Ce billet contient la critique d’Alexis SEYDOUX, publiée le 22 septembre 2025, et la réponse de Nicolas Bourgeois, publiée le 29 septembre.
Critique d’Alexis Seydoux
Le 31 juillet dernier, j’ai répondu à l’invitation de Thomas Durand sur La Tronche en Biais à Nicolas Bourgeois, un auteur mettant doute l’historicité de Jésus et avant l’hypothèse que le personnage de Jésus est une invention[1]. Lors de ce débat en direct, j’ai mis en avant les arguments qui construisent le consensus des historiens attestant de l’existence d’un Jésus historique. Cette période n’est pas ma spécialité, mais d’une part, je l’ai étudiée dans mon cursus universitaire et j’ai continué à travailler dessus, et d’autre part, j’ai présenté une conférence pour l’AFIS sur ce sujet[2].
L’hypothèse de monsieur Bourgeois a été présentée dans un livre, Une invention nommée Jésus, qu’il m’a fait parvenir depuis et dont je présente ici une recension[3].
L’historicité de Jésus a fait l’objet de débat entre historiens. Pour certains, les sources permettant d’attester de l’existence de Jésus ne sont pas assez solides pour assurer de l’historicité du personnage ; et si Jésus n’existe pas, alors les fondements du christianisme comme religion révélée s’écroulent. Aujourd’hui, le consensus des historiens penche nettement en faveur de l’existence de Jésus. Ce débat est assez bien résumé notamment par Maurice Sartre, un antiquisant spécialiste de l’Orient romain[4].
La première chose qui frappe dans cet ouvrage, c’est la faiblesse de la bibliographie présentée. Une quarantaine d’auteurs est cité, essentiellement autour de la vie Jésus ; il manque, à mon sens, d’une part une grande partie des ouvrages anglo-saxons sur la question, notamment les grandes synthèses comme le premier volume de la Cambridge History of Christianisme ou les ouvrages analysant les sources du premier christianisme[5]. C’est aussi le cas d’une partie des synthèses publiés en français, tel que le premier volume l’Histoire du Christianisme, ou la L’Histoire générale du Christianisme[6]. Ces ouvrages sont actuellement les synthèses les plus complètes présentant le consensus historique. D’autre part, il manque les ouvrages qui mettent en avant le contexte historique et religieux de cette période[7]. De fait, monsieur Bourgeois ne s’intéresse ni au contexte historique de la Judée ou de l’Empire romain au Ier siècle, ni au contexte du judaïsme ; cette partie court sur deux pages de la première annexe de l’ouvrages, et ne met en avant qu’une rapide chronologie des débuts du judaïsme à la révolte de 135. Du coup, Nicolas Bourgeois n’aborde jamais le contexte de production et de réception des textes dont il fait la critique.
Il emploie également un argument ad hominem, en indiquant que les auteurs qui travaillent sur l’existence de Jésus sont des croyants. Ceci n’est pas exact et il aurait fallu que Nicolas Bourgeois présente une historiographie du sujet.
L’essentiel de l’argumentation de monsieur Bourgeois repose sur une critique serrée des textes qui évoquent Jésus. Trois sont essentiellement mis en avant : les sources, essentiellement les Évangiles, sont incohérentes, donc faux ; les autres textes sont inspirés par des chrétiens, sont orientés et donc non recevables ; les textes non chrétiens sont trop éloignés ou douteux, donc peu acceptables.
Ces arguments sont en réalité faibles et ont déjà été présentés par les historiens. Le fait que les Évangiles manquent de cohérence et ne permettent pas de reconstruire une biographie de Jésus est une évidence que les historiens ont longtemps mise en avant, puisque c’est en grande partie sur cela que l’exégèse s’est fondée dès le XVIIIe siècle. Les Évangiles ne sont pas des biographies de Jésus, mais des textes militants cherchant à montrer aux autres factions juives de la validité du message de Jésus.
L’autre arguments, c’est que la plupart des textes qui parlent de Jésus sont chrétiens donc orientés. Là encore, c’est enfoncer une porte ouverte ; et c’est mal connaître ce qu’est la critique des sources sur laquelle la méthode en Histoire. Toute source écrite est orientée et subjective. Que les Évangiles soient produits par des proches du groupe qui reconnait Jésus n’enlèvent pas leurs valeurs. Que les textes parlant de Jésus – ce qui n’est pas forcément le cas, trouvent leur source parmi les suiveurs de Jésus, ne démontre pas que Jésus est une invention. Si on écartait d’emblée toutes les sources produites par une entité politique car elles sont “militantes”, alors on ne connaitrait rien de la religion des Grecs car on aurait écarté Homère et Hésiode, rien des Carolingiens, car on ne s’appuierait pas sur leurs lois et rien sur Magellan car on écarterait le récit de Pigafetta. Le travail de l’historien consiste à comprendre et à critiquer ces textes, notamment en s’appuyant sur leur contexte de production et de diffusion.
L’analyse des ouvrages de Flavius Josèphe est sans doute le plus représentatif du manque d’analyse de ces textes. Nicolas Bourgeois s’interroge dans son ouvrage du manque de mention de Jésus dans son premier ouvrage, La guerre des Juifs, pourtant plus anciens. En revanche, l’auteur juif cite Jésus dans le deuxième dans le passage appelé le Testimonium Flavianum. Pour l’auteur, c’est un argument montrant que la “propagande” chrétienne a influencé Flavius Josèphe. Mais, il ne prend pas en compte les intentions de l’auteur : le premier ouvrage de Flavius Josèphe a pour objet d’expliquer la guerre des Juifs, donc les événements de 67 à 70 en Judée et spécialement le propre rôle de l’auteur ; c’est donc, avant tout, un texte justificatif. Le second, Antiquités Judaïques est écrit par Flavius Josèphe pour expliquer aux Romains ce qu’est le judaïsme. Et dans ce cadre, il décrit les différents groupes juifs, dont ceux qui croient en la résurrection de Jésus. Il ajoute que pour que le Testimonium Flavianum soit valable, il faudrait s’assurer qu’il soit bien écrit, du moins en parti, par l’auteur juif et que sa source ne soit pas chrétienne. Or, si ce passage connaît bien une interpolation bien étudiée par les chercheurs, on sait qu’il est bien de la main de Flavius Josèphe, notamment du fait de son style et par une copie de ce texte non interpolé qui a été retrouvé[8]. Que sa source soit chrétienne, c’est possible, mais cela n’invalide pas la mention de Jésus comme personnage historique.
Du coup, ne prenant pas en compte le contexte politique et religieux de la Judée, particulièrement entre 66 et 135, et ne mettant pas en avant le contexte de production et de réception de ces textes, Nicolas Bourgeois se livre dans son ourvrage, à un exercice d’hypercritique.
La démonstration de Nicolas Bourgeois est donc uniquement fondée sur la critique des textes. Mais, jamais il ne cherche à expliquer comment le personnage de Jésus a été inventé par les Chrétiens et en quoi on comprend mieux la naissance de la religion chrétienne est mieux expliqué par l’inexistence de Jésus que par son existence ?
La critique des sources de Nicolas Bourgeois est donc assez faible, car elle ne se fonde que sur une hypercritique de ces textes, sans jamais tenir compte du contexte historique, du contexte de production, des intentions des auteurs et de l’intertextualité. Cette critique est très éloignée des méthodes actuelles de l’histoire. De plus, dans cet ouvrage, il n’explique pas pourquoi et comment le personnage de Jésus aurait été inventé. Du coup, il ne propose pas une explication meilleure que celle du consensus actuel.
Alexis Seydoux
Références
[1] https://www.youtube.com/watch?v=VNwJw5VSlG0&t=4822s, consulté le 15 août 2025.
[2] https://www.youtube.com/watch?v=U1_fzHdFYkY&t=4964s, consulté le 15 août 2025.
[3] Nicolas BOURGEOIS, Une invention nommée Jésus, autoédité, 2023.
[4] Maurice SARTRE, “L’historien face au christianisme : quelques réflexions”, in Pierre GEOLTRAIN (edit), Aux origines du Christanisme, Paris, Gallimard, 2000.
[5] Margaret MITCHELL et Frances Young (edit), The Cambridge History of Christianity, vol 1, Origins to Constantine, Cambridge, CUP, 2006 ; Andrew RADDE-GALLWITZ, The Cambridge editions of Early Christians Writings, Cambridge, CUP, 2017 ;
[6] Jean-Marie MAYEUR, Charles PIETRI, Luce PIETRI, André VAUCHEZ et Marc VENARD, Histoire du Christianisme, tome 1, Le Nouveau Peuple (des origines à 250, Paris, Desclée, 2000 ; Jean-Robert ARMOGATHE, Pascal MONTAUBIN, Michel-Yves PERRIN, Histoire générale du Christianisme, tome 1, Des origines au XVe siècle, Paris, PUF, 2010.
[7] David WENHAM, Jesus in Context. Making Sense of the Historical figure, Cambridge, CUP, 2021 ; Gillian CLARK, Christianity and Roman Society, Cambridge, CUP, 2004 par exemple.
[8] Simon Claude MIMOUNI et Pierre MARAVAL, Le Christianisme des origines à Constantin, op. cité, page 75.
Réponse de Nicolas Bourgeois
Vous venez de lire une critique très défavorable de mon livre Une invention nommée Jésus par Alexis Seydoux. Je crois que mon contradicteur a mal lu mon livre. Commençons par les erreurs factuelles.
Alexis Seydoux écrit : « dans cet ouvrage, il n’explique pas pourquoi et comment le personnage de Jésus aurait été inventé ». J’ai écrit : « Au cours des chapitres précédents, nous avons vu comment Jésus a été fabriqué : d’après les Écritures. Nous allons maintenant voir pourquoi ». Voir le début du chapitre 10 sur le Messie.
Alexis Seydoux me reproche à plusieurs reprises de ne pas tenir compte des contextes historiques et religieux de la Judée, du judaïsme et de l’Empire romain ni de l’intertextualité. Je m’y intéresse dès l’introduction : « Pourquoi a-t-on inventé Jésus ? On ne voit pas. On ne voit pas car l’histoire de Jésus est née dans une culture différente de la nôtre et dans un contexte historique particulier. Une fois tout cela exploré, l’invention de Jésus paraît beaucoup moins étonnante »… jusqu’à à la conclusion : « Jésus est le fruit de l’espoir de salut du peuple juif. Cet espoir s’est exprimé de façon religieuse, comme il était normal pour ce peuple et pour cette époque » … en passant par un chapitre consacré au Messie largement consacré au contexte religieux de la Judée du premier siècle et à la comparaison de textes de provenances différentes.
Alexis Seydoux me reproche des raisonnements que je n’ai pas tenus. J’aurais écrit « que les auteurs qui travaillent sur l’existence de Jésus sont des croyants. Ceci n’est pas exact… » Bien sûr que ce n’est pas exact mais j’ai écrit autre chose : « beaucoup de spécialistes sont des croyants, assez souvent des prêtres » (voir, dans l’introduction, le dernier paragraphe de L’avis des spécialistes), ce qui apparaît clairement à quiconque a fréquenté la bibliographie du sujet.
On me reproche ce propos : « les Évangiles, sont incohérentes, donc faux ». Oui les évangiles sont incohérents, et Alexis Seydoux le dit aussi, mais je n’en conclut pas qu’ils sont faux : « Sans disqualifier définitivement les évangiles, cela montre que leurs auteurs étaient mal renseignés ou qu’ils ont inventé ». Voir le début du chapitre 5 sur les contradictions entre les évangiles.
Et celui-ci : « les autres textes sont inspirés par des chrétiens, sont orientés et donc non recevables ». Je ne sais pas à quel endroit d’Une invention nommée Jésus Alexis Seydoux a trouvé cet élément.
En revanche, Alexis Seydoux relève un argument que j’ai effectivement avancé : pour que le Testimonium Flavianum atteste l’existence de Jésus, il faut deux conditions ; que ce texte ait effectivement été écrit par Josèphe et que Josèphe ne tire pas son information des chrétiens. Pour abréger la discussion, admettons que la première condition est bien vérifiée, que Flavius Josèphe a bien écrit ce texte. En ce qui concerne la deuxième condition, je suis d’accord avec Alexis Seydoux, on n’en sait rien. Il est possible que Flavius Josèphe tire son information des chrétiens. Pour Alexis Seydoux, ce n’est pas un problème : « Que sa source soit chrétienne, c’est possible, mais cela n’invalide pas la mention de Jésus comme personnage historique ». Pour moi, c’est grave, si Josèphe a été renseigné sur Jésus par des chrétiens (que ce soit certain ou seulement possible), alors ce témoignage s’explique aussi bien que Jésus ait existé ou pas, et il n’atteste pas l’existence de Jésus. Ce n’est pas un problème de contexte, de méthode ou d’érudition mais seulement de logique.
Je suis aussi d’accord avec Alexis Seydoux quand il écrit : « Aujourd’hui, le consensus des historiens penche nettement en faveur de l’existence de Jésus ». Là, oui, l’argument est impressionnant. Enfin, c’est l’argument d’autorité. Rien de plus. Alors, on peut essayer de creuser, on peut essayer d’examiner les arguments que les historiens spécialistes de Jésus avancent en faveur de son existence. Ça fait longtemps que je creuse et j’ai constaté que tous leurs arguments sont mauvais. Alexis Seydoux vient de nous en donner un exemple avec Flavius Josèphe qui, peut-être, n’est renseigné que par les chrétiens mais qui atteste quand même que Jésus a existé. Les historiens spécialistes de Jésus avancent une dizaine d’autres arguments qui sont devenus des classiques et dont aucun n’est valable. Je les ai examinés dans mon livre, il suffit de le consulter. Vous pouvez aussi en avoir un aperçu sur ma chaîne YouTube.
Vous ne me croyez pas ? Vous ne pouvez pas admettre que quelques mythistes aient raison contre des centaines d’historiens reconnus, admirés, surdiplômés et hyper-compétents ? Regardez leurs arguments, ils ne valent rien. Alors, bien sûr, c’est quand même étonnant et c’est là qu’il faut signaler que beaucoup d’entre eux sont des croyants, que beaucoup d’entre eux sont employés par une université catholique ou protestante, que beaucoup d’entre eux ont obtenu leurs diplômes d’histoire et parfois de théologie dans une université catholique ou protestante. Alors, sans être exagérément soupçonneux, on peut craindre un conflit d’intérêts : il y a sans doute des choses qu’un chercheur n’a pas intérêt à dire, du moins s’il est soucieux de sa foi et/ou de son employeur et/ou de la considération de ses confrères et/ou de sa carrière.
Il faut se mettre à la place des spécialistes croyants. Ils seraient dévastés s’ils devaient admettre que Jésus n’a pas existé. Alors, quand ils s’aperçoivent que la documentation sur Jésus n’est pas fiable, ils cherchent des raisons de penser qu’on peut quand même lui faire confiance. Et s’ils ne trouvent pas de bonnes raisons, ils se contentent d’arguments très faibles. C’est mieux que rien.
Alexis Seydoux conclut par « il ne propose pas une explication meilleure que celle du consensus actuel ». Les quatre évangiles sont la principale source d’information sur Jésus. Alexis Seydoux nous rappelle que : « les Évangiles manquent de cohérence » , « les Évangiles ne sont pas des biographies de Jésus, mais des textes militants cherchant à montrer aux autres factions juives de la validité du message de Jésus ». Dans mon livre j’ai expliqué que
- les évangiles racontent des histoires invraisemblables ;
- les auteurs des évangiles sont prêts à inventer n’importe quelle histoire pourvu que cela les arrange ;
- les auteurs des évangiles avaient de bonnes raisons d’inventer le personnage de Jésus ;
- au Ier siècle, les chrétiens sont les seuls à avoir remarqué le personnage de Jésus ;
- les historiens spécialistes du Jésus historique sont souvent en situation de conflit d’intérêts car ils défendent leur foi ou celle de leur employeur ;
Désolé, je n’ai rien de plus, mais cela me semble bien plus convaincant que les mauvais arguments des spécialistes.
Ajoutons aussi qu’Alexis Seydoux garde le silence sur une partie importante de mon livre : la réfutation de tous les arguments que j’ai rencontrés chez les spécialistes. Cela devrait être discuté, avant d’estimer que je « ne propose pas une explication meilleure que celle du consensus actuel ».
Quelques liens :
Mon livre, Une invention nommée Jésus : https://www.amazon.fr/gp/product/B0DNQZYZHH/ref=ox_sc_saved_image_2?smid=A1X6FK5RDHNB96&psc=1
Ma chaîne YouTube : https://www.youtube.com/@NicolasBourgeois-ps5gv
Nicolas Bourgeois