lithothérapeutes de les mélanger outrageusement, et même de déterrer des noms archaïques pour vendre des morceaux de roche comme s’ils étaient des cristaux rares.

Crystal healing

La « sagesse » des anciens

            Un des arguments forts qui soutiennent la lithothérapie, comme toute une gamme de machin-thérapie, est l’ancienneté des pratiques. Forcément, si l’on fait cela depuis des siècles c’est bien que cela doit marcher. N’est-ce pas ?

(NDR: en zététique, c’est ce qu’on appelle l’appel à la tradition Argumentum ad antiquitatem)

Les exemples de personnes que mille ans d’échecs systématiques ne découragent pas de leurs croyances foisonnent pourtant dans l’histoire humaine. Mais plutôt que d’expliquer en quoi cet argument ne tient pas la route, d’autres le feront bien mieux que moi, attardons nous sur de vieilles croyances dont nul ne peut ignorer le ridicule, mais dont des années de bouche à oreille ont masqué la teneur d’origine. Elles servent, discrètement, de fondation à la lithothérapie.

« l’améthyste dissipe les pensées maléfiques et active l’intelligence. »  écrivait Léonard de Vinci, cette pierre est devenue synonyme de spiritualité au point qu’elle orne les bagues des évêques encore aujourd’hui.

Alexandre Le Grand disait aussi « pour avoir un bon esprit et ne s’enivrer jamais, on prendra une pierre d’améthyste qui est de couleur violette ; elle est merveilleuse pour les ivrognes et rend l’esprit propre aux sciences. »

De façon plus prosaïque on peut penser qu’au vue de sa couleur, les romains l’utilisèrent pour réaliser des coupes en cristal de sorte à ce que l’on puisse couper le vin avec beaucoup d’eau sans que cela ne se voit, le nom améthyste proviens d’ailleurs d’une légende greco-romaine liée à cela. Même le nom « a-methos », qui signifie en gros « ne pas être ivre » provient du fait que dans une coupe en améthyste on peut discrètement boire du vin très dilué, et donc ne pas être ivre, et par extension avoir un esprit plus clair. Mille à deux mille ans de bouche à oreille plus tard, on tombe sur… : « les vertus de l’améthyste sont apaisantes et purifiantes. Elle évacue le stress, calme l’insomnie et favorise la concentration et la méditation. C’est une pierre très bénéfique pour le mental, qui permet de trouver l’équilibre et la sérénité. Léonard de Vinci écrivait d’ailleurs à son sujet qu’elle avait le pouvoir de « dissiper les mauvaise pensées et d’aiguiser l’intelligence ». (http://www.lithotherapie.net/articles/amethyste/). Remarquez que sur d’autres sources la référence à l’alcool est toujours présente.

L’améthyste n’est que du quartz avec quelques impuretés de fer.

Au sujet du quartz, au Moyen-âge, Albert le Grand, théologien et philosophe, écrit : « si on le boit avec du miel il donnera du lait aux nourrices », j’imagine qu’il parlait de le réduire en poudre. En Angleterre on prétendait que le quartz pulvérisé et mélangé à du vin permettrait de combattre la dysenterie, et chez nous (XVIè et XVIIè siècle) on faisait porter aux fiévreux une boule de cristal pour faire chuter la fièvre.

En tout cas une chose est sûre, la silicose des mineurs est bien due à la poussière de quartz. Le quartz est même plus toxique en particules micrométriques que la silice amorphe, quant à un quelconque effet sur la fièvre…

Presque toutes les cultures ont attribué un effet au quartz, et c’est donc naturellement que lorsque les lithothérapeutes modernes ont fait leurs recherches et sont tombés sur quantité d’informations contradictoires ils se sont contentés de dire que le quartz sert un peu à tout.

« Comme nous l’avons vu, le cristal de roche peut être utilisé comme amplificateur, et ce quel que soit l’objectif ou l’affection que vous visez.

Par lui-même, il est particulièrement recommandé pour traiter les douleurs du dos, notamment en combinaison avec l’ambre jaune, et les douleurs en général. Le cristal de roche fortifie le corps en général, que ce soit au niveau des yeux (douleurs oculaires), des oreilles (infections, troubles de l’ouïe, acouphènes), du cœur, des poumons, du système digestif, et du système nerveux en général. Pour les problèmes intestinaux et liés à la digestion, vous pouvez réaliser un élixir de quartz en plaçant le cristal de roche dans un bol d’eau, en association avec du jaspe rouge et une magnésite. Laissez-y tremper vos pierres pendant la nuit et buvez chaque matin cet élixir pendant 1 à 2 mois. Vous pouvez également l’utiliser en ce sens si vous avez pour objectif de perdre du poids. » (http://www.lithotherapie.net/articles/cristal-de-roche-quartz/). Et ce n’est qu’un extrait de la page sur le quartz.

Les Chinois broyaient et broient encore des « dents de dragons » ainsi que des « papillons de pierre » qui ne sont que, d’une part, des dents de dinosaures et d’autre part, des spirifers (brachiopodes fossiles du «paléozoïque) pour soigner plusieurs affections qui n’ont aucun lien entre elles. Broyées et cuites dans un pot d’argile elles seraient sensées soigner rhumatismes, cataracte, anémie, problèmes digestifs, etc…
Pour autant que je sache, la lithothérapie n’a pas osé s’attaquer aux fossiles. Aujourd’hui les fossiles ne sont plus mystifiés car on sait de quoi il s’agit… cependant, lorsque cela n’en a pas l’apparence on s’en donne à cœur joie. C’est le cas des « pierres d’orage » ou « doigts de fées », censées être tombés du ciel et soigner toutes sortes d’affections, et qui sont des rostres de bélemnites (les ancêtres des seiches, dont on trouve les rostres modernes sur les plages). Ou simplement de la shungite, qui une fois poli ressemble à un cristal noir mat mais n’est rien d’autre qu’une très ancienne agglomération de restes d’animaux marins ressemblant un peu à du charbon (et se trouve donc être une roche sédimentaire).
Dans les deux cas on trouve aussi des adeptes de la lithothérapie qui portent ces choses en connaissance de cause sans qu’aucune contradiction ne leur apparaisse sur le fonctionnement qu’est censé avoir cette « thérapie ». Pourtant selon ce que l’on a vu précédemment, il serait surprenant de la part d’une roche sédimentaire (composé de reste d’organismes, de roche broyées et d’éléments dissous ayant précipité) d’avoir un quelconque effet. A l’exception de certaines d’entre elles légèrement calcifiées, elles ne comportent aucun macro-cristaux et ne sont finalement que des tas de détritus rocheux informes.

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Staurotide

En Bretagne on donnait aux jeunes mariés la « croisette de Bretagne »: une staurotide maclée en croix qui est censée protéger de la noyade (des marins pêcheurs, forcément), des maladies des yeux, des morsures de chiens enragés (un classique), et même de la folie. N’y aurait-il pas un lien avec ce que l’on dit aujourd’hui de l’andalousite (appelée autrefois pierre de croix et qui en plus du nom prend des formes similaires) ?

« L’andalousite augmente la capacité respiratoire et sera utile en cas de manque d’oxygène .  Elle chasse les peurs et les angoisses irraisonnées et transmet au coeur enthousiasme et générosité.  C’est une pierre qui convient aux personnes qui veulent trouver le juste équilibre entre matérialisme et spiritualité, l’énergie et la paix. » (http://www.bio-sante.fr/lithotherapie/andalousite.html)

L’antimoine prescrit dans certains monastères au 18eme comme calmant fonctionnait bel et bien, et qui selon le dosage calmait définitivement bien.

Vous me direz que les lithothérapeutes n’auraient pas osé conseiller ce genre de choses dont on sait aujourd’hui qu’elles sont toxiques … Mais comme cela a été évoqué, ils ne sont pas pétrologues  :

« Dans la première édition (1992) de mon Dictionnaire des Pierres utilisées en lithothérapie, j’avais dit : « On aura soin de ne jamais pointer un cristal de stibine chargé vers un être de chair car on lui doit amour, assistance et protection ». Dans la deuxième édition (1999), j’avais ajouté : « Cependant, en cas de douleur localisée, on n’hésitera pas à le pointer sur la zone douloureuse car la stibine combat effectivement le mal et la douleur. Pas d’utilisation prolongée. Des séances courtes et répétées sont préférables. » (http://www.reynaldboschiero.com/proprietes-et-vertus-des-pierres/05-134-stibine-proprietes-et-vertus/)

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La stibine est un sulfure d’antimoine, d’ailleurs lorsque l’on parle du minéral antimoine (NDR : son symbole atomique est Sb), c’est à la stibine que l’on fait référence. Et effectivement il convient de s’en méfier.

Et puisque nous parlons de sagesses ancestrales je finirai en citant Pline l’ancien qui, il y a près de deux mille ans, disait sur l’améthyste : « les mages imposteurs assurent qu’elle empêche l’ivresse et que son nom vient de là. » et qui rapportait leurs propos de la sorte :

 « Si les noms de la lune et du soleil y sont gravés, et si elle est ainsi suspendue au cou avec des poils de cynocéphale et des plumes d’hirondelle, elle préserve des maléfices ; et aussi que portée de n’importe quelle façon elle facilite l’accès auprès des rois ; qu’elle écarte la grêle et les sauterelles, si l’on fait en même temps une prière qu’ils enseignent… Je crois bien qu’ils n’ont pas écrit cela sans mépriser et bafouer l’humanité. » 
Pas mieux.

 

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Bannière de site web de thérapie par les cristaux.


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 Sites internet intéressants :

http://www.geowiki.fr

http://www.geoforum.fr/

www.mindat.org/

Une page exceptionnelle pour l’identification des cristaux (en anglais) :

http://www.rockhounds.com/rockshop/mineral_id/#Key

Conseils de lecture :

« Histoire des cristaux » de Bernard MAITTE

« Chroniques de cristalliers » de Sebastien Khayati

Et si vraiment la discipline vous intéresse :
« Elements de géologie » de Charles Pomerol, Yves Abrielle et Maurice Renard

« Sciences de la terre et de l’univers » d’André Brahic et Yves Daniel

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Notes.

[1] Depuis 50 ans la force électromagnétique et la force nucléaire faible ont été unifié dans le cadre théorique.
Il y a quelques années certaines expériences avaient pu la valider, cependant un point essentiel était encore gênant : on ne pouvait l’expliquer complètement qu’en faisant appel au boson de Higgs. Du coup depuis tout ce temps, personne ne l’avait vraiment évoqué publiquement. Depuis que le Higgs a été observé expérimentalement, la théorie est officiellement validée. Le consensus actuel ne dénombre plus que trois forces. (Et la théorie pure a déjà unifié cette nouvelle force électrofaible avec la gravité, il y a quelques années si je me souviens bien, on attend toujours des observations de gravitation quantique pour la confirmer expérimentalement et l’annoncer). Bref, l’adoption officielle de la force électrofaible à la place de l’électromagnétique et de la nucléaire faible date de 2012-2013).

Suite à mon article sur l’histoire du scepticisme au Moyen Age écrit pendant la préparation d’une petite intervention publique sur le sujet au Donjon de Montbazon, des lecteurs du blog ont suggéré qu’il serait de bon ton de poursuivre l’analyse historique de ce courant de pensée. Et Stanislas a relevé le défi. Voici sa contribution.
Acermendax.

 

Une question de méthode : Les XVIIème et XVIIIème siècles

Les XVIe et XVIIe siècles marquent un véritable renouveau pour la pensée sceptique, longtemps restée marginalisée pendant le Moyen Age. Dès le XVIème siècle Michel de Montaigne (1533 – 1592) développe dans ses Essais un scepticisme qui se caractérise par une bienveillante ouverture d’esprit et une volonté nouvelle pour l’époque de se refuser à toute certitude. La pensée sceptique trouve un terrain fécond à cette époque marquée par une remise en cause des idées développées pendant le Moyen Age. Les grandes découvertes bouleversent la vision que l’homme européen a du monde et le confrontent pour la première fois à l’autre. Les découvertes scientifiques telles que l’héliocentrisme, développé par Nicolas Copernic (1473 – 1543), Galilée (1564 – 1642) et Johannes Kepler (1571 – 1630) poussent de plus en plus de penseurs à se méfier de leur sens et des idées préétablies. C’est de cette méfiance, cette défiance de l’apparence que se nourrit le scepticisme moderne.

Cette forme de doute est le mieux incarnée par René Descartes (1596 – 1650) dont le scepticisme est illustré par son exemple de la bougie. Si j’observe une bougie allumée, je sais que c’est une bougie. Si je la regarde quelques heures plus tard, je ne vois qu’un morceau de cire. Comment puis-je savoir que c’est toujours le même objet, mais ayant traversé un processus de changement ? Descartes considérait que ce qui ne change pas, c’est le sujet, celui qui doute et s’interroge. Ce sujet ne peux douter de lui-même ni de sa propre existence, et c’est de lui-même qu’il peut construire ce qu’il sait. Ainsi, à partir de Descartes, le problème fondamental de la philosophie est de trouver un moyen de passer au-delà des apparences et de trouver une méthode pour découvrir ce qui est vrai. Cela est accompli en deux temps, d’abord je doute, ensuite je cherche à établir une vérité de laquelle je ne puisse douter. Descartes doute pour ne plus avoir à douter, son scepticisme est méthodologique et systématique et n’est pas une fin en soi. Ce paradigme selon lequel tout problème est solvable et que tout peut être l’objet de connaissance à condition de trouver la bonne méthode est selon le philosophe Jean-François Lyotard (1924 – 1998) l’essence de la modernité. La modernité est ainsi fille du scepticisme. À la suite de Descartes, de nombreux philosophes ont cherché à comprendre et à expliquer comment l’esprit peut connaitre.

Descartes OKLM

René OKLM

Douter de la raison : David Hume et Emmanuel Kant

Au XVIIIème siècle le scepticisme commence à s’attaquer aux religions organisées, d’abord sous l’influence du déisme, et ensuite de l’athéisme qui fait son apparition en tant que concept. Les français sont les principaux représentants de ce courant, Julien Offray de la Métrie (1709 – 1751), le Marquis de Sade (1740 – 1840), Jean Meslier (1664 – 1729) et bien sûr Voltaire (1694 – 1778) sont les premiers à « écraser l’infâme » (selon les mots de ce dernier), c’est-à-dire l’obscurantisme et le fanatisme religieux. Leur scepticisme est cependant peu développé et peu systématique, et prend ses origines plus dans les doctrines philosophiques de leurs auteurs (athéisme pour De la Metrie, libertinage pour De Sade, matérialisme pour Meslier et déisme pour Voltaire) que dans une véritable démarche de doute. Ce scepticisme critique commence cependant à avoir des effets directs dans la société de l’époque. Ainsi, alors qu’il n’était encore qu’un jeune curé de campagne, l’Abbé Grégoire (1750 – 1831), l’un des futurs pères de la Révolution, poussa ses paroissiens à pratiquer une agriculture scientifique et rationnelle au lieu de se baser sur les superstitions dans lesquelles ils croyaient, augmentant ainsi les rendements et diminuant le temps de travail.

DavidHume

David Hume

Il faut attendre l’Ecossais David Hume (1711 – 1776) pour que le scepticisme redevienne une authentique démarche philosophique. Son scepticisme radical le pousse à nier la possibilité même de la connaissance, ou plus précisément, il considère qu’aucune de nos connaissances n’est fondée rationnellement. Ainsi, lorsque j’observe une partie de billard (Hume était un grand joueur de billard), je vois une bille blanche frappant une bille de couleur. Je suppose alors que la bille blanche est à l’origine du mouvement de la bille de couleur. Mais comment puis-je en être sûr ? Je pourrai certes mesurer la force en joules de la bille blanche et la lier à la vitesse de déplacement de la bille de couleur. Mais comment prouver que c’est bien cette force qui a mis la seconde bille en mouvement. Comment, en d’autres termes, puis-je démontrer un lien de causalité entre les mouvements consécutifs des deux billes ? Hume pensait que c’est parfaitement impossible. En réalité tout ce que j’ai vu, c’est un mouvement suivi d’un second mouvement, rien de plus. Je m’attends à ce que le premier soit suivi du second uniquement grâce à l’expérience et l’habitude : dans les parties de billard précédentes j’ai vu le mouvement de la bille blanche toujours suivi de celui de la bille de couleur, mais je n’ai aucun moyen rationnel de garantir que ce sera le cas à l’avenir. C’est ce que Hume appelle le problème de l’induction.

Ce scepticisme destructeur a eu une influence décisive sur le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804). Celui-ci n’est pas satisfait du scepticisme pessimiste de Hume. Kant fonde son œuvre sur trois questions :

  • « Que puis-je savoir ? », qui est une question sur ce que permet la raison, adressée dans Critique de la raison pure.
  • « Que dois-je faire ? », qui est une question de morale, adressée dans ses écrits politiques et sa Critique de la raison pratique.
  • « Que m’est-il permis d’espérer ? », une question métaphysique, adressée dans Critique de la faculté de juger.

Les réponses apportées par Kant à ces trois questions sont extrêmement complexes, et encore en débat de nos jours ; seule la première est d’intérêt ici. Kant croit au pouvoir de la raison, et considère que c’est le sujet pensant et rationnel qui est source de connaissance, et non le réel en lui-même. L’homme n’est donc pas passif face au réel, au contraire il le comprend selon les règles de sa propre raison, parmi lesquelles, la causalité. Mais cette confiance dans la raison pousse Kant à comprendre ses limites. Si nous ne sommes pas passifs face au réel, il nous est impossible de comprendre l’essence même des choses et la réalité en soi (ce que Kant appelle le monde « nouménal »), et que seul le monde des phénomènes nous est accessible. Afin de définir ce que peut la raison, Kant propose donc de limiter ses prétentions, reléguant ainsi l’étude des choses en soi hors de sa portée. En d’autres termes, la science moderne peut comprendre le réel non pas tel qu’il est mais dans les limites de sa propre rationalité. Là est l’originalité du scepticisme de Kant, là où d’autres doutaient du réel, de Dieu, ou simplement des vérités préétablies, Kant fut le premier à douter des capacités de la raison elle-même, ce qui lui permis de catalyser et définir son rôle et son utilisation. Il faut cependant noter que si Kant a apporté une réponse satisfaisante à Hume, sa pensée échouera à convaincre un sceptique qui considère que toute connaissance est impossible. Kant marque définitivement la séparation entre un scepticisme constructif – dont il est lui-même un excellent exemple – où le doute est un moyen pour atteindre la vérité, et un scepticisme plus radical – comme celui de Hume, qui considère que l’homme ne peut prétendre rien connaitre.

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Immanuel Kant

Le tournant de la science : le scepticisme au XIXème et XXème siècle

Le travail révolutionnaire de Kant, en plus d’avoir créé des générations de philosophes qui ne se définiront qu’en opposition ou en soutien à lui, a posé les bases de la science moderne. Les scientifiques ne se préoccupent plus d’alchimie ou d’astrologie comme ont pu le faire Newton ou Leibniz, mais cherchent à comprendre rigoureusement et méthodologiquement le réel. Cette démarche laisse de côté toute réponse métaphysique. Ainsi le kantisme est un refus de la pensée de Descartes qui ne pouvait se résoudre à douter de l’existence de Dieu. On explique les phénomènes réels avec des phénomènes réels, principe illustré par la phrase du scientifique Pierre-Simon de Laplace (1749-1827) : « Dieu ? Je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ». C’est donc après Kant que le scepticisme prend un tournant scientifique.

Le scepticisme s’est toujours méfié des apparences, et quoi de mieux pour aller au-delà des apparences que la science ? Le XIXème siècle est marqué par l’émergence d’une série de disciplines scientifiques dont le but est de refuser le témoignage de nos sens et de notre raison parfois défaillante afin de comprendre le réel tel qui l’est (toujours dans les limites définies par le kantisme).

Les sciences biologiques connaissent une avancée significative avec le développement de la théorie de l’évolution par Jean Baptiste de Lamarck (1744 – 1829) et Charles Darwin (1809 – 1882) – que l’on ne présente plus. Karl Marx (1818 – 1883), Auguste Comte (1798 – 1857) et aussi et surtout Max Weber (1864 – 1920) et Emile Durkheim (1858 – 1917) créèrent la science de l’étude des faits sociaux, la sociologie. Jean-Martin Charcot (1825 – 1893) quant à lui initia une approche scientifique de la psychologie.

Cette effervescence de la science eue de nombreux effets positifs : un recul de la superstition que Max Weber appela le « désenchantement du monde », une augmentation de l’espérance de vie et de la population de nombreux pays d’Europe. Sous l’influence d’Auguste Comte et des positivistes, nombreux sont ceux pensant que la science, fondée sur le doute, contribuera au progrès infini de l’humanité.

Sociologie

La sociologie a des liens importants avec la pensée sceptique

Mais cette époque ne va pas sans problèmes. Pour la première fois, scientifiques et philosophes sont confrontés aux phénomènes des pseudosciences. Théories racistes soutenant le colonialisme, arnaques médicales diverses, disciplines douteuses telles que la physiognomonie, la phrénologie et la psychanalyse, dévoiement des découvertes scientifiques telles que darwinisme social, toutes ces conneries théories fumeuses et souvent dangereuses connaissent alors un engouement que l’on ne peut nier. La question se pose alors, comment différencier la science du mensonge ? Afin de répondre à cette question, le philosophe Karl Popper (1902 – 1994) propose le principe de réfutabilité. Est considérée comme science toute discipline qui se soumet à ce principe, c’est-à-dire donnant elle-même et dans sa propre méthode la possibilité de réfuter et critiquer ce qu’elle avance. Ce critère est donc une méthode destinée à comprendre ce qui est scientifique, c’est-à-dire apte à expliquer et interagir avec le réel, de ce qui ne l’est pas. C’est un puissant outil encore essentiel de nos jours.

Popper

Karl Popper

Le scepticisme contemporain : la méthode contre elle-même ?

Ce ne sont cependant pas ces dérives qui mirent fin à cet âge héroïque de la science. Les deux guerres mondiales et l’utilisation massive de la technologie et de la science à des fins militaires mirent un coup d’arrêt brutal au mouvement positiviste. Ils donnèrent une génération de philosophes très divers se défiant du progrès. Certains comme Bruno Latour (1947 – ), Thomas Khun (1922 – 1996) ou Michel Foucault (1926 – 1984) adoptèrent une posture critique envers la science comme instituion. D’autres plus radicaux remirent en question sa capacité à produire des connaissances, comme Nancy Cartwright (1944 – ) ou Paul Feyerabend (1924 – 1994). Le peu d’influence que ces auteurs ont sur la pensée sceptique contemporaine devient de plus en plus problématique, alors que leurs œuvres pourraient réellement renouveler la pensée critique d’aujourd’hui.

Sapere aude !

keep-calm-and-sapere-aude-3La pensée critique est aujourd’hui inséparablement liée aux sciences naturelles et sociales mais elle ne doit pas devenir leur apanage. Chacun peut et doit penser par lui-même. Mais comme les penseurs mentionné dans cet article le montrent, penser par soi-même ce n’est pas penser n’importe comment, c’est penser avec méthode et rigueur. Fiabilité des sources, systématisation du doute, méfiance envers les réponses faciles et irrationnelles (surtout celles qui semblent nous donner raison !) ont toujours été et restent les caractéristiques du scepticisme. Comme le disait la maxime latine qu’Emmanuel Kant c’était donnée pour devise : Sapere aude ! Ose te servir de ta raison !

À lire :

Montaigne Les essais

Un des fondements de la pensée sceptique, également intéressant pour la sagesse intemporelle de son auteur et son humour acide. C’est aussi un bon exemple du scepticisme chrétien, courant que l’on a tendance à oublier.

René Descartes Discours de la méthode

Un manuel du doute dont la lecture devrait être obligatoire en ces temps de déraison, bien que plus intéressant dans sa démarche et la méthode qu’il propose que pour les conclusions qu’il en tire.

David Hume Enquête sur l’entendement humain

Longtemps lu comme une simple introduction à Kant, cette version simplifiée et grand public du magnus opus d’Hume Traité de la nature humaine n’est que depuis récemment appréciée à sa juste valeur. L’auteur y développe son empirisme et sa pensée y est condensée.

Emmanuel Kant Critique de la raison pure.

Pour les lecteurs confirmés. La compréhension de la pensée de Kant est très difficile et nécessite une connaissance poussée de l’histoire de la philosophie. Son style aride et souvent peu clair n’aident en rien. Lisez d’abord la préface, l’auteur y résume très bien le contenu de l’ouvrage puis passez au cœur du texte si vous le voulez. Sinon lisez Qu’est-ce que les Lumières ? du même auteur, un texte cours et jubilatoire qui est un véritable manifeste de la pensée critique.

Émile Durkheim Les règles de la méthode sociologique

La sociologie est sous-estimée par le courant sceptique alors qu’elle est souvent la clé pour déconstruire idées reçues et préjugés sur les problèmes sociaux et politiques de notre temps.

Karl Popper La logique de la découverte scientifique

L’auteur de cet article n’a pas lu l’ouvrage en question, mais c’est parait-il celui où Popper développe le mieux ses idées sur la méthode scientifique et sur la démarcation entre science et pseudoscience.

Vous avez dit Placebo ?

L’effet Placebo est auréolé de mystère. Ce mot latin bien énigmatique est employé dès que l’on observe un effet thérapeutique sans que cet effet soit directement imputable au médicament ou aux soins que le malade a reçus. Il est tentant d’attribuer à notre inconscient, notre psyché ou notre volonté le pouvoir de guérir le corps indépendamment de toute aide extérieure, et bien des gourous et auteurs New Age suggèrent à ceux qui leur accordent du crédit d’abandonner la médecine « classique », fondée sur des données scientifiques, pour se tourner vers une médecine plus « naturelle », plus en accord avec l’identité profonde des individus, plus respectueuse, plus douce, etc.

Il y a une tentation à la pensée magique en chacun de nous, notre égo est séduit par l’idée que l’on puisse aller mieux par soi-même, que la guérison soit un pur acte de volonté. Et le Placebo vibre à la fréquence de cette corde sensible.

Le mot Placebo, qu’on le veuille ou non, est désormais porteur de ce sens ésotérique en partie parce que c’est un mot complètement incompréhensible pour le commun des mortels qui ne savent pas qu’il s’agit d’une forme du verbe « plaire » en latin… donnée étymologique qui ne nous renseigne d’ailleurs aucunement sur la signification qui lui est donnée par les professionnels de la santé et de la recherche.

placeboeffectDans le monde de la science, l’effet Placebo n’a jamais eu le sens de « pouvoir de l’esprit sur le corps », c’est pourtant ainsi qu’il est souvent entendu aujourd’hui. Le Placebo, c’est d’abord le pouvoir de l’esprit sur l’esprit, et, par des mécanismes qu’il reste à expliquer en détail, c’est l‘influence des ressentis de l’individu sur certaines fonctions sécrétrices du corps (production d’antalgiques, par exemple) qui ont elles-mêmes in fine un impact sur les paramètres médicaux. L’incomplétude de notre compréhension des phénomènes impliqués ne doit pas laisser croire qu’il est raisonnable d’y discerner quoi que ce soit de paranormal. Si quelque chose de paranormal/énergétique/vibratoire est à l’origine de l’effet placebo, il deviendra raisonnable de le défendre après qu’une preuve aura été produite et dûment expertisée. En l’état actuel de nos connaissances, c’est une hypothèse coûteuse car aucun indice sérieux ne pointe dans cette direction de manière spécifique.

Changer les mots ?

C’est pourquoi il pourrait être profitable de mettre de côté ce vocable ambigu et d’employer une expression plus transparente pour faire comprendre la nature de cet effet. On propose donc de remplacer effet placebo par « effets contextuels » (au pluriel) afin de montrer que ce qui se passe autour du traitement, pendant, avant ou après, a son importance sur la manière dont le patient va réagir.

On explique aujourd’hui l’essentiel de ces effets contextuels ; on sait sous quelles conditions ils se manifestent, on sait même en maximiser les effets. En face du New Age et des pratiques alternatives irrationnelles et dangereuses, une erreur inverse doit absolument être évitée, c’est celle de croire qu’il y a une opposition entre effets contextuels et vraie médecine. Les effets contextuels sont une composante de tous les traitements, y compris ceux qui ont un effet intrinsèque, il ne faut donc pas les bannir, mais au contraire les utiliser au bénéfice du patient, dans le cadre d’une prise en charge qui tient compte de la dimension psychologique de l’acte thérapeutique.

NB. L’effet placebo englobe un autre type d’effet, que l’on pourrait oublier tant il est trivial : notre corps guérit tout seul comme un grand dans la plupart des situations. Nous avons un système immunitaire et tout un tas de mécanismes de réparations qui entrent en jeu dès que nous sommes victimes d’une maladie ou d’une blessure. Quand nous consultons un soignants ou que nous prenons un traitement, c’est généralement au moment le plus désagréable, au pic de la douleur et des symptômes. À l’effet du traitement va donc s’ajouter celui de la guérison ‘naturelle’ du corps. Ce n’est peut-être plus exactement un effet contextuel (encore qu’on soit toujours dans l’environnement de l’acte thérapeutique…) mais c’est à tous égards un effet non spécifique et sans lien avec le soin apporté au malade.

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Un vide dans la pratique médicale ?

Si les médecines alternatives/douces/énergétique/etc. pullulent, c’est peut-être aussi parce que la médecine classique donne l’impression d’avoir choisi de négliger la dimension empathique et psychologique, le lien entre soignants et soignés, central dans les affections psychologiques et psychiatriques, mais également présent dans tous les cas dans la transaction qui s’opère quand une personne demande à une autre de la soigner.

Il y a peut-être un vide empathique à combler de la part de nos praticiens de la santé qui doivent mettre les effets contextuels de leur côté. À l’inverse doit-on tolérer, souhaiter, encourager la pratique consistant à vendre des produits dénués de toute activité intrinsèque et donc employer 100% d’effets contextuels en faisant croire aux patients à l’existence d’effets spécifiques ? Nous nous étions déjà posé la question sur ce blog.

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Tout comprendre ou presque.

Pour tout savoir sur l’effet Placebo, voici trois vidéos.
Dans la première, l’équipe de la Tronche en Biais retrace l’histoire du concept et la manière dont on a traqué les causes de l’effet Placebo.

Dans la deuxième, Climen le pharmacien nous présente le principe de l’homéopathie qui n’est pas vraiment une médecine par les plantes comme on l’entend souvent dire.

Enfin, Le Psylab explique l’importance de la dimension psychologique dans l’acte thérapeutique.

 

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Ressources pour aller plus loin :

— Article de Jean Brissonnet : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1604

— Article de Jean Benoist http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoist_jean/aspirine_ou_hostie/aspirine_ou_hostie_texte.html


Article similaire

Un certain talent dans la manipulation.

Comment réagir face à ce qui ressemble à de la manipulation ? Comment dénoncer une pratique qui nous semble constituer un abus de faiblesse, une véritable escroquerie se nourrissant de la détresse et de la crédulité. Par la dérision, peut-être, comme nous le faisons dans la vidéo ci-dessous.

Mais y a-t-il d’autres moyens d’action ? Des erreurs à ne pas commettre ?

escrocsPar exemple il vaut mieux éviter de traiter William d’escroc, même s’il ressemble beaucoup beaucoup beaucoup à un escroc, parce que ce terme serait susceptible de nous être reproché jusque devant un tribunal. Il est arrivé à des gens qui voulaient dénoncer des malversations de se retrouver poursuivis, et alors évidemment, ça coûte cher, ça atteint la liberté d’expression et ça peut faire mal à l’image.

Daemon Delaplace, qui s’y connaît un peu dans ce genre de chose, vous propose ci-dessous une analyse de la situation. Et vous verrez que le niveau d’organisation derrière l’entreprise WILLIAM est d’un raffinement qui fait froid dans le dos.

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La Loi Ne Vous Protège Pas de Votre Bêtise : William le Médium, Où l’On Sait l’Utilité de la Zététique en Droit.

Vled et Mendax ont levé un très joli lièvre en la personne – pardon : le personnage – de « William le médium ». Nous ne parlons pas là de croyances irrationnelles sur lesquelles Mendax porterait le fer féroce de sa rationalité affûtée ou de scientifiques trop médiatiques pour être vraiment crédibles que Vled repousserait de la pique barbée de son implacable scepticisme.

Nous parlons de ce que nombre d’entre nous considérera comme une escroquerie, définie comme « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge». L’article 313-11 du nouveau Code Pénal punit l’escroquerie de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

Alors, William le médium, escroc ou simple attrape-gogo ?

Ce qu’on peut affirmer à prime abord, c’est que la méthode est sophistiquée : premier ferrage par appel téléphonique automatique. Un courrier suit. Il est composé de deux enveloppes de couleurs différentes et d’une enveloppe retour non affranchie, de cinq feuillets imprimés en couleur, de textes très travaillés en français parfait (note de la TeB : le français de William est émaillé de quelques fautes quand même, n’exagérons pas) et présentant une mise en page étudiée.

Le nombre de manipulations auxquelles « le client » doit procéder est tel que cela équivaut à pratiquer un tour de close-up sur soi-même sans en connaître le truc : ouvrir la première enveloppe jaune, choisir une carte et la mémoriser sans ouvrir l’enveloppe blanche ; brûler la lettre contenue dans l’enveloppe jaune et conserver les cendres avant d’ouvrir l’enveloppe blanche ; lire le texte exposant la malchance, puis celui posant les dons de William comme solution ; apposer son empreinte digitale et compléter les informations du « bon d’aide d’urgence » ; faire le chèque, affranchir l’enveloppe retour et la poster.

Ce courrier a clairement été conçu par des professionnels du marketing direct disposant de moyens et d’outils modernes (psychologie comportementale et cognitive, grande base de données, géomarketing, « technologie intégrée de gestion d’appel automatique et de routage et d’impression de courrier à la demande).

Est-ce pire que, par exemple, la télé-voyance, pratique très consommatrice de publicité, qui a pignon sur rue et qui n’est sans être délictuelle?

 En renvoyant à vos frais aux Pays-Bas le coupon réponse contenu dans l’enveloppe blanche accompagné d’un chèque:

  • Vous confirmez votre adresse et votre numéro de téléphone
  • Vous précisez votre date de naissance et votre adresse email
  • Vous apposez votre signature et votre empreinte digitale
  • Vous communiquez vos coordonnées bancaires car elles sont stipulées sur votre chèque
  • Vous sollicitez l’aide de « William le Médium » et choisissez de lui verser une participation « modique » de 19 euros

Les 5 premiers paragraphes du coupon réponse visent uniquement à vous faire réitérer votre consentement de cinq manières différentes, articulées logiquement, le rendant irréfutable.

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Observez bien la séquence : premier paragraphe, « J’accepte », second paragraphe « Je sais » ; troisième paragraphe « Il est hors de question que je reste sans rien faire » ; quatrième paragraphe, « C’est pourquoi, à partir de l’empreinte que je vous laisse (…) je vous demande (à deux reprises)» ; cinquième paragraphe, « Je vous règle donc ».

Vous acceptez l’aide de « William le médium » que vous savez nécessaire pour régler un problème qui est précisément décrit. Vous vous devez agir mais n’y arrivez pas seul et vous reconnaissez que « William  le médium » peut vous aider en accomplissant 2 actes précis. En conséquence de quoi vous acceptez de payer 19 euros pour service rendu.

« William le Médium », une fois votre réponse reçue et votre chèque encaissé, s’empressera de vous envoyer un opuscule de quelque pages (cout papier+ impression ou simple photocopie couleur = 2 à 10 centimes d’euros) : votre « Grand Plan Personnel de Retour à la Chance ».

La réalité de la transaction commerciale est établie : vous avez bien reçu un produit, que vous avez certes payé 400 fois trop mais que vous avez sollicité en toute connaissance de cause.

Il n’y a rien d’illégal à vendre une Logan au prix d’une Aston Martin – c’est ce qu’on appelle en droit civil un dolus bonus. C’est le boniment du marchand, l’exagération du camelot, la pub pour le déodorant qui fait tomber toutes les meufs/keums canons qui vous fait acheter un produit plus cher que sa vraie valeur. Et c’est de votre faute, car rien ne vous obligeait à acheter ce que vous saviez être une Logan au prix d’une Aston Martin.

Ce qui est illégal en revanche, c’est de faire passer une Logan pour une Aston Martin, ou de vendre une Aston Martin et livrer une Logan. Il y a tromperie dans le premier cas et manœuvre frauduleuse dans le second, donc dolus malus annulant la transaction – nonobstant commission potentielle d’un délit (abus de confiance ou escroquerie) relevant du droit pénal.

Votre chèque sera encaissé sur un compte en banque situé, par exemple, aux Antilles néerlandaises. Tout autre paradis fiscal fera également l’affaire. Ce chèque, établi à l’ordre de « William », passera sans aucune anicroche. Aucune vérification de la correspondance de l’ordre avec l’identité du titulaire du compte d’encaissement ne sera effectuée dans les centres de traitements des chèques situés en Asie (Inde principalement) : le montant du chèque est inférieur à 20 euros.

Il est en l’espèce difficile de parler d’escroquerie, même si les méthodes de « William le Médium » sont sans doute en partie illégales et que son intention – le lucre – est clairement établie.

Pire : vous avez été vous-même le complice de « William le médium » en brûlant la lettre qui était contenue dans l’enveloppe jaune, détruisant ainsi toute preuve en votre possession de son démarchage personnel par courrier et de l’utilisation du « truc » des cartes.

Encore pire : si vous faites opposition à votre chèque, c’est vous qui vous retrouverez dans l’illégalité. Il est certes fort peu probable que « William le médium » entame des poursuites contre vous pour défaut de paiement. En revanche, on a déjà vu des victimes se faire harceler au téléphone, les gens à l’origine de ces arnaques, sûrs de leur impunité, n’ont aucun scrupule à intimider pour garantir le silence des victimes.

La justice ne juge pas de la morale : on peut être dans la légalité en étant foncièrement immoral. Porteriez-vous plainte, elle sera soit irrecevable, soit classée sans suite. Quel juge lancera une demande de coopération judiciaire européenne ou une commission rogatoire internationale aux Pays-Bas pour enquêter sur une éventuelle escroquerie dont le préjudice se monte à 19 euros ? C’est ridicule quand on le compare à celui de près de 60 milliards d’euros qu’on doit au plus grand escroc de tous les temps, Bernard Madoff. Vous aurez bien fait rire les pandores à l’apéro et vous aurez perdu 19 euros. Que 19 euros ? En êtes-vous bien sûr ?

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Cette image n’a pas de rapport direct avec le billet, mais elle apparait dans les recherches Google à « escroc ». Coïncidence ?

Encore bien pire : Vous avez envoyé à une boîte postale aux Pays-Bas détenue par des gens qui n’ont visiblement aucune morale des données personnelles et vos coordonnées bancaires.

Ces données seront stockées et exploitées, vraisemblablement sans aucun contrôle.

Dans le meilleur des cas, elles seront revendues à des entreprises qui gèrent, exploitent et vendent des fichiers marketing. En fonction de votre âge et de votre lieu de résidence, il est aisé d’estimer votre pouvoir d’achat. Vous avez envoyé un chèque ? Vous êtes donc solvable puisque pas interdit bancaire. Vous avez une adresse email, donc accès à internet. Préparez-vous à recevoir tant par la poste que par email de nombreuses offres mirifiques et autres sollicitations urgentes de fondations caritatives dont vous n’avez jamais entendu parler.

Dans le pire des cas, ces fichiers peuvent être revendus à des organisations criminelles, si ce n’est pas déjà une organisation criminelle qui est à l’origine du courrier.

  • Vous avez communiqué suffisamment d’informations sur vous pour qu’on puisse usurper votre identité numérique pour, par exemple, accéder frauduleusement à vos comptes bancaires ou obtenir votre numéro de carte bleue, sa date d’expiration et son code de vérification pour fabriquer une fausse carte
  • N’importe qui peut s’accorder une autorisation de prélèvement sur votre compte bancaire, simplement à partir de votre numéro de RIB, en apposant une fausse signature, simplement parce que les entreprises n’effectuent que rarement des vérifications
  • Il ne manque plus qu’à découvrir votre commune de naissance (ce qui est assez facile) et les noms de vos parents (également facile via les réseaux sociaux ou par simple coup de fil à un membre de votre famille) pour pouvoir demander une copie de votre acte de naissance qui permettra l’obtention d’une pièce d’identité à votre nom, en ayant fait au préalable une fausse déclaration de perte ou de vol.

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  • Cette vraie-fausse pièce d’identité est une preuve de nationalité. Elle est suffisante pour la plupart des démarches administratives (CAF, CPAM, sécurité sociale, allocations chômage etc.). L’usurpateur pourra toucher vos prestations sociales à votre place.
  • Cette vraie-fausse pièce d’identité est suffisante pour s’établir dans n’importe quel pays de l’Union Européenne, y ouvrir un compte en banque, prendre un abonnement de portable, demander un crédit ; signer un bail etc.
  • Cette vraie-fausse pièce d’identité est suffisante pour voyager dans de nombreux pays ne faisant pas partie de l’espace Schengen, par exemple pour aller faire le djihad en Syrie en passant par la Turquie.

Effrayant, non ? La probabilité d’une usurpation d’identité est mince mais malheureusement bien réelle. Et quand cela arrive, ça donne ça et c’est pas beau : http://sosconso.blog.lemonde.fr/2013/11/06/identite-usurpee-un-cauchemar-sans-fin/

Si on usurpe votre identité, vous devrez d’abord prouver que vous êtes bien vous (véridique) et ensuite que vous n’avez pas fait ce que votre usurpateur a commis. Vous allez alors vous rendre compte que prouver ce que vous n’avez pas fait est particulièrement ardu et que « Carte d’identité + carte vitale + carte bleue = votre vie » est un axiome.

L’exemple de « William le médium » est obscène, ne serait-ce que parce qu’il vise les plus vulnérables d’entre nous (âge, éducation, ressources) mais également très sophistiqué. Ce n’est pas un hasard si le médium choisi est le courrier postal.

Le phishing est une pratique courante sur internet. Les cybercriminels ne se fatiguent pas à pénétrer des systèmes informatiques bien défendus quand ils peuvent obtenir les données dont ils ont besoin par le « social engineering ». Ce sont les mêmes méthodes que William le Médium.

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Addendum : ouvrez maintenant la petite enveloppe blanche.

La première partie de cet article était volontairement alarmiste, les risques décrits et les exemples choisis volontairement extrêmes. Loin de nous l’envie de jouer les oiseaux de mauvais augure. Laissez-nous toutefois ne pas vous rassurer : ce qui est décrit en matière de fraude et d’usurpation d’identité est déjà arrivé. Ces cas sont rares mais bien réels. Il faut cependant conserver le sens des probabilités : si vous répondez à William le médium, il encaissera votre chèque et ce que vous risquerez est de faire l’objet de très nombreuses sollicitations d’autres patents charlatans.

Ne nous jetez pas la pierre ! Il fallait bien que nous attirions et conservions votre attention. Maintenant que vous avez lu l’article contenu dans notre enveloppe jaune, laissez nous ouvrir pour vous notre enveloppe blanche.

Si vous croyez que William le médium procède au petit bonheur la chance en se disant que les gogos sont légion et qu’il suffit de jeter son filet au hasard car il ramènera toujours quelque chose, vous faites erreur. William le médium emploie des techniques de marketing qui n’ont rien à envier à celle utilisées par la grande distribution ou les poids lourds de la vente par correspondance et du commerce électronique. Le marketing, nous vous le rappelons, est l’art de proposer des biens et des services qui correspondent aux besoins des clients à qui on ambitionne de les vendre (et non à créer des besoins comme c’est trop souvent le cas, mais il s’agit d’un autre débat). Quand il est pratiqué correctement et selon la loi, c’est plutôt une bonne chose et une activité parfaitement légitime. En revanche, quand ces techniques sont utilisées pour soutirer de l’argent, nous sommes au mieux confrontés à un problème éthique, au pire à un délit.

Annuaire

Non, William le médium ne contacte pas ses « victimes » au hasard.

Et nous allons vous décrire ce que nous pensons avoir compris de ses méthodes. Tout commence par un appel téléphonique automatique. Ces appels sont générés à partir de bases de données qui s’achètent à des entreprises spécialisées. On peut sélectionner les noms, adresses et numéros de téléphone des prospects en fonction d’un certain nombre de critères : code postal, âge, catégorie socioprofessionnelle, possession d’un véhicule, nombre de personnes dans le foyer, le niveau d’étude etc.

L’intérêt de sélectionner ainsi des contacts – cela s’appelle un ciblage – est de s’assurer que les gens à qui on va s’adresser sont bien ceux qui auront la propension la plus élevées à vous acheter notre came. Vous conviendrez qu’il y a peu d’intérêt à contacter des gens qui n’ont pas le permis de conduire pour tenter de leur vendre une voiture, ou de contacter 99% de la population française pour leur vendre une Ferrari.

  • Premier dilemme : William le médium sélectionne vraisemblablement les gens à qui il va s’adresser selon des critères qui font froid dans le dos : foyer de 1 ou 2 personnes, bas revenus, région pauvres, zones périurbaines et rurales, faible niveau d’étude. Les habitants de Neuilly sur Seine n’ont sans doute pas le plaisir de recevoir ses sollicitations…

William a donc ce fichier ciblé en main et achète (vraisemblablement en sous-traitance) un service d’appel automatique. Vous recevez un premier appel où il vous est demandé ce de faire un « opt-in » en jargon marketing: « Si vous souhaitez recevoir ce courrier, appuyez sur la touche # » (par exemple). Ce faisant, non seulement vous acceptez de recevoir ce courrier, mais vous vous « qualifiez » vous-même : votre nom, votre numéro de téléphone correspondent bien à votre adresse et aux données qui y sont liées dans la base de donnée achetée par William le Médium.

Le système procède alors à une remontée de « fiche » vers un service d’impression à la demande, vraisemblablement géré par le même prestataire : le courrier sera personnalisé, imprimé, mis sous pli et envoyé. L’envoi de ce courrier déclenche à son tour automatiquement un nouvel appel téléphonique automatique vous prévenant de l’arrivée imminente du courrier.

  • Deuxième dilemme : William le Médium est une entreprise qui vise à abuser de la crédulité « des pauvres gens » en utilisant des techniques modernes et coûteuses de marketing. Pour le premier appel, le courrier et le deuxième, il faut compter environ 2 euros par contact… Cela signifie donc que cet investissement est rentable et que, mathématiquement, au moins une personne sur 10 répond et renvoie un chèque – en sus de la revente de vos données personnelles…

Or, la collecte de données personnelles est réglementée en France, et les bases de données ainsi crées doivent être déclarées à la Commission Informatique et Liberté (la fameuse CNIL). Vous possédez également un droit de consultation et de rectification des données contenues dans ces bases de données.

Or les données collectées par William le sont hors de tout cadre légal, d’autant que vous les avez envoyées aux Pays-Bas. Les données ont-elles bien été saisies aux Pays-Bas et la base de données se trouve-t-elle bien physiquement aux Pays-Bas ? La réponse est vraisemblablement non, car l’échange et la vente de données personnelles est également strictement réglementée au sein de l’Union Européenne (c’est par ailleurs là un point d’achoppement récurrent depuis 25 ans avec les Etats Unis).

  • Pour résumer : vous avez envoyé vos données personnelles et vos coordonnées bancaires à une entreprise dont la licéité est douteuse en dehors de tout cadre légal, sans droit de contrôle ni sur le contenu de ces données ni sur leurs utilisations. Cela ne vous inquiète pas ?

 

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Daemon Delaplace

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Sur le thème du droit pénal face au paranormal, l’AFIS a publié un article il y a déjà quelques années : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article140.

Notez que le personnage ou le groupe qui se cache derrière officie depuis plusieurs années, au moins 2009, probablement en toute impunité :

http://www.ufc-quechoisir-metz.org/william-nous-prend-pour-des-poires

https://lamerejoie.wordpress.com/2011/05/04/arnaque/

De votre côté vous pouvez peut-être éviter à quelqu’un de tomber dans ce genre de piège en en parlant autour de vous. N’hésitez pas à partager cet article et la vidéo.

(Il s’agit du texte rédigé en préparation d’une petite intervention publique lors de la Soirée Médiévale de Montbazon organisée par le vidéaste Nota Bene le 25 juillet 2015)

Avant propos : Je ne suis pas historien et je vais donc vous présenter un regard de non historien sur l’histoire du scepticisme, il y aura donc des approximations, des oublis et – j’espère très peu— d’erreur. Mais ce sera un regard de sceptique pratiquant, donc j’espère que le point de vue que je vais partager avec vous n’est pas dénué d’intérêt.

Quesako ?Pyrrhon-de-Elis

Le scepticisme c’est la doctrine philosophique selon laquelle la pensée humaine ne peut déterminer une vérité avec certitude. Cela vient du grec skeptikos, « qui examine ». Cette idée est formellement exprimée par Pyrrhon d’Elis au 4ème siècle avant notre ère (360–275), avant d’être reprise sous différentes formes par plusieurs philosophes, et notamment Arcésilas de Pitane dans sa Troisième Académie.

Le scepticisme trouve sa source, ou en tout cas ses arguments fondamentaux dans le constat simple que nos sens peuvent nous tromper sur la réalité de ce que nous croyons observer. Nous sommes tous victimes à un moment ou à un autre d’illusions, d’hallucinations, de rêves et de toutes sortes d’incompréhensions qui nous donnent une fausse image de la réalité ; dès lors on doit douter de ce que nos sens nous donnent à percevoir. Les sceptiques inventent le principe de la « suspension du jugement » qui est une sorte d’agnosticisme sur les faits ; pour les sceptiques mieux vaut s’estimer ignorant plutôt que d’accepter une connaissance erronée.

Je vous rappelle qu’on est à une époque où l’on ignorait presque tout sur la chimie, la physique, la biologie, sur la manière dont fonctionne la matière, dont gravitent les planètes, etc. Ce qui n’empêchait pas certaines personnes de prétendre avoir tout compris.

Ce qui est crucial, me semble-t-il, c’est que c’est une pensée qui est par essence anti-dogmatique : aucune vérité n’est tenue pour absolue, ce qui empêche en théorie toute espèce d’affirmation péremptoire sur l’univers et surtout sur la volonté des Dieux. L’idée de révélation divine accordée à un individu se heurte à la pensée sceptique qui explique que nous n’avons aucun moyen de savoir si cette révélation est véridique ou totalement inventée. C’est donc l’école du doute là où on voudrait de la certitude, voire de la foi. Et ça pose un léger problème, bien sûr.

Les sceptiques ont toujours été, depuis leur apparition, des gens absolument insupportables.Je-suis-sceptique-par-votre-comportement

Le rejet du scepticisme.

Et c’est donc naturellement une doctrine qui a été beaucoup caricaturée. On présentait Pyrrhon comme un handicapé de la vie. Puisqu’il affirmait ne pas pouvoir faire confiance à ses sens, on raconte qu’il se cognait aux arbres car il ne croyait pas ses yeux, et ses disciples devaient l’accompagner dans ses déplacements sans quoi il allait sans méfiance au-devant des chariots et des précipices.

Portrait Herm ofDéjà Socrate (mort en -399), un peu avant Pyrrhon avait ruiné les prétentions des philosophes qui l’avaient précédé en montrant qu’ils ignoraient la vérité sur ce qu’ils prétendaient connaître. La célèbre phrase de Socrate est quasiment du scepticisme avant l’heure : « Je sais que je ne sais rien. » On sait comment il finit sa vie : condamné à boire la cigüe, notamment pour cause d’athéisme (ou pour être plus exact dans les mots d’aujourd’hui : pour cause d’impiété).

A mon sens il y a une confusion très importante à ne pas commettre quand on parle de scepticisme, et si j’insiste c’est parce que justement elle a été commise par le passé et qu’elle continue de polluer les débats d’idée encore aujourd’hui. Cette confusion consiste à croire que le scepticisme prône l’égalité des opinions. A l’époque antique on parlait d’équipollens, et de nos jours c’est le relativisme, le nivellement de toute parole comme si les experts n’existaient pas, comme si la science n’était qu’un avis parmi d’autres. Comme si nous étions tous également ignorants, et qu’aucune ignorance n’était pire qu’une autre. Ce n’est pas ce que dit le scepticisme, car l’idée que toutes les opinions se valent est en soi une affirmation, et ce genre de certitude dogmatique est totalement étranger au sceptique.

Le scepticisme, c’est l’idée qu’une vérité est toujours susceptible d’être corrigée par de nouvelles informations, c’est l’obligation que l’on se donne de toujours laisser la place à la réfutation.

Et ce qui est très frappant, c’est qu’après l’antiquité et les heures un peu sombres du bas Moyen Âge, les philosophes en particulier chrétiens et musulmans qui ont en leur temps redécouvert Pyrrhon, Zénon, Socrate, Empédocle, Anaxagore, Démocrite, et cetera… vont consacrer leur temps à tenter de démolir le scepticisme. En effet ces philosophes vivent dans des sociétés dominées par le monothéisme, dans un contexte extrêmement dogmatique, et ils sont tous ou quasiment tous passés par les institutions religieuses pour faire leur éducation. Ils sont formatés pour vouloir que la connaissance absolue existe. Parce que si la connaissance absolue n’existe pas, si les sceptiques ont raison, alors on ne peut plus vraiment faire confiance aux Écritures, on ne peut-plus être certain de tout ce dont on veut être certain.

Et la réponse de ces philosophes consistera, de manière assez récurrente, à admettre d’abord la vérité sur laquelle ils veulent construire leur système, et en ce temps-là c’est l’existence de Dieu ; les philosophes et les théologiens proposent donc tout naturellement que la connaissance pure, la seule véritable forme de connaissance vient de l’illumination. Ça vient de l’intérieur, donc ça ne se prouve pas, donc ça ne se réfute pas, et donc il n’y a pas à en douter. Échec et mat ! Mais vous conviendrez comme moi, je pense, que c’est une faible réponse, raison pour laquelle à la Renaissance,  la philosophie va prendre ses distances avec la religion, puis va donner naissance à la science qui se caractérise par sa dimension expérimentale. Dès lors la manière de produire de la connaissance va être chamboulée. On va cesser de produire des hypothèses ad hoc pour renforcer un système à travers des expériences de pensée, et on va plutôt s’attacher à tester réellement ce que le monde a à dire sur les hypothèses de travail.

Le scepticisme scientifique, actuel, c’est l’importance accordée à la réfutabilité et à la méthode expérimentale, c’est l’usage de la vraisemblance : on ne cherche plus la vérité, mais la meilleure approximation de la vérité, le modèle le plus fidèle à la réalité, on recherche le plus vraisemblable et on le corrige sans cesse, dans un mouvement asymptotique vers le Vrai (hypothétique et potentiellement inatteignable). On voit donc que la science et l’épistémologie ont besoin du scepticisme, exactement celui dont on parlait déjà dans l’Antiquité… mais ne peuvent pas s’y limiter. Parce que le scepticisme porte en soi les germes du nihilisme, du rejet de la connaissance et de toutes les formes de négationnisme et de conspirationnisme qu’on peut imaginer. L’embarras s’installe lorsqu’on considère que le doute est une fin en soi.

Le scepticisme, ça peut être TRES mal employé.

Comme dans tous les domaines, il existe une forme extrême du scepticisme. Comme la plupart des extrémismes, celui-ci prend des libertés avec la logique et on se retrouve donc en présence d’une chose assez baroque qu’on pourrait appeler un scepticisme dogmatique, c’est-à-dire une belle contradiction, puisque le scepticisme est à la base une démarche anti-dogmatique (mais si, souvenez-vous). Notez comme les conspirationnistes de toutes les époques sont très attachés au doute qu’ils professent : leurs doutes ressemblent à des certitudes déguisées.

Dans ce contexte, le scepticisme qui servait à l’origine à écarter les propositions incertaines afin de demeurer agnostique des choses sur lesquelles on ne savait rien ou pas suffisamment est aujourd’hui instrumentalisé par ceux qui veulent douter de certaines vérités établies, des vérités certes incomplètes, mais qui offrent des garanties de proximité avec la réalité. Parmi nos contemporains, on doute volontiers de la théorie de l’évolution, de l’utilité des vaccins, du changement climatique, et de mille autres vérités admises par le consensus scientifique. Et on se réclame en cela d’un scepticisme qui serait une forme de sagesse et d’insoumission à une doxa, une pensée unique. Et ces gens sont pour beaucoup de bonne foi, ils pensent vraiment être les vrais sceptiques opposés à une pensée dogmatique pleine de présupposés.

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Le problème c’est qu’ils n’ont pas complètement tort. Il y a une forme de dogmatisme dans la manière dont la société choisit de croire une chose ou de ne pas la croire. Il y a même une forme de dogmatisme parfois dans le monde de la science où les idées nouvelles ont du mal à se faire admettre. Notre société n’est pas parfaite, elle a des défauts : la belle découverte que voilà. Mais ce qu’oublient de considérer les gens qui pratiquent la pensée hypercritique (le doute hyperbolique) c’est que la manière dont nous produisons aujourd’hui nos connaissances sur le monde passe par un crible extrêmement exigeant qui est la démarche scientifique. La démarche scientifique c’est l’usage raisonné du doute, et c’est surtout la recherche systématique de l’erreur.

Alors, bien sûr les sceptiques extrémistes ont raison, d’une certaine façon : Oui, nos connaissances actuelles ne sont pas absolues, bien sûr elles sont incomplètes, et de futures théories, de futures expériences les amélioreront encore et encore. Mais ils ne sont pas les seuls à le savoir, ce constat est inscrit dans l’ADN de l’épistémologie actuelle.

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Conclusion

On sait aujourd’hui des choses que les sceptiques de l’antiquité ne savaient pas. Nous disposons d’instruments pour observer et enregistrer la nature, pour aller plus loin que nos sens humains si faillibles, nous savons mettre au point des protocoles en double aveugle pour éliminer la subjectivité des résultats, nous disposons des statistiques pour extraire le signal du bruit, nous avons même des connaissances sur la manière dont notre esprit fonctionne, sur comment nous produisons de la connaissance et sur comment nous nous abusons nous-même. Bref, nous sommes ignorants, mais beaucoup moins qu’avant.

 Le scepticisme ne doit pas, ne peut pas être une excuse pour défendre un point de vue irrationnel ou incohérent ou contraire à ce que nous disent les faits. Nous avons derrière nous vingt-cinq siècles de philosophie qui en témoignent.

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Sources : Consultez wikipedia au sujet des philosophes sceptiques de l’antiquité, ainsi que l’article sur le scepticisme philosophique. Wikipedia, à condition de savoir l’utiliser, c’est bien.
Les anglophones pourront consulter l’excellent site de l’Encyclopédie de philosophie de Stanford : http://plato.stanford.edu/index.html

Cet article est le développement de mon intervention dans l’émission Podcast Science 225. J’ai été invité suite à un autre article où il était question de génétique et d’homosexualité.

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Quid de la sexualité ?

Avant de voir de ce que la biologie a à dire de l’homosexualité, prenons un peu de temps pour parler de ce qu’on peut dire sur la sexualité en elle-même.

On prend la sexualité pour acquise, on la trouve banalement partout autour de nous dans la nature, et pourtant c’est un phénomène très étonnant si on y réfléchit bien. Les organismes vivants sont des réplicateurs. Ils sont le résultat de la compétition darwinienne de réplicateurs plus anciens, et cette réplication est rendue possible par la transmission d’une information, c’est le génome et la structure qui le code.

Pour se reproduire, les réplicateurs ont inventé le clonage, c’est de loin le mode le plus productif. Un individu en produit x qui eux-mêmes vont en produire x et cetera, et cetera. C’est donc important de savoir que la reproduction n’implique pas forcement le sexe. Alors dans ces conditions pourquoi un groupe comme les animaux a-t-il renoncé à la productivité écrasante du clonage pour faire du sexe ? La majorité des organismes actuels, en particulier les unicellulaires, se reproduisent la plupart du temps de manière asexuée. Même si beaucoup sont capables de faire du sexe, elles ne s’adonnent à cette activité que dans des conditions spéciales.

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Pourquoi une telle abstinence ?

Parce que c’est extrêmement couteux le sexe : il faut posséder une structure, un organe qui permette cette fonction, ainsi que les gènes qui régulent toutes les étapes de l’échange d’ADN. Chez certaines espèces, il faut passer du temps à trouver un partenaire, à le choisir soigneusement, parfois au prix de parades nuptiales très coûteuses en temps et en énergie. Le sexe, on le sait, est un vecteur de maladies, de parasitisme, il est donc un facteur de risque. Et puis quand on fait du sexe, on ne transmet que la moitié de ses gènes. Non seulement on fait moins de descendants, mais ils portent la moitié des gènes d’un autre !

Du point de vue purement égoïste d’un réplicateur (cf. Le gène égoïste de R. Dawkins) tout cela est exorbitant, surtout quand il faut apporter des soins parentaux. Mais surtout, l’usage du sexe a abouti à une invention hors de prix, une extravagance saugrenue, un accessoire encombrant : les mâles.

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Ce organe sexuel possède des parties femelles et des parties mâles.

Un mâle c’est un individu incapable de produire lui-même sa descendance. D’une certaine manière, il parasite le corps des femelles pour qu’elles répliquent à sa place la moitié de ses gènes. Pourquoi diable les femelles fabriquent-elles des fils ? On pourrait s’en passer ; songeons que les plantes ont une sexualité efficace qui ne fait intervenir quasiment que des individus hermaphrodites. Les mâles pur sucre sont plutôt rares dans le monde végétal. On pourrait presque se dire que l’existence des mâles est… contre-nature.

Sauf que, bien sûr, il y a une explication logique à tout ça. Le truc, c’est qu’on ne peut pas comprendre l’évolution si on se contente de raisonner à l’échelle des individus. L’échelle de l’évolution, c’est le pool génique, c’est la population dans laquelle s’effectue le brassage de toutes les formules génétiques entre lesquelles s’opère la sélection naturelle.

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Pour un tour d’horizon de la place du sexe dans le monde vivant, vous pouvez regarder cette conférence de Pierre-Henri Gouyon : https://www.youtube.com/watch?v=_ukNvDl1rj0

Vous pouvez également consulter cet autre épisode de podcast Science sur le sujet.

Pourquoi le sexe alors ?

Malgré ce que nous venons de dire, le succès évolutionnaire de la sexualité est criant : elle est présente presque toutes les espèces eucaryotes. Pierre-Henri Gouyon propose même de voir la sexualité comme ayant débuté avec la vie. Dès l’instant ou des structures réplicatrices ont commencé à échanger des bouts d’information, ces échanges répondent déjà à la définition de ce qu’est le sexe d’un point de vue évolutionnaire[1].

La reproduction sexuelle disparait parfois dans un lignage qui devient alors isolé de son espèce-mère, mais invariablement, ces lignages isolés finissent pas disparaitre. Cela illustre l’avantage à court terme de la reproduction asexuée (le clonage permet d’envahir une niche écologique), mais son désavantage à long terme. Qu’est-ce qui rend le sexe si avantageux pour permettre aux lignes qui le pratiquent d’être tellement plus compétitives que les autres ?

Pour le comprendre, considérons que les individus sont des sortes de tuyaux à travers lesquels passe un flux d’information génétique. Lorsqu’une population pratique le sexe, les gènes sont constamment brassés. À chaque génération la recombinaison chromosomique assure la production d’un maximum de compositions génétiques dans lesquelles les mutations aléatoires sont elles aussi distribuées. Les variants produisant des phénotypes peu adaptés sont éliminés par la sélection naturelle : la lignée peut donc être représentée comme un fin réseau ou les tuyauteries sont toutes reliées les unes aux autres : les gènes les plus avantageux vont donc avoir tendance à toujours rester présents et à diffuser très vite dans l’ensemble de l’espèce.

Quand le sexe disparait le brassage se réduit à peau de chagrin, avec seulement une recombinaison des allèles présents dans l’individu qui se reproduit isolément : la lignée asexuée pourrait être représentée comme un ensemble de tuyaux beaucoup moins réticulés. Dans ce groupe de tuyaux les gènes avantageux auront moins de chance de pouvoir se diffuser dans la population ; ils courent un risque accrus de disparaître malgré les avantages qu’ils représentent.

Or, on sait que lorsque l’environnement change (climat, maladies, espèces invasives et tous types d’évènements) la survie de l’espèce est toujours remise en question. Un tel changement modifie les pressions de sélection et une population aura d’autant plus de ressources pour s’adapter qu’elle possèdera une diversité de phénotypes associée à une plus grande richesse génétique. La faible variété génétique d’une lignée asexuée la rend inévitablement moins adaptable. Dans ce contexte, le sexe c’est la survie.

Le sexe a de gros avantages

— La vigueur hybride : deux copies du génome provenant de deux parents permettent d’assurer que chaque gène sera présent au moins une fois sous une version favorable. Ce mécanisme limite les effets délétères des mutations.

— En tant que mode de redistribution de la diversité, le sexe multiplie les formules génétiques, ce qui est particulièrement efficace pour faire face à des changements dans le milieu. ? D’ailleurs quand les organismes unicellulaires capables de choisir entre clonage et sexe sont placés dans des situations stressantes, eh bien ils optent pour le sexe, c’est la pédale d’accélérateur de l’évolution des lignées, celle qui leur permet d’avancer assez vite pour ne pas se faire rattraper par la sélection naturelle (cf théorie de la reine rouge).

— Le sexe permet de produire des cellules œuf qui sont bien souvent une forme de résistance. Ce phénomène est lié à celui cité précédemment, c’est un mécanisme fortement avantageux sur le long terme au pont de vue évolutionnaire, et cela explique que les lignées asexuées, privées de cette étape clef, aient du mal à perdurer.

[1] Sous la direction de Pierre-Henri Gouyon & Alexandrine Civard-Racinais, Aux Origines de la Sexualité, Fayard, 2009, Paris.

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Venons-en au sujet dont il était question dans l’émission Podcast Science.

Les questions qui se posent.

Le thème que l‘on m’a demandé de traiter est l’homosexualité du point de vue de la génétique. Existe-t-il, oui ou non, des déterminants génétiques à l’orientation sexuelle ?

Sur ce sujet il y a plusieurs questions qui se posent. Je vais en poser quatre, volontairement naïves.

1 — Y a-t-il un gène de l’homosexualité ?

2 — En dehors des gènes, qu’est-ce qui pourrait en être la cause ?

3 — Si c’est bien un gène, comment se maintient-il au fil des générations ?

4 — Si c’est un gène, encore une fois, doit-on craindre des idées eugénistes ?

Et on va voir que les éléments de réponse que l’on a à ces questions qui restent en partie à résoudre, sont des éléments qui répondent tout autant à l’énigme de l’existence de l’homosexualité qu’à celle du sexe en lui-même.

Question 1 : Y a-t-il un gène de l’homosexualité ?

C’est une question naïve, parce que personne ne se demande s’il existe un gène de l’hétérosexualité ou de la bisexualité. Et pourtant nos gènes étant la feuille de route à partir de laquelle s’échafaude notre corps dans lequel sont inscrits nos instincts, forcément il existe une population de gènes impliqués dans nos comportements sexués.

Les études scientifiques qui cherchent à comprendre comment la génétique influence la sexualité ont mis en évidence ces dernières décennies un certain nombre de loci sur le génome. Loci, c’est le pluriel de locus, et un locus c’est un endroit plus ou moins grand sur l’un de nos chromosomes. L’une des dernières études et la plus grande en nombre d’individus testés s’est intéressée au génome des hommes homosexuels chez lesquels on a retrouvé 8 loci, 8 endroits sur le génome qui sont fortement corrélés avec l’orientation sexuelle.

Ca veut donc dire que non, il n’y a pas 1 gène de l’homosexualité, mais oui, le terrain génétique a un rôle dans l’homosexualité. Corrélation ne voulant pas dire causalité, on ne sait pas encore dans le détail quelle chaine d’évènements relie à une extrémité le terrain génétique et à l’autre le comportement de l’individu

Question 2 : En dehors des gènes qu’est-ce qui pourrait être la cause de l’homosexualité ?

Le phénotype, c’est-à-dire l’ensemble des caractères visibles de l’organisme, est le résultat de l’interaction du génome avec son environnement, et donc l’homosexualité pourrait très bien être le résultat d’une influence environnementale au cours du développement.

Comme l’expliquait Irène dans l’épisode 185[1], les hormones et l’environnement maternel prénatal sont des suspects que la science surveille de près. Les hormones et l’environnement maternel prénatal pourraient jouer un rôle. On sait que l’ordre de naissance peut jouer un rôle. Les chances ou les risque d’être homosexuel pour un homme donné augmentent de 33% pour chaque frère plus âgé que lui né de la même mère. La différence se joue au niveau de l’environnement maternel, et sans doute en relation avec le système immunitaire de la mère (Blanchard 2001)[2]. Ce fait est d’ailleurs très intéressant parce que, sans surprise, on a montré que les mères des hommes homosexuels ont tendance à avoir plus d’enfants que les autres, mais c’est aussi le cas de leurs tantes[3]. Du coup l’hypothèse génétique est renforcée [4]. Et on en arrive à la dernière question et à la réponse la plus intéressante.

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C’est sans doute in utero que se jouent beaucoup de choses sur l’orientation sexuelle.

NB : Pardon si mes exemples concernent surtout l’homosexualité masculine, il semblerait qu’elle soit simplement plus facile à étudier. En effet, l’orientation sexuelle des femmes serait plus « fluide», plus liée à des déterminants sociaux que celle des hommes. On parle de plasticité érotique, et ce caractère n’est pas encore expliqué en regard de la théorie de l’évolution. http://www.livescience.com/33992-gay-women.html

Question 3 : Comment une formule génétique produisant un individu homosexuel peut-elle se fixer dans la population ?

Si les homos ne peuvent pas se reproduire, les gènes qui rendent ceux qui les portent homos devraient disparaitre, non ? Eh bien c’est là qu’il faut prendre du recul et cesser de penser à l’échelle des individus. En fait on sait théoriquement assez bien comment une telle chose est rendue possible par les mécanismes évolutionnaires. On observe dans la nature, chez plus de 1500 espèces à ce jour des comportements homosexuels. C’est donc un caractère qui est largement distribué chez les animaux. Pour expliquer cette large présence, nous avons deux possibilités : ou bien c’est une convergence évolutive et l’homosexualité est apparue séparément chez toutes ces espèces, ou bien c’est un trait ancestral qui s’est maintenu dans toutes ces lignées depuis plusieurs dizaines ou centaines de millions d’années.

Dans un cas comme dans l’autre on se retrouve devant l‘énigme d’un caractère qui rend de facto stérile et qui est pourtant conservé par l’évolution. C’est étonnant, mais pas tant que ça, et les fourmis ouvrières, ou bien les termites ou encore les abeilles pourraient nous dire que c’est un peu ce qu’elles vivent au quotidien : chacune d’entre elle est stérile, et pourtant leur espèce est florissante.

Caractère ancestral ou convergence évolutive, dans un cas comme dans l’autre on est en présence de ce que Maynard Smith appelait une Stratégie Evolutivement Stable, un équilibre dans la distribution des compositions génétiques au sein d’une population. Et l’équilibre est le suivant : si un ensemble de déterminants génétiques rendent des femmes plus fertiles, alors ces déterminants, disons des gènes pour aller vite, vont se fixer dans la population. Si ces versions de gènes, quand ils sont présents tous ensembles dans le corps d’un individu le rendent homosexuels, alors ils auront tendance à disparaitre. Et la proportion finale de ces gènes dans la population sera celle qui permet la maximisation de la transmission de ces gènes avec un taux suffisamment bas pour ne pas produire trop d’individus homo et suffisamment haut pour rendre les femelles plus fertiles. Quand on réfléchit à l’échelle des populations, des pools de gènes, on se rend compte que l’homosexualité telle qu’on la découvre à travers les travaux récents des biologistes, fait partie intégrante du fonctionnement naturel des lignées évolutives.

Question 4 : Doit-on craindre un eugénisme ?

Dans l’absolu, on peut imaginer que soient mis au point des tests qui permettent de dire aux parents si leur enfant est porteur des marqueurs génétiques corrélés à l’homosexualité. Et dans un monde ou l’homophobie est toujours tenace, cela laisse imaginer des cas d’interruption de grossesse en vue d’éviter de mettre au monde un petit homosexuel… Mais il y a plusieurs raisons pour penser que cela ne se produira pas.

— D’abord l’orientation sexuelle n’est pas binaire, et l’échelle de Kinsey (image ci-dessous) nous explique qu’il y a un continuum entre homo et hétéro en passant par cinquante nuances de gris… au moins.

— Ensuite on a vu que l’environnement prénatal avait une influence, et par conséquent le génome seul ne pourra sans doute jamais suffire à prédire l’orientation du futur adulte.

Cela fait deux bonnes raisons scientifiques de ne pas chercher à réaliser ce genre de test : ils seront inefficaces. Encore faut-il que les gens soient sensibles aux arguments scientifiques…

échelle de kinsey

— Il y a une troisième raison. Une raison éthique. Notre société devra décider tôt ou tard si les parents ont le droit de « choisir » les caractéristiques de leurs enfants comme un produit sur un catalogue de cuisine aménagée. Rationnellement on doit répondre non, pour tout un tas de raisons. Et j’aimerais citer encore une fois l’évolution, qui nous a appris que la meilleure des stratégies est toujours de laisser au maximum de formules génétiques la chance de faire leurs preuves au contact du monde.

C’est pourquoi une société dirigée par la raison et non par l’idéologie ne peut pas sombrer dans l’eugénisme… si elle est vraiment dirigée par la raison et non par l’idéologie. Et c’est pour cela qu’il faut laisser aux chercheurs la liberté d’étudier ces questions et de comprendre ce qui fait que nous sommes qui nous sommes.

L’homophobie n’est jamais le produit de la connaissance, elle est le produit de l’ignorance.

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[1] http://www.podcastscience.fm/dossiers/2014/02/12/le-sexe-et-l-evolution/

[2] Blanchard R. 2001. Fraternal Birth Order and the Maternal Immune Hypothesis of Male Homosexuality. Hormones and Behavior 40, 105–114. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0018506X01916812

[3] Iemmola F. & Ciani A.C. 2009. New Evidence of Genetic Factors Influencing Sexual Orientation in Men: Female Fecundity Increase in the Maternal Line. Archives of Sexual Behavior 38, 393-399. http://link.springer.com/article/10.1007/s10508-008-9381-6

[4] Une étude sur la drosophile qui vient de sortir montre un phénomène assez similaire à celui observé chez l’homme. Les lignées produisant des mâles avec des comportements homosexuels produisent également des femelles plus fertiles que les autres. http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/282/1809/20150429
Hoskins et al. 2015 A test of genetic models for the evolutionary maintenance of same-sex sexual behaviour

Le cerveau est-il « fait » pour qu’on pense avec ?

Nous avons tendance à le dire ainsi, mais il faut se méfier du langage, de ses limites et de qu’il nous force parfois à dire sur nous-mêmes. Le langage est un piètre outil pour la description du monde réel, mais il faut faire avec ou bien se tourner vers les maths…

En tant que produit de quelques milliards d’année d’évolution, le cerveau n’est pas différent des autres parties qui composent notre corps : il est un organe de survie. Ses caractères sont ceux qui ont été transmis au fil des générations car ils étaient compatibles avec la survie de nos ancêtres.

La rationalité, la philosophie, la cohérence, la capacité à nourrir des réflexions introspectives  aboutissant à des vérités sur le monde… tout cela n’est pas forcément une activité naturelle du cerveau. La preuve… ça le fatigue.

Le cerveau perçoit bien souvent des choses pourtant invisibles grâce à sa formidable capacité à produire des inférences aussitôt interprétées en une vision du monde ou de soi. C’est son côté obscur : les coulisses de son fonctionnement, ce qui échappe à notre perception de ce qui se passe dans notre propre esprit.

Pourquoi voit-on des formes dans les nuages, des visages dans les nœuds des arbres, des conspirations au coin de la rue et des miracles à tout bout de champ ?
Il est bien possible que cela soit la conséquence, le produit dérivé, d’une compétence cruciale pour l’Homo sapiens : sa théorie de l’esprit, qui est  la faculté de voir les états mentaux d’autrui (les sentiments, les désirs, les motivations) et donc de lire de l’intentionnalité partout. C’est juste plus fort que nous.

 

Cette conférence a été donnée lors de Geekopolis 2015 à Paris grâce à l’invitation des collectifs Conscience et Vidéosciences.

 

Le Néant sinon rien !

La question existentielle par excellence, que l’on doit à Leibniz, reste sans réponse pleinement satisfaisante. Mais il est bien possible que ce soit parce que la question est chargée du présupposé que le Rien serait nécessairement l’état initial, la valeur par défaut du cosmos, la référence naturelle[1]. Il semble logique de croire qu’au début tout était vide, c’est d’ailleurs une idée fortement imprégnée dans la culture judéo-chrétienne. La cosmogonie traditionnelle de notre culture fait émerger l’univers à partir du néant. Or, rien ne prouve que le néant soit le point de départ. Rien ne prouve que l’univers aurait pu ne pas exister. Et même si c’est contre-intuitif, parce que c’est contre-intuitif, ce simple fait permet de regarder la question sous un angle un peu nouveau.

« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

— On n’a aucune preuve que Rien puisse exister… »

 

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Un autre regard sur la question consiste à mettre le temps en perspective. Nous sommes 13,7 milliards d’années après le Big Bang, et l’univers, de jour en jour, se précipite vers une importante quantité de néant : l’expansion qui va en s’accélérant va isoler les galaxies puis les déchirer. Dans cent mille milliards d’années, toutes les étoiles se seront éteintes et les trous noirs auront commencé à s’évaporer. L’entropie maximale, l’état d’équilibre ultime sera atteint… et certains modèles prédisent qu’à partir de cet univers mort une fluctuation quantique pourra produire un nouveau Big Bang dans un temps presque infiniment long estimé à dix puissance dix puissance cinquante six années… Cela permet d’élaborer une réponse différente…

« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

— Parce qu’il suffit d’attendre : Rien arrive. »

 

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Le néant nous tend les bras.

 

La physique quantique, si exotique par certains aspects, mais toujours validée par l’expérience à ce jour, semble montrer que des particules apparaissent spontanément dans le vide quantique, pour disparaître aussitôt. Il y a certes un gouffre entre une particule et un univers, cependant dans le principe il n’y a pas entre les deux une différence de nature, mais une différence de degré : les données de la physique quantique ménagent une possibilité pour l’apparition spontanée de l’univers. Or, on dit souvent qu’en physique quantique tout ce qui n’est pas impossible se produit. La simple possibilité que l’univers puisse apparaître spontanément, même en admettant qu’elle soit infime, constitue donc une réponse quantique à la question de Leibniz.

« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

— Parce que Rien est instable.[2] »

 

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La fluctuation quantique

 

Les physiciens nous expliquent que la gravité a une énergie négative. Les modèles cosmologiques en vigueur montrent qu’à l’échelle de l’univers l’énergie négative de la gravité compense précisément l’énergie positive contenue dans la matière (la fameuse formule E=mc²), ce qui fait que la somme totale de l’énergie dans l’univers est égale à zéro. Et cela ressemble tellement à rien que la question de Leibniz semble d’un seul coup moins pertinente.

 « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

— Parce que ça ne fait aucune différence. »

 

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Néant vs multivers

 

Vouloir répondre à la question en invoquant Dieu n’est pas un moyen rationnel d’expliquer quoi que ce soit, car il nous resterait à expliquer l’existence de Dieu. Dieu n’est une cause sans cause que par la vertu de la définition qu’on veut en donner, or on a bien vu au sujet de la preuve ontologique que la définition que nous donnons aux concepts ne leur garantit jamais une quelconque réalité dans la nature.

 « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

— Parce que Dieu existe !

— Mais alors, pourquoi y a-t-il Dieu plutôt que rien ?

— Parce que c’est ce que j’ai décidé de croire. »

 

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Parce que !

Vous pouvez répéter la question ?

Nous n’avons pas la réponse à la question « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », mais cela ne signifie pas que la question soit pertinente. Nous n’avons pas non plus la réponse à  : « Pourquoi les licornes ne pondent-elles pas d’enclumes ? » qui est pourtant une question tout à fait compréhensible et syntaxiquement correcte.

Il semble nécessaire de questionner certaines questions pour sonder si elles reposent sur des éléments clairement définis à partir desquels élaborer une réponse de manière méthodique. Or nous ne disposons pas d’une définition clair du néant, nous ne sommes même pas certains que le néant tel que l’entend Leibniz dans sa question puisse avoir une réelle existence.

La zététique consiste aussi à douter de la pertinence des questions que l’on se pose et à rejeter celles qui contiennent en elles-mêmes des obstacles à leur élucidation. La question fondamentale de Leibniz est peut-être un cas d’école de ce genre de situation.

 

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[1] Oui, il y a un aspect « sophisme naturaliste » dans cette question.

[2] Déclaré par le prix Nobel de physique Frank Wilczek.

 

Pour aller un peu plus loin

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