Voici un court billet pour revenir sur la carrière scientifique d’Idriss Aberkane. Nous publierons bientôt un article qui décrypte l’art du storytelling, le vrai talent d’Aberkane. Mais avant cela il fallait que nous partagions avec vous une petite découverte.
Pour un historique des faits, revenir sur ce premier article et sur ce deuxième. Oui, il est navrant de s’attarder autant sur cette histoire, mais de toute évidence, les mensonges convainquent pas mal de gens…
Le 31 octobre, il publiait sur son site une réaction aux critiques et questions sur son CV et les nombreuses imprécisions ou soupçons d’imposture. Et dans ce texte, il y avait cette information :
« J’ai ensuite été invité en 2006 comme assistant de recherche rémunéré au département de psychologie expérimentale de l’Université de Cambridge, co-auteur final d’une publication en psychoacoustique. Je retournerai à Cambridge comme assistant de recherche en 2009, cette fois pour étudier des données de MagnétoEncéphaloGraphie (MEG). » Dominance region for pitch at low fundamental frequencies: Implications for pitch theories », Brian C.J. Moore, Brian Glasberg, Idriss Aberkane, Samantha Pinker, Candida Caldicot-Bull in The Journal of the Acoustical Society of America (Impact Factor: 5).01/2007.Cambridge »
Co-auteur final, un concept intéressant.
Habituellement, l’auteur final d’un article est celui dont le nom apparaît à la fin de la liste des auteurs (quand il y a au moins 3 auteurs) et c’est la place réservée au chef d’équipe. Le premier auteur réalise les travaux et rédige le papier ; le dernier auteur encadre et dirige ce travail, c’est en général la place d’un chercheur déjà avancé en carrière. Idriss Aberkane avait 21 ans en 2007 : difficile de croire qu’il ait dirigé cette recherche alors qu’il n’avait pas encore de doctorat.
Quand deux auteurs participent à part égale en tant que premier ou dernier auteur, par convention, cela est mentionné par un petit signe dans la liste des auteurs, juste sous le titre de l’article, renvoyant vers une annotation qui apporte cette précision. Pour le vérifier, procurons-nous l’article… Et là nous faisons une découverte que nous n’aurions pas fait n’eut été le mensonge manifeste sur la place de « co-auteur final » : cet article n’est pas un article !
Il s’agit d’un abstrat soumis à un congrès : PROGRAM ABSTRACTS OF THE 153RD MEETING OF THE ACOUSTICAL SOCIETY OF AMERICA », cf ce document, page 3091. La valeur scientifique de ce papier, le seul publié par Idriss Aberkane dans une revue internationale à comité de lecture, est donc celle d’un poster… ce qui dans les disciplines en question est proche de zéro. Il ne contient aucune référence, il est cité seulement 2 fois dans la littérature. On mesure le poids d’un article dans la communauté scientifique au nombre de fois où il est cité par les autres chercheurs. Un bon article a plusieurs dizaines de citations, un papier très important en a plusieurs centaines.
Il existe bien un article avec quasiment le même titre qui sortira un peu après[1]… Mais Idriss Aberkane n’apparait plus dans les auteurs ! Il n’a donc pas été jugé très important par les véritables auteurs de l’étude. On a en tout cas la preuve que son implication ne peut pas être celle d’un « co-auteur final ».
Idriss Aberkane a menti dans sa mise au point du 31 octobre. Ce mensonge contribue à aggraver le diagnostic sur son parcours. En réalité monsieur Aberkane ne comptabilise donc aucun article scientifique dans une revue spécialisée à comité de lecture. Comment savoir si ses propos ont un lien réel avec les disciplines scientifiques dont il se dit expert malgré tout ?
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2016/11/Pinochio-566x330-1728x800_c.jpg8001728Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2016-11-04 13:14:162022-08-01 10:15:34Idriss Aberkane a menti
Article écrit en collaboration avec Primum Non Nocere.
Buvez du jus de citron pour abaisser l’acidité de votre corps et vous débarrasser des maladies !
Ou alors… non !
On lit et on entend beaucoup de chose sur le web et dans des magazines dédiés à la santé. Beaucoup de ces médias s’émancipent de la méthode scientifique, jugée obtuse et technophile, conformiste et étriquée. On vous y propose des soins alternatifs et (évidemment) « naturels ». Il est tentant d’y croire, d’autant plus qu’on y croise lapalissades, sophismes, simplifications, bonnes intentions et beaux sentiments.
Parmi les évidences pseudo-profondes, on feint de nous dévoiler que l’alimentation est importante pour être et demeurer en bonne santé. En fait, bien sûr, personne n’a jamais dit le contraire, il y a même une discipline dédiée à la question : la nutrition. Mais une fois la chose dite, les promoteurs des « médecines » alternatives, hostiles à la médecine scientifique, en perpétuelle dénonciation d’un complot orchestré par Big Pharma, se mettent à inventer des théories de leur cru pour créer un cadre cognitif qui assure une meilleure captation des individus.
Oui, une alimentation équilibrée, c’est une bonne chose !
Le thème de l’équilibre acido-basique jouit ainsi d’un curieux succès. On le retrouve à toutes les sauces, y compris dans les propos deThierry Casasnovas. L’astuce consiste à dire aux gens qu’ils doivent faire attention à ce que leur organisme ne soit pas trop acide. En effet les protéines contribueraient à rendre notre corps plus acide, et il faudrait pour y remédier consommer des aliments qui vont alcaliniser le corps, par exemple le citron, en raison des minéraux qu’il contient. On retrouve cette idée que le citron a un pouvoir sur le pH de l’organisme sur beaucoup de pages du web. Quand on se permet d’en douter, les zélateurs nous parlent du citrate (qu’on retrouve dans le citron) et de son rôle dans la cellule, notamment dans certaines réactions acido-basiques. Et l’argument peut bien paraître solide, mais l’est-il réellement ?
Monsieur Primum Non Nocere
Primum Non Nocere, médecin de son état et vulgarisateur sur Youtube, nous a concocté une petite réponse à cette thèse, et cela commence avec quelques explications sur l’équilibre acido basique de notre corps.
« L’équilibre acido-basique dans le corps humain c’est pas juste compliqué, C’EST PUTAIN DE COMPLIQUÉ ! C’est pas juste, je rajoute de la base : c’est basique ; je rajoute de l’acide : c’est acide. C’est beaucoup plus complexe que ça.
Les minéraux n’ont juste aucun rôle dans l’équilibre acido-basique. Les minéraux sont des ions chargés positivement comme le calcium Ca2+ le potassium K+ le sodium Na+ ou négativement comme le Cl-. Le seul ion qui joue sur l’acidité, c’est l’ion H+, c’est même LA DÉFINITION de l’acidité (c’est le H dans pH = potentiel Hydrogène). Un acide, c’est quelque chose qui peut donner un ion H+ à une solution. Une base, c’est quelque chose qui peut prendre un ion H+ à une solution. Ensuite, les éléments que l’on ingère ne traversent pas tout seuls la membrane du tube digestif. Il faut des transporteurs, c’est pourquoi tout ce qu’on mange ne passe pas la barrière digestive (sinon on se ferait pas chier à perfuser les gens, on leur ferait avaler ce qu’on a besoin de faire entrer). Je ne connais pas, malgré toutes les recherches que j’ai faites sur le sujet et les gens que j’ai interrogés, de transporteur pour le citrate. Mais je sais que le citrate est produit dans l’organisme lors de la dégradation du glucose dans le cycle de Krebs à l’intérieur des cellules et qu’il est présent dans le sang à des doses extrêmement faibles, donc je vais considérer qu’il ne passe pas la barrière digestive. Mais on s’en fout un peu.
Et même s’il passe la barrière digestive, rien ne dit que le citrate joue un rôle dans le pH du corps humain. C’est là qu’on rentre dans la notion d’équilibre acido-basique. Le pH du corps humain DOIT être situé entre 7,38 et 7,42, ce qui est une toute petite fourchette. Inférieur à 7 ou supérieur à 7,8 c’est incompatible avec la vie. Le problème, c’est que rien n’est acide et que tout est acide. Un acide organique sera donneur ou capteur de proton en fonction du pH ambiant ; soit il donne un ion H+ et acidifie la solution, soit il le reprend et alcalinise la solution. C’est un équilibre délicat qui se fait dans un couple acide/base, et il doit respecter des règles précises. »
« Il y a pour chaque molécule une zone d’équilibre, une valeur de pH où elle passe de l’un à l’autre, de l’acide vers la base et inversement. C’est valable pour tout, le phosphate, le nitrate, le sulfate, bicarbonate ou le citrate. Sauf que le citrate sa zone de transition c’est entre 3 et 6,4 de pH pour faire simple. Or, pour jouer un rôle, il faut pouvoir passer de l’acide à la base dans une fourchette de pH des 7 à 7,8 mentionnée plus haut (le bicarbonate par exemple change entre 6,3 et 10,3 et le phosphate entre 2,1 et 12). Sinon, bah il ne peut rien échanger donc on il ne peut pas jouer un rôle.
Donc le citrate, dans le corps humain est essentiellement sous forme de base, a concentration faible et ne récupère donc quasiment jamais d’ion H+. Il n’aura donc, en dehors de situation pathologique, pas d’action sur le pH.
Même s’il est absorbé en grande quantité, il n’aura très probablement jamais aucun rôle. À part de se combiner avec un ion quelconque positif comme le Na+ ou le Ca2+pour donner du citrate de sodium ou de calcium, formes les plus classiques si je ne m’abuse.
Ce qui régule l’acidité du corps humain c’est le rein et le poumon. Le rein en éliminant ou en re-capturant les ions H+ ou HCO3- (bicarbonate), et le poumon en éliminant du CO2 (qui combiné avec de l’eau H20 donne un truc comme H20 + CO2 <=> HCO3- (bicarbonate) + H+ (acide)). Les sources les plus importantes d’acide dans le corps humain sont :
– les acides aminés (animales ET végétales), les acides gras, et leur produit de dégradation, les corps cétoniques, le CO2, l’acide lactique produit par les muscles. Et les bases plus puissantes sont : le phosphate, le bicarbonate, l’ammoniaque, et… les protéines ! Oui, à ces niveaux d’acidité qu’on trouve dans le corps humain, les protéines sont basiques et donc font baisser l’acidité.
Voilà pour une introduction hyper succincte de l’équilibre acido-basique. Pour aller plus loin, vous pouvez consulter les liens ci-dessous (mais c’est du costaud) :
Vous allez peut-être vous dire que je complique tout volontairement, que c’est du jargon et que c’est plus simple avec Thierry Casasnovas. Oui, c’est plus simple, mais c’est aussi faux. Le jus de citron n’a aucune influence sur l’équilibre acido-basique de l’organisme. »
Primum Non Nocere
Et l’indice PRAL alors ?
L’idée que les aliments ont un effet sur l’acidité du corps ne vient pas de nulle part. On la trouve sur d’innombrables blogs, dans des articles de naturopathie et autres pages d’obédience parascientifique, mais on échoue en général à trouver une référence sérieuse sur la question. Celui qui cherche une information de nature scientifique est systématiquement renvoyé vers l’indice PRAL. Intéressons-nous à cet indice qui a droit à sa page wikipédia. Elle est très succincte, mais finalement on y trouve exactement ce dont on a besoin, et notamment le lien vers l’article scientifique où cet indice est créé.
THOMAS REMER et FRIEDRICH MANZ, « Potential Renal Acid Load of Foods and its Influence on Urine pH », Journal of the American Dietetic Association, vol. 95, no 7, 1995, p. 791–797 (Cliquez pour le pdf)
L’article, cité plus de 400 fois, est tout à fait sérieux. Les auteurs partent du constat déjà connu d’un lien entre pH de l’urine et apparition de certaines pathologies (les calculs rénaux, notamment). Ils posent la question du lien possible entre le régime alimentaire et ce pH de l’urine. Dans leur étude, ils constituent donc deux groupes de sujets, et notamment des bodybuilders (forte absorption de protéines) qu’ils comparent à des lacto-végétariens. La prudence oblige à rappeler que l’étude ne porte que sur des hommes nord-américains (16-30 ans). Leur conclusion est la suivante : OUI certains aliments ont un effet sur le pH de l’urine. Je répète : de l’urine. Pas du corps, pas du sang, mais seulement de l’urine.
Le tableau page 793 montre que le jus de citron a un PRAL négatif (-2,5), donc alcalinisant sur les urines… mais 10 fois moins que le raisin (-21), moins que les épinards (-14) le haricot vert (-3,1) ou la pomme de terre (-4)… Mais gardez à l’esprit que PRAL signifie Potential Renal Acid Load (charge acide rénale potentielle), et il est donc hors de question de lier cet indice à l’acidité de l’ensemble du corps, pour des raisons données par Primum dans la première partie de cet article.
En conséquence les discours sur le pouvoir alcalinisant des fruits et légumes détournent profondément un fait avéré, l’effet de ces aliments sur le pH des urines, pour lui faire dire autre chose : un prétendu effet sur l’équilibre acido-basique du corps, avec derrière l’idée que ce paramètre aurait un effet sur la santé des individus. Nous sommes bel et bien en présence d’une foutaise, mais d’une foutaise bien dosée pour être crédible. Il serait donc inutile de traiter d’imbéciles ceux qui veulent y croire ; en revanche, il faut les informer. En partageant cet article par exemple.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2016/10/lemon-medicine-02.jpg290560Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2016-11-04 12:27:212016-11-04 12:27:21Citron, pH du corps et indice PRAL
Cet article est la quasi retranscription d’un travail de fact checking qui nous a été communiqué et que vous pouvez consulter ici.
Lorsqu’on se trouve face à un curriculum vitae dont le contenu est remis en cause par diverses personnes, la bonne réaction est de se donner les moyens de vérifier l’adéquation entre ce document et les faits tels qu’ils sont vérifiables auprès des sources les plus solides.
Il s’agit de s’intéresser purement aux faits pour tenter d’évaluer la crédibilité des éléments listés sur ce CV. Ce n’est pas le procès d’Idriss Aberkane, qui pourra d’ailleurs s’exprimer ici s’il désire répondre à l’analyse proposée, mais un exercice lié directement à l’esprit critique.
Il est tentant, lorsqu’une personne tient un discours qui résonne avec nos valeurs, de lui accorder du crédit, et de ne pas douter suffisamment de ce qu’il peut dire, ou des références dont il se réclame. Ceux qui sont intéressés par les sujets que traite Monsieur Aberkane ont raison d’être intéressés par ces sujets ! Mais leur devoir de vigilance reste entier. Tout comme il était du devoir des journalistes et de tous ceux qui ont mis Idriss Aberkane sur une scène ou un plateau de télévision de réaliser le travail de vérification ci-dessous.
Article du Monde en ligne qui brosse un portrait élogieux et sans aucun esprit critique sur Idriss Aberkane.
Dans le but d’être le plus complet et le plus objectif possible dans cet exercice, nous sommes ouverts à toutes les suggestions, critiques et remarques dûment sourcées.
Etudes et diplômes
Université Paris Sud
« DEUG, Biologie théorique, option Chimie, mention Très Bien.»
Non vérifié, mais il n’y a pas de raison d’en douter.
Entré en Biologie (Bio ’05)
Vrai. Pour être précis, il a été admis à préparer le diplôme de l’ENS (sur dossier), non sur concours.
L3, M1, M2, spécialisé en neurosciences cognitives:
Vrai et faux.
Il est vrai qu’il a eu une L3 en biologie, puis un M1 en sciences cognitives (Cogmaster), dans la filière neurosciences cognitives. En revanche il est faux qu’il ait obtenu un M2 de l’ENS, que ce soit en neurosciences cognitives (sur son CV) ou en Systems Biology (sur Linkedin).
À noter, son CV a maintenant été corrigé (version du 29/10/2016) et indique comme M2 le master AIV. Cette précision a le mérite d’être correcte, si ce n’est qu’elle est toujours placée fallacieusement sous la catégorie Ecole Normale Supérieure, alors qu’il s’agit d’un master de l’université Paris Diderot, qui n’est pas co-habilité par l’ENS. Aberkane continue donc à revendiquer à tort un diplôme de master de l’ENS.
Aberkane peut-il se dire normalien (comme n’hésitent pas à le présenter certains journalistes) ?
Le titre de normalien n’est pas réglementé, on ne peut donc se référer qu’à l’usage. L’usage en vigueur lors de la scolarité d’Aberkane (2005-2008) voulait qu’il soit réservé aux élèves issus du concours d’entrée. Depuis 2016, l’ENS de Paris a défini les « élèves normaliens» (admis sur concours) et les « normaliens étudiants » (admis sur dossier). Aberkane pourrait donc, à la rigueur, se définir de manière rétroactive comme « normalien étudiant ». En revanche l’usage n’établit pas clairement si la seule admission vaut titre de normalien, ou bien si celui-ci ne peut être acquis qu’à l’issue de l’obtention d’un diplôme (master, et/ou Diplôme de l’ENS, ce qui n’est pas le cas d’Aberkane).
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Cogmaster, coaccrédité avec l’ENS (dans son CV) : Vrai, faux et redondant.
Il est vrai qu’il a validé le M1 du Cogmaster, mais il s’agit de la même formation que celle citée sous l’entrée ENS (le master est co-habilité par l’ENS, l’EHESS, et l’université Paris Descartes). Elle n’a donc pas à constituer une ligne supplémentaire sur un CV. Et il reste bien sûr faux qu’il ait validé le M2 et obtenu le diplôme de ce master.
C’est maintenant corrigé dans la version du 29/10/2016 de son CV, avec la précision « M1 »
Docteur en Diplomatie et Noopolitique. Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques de Paris (2013).
Pas clair.
Le CEDS n’est pas habilité à délivrer le doctorat en France. Sa page web précise les conditions d’obtention d’un PhD en relations internationales et diplomatie. Le CEDS se dit accrédité par l’organisation britannique ASIC, ce qui semble être le cas, sans que le niveau du diplôme accrédité ne soit précisé. Bref, difficile de se faire une idée de la valeur de ce PhD. En tous cas un parchemin mentionnant PhD a été délivré.
De la thèse elle-même, Aberkane n’a mis en ligne que le résumé et la couverture. Elle n’apparaît dans aucune base de données en ligne. Le directeur de thèse Mahmoud M. Musa apparaît dans la liste des professeurs et conférenciers du CEDS, mais en dehors de cette page il est difficile à trouver. Le Centre Canadien d’Etudes Culturelles Comparatives dont il est censé être directeur académique ne semble pas avoir de page web. Mystère… Deuxième membre du jury affiché, Michael Strauss, apparaissant également dans la liste du CEDS comme journaliste et directeur de collection littéraire. Sur la base de ces informations, il est difficile de se faire une idée de sa compétence à siéger dans un jury de thèse de doctorat. Troisième et dernier membre du jury, Paul Bourgine, directeur de recherches au CNRS, le seul à avoir un statut universitaire clairement établi. En revanche, sa compétence sur le sujet de la thèse paraît moins évidente. Par ailleurs, trois membres pour un jury de thèse, c’est peu, a fortiori quand deux sur les trois sont internes à l’institution (la plupart des universités imposent un nombre ou une proportion minimale de membres extérieurs, pour assurer une évaluation un minimum indépendante).
Bref, s’il est probable (au regard des nombreux articles déjà écrits) qu’Aberkane ait pu soumettre le mémoire de 300 pages nécessaire pour soutenir une thèse selon les critères du CEDS, la réalité et la valeur du diplôme de PhD revendiqué restent incertaines.
Addendum. Nous avons reçu un message de l’Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur (Voir dans les commentaires de cet article.
« Pour information, le site theses.fr est un site ministériel qui recense l’ensemble des thèses de doctorat soutenues en France. Les données de theses.fr se veulent exhaustives, mais sont sous la responsabilité des établissements de soutenance. (…) La page de M. Aberkane signale deux thèses de doctorat : http://theses.fr/183588231, celle de 2014 (http://theses.fr/2014STRAC005) et celle de 2016 (http://www.theses.fr/2016SACLX005). La thèse de 2013 n’est donc pas une thèse de doctorat aux yeux de l’Etat français. Il existe néanmoins d’autres types de thèses, qui n’ont pas valeur de doctorat : thèse d’exercice pour les médecins, thèses de l’Ecole des chartes, thèses de doctorat « canonique » de l’Institut Catholique de Paris, etc. »
Docteur en Etudes méditerranéennes et Littérature comparée. Université de Strasbourg (2014).
Notons que l’on retrouve Paul Bourgine dans le jury, bien que sa compétence en littérature comparée ne soit pas plus attestée qu’en relations internationales. Le jury a été présidé par Pierre Collet, un professeur en informatique dont la compétence sur ce sujet est tout aussi mystérieuse.
Docteur bidisciplinaire en Neurosciences cognitives et Economie de la connaissance. Ecole Polytechnique Université Paris Saclay (2016).
Exact pour l’essentiel (source), même si ce doctorat avait été annoncé de manière anticipée bien avant sa soutenance (on en retrouve la trace par exemple ici). En revanche, le doctorat a été apparemment soutenu dans la discipline « Sciences de gestion », comme l’indique d’ailleurs le diplôme récemment mis en ligne sous la pression des contestations. La notion de doctorat bidisciplinaire est donc fantaisiste et le nom des disciplines citées correspond plus à une description par l’auteur du contenu de sa thèse que des disciplines officielles de cette école doctorale, qui d’ailleurs ne comporte ni l’une ni l’autre.
Cette fois Paul Bourgine est co-directeur de la thèse. On retrouve Pierre Collet dans le jury.
Parcours professionnel
Ambassadeur du Campus Numérique des Systèmes Complexes Unesco-Unitwin
Voilà un titre qu’il est intéressant.
Le Campus Numérique des Systèmes Complexes est un réseau universitaire international sponsorisé par l’Unesco via son programme Unitwin. Ce campus virtuel est porté par les universités de Strasbourg et du Havre. Si l’on cherche bien sur le site de Strasbourg, on trouve qu’Idriss Aberkane est l’un des participants à l’un des multiples projets décrits par le laboratoire strasbourgeois. Le campus numérique étant dirigé, pour la partie strasbourgeoise, par Pierre Collet, Anne Jeannin et Paul Bourgine. Qu’est-ce qui pourrait donner à Aberkane ce statut spécial d’Ambassadeur que n’ont pas les coordinateurs strasbourgeois ? Lui seul le sait.
De fait, si l’on cherche sur internet « Ambassadeur du Campus Numérique des Systèmes Complexes Unesco-Unitwin », on ne trouve que des pages concernant Idriss Aberkane. Il doit donc être le seul. Si l’on cherche « ambassadeur Unesco Unitwin », on trouve soit des pages consacrées à Aberkane, soit des pages de l’Unesco sans rapport avec lui (mais mentionnant de véritables ambassadeurs d’états). Il semble que les programmes Unesco-Unitwin (il y en a beaucoup) n’aient pas de personnes désignées comme ambassadeurs. On peut s’en convaincre en consultant la page d’accueil d’Unitwin et les documents qui y sont joints. Le mot d’ambassadeur n’y figure nulle part.
L’explication la plus plausible, c’est que ce titre d’ambassadeur d’un programme Unesco-Unitwin a dû être inventé par Idriss Aberkane, pour Idriss Aberkane, et pour lui seul.
Professeur d’Economie de la Connaissance et de Silicon Valley studies dans le MBA de la Mazars University USA (accrédité CLIP)
Quelle est donc cette grande et prestigieuse université américaine appelée Mazars University, dans laquelle Idriss Aberkane serait Professeur ?
Si l’on cherche sur internet, on ne trouve pas de Mazars University aux USA. On trouve Mazars qui est un groupe international d’audit. En creusant un peu on trouve une mention sur le site français et une mention sur le site néerlandais qui permettent de comprendre que ce qui se fait appeler Mazars University est en fait… le service de la formation continue du groupe Mazars. Cette entité organise des cours, des séminaires et des ateliers pour des cadres du groupe, ainsi que probablement aussi des prestations similaires pour les externes. Quant à l’accréditation CLIP, il s’agit visiblement d’une accréditation propre aux formations « corporate ». On est donc bien loin d’une véritable université. Le nom d’Idriss Aberkane n’apparaît sur aucun de ces sites, mais on peut néanmoins lui accorder qu’il a bien dû donner un ou plusieurs séminaires à des cadres de Mazars. Néanmoins, il n’y a là rien qui puisse justifier, de près ou de loin, le titre de professeur ni même d’ailleurs le nom d’université.
Au fait, c’est quoi, les « Silicon Valley studies » ? Quelque chose qui n’existe visiblement que dans le monde d’Idriss Aberkane.
Professeur chargé de cours en Géopolitique et Economie de la connaissance à l’Ecole Centrale Paris, dans le Master Spécialisé stratégie et développement des affaires internationales
Formulé tel quel, ça a été démenti par Centrale-Supélec, avec la précision toutefois qu’il enseigne dans un master spécialisé co-habilité par Centrale-Supélec (et l’EM Lyon). Il est donc chargé de cours, mais pas professeur (sous-entendu des universités, puisqu’il s’agit de l’enseignement supérieur).
Cela a été corrigé dans le CV du 29/10/2016, qui déclare maintenant « enseignant chargé de cours ».
Chercheur ou enseignant-chercheur à Polytechnique
Cette allégation n’apparaît plus telle quelle dans son CV (peut-être depuis que l’Ecole Polytechnique a publié un démenti sur Twitter), mais reste dans les présentations faites de lui par de nombreux journalistes et sur diverses vidéos (comme celle sur le biomimétisme).
Ayant effectué un doctorat dans un laboratoire de l’Ecole Polytechnique, il est correct de dire qu’il y a effectué des recherches. Dire qu’il y a été chercheur n’est pas littéralement faux, mais suggère un statut de chercheur qu’il n’a pas. Doctorant ou étudiant-chercheur serait plus juste.
Quant à être enseignant-chercheur, Aberkane ne l’est pas, comme l’a indiqué l’Ecole Polytechnique. Tout au plus a-t-il peut-être fait quelques séances de travaux dirigés pendant son doctorat.
Affiliate Scholar du Kozmetsky Global Collaboratory de l’Université de Stanford
Chercheur affilié à un laboratoire d’une prestigieuse université? Pas tout à fait. Ce Kozmetsky Global Collaboratory est plutôt un réseau et laboratoire virtuel en sciences sociales, formellement affilié à Stanford. On y trouve bien Idriss Aberkane dans la liste des membres (sous l’étiquette Centrale Paris !). Sans contester le rôle qu’Aberkane a pu jouer et joue peut-être encore au sein de ce réseau, c’est un rôle tout de même un peu différent que d’être chercheur affilié à un laboratoire de Stanford.
Co-fondateur et Président, Scanderia (Paris, Melbourne) société conceptrice et éditrice de jeux vidéo neuroergonomiques.
Idriss Aberkane a-t-il fondé et dirige-t-il l’Ubisoft du jeu sérieux (serious game) ? D’après son site, « Scanderia is the first company to develop brain ergonomic games » (rien que ça !). Peut-on voir un de ces jeux ? Visiblement, non. Le site paraît plutôt à l’abandon, n’ayant pas été mis à jour depuis août 2014. Seule une page pour les entreprises évoque quelque chose qui ressemble à un réel produit, qui est peut-être utilisé dans les multiples animations qu’Aberkane propose aux entreprises. À chacun d’apprécier l’ergonomie cérébrale unique au monde du produit présenté
.
Co-fondateur et Président, Eirin International SARL (Richard-Toll, Sénégal), microcrédit agricole à taux zéro.
Indécidable.
L’existence de cette société n’apparaît que sur les pages d’Idriss Aberkane ou celles qui parlent de lui comme l’atteste une recherche sur google.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2016/10/Resume-Fraud-Fake-CV-Biography-Lies-e1360062683745-Copie.jpg204423Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2016-10-30 15:44:022022-11-11 16:58:34Idriss Aberkane à l’épreuve des faits
Une petite polémique enfle sur les réseaux qui s’intéressent à la science et à la communication scientifique. C’est une parfaite occasion d’analyser le problème récurrent de la valeur que revêt la parole scientifique. Tout au long de cet article, je parlerai bien sûr d’un cas particulièrement frappant, mais sans perdre de vue qu’il n’est qu’un symptôme parmi d’autres et que son succès s’explique par de nombreux facteurs contextuels. L’exemple traité dans cet article n’est que l’un des produits d’un dysfonctionnement systémique. La malhonnêteté de l’individu, ingrédient indispensable, ne doit pas nous faire oublier tous les autres paramètres qui rendent cette histoire, au fond, tristement banale.
Le CV en ligne d’Idriss Aberkane (25/10/16)
Idriss Aberkane
Idriss Aberkane a 30 ans. Vous l’avez peut-être vu à la télévision « TF1 : Les extraordinaires, M6 : E=M6, Canal + : Le grand journal, France 4 : On n’est pas des pigeons, BFM TV, France 5 la quotidienne, France 2 télématin, », entendu à la radio « France inter, Europe 1, Atlantico, Radio 702 en Afrique du Sud » ou croisé en conférence puisqu’il a donné, notamment, 5 TEDx.
Ce « consultant international » a 3 doctorats (littérature, « neurosciences cognitives », « diplomatie »). Il est « professeur d’économie de la connaissance », « professeur à Centrale Supélec, chercheur à Polytechnique, chercheur affilié à Stanford », mais aussi « interne à Cambridge » et « éditorialiste au journal Le Point ». Il a fondé plusieurs sociétés (formation, jeux vidéos, microcrédit), dirigé « plus d’une vingtaine de thèses de Master » et donné à travers le monde « plus de 160 conférences sur quatre continents ». Il est l’auteur d’un livre à succès chez Robert Laffont et d’un certain nombre d’articles dans des revues sans comité de lecture.
C’est à peine croyable ! Mais tels sont les faits rapportés dans les présentations de ses interventions et sur le CV qu’il a publié sur son site web, et dont l’agencement ergonomique fait forte impression. C’est un CV époustouflant au premier abord. Lui-même ne s’y trompe pas qui se présente dans son profil twitter comme « Hyperdoctor » et « polymath », rien que ça.
Hyperdoctor et Polymath. (c’est très la modestie)
Vous ne trouverez pas ces informations sur Wikipédia, toutefois, car sa page a été supprimée le 11 novembre 2015. À cette occasion, il avait demandé à sa communauté d’agir pour défendre l’existence de cette page, ce qui implique qu’il validait son contenu et les concepts mis en avant. [Edit : la page Wikipédia d’Idriss Aberkane existe de nouveau].
Quand on se renseigne auprès des institutions mentionnées dans son CV ou sur sa page Wikipédia, on ne retrouve pas de confirmation des titres ou fonctions qu’il prétend avoir. Par exemple il n’est pas docteur en neurosciences, mais en gestion. Il n’a pas le titre de professeur comme il le laisse entendre, ni celui de journaliste qu’il utilise parfois.
De nos jours, la valeur d’une carrière scientifique se mesure notamment (et avant tout) par la qualité et la quantité des publications scientifiques. Dans beaucoup de disciplines, on ne peut soutenir une thèse sans avoir publié au moins, en tant que premier auteur, un article issu de ces travaux doctoraux dans une revue internationale à comité de lecture. On peut retrouver n’importe quel article scientifique en utilisant divers moteurs de recherche [Google Scholar est le plus simple], et constater qu’Idriss Aberkane a certes publié un certain nombre de résumés de conférences, mais qu’en termes de travaux de recherche, on ne trouve qu’un seul article datant de 2007, dont il n’est même pas premier auteur (c’est-à-dire qu’il n’a pas écrit l’article et qu’il a seulement participé aux travaux ayant produit les données sur lesquelles l’article se fonde). Le fonctionnement actuel de la publication scientifique est très loin d’être optimal, et des études de très mauvaise qualité sont publiées tous les jours. Pourtant Idriss Aberkane n’a rien publié en 9 ans.
Avec un seul article scientifique, et zéro en tant que premier auteur, on ne comprend plus les impressionnantes références susmentionnées, car on découvre que des 3 doctorats d’Idriss Aberkane, aucun article scientifique n’est sorti, ce qui a priori signe une mauvaise qualité de ces doctorats. Trois doctorats, l’un en « littérature », le deuxième en « sciences de la gestion », et le troisième en… rien qui soit reconnu par la communauté scientifique, donc sans lien avec les neurosciences. Cela ne cadre pas avec l’image d’excellence et d’expertise des sciences cognitives donnée au début de cet article. Avouez.
L’enquête sur twitter
Sur Twitter, plusieurs personnes ont mené l’enquête (@frestagn, @sacquin_mo, @b_abk6, @a_berut, @mrgxprz, @mixlamalice) et Mathieu Leocmach l’a résumée tel que ci-dessous.
Idriss Aberkane
– se présente comme professeur à Polytechnique, ce qu’a démenti officiellement l’institution. En fait il a été doctorant à Paris-Saclay, dans un laboratoire basé sur le campus de Polytechnique.
– se présente comme affilié au CNRS, ce que dément une recherche dans l’annuaire du CNRS qui pourtant comprend même les personnels des universités qui font leur recherche dans un labo où le CNRS a des billes.
– se présente comme enseignant-chercheur à Centrale Supélec alors que cette institution aussi l’a démenti officiellement. Il est en fait enseignant au MS Stratégie et développement d’affaires internationales de EM Lyon, co-accrédité par Centrale-Supelec https://t.co/ArJEXdPDBd
– se présente comme chercheur affilié à Stanford alors qu’il est « affiliate scholar » du Kozmetsky Global Collaboratory, qui est lui-même une organisation philanthropique affiliée à Stanford. Au final il n’est pas dans l’annuaire de Stanford.
– se présente comme « interne à l’université de Cambridge », c’est à dire qu’il a été stagiaire (« intern » en anglais) là-bas un été.
– se présente comme émissaire de l’UNESCO. Il est en fait Ambassadeur de UniTwin CS-DC, un organisme faisant le lien entre UNESCO et université dont font partie les directeurs de sa 2eme thèse.
– se présente comme Normalien, ce qui veut dire avoir réussi le concours d’entrée à l’école Normale Supérieure (concours d’entrée dans la fonction publique) et y avoir suivi ses études comme fonctionnaire stagiaire. Il y a bien suivi des études, mais en tant qu’auditeur admis sur dossier. Je connais des auditeurs des ENS très biens, c’est le plus petit abus de langage de la liste.
– dit avoir fait le « Cogmaster », le Master Recherche en Sciences Cognitives co-habilité entre autre par l’ENS de la rue d’Ulm. Il n’est pas recensé dans la liste des anciens élèves.
– se présente comme comme ayant 3 « PhD » dans des domaines très différents soutenus à un an d’intervalle. En anglais PhD veut dire doctorat et correspond à une thèse d’au moins 3 ans, mais le terme n’est pas légalement protégé en France. Le premier « PhD » a été obtenu auprès d’une institution non agrémentée par l’État. Elle demande des droits d’inscription très élevés (8 650 € par an pour s’inscrire puis 600€ de « droit de soutenance »). Je n’ai pas dit que ce diplôme bidon a été « acheté », mais bon, on sait tous ce que valent les écoles qui ont des pubs dans le métro.
– le second doctorat soutenu le 16-06-2014 en littérature comparée avec comme président du jury un prof d’informatique. En tant que physicien j’ai du mal à juger de la pertinence de la thèse, mais l’informaticien a dû avoir du mal aussi. Pourtant il a dû apprécier puisque lui comme plusieurs autres membres de ce jury se sont retrouvés dans le jury de son 3ème doctorat.
– Il n’a qu’une seule publication recensée et il s’agit d’un résumé pour une conférence quand il avait 21 ans et qui n’a pas donné lieu à un article ensuite. »
Ce décorticage du CV est très factuel, sans procès d’intention ni attaque ad hominem, et il n’offre pas beaucoup de lectures cohérentes en dehors d’un trucage délibéré visant à impressionner en donnant une image en total décalage avec les mérites de l’individu (qui au demeurant pourrait être compétent malgré tout, nous questionnerons cela ensuite). En l’état, on peut considérer qu’il s’agit d’une forme de fraude, d’imposture.
C’est pas grave, gonfler son CV tout le monde le fait, non ?
Non, tout le monde ne le fait pas (moi, je ne le fais pas, mes amis non plus). Et OUI c’est grave. Pourquoi ?
Un CV est la transcription codifiée du parcours personnel d’un individu. Chaque grand corps de métier a sa façon de présenter les expériences professionnelles accumulées. Dans le monde scientifique comme ailleurs les postes, les fonctions, les missions sont décrits de manière précise afin que le spécialiste n’ait qu’un œil à jeter au document pour se faire une idée fidèle de ce que la personne a fait et des compétences qu’elle possède. Un professionnel lisant le CV d’I. Aberkane, s’il ne se montrait pas suspicieux au vu des incohérences entre les postes revendiqués et les publications effectivement produites (et franchement peu de scientifiques aguerris se laisseraient berner), serait fortement induit en erreur, trompé sur le niveau de compétence en neurosciences du propriétaire de ce CV. Cela signifie que des personnes plus compétentes et pourvues de CV honnêtes seraient écartées au profit du fraudeur.
Il serait audacieux de chercher à justifier pareille tromperie et pareil préjudice potentiel au nom de l’idéologie ou du talent d’Aberkane, voici pourquoi.
La chose la plus importante pour un scientifique, mais aussi pour un vulgarisateur, c’est sa réputation. Le scientifique est la personne qui produit des données via des expériences ou des observations, en effectue une analyse dont il rend compte dans des articles de recherche évalués par d’autres scientifiques en vue de rejoindre la littérature et contribuer à l’état de l’art. Le vulgarisateur (ou popularisateur, ou médiateur, etc.) est celui qui réalise le travail d’explication des connaissances ainsi acquises et de leur élaboration.
On ne doit pas pouvoir croire que le scientifique ne fournit pas des données et des analyses exactes et honnêtes à la communauté, car sinon son travail perd toute valeur. Un scientifique doit tout faire, dans sa carrière, pour cultiver une réputation de parfaite probité intellectuelle. Il en va de même pour le vulgarisateur dont la tâche est d’être le sachant qui propose des explications simples à un public en partie profane. Le public n’est par définition pas formé, pas équipé, pas en position d’avoir un jugement « autorisé » sur le travail du scientifique ou du vulgarisateur. La production de connaissances dans le monde est telle que d’années en années les experts ne peuvent savoir qu’une partie de plus en plus réduite des connaissances totales de leur discipline. Ce qui est vrai des experts l’est encore plus des profanes. Le public doit donc faire confiance, faute d’être en mesure de savoir. La confiance que l’on peut avoir dans la parole du scientifique, de l’expert, ou du vulgarisateur équivaut à la valeur de cette parole.
Dans le monde scientifique, et a fortiori dans une économie de la connaissance dont I. Aberkane se prétend expert, il n’y a donc pire faute que celle de flagrant délit de manipulation. Ceux qui accordent du crédit à son discours devraient donc être les premiers à constater, à déplorer son total discrédit. Pourtant ce n’est pas ce à quoi nous assistons car beaucoup prennent déjà sa défense et vilipendent les critiques qu’ils jugent « jaloux » ou « conformistes » par opposition au fraudeur qui, lui, est brillant, hors des cases officielles, novateur, voire visionnaire, etc. Mais si le système académique est mauvais, pourquoi s’en réclamer ? Pourquoi s’affubler de références ronflantes ? Pourquoi tout miser sur l’apparence ?
Lu sur facebook :
« Arrêtez de faire vos sainte n’y touche pour un CV optimisé ! Tout le monde sait qu’aujourd’hui il faut optimiser son CV, même les formateurs en recherche d’emploi le disent (en off, mais ils le disent). Même les ministres le font, qu’est-ce que vous croyez ! Ils s’inventent même des diplômes qu’ils n’ont jamais obtenus, alors, voyez ? Naaaaan, faut pas sauter au porte chapeau pour si peu. On vit dans un monde où il faut se vendre, un monde où les apparences sont essentielles et où il faut se magnifier. Déconnez pas : adaptez-vous »
NB : l’auteur de ce commentaire m’informe qu’il était ironique. Sur les réseaux sociaux l’ironie est parfois indiscernable d’une vraie position extrême, et de vrais fans ont sur les réseaux des propos similaires, raison pour laquelle nous le laissons en place.
Pourquoi défend-on les baratineurs ?
La dissonance cognitive explique probablement au moins en partie ces réactions de rejet. Quand la personne suscite un intérêt enthousiaste, que les gens s’engagent publiquement en partageant ses statuts, ses contenus, en achetant ses livres, il se créée un lien dont le reniement n’est pas indolore. Les personnes qui apprécient le fautif peuvent être tentées de se réserver le droit de continuer à l’apprécier en rejetant les critiques, ce qui peut leur sembler un choix plus confortable que la remise en question de leur (mauvais) jugement.
Ajoutons tout de même que si le CV a joué un rôle dans l’accès d’Aberkane aux médias et au public, le public lui-même n’a pas forcément ressenti le CV comme un élément important du propos auquel il a adhéré. Démontrer la malhonnêteté de ce CV peut sembler impertinent aux yeux de ceux qui admirent le discours et qui ne voient aucune raison de le remettre en question, et ce en dépit du lien direct montré ci-avant entre la valeur de la parole et le niveau de confiance que mérite celui qui parle. Cela signifie que la parole en question est évaluée à l’aune de l’assentiment quelle inspire (y compris à des gens érudits et intelligents) plutôt qu’à celle de la véracité qu’elle peut légitimement revendiquer. Un phénomène similaire se produit autour du discours idéologique végan de Gary Yourofsky.
Les conférences d’Idriss Aberkane valent-elles quelque chose ?
Le plan de comm d’Idriss Aberkane, très efficace, est d’occuper le terrain, d’intervenir auprès des publics les plus prestigieux. C’est un homme intelligent qui a tout compris aux médias. Aux organisateurs de tels événements, il se présente avec cette signature en bas de ses email :
« Idriss J. Aberkane, Ph.D Ambassador of the CS-DC UNESCO-UniTwin Associate scholar – KGC Stanford University Research engineer in biomimical & cognitive engineering – Ecole Polytechnique Lecturer in the Knowledge Economy – Ecole Centrale Paris CEO – Scanderia SAS »
(Polytechnique est écrit dans une police plus grande)
Quand son interlocuteur lui demande s’il présentera des données, c’est-à-dire un travail de scientifique, sa réponse est étonnante et ressemble à : « c’est de la conférence certes scientifique mais « why-based » c’est à dire qu’elle s’intéresse au pourquoi des neurotechnologies. »
Ce surprenant principe de « why based » doit ici être entendu comme une opposition au format « evidence based » qui est celui de l’exercice de la science. Sans signifier que le contenu de la conférence soit nécessairement de mauvaise qualité, cela est toutefois suffisant pour constater que ce qui est présenté en conférence n’a pas de lien direct avec des faits, avec des données, et en premier lieu avec des travaux réalisés par le conférencier lui-même. Et, bien sûr, rien de tout cela n’a de lien avec ses diplômes. Or, s’il n’y a pas de lien entre le contenu et les références du curriculum vitae, il devient doublement indéfendable d’enjoliver ce CV.
Les conférences « why based » d’Idriss Aberkane ne sont pas des comptes-rendus d’activité scientifique, mais on aurait bien de la peine à pouvoir même les qualifier de vulgarisation scientifique (laquelle nécessite de remonter aux travaux et aux données ayant permis d’acquérir les connaissances vulgarisées). Il s’agit ni plus ni moins de storytelling, de raconter des histoires jalonnées d’un jargon inventif (« neurosagesse », « hyperécriture »), d’approximations et de péripéties captivantes mais sans lien avec un quelconque travail de recherche. Le monsieur est passé maître dans l’art de l’anecdote et de l’analogie, très efficace pour séduire un auditoire, mais pauvre en connaissance. C’est un travail de communicant qui utilise les codes des communicants afin d’abuser les communicants qui sont ceux qui lui ouvrent les portes de la visibilité et de la crédibilité par l’argument d’autorité que représente le simple fait d’avoir donné 5 conférences TEDx.
Détachons-nous à présent de ce qui a déclenché cette polémique : le CV trafiqué. Après tout l’important ce n’est pas le diplôme, mais l’intelligence, le talent, le travail et la connaissance partagée. Faisons donc une brève critique de sa conférence sur le biomimétisme, également critiquée dans ce court article.
Aberkane offre une lecture du biomimétisme idéologisée et défendue d’emblée par un pur sophisme qu’il répète à d’autres occasions : « toute révolution passe systématiquement pas trois étapes. D’abord c’est considéré comme ridicule. Ensuite c’est considéré comme dangereux. Enfin c’est considéré comme évident. » Cette prétendue loi générale est illustrée à plusieurs reprises, comme si une série d’exemples pouvait attester de l’universalité d’une telle règle. Le sous-texte est digne d’un grand communicant : si ce que je vous dis vous parait ridicule, c’est que j’ai raison.
Le développement de sa conférence mélange allègrement faits et opinions personnelles sans jamais les distinguer, ce qui est la marque de la très mauvaise vulgarisation ou de la très bonne manipulation.
« L’économie bleue », économie de la connaissance, telle qu’il la prône n’implique pas forcément comme il semble le laisser entendre la libre circulation des savoirs. Au contraire, puisque les exemples de sa conférence ont donné lieu à des brevets. Le propos d’Aberkane néglige complètement la question de la production des matériaux dont il parle, et il prétend qu’une croissance infinie est possible si elle est découplée de la production… sans se donner la peine de nous le démontrer. Il faudrait le croire.
Bien entendu, les problèmes ici soulevés n’invalident pas automatiquement toutes les idées proposées dans cette conférence. Et on peut défendre rationnellement les positionnements axiologiques de l’économie bleue : l’importance de la recherche fondamentale pour aider à exploiter de manière durable les ressources, en particulier les non-renouvelables. Seulement, avons-nous besoin que ce soit le talentueux mais frauduleux monsieur Aberkane qui nous le dise avec des belles histoires, du name dropping et zéro autorité scientifique ? Avons-nous envie que ces idées et ces valeurs soient associées à sa personne, qu’il en fasse commerce dans les librairies ?
Séduction et soupçons
Ces dernières semaines, la sonnette d’alarme a été tirée plusieurs fois. Dans un article du 6 septembre, un dénommé Thibaut nous parlait des « dangers de la poudre aux yeux »
«Idriss est le spécialiste du fait ou du chiffre invérifiable sur le moment, voire de la donnée dissoute dans un jargon scientifico-technique, mais sur lequel il s’appuie pour démontrer le reste de son discours.»
On apprenait aussi que les « très belles » équations présentées par M Aberkane dans ses conférences sont… de lui. Et qu’elles n’ont jamais été validées par le processus de la revue par les pairs. En d’autres termes c’est un prêche qu’il donne, alors même qu’il prétend distribuer de la connaissance (il le dit à de nombreuses reprises). Ces équations sont une invention d’Aberkane, une narration qui prend une forme mathématique sans qu’il y ait à cela aucune raison valable, si ce n’est l’effet d’intimidation par les maths qu’on retrouve chez des orateurs versés en pseudosciences. Car c’est là que le bât blesse, la méthode de M Aberkane n’a rien à envier à un Deepak Chopra, lui aussi scientifique de formation, et désormais chantre de la métaphysique la plus débridée et la plus lucrative de ces dernières années. L’image de la science donnée au public par Idriss Aberkane et ceux qui lui donnent la parole est trompeuse, elle accentue les risques pour le public de se faire amadouer par des discours tout aussi flous mais plus dangereux.
« Un homme c’est comme un fruit, soit tu le presses et tu as un jus, soit tu le plantes et tu as un arbre, choisis ton camp.»
Idriss Aberkane ou Deepak Chopra ?
L’article de Thibaut montre aussi la coloration politique très subjective imbriquée avec des concepts présentés comme des vérités générales. Là encore, ce n’est ni de la science ni de la vulgarisation scientifique fiable. Alors qu’est-ce donc que M Aberkane entend faire en se réclamant des exemples de Steve Jobs, Bill Gates et Jimmy Wales ?
La vraie question : comment est-ce possible ?
Peu importe qui est vraiment Idriss Aberkane, et ce qu’il a vraiment voulu faire en trichant. Il n’est pas pire qu’une moitié du duo Bogdanov, pas plus dangereux qu’un Professeur Joyeux, pas plus idéologique qu’un Lorant Deustch, pas plus surévalué qu’un Montagnier. Mais on doit se demander ce que signifie son succès pour tous les autres, les scientifiques et les médiateurs qui ne trichent pas sur leurs références.
« Il est entré dans l’écosystème par la mauvaise porte, et la vraie question qui se pose maintenant c’est celle de savoir si les « bonnes » portes existent pour permettre aux « bons » chercheurs de trouver leur audience et de transmettre leurs savoirs. » (source)
Ce qui est en cause c’est la médiocrité de la compréhension du monde scientifique par les médias qui se laissent abuser par de faux experts, voire en inventent eux-mêmes de toutes pièces pour les besoins d’un plateau, puis piochent sans relâche dans le même petit réservoir des « bons clients » au gré des sujets à traiter, en déconnexion quasi-totale avec le monde de la recherche.
Mais le monde académique a sa part de responsabilité en cultivant (peut-être malgré lui) une insularité qui a ses avantages en terme de confort de travail –surtout quand les impératifs de l’enseignement et de la bureaucratie dévorent déjà votre emploi du temps– mais qui ne rend pas service à ceux qui ne savent pas comment fonctionne la recherche et ont peu de chance de l’apprendre si personne ne le leur explique.
De toute évidence la plupart des gens, et peut-être les journalistes ne savent pas lire un CV de chercheur. Ils ne savent pas que « Professeur des Universités » est un grade, et qu’il ne suffit pas d’enseigner quelques heures à l’université pour le posséder. Ils ne savent sans doute pas ce qu’est un « chargé de recherche », un « doctorant », un Impact Factor, un consensus scientifique, ni qu’une publication dans Le Point n’a pas le même poids qu’un article dans, au hasard parmi mille et mille revues, Advances in experimental social psychology ou Photochemistry and photobiology. (Cf : La Publication Scientifique, TenL#61)
Et puisqu’ils ne savent pas tout cela, ils ne peuvent pas faire le choix éclairé d’écouter une personne plutôt qu’une autre quand elle se réclame du monde scientifique.
Lu sur facebook
« Moi je dis encore MIEUX si vous avez pas de diplômes !! L’essentiel c’est le savoir pas le CV !! 😛 »
« En tout cas peut importe ce qu’on dit, l’interêt qu’on porte à ses diplomes démontre la sacro sainteté qu’on accorde à des institutions préstigieuses au dépit de l’évaluation des idées …il aurait été docteur de l’université de dunkerque il aurait eut moins de capacités ou moins de légitimité? Cest etonnant de voir ce qu’une personne critique justement se produire…en tout cas ça ferait un bon sujet: le ralentissement du partage de connaissances par le devoir de prouver de manière erronée la légitimité de celles ci. »
Qu’est-ce qu’on fait mal ?
On doit se demander la part de responsabilité des uns et des autres. Les stars des pseudosciences (synergologie, homéopathie, archéomanie, etc.) sont évidemment coupables des fraudes, trucages et autres libertés prises avec le réel, mais leurs succès indéniables auprès des médias sont imputables aux défauts d’un système médiatique qui ne sait pas distinguer un scientifique sérieux d’un habile marchand d’histoires. Et la perpétuation de ces trajectoires médiatiques n’est possible que grâce au laisser-faire d’un monde académique qui ne réagit pas à l’usurpation des titres pour lesquels beaucoup de gens honnêtes et talentueux travaillent dur des années durant.
L’image fausse de la science véhiculée par ces personnages médiatiques dont la parole est sans lien avec le vrai corpus de la science ni avec la méthodologie indispensable à la validation des connaissances a des répercussions, et peut-être est-elle en partie à blâmer pour la défiance du public envers la science, les technologies, le progrès…
Dans l’attente d’un fonctionnement systémique plus vertueux où l’audacieux fraudeur n’est pas mieux récompensé que le travailleur scrupuleux, nous n’avons qu’une trousse à outil à notre disposition pour éviter d’accepter erronément pour vraies ou fausses les choses qu’on nous dit, celle de l’esprit critique.
[ À la fin de cet article vous trouverez la réponse de la synergologie et notre retour]
La synergologie se définit comme une discipline scientifique du non-verbale [1], capable de décrypter vos pensées à travers vos mouvements corporels [2-4]. Elle se décrit aussi comme répondant au critère de réfutation de Popper, essentiel à l’établissement de toute discipline scientifique [1].
Cependant, depuis plusieurs années la synergologie a fait l’objet de nombreuses critiques [5-7]. Peu de retours aux critiques avaient été fournies par son fondateur et à ce jour, la seule et unique réponse de la synergologie aura été la mise en demeure d’un journal canadien pour n’avoir pas fait état, selon les synergologues, de l’ensemble des connaissances de la synergologie. Le contenu de cette mise en demeure visait à apporter des preuves du sérieux de la synergologie, ainsi que les sources indispensables à l’élaboration des connaissances synergologiques [8]. Certains chercheurs sceptiques se sont alors interrogés quant au crédit qu’apportaient les-dites sources à la synergologie.
Malheureusement, l’analyse des références ne fut semble-t-il pas aussi prometteuse qu’annoncé. D’abord publiée sur un blog [9] puis dans un article scientifique [6], l’analyse des références fournies montrait que la synergologie était comparé à la phrénologie. Une comparaison peu méliorative quand on sait que la phrénologie entendait classer les gens en fonction de leur forme de crâne ( voleur, assassin, etc …) ce qui engendra un échec total et l’abandon de la discipline au 19ème siècle. Les autres références ne permettent pas plus d’asseoir la validité des propos de la synergologie, puisqu’elles concernaient par exemple des travaux artistiques, des textes ne traitant pas de synergologie, ou des ouvrages ne testant pas les hypothèses de manière à les réfuter, comme le voudraient les principes scientifiques que défend la synergologie elle-même.
Suite à ces publications, la synergologie a été retirée de la liste des formations permanentes du barreau du Québec, dans la discrétion et sans que les raisons n’en soient communiquées. Cependant, le fait que les formations de synergologie restent ouvertes à des domaines très importants comme le droit ou la santé nous semble problématique. Cela nous apparaît d’autant plus capital si l’on considère les conséquences possibles : une mauvaise appréciation de la crédibilité d’un justiciable ou d’une victime [10] ou un mauvais diagnostic psychologique [11].
Dans cette optique, nous avons déposé deux demandes publiques à M. Turchet lors d’une conférence au jour du 29 septembre 2016. La première concernait une demande d’expérimentation afin de tester les compétences synergologiques à décrypter le non-verbal. La seconde était une invitation à un débat public. La demande d’expérimentation a été rejetée par M. Turchet mais reste ouverte à tout synergologue qui souhaiterait participer. La seconde demande a, quant à elle, reçu une réponse orale favorable. Nous espérons qu’elle se confirme dans l’avenir, et que le débat puisse avoir lieu dans les meilleures conditions.
Nicolas Rochat
Doctorant en psychologie sociale et cognitive. Laboratoire Parisien de Psychologie Sociale (EA 4386). Laboratoire Cognition Humaine et Artificielle (EA 4004)
Frédéric Tomas
Linguiste. Doctorant en psychologie sociale et cognitive. Laboratoire Parisien de Psychologie Sociale (EA 4386). Laboratoire Cognition Humaine et Artificielle (EA 4004).
La synergologie en la personne de Eve Herrscher (Directrice de l’Institut Européen de synergologie) à formuler une réponse ici. Nous précisons, que malheureusement Frédéric Tomas n’était pas présent à cette conférence nous ne savons donc pas qui somnolait et se taisait lors de cette conférence.
Bunard, S. Leurs gestes disent tout haut ce qu’ils pensent tout bas First, 2014
Gagnon, C. & Martineau, C.scientifique paralléle inc. null, Q. L. S. (Ed.) Voir mentir: un guide pratique répertoriant des outils importants sur la détection du mensonge 2009
Turchet, P. Le langage universel du corps L’Homme, 2009
Lardellier, P. Pour en finir avec la “synergologie”. Une analyse critique d’une pseudoscience du “décodage du non-verbal” Information médias théories pratiques, 2008, 197-223
Denault, V.; Larivée, S.; Plouffe, D. & Plusquellec, P. La synergologie, une lecture pseudoscientifique du langage corporel Revue de psychoéducation, 2015, 43, 427-457
Axelrad, B. Quand le corps dit tout haut ce que l’esprit pense tout bas – Afis – Association française pour l’information scientifique Science & pseudo-sciences, 2015
Köhnken, G. Social psychology and the law. Applied social psychology, Sage Publications, Inc, 1996, 257 – 281
Lilienfeld SO, Ammirati R, David M. Distinguishing science from pseudoscience in school psychology: Science and scientific thinking as safeguards against human error. Journal of School Psychology. 2012 Feb 29;50(1):7-36.
Chère Mme Herrscher, Nous sommes très heureux de vous lire et de vous voir vous exprimer. En tant que directrice de l’Institut Européen de synergologie, et formatrice, nous ne pouvons que considérer l’importance de vos propos. Notre message initial avait pour but d’éclaircir les raisons des demandes de débat et d’expérimentation. Nous sommes restés factuels au possible, en ne parlant pas des personnes mais des faits. Si, à tout hasard des erreurs se sont glissées à certain endroits, n’hésitez pas à nous les indiquer et à fournir les documents qui en attestent. Cela étant, plusieurs propos que vous tenez nous étonnent. À titre personnel, j’étais présent à cette dernière conférence, effectivement. En revanche, Frédéric Tomas n’a pu être présent. Je ne comprends pas qui vous décrivez comme tacite et somnolent. Dans le même ordre d’idées, si vous pouviez préciser qui était les “4 pourfendeurs principaux”, cela nous permettrait de les identifier également. Cependant, nous souhaiterions établir avec vous un cadre de définition concernant nos interventions qui, apparemment, vous dérangent : le simple fait de poser une simple question semble inacceptable, au même titre que le mutisme notre collègue absent durant la réunion. Vous admettrez, en tant que communicante et psychologue, que cette position est paradoxale.
Je passerai les attaques personnelles émises sur les différentes personnes, mais ferai remarquer une chose : avez-vous jamais noté chez nous une attaque sur la qualité de votre personne ou sur celle d’autres synergologues? Au contraire, nous avons été des plus courtois, ne nous abaissant jamais à dénigrer autrui. J’ai donc du mal à comprendre votre attitude, votre réaction et le fiel de votre plume. Bien entendu, vous pouvez parfaitement nous prouver le contraire en nous apportant des citations ou des preuves d’échanges qui se sont déroulés de la sorte. Pourtant, de mémoire, nous n’avons jamais attribué à un synergologue quelque comportement pathologique que ce soit. Je me garderai toujours de ce genre de raccourcis faciles, vu que je pratique la psychologie, et que ces pratiques seraient contraires au code de déontologie de la profession, et à ma morale. Nous comptons continuer à rester courtois afin que ce débat se fasse, sans la moindre tension, puisque cela semble être un objectif commun. Enfin, je vous rassure : il n’y aura pas de retour en arrière, malgré votre réponse. Quant à nos motivations, vous les connaissez. Vous les avez citées : “« si l’on considère les conséquences possibles : une mauvaise appréciation de la crédibilité d’un justiciable ou d’une victime ou un mauvais diagnostic psychologique »”. Mais vous avez oublié d’y mettre les références attachées. Pour le reste, nous ne savons pas de quoi vous parlez quand vous mentionnez “chasse gardée”. Nous travaillons pour l’état et l’accès à nos cours est accessible pour une somme modique (voire gratuitement). Lorsque nous faisons des interventions extérieures, la seule chose payée est le billet de train et parfois l’hébergement. Autant dire que nous travaillons gratuitement et qu’il est extrêmement facile de savoir combien nous gagnons. Organiser un débat avec la synergologie ne nous fera pas gagner plus d’argent, d’autant plus que nous ne vendons pas de formation de notre côté. De même je ne vois absolument pas quel pouvoir nous pourrions acquérir par cela. Devrons-nous vraiment répondre à ce type de questions lors du débat annoncé, à des affirmations sans preuve, ou des caricatures de nous-mêmes ?
Il me semble que se défendre de la sorte, en prétendant que nous serions intéressés par l’argent ou tout autre retombée serait déraisonnable. Cela ferait un bien mauvais angle d’attaque. Devrais-je m’abaisser à vous attribuer des raisons invisibles et improuvables sous prétexte que la synergologie (une marque déposée) vende des conférences, des formations ou des interventions dans les entreprises et donc des enjeux financiers ? À mon sens, cela dénoterait un manque crucial de sérieux dans les arguments présentés. Au contraire, nous trouvons bien plus intéressant de nous positionner sur les faits et les écrits afin d’élever le débat.
*
* *
*
Revenons sur des choses qui nous semblent bien plus pertinentes et importantes. Commençons par les principes de réfutabilité et de scientificité. Si je puis me permettre et si vous regardez les sources que nous avons fournies, le site de l’Institut de synergologie affirme que vous respectez ces deux principes. Vous noterez que nous sommes d’accord avec vous sur l’utilisation de ce principe dans le domaine des sciences. À ce sujet donc, aucun débat, à moins que vous n’entendiez vous en détacher ou défendre un autre point de vue. Je ne me rappelle pas avoir entendu dire, ni de ma part, ni de celle de mes collègues, qu’il s’agisse du seul principe scientifique, donc vous êtes libre de défendre le principe qui vous semble le plus pertinent. Cependant, nous ne comprenons pas pourquoi en faire un procès d’intention quand nous reprenons les éléments de philosophie des sciences que vous défendez vous-mêmes. En revanche, la grille de code peut être l’objet de débat, mais pas sur l’aspect que vous soulevez. Comme les références que nous avons transmises l’indiquent (Denault, Larivée, Plouffe, & Plusquellec, 2015), le problème ne se situe pas au niveau de sa création. Il est très appréciable d’avoir une grille de codage afin de savoir très exactement à quoi l’on fait référence, comme Ekman l’avait fait avec le FACS. D’ailleurs, des scientifiques se sont penchés sur le sujet, et ont produit le BACS [1], qui, elle, a été validée et publiée. Votre grille n’est donc pas unique comme vous devez le savoir. D’ailleurs, celle-ci, aussi pratique soit-elle, soulève des questions pour lesquelles les réponses ne nous sont pas disponibles :
Y a-t-il un fort degré d’accord de codage (je ne parle pas d’interprétation, notez bien) lorsque plusieurs synergologues codent une même vidéo ? Ceci me semble être un point primordial, et fondamental à toute science faisant usage d’outils de codage [2-4].
Cette grille (ou certains de ses éléments) permettent-ils de faire des prédiction plus ou moins fiables, et dans quelle mesure ? J’ai cru comprendre que la synergologie tient pour fiable un item qui est présent dans 80% des cas. [5]
Nous aimerions pouvoir tester cette assertion sur un élément particulier (à convenir) car cela serait, me semble-t-il, assez extraordinaire de découvrir une pareille corrélation entre gestuelle et états mentaux. Imaginez une précision de 80% sur un état mental : c’est une découverte hors-norme qui mériterait les plus grandes revues. Aucun doute à ce sujet : Nature ou Science est à portée de mains. Le problème, et je pense que c’est la plus grande question de méthodologie qui a toujours été posée de manière récurrente à la synergologie, est le suivant : comment attestez-vous de ces états mentaux? Peu de chances que sur une vidéo, vous puissiez dire cela. Auquel cas, il faudra déjà démontrer qu’il existe une telle possibilité, puis établir des corrélations avec l’apparition de certains éléments de votre grille de codage. La fiabilité, c’est important en science si on veut démontrer un phénomène. En revanche, je suis loin d’être d’accord avec cette idée que les sciences humaines ne peuvent pas expérimenter et les faits semblent me donner raison. Prenons par exemple l’archéologie : vous dites qu’il n’est pas possible d’expérimenter. Pourtant il existe un champ appelé “archéologie expérimentale”, où l’on teste littéralement les hypothèses des chercheurs. De même, si nous nous attachons à la publication de M. Turchet dans la revue Langage,lui-même fait état de plusieurs publications expérimentales dans le domaine de la psychologie et du non-verbal. Je vous donne juste un exemple : il cite Kimura. Dire que les sciences humaines ne peuvent pas être testées ou expérimenteés est largement faux. Vous êtes psychologue : aucun doute que vous avez déjà lu une revue scientifique en psychologie, et peut-être même plus précisément sur le non-verbal. Dans ce cas, si même Ekman (un des plus éminent chercheur en psychologie au monde) arrive à se conformer à la méthode expérimentale, je ne vois pas ce qui retiendrait la synergologie. Si cette méthodologie n’a pas empêché Ekman de travailler pendant plus de 50 ans sur les émotions, je ne comprends pas bien les facteurs qui expliquent le refus d’expérimentation en synergologie. Pourquoi dire, en sachant parfaitement que cela est possible et a déjà été fait, qu’il n’est pas possible d’expérimenter en sciences humaines alors que c’est déjà le cas depuis plus de 50 ans ? M. Turchet lui-même en mentionne dans sa publication. Les publications d’expérimentation en psychologie et dans le non-verbal se comptent par milliers et sont autant de contre-exemples. Nous sommes à votre disposition afin de vous en fournir autant que vous le désirerez.
De plus, vous affirmez : “Quant au mauvais diagnostic psychologique, Messieurs Tomas et Rochat seraient-ils en mesure de me citer une seule discipline scientifique capable de l’éviter ?”. Avons-nous jamais mentionné que nous demandions un fiabilité de 100% sans aucune erreur possible ? Il ne me semble pas mais vous pouvez me corriger en me citant. Je trouverais très inconvenant de vous imposer l’application de critère que nous n’appliquons pas nous-mêmes. Pourriez-vous nous dire où nous avons exigé de telles choses ? Par contre, vous admettrez qu’un taux de diagnostic supérieur au facteur chance serait très apprécié. Une preuve méthodologiquement correcte avec une capacité statistique supérieure au facteur chance est toujours la bienvenue.
*
* *
*
Concernant la méthode de questionnement synergologique, il en est fait mention pendant les conférences, mais uniquement mention. Le dernier livre de M. Turchet n’en parle pas plus que ça, de même que tous les ouvrages en synergologie. Les titres des livres (comme leur contenu) ne semblent pas aborder la méthode de questionnement, mais davantage le décryptage du non-verbal : “Leurs gestes disent tout haut ce qu’ils pensent tout bas” ou encore “Voir mentir: un guide pratique répertoriant des outils importants sur la détection du mensonge“ pour ne citer que ceux-ci. Vous admettrez que cela prête à confusion. M. Turchet parle lui-même de décrypter le langage corporel dans ses conférences (les deux auxquelles j’ai assistées). Prétendre que la synergologie ne s’occupe pas du décryptage du non-verbal me semble assez inexacte. J’en veux pour preuve ce live-tweet situé chronologiquement après votre décalaration ( https://twitter.com/SynergoOfficiel/status/785199722818666496 ) Aucune mention de cette méthode de questionnement. Nous sommes conscients qu’elle est présente dans vos discours, mais absente des écrits. Dans tous les cas, les méthodes d’entretiens peuvent aussi être sujettes à publication et évaluation. À ce jours et à notre connaissance, aucun écrit accessible sur le sujet n’existe concernant la synergologie. Nous ne savons pas non plus si la synergologie fait des recherches sur cette méthode. Celle-ci reste donc un point d’interrogation pour les scientifiques profanes que nous sommes. N’hésitez pas à nous transmettre les écrits que nous aurions pu manquer.
En outre, je ne sais pas si la synergologie est dogmatique. Certains le pensent. Cependant, les écrits de la validation des items en synergologie sont inaccessibles (comme la méthode dont vous nous parlez). Pourquoi ne pas les rendre disponibles? Cela résoudrait peut-être quelques questions. Ce n’est pas faute d’avoir déjà demandé, et d’avoir essayé de consulter précisément ce que vous appelez “vos postulats” et “vos cadres théoriques”. Peut-on réellement nous reprocher de ne pas vouloir nous intéresser à un sujet, alors que c’est vous qui possédez les moyens de publier ces informations ? De ce fait, nous avons accès à l’ensemble des publications et livres publics, que nous avons lus dans leur intégralité. Est-il donc raisonnable de dire que nous ne connaissons rien, alors que nous pouvons en restituer le contenu clairement, et les référencer parfaitement ?
Je ne sais pas si nous sommes, en revanche, dogmatiques, car toutes nos publications sont disponibles sur internet. Je veux bien admettre que je ne tiens pas les miennes à jour, mais de là à parler de publications inexistantes, c’est largement faux. Pourquoi dire cela, si vous attachez tant d’importance à l’idée de la publication ? N’est-ce pas nous faire un faux procès ? Nous tenons d’ailleurs nos écrits à votre disposition et espérons les mêmes attentions de votre part. Pour finir, nous sommes très heureux que M. Turchet ait publié après 30 ans de recherche un article qui se veut être ce que la synergologie offre de mieux et cite de manière récurrente. Je pense personnellement avoir des questions sur cet article et une demande de clarification de certains points. Je les réserve pour le débat. Si toutes vos recherches pouvaient être aussi accessibles à la lecture que ce document, alors nous pourrions discuter de points méthodologiques précis. En revanche, je serais très heureux de lire la référence “Préalables épistémologiques à une théorisation du langage corporel” annoncée déjà en 2013 dans l’article de M. Turchet. Elle n’est toujours pas publiée, ce qui rend en difficile pour tout le monde la lecture et la vérification des sources. Je serais ravi de lire votre version, tout comme j’ai lu assidûment les autres écrits synergologiques, afin d’éclaircir certains points. Je souhaite exprimer une dernière interrogation que mes collègues et moi partageons : les synergologues semblent attacher beaucoup d’importance à leur méthode de questionnement. Cependant, nous lisons peu d’écrits, voire aucun, concernant ladite méthode. Pourtant, le sujet revient à chaque fois dans la conversation dès que l’on parle des méthodes de validation de tel ou tel état mental. Or, la méthode de questionnement et l’attribution d’états mentaux aux gestes sont deux points méthodologiques qui se doivent d’être distingués. En effet, lier les gestes et les états mentaux consiste à établir un caractère prédictif : statistiquement, tel(s) geste(s) est (sont) généralement présent(s) lors de tel état mental. En revanche, la méthode d’entretien entend plus précisément nouer une relation de communication et de questionnement, visant à questionner des états mentaux en fonction de gestes qui seraient fiables. Nous ne comprenons pas pourquoi la méthode de questionnement revient à chaque intervention de M. Turchet, alors que les synergologues utilisent des vidéos et ne mentionnent jamais cette méthode pour valider des état mentaux [5-6].
Vous avez émis une invitation à participer à quelques journées de formation (https://menace-theoriste.fr/la-synergologie-et-la-science/#comment-2050). Pour ma part je serais ravi d’y assister, afin que l’on puisse répondre à quelques questions pointues si le contenu de la formation venait à m’interpeller. De plus, concernant la demande d’expérimentation, comme précisé dans la lettre, nous avons explicitement parlé de co-construction afin de satisfaire les contraintes scientifiques et synergologiques. La demande, bien que refusée par M. Turchet, semble plus que raisonnable, et reste ouverte à tous ceux qui le souhaitent.
*
* *
*
Pour résumer les questions ou les éléments qui ont pu être soulevés dans cette réponse :
Pourquoi ne pas nous citez dans le texte plutôt que de nous prêter des propos que nous ne tenons pas?
Pourquoi prétendre que l’expérimentation n’est pas possible alors qu’elle a cours dans les sciences humaines depuis des décennies ?
Pourquoi dire que nous n’avons jamais rien publié, alors que ce n’est pas vrai ?
Pourriez-vous rendre publics les écrits des synergologues lors de la validation de leur ”titre”, afin que nous puissions voir les méthodologies de questionnement et de validation synergologiques ? Nous souhaitons observer les taux de diagnostic, même s’ils ne sont pas parfaits.
Pourriez-vous publier les vidéos des deux dernières conférences (l’“anti-conférence” et “la synergologique face aux pseudo-sciences”), afin que nous ne puissions pas déformer les propos de chacun, que tout le monde puisse se faire un avis, et que nous puissions discuter cordialement de ce qui a pu être dit lors de celles-ci ?
Pourquoi prétendre que la synergologie n’est pas du décryptage de geste alors même qu’au moment où j’écris ces mots, l’on peut suivre un décryptage des gestes de Mme Clinton et M. Trump sur Internet en live ? (cf. : https://twitter.com/SynergoOfficiel/status/785199722818666496)
Pourriez-vous nous fournir la version pré-publication du chapitre de livre “Préalables épistémologiques à une théorisation du langage corporel” afin que nous puissions lire cette référence qui est donnée depuis 2013 mais toujours indisponible ?
Bien cordialement,
Nicolas Rochat
Références :
Huis, E. M. (2014). The Body Action Coding System II: muscle activations during the perception and expression of emotion. Frontiers in Behavioral Neuroscience, 8.
Umesh, U. N.; Peterson, R.A.; Sauber M. H. (1989). « Interjudge agreement and the maximum value of kappa. ». Educational and Psychological Measurement. 49: 835–850. doi:10.1177/001316448904900407.
Viera, Anthony J.; Garrett, Joanne M. (2005). « Understanding interobserver agreement: the kappa statistic ». Family Medicine. 37 (5): 360–363.
Hallgren, K. A. (2012). Computing inter-rater reliability for observational data: an overview and tutorial. Tutorials in quantitative methods for psychology, 8(1), 23.
Mireault, C. (18 mai 2014). Comprendre le non verbal dans la communication interview de Christine Gagnon, Hebdo Rive Nord
Pilon, M.C. (01 novembre 2013). Gagner sa vie grâce aux non-dits interview de Annabelle Boyer. Valleyfield Express
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2016/10/Synergologie-Copie.png419996Nicolas Rochathttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngNicolas Rochat2016-10-06 14:40:392016-10-11 18:05:33La synergologie et la science
Après les films, les conférences, les interviews, les multiples occasions où Grimault s’est répandu en insultes envers les uns et les autres, où les erreurs et les mensonges ont été relevés par blogueurs et vidéastes arrive ce qui devait arriver, dans la plus totale absence de surprise : le clash Grimault/Pouillard.
Dimanche 11 septembre, tout s’écroule. JG envoie un courrier au réalisateur, qui va mettre le feu aux poudres. On assiste alors à des « révélations » qui ne surprendront que ceux qui n’ont pas prêté attention aux écrits des sceptiques ces 4 dernières années.
Lundi 12, Patrice Pouillard passe en direct chez Bob vous dit la Vérité, émission où le duo a ses habitudes. On y apprend que depuis 2 mois, JG ne répond plus à PP, que le travail de ce dernier est empêché, il y a du clash dans l’air, les accusations sont feutrées, mais le divorce est consommé.
Sur les réseaux, JG parle aussitôt de coup monté, se pose en victime, comme d’habitude, prétend qu’il ne savait rien. On apprend que c’est faux le vendredi 17 quand apparait une vidéo sur la chaîne de Patrice Pouillard. A l’écran, Adrien Moisson, producteur du film LRDP2 en préparation, livre quelques informations. D’emblée, il annonce qu’il « sait des choses qu’il ne peut pas dire ». Il va quand même en dire pas mal.
Il sort de l’hôpital où il a passé un court séjour « à cause de Jacques » et il regrette que celui-ci ait publiquement parlé de sa santé, déclarant qu’il souffrait « d’un ulcère et d’un décollement de la plèvre », ce qui en plus de ne pas respecter l’intimité de la personne… est faux.
On apprend que le scénario de Jacques est « trop faible » pour le film. Celui-ci se fera, mais grâce à d’autres chercheurs, ce que JG ne supporte pas. Il veut que ce soit SON film, que tout gravite autour de lui. PP n’est pas assez stupide pour s’y risquer. Dans LRDP il a donné à JG un rôle discret qui a évité que le turbulent personnage ne gâche la carrière de son film.
« Ce qui va suivre, c’est assez sale » nous prévient Adrien Moisson.
« JG voulait un clash, il avait déjà contacté une équipe de professionnels pour remplacer Patrice » et son producteur. La fin du travail d’équipe est donc une décision délibérée de l’informateur qui exige que ses acolytes signent un contrat cadre surréaliste « Le document d’un roi à ses esclaves »
La clause de tranquillité (sic) annonce que « personne ne s’autorisera la moindre crise, en public ou en privé (type colère, bouderie, atermoiement, remise en cause de personnes à travers telle ou telle action ou propos) » sous peine « d’éviction définitive et sans appel ». En clair, JG exige une totale soumission et l’absence totale de questionnement sur les informations qu’il veut faire passer dans le film. On est évidemment loin de l’idée d’une démarche honnête et des « vérifications » que JG prétend attendre de ceux qui l’écoutent. Où est la didactique ? Où est l’honnêteté ?
Quand Patrice passe chez Bob, Grimault est au courant et il refuse systématiquement tous les efforts de conciliation. Pourquoi diable l’informateur ne cherche-t-il pas à préserver l’équipe qui travaille sur le film tant attendu par les fans qui ont déboursé 190.000€ sur Ulule (plus les livres, les livrets, les conférences, les DVD…) ? L’explication la plus simple est qu’il se trouve acculé à devoir assumer la nullité de sa démarche, la vacuité de ses découvertes et finalement l’escroquerie intellectuelle que représente tout son travail. Comme avec ses éditeurs et des producteurs précédents, il croit s’en sortir en provoquant le conflit afin de mieux accuser ses anciens complices d’être décidément super malhonnête, c’est pas de chance. Il doit se réfugier dans son rôle favori du savant avant-gardiste harcelé par les trolls, trahi par les traître, jalousé par les jaloux et cetera.
Sur les réseaux sociaux, Grimault agit avec sa délicatesse et son doigté habituels. Il dénonce en Pouillard : « un traître, menteur, abuseur, détourneur et manipulateur » et prétend posséder lui des qualités morales et professionnelles supérieures et cetera.
« Jacques aime le conflit, il aime le combat. Ce n’est pas un sage. (…) C’est un gourou. » explique Adrien Moisson.
« Je ne rentrerai pas dans les choses personnelles, mais j’en sais beaucoup et c’est pas très propre. »
« Jacques est malheureusement un menteur, même en conférence. (…) Des erreurs dans ses confs, il y en a des dizaines. Et après il dit qu’il vérifie tout. Après chaque conférence je faisais le point avec lui, mais il n’écoute rien. En fait Jacques (…) lit très vite, il retient tout, mais il vole à droite et à gauche. (…) il devient affabulateur. La conférence sur l’ile de Pâques a été volée sur un blog de Graham Hancock qui date de 2002. »
L’accusation de plagiat est caractérisée. C’est répréhensible. Souvenez-vous que la thèse de l »équateur Penché, elle-même se retrouve chez Jim Alison. Nous avions déjà soupçonné un vol pur et simple, des soupçons qui sont clairement renforcés.
« Les calculs sur les pyramides sont volés sur les revues Atlantis » (nous le disions dans notre article sur les origines de LRDP)
« Il a escroqué Trédaniel avec son livre. Il a pris 3000€ mais n’a jamais remis le Manuscrit. »
Nous le disions dans l’émission live du 5 février, il y a SEPT MOIS. J’en ai personnellement parlé à Pouillard lors d’un entretien skype AVANT cette émission. A cette époque, peut-être pour préserver la poule aux œufs d’or, PP m’affirmait avoir tout vérifié, avoir confiance dans le travail et le sérieux de Jacques. Visiblement la vérité était ailleurs.
« Même chose pour « top secret » pour un hors-série spécial Pyramides. Il prend 3000€ et remet un manuscrit qui est une copie d’un livre existant et pas écrit par lui. »
« Il dit qu’il n’a pas d’argent Pourtant il a gagné plus de 16000€ en vendant des livrets qui sont des photocopies pendant les conférences. »
« Je ne vais pas rentrer sur l’argent, parce qu’au niveau de Jacques, c’est assez sale. Sachez que tout est fait en cash. J’en dirais pas plus. Il y a d’autres choses qui ne sont pas bien à livrer au public. »
« On vient de découvrir tout ça »
« On vient de découvrir tout ça » nous dit le pauvre Adrien Moisson, très éprouvé par toute cette histoire.
C’est là où il faut tout de même rappeler que ces informations, nous les donnions, et avec les formes, depuis pas mal de temps. Et d’autres avant nous avaient déjà livré leur analyse du travail du monsieur. Les collaborateurs de Grimault ont seulement voulu ignorer les preuves, les indices, les avertissements et les appels à plus de méthode. Ils ont voulu croire malgré tout. Ils ont voulu faire croire, colporter. Ils ont défendu l’idée mainte fois répétée que LRDP2 contenait encore plus de révélations que le premier. Et maintenant ils retournent leur veste. Grimault n’a jamais été crédible pour qui met en pratique les règles élémentaires de la pensée critique. Que ceux qui maintenant veulent suivre Pouillard dans son parcours personnel vers la « science des Anciens » ne l’oublient pas.
Merci à Gollum Illuminati de nous avoir fourni les captures de FB !
Les spécialistes et les experts vont défiler devant sa caméra tandis que Grimault s’époumonera que tout le monde est nul sauf lui. Avec de la chance cette opposition mettra au grand jour les agissements illégaux des uns et/ou des autres et une entreprise à caractère sectaire trouvera ici la fin de sa trajectoire. Une trajectoire heureusement plus ridicule que tragique. Néanmoins, rien n’est joué, et la crédulité encouragée par ces gens peut encore faire du mal à ceux qui ne sont coupables que de vouloir des explications plus romantiques, plus fertiles en rêves que ce qu’ils trouvent dans le monde réel, faute de savoir s’émerveiller de la réalité que la science nous dévoile toujours un peu plus.
« Certains disent que je fais de la manipulation, mais c’est pas vrai, moi, ce que je fais, c’est enlever cette barrière mentale qui vous dit « Attention, on vous raconte n’importe quoi ! » » Patrice Pouillard, chez Bob Vous dit la Verité, 12 septembre 2016.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2016/09/Soccer_Fight.jpg312600Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2016-09-17 22:32:502016-09-28 14:54:36On s’étripe chez les Pyramidologues.
Merci à Marc Peltzer pour ses suggestions et pour la documentation sur laquelle se fonde en grande partie cet article.
Comment distinguer le faux du vrai ? Comment savoir quelle partie de l’histoire du monde racontée dans les ouvrages est digne de confiance ? La question est difficile, et la réponse appelle à beaucoup de subtilités, de nuances, et aussi à beaucoup de rigueur dans la méthode employée pour établir la vraisemblance d’une information. Parce que la science c’est compliqué, et parce que l’histoire, pratiquée dans les règles de la méthode hypothético-déductive, en respectant le principe de parcimonie et celui de la réfutabilité des hypothèses, c’est de la science.
Malheureusement, certains ont dans la tête de jolis scénarios qu’ils s’emploient à démontrer avec toutes les apparences d’une maîtrise des disciplines afférentes à l’Histoire ; ceux-là font de la pseudoscience. Les récentistes sont une catégorie de pseudo-historiens tout à fait cocasses.
Savez-vous ce qu’il s’est passé entre le 4 et le 15 octobre 1582 ?
Rien. Absolument, rigoureusement rien. Ces jours n’ont pas existé. On passe du jeudi 4 au vendredi 15 octobre dans le calendrier grégorien pour rattraper le retard du calendrier julien. On a donc retiré dix jours du calendrier sans que personne ne s’en offusque, sans que vous vous en soyez rendu compte, vous-même. Pourquoi n’aurait-on pas pu en retirer davantage… ou en ajouter ? Eh oui, car selon certaines thèses, ce n’est pas 10 jours qu’il manque à l’histoire, mais plusieurs siècles qu’elle a en trop !
C’est le récentisme.
L’histoire telle que nous la connaissons est une construction intellectuelle, une reconstitution des événements du passé, de leurs causes et de leurs conséquences. Personne aujourd’hui n’a été témoin du siège d’Alésia ou de la prise de la Bastille. À partir de ce constat, on peut choisir de croire que tout ou partie de ce que nous savons sur l’Histoire, est en fait une fiction (Cf. l’éditorial de l’émission : Science, Pyramides et Pipeau.)
On trouve cette lecture hypercritiquede la chronologie un peu partout, et notamment en France avec Jean Hardouin au 17e siècle pour qui la plupart des œuvres antiques étaient des faux inventés par des moines bénédictins. Hardouin a promis de révéler le nom des moines et leurs motivations dans un document à n’ouvrir qu’après sa mort, mais un tel document ne fut pas retrouvé, ce qui laisse évidemment toute la place nécessaire aux interprétations conspirationnistes[1].
On parle de récentisme ou de la théorie du temps ajouté, et elle existe en plusieurs parfums en fonction de ce que le pseudo-théoricien voudra mettre en valeur. On évoque des doublons historiques ; pour inventer les siècles manquant, on aurait recopié des siècles existant… parfois plusieurs fois. Ainsi pour certains l’histoire communément admise serait fausse aux ¾.
Cette image n’a rien à voir. C’est donc la preuve que le récentisme est vrai.
Un délire nationaliste.
La thèse récentiste a été popularisée par Anatoli Fomenko, un mathématicien russe. Il se fonde sur les travaux de Nikolaï Morozov. Tous les deux ont publié ensemble, mais sans susciter une réponse très chaleureuse de la communauté scientifique. Pour les savants, cette thèse ne tient simplement pas debout. Qu’à cela ne tienne, Fomenko abandonne alors l’idée de publier ses travaux dans des revues scientifiques et sort plutôt des livres. Et là, c’est le succès en librairie !
Que dit la thèse récentiste version Fomenko ?
La chronologie actuellement admise serait une vaste invention des jésuites aux 17-18e siècles. Pour Fomenko, le plus célèbre des récentistes, il est absurde au plus haut point que la civilisation russe ait émergé si tard, près de mille ans après les grandes civilisations méditerranéennes. Pour nier ce qu’il semble vivre comme un insupportable affront, il affirme qu’avant la Russie, rien n’existait.
L’histoire du monde commence aux alentours de l’an 800. La vierge était Russe, le Christ aussi… (même si Jésus serait sans doute, en réalité, le pape Grégoire VII Hildebrand). Il a été crucifié en 1086 (ou en 1183) à Constantinople qui est la vraie Jérusalem. La Jérusalem actuelle n’est qu’une invention du 18e siècle construite dans le désert pour les besoins de la « chronologie officielle ». Par ailleurs Jules César est une projection d’Otton III, et Charlemagne n’a jamais existé. Sachez également que l’Illiade d’Homère ne raconte pas la Guerre de Troie, mais les Croisades.
Gengis Khan est en fait le roi russe Youri III, il soumet les peuples européens, il fonde la papauté à Rome, et ses troupes continuent… Alexandre le Grand, chef de la horde cosaque, fonde l’Islam et le califat à Bagdad, il y a moins de 500 ans. La horde continue, traverse la Chine et fonde l’ordre des samouraïs au Japon (originaires de la ville russe de Samsara ?), puis traverse le détroit de Béring et fonde les civilisations Maya et Aztèque. Les Pyramides de Gizeh sont les tombeaux de Youri-Gengis Khan et ses fils. Elles datent du 14e siècle. Après la dislocation du grand empire russe, les ex-vassaux auraient fait inventer les langues européennes afin d’affirmer l’indépendance de leurs territoires. Même le grec et le latin seraient plus récents que la langue d’origine : le russe. Et toutes les religions du monde dériveraient de la religion originelle : le christianisme orthodoxe.
Otton III, le véritable César. (Puisqu’on vous le dit !)
Selon certaines versions, la peste de Justinien (530-590) et la grande Peste Noire (1348) sont un seul et même événement qu’on aurait dédoublé pour masquer le cataclysme d’origine cosmique responsable de la chute de Rome (cf Mondes en Collision de Velikovsky).
Comment peut-on croire à de telles… histoires ?
La question se pose, et la réponse n’est pas : par stupidité. Une explication aussi simple est démentie par Garry Kasparov, ancien champion du monde d’échecs, qui adhère (au moins un peu) à cette thèse. Il faut donc se retenir de traiter d’imbéciles ceux qui croient à des thèses objectivement ineptes.
C’est qui le champion ?!
Un grand flou
Les récentistes sont flous. Le nombre d’années à retirer va de 300 (année 614 à 911, pour des théoriciens allemands) à plus de 1000. Certains parlent d’un cataclysme mondial (comme Velikovsky), d’autres n’en parlent pas. Il y a comme un manque de méthode, et en tout cas une absence d’homogénéité et de consensus. Et ça ne plaide pas en faveur de leur thèse
Immanuel Velikovsky (1895-1979) est un pseudo-historien et psychanalyste russe. Il défend l’idée que le passé de la Terre est rempli de catastrophes astronomiques. Vénus aurait émergé de Jupiter sous forme de comète (oui, comme dans la mythologie) et son passage près de la Terre aurait fait basculer son axe de rotation 1450 ans avant notre ère, causant l’ouverture de la mer rouge. Un peu plus tard la planète a retrouvé son axe, mais Mars a également fait des siennes ensuite. Par de semblables phénomènes, Velikovsky pense ainsi pouvoir expliquer le déluge, la Tour de Babel, Sodome et Gomorrhe, etc. Devant les démentis formels des modèles astronomiques à ce scénario, Velikovsky a inventé l’idée que des forces électromagnétiques pouvaient affecter les orbites planétaires. (extrait de : https://menace-theoriste.fr/lrdp-origines/)
Ce grand flou où les thèses se multiplient et ne se ressemblent que dans le rejet de la thèse dite « officielle » (ou scaligerienne), est peut-être dû à l’amateurisme des défenseurs de ces thèses, et à leur manque de méthode. Les théoriciens les plus célèbres, Fomenko et Nosovski sont respectivement mathématicien et physicien, et ils fondent leur découverte sur ce qui leur semble des incongruités mathématiques dans les datations. Rien ne les qualifie en archéologie, en histoire ou en linguistique, disciplines dans lesquelles ils n’ont aucunement fait leurs preuves, et dont ils bafouent complètement l’état des connaissances actuelles dans un parfait Syndrome de Galilée.
Qui sont les autres experts du récentisme ?
Uwe Topper : artiste sans formation scientifique. Eugen Gabowitsch : mathématicien. Heribert Illig, auteur et éditeur… continuateur des thèses de Velikovsky. Velikovsky : psychiatre et écrivain. Gunnar Heinsohn : sociologue et économiste. Pierre Dortiguier : professeur de philosophie. François de Sarre : zoologiste (et défenseur de la théorie pseudoscientifique dite de la bipédie initiale). Emilio Spedicato : mathématicien. Hans-Joachim Zillmer : géologue, partisan d’un raccourcissement… des ères géologiques ! Christoph Marx : il semble être le seul historien à partager l’idée d’un temps ajouté. Laurent Villaverde : se présente comme un archéologue, notamment, sur Meta TV, mais on ne retrouve son nom sur aucune publication scientifique.
Nul consensus n’existe entre ces gens qui considèrent comme véridiques des époques différentes. Aucun n’a publié une véritable étude scientifique à l’appui de ses thèses. Pour voir l’ampleur de la réécriture défendue par le récentisme, évoquons Uwe Topper, pour qui la vraie histoire ne remonte pas avant 1400… Et selon lequel le mur du Mont Sainte-Odile en Alsace (le « mur des païens ») était destiné à protéger les habitants des attaques… de dinosaures.
Pour ajouter au flou général, le Mouvement Matricien a sa propre version du récentisme, totalement inversée avec les thèses citées plus haut. Tout ce qui est authentique chez Fomenko est fictif pour les Matriciens, et inversement. Ce que l’un tient pour une invention est la véritable histoire pour les autres.
« La « Nouvelle Chronologie Patricienne » défend l’hypothèse que 1000 ans fictifs furent inventés entre la conversion de l’empereur Constantin, et la dernière croisade, soit l’âge d’or chrétien médiéval ; et ce afin de cacher la vraie cause de la décadence de Rome, un retour à une société matriarcale, sur le modèle de la plèbe, des étrusques, des crétois, ou de la civilisation égyptienne… dotée d’un clergé féminin et d’une royauté matrilinéaire, sous la protection d’Isis. » (extrait du site du mouvement matricien vers lequel je choisis de n’ajouter aucun lien)
On constate que la méthode utilisée par les récentistes leur permet de conclure une chose et son exact contraire ; cela pour la bonne raison que le récentisme est par essence irréfutable, car il consiste à douter de manière catégorique et excessive de tout ce qui tend à prouver qu’il est faux. Position intenable dans une véritable pratique de la science.
Une fois que le récentiste a constaté qu’il lui semblait y avoir des périodes historiques fictives, il lui reste à expliquer comment cela s’est produit. Certains évoquent bien sûr un complot (impliquant des jésuites ou des bénédictins), mais pour d’autres, plus parcimonieux, la principale explication est une série d’erreurs. C’est notamment la faute du X.
X est utilisé comme abréviation de Christ. Selon eux, le 1er siècle après Christ a été noté X1, puis X2, etc… Ce qui a été confondu avec XI (onze) XII (douze). Quand on ne parle plus du siècle mais de l’année, le M de MCCC veut dire millésime, mais pas mille, et alors tout fonctionne. Bien sûr, tout le monde n’écrivait pas en chiffres romains et on trouve donc des documents datés, par exemple de 1300. Mais là encore on entend une explication assez similaire. « Jésus » commence pas un J ou un I… Et donc l’an 300 de Jésus pouvait être noté j300 ou i300… Qui par mégarde est devenu partout 1300.
L’hypothèse de l’erreur se voit complétée à l’aide d’autant d’hypothèses ad hoc qu’il faut pour rester cohérente. Et cohérente, elle peut sembler. Sauf que cela n’explique pas pourquoi personne jamais n’a vu cette erreur, pourquoi il faut attendre des non-historiens pour s’apercevoir que la science fait fausse route… Et là, pour rester « cohérent », on a besoin au bout du compte d’une forme de conspiration.
Conspirons, conspirons.
Pourquoi cette conspiration ?
Erreur ou pas erreur au départ, la chronologie admise serait aujourd’hui maintenue volontairement pour d’obscures raisons. On dira que les scientifiques actuels ne supporteraient pas de remettre en cause tout ce sur quoi ils ont fondé leurs travaux. On dira que les pouvoirs politiques doivent leur légitimité à celle de leurs prédécesseurs, et que cela les incite à ne pas chambouler la chronologie. C’est invraisemblable, mais cela donne une illusion de cohérence, alors ça fera l’affaire.
Mais à l’origine de cette manipulation de l’histoire mondiale, beaucoup voient plus qu’une simple erreur. Les récentistes sont quasiment tous de fervents conspirationnistes, quoiqu’ils s’en défendent souvent. Puisque leur parole est qualifiée de ridicule par les scientifiques qui prennent rarement la peine de leur répondre, leur interprétation est : « Je dérange ! Ma vérité fait peur. On veut me faire taire. Etc. »
La thèse récentiste explique la falsification de l’histoire par le besoin des seigneurs européens de faire oublier l’existence de l’empire russe dans le but de renforcer la légitimité de leur pouvoir. Tous les chefs d’État de l’époque se seraient mis d’accord (bel exploit) sur une version fictive commune. À cette occasion, les langues européennes auraient été inventées de toutes pièces (ce qui pour un linguiste est une thèse aussi absurde que le créationnisme l’est pour un biologiste). Tout cela se serait passé avec l’approbation de l’Eglise Catholique, car on nous dit qu’elle en tirerait profit ; rallonger son histoire permettrait de renforcer son autorité[2].
« Les vrais complots ça existe ». N’est pas un argument. Les requins blancs aussi existent, et pourtant il n’y en a pas dans cette pièce.
Quant à ceux qui auraient voulu résister à cette falsification… Eh bien, on les a supprimés. Il suffira d’imaginer que c’est la véritable cause des massacres des Cathares et des Templiers, et des guerres de religion. CQFD. D’ailleurs, de manière générale on va expliquer tous les épisodes historiques notables à la lumière de cette théorie particulière, et l’on se retrouve dans un mode d’explication monocausal assez caractéristique des pseudosciences.
Rapidement, il devient compliqué, voire impossible, de discuter de l’hypothèse irréfutable de la conspiration, alors on attend des récentistes qu’ils fournissent des éléments de preuve objectifs, qui ne soient pas entièrement dépendants des intentions cachées d’un groupe de conjurés. Et là encore, ils ont des réponses.
Les « Preuves »
Il existerait une preuve « métallurgique ». Les musées sont pleins d’œuvres en bronze que l’on date… de l’âge du bronze (-3000 à -1000) c’est-à-dire une époque où, à en croire certains récentistes, on ne savait pas faire de bronze. Plot twist ! Car le bronze est un alliage de cuivre et d’étain, or l’étain n’a été découvert qu’au Moyen âge, disent-ils. Donc le récentisme est vrai !
En réalité il existe des minerais d’étain exploités depuis l’antiquité, sous la forme d’oxydes nommé cassitérites, et on estime que les premiers objets en bronze ont été obtenus par sérendipité à cause d’impuretés dans les minerais de cuivre. D’ailleurs, l’âge du cuivre égyptien était presque un âge du bronze car les gisements de cuivre exploités contenaient assez d’arsenic pour renforcer les outils que l’on fabriquait avec. Un détail : on connait les mines d’étain de Cornouailles en Grande-Bretagne depuis 3 ou 5 siècles avant notre ère ; Jules César a même écrit à ce sujet (mais bien des récentistes nient l’existence de César, donc…).
Il existe néanmoins un mystère : d’où sort l’idée que l’étain n’aurait été découvert qu’au Moyen-Âge ?
La dague en fer de Toutankhamon date de… l’âge du bronze ?
Dans le même registre, les récentistes font remarquer qu’on trouve des objets en fer dans des tombes remontant à une époque d’avant l’âge du fer (qui débute en -1000). C’est le cas par exemple des « perles tubulaires » en fer retrouvées en 1911 dans des tombes remontant à -3300 ans. Cela doit bien vouloir dire que les récentistes ont raison, non ?
En 2013 une étude a confirmé que le fer de ces « perles » était d’origine météoritique. Idem pour le poignard en fer de Toutankhamon (14e siècle A.E) qui a été forgé dans du minerai de météorite, comme l’a prouvé une étude de 2016 en étudiant la composition de la lame.
Autre preuve : le « saint suaire ».
Ce morceau de tissu dont certains veulent croire qu’il a été le linceul de Jésus Christ a été analysé par des scientifiques. L’expertise au carbone 14 l’a daté du 14e siècle. Et Fomenko prétend que c’est parfaitement cohérent avec sa thèse. Il plaide à la fois pour l’authenticité du suaire, et pour la crucifixion tardive du Christ. À y regarder de plus près, il demeure un intervalle de trois siècles entre la datation scientifique et la date alléguée de cette crucifixion en 1086, la cohérence est donc tout à fait discutable, mais les récentistes sont ravis de pouvoir prétendre qu’une radiodatation officielle leur donne raison… tout en rejetant globalement toutes les autres radiodatations compatibles avec la chronologie du consensus historique.
Il ne date pas de l’antiquité, donc il est vrai ! CQFD
Cela relève de l’effet bi-standard où l’on change les règles du jeu afin d’obtenir le résultat désiré : un coup la méthode A est acceptable car elle donne un résultat conforme à nos attentes, et le reste du temps elle est rejetée car plus rétive aux hypothèses qu’il fallait conforter. Glissons au passage qu’aucun doute ne subsiste sur la nature artificielle et médiévale du suaire de Turin.
De manière générale, les preuves des récentistes reposent sur l’interprétation alternative qu’ils offrent pour expliquer des faits. C’est un travail tout entier d’interprétation, sans aucune production de nouvelles connaissances, dans lequel on use et abuse des analogies et des approximations, une démarche que l’on a croisée chez les pyramidologues, lesquels aboutissent à des conclusions inverses, avec une prolongation de l’histoire en des temps reculés de dizaines de millénaires.
Bon, et en réalité ?
Nous venons de constater que la thèse est largement absurde, mais c’est insuffisant pour rejeter complètement l’idée d’une vaste manipulation de la chronologie. Prenons quelques instants pour bien expliquer que la chronologie admise repose sur des données bien réelles et cohérentes.
Il y a les textes, les documents d’époques, les chroniques des historiens du passé. Les registres, les chartes, validés par l’étude de la nature de l’encre, la paléographie, les formules, les sceaux. Autant de disciplines dans lesquels les experts parviennent à un consensus sur l’âge des documents.
On peut notamment consulter un site (http://www.rose.uzh.ch/docling/) regroupant plusieurs milliers des premiers documents rédigés et datés en français entre 1204 et 1331, dont de nombreuses chartes royales. Pour des chartes datant de l’an 600 à 1200, presque 5000 exemplaires sont consultables ici (http://www.cn-telma.fr/originaux/index/)
Il y a les pièces de monnaie.
On en a retrouvé de toutes les époques historiques, à l’effigie des seigneurs romains jusqu’aux rois les plus récents en passant par les mérovingiens, dans tous types de sites archéologiques. Parfois ce sont des pièces solitaires, parfois de véritables trésors.
L’hypothèse du complot devient exorbitante ; qui aurait pu dépenser temps, talents et métaux précieux pour enfouir des centaines de milliers de pièces un peu partout ? Alors une hypothèse ad hoc est proposée, celle de la superposition des époques : les pièces sont réelles, mais elles sont toutes de la même époque, les seigneurs figurant sur les pièces ne seraient que des vassaux de l’empire. Le problème c’est que leur disposition est toujours cohérente avec la chronologie scientifique. Il n’y a pas une seule pièce romaine dans un trésor carolingien et inversement, ce qui indique que les deux époques sont distinctes.
Willard Libby contribue à l’invention la méthode de datation au C14. Il reçoit le prix Nobel de Chimie en 1960.
Il y a la radiodatation.
Notamment la technique du carbone 14 qui permet de dater un objet, pourvu qu’il ait moins de 50 000 ans et qu’il contienne de la matière organique. Autant dire que les objets datés avec cette technique ne rentrent pas bien dans la thèse récentiste. La parade revient alors à dire que la technique repose sur le présupposé que les lois de la physique n’ont pas changé au cours des siècles, ce qui ne serait pas une certitude absolue, et que le calibrage se fait sur des objets dont l’âge est déterminé à partir de la chronologie scientifique, ce qui introduirait un biais au départ.
Cette deuxième objection pourrait avoir du sens s’il existait des incohérences dans les résultats obtenus au cours d’études en double aveugle… ou des inconsistances en regard des autres modes de datation. Or la radiodatation est cohérente avec les études des documents, des monnaies et du mobilier archéologique.
Le profil des cernes du bois permet d’identifier les années.
Il y a la dendrochronologie.
C’est la datation à l’aide des arbres. Les arbres produisent du bois dans lequel le passage des saisons peut se lire avec l’alternance de bois d’été et de bois d’hiver. En fonction des conditions extérieures, les cernes auront des apparences variées. Il est par conséquent possible d’établir un étalon des différentes essences de bois présentes dans différentes régions à partir desquelles on saura dater les morceaux de bois retrouvés sur des sites archéologiques. Cette méthode se combine parfaitement avec une analyse au 14C, et là encore, on s’attend à trouver quantité d’incohérences si la chronologie actuelle était fausse.
La dendrochronologie permet de confirmer l’existence des siècles passés jusqu’à l’empire romain et même avant, notamment car il existe des arbres vivant aujourd’hui et vieux de plusieurs millénaires (y compris en France). Cette discipline permet notamment d’avoir des informations sur le climat durant la Guerre des Gaules…
Cette supernova a explosé (pour un Terrien) en 1987
Enfin il y a l’astronomie.
Beaucoup d’événements astronomiques cités dans les textes anciens peuvent être datés grâce à des modèles du système solaire. Par exemple les astronomes ont pu dater l’explosion de la supernova SN1006 dans la constellation du centaure à partir des nuages qui entourent le cadavre de l’étoile. Les calculs lui donnent un âge d’environ mille ans. Les données astronomiques nous disent qu’elle est la supernova la plus brillante depuis l’Antiquité ; on estime que c’est la seule étoile en dehors du Soleil à avoir pu projeter des ombres sur Terre. Elle fut visible dans le ciel durant plus d’un an[3].
Si l’on se tourne vers les documents historiques, cette supernova permet de mettre en parallèle des textes du monde entier.
« Elle est mentionnée dans des textes européens, (par exemple, le manuscrit Cod.Sang. 915 de l’Abbaye de Saint-Gall en Suisse), chinois, japonais, égyptiens et irakiens ainsi que, en Amérique du Nord, sur une pierre gravée par les amérindiens Hohokams et découverte en 2006 dans le parc régional de White Tank Mountain en Arizona.» (source wikipedia)
D’autres supernovæ offrent d’autres points de repère extérieurs à la Terre, et visibles par toutes les civilisations… Mais on a aussi un certain nombre d’éclipses, dont celle du 5 mai 840 qui est intéressante car elle a lieu en plein milieu de la période la plus discutée par les récentistes, quelques jours avant la mort de Louis 1er et la partition en trois de l’empire de Charlemagne. Elle figure dans au moins trois récits de l’époque dans différents royaumes… Et elle est parfaitement raccord avec les modèles astronomiques permettant de prévoir les dates des éclipses.
Quelques références pour en savoir plus sur les preuves à l’appui de la chronologie admise par le consensus scientifique.
Les preuves données ci-dessus sont bien sûr accessibles aux récentistes. Ils font le choix de ne pas les consulter, ou bien les rejettent, en vertu de processus psychologiques bien connus, les biais de confirmation, et grâce à une méthode en béton armé : la méthode hypercritique. Celle-ci permet de rejeter en bloc tous les éléments qui ne s’accordent pas avec la thèse défendue parce qu’on peut toujours invoquer une raison de douter de l’information malvenue.
« Ne tombez jamais amoureux de votre hypothèse. » Claude Bernard
Celui qui veut défendre la thèse que César n’est que la projection du roi Otton 3 (voire qu’il n’y a eu qu’un seul roi Otton qu’on a ensuite triplé) trouvera forcément des arguments. Comme on pourra trouver des arguments pour défendre l’idée d’un vaste projet mondial visible à travers l’alignement de sites archéologiques (Rome, Babylone, St Jacques de Compostelle, Pergame, Melbourne, etc.) Les points communs dans la vie des personnages publics, ça arrive, et certains en ont d’ailleurs dressé une liste impressionnante entre Kennedy et Lincoln ; qui n’est impressionnante que parce qu’on ne songe pas spontanément à tout ce que ces hommes n’ont pas en commun. Avec la logique récentiste, on en conclurait que Lincoln et Kennedy sont un seul et même homme.
Parce qu’ils ne mettent pas en œuvre une méthode qui leur permettrait d’écarter leurs hypothèses erronées, les récentistes sont dans la croyance ; ils croient à ce qu’ils prétendent savoir. Et plus ils travaillent à confirmer ce qu’ils croient plus ils courent le risque de s’enfermer dans une boucle de rétroaction positive où l’aversion à la perte leur rend chaque jour un peu plus insupportable l’idée d’avoir tant travaillé… sur des fadaises.
Mais si des gens y croient, ce n’est pas sans « raison », sans motif. Il y a une certaine séduction dans la thèse proposée, surtout si vous êtes chrétien. Le récentisme de l’école Fomenko supprime la filiation de l’islam et du christianisme avec le judaïsme, et fait du christianisme le premier monothéisme de l’histoire. Il exalte une identité caucasienne qu’il rend antérieure et supérieure à la culture méditerranéenne et africaine (Egyptienne notamment). Il balaie la méthode scientifique et toutes les techniques de datation qui ont disqualifié la Bible en tant que texte historique. Il rajeunit le monde et le rend compatible avec une lecture fondamentaliste des Écritures. Le récentisme est 100% compatible avec le créationnisme avec lequel il partage le goût du négationnisme des preuves scientifiques. Le récentisme soupçonne un complot mondial compatible, et c’est une spécificité de la pensée conspirationniste, avec l’ensemble des thèses conspirationnistes, c’est-à-dire même celles qui présupposent que le récentisme est faux, puisque le plus important est de soutenir l’idée d’un vaste mensonge organisé.
C’est une conspiration mondiale. Mais ça reste entre nous !
Vous n’aurez jamais LA PREUVE que le récentisme est faux
Dans un champ disciplinaire aussi riche et complexe que l’histoire, presque rien ne repose sur UNE preuve. Notre connaissance du passé dépend d’une myriade d’éléments qui se coordonnent, se valident entre eux et créent une sorte de maillage sur lequel on peut faire reposer hypothèses et théories.
Ce que fait le récentisme, c’est prétendre que chaque nœud de ce maillage, chaque fait, est isolé. Il considère ce fait, lui propose une explication ad hoc en dehors du consensus (du maillage) et considère aussitôt qu’il a neutralisé les relations que ce fait entretient avec le consensus. Après des centaines de pages de ce petit jeu, la thèse récentiste a donc agglutiné quantité de faits artificiellement arrachés à leur contexte explicatif, et il devient impossible de montrer en quoi elle est fausse, puisque pour ce faire, il faudrait remettre les faits dans leur contexte, or ce contexte est nié par le récentisme.
Toute tentative de réponse au récentisme ne peut donc passer que par une critique de la méthode employée pour le construire. Il faut rappeler que la charge de la preuve incombe à celui qui avance une proposition étonnante ou détonante avec la connaissance établie ; il ne revient donc à personne de démontrer que le récentisme est faux, mais c’est à ceux qui le croient vrai d’en faire la démonstration, et en cas d’échec il leur faut se demander pourquoi ils n’ont pas été convaincants, et ce sans évoquer aussitôt la malhonnêteté de leur contradicteur.
Vous n’aurez JAMAIS la preuve absolue que Clovis s’est vengé qu’on ait brisé le vase de Soissons, ou qu’il ne l’a pas fait. Vous n’aurez jamais la preuve absolue que César a vaincu Vercingétorix ou que l’Homme a marché sur la Lune*. Vous n’avez même pas la preuve absolue que l’univers n’a pas été créé jeudi dernier, comme font mine de le croire les membres de l’Eglise de Jeudi-Dernier.
En l’absence de preuve absolue, faut-il croire n’importe quoi ?
Votre mission : distinguer les registres.
Quiconque réclame une preuve absolue de quoi que ce soit se condamne à la déception, à la frustration, et à courir le risque de se réfugier dans les délices d’une illusion de savoir en dehors des espaces balisés par la science. Ceux qui veulent croire au récentisme mettent un doigt dans l’engrenage du doute hyperbolique où il devient apparemment judicieux de nier toute connaissance actuelle au nom du frein qu’elle impose à notre imagination.
L’erreur fondamentale réside dans le mélange des registres. L’histoire de la haine entre les Stark et les Lannister est passionnante, cohérente, et on peut vouloir y consacrer son temps et ses loisirs. Et cela ne pose aucun problème. Sauf à l’instant où vous commencez à oublier qu’il s’agit d’une fiction. Les amoureux des pseudosciences ont peut-être besoin de se rappeler que l’art de la fiction est noble, qu’il est important, que l’imagination, la facétie, la fantaisie sont de grandes qualités de l’être humain. Et qu’on peut les cultiver en les respectant assez pour ne pas vouloir les obliger à singer la science.
« Le récentisme n’est pas une science. C’est une fiction refoulée. » Acermendax 2016
[1] Autre hypothèse : Hardouin était un peu fêlé. Il existe des précédents avérés.
[2] Hmm, on parle d’une église qui promet de retour de Jésus… retour d’autant plus retardé et donc d’autant moins certain… Logique ?
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2016/08/carte-boussole.jpg7571440Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2016-08-08 10:00:402018-05-02 23:14:32Le récentisme, une falsification de l’Histoire
Article invité de Xavier Ristat, auteur du blog Cygnification qui traite de la communication (et un peu du scepticisme)
Parmi les sceptiques et les zététiciens, il est plutôt courant de connaître les mécanismes qui nous font penser ce que l’on pense en des termes de croyances ou de pseudosciences. Une autre chose assez connue des sceptiques, c’est qu’il est souvent difficile de communiquer avec ce que j’appellerai les « tenants » de croyances infondées, un peu comme il est difficile de parler politique dans les réunions de famille le dimanche midi. Il n’est pas rare qu’un sceptique passe pour quelqu’un d’obtus juste pour s’être interrogé sur le bien fondé d’une affirmation extraordinaire prononcée par une relation.
Je parle donc aussi en connaissance de cause, étant passé d’une activité pseudoscientifique où peu de personnes me contredisaient à une attitude plus rationnelle mais aussi suscitant une plus grande méfiance de l’entourage. Il est évidemment difficile d’engager le débat quand au minimum un des parties pense que l’autre se fermera au débat, et beaucoup se refusent à engager la communication par peur du conflit.
Le souci avec ce postulat, c’est qu’il démarre avec une méconnaissance de ce qu’est la communication et ce que doit être un conflit dans ce genre de débats.
Définissons un peu mieux la communication
Pour définir la communication, et restreindre le sujet à ce qui nous intéresse, je parlerai en premier lieu de la communication humaine (exit la communication animale, électrique, neurologique, etc…), en des termes empruntés des études en psychologie et en sciences de la communication (pour les besoins de la rédaction, j’utiliserai, sans mauvaise intention ou double sens, le terme « tenant » pour parler des personnes défendant croyances, pseudo-sciences et autres affirmations extraordinaires). Quel est l’enjeu de la communication humaine ?
Dans un premier temps, la communication sert au lien social, aussi bien à le construire qu’à le détruire. Elle est là pour nous permettre de cohabiter : nous n’avons pas les mêmes origines, la même culture, les mêmes pensées, les mêmes croyances. Ce qui nous fait co-exister n’est pas que nous avons le même consensus, car cela est assez irréaliste, mais que notre communication nous permet de posséder la tolérance nécessaire d’accepter l’autre.
Jacques Cosnier dira même : » Sans émotions, pas de communication et sans communication, pas de société. »
Le lot de beaucoup de sceptiques
On peut définir la communication en trois éléments :
La communication est une activité d’interprétation : chacun de nous n’interprète pas de la même manière un message donné, nous créons du sens à partir de notre vécu. Nous ne sommes donc pas tous forcément sensibles de la même manière aux arguments, à la forme d’un message ou bien même à l’émetteur de ce message. En soi, la communication ne créée pas de la compréhension, elle réduit l’incompréhension, sans toutefois complètement la supprimer.
La compréhension n’est pas qu’affaire de cognition : notre interprétation dépend tout aussi bien du contexte que de la perception du contexte et du message. Nous filtrons, décodons les messages selon nos propres critères (relation au contexte, à la personne, notre perception… ) avant d’envoyer nos propres messages, eux aussi dépendant de ces critères (notre corps, notre intonation, notre vocabulaire, …)
La communication dépend essentiellement de 5 critères : l’espace (sommes-nous en face à face, ou bien à distance ?), le temps (la communication est-elle instantanée, ou bien différée ?), la technique (utilise-t-on un support technique pour faire passer le message ?), la situation (la communication va-t-elle dans un seul sens, ou bien est-ce un échange ?) et le nombre (on ne communique pas de la même manière face à une personne que face à 1000).
On se rend compte des possibilités complexes que peuvent donner les situations de communication. L’interprétation est un terme revenant assez souvent et qui peut complètement modifier une relation. Alors peut-on communiquer et débattre de façon sceptique face à des croyances ? Et si oui, quelles sont les règles que doit connaître tout bon sceptique qui cherche à vulgariser l’esprit critique ?
Don’t be a dick
Une des règles qu’il est bon de rappeler, c’est que même en étant au fait des biais cognitifs et des expériences sur la soumission et la manipulation, nous ne sommes pas pour autant à l’abri de défendre des croyances irrationnelles. C’est même quelquefois le message qui est retenu au vu de certains débats : le sceptique ne croit pas dans l’extraordinaire, alors il « croit » (je sais que je vais me faire disputer par des sceptiques en utilisant ce mot, mais c’est pour la compréhension de tous) dans ce qu’il lui reste : la science. Hors, bien entendu, pour beaucoup de scientifiques, le fait de comparer la science à la religion a de quoi faire sourire.
Par cet exemple, je veux montrer une chose, c’est que bien souvent, les débats sciences/croyances ne se font pas sur un même plan : les sceptiques vont avoir avant tout un discours scientifique et épistémologique (charge de la preuve, biais de confirmation, réfutabilité, double aveugle, peer review…) alors qu’un tenant va avant tout mettre en avant son expérience. Et montrer du doute envers son expérience c’est… douter de son identité.
Beaucoup de gens se construisent avec des croyances, les nier peut paraître rude et douloureux et n’apporte que rarement une réponse positive rapide. Il nous incombe à nous, en tant que sceptique, de ne pas se montrer trop violent lors de nos débats. Ou comme le dirait Phil Plait : « Don’t be a dick ».
Dans cette conférence, l’expérience de Phil nous montre que les sceptiques ont trop l’habitude de passer pour des personnes hautaines et moralisatrices, ce qui n’est souvent pas le cas. Tout comme les tenants ne cherchent généralement pas à arnaquer leurs voisins : d’une certaine manière, nous avons tous des aspirations communes, nous cherchons le bien de l’autre. Mais nous sommes maladroits.
Ce dont il faut donc prendre conscience, c’est que le meilleur moyen d’entamer une conversation avec un tenant consiste à trouver le point commun qu’il a avec notre approche. Par exemple, si une personne défend la pratique d’une nouvelle thérapie contre le cancer, c’est sans doute parce qu’elle veut voir des personnes guérir : c’est un point d’entrée qui consistera à montrer que l’on est aussi concerné par le bien-être des malades (et ne pas citer de suite chiffres et études qui, pour un tenant, montre de la déshumanité)
« Houlà, ça s’engueule, vite, n’intervenons pas et échangeons des regards lourds de sens »
Il faut donc engager la conversation sous les meilleures conditions, en contrôlant le maximum de paramètres : en tant que sceptique, le but n’est pas de convaincre la personne à votre opinion, mais de l’amener à remettre en question la sienne (il est important de faire soi-même ce travail pour soi, et de le montrer aux interlocuteurs que l’on est disposé à se laisser convaincre : quel serait l’intérêt pour votre interlocuteur de dialoguer avec vous si vous êtes là pour lui donner une leçon ?). Dans des situations genre « débat public », il est de bon ton d’utiliser un médiateur, comme ce fut le cas avec le débat entre Thomas Durand et Alexis Masson sur le site Top Chrétien :
Ce présentateur/médiateur est là pour contrôler les temps de parole mais aussi pour que le débat reste courtois et poli, et purement argumentatif. Quelquefois, la simple présente d’une tierce personne neutre est suffisante pour que critiques non-constructives et ad hominem soient absentes. D’ailleurs, on peut voir souvent des exemples de médiations « ratées » lors de débats politiques, où les journalistes se montrent plutôt passifs. Mais la communication politique reste un sujet particulier où l’ad hominem peut-être une stratégie. Bref, ne prenons pas la politique pour le meilleur exemple de débats constructifs.
N’ayez plus peur du conflit
Mais l’utilisation d’un médiateur est rarement possible. Que cela soit pour des raisons techniques (trouver quelqu’un de neutre, sans avis sur le sujet ou bien assez objectif pour faire taire son opinion, et ayant des compétences en communication ; conditions technologiques du débat -visioconférence, téléphone, etc…-) ou pour des raisons logiques (difficile de trouver une médiateur pour débattre avec belle-maman lors du repas dominical), il faudra souvent s’en passer. Il convient alors de faire le plus tôt possible un « contrat de communication », de manière plus ou moins explicite.
Concrètement, il s’agit de mettre en place les règles du débat (défini à votre convenance, mais je conseille vivement le respect des avis, l’absence d’attaques personnelles…) et l’accord préalable : sur quelle base allez-vous commencer à débattre ? Sur quel point vous rejoignez-vous et êtes d’accord ?
Cette communication se voudra plus stratégique.
La sagesse des canards
Soyons d’accord sur un point : être stratégique ne signifie pas que l’on va manipuler, ou que l’on est dans une guerre. Le scepticisme n’a pas besoin de guerriers, mais de diplomates, et sans être dans la volonté de gagner, la pratique du scepticisme reste le goût du débat et du conflit.
Et quand je parle conflit, je reviens à l’étymologie du mot, tiré du latin : confligere, qui signifie « lutter ensemble ». Non pas l’un contre l’autre, mais ensemble.
C’est d’ailleurs pour cela que l’on parle de « gestion de conflit », car derrière, on sait qu’un conflit amène à un changement : changement d’attitude, d’opinion, de décision. Il est donc important de ne pas être effrayé par le conflit, car être sceptique, c’est être en conflit avec des personnes, mais aussi combattre des idées.
Il existe un texte dont le titre est « la zététique n’est pas un sport de combat ». Même si j’adhère avec le texte, j’apporterai un ajout ou un sous-titre : « la zététique n’est pas un sport de combat, mais un art martial ». Pratiquer un art martial ne signifie pas que l’on va user de violence contre ses adversaires. Dans la philosophie de ces disciplines, les pratiquants apprennent à respecter leur adversaire et à éviter de profiter de leur force. Ces sports sont vue comme des philosophies d’hygiène mentale et corporelle : c’est un peu le cas du scepticisme, non ? C’est ainsi que je vois la pratique du scepticisme : une méthode de défense et d’éducation critique.
Il est cependant évident que dans l’attitude, il ne faudra pas se montrer guerrier, mais pas passif pour autant : savoir poser ses limites quand l’interlocuteur les franchis un peu trop est le plus sur moyen de ne pas faire s’enliser le débat. Par ailleurs, avoir une vision stratégique de l’entretien peut-être plus bénéfique que de réagir à une simple affirmation. Quel est notre objectif à vouloir convaincre autrui ? Le faisons-nous pour notre ego ? Sommes-nous perturbés lorsque nos mots ne provoquent aucun changement ? Le plus sûr moyen de convaincre n’est-il pas de savoir quand engager le débat ?
Les bons commandements du communicant sceptique
Ce que nous apprend la psychologie de la persuasion, c’est que le processus pour changer d’opinion peut-être long, et répond à plusieurs facteurs qui vont déterminer si l’interlocuteur va changer d’avis… ou au contraire, va confirmer ses croyances. Je n’ai pas souvenir, personnellement, d’une personne ayant changé d’avis après un débat particulièrement désagréable ou humiliant. Et pour cause : ce que nous montrent les expériences en psychologie, c’est que les changements d’opinion et d’attitude s’opèrent quand des opinions et un cadre positif ont été amorcés.
La conversation doit ensuite se construire, étape par étape. Voici quelques règles afin de créer des conditions optimales de débats, issue en partie des techniques d’entretiens épistémiques (street epistemology en anglais), de gestion de conflits et de rhétorique.
Choisir son moment pour débattre : débattre avec un croyant va vous demander une grande énergie, de l’attention et des efforts, notamment cognitifs. Vous aurez besoin de self control pour ne pas laisser échapper une parole malheureuse, une formulation hasardeuse et pour montrer que vous êtes de bonne foi. En bref : si vous avez la personne en face de vous, prenez le temps d’un café pour en discuter avec elle et ne balancez pas une phrase si derrière vous n’êtes pas prêt à entretenir une conversation. Sur internet et les réseaux sociaux, évitez de commenter si c’est juste pour faire une pic ou une réflexion que vous estimez « spirituelle ». Apportez de l’eau au moulin du débat, ou venez aider à ce que la discussion se passe le mieux possible. Si vous comptez faire de l’ironie, un trait d’humour (au dépend d’une personne présente), une réflexion qui flattera votre ego ou si vous êtes trop fatigué ou occupé pour soutenir un débat : abstenez-vous.
Le café, ce lubrifiant social
Cherchez les valeurs communes que vous partagez avec votre interlocuteur : prenons l’image d’un cercle qui schématiquement vous représente d’un point de vue intellectuel, de même que votre interlocuteur. Ces deux cercles se rencontrent et s’entrecroisent sur une plus ou moins grande surface (cette surface représentant les choses que vous avez en commun). Généralement, on apprécie et on se rapproche beaucoup plus des gens avec qui on partage des valeurs, des croyances, des connaissances. L’objectif va être que le cercle de l’interlocuteur se rapproche de plus en plus de votre cercle, et cela ne peut se faire qu’en créant de la sympathie. Si vous vous montrez trop factuel (en tout cas en ne communicant pas avec un scientifique), votre interlocuteur risque de se fermer en ne percevant pas votre émotion et votre humanité. Donc ne pas hésitez à engager la conversation et à prendre quelques minutes pour faire simplement connaissance.
Définissez le meilleur contexte : comment va se dérouler le débat ? Avec qui ? Sur combien de temps ? Ce sont des facteurs importants, car il n’est pas rare de voir quelqu’un fuir un débat en prétextant un rendez-vous, ou bien se sentir acculé car il est seul contre trois personnes. Définissez au mieux un équilibre pour que chacun des partis se sente à l’aise.
Définissez un « contrat de communication » : il n’est pas rare dans des débats qu’un croyant se sente « piégé », même si ce n’est pas forcément le cas. C’est une chose qui peut couper court à toute tentative de communication et qui est difficilement rattrapable. Prenez les devants : expliquez en quoi votre démarche n’est pas là pour nuire, mais pour comprendre. Définir des règles permet aussi, quand l’une des personnes ne les respecte pas, de faire un rappel à l’ordre (« je vous rappelle que l’on avait convenu de rester poli, etc… »).
Posez des questions ouvertes : laissez la personne exposer ses idées, et je le répète, EVITEZ D’Y POSER UN JUGEMENT. Si paroles dangereuses il y a, c’est par étape que vous arriverez peut-être à faire prendre conscience de cela. Les questions fermées à la « oui/non » ne donnent pas l’impression d’un choix.
Aidez votre interlocuteur : il aura peut-être du mal à s’exprimer, à hiérarchiser ses idées, à se faire comprendre… Aidez-le par la patience, l’écoute, la reformulation… Par la même occasion, évitez de l’interrompre ou de faire toute activité qui l’empêche de pleinement s’exprimer.
Admettez vos erreurs : ne les balayez pas sous le tapis. Si à un moment, vous vous êtes montré maladroit, mettez votre ego de coté, et excusez-vous. De même, si votre argument n’était pas bon, votre preuve fausse, admettez-le, c’est une preuve d’humilité qui renforce l’opinion favorable que l’on peut avoir de vous.
Ne tolérez aucun débordement : c’est une position moins axée sur le débat en lui-même, mais sur son déroulement. La discussion ne peut se faire que dans le respect de chacun, si quelqu’un contredit cette règle, rappelez-la lui. Si vous laissez passer une réflexion, vous pourrez en laisser passer d’autres… ou l’on pourrait vous reprocher un favoritisme. Cela demande un certain recul et de l’objectivité.
Oubliez l’égo : on aime avoir raison, on aime moins avoir tort. Les émotions peuvent prendre le dessus, l’agacement arrive très vite. Il faut prendre du recul et savoir garder son calme. Vous n’êtes pas là pour gagner, et si c’est l’objectif de votre « adversaire », lui montrer que vous n’êtes pas dans une disposition de combattre peut l’amener lui aussi à avoir une attitude plus sereine. Bref, n’essayez pas d’avoir le dernier mot.
Adaptez votre langage : montrez vos points d’accords (« sur ce point, je suis tout à fait d’accord… »), votre compréhension des arguments de votre interlocuteur (« oui, d’ailleurs, tel étude va dans votre sens… »), reformulez les (« si j’ai bien compris, ce que vous voulez dire c’est que… »). Si la personne n’est pas au fait de la technicité, des processus scientifiques, évitez de la noyer sous un vocabulaire qu’elle prendra pour une tentative de la prendre pour une imbécile. De même, pour beaucoup, c’est le registre de l’émotionnel qui joue, il est donc quelquefois difficile de faire valoir des arguments rationnels (mais pour autant, évitons de nourrir l’idée que rationnel et émotionnel ne font pas bon ménage : ils sont complémentaires)
Si ça dérape, passez en mode « médiation » : il peut arriver qu’une dispute commence, ou bien que vous arriviez sur un débat où les hostilités ont commencé. Gérer le conflit demande un certain recul et du doigté, notamment en identifiant ce qui peut pousser la personne à s’énerver (généralement, par réflexe de défense). N’hésitez pas à montrer votre bonne volonté, à modérer ceux qui n’aident pas au dialogue, à proposer à la personne de ne parler qu’à vous, etc…
Apporter des critiques constructives : bien évidemment, évitez de critiquer la personne, mais critiquez ses idées, en lui rappelant si nécessaire (car je le rappelle, il n’est pas rare que les gens s’identifient à leurs idées). Faire une critique constructive se compose d’une description extrêmement factuelle de la situation, puis d’une explication de ce que vous ressentez, pour continuer par une proposition de solution et des éventuelles conséquences positives que cela peut engendrer.
Exemple : « Vous me dites que le vaccins cause l’autisme (description factuelle), j’avoue que cela me laisse perplexe (ressenti), pourriez-vous m’indiquez des sources fiables ? (solution)
Cela me permettrait de mieux comprendre ce que vous voulez dire (conséquence) »
Avouez que c’est plus efficace (mais plus long) qu’un « vous avez tort ».
Vous êtes humain : vous n’êtes pas à l’abri d’être agacé, fatigué, pas en forme… Et donc d’être un mauvais médiateur. Quand on pratique la communication, et quand on se montre faillible, il n’est pas rare que l’on se prenne des réflexions du genre « pour quelqu’un qui fait de la com’/médiation, tu t’énerves vite ». C’est oublier que nous ne sommes pas des machines et que même avec les meilleurs intentions, on peut se planter. Acceptez-le pour vos interlocuteurs, acceptez-le pour vous et aidez les autres à l’accepter. Ça ne veut pas dire que c’est excusable, mais que c’est compréhensible.
Et surtout : gardez en tête que le tenant que vous avez en face de vous peut être un futur sceptique s’il se met à essayer de comprendre votre point de vue, à étudier les biais, à comprendre les mécanismes de la science. On ne peut commencer cette démarche sous la critique, les moqueries, le jugement. Bref, ne soyez pas un enfoiré.
Vers une « web epistemology »
Ces quelques règles, en lien avec la médiation, la gestion de conflit et la rhétorique, sont souvent utilisées en entretien epistémique, ou bien « street epistemology » en anglais. Elles demandent de gros efforts, et l’on ressort souvent plutôt épuisé de tels entretiens (enfin, tout dépend de la difficulté du débat et de sa durée). Car autant prévenir, cela ne se règle pas en cinq minutes, il faut de la patience pour qu’un interlocuteur se sente à l’aise et prêt à revoir sa méthode de compréhension des faits.
Voici d’ailleurs un petit tutoriel sous-titré en français d’un dialogue de street epistemology, où le sceptique montre les forces et les faiblesses de sa discussion, c’est très intéressant
De la même manière, il serait totalement faux de dire que c’est la méthode de communication qui fonctionne à coup sûr, comme il est fataliste de se dire qu’il ne sert à rien d’essayer de dialoguer avec des croyants car ils ne changeront pas d’avis. Soyons réalistes, et essayons de montrer l’exemple en matière de réflexion, en commençant par appliquer à nous-mêmes une méthode critique. Ce qui guette le sceptique, c’est le fatalisme : je ne connais personne qui ne soit pas passé par ce sentiment à force de dialoguer avec des croyants. Soyons vigilants sur le fait que nous sommes en partie responsables de ce fatalisme par notre attitude.
Pour aller plus loin, je vous conseille aussi de visionner une émission de télévision australienne où un expert du climat est confronté à 52 climatosceptiques. C’est une vidéo très intéressante car elle montre aussi bien les choses à faire pour qu’un débat se passe bien que les choses à éviter :
Dortier J-F (dir.), La communication : état des savoirs, Editions Sciences Humaines, 2008
Breton P., Convaincre sans manipuler, La Découverte, 2015
Bègue L. (dir.), Desrichard O. (dir.), Traité de psychologie sociale : la science des interactions humaines, De Boeck, 2013
Zakary L. Tormala , Pablo Briñol , Richard E. Petty , When credibility attacks : the reverse impact of source credibility on persuasion, Journal of Experimental Social Psychology, 42, 684-691
Petty R. E., Mécanismes psychologiques de la persuasion, Diogène n217, 2007, 58-78
Danblon E., Quels mots pour convaincre, Sciences Humaines n246, mars 2013
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2016/07/bras-de-fer.jpg256555Xavier Ristathttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngXavier Ristat2016-07-17 14:05:162018-05-02 23:14:58Plaidoyer pour une (bonne) communication sceptique
Guss DX vient de déclarer publiquement qu’il reconnait avoir bel et bien truqué sa vidéo la plus célèbre. C’était la seule chose sensée à faire après la démonstration en vidéo dont nous parlions dans l’article précédent. Nous avions appris dans la journée d’hier que Guss allait faire ces « aveux », et nous avons choisi d’attendre que cette déclaration soit publique pour réagir, plutôt que de nous exprimer dans un contexte où l’incertitude régnerait encore. D’incertitude, il n’y a plus. L’heure n’est plus à chercher des raisons d’y croire, mais plutôt de comprendre pourquoi certains, fort nombreux, y ont cru. C’est une sale affaire, elle fait mal à des gens, mais sincèrement… l’issue n’a rien d’étonnant. Le principal problème est que Guss a toujours affirmé qu’il n’y avait aucun trucage, et que des dizaines ou des centaines de milliers de gens voulaient le croire. Jusqu’au moment d’écrire ces lignes, on voit par centaines des messages de soutien affirmant qu’il est impensable que le moindre trucage ait eu lieu.
Historique
Une première analyse critique de la vidéo incriminée avait été faite par Samuel Buisseret. C’était sa première enquête de zététique, et l’épisode s’intitulait « Fake #1 ». Il a repéré une zone de l’image où Guss avait fait un traitement. Il soupçonnait que cela camouflait un trucage et il a demandé à Guss de lui fournir les images d’origine, directement issues de la caméra. Dans une série de 3 vidéos, Samuel explique d’abord ses doutes, puis rend compte de son travail sur les rush envoyés par Guss ,et conclut à l’absence de trucage.
#FAKE? 1.3 : « J’ai rien trouvé. Y a rien. Y a rien du tout. J’ai passé au peigne fin chaque moment. […] L’excuse que Guss avance est tout à fait crédible et elle se vérifie ici. Les métadonnées n’ont rien donné de surprenant. » « Y a mille façon de faire bouger ce plateau sans passer par un trucage numérique. » « Un film, une photo ou un témoignage ne constitueront jamais une preuve. » « On peut soit prouver que c’est faux, soit obtenir un doute raisonnable. Et ce que j’ai obtenu avec ces rushs, c’est un doute raisonnable. Et j’espère de tout cœur que ce qu’il dit et ce qu’il fait est exactement comme ce qu’il dit est ce qu’il fait. Je garde quand même un doute parce que c’est quand même très impressionnant ce qu’il nous montre. »
C’était en juin 2015, il y a donc plus d’un an. Et depuis, Samuel a réalisé d’autres vidéos de sa série « Fake ? » sur La Révélation des Pyramides, sur le complot lunaire, sur l’homéopathie. Il réalise donc depuis un an un travail de sceptique, en partie grâce à cette première expérience et à l’accueil enthousiaste qu’il a reçu dans la communauté sceptique, toujours heureuse de voir émerger des talents. Or, là est la douloureuse surprise de cette affaire… Samuel m’a révélé il y a quelques heures qu’il avait choisi de cacher la vérité pour éviter des ennuis à Guss. Aveux qu’il formule ensuite en vidéo.
En juin 2015, Samuel savait donc que Guss DX truquait ses images, mais il a choisi de n’en rien dire et de conclure l’inverse dans sa vidéo, c’est-à-dire de mentir, mais aussi de laisser Guss mentir, en parfaite contradiction avec la démarche affichée dans ses vidéos.
Le cas Guss DX
Comme discuté dans l’article précédent, il n’y avait vraiment pas beaucoup de bonnes raisons de croire aux aventures surnaturelles de Guss. Son seul vrai argument, c’était sa bonne foi, sa sincérité, la sympathie qu’il inspirait, l’envie qu’il donnait aux gens de croire à ses images. Le public qui a cru à ces histoires de fantômes est donc en partie fautif, il a participé à la tromperie en n’exerçant pas son esprit critique, en n’étant pas prudent ni méthodique dans son évaluation de la validité des propos de Guss. Néanmoins, il y a réellement eu tromperie, et Guss est semble-t-il allé jusqu’à mentir à ses proches, car il n’avait apparemment aucun complice.
On pourrait être tenté de croire qu’il ne mesurait pas la portée de ce mensonge, qu’il s’agissait pour lui d’un jeu. Après tout le film Blair Whitch a joué sur la même corde : faire croire que c’était pour de vrai et jouer le jeu jusqu’au bout… Sauf que personne n’était dupe. La suspension consentie de l’incrédulité que demandent les œuvres de fiction (même quand elles prétendent s’inspirer de faits réels comme Fargo), ce n’est pas la même chose que la crédulité dont a besoin celui qui veut faire passer pour vrai un phénomène inventé. Par ailleurs, il existe de bonnes raisons de penser que Guss savait exactement à quel genre de conséquence conduit ce genre de mensonge, comme en témoignent ses propres réactions à l’annonce de la chaîne Globtopus abordant des thèmes similaires et qui admettait qu’il s’agissait de mise en scène.
« Certains y croient dur comme fer et vont tomber de haut »
« le sujet (…) est sensible (…) il ne faut pas déconner avec ça »
Il y a tromperie, car Guss n’aurait pas eu le succès qui est le sien s’il ne savait pas que des gens croient vraiment aux fantômes. Il y a tromperie, car en dehors des vidéos, à longueur de blog ou sur les réseaux, il a répété qu’il n’y avait nul montage, nulle mise en scène (tous les vlogs où il répète cela ont été supprimés dans la journée). Et cela dure depuis au moins un an. Bien sûr, en toute logique, le dévoilement de la vérité n’était qu’une question de temps, il fallait bien que quelqu’un finisse par percer à jour le secret de fabrication. Guss le savait sans doute, et durant tout ce temps il a eu mainte fois l’occasion de faire le point, et d’être honnête avec un public qui lui est très attaché. Cela ne veut pas dire qu’il faille lyncher cet homme, et malheureusement il y aura des réactions violentes sur le net et des paroles excessives auxquelles il est hors de question que nous nous associons. Nous condamnons totalement la tromperie ici perpétrée, mais nous ne condamnons pas l’individu.
Il est d’autant plus important de ne pas tout réduire à la responsabilité d’un faussaire que, comme nous le disions, les faits tels qu’ils existent auraient dû inciter tout le monde à douter. La supercherie était, tout du long, l’hypothèse la plus probable. D’ailleurs beaucoup de spectateurs n’en veulent même pas à Guss, car ils ont pris son show comme un show, ni plus ni moins. Il faudrait que tous ceux qui se sentent trahis aujourd’hui se demandent ce qu’ils auraient pu faire pour ne pas tomber dans le panneau, car dès demain ils seront tentés, sans doute, de croire d’autres histoires tout aussi fausses, et il serait souhaitable qu’ils sachent se montrer plus sages.
Toute la vérité ?
J’aurais aimé m’arrêter là dans mon analyse du cas de Guss Dx. Malheureusement ses « aveux » me semblent incomplets, et cela va causer des problèmes qui dépassent sans doute ce qu’il imagine.
Dans sa déclaration, Guss reconnait avoir trafiqué la vidéo de la Tour Moncade, mais il affirme contre toute attente que c’est la seule et unique fois où il a procédé à une mise en scène. Nous regrettons profondément ce choix qui empêche de clore proprement cette histoire. En effet, les débats sur la véracité de telle ou telle image vont se poursuivre, sans doute de manière tendue, agressive et stérile, là où Guss aurait pu y mettre un terme. Car soyons sérieux, et, en l’absence de certitude absolue, optons pour les hypothèses les plus vraisemblables.
Le déroulé de cette histoire nous apprend que, malheureusement, sans la publication d’une preuve aussi catégorique que la vidéo de VisionElf, Guss n’était pas disposé à dire la vérité. Or il n’y a pas (encore) de preuve du même type pour le forcer à la même transparence concernant ses autres expéditions. Sans rien qui le force à reconnaître d’autres tromperies, il choisit de camper sur la posture de « l’erreur isolée ». Seulement, en toute rigueur, il n’est plus possible de croire à l’authenticité de la moindre image, puisque l’aveu aujourd’hui obtenu n’est intervenu qu’en réponse à une démonstration implacable. Pire, l’obstination avec laquelle Guss voudrait défendre l’authenticité de ses autres images est un immense signal d’alarme. Même au moment de vérité où les circonstances le mettent en position de faire la lumière sur son travail, il semble faire encore le choix du mensonge. Car entendons nous bien, les autres aventures de Guss ne sont pas avares en phénomènes saisissants que seuls peuvent expliquer ou bien une intense activité paranormale partout où il passe, ou bien par une mise en scène comme celle qui vient d’être prouvée (on ne parlera même pas des orbes qui traversent l’écran à tout bout de champ).
Dans le premier épisode, Guss jure qu’il entend des pas. Il voit des ombres. Puis il affirme qu’une présence invisible lui a touché l’épaule. Rien à l’image, tout dans le témoignage. Pour y croire, il faut entièrement se fier à ce que nous dit Guss.
Dans l’épisode 2 Guss entend encore des pas… ses caméras s’arrêtent mystérieusement. Il sent qu’il est suivi. Cette fois, plus fort, un mouvement de brume étrange est capté par la caméra, puis vient un bruit étrange seulement perçu par son matériel. « Cela ne peut être autre chose qu’un phénomène paranormal » dit Guss… Et en effet la brume qu’on voit à l’écran est soit un phénomène inexpliqué soit… un trucage (pourrait-on voir les rushes ?). Enfin Guss a un comportement étrange, une sorte de black-out. Toujours filmé, il dort debout durant 30 min… Plus tard sa montre affiche un retard de 2 heures.
Episode 3 : Une voix dans la Spirit Box prononce, nous dit-on le prénom Isabelle, et on voit une lueur dans l’âtre de la cheminée quand Guss n’est pas dans le champ. Il y aurait eu matière à enquêter sérieusement…
Episode 4 : Guss parle de la sensation d’être attrapé doucement par la taille. Une batterie de caméra se vide soudainement et un thérémine se met à jouer « tout seul ». Une zone d’ombre semble sortir de son corps et s’échapper. (ça mériterait bien un coup d’œil aux rushes là aussi)
Episode 5 : Guss évoque une « grosse monté d’émotion », une vague de froid… Un sentiment incontrôlable tandis que sa spirit box capte un bruit qu’il interprète comme un « Je t’aime ». « J’ai l’intime conviction d’avoir ressenti l’empreinte émotionnelle de quelqu’un d’autre».
Episode 3 de la saison 2, Guss parle avec l’esprit d’un enfant mort par l’intermédiaire d’un appareil sensé être sensible aux champs électromagnétiques et avec lequel les esprits peuvent interagir pour communiquer. Après cette discussion des traces de pas le conduisent vers un tas de feuilles mortes sous lesquels il trouve un jouet d’enfant, une petite voiture qui a l’air fort ancien. Instant émotion. Apparemment, l’enfant mort fait référence à une histoire de noyade cent ans plus tôt, mais Guss admet plus tard que le jouet est plus récent que ça. Pour un œil au moins un peu sceptique, tout ça ressemble à de la mise en scène… un peu trop bâclée pour être complètement assumée.
Et puis, bien sûr, il y a le spectaculaire événement de la boite tirée comme par magie dans la Tour Moncade…
On observe comme un crescendo dans l’ampleur de ces manifestations. C’est très cohérent avec l’hypothèse d’une contrefaçon généralisé des vidéos. On note qu’à chaque fois, Guss fait le choix de ne pas chercher à prouver la véracité de ses dires. Jamais il ne contacte des scientifiques ou des sceptiques. Pourtant ilveut faire connaître ses expéditions, puisque tout est diffusé sur YouTube, et à une large audience. Pourquoi ce choix de faire seulement du spectacle s’il capture réellement un phénomène paranormal ? N’importe quel tenant (et n’importe quel sceptique réellement intéressé) serait heureux qu’une analyse sérieuse soit faite pour distinguer le vrai du faux. Guss ne fait jamais ce choix, et c’est difficile à concilier avec l’idée qu’il serait sincère dans sa démarche. Pourquoi ne pas revenir sur les lieux avec plus de matériel ou des gens supplémentaires capables de témoigner que tout est bien réel ? Ou bien, plus simplement, pourquoi ne pas préparer ses expéditions solitaires avec des zététiciens pour voir avec eux le genre de protocole à suivre afin d’écarter les suspicions de fraude ? Si tout est authentique, c’est bien dommage, mais si tout est truqué dès le départ, cela n’a plus rien de surprenant. Pourquoi dès lors ne pas admettre que toute la chaîne est construite sur l’idée de faire croire à des phénomènes inventés ?
Car c’est, en l’état actuel des choses, l’explication la plus rationnelle à ce qui vient de se produire.
Le cas Mister Sam.
L’aspect le plus douloureux de cette affaire, pour les sceptiques que nous sommes, c’est l’implication, pendant un an, d’un vidéaste qui prétend faire un travail de sceptique. Un homme amical, sympathique, dans lequel on a toutes les raisons de faire confiance. Contrairement à Guss, il n’a rien à gagner à mentir sur le sujet. Il est le premier à détecter une anomalie, et il réalise une vidéo impeccable sur le sujet : sans accusation, avec de la méthode, de l’empathie, et des questions pertinentes. On avait toutes les raisons de penser que sa démarche était totalement désintéressée, honnête et réellement critique. Nous étions heureux de découvrir un collègue motivé par l’analyse des prétentions extraordinaires.
Un an plus tard on apprend que sa première enquête en tant que sceptique était… un fake. Et c’est un cruel constat, parce que depuis un an, Samuel a abordé d’autres sujets tout en sachant la fondation pourrie sur laquelle il se trouvait. Il a malgré lui joué un double jeu, découvrant la communauté sceptique seulement après l’avoir déjà secrètement trahie. Que faire et que penser aujourd’hui ?
A la sortie de la démonstration de VisionElf, Samuel continue de jouer un double jeu. «J’aurais vraiment aimé trouver ça à l’époque »
Naturellement, les gens qui veulent croire aux sujets auxquels il s’est attaqué dans ses vidéos auront beau jeu de dénoncer tout son travail au titre qu’il n’est rien d’autre qu’un fraudeur. Son travail personnel peut-il se remettre d’une telle souillure ? Pire, ce malheureux épisode ne risque-t-il pas de jeter l’opprobre sur l’ensemble des sceptiques (qui déjà suscitent des réactions agacées, voire haineuses car ils osent questionner de confortables certitudes) ? Si celui-ci lui fraude, alors pourquoi ne pas douter des autres ? Pourquoi ne pas douter de ce blog que vous parcourez, ou de La Tronche en Biais qui a gobé sans moufeter que les conclusions de Sam étaient conformes à la réalité ?
Ce cas est donc plus cruel et plus grave que celui de Guss Dx, en tout cas pour l’image de la communauté des sceptiques. Bien sûr, il y avait des soupçons, certains imaginaient depuis longtemps que Samuel puisse être de mèche avec Guss. (Loki, ton flair fut prophétique en l’espèce). Certains voulaient même croire que c’était un coup de publicité. Alors mettons les choses au point : les raisons du mensonge peuvent être « bonnes ». Il s’agissait d’épargner humiliation et problèmes personnels à un homme qui était par ailleurs tout à fait sympathique. Il n’est pas utile de convoquer des hypothèses de collusion, de publicité ou autre calcul financier. L’empathie à elle seule permet d’expliquer cet imbroglio. Mais cela ne retire rien au manquement manifeste dont s’est rendu coupable Samuel, ni à l’ombre qui plane peut-être désormais sur le travail des sceptiques. Dans un monde où le rejet de la science a des conséquences dramatiques et où ce rejet a pour origine principale un sentiment de défiance envers les élites et les institutions, cette affaire ne va pas faciliter notre travail.
100% de méfiance, et c’est tout ?
Mais si l’on tentait malgré tout de tirer du positif de cette affaire ? Vous serez peut-être rassurés de voir que les zététiciens sont des humains qui peuvent être floués quand ils accordent leur confiance à celui que l’on n’a aucune raison de soupçonner de mensonge. Cela montre l’importance de cultiver le goût du travail d’équipe et en réseau. Car à chaque fois que l’un d’entre nous fautera par excès de confiance ou excès de méfiance, il faudra que la communauté des sceptiques soit là pour douter suffisamment, avec méthode, avec mesure, et se donne les moyens de vérifier où l’on a bien pu commettre une erreur. La science est un travail collectif, et il en va de même de la pensée critique.
Car n’oublions pas que, si nous avons maintenant des aveux et un récit qui semble véridique sur le déroulé des faits, si nous y voyons plus clair, nous le devons au travail d’analyse d’un sceptique dont la démonstration a prouvé qu’il y avait trucage et mensonge. Et lui même a travaillé en concertation avec d’autres, chacun découvrant un bout de vérité. C’est bel et bien un travail d’analyse, de vérification, de doute et d’argumentation qui a changé les choses. C’est la pensée méthodique appliquée qui nous a montré nos erreurs.
Alors à qui faire confiance ? À la méthode. Au travail d’équipe. Aux outils de la pensée critique. Jusqu’à preuve du contraire.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2016/07/trust.jpg183276Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2016-07-15 18:19:162016-07-15 18:54:34Affaire Guss DX — A qui faire confiance ?
La chaîne Youtube de Guss DX a plus de 400 000 abonnés. Ce n’est pas un petit chiffre. C’est un vidéaste plutôt talentueux qui réalise des vidéos en solo dans des endroits auréolés de mystère ou jouissant d’une réputation sulfureuse, en lien avec le paranormal. En clair, Guss est un chasseur de fantômes, c’est même dans le titre de sa chaîne !
Depuis le 12 juillet 2014, soit deux ans et un jour, les spectateurs voient sur leur écran Guss qui explore nuitamment des endroits flippants, et qui relève les indices, çà et là, d’une présence surnaturelle. Des voix, des objets qui bougent… Des événements sans explication rationnelle. Mais une chose est primordiale ici, c’est que ce n’est pas de la fiction. Guss est catégorique et constant : tout est vrai, tout est authentique, il est de bonne foi, sincère, honnête. Un public nombreux s’abonne et le suit, désireux d’y croire. Depuis plusieurs mois, il gagne sa vie avec ces vidéos qui sont devenues apparemment sa principale source de revenu. Il vend l’accès à ses vidéos 2€ une semaine avant de les rendre publiques sur sa chaîne Youtube. Désormais, on peut comprendre que si jamais il n’était pas vraiment honnête au début, il soit devenu prisonnier de ce devoir de faire de plus en plus sensasionnel.
De sérieux doutes
Dans la vidéo de la Tour Moncade (vue plus de 900 000 fois), on voit une boite bouger « toute seule » en réponse à l’appel de Guss qui souhaitait que les esprits du lieu se manifestent… Une boite de métal. Lourde. Qui glisse sur une table avant de tomber. Rien de ce genre ne se produit en temps normal. Or l’événement a lieu quand Guss demande « aux esprits » de lui donner un signe.
Cela pose beaucoup de questions. Des questions que l’on doit se poser devant des images de ce genre. Pourquoi Guss n’a jamais cherché à approfondir ses recherches dans les endroits où il prétend avoir été en contact avec des forces paranormales ? Pourquoi y aller seul sans témoin sceptique ? Pour la mise en scène, c’est bien, mais pour la recherche, c’est peu fiable. Pourquoi n’avoir jamais mis en place un protocole qui assure la véracité de son témoignage ? Pourquoi publier cette vidéo en mode routine plutôt qu’envoyer l’extrait totalement étonnant aux médias ou aux sceptiques ? Après tout, il tenait là une preuve vidéo d’un esprit agissant sur la matière ! Sa réaction est-elle crédible ? Autant de questions qui permettent à tout individu doté d’un esprit critique de douter très sérieusement de ce qui lui est donné à voir. Des questions auxquelles aucune réponse n’est apportée. On a donc envie de dire que personne n’aurait dû croire Guss, il n’y avait aucune raison de le faire.
Et pourtant, certains veulent y croire. C’est pourquoi le travail des sceptiques et des zététiciens est important. Notamment le travail de Samuel Buisseret qui a remis en doute les événements de la Tour Moncade et a obtenu de Guss qu’il lui envoie les rush. On ignore si les images reçues par Samuel n’ont pas été retouchées… en tout cas celui-ci n’a pas su mettre en évidence le trucage et a dû conclure sur cette absence de preuve.
Toutefois, même en l’absence de preuve de trucage, le doute était préférable, car Loki nous avait démontré qu’il était possible de répliquer le phénomène avec des moyens basiques largement à la disposition de Guss. Dans une telle situation, l’hypothèse la plus crédible, la plus vraisemblable était celle du trucage. Encore une fois, redisons-le : il n’y avait aucune bonne raison de croire Guss.
Mais, sans preuve, certains voulaient croire tout de même. Et à cela, il y a une bonne raison, c’est que l’auteur des vidéos, Guss, soutenait sans faillir, sans blêmir, que tout était vrai. Soupçonné, il a fourni les rushes, et continué à jouer la carte de la personne honnête et sincère… qui vit de ses vidéos sur le paranormal. Il est compréhensible que certains aient voulu croire que Guss n’était pas un menteur. La confiance qu’ils lui accordaient a sûrement joué un rôle important dans leur adhésion. C’est humain. Et dans son sillage une vingtaine de chaînes du même type ont vu le jour, honnêtes ou pas, alimentant l’idée que les phénomènes en question sont bel et bien observés, et donc que le regard de la science sur ces questions est faux.
Analyse déterminante ?
Comme nous l’avons dit, le doute était la position la plus raisonnable, et il est donc normal que des gens aient cherché à mettre en évidence le trucage si trucage il y avait. Cela a donné lieu à de nombreuses discussions autour de l’analyse des images de Guss, et notamment la mise en évidence d’une zone ovale qui ressemble à un « cache » (une zone ou plusieurs images se superposent).
Or donc, dernier rebondissement en date, @VisionElf met en ligne aujourd’hui une vidéo qui démontre le trucage de la fameuse vidéo de la Tour Moncade. Cela a été rendu possible par une petite erreur de Guss, qui a négligé d’appliquer certains traitements à un tout petit morceau tout à la fin de sa vidéo. Cela permet à l’internaute sceptique de proposer l’hypothèse la plus probable sur la manière dont Guss a tourné cette vidéo.
Détail intéressant : quelques jours avant la publication de cette analyse, mais après l’annonce de la découverte du cache ovale, Guss a modifié la description de son site. Une phrase a disparu, celle-ci : « j’affirme que tout est réel, qu’il n’y a aucune mise en scène, aucune préparation ni aucun trucage »
Une phrase a disparu… Le discours change ?
Que conclure ?
Nous assistons à la fin des prétentions d’authenticité d’une chaîne dont on peut désormais légitimement soupçonner qu’elle a manipulé son public pendant deux ans, probablement en partie pour des raisons pécuniaires. Les crédules sont sans doute en partie responsables du mauvais tour qu’on leur a joué, mais évidemment la première responsabilité incombe au menteur qui ment en connaissance de cause.
Naturellement, il faut laisser une chance au principal intéressé d’apporter des explications, et éventuellement de faire la preuve que cette analyse est frauduleuse et que c’est lui qui a raison. Mais dans l’état actuel des choses, et de nos connaissances à la fois sur le monde et sur la psychologie humaine, le diagnostic de fraude semble de loin le plus crédible. Et cela montre que nous devons tous rester vigilants et ne pas accepter les allégations infondées ou les témoignages qui vous demandent de renoncer aux explications scientifiques pour embrasser des explications surnaturelles, spirituelles, certes teintées de romantisme et d’aventure, mais dont il faut justement se méfier de l’attrait irrationnel qu’elles exercent sur nous.
Une déclaration extraordinaire réclame des preuves extraordinaires.
Pour offrir les meilleures expériences, nous utilisons des technologies telles que les cookies pour stocker et/ou accéder aux informations des appareils. Le fait de consentir à ces technologies nous permettra de traiter des données telles que le comportement de navigation ou les ID uniques sur ce site. Le fait de ne pas consentir ou de retirer son consentement peut avoir un effet négatif sur certaines caractéristiques et fonctions.
Fonctionnel
Toujours activé
Le stockage ou l’accès technique est strictement nécessaire dans la finalité d’intérêt légitime de permettre l’utilisation d’un service spécifique explicitement demandé par l’abonné ou l’internaute, ou dans le seul but d’effectuer la transmission d’une communication sur un réseau de communications électroniques.
Préférences
L’accès ou le stockage technique est nécessaire dans la finalité d’intérêt légitime de stocker des préférences qui ne sont pas demandées par l’abonné ou l’internaute.
Statistiques
Le stockage ou l’accès technique qui est utilisé exclusivement à des fins statistiques.Le stockage ou l’accès technique qui est utilisé exclusivement dans des finalités statistiques anonymes. En l’absence d’une assignation à comparaître, d’une conformité volontaire de la part de votre fournisseur d’accès à internet ou d’enregistrements supplémentaires provenant d’une tierce partie, les informations stockées ou extraites à cette seule fin ne peuvent généralement pas être utilisées pour vous identifier.
Marketing
Le stockage ou l’accès technique est nécessaire pour créer des profils d’internautes afin d’envoyer des publicités, ou pour suivre l’internaute sur un site web ou sur plusieurs sites web ayant des finalités marketing similaires.