La chaîne aborde sur un ton décalé dans la forme mais sérieux sur le fond les raisons qui font que notre lecture du monde est souvent bancale.

Bénéfice du Doute #16

Invitée : Madame Captain (ou Madeline Captain : ce sont des noms de plume)

Enregistré le 17 février 2021.

Editorial

Les parents, à toutes les époques, ont été confrontés à un problème ; les enfants ne sont pas fournis avec un mode d’emploi. Il est parfois difficile de s’en faire comprendre et plus encore de les comprendre eux, et de savoir quelle décision permet leur épanouissement ou, au contraire, les abîme durablement.

Être parent est peut-être plus anxiogène aujourd’hui qu’à n’importe quelle autre époque. Le papa et la maman (surtout la maman) sont confrontés avec une facilité déconcertante à des propos qui les rendent responsables de tout ce qui pourrait ne pas aller pour le mieux chez leur enfant. En France la psychanalyse est passée par là, et nous savons l’empressement de cette discipline à tout expliquer par des rapports défectueux durant la petite enfance à cause d’une maman trop présente. Ou pas assez présente. D’un papa trop autoritaire. Ou pas assez autoritaire. La psychanalyse explique à la volée absolument tout et son contraire, et donc absolument rien. Je vous prierai d’ailleurs de garder vos commentaires inspirés de psychanalyse pour vous.

Revenons-en au cœur du sujet de ce soir. Nous pouvons sans doute convenir ensemble d’un certain nombre de chose ; faisons un sondage. Si je vous propose une Parentalité Bienveillante Protectrice Respectueuse Positive : s’il vous plait, levez la main si vous êtes contre. D’accord, merci.

Nous sommes d’accord sur le principe et pourtant cela ne va pas de soi dans les faits. On crie sur les enfants, on les corrige (c’est un euphémisme pour la baffe et la fessée), on les punit, on veut qu’ils soient assez autonomes pour ne pas faire de bêtises, mais on veut qu’ils se taisent quand on fait des choix à leur place, on ne prend pas toujours le temps de leur expliquer pourquoi on leur demande certaines choses… et cela dans le cercle familial comme à l’école. On les force —et ce « on » ce ne sont pas seulement les parents—  On les force à répondre aux attentes de la société. Et on le fait pour leur bien, parce que le monde n’est pas facile, parce qu’il faut les endurcir, les préparer à être des individus résistants. En tout cas c’est l’histoire qu’on se raconte pour justifier d’agir ainsi.

Echantillons : « Oh lala, une gifle ça n’a jamais tué personne. » « Moi, j’ai réussi parce que mes parents ont été durs avec moi, exigeant. » « Cette école est très stricte, et elle produit des étudiants qui excellent dans leur parcours… » Etc. Certains d’entre vous auront reconnu dans ces exemples le biais du survivant, associé ici à ce qu’on pourrait appeler le biais de justification du système[1].

La parentalité bienveillante propose d‘arrêter de se justifier et de regarder ce qu’on peut faire mieux. Et nous en parlerons avec notre invitée. Mais nous parlerons aussi des risques que l’on encourt lorsqu’on s’aventure dans le milieu des influenceurs et influenceuses Parentalité où la bienveillance est parfois un élément de langage en porte-à-faux avec les comportements.

Ce soir nous n’épuiserons évidemment pas le sujet de l’éducation, ni même celui de la Parentalité positive/bienveillante. Nous ne vous livrons pas un analyse sociologique exhaustive issue d’une littérature académique sur un phénomène nomenclaturé, mais le regard d’une sceptique, d’une maman qui a rencontré les discours, les pratiques, les attitudes et injonctions du milieu de la Parentalité Bienveillante, qui en a souligné les défauts et s’est retrouvée en butte à des réactions qui n’avaient rien de bienveillant. La Parentalité c’est aussi du business, de l’édition, du coaching personnel, de l’influence et de l’idéologie. C’est aussi pour ça que les discours séduisants sont défendus âprement par ceux qui en tirent un profit substantiel. Mine de rien cette thématique est très conflictuelle, mais ce soir nous ne sommes pas en croisade, nous allons simplement remettre un peu de scepticisme dans un milieu qui verse peut-être un peu dans le dogmatisme et ajoute sur les épaules de parents déjà bien assez stressés le poids d’injonctions injustifiées.

Pour ce Bénéfice du Doute numéro 16, nous recevons Madame Captain.

Lien vers la page Instagram de Mme Captain.


[1] https://blog.mieux-apprendre.com/2020/01/10/pourquoi-la-societe-a-du-mal-a-changer-le-biais-de-justification-du-systeme/

Tronche en Live 97

Invité : Christophe Darmangeat

Enregistré le 10 février 2021

Editorial

Nous connaissons tous les grandes questions existentielles sur le sens de la vie. Pourquoi sommes-nous là ? Pourquoi vivons-nous ? Pourquoi certaines évidences nous frappent-elles ? Pourquoi certaines illusions persistent-elles ? Pourquoi nous posons-nous tant de questions ? Pourquoi les réponses sont-elles si souvent à ce point frustrantes ?

Alors nous regardons vers nos anciens, nos sages prédécesseurs, en espérant que le temps qu’ils ont passé dans le monde avant nous a été mis à profit pour en tirer des indices sur ce qu’il faudrait penser. Mais plus nous cherchons dans le passé, moins nous trouvons, et plus les traces de nos ancêtres se perdent dans un buisson que nous partageons avec les primates, ce qui écorche un peu la vision que l’on voudrait avoir de nous-mêmes en tant que créatures séparées de l’animalité, en tant qu’êtres de raison, de civilisation, catégoriquement distincts des singes et des sauvages. Il faut pardonner à ceux qui ont du mal à se défaire de cette illusion-là.

D’autant que les illusions sont nombreuses sur la manière dont nous nous représentons les humains d’avant, les gens de la préhistoire. Et la science, toujours inscrite dans son temps, toujours tributaire de la culture qui la développe a elle aussi contribué à certaines caricatures : l’homme des cavernes brutal, bourru, qui règle tous ses problèmes à coup de massue traine encore un peu dans les vieux rayonnages des bibliothèques. L’ancien sauvage, détaché des biens matériels, nomade vivant de cueillette en harmonie avec la nature, paisible et sage, est une autre carte postale qui nous cache le paysage.

Le problème avec la Préhistoire est notre tentation à chercher dans le passé la justification de notre vision actuelle du monde. À ceux qui ne sont plus là on voudrait faire dire ce qui nous arrange. Nous instrumentalisons trop facilement les indices des modes de vie anciens pour « naturaliser » l’ordre des choses… Il est rassurant de se dire que la manière dont nous voulons régir la société répond à un impératif qui s’est manifesté des millénaires avant nous et a été validé par tous ceux qui nous ont précédés.

Mais à l’inverse certains n’hésitent pas à s’imaginer d’autant plus évolués qu’ils s’estiment éloignés de la figure de l’ancêtre et veulent croire que leurs standards modernes surpassent nécessairement ceux du passé.

Nous ne trancherons pas ce soir sur ces questions prescriptives, sur ce la société doit choisir de faire, mais nous essaierons de rendre justice à la préhistoire en nous efforçant d’être avant tout descriptifs. Que savons-nous de nos ancêtres ? Comment le savons-nous ? Quel degré d’incertitude demeure dans ces connaissances ? Nous explorerons plus précisément la question de la violence et de la guerre (qui ne pouvait exister au pléistocène sous la forme que nous lui connaissons aujourd’hui) et des inégalités. Comment savoir aujourd’hui ce qui se passait il y a si longtemps ? Est-ce seulement possible ?

Tentative de réponse avec Christophe Darmangeat, Maître de Conférences à l’Université Paris Diderot en Sciences Economiques et directeur de recherches en Anthropologie Sociale.

Ressources et liens utiles

Christophe Darmangeat est l’auteur de plusieurs livres : « Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était » , « Conversation sur la naissance des inégalités« , « Le profit déchiffré« , « Justice and Warfare in Aboriginal Australia » (et sa future version française)

Le Bénéfice du Doute #15

Invité : Paul Conge

Enregistré le 27 janvier 2021. 20h

Les sceptiques et zététiciens se manifestent par leurs critiques envers des discours qui imitent la science, qui prétendent apporter des preuves de phénomènes hautement discutables, ou bien qui abusent des fallacies derrière lesquelles il devient difficile de faire la part des choses. Beaucoup parlent de paranormal parce qu’ils trouvent ça intéressant et sont agacés par les sempiternelles promesses de dévoilement des médium, des extralucides… des  gourous.

Les sceptiques et zététiciens concoctent des débunkages, rédigent des livres, des articles critiques, relèvent les abus rhétoriques, dénoncent les impostures et militent pour la prudence dans nos aspirations à dire qu’on a la réponse aux questions qu’on se pose.

Mais les sceptiques et zététiciens ne traitent par tous les sujets, et on le leur reproche. Par exemple : « Hey, dis donc, pourquoi s’attaquer à Didier Raoult et pas au laboratoire Gilead ? » se demandent certains. La question est valide et la réponse tient dans ce que je viens de dire : le champ de compétence des Zététiciens est dans l’analyse des discours et la détection d’éventuels écarts entre les faits disponibles et les allégations proférées. Indépendamment de notre volonté, sans qu’on ait rien demandé, Didier Raoult nous a abondamment fourni des occasions de relever de tels décalages. Les informations disponibles permettent à des gens modérément compétents en science de prononcer une critique pertinente. Quant à Gilead, à Big Pharma en général, aux puissances économiques, aux officines et autres groupements d’intérêts… Il ne serait pas étonnant que des cachoteries et mauvais coups méritent d’être dénoncés. Mais qui est armé pour le faire ?

Si les zététiciens comme nous n’enquêtent pas sur les magouilles, les escroqueries, les montages financiers, ce n’est pas parce que de telles choses n’ont pas d’importance. Au contraire ; cela demande des compétences, des outils, une formation qui n’est pas la nôtre. Nous arpentons un terrain qui est épistémique, et pas judiciaire, pénal ou fiscal. Il ne faut pas nous demander de faire ce que nous ne sommes pas capables de faire correctement !

Nous avons besoin de journalistes d’investigation, formés, épaulés par une rédaction qui leur ouvre des portes et s’assure du recoupement des informations, experts dans la recherche d’information, la protection des sources, l’exploitation des données publiques, l’art d’interroger les témoins. C’est ce travail là qui permet en définitive d’établir les dossiers qui peuvent amener devant la justice les manipulateurs. Les tribunaux ne condamnent pas les gens parce qu’ils ont une épistémologie avariée ou des querelles avec des débunkers. En revanche on condamne l’exercice illégal de la médecine, l’abus de faiblesse, le détournement de fond, des activités étonnamment récurrente dans la carrière des gourous.

Notre invité de ce soir, Paul Conge, journaliste à Marianne a mené une enquête de ce genre à propos d’un certain Jacques G, astrologue, conférencier, soi-disant alchimiste et expert dans la Science des Anciens et prolixe informateur de « La révélation des Pyramides ».

Le livre de l’invité : « Les Grands Remplacés », Arkhe, 2020.

Tronche en Live #95

Enregistré le 9 décembre 2020

Invité : Nicolas Fressengeas, professeur de Physique et chargé de mission “Science Ouverte” de l’Université de Lorraine.

Editorial

Les humains viennent au monde sans mode d’emploi. Les parents font ce qu’ils peuvent, les enseignants aussi. Mais la réalité c’est que les enfants apprennent tout seul à parler, à marcher, à mentir, à faire confiance… car ils ont une sorte de module qui les rend capable d’apprendre à apprendre. Mais ça ne veut pas dire que c’est simple pour autant.

Non seulement nous n’avons jamais la science infuse : nous sommes obligés d’apprendre laborieusement comment fonctionne un transistor, une éolienne, un poumon ou un prêt immobilier, mais nous devons aussi essayer de comprendre comme marche l’amitié, l’amour, la rancune, l’ambition, comment on peut s’exprimer le plus clairement afin d’obtenir ce que l’on veut… tandis que l’horloge tourne et qu’on s’aperçoit que la vie est étonnamment courte et pleine de réponses qui sont de moins en moins claires, de nuances toujours plus floues. Enfin, je suppose que c’est ce qui arrive aux plus sages d’entre nous.

Le résultat, c’est que nous sommes bien forcés de nous débrouiller un peu tout seul pour évaluer ce que nous croyons être vrai, ce qui nous semble faux et ce qui doit rester incertain. En conséquence, nous ne croyons pas tous les mêmes choses sur le monde, sur le sens de la vie, sur l’origine de l’univers, sur le destin de la Nation, sur l‘histoire des peuples, ou sur les priorités de la société. Les débats ne permettent pas toujours de trancher ces questions, de désigner une vérité inévitable, de rejeter l’erreur. Nous restons donc, bien souvent avec nos croyances, vraies ou fausses, et avec l’illusion que si nous croyons une chose, c’est qu’on a d’excellentes raisons de le faire, alors que les autres sont quand même plutôt crédules et idiots. La vérité à ce sujet est probablement que les humains ne sont pas pleinement libres de croire ce qu’ils veulent, ils sont déterminés dans leurs croyances par des processus très complexes qui leur échappent, l’expression de la croyance n’étant que le résultat d’une longue chaine causale insaisissable.

Il en va de même pour nos revirements, nos doutes, nos changements de cap : il est souvent bien difficile d’identifier la cause de tout cela, le moment clef qui éclaire d’un jour nouveau nos horizons. En somme, changeant est l’homme qui regarde le monde et cherche à ne pas se tromper.

Et ce changement, il peut être très compliqué, très lourd de conséquence, et même effrayant quand le point de départ est une position très tranchée, polarisée, une croyance revendiquée, une conviction partagée avec un groupe, une congrégation, un parti, des amis, une famille.

Changer de croyance, ça peut arriver à chacun d’entre nous, et cela peut mettre en danger la manière dont nous vivons notre vie, nos relations, nos loisirs, notre travail, notre couple. En l’absence de solution miracle, il est sans doute bon ne serait-ce que d’en parler et de voir les étapes par lesquelles on passe, les pièges qui peuplent cette zone de transition et les choix que l’on peut faire dans notre manière de réagir à nos doutes ou à ceux des gens autour de nous.

Pour explorer la question de l’abandon des croyances, nous recevons Pascal Wagner Egger, enseignant-chercheur en psychologie sociale et en statistique à l’Université de Fribourg.

Depuis le départ, La Tronche en Biais est un projet dont la dimension artistique est très importante, avec une écriture théâtrale, une réalisation et une post-production imaginatives et une musique originale. À cela s’ajoute, épisodiquement, la chanson. Nous réunissons sur cette page nos créations musicales, écrites et composées par Vled Tapas ou Acermendax, ou les deux. La promotion de l’esprit critique peut-elle se passer du prisme de l’art pour donner envie au public, d’acquérir ses outils ?

NB : Les compositions 100% instrumentales de Vled Tapas sont disponibles à cette adresse.

 

1. J’ai comme un doute.

Sur son thème du générique de la Tronche en Biais, Vled Tapas a composé ce morceau sur des paroles écrites par Acermendax et lui-même.

https://www.youtube.com/watch?v=VqwzBeIEfdE&ab_channel=LaTroncheenBiais

Les paroles

Le monde est complexe
Mon pauvre cortex
Silencieux Sysiphe
Frêle et combattif
Veut tout savoir
Ne veut plus croire
Encombrant espoir

Partout sur la Terre
D’effarants mystères
L’ignorance est grande
Et je me demande
Si ma ferveur
Était un leurre
Suis-je dans l’erreur ?

Que dissimule l’effet placebo,
L’inconscient psychanalytique ?
Comment fonctionne la mémoire de l’eau ?
Ta gueule, c’est quantique !

Des dogmes pavent ma route
Pourtant j’ai comme un doute.

Me voici largué
Comment distinguer
Une juste hypothèse
D’une autre fadaise ?
Cela réclame la fine lame
Du rasoir d’Ockham

Pour construire les plus grandes pyramides
Sans les annales akashiques
Faut-il de la famille en Atlantide ?
Ta gueule c’est quantique !

Des dogmes pavent ma route
Pourtant j’ai comme un doute.

Nul n’échappe aux paréidolies
Aux mirages des lois des séries
Aux pentes naturelles de l’esprit

Des dogmes pavent ma route
Pourtant j’ai comme un doute
Si elle n’est pas réfutable
Une idée n’est qu’une fable

2. L’Esprit ouvert

Paroles et musique : Acermendax

Arrangement : Vled Tapas

Clip : Loki Jackal

Les paroles

J’ai, je crois, un esprit ouvert.
Je peux tout croire si cela m’est prouvé.
Mais il faut quand même satisfaire
Une logique élémentaire
Pour ne pas se laisser berner.

Je peux croire au paranormal,
Tant de témoins ne sauraient mentir.
Mais se tromper c’est banal
Pour le modeste animal
Qui supporte mal de mourir.

Si tu tiens à ta conclusion
Alors je veux la partager.
Je ne suis pas débile profond,
Tu dois pouvoir m’expliquer.
Si c’est toi qui as raison
C’est ta responsabilité.

Je peux croire en la naturopathie
Consommons moins de médicaments.
Mais perso je tiens à la vie
Et à celle de mes amis
Sans preuve : dis-moi, on fait comment ?

Je peux croire que la Terre est plate
Aux énergies qui parcourent les chakras.
Mais permets que, comme Socrate,
J’ose, question délicate,
Demander comment tu sais tout ça.

Je peux croire, pourquoi pas, en Dieu
C’est si sérieux un être suprême
Qu’on doit trouver une preuve ou deux
Qu’on est bien sûr que ce qu’il veut
C’est la circoncision et le baptême.

Si tu tiens à ta conclusion
Alors je veux la partager.
Je ne suis pas débile profond,
Tu dois pouvoir m’expliquer.
Si c’est toi qui as raison
C’est ta responsabilité.

Si tu tiens à la vérité
Avec un peu d’humilité
On doit pouvoir s’en approcher

Avec les croyances à la mode
Faire preuve d’un peu de méthode
Aucune colère, pas de haine
C’est juste une question d’hygiène.

Qu’on réfute mes certitudes
Qu’on questionne mes habitudes
J’accepte tous les démentis
À mon ouverture d’esprit.

 

3. La ballade du Troll

Paroles et musique : Acermendax (aout 2019)

Joué en avant première lors du Concert en Biais du 20.12.2020 (Réal : Lise Corsiglia. Image : Loki Jackal. Son : Corentin Savre)

Les paroles

Je n’ai rien à faire dans l’histoire.
Plus inutile que moi vous n’en trouverez pas un.
Je m’attèle matin et soir à pourrir mon prochain

Mon petit plaisir ordinaire
Est de m’introduire partout, tel un parasite
Je suis le vers solitaire, je me boursoufle de bullshit !

Ah nom du drama et de la shitstorm je me démène
Je m’acharne comme une teigne pendant deux semaines
Puis je m’indigne car je suis victime d’une bien-pensance inique
Et j’échafaude une théorie bancale avec deux-trois noms politiques.

Refrain

Moi, je suis trop fort, des ennemis j’en ai plein
En vrai, ils m’adorent ces enfants de purin
Je n’ai jamais tort, et ça me fait du bien
D’oublier qu’en vrai je ne suis rien.

C’est un peu triste, évidemment
D’être un pitre cuistre et de l’arborer fièrement
Votre compassion vous honore
Mais mec, vas-y mange tes grands morts.

Répondez-moi pour que j‘exulte
Aiguillonné, moi, j’accuse tous azimuts !
Que vous en veniez à m’insulte
Je vous entraîne dans ma chute.

Anonyme en chef des brutes sans cause, je suis un fragile
Au secours, mon amour, ma liberté chérie, je veux être indocile
À la censure ! On m’assassine ! Je devrais pouvoir tout dire
À tout propos, sur tous les toits, que tu en aies envie ou pas, tu devras me subir !

Refrain

4. Si j’y crois

Paroles et musique : Acermendax (2017)

Morceau joué pour la première fois à Toulouse le 09.09.2017

Les paroles

Mon horoscope d’hier voyait un temps super pour tous les Serpentaires
Mais voilà comme par hasard un étrange brouillard à couper au poignard
Si le climat change, eh bien…. c’est à cause des OGM dans les vaccins

Aucune preuve ne peut rien contre moi.
Si j’y crois. Si j’y crois.
Si j’y crois.

Tout ce qu’on nous fait manger, c’est juste pour nous tuer, pour mieux nous contrôler.
La terre est creuse, et dessous les Reptiliens ont tout pour nous mettre à genoux
Les Illuminatis sont à l’affût. Là-haut dans leurs ovnis

En m’attendant au pire, je crois tout pour pouvoir dire
Si c’est vrai, eh bien je le savais.
Si c’est vrai, eh bien je le savais.
Et pas vous !

Les ondes, ca donne le cancer, c’est toujours délétère, sauf chez le magnétiseur.
Moins j’ai de preuves, plus c’est vrai. La preuve, c’est que c’est vrai, et que j’ai pas de preuve !
Tous les médias officiels veulent nous changer en homosexuels.

Aucune preuve ne peut rien contre moi.
Si j’y crois. Si j’y crois.
Si j’y crois.
C’est beau, c’est ça la foi,
Car aucune preuve ne peut rien contre moi.
Si j’y crois. Si j’y crois.
Si j’y crois.

 

5. Le chercheur de vérité

Paroles et musique : Acermendax (juillet 2020)

Chant : Vled Tapas

Arrangement: Studio LRMM

Clip : Acermendax

 

 

Les paroles

D’abord l’intuition que mon intuition est la bonne
Lueur intérieure qui me parle en personne
Tout le monde se trompe ; la science s’égare ; plus rien ne m’étonne

Et pourtant je cherche
Je suis sur la brèche.
Et ce que je trouve
Confirme et me prouve
Que la vérité nous crève les yeux
Tout est lumineux !

Qui sait décoder les poèmes et les adages
Allume la sagesse à tous les étages.
Moi j’ai tout compris ; j’ai tout démontré ; mais mon témoignage

Est mis à l’index
J’ai beau être sage
Comment ça me vexe !
Moi j’ai passé l’âge.
Je connais la vie. J’ai même des diplômes.
Ça vous pose un… homme.

Mais ma vérité sortira blanchie de tout ça tôt ou tard.
Moi, si j’avais tort, je serais le premier à m’en apercevoir.
La crédulité des idiots les divorce du réel.
Ils me font pitié ; je m’en moque, parce que je suis un rebelle
Panurgite aigüe, suivisme assidus, tous crétins ou vendus !
Mais pas moi.

Parce que moi je cherche
Je suis sur la brèche.
Et ce que je trouve
Confirme et me prouve
Que la vérité nous crève les yeux
Tout est lumineux !

 

6. La Chandelle dans les ténèbres

Paroles et musique : Acermendax (juillet 2020)

Arrangement : Vled Tapas

Guitare & basse : H-D

Clip : Acermendax

(Bientôt publié…)

Les paroles

On en sait si peu sur la nature du temps, l’entropie tout efface.
Peut-on supporter tant d’ignorance ?
On en sait si peu sur l’aube du vivant, l’origine fugace.
Qui sait pourquoi j’ai une conscience ?

Tant de réponses gisent dans les gosiers béants
De doctes aliborons charmeurs
Dont les certitudes grisent nos beaux espoirs d’enfants
Consolés de la nuit qui fait peur.

On en sait si peu et c’est un tel drame
Qu’il nous dévore… l’âme


[Chorale]
Ascendo ex aporia
Ipsa scientia potestas est
De te fabula narratur

Notre chandelle dans les ténèbres.
Eclaire à l’infini si on la multiplie.
Eclaire à l’infini si on la multiplie.
Sois curieux pour deux, partage le peu que tu saisis.


On en sait si peu, et l’obscur nous séduit puisque c’est lui règne
Depuis les tréfonds de nos lacunes.
Ça ne sert à rien de maudire la nuit ; le sage nous enseigne
À, comme lui, contempler la Lune.

Notre ignorance, elle-même, souveraine ironie
Ne soupçonne pas son étendue.
Sur mon front, tel en emblème, je doute donc je suis
Ce n’est pas en vain que j’ai vécu.

On en sait si peu, quelle chance, c’est inouï
Vite, apprenons la vie.

 

 

7. Nous sachons

Paroles : Acermendax (février 2024)

Musique composée avec l’IA Suno.

 

Les paroles

Mais comment c’est possible ces vieilles pyramides,
Toutes pleines d’équations écrites par des druides ?
Pourquoi qu’on nous dit pas que les États-Unis
Ben c’était les Vikings qui les ont découvert ?
Et pourquoi ce couplet a des rimes trop pourries ?
Ça nous avance à quoi ? Et ça profite à qui ?

On peut plus rien dire, on peut plus réfléchir par soi-même
On n’a même plus le droit de penser ce qu’on veut
J’ai ma vérité, elle est à moi et puis je l’aime
Elle ne rime à rien et ça, ça les gène : eux !!

[Refrain]
Comment c’est trop étrange, lorsqu’on n’y connait rien
Nos questions les dérangent, tous ces faux historiens !
Ils ont des beaux diplômes, des livres par milliers
Mais moi je sais rêver comme lorsque j’étais môme !!

Il faut que ça se sache ! Il faut que ça se sache !
Et je vous révèlerai tout ce qu’on nous cache


Les monuments, les hiéroglyphes, les tombes, les mausolées…
Il faut bien, puisque ça existe, que ça ait un sens caché !
C’est à moi que les bâtisseurs s’adressent en secret
Et tant pis si ça vous fait peur ce que j’ai à révéler !


Depuis les ruines de l’Atlantide, des champs de l’Agartha,
Dans les Pléiades et jusqu’à Mu, et même vers Shamballah,
Dans la flotte sidérale de mon pote Ashtar Sheran
J’ai tout pigé du haut de l’Everest jusqu’au fond des Mariannes.

[refrain]

Désormais… vous sachez. 

 

8. Je suis un Aigle

Paroles : Acermendax (mars 2024)

Musique composée avec l’IA Suno.

Les paroles

Toi, tu crois à la chance, au fait sur un million.
À la coïncidence qui te prend pour un pion.
Tu fais encore confiance aux infox bidons,
Aux tristes manigances en costumes Vuitton !

Les yeux fermés, la bouche ouverte, le doigt sur la couture
En rangs serrés, les fesses offertes à la vile dictature !
Mais moi jamais, lanceur d’alerte, car j’ai pris des mesures…

[Refrain]
Car moi je suis un aigle, pauvre ver de terre,
(Je suis un aigle) Un être souverain, un esprit libre et fier !
(Je suis un aigle) Tu es trop ordinaire pour voir jusqu’où j’orbite
Je suis dans la lumière…
(Je suis un aigle) Parce que c’est moi l’élite !


Vas-y rigole bien, mais on verra bientôt
Que si le fou a tort c’est d’avoir raison trop tôt.
J’ai connu Galilée ; ils l’ont brûlé pour avoir dit
La vérité sur Odysée, et sur un site conspi !

Les preuves, les enquêtes, les papiers, les études
Je n’en fais qu’à ma tête, moi j’ai des certitudes.
Les erreurs qu’ils commettent se paieront très cher
Justice sera faite, c’est bientôt Nuremberg !

 

9. Charlatan

Paroles : Acermendax (aout 2024)

Musique composée avec l’IA Suno.

Les paroles

Si on faisait comme si
J’étais un vrai soignant.
Un pro des énergies
Qui aiderait les gens,
Qu’ont des torticolis
Ou stressent tout le temps.
Venez, je fais un prix :
C’est moins cinquante pourcents !

[Refrain]
Charlatan !
Venez, je vous attends.
Charlatan !
On fait comme si. On fait semblant.
(Charlatan. hanhan)


Contre les stress émotionnels
Contre les crises existentielles :
En holistique et naturel,
Je veux jouer le professionnel !

Je suis formé, je suis formel
Dans le subtil spirituel
En molécules transpersonnelles
J’ai la solution : c’est nickel !

[Refrain]

+
Venez, je vous attends.
Charlatan ! 
On fait comme si. On fait semblant.
(Charlatan.)

 

10. Souverain

Paroles : Acermendax (juillet 2024)

Musique composée avec l’IA Suno.

 

Les paroles

Souverain ! (Souverain)
Souverain C’est le vrai citoyen.


On ne contracte pas,
Il n’y a plus d’Etat.
On ne contracte plus
Il n’y a plus d’abus.

 

[Refrain]
Souverain ! (Souverain)
C’est le vrai citoyen.
Souverain !
Aujourd’hui c’est demain
Il choisit son destin !
Il a le droit pour lui.
Et il a tout compris !

Souverain (Souverain)
Souverain (Souverain)
On n’est pas là pour souffrir… pour rien !

A l’Encre rouge – En minuscule
Et la loi capitule.
La police le hait,
Les juges sont bouche bée.
Et jusqu’à l’Elysée, il les fait trembler !!
Car il est

Souverain ! (Souverain)
C’est le vrai citoyen.
Souverain !
Aujourd’hui c’est demain. Il choisit son destin !
Souverain ! (Souverain)
C’est le vrai citoyen. (Souverain)
Il a le droit pour lui.
Et il a tout compris !

Si on le contrarie, ça va faire du vilain
On vit dans son pays, c’est lui le SOUVERAIN !!
Souverain !

11. Hubris zététique

Paroles : Acermendax (février 2024)

Musique composée avec l’IA Suno.

Les paroles

Avant j’étais biaisé
Je croyais qu’il suffit
d’avoir un ressenti
Pour savoir qui dit vrai.

Aujourd’hui c’est réglé
Je n’ai plus de souci
Je vois clair dans la nuit
J’ai le remède parfait !


(Refrain)
(Zététique) Je maitrise, j’ai dead ça !
(Zététique) Je critique ce que je vois.
(Zététique) Tous mes biais sont derrière moi
(Zététique) Vas-y frérot, qu’est-ce que tu crois ?!


Finie la surconfiance,
Je surkiffe ma raison.
Bardé de compétences :
Aucune hésitation !

Fermés les angles morts,
je réfléchis plus vite.
Crois-moi si j’avais tort :
Je le verrai tout de suite !


C’est pas une question de chance
Mais plutôt d’obstination.
Moi, j’ai travaillé à fond !
J’ai trouvé la solution !


Surconfiance. Autosuffisance (non, non, non)
Angle mort et confirmation (oh yeah)
J’ai la chance, j’ai la compétence (oui, oui, oui)
J’ai trouvé la solution !

(Refrain)

 

12. Le meilleur des mondes

Paroles : Acermendax (avril 2024)

Musique composée avec l’IA Suno.

Les paroles

Tout ici-bas doit avoir un début.
Tout a une cause, ne soyez pas têtu !
Mais Dieu échappe à cette condition.
Pourquoi ? Parce que c’est sa définition.

L’horloge évidemment suppose un horloger ;
Lui-même a des parents, bien sûr c’est la faille
De la comparaison que j’avais ouvragée
Pour vous convaincre de revenir au bercail.

Les souffrances abjectes qui partout dominent
Sont le signe parfait d’une bonté suprême,
Qui nous fait naître, croître, et qui nous illumine,
Mais veut qu’on ait le droit de se damner nous-mêmes !

Aucune contradiction ne dure.
Entre le livre de la nature.
Et les Saintes Écritures !

[Refrain]
Dans le meilleur des mondes, où tout est pour le mieux,
L’intelligence abonde en nos cœurs si joyeux.
La logique déserte lorsque la foi annonce
Qu’à ses questions expertes, elle détient les réponses.

Même Darwin, en expirant, s’est repenti
D’avoir troublé le monde avec sa théorie.
C’est ridicule d’imaginer que le hasard a du talent
C’est plus logique qu’un esprit soit là depuis avant le temps !

[Refrain]
Dans le meilleur des mondes, où tout est merveilleux
L’intelligence abonde, j’ai raison d’être pieu !

 

13. Au juste Milieu

Paroles : Acermendax (avril 2024)

Musique composée avec l’IA Suno.

Les paroles

J’en peux plus des conflits. J’en ai plein la tête. (Quel malheur)
Ils sont tous en furie… sur les Internets. (Et ailleurs)
Il faut prendre parti (prendre parti) et choisir un camp.
Mais j’en n’ai pas envie. Moi, je fais comment ?

Je fais comment pour continuer à cueillir le printemps
Dans le charivari de vos combats incessants ?
Pourquoi je ne pourrais pas me fondre dans le destin,
Grâce à qui, jamais, je n’ai eu à lutter pour rien.


[Refrain]
Au Juste Milieu
Mon paisible îlot d’harmonie.
Taisez-vous un peu :
Vous troublez mon ataraxie,
Au Juste Milieu,
Là où, sereine, je m’endors.
Pendant que vous vous battez dehors.


Chacun sa vérité. Ne piétine pas mes rêves
C’est la sérénité qui permet qu’on s’élève.
Je vois bien que tu m’envies un peu
La sagesse du Juste Milieu !

Les droits des minorités : d’accord, mais poliment.
L’urgence climatique : OK, mais en son temps.
La fin des dictatures : Bien sûr, mais en votant.
Contre l’exploitation : c’est bon. Là, ça devient chiant !

[Refrain]

 

14. Arrêtez avec les mots

Paroles : Acermendax (mai 2024)

Musique composée avec l’IA Suno.

Les paroles

Faut pas vous étonner qu’on soit pas à la fête
On peut plus s’exprimer sans qu’on nous épithète
On nous met dans des cases, on nous généralise
C’est trop naze, qu’est-ce vous voulez que j’vous dise ?

Quand je dérange – direct– je suis un complotisse
Ça sert à rabaisser tous ceux qui réfléchissent.
L’autre jour, je donnais mon avis sur un truc
Ben ça n’a pas loupé, on m’a dit : « gros trou duc »

Arrêtez avec les mots !
Arrêtez de tout nommer !
On n’est pas des numéros.
Maintenant faut arrêter !

[refrain]
Je suis qui je suis ! Je suis singulier.
C’est pas toi qui décide comment il faut m’appeler
Je suis imprévisible. Autodéterminé.
Je suis unique. Je serai pas catalogué
(Surtout par eux : on les connait.)

Moi, j’aimais mieux avant, tout était bien plus clair
Sans langage changeant qui nous met à l’envers
Aujourd’hui ça déconne. J’suis pas raciste, mais…
Non mais rien, vas-y c’est bon, oublie.

Neurotypique, HSBC
Mouton, Normie, CSP+
Woke, Antivax, Boomer, Bobo
Eurosceptique, Zet, Ecolo…

[refrain]

Arrêtez avec les mots !
Arrêtez de tout nommer !
Il y en a beaucoup trop
Et je me sens si paumé.

 

15. La loi de l’Instrument

Paroles : Acermendax (avril 2024)

Musique composée avec l’IA Suno.

Les paroles

Sais-tu que tout est vibration ?
Tout est fréquence, et tout est son.
La douleur n’est qu’information,
Il ne s’agit que d’énergie.
C’est juste le vide qui ondule,
Si tu l’ignores alors on t’en…courage à le découvrir.
Sois pas bête, ou tu vas mourir !


Oublie les théories ivres-mortes
La révolution toque à ta porte
[Refrain]
C’est la dure loi de l’instrument.
Tout résumer en un instant.
Je cognerai le jour, je cognerai la nuit
Mon marteau, mon amour, toi mon phare ébloui.
Cogner : tel est le dénouement !
Tout devient clou évidemment :
C’est la dure loi de l’instrument (x2)


Sais-tu que tout est calorie ?
La femme en veut à la folie.
Le pauvre homme est à sa merci,
Alors il flexe, ilpousse des cris,
Et montre son énorme… capacité à satisfaire
Les besoins de sa partenaire !


[Refrain]
C’est la dure loi de l’instrument.
Tout résumer en un instant.
Je cognerai le jour, je cognerai la nuit
Mon marteau, mon amour, toi mon phare ébloui.
(C’est la dure loi de l’instrument.)

Sais-tu que tout est génésique ?
Car Sigmund avait des pulsions.
Si tu refoules c’est pathétique :
Ça veut dire qu’il avait raison.

Ton destin est celui d’Œdipe :
de tout niquer à la maison,
D’accepter d’être un sale type
Et de payer la consultation.

Sais-tu que tout est politique ?
Et que tout est mathématique ?
Mais sais-tu que tout est dans tout,
Que plus rien n’est énigmatique ?
Désormais, je cogne partout
Savais-tu que je casse des briques !?

[Refrain]
C’est la dure loi de l’instrument.
Tout résumer en un instant.
Je cognerai le jour, je cognerai la nuit
Mon marteau, mon amour, toi mon phare ébloui.
Cogner : tel est le dénouement !
Tout devient clou évidemment :
C’est la dure loi de l’instrument.

Je cogne, je cogne, tu m’entends ?

Tronche en Live #95

Enregistré le 9 décembre 2020

Invité : Nicolas Fressengeas, professeur de Physique et chargé de mission « Science Ouverte » de l’Université de Lorraine.

Editorial

La science, ça coûte cher. C’est probablement l’activité humaine qui présente le plus petit ratio résultats sur efforts. Il faut des quantités phénoménales de travail pour produire, le plus souvent, une toute petite incrémentation de notre connaissance sur le monde.

En travaillant dur, des années durant, chacun peut espérer devenir spécialiste d’un tout petit domaine, sauf évidemment ceux qui font profession de tout savoir sur les plateaux télé, sur YouTube ou sur Twitter. (J’ouvre une parenthèse pour rappeler qu’il y a une nuance entre prétendre apporter une parole d’expert et s’adonner à la vulgarisation des savoirs et des méthodes. Fin de la parenthèse.)

Le coût de la connaissance est si lourd qu’une société comme la nôtre ne peut, somme toute, s’offrir qu’un nombre assez réduit de professionnels qui se consacrent à elle : les chercheurs et les chercheuses. Nous investissons collectivement dans l’éducation et la recherche pour qu’un petit nombre d’entre nous s’attaquent aux questions que nous nous posons sur le monde et qui ont une chance de recevoir au moins un début de réponse.

On pourrait juger que tout ça nous revient trop cher, mais rappelons cette phrase attribuée à tout un tas de gens et qui pourrait bien rester anonyme sans que cela soit gênant : « Si vous trouvez que la connaissance coûte cher, essayez  l’ignorance »[1].

L’ignorance, on la croise tous les jours, décomplexée, voire fière d’elle-même dans les propos de comptoir, dans les théories du complot, dans les croyances qui persistent en dépit des preuves, dans des comportements qui défient le ridicule, et qui nous mettent tous en danger quand le contexte est, par exemple, une pandémie mondiale, un changement climatique rapide, une crise de la biodiversité et autres joyeusetés.

Ce préambule me permet d’insister sur l’importance de la circulation des connaissances que la société réussit à produire. L’essentiel des recherches est financé par des fonds publics, et ce bien commun, ce patrimoine de l’humanité est capté par un système hérité du 19e siècle qui bloque l’accès des publications aux citoyens qui les financent, et même aux chercheurs qui les écrivent ou qui en ont besoin pour faire avancer leurs travaux, à moins qu’ils ne s’acquittent d’une rançon envers les éditeurs qui capitalisent sur l’accès à des connaissances sur lesquelles ils n’ont, en réalité, aucun droit.

L’un des principes fondamentaux de la science, à côté du « scepticisme a priori sur les faits », est le libre accès aux résultats et aux protocoles. On en est loin. Le monde de la recherche doit se hisser à la hauteur des exigences de son éthique. Bien des obstacles se dressent entre le citoyen lambda et la compréhension pleine et entière des connaissances contemporaines. Lever ces obstacles est l’objet d’une démarche appelée Science Ouverte, et nous allons voir pourquoi elle est importante avec notre invité, enseignant chercheur en physique, directeur du Laboratoire Matériaux Optiques, Photonique & Systèmes, et surtout chargé de mission « Science Ouverte » de l’Université de Lorraine : Nicolas Fressengeas.


[1] Une phrase quasi-identique « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayer l’ignorance » est attribuée à… Abraham Lincoln ou à Derek Bok ou à Ann Landers ou à Char Meyers ou à Robert Orben ou à John Lubbock ou à P. B. de La Bruère ou au Rev. S. C. Morris ou à Charles Duncan Mclver ou à Albert Einstein ou à Robert Orben ou à Barack Obama…

Le Bénéfice du Doute #14

Enregistré le 2 décembre 2020

Invité. Jais Adam-Troian. Chercheur en psychologie sociale.

Editorial

C’est quoi un terroriste ? Un type tire à la carabine sur les gens dans la rue : c’est un forcené, un déséquilibré pour tout dire un fou. Tels sont les mots des médias.

Mais s’il a dit Allahu akbar à un moment ou un autre aussitôt l’acte est terroriste avant même que Daesh, la foirefouille de l’islamisme meurtrier, n’ait à revendiquer.

Une partie de ce qui fait l’acte terroriste est donc dans notre manière de le percevoir, de le cataloguer. Les faits ne changent pas, bien sûr, et pourtant nos réactions seront différentes. Ne faisons pas semblant de croire que tout ça est facile à comprendre. n’imaginons pas que seule la religion explique les tueries, que seule la géopolitique donne les clef de la mécanique à l’oeuvre, que tout n’est qu’affaire de psychologie individuelle.

Devant cette complexité, nous ne sommes pas démunis toutefois, et il faut prêter oreille aux modèles explicatifs, car ils peuvent nous indiquer les décisions les plus à même d’avoir un impact, de sauver des vies et de repêcher des candidats à la radicalisation avant qu’il soit trop tard. Il faut se défaire, avant toute chose, de l’illusion qu’il y aurait d’un coté des gentils citoyen innocents, et de l’autre de méchants individus destinés à commettre des crimes. Vous le savez si vous aimez la zététique, le contexte est un mot clef. Le contexte explique toujours plus de choses qu’on ne le croit d’abord, car dans le contexte se cachent les déterminants invisibles, les conditionnements subtils, les influences, les injonctions, toute la mécanique qui, en coulisse, prépare les conditions du passage à l’acte.

Si l’on veut prévenir de futurs actes, il faut prendre en compte le contexte et il faut agir dessus. Nous n’aurons pas de brigade des pre-crime capable d’établir qui dans le futur sera un méchant afin de l’arrêter et de l’extraire du monde pour protéger les autres. Non seulement c’est impossible, mais cette perspective serait carrément injuste. L’auteur des méfaits est en réalité aussi, en partie au moins, une victime de son parcours, une victime d’enjeux auxquels il croit devoir soumettre tout le reste, y compris la vie d’autrui et souvent la sienne.

Il faudrait commencer pas comprendre ce qui motive cet acte, ce qui le rend non seulement licite dans l’esprit de celui qui agit, mais nécessaire et donc inévitable. Si nous comprenons l’inévitable assez tôt et si nous agissons sur les ficelles qui le déterminent, on pourrait bien changer les choses. Mais pour changer les choses… il faut changer des choses. Et ça commence par se débarrasser des idées reçues et manichéennes sur ce qui provoque l’acte terroriste.

C’est ce à quoi nous allons nous employer avec notre invité Jais Adam-Troian, chercheur en psychologie sociale qui travaille beaucoup sur le sujet des comportements violents.

Quelques références scientifiques sur le sujet

Lien vers la page de toutes les interview Covid19.

La pandémie que nous vivons est préoccupante, non seulement parce que les limites du système de soin, presque atteintes, mettent les soignants à rude épreuve, à deux doigts de la rupture qui pourrait démultiplier les dégâts, mais aussi parce que la désinformation nous submerge, jette la confusion, la discorde et l’angoisse. On aimerait pouvoir se fier à quelques canaux d’information solides, mais nous avons été trahis quasiment de tous les côtés.

L’allié objectif du virus a été le mépris de l’éthique de la recherche et du soin, artificiellement opposées par ceux qui ont eu besoin de faire passer leur manque de méthode pour de la bravoure et  leur manque d’humilité pour de la dissidence face à un monde scientifique dépeint comme incompétent, lent et corrompu.

Si vous ne savez plus à qui vous fier, c’est plutôt normal et ça n’est pas votre faute. Nous vivons dans un contexte où des incompétents se sont installés dans les médias, ont accaparé la parole, ont provoqué le désordre et cultivé le soupçon. Le monde politique a complaisamment participé à ce spectacle indécent, le monde scientifique, d’une manière ou d’une autre, a laissé faire. Les paroles prudentes, nuancées, sourcées , celles qui permettent d’évaluer les informations en présence, n’ont pas été en mesure de rivaliser avec les propos expéditifs, excessifs, abusivement rassurants ou angoissants.

Avec cette vidéo, aujourd’hui, nous apportons notre petite contribution à l’assainissement du marché de l’information. Nous recevons Nathan Peiffer-Smadja un épidémiologiste de métier, Chef de Clinique  assistant au Services des Maladies Infectieuses et Tropicales de l’hopital Bichat, coordinateur du Réseau des Jeunes Infectiologues Français. Et je lui demande, dans cet entretien, enregistré le 26 juillet,  de revenir sur les informations, les croyances, les confusions qui circulent au sujet de la maladie, du virus et des traitements.

Tronche en Live 94 enregistré le 18 novembre 2020

Invité : Wiktor Stoczkowski

Editorial

Des extraterrestres en archéologie, avec un titre pareil, certains s’attendent à une franche rigolade. Il faut reconnaître que ceux qui croient aux visites des ET agrémentent leurs versions de détails et de réflexions qui défient souvent les lois du ridicule. Mais gardons-nous de la tentation de prendre tout cela à la légère, comme si ces croyances-là ne méritaient que notre mépris et le fouet cinglant du débunkage le plus expéditif. Nous avons sans doute à gagner à nous intéresser aux raisons pour lesquelles ces récits existent et rencontrent un succès indéniable depuis plus de cinquante ans.

Nous commençons à être familiers avec des histoires rocambolesques à base de soucoupes volantes venant sur Terre, non pas avant hier dans le Puys de Dôme sous la pleine lune au milieu d’une clairière, mais il y a  trois mille ou douze mille ans, quand une telle apparition ne pouvait manquer d’être interprétée différemment.

Arthur C. Clarke disait « Une technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ». Arthur C. Clark a aussi traité d’idiot Erik Von Däniken, l’auteur du livre qui a fait connaître ce qu’on appelle la Théorie des Anciens Astronautes. Cette « théorie », qui est plutôt un scénario, dispose que la visite des extraterrestres a laissé des traces dans l’histoire, dans la culture, dans la biologie et dans les monuments. Si nous regardions mieux, nous pourrions reconnaître les vestiges de ces visites dans les lignes de Nasca par exemple, ces grands dessins visibles seulement du ciel ; et dans la Pierre du Sud à Baalbek, un bloc gigantesque, si énorme qu’on n’image mal que des hommes de l’Antiquité aient pu déplacer ses mille tonnes ; et puis il y a l’étonnante île de Pâques, isolée au milieu du Pacifique, ornée de Moais énormes, étranges et finalement assez incompréhensibles sans une connaissance de la culture qui les a produits. Les exemples sont nombreux, et vous en connaissez certains si vous avez suivi nos travaux autour des élucubrations de La Révélation de Pyramides qui emprunte beaucoup à ce récit Dänikien.

Soyons clair : nous n’avons aucun élément permettant d’accréditer en quoi que ce soit ce scénario. Tous les faits avérés sont explicables de manière plus cohérente, plus simple, plus élégante par des théories qui ne font pas intervenir de civilisation ancienne, avancée et mystérieusement disparue.

Toutefois, la question des origines de la théorie des Anciens Astronautes et de la nature des récits et des croyances qui l’entourent est passionnante : nous sommes dans le domaine d’une mythologie contemporaine, de légendes qui se construisent et évoluent sous nos yeux. On a vu naître tout dernièrement la légende des « momies aliens » de Thierry Jamin qui n’en finit pas de nous promettre les preuves que ces objets issus d’un pillage archéologique du Pérou contiennent un ADN non terrestre. Il y a aussi la légende des crânes de cristal, celle des pierres d’Ica, etc. Autant d’occasions de s’émerveiller, de croire, comme de se moquer.

Et on peut se demander si ces croyances sont de type religieux, ou bien s’il s’agit de pseudo-sciences, de pseudo-histoire, ou d’autre chose encore. Est-ce un mouvement idéologique, en réaction à la culture ambiante ? Est-ce un délire collectif, un effacement pathologique de la ligne qui sépare le réel et la fiction ? N’y a-t-il pas de manière récurrente une dimension conspirationniste dans ces histoires où la vérité est toujours cachée par des élites ?

La croyance dans les Anciens Astronaute pourrait nous révéler, si nous lui accordons un peu d’attention au lieu d’en ricaner, des éléments de compréhension sur la manière dont nous façonnons notre vision du monde et nous rendons sensibles à certains registres d’administration de la preuve tandis que nous nous fermons à d’autres. Et alors c’est un regard d’anthropologue qu’il faut adopter pour extraire du folklore les clefs qui nous éclaireraient sur la circulation et le succès des croyances sur l’histoire du monde. L’anthropologue, ce soir, c’est Wiktor Stoczkowski.

Introduction

La réalité est un concept important. C’est ce qui continue d’exister même quand nous n’y croyons pas. C’est ce que nous sommes dans l’impossibilité de nier même si on en a très envie. Et c’est, surtout, ce que nous partageons. La réalité est toujours un peu inaccessible, elle échappe aux modèles et aux théories, mais nous essayons quand même de la comprendre car il est utile d’anticiper la réalité, par exemple quand elle ressemble à une épidémie, à un tsunami, ou un dérèglement climatique.

Si nous sommes des militants pour la pensée critique, l’art du doute et la méthode scientifique, c’est parce que ça marche, qu’on peut en espérer des bénéfices collectifs. Et c’est en substance ce qu’est venu nous dire Lawrence Krauss depuis les États-Unis.

Avant toute chose, le professeur Krauss est un scientifique avec une très solide carrière dans la recherche et l’enseignement, depuis presque quarante ans. C’est un physicien et cosmologiste reconnu par ses pairs, président de la fondation Origins Project et il est aussi l’auteur de livres de vulgarisation comme La physique de Star Trek ou A universe from nothing. Enfin, il est particulièrement connu dans le monde du rationalisme pour sa participation à des débats sur l’existence de Dieu et la religion en général. Défenseur de la raison, on l’a vu par exemple dans le film « The Unbelievers » aux côtés de Richard Dawkins que nous avions interviewé à Oxford en début de cette année 2020.

Le 11 septembre il avait rendez-vous avec Acermendax pour une interview. Peut-être avez-vous envie de la regarder ?

Retranscription

Traduit par les bons soin d’Olivier Bosseau, cet entretien est disponible ci-dessous sous un format texte.

Thomas Durand (Acermendax) – Professeur Krauss, merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes en direct de… vous n’êtes pas, en ce moment, chez vous en Arizona. Vous vous trouvez dans l’Oregon. Je me trompe ?

Lawrence Krauss – Oui. Je suis dans l’Oregon qui offre d’habitude de bien plus beaux paysages. Aujourd’hui, malheureusement, tout est rempli de feu et de fumée, [l’entretien a eu lieu en septembre 2020].

TD – La première partie de cet entretien concerne votre motivation et votre vocation. Pourquoi écrire de la vulgarisation scientifique ? Ne serait-il pas plus important de consacrer votre temps à la recherche pour faire des découvertes et participer au progrès de la civilisation ?

LK – Tout d’abord, je ne suis pas sûr que ce soit à moi de dire dans quels domaines j’ai le plus contribué. Je devrais plutôt essayer de me dédier aux domaines auxquels je peux effectivement apporter quelque chose. Ce que je peux vous dire, c’est que c’est par la lecture, enfant, de livres écrits par des scientifiques que je me suis intéressé à la science. C’est ce qui m’a donné la passion de la science, et c’est notamment pour cela que j’ai voulu rendre la pareille en écrivant. Et tout au long de ma carrière, j’ai eu, je pense, le sentiment qu’en faisant de la science sans en transmettre au grand public, j’aurais été en un certain sens, irresponsable ; et en ne faisant que de la vulgarisation, j’aurais fait preuve de négligence, voire de malhonnêteté. Ce que j’ai essayé de faire, c’est en somme de trouver un équilibre entre les deux. Et en général, tout comme la plupart des chercheurs, je ne travaille qu’à des sujets qui m’intéressent, qui me plaisent. Je fais de la science parce que cela me plaît. J’espère, bien sûr, que ce que je fais aura de l’importance mais il me paraît essentiel de trouver son propre équilibre : je ne pense pas qu’il faille que tous les scientifiques passent leur temps à faire de la vulgarisation, mais pour ceux d’entre nous qui, pour une raison ou une autre, peuvent le faire et le font – surtout maintenant que j’ai une sorte de public qui me suit –, il y a en quelque sorte une responsabilité à rester fidèle à ce que l’on fait.

Et, vous avez raison, cela peut me détourner de la science proprement dite, même si j’ai parfois constaté que c’est en vulgarisant telle ou telle chose que j’ai été conduit à y réfléchir d’une manière nouvelle, ce qui a finalement été bénéfique pour mes travaux scientifiques. Mais, comme je le disais, en fin de compte, ce n’est pas à moi de décider de ce qui est le plus utile. Il se peut qu’en définitive, ma vulgarisation auprès du grand public ait été plus utile que mes travaux scientifiques. Je ne fais que ce que je suis capable de faire.

TD – Et donc, justement, avez-vous appris quelque chose en écrivant pour le grand public?

LK – Oh oui. Vous savez, c’est comme pour enseigner : tant que vous n’avez pas essayé d’expliquer une chose, vous ne l’avez pas réellement comprise. Je vous donne un petit exemple : la particule élémentaire appelée « axion » est un candidat potentiel pour la matière noire ; elle permet de résoudre un problème de physique des particules. Mais le problème qu’elle résout a à voir avec certaines symétries de la nature impliquées dans les propriétés de l’une des particules élémentaires dans l’univers, le neutron. Et je croyais avoir compris comment ces symétries opéraient sur le neutron jusqu’à ce que j’essaie de l’expliquer. C’est là que je me suis rendu compte… car j’ai mis beaucoup de temps à essayer d’expliquer ça, et parfois, lorsque l’on fait de la recherche, on s’attache beaucoup aux détails, et ces détails nous font parfois perdre de vue l’essentiel. Écrire là-dessus me motive car cela me ramène souvent aux raisons pour lesquelles je m’intéresse aux problèmes auxquels je réfléchis, cela me stimule dans mes réflexions. Cela a également permis à mes réflexions, lorsque j’étais en train d’écrire sur différents aspects de la matière noire, de finalement déboucher sur des articles de recherche concernant les manières de détecter la matière noire. Ce n’est donc pas la raison pour laquelle je fais de la vulgarisation, mais c’en est un des effets. Et un autre effet est la motivation. Je pense que nous avons tous besoin d’être motivés pour travailler dur. Et il est bon, parfois, de faire une pause dans ses travaux de recherche et se mettre à autre chose. Mais il y a aussi un enthousiasme croissant qui accompagne l’écriture – parce que j’essaie de me mettre moi-même dans un état d’exaltation afin d’exalter le public – et cet enthousiasme m’anime pour reprendre mes recherches proprement dites. J’espère que vous arrivez à comprendre ce que je veux dire. 

TD – Je pense que tout le monde comprendra. C’est donc dans cette perspective que vous avez lancé une nouvelle série de vidéos intitulées « 5 minutes de physique » où vous expliquez des questions à l’aide d’outils scientifiques comme des équations. Quel est le public que vous visez ? Parce que la science peut être vite difficile à suivre.

LK – Eh bien, dans un certain sens, je ne savais pas quel public je visais. J’étais motivé par le fait qu’avec la pandémie, les gens étaient bloqués chez eux sans trop savoir quoi faire de leur temps. Et je me suis demandé comment je pourrais me rendre utile. Mon travail ne porte pas sur la COVID, je ne suis pas médecin. Que pourrais-je faire pour être utile ? Je pourrais peut-être donner à ces gens qui ont du temps libre parce qu’ils ne travaillent pas, ou parce qu’ils doivent travailler chez eux l’occasion d’entendre des choses qu’on ne trouve nulle part ailleurs sur Internet. On trouve en effet souvent de courts exposés sur divers aspects de la science. Je me suis dit qu’en essayant de traiter certains sujets avec plus de profondeur que ce que l’on trouve habituellement – tout en en restant suffisamment bref afin de ne pas être intimidant – je pourrais transmettre tout un tas de choses intéressantes. Je n’avais aucun plan en tête, je l’admets. Le premier jour, je me suis dit que j’allais m’amuser un peu. Et puis j’ai reçu des commentaires de personnes me demandant : « Est-ce que vous pourriez expliquer cela plus en détail ? Peut-être même avec une équation ou deux. » Je me suis alors dit que je pourrais mettre à disposition des enseignements qui, en temps normal, pourraient ne pas être aussi utiles ou si facilement accessibles. Et je voulais que cela puisse d’ailleurs également servir aux professeurs et aux étudiants. Parce que c’est vrai que lorsque je fais de la vulgarisation, je ne m’attends pas toujours à ce que cela soit ces choses-là que l’on reprenne et étudie dans les salles de classe – même si je sais que c’est parfois le cas. Mais beaucoup de parents aujourd’hui enseignent chez eux à leurs enfants, beaucoup d’écoles sont fermées, et c’est pour cela que j’ai voulu mettre à disposition ces matériaux d’enseignement supplémentaires afin que certains professeurs et élèves puissent disposer de connaissances auxquelles ils n’auraient jamais eu accès autrement.

TD – J’ai ici beaucoup de vos livres ici, et en particulier un, sur lequel j’aimerais vous poser une question : La Physique de Star Trek.

LK – Voilà un tas de livres qui fait plaisir à voir.

TD – J’avoue que ma question peut sembler un peu bête mais j’y vais quand même : les fans de Star Trek vous en veulent-ils d’avoir montré l’extrême improbabilité de la téléportation ?

LK – Dans l’ensemble non. Vous savez, quand j’ai écrit ce livre, j’avais terriblement peur de me mettre à dos des centaines de millions de fans de Star Trek. Tout d’abord, je m’impose quelques règles lorsque j’écris [un essai de vulgarisation] : je ne mens pas et j’essaie de ne pas déformer la vérité. Mais cela peut arriver par inadvertance, du fait d’analogies ou d’autre, ou à cause d’une mauvaise présentation des choses. En tout cas, ce n’est pas fait sciemment. Et je ne voulais pas écrire un ouvrage qui énumérerait tout ce qui ne fonctionne pas dans la réalité, parce que ça ne serait amusant pour personne. J’ai donc essayé de réfléchir à la façon de procéder, et ce que j’ai fait, c’est que lorsque, mettons le téléporteur, ne peut pas fonctionner dans ce sens, j’ai essayé de le mettre en rapport avec des choses du monde réel qui, elles, pourraient fonctionner. Et, dans l’ensemble, j’ai trouvé que la réaction des fans de Star Trek était très positive parce qu’ils sont passionnés par tous les ponts possibles entre Star Trek et le monde réel. Et d’ailleurs, comme je le dis dans le livre, c’est cette question du téléporteur qui m’a amené à écrire. Cela avait commencé comme une plaisanterie en me demandant comment je pourrais fabriquer un téléporteur. Et puis je me suis mis à réfléchir à tout un tas de raisonnements physiques amusants. C’était un point de départ, sans se prendre trop au sérieux. J’ai donc été très heureux de voir que la réaction a été bien plus positive que ce que j’aurais imaginé. Et l’autre chose, on en vient à la question de comment toucher un public, c’est que la science peut intimider, mais pas Star Trek. Et c’est probablement le seul de mes livres où j’ai eu des enfants, de huit ans même, qui m’ont contacté pour me poser des questions parce qu’ils étaient intéressés par Star Trek. C’est là une façon de les accrocher pour les intéresser au monde réel. Et y arriver est quelque chose de très gratifiant.

TD – Très bien. La question suivante est donc très liée à celle-ci. Avez-vous déjà eu envie d’écrire de la science-fiction ?

LK – Ah ! On me pose souvent cette question. 

TD – Désolé…

LK – Vous savez, j’ai quelquefois contacté des écrivains de science-fiction à ce sujet. Je peux simplement vous dire que je trouve les faits scientifiques bien plus intéressants que la science-fiction – et j’étais un grand lecteur de science-fiction. Je préfère vraiment la vraie science à la science-fiction. Pour tout vous dire, je suis en train d’écrire un roman mais je ne le qualifierais pas de roman de science-fiction. C’est plutôt une fiction qui comporte de la science. Je pense que ce sera amusant, mais pour ce qui est de science-fiction proprement dite, je préfère repousser les limites de l’univers réel et laisser les auteurs de science-fiction faire leur travail dans leur domaine. Mais si je peux faire en sorte que la science rende l’histoire meilleure… Et d’ailleurs, c’est parce que j’ai passé beaucoup de temps maintenant avec La Physique de Star Trek – on me pose beaucoup de questions sur la science-fiction, j’ai fait beaucoup de télé et autre du fait de ce livre – et ce qu’il est vraiment bon de savoir, je pense, et que j’ai appris très tôt des écrivains de science-fiction, c’est que ce qui est véritablement important dans la science-fiction, c’est la fiction, pas la science. Si l’histoire n’est pas bonne, le reste n’a pas d’importance. La science qui est présente doit l’être dans la mesure où elle apporte quelque chose à l’histoire. Je finirai bien par écrire ce roman, mais pour le moment, comme je le disais, l’imagination de l’univers réel dépasse de loin l’imagination des auteurs de science-fiction.

TD – Cela me semble très juste. La deuxième partie de l’entretien concerne votre discipline : la cosmologie. J’ai ici cet autre livre de vous, Un univers à partir de rien – quel titre ! Pourquoi est-ce donc aussi difficile d’imaginer que l’Univers puisse venir de rien ? Est-ce une inadéquation du langage, une limitation psychologique, ou plus fondamentalement une impossibilité scientifique ?

LK – Ce n’est assurément pas une impossibilité scientifique, autrement, je n’aurais pas écrit le livre. Mais je pense qu’il nous est juste très difficile d’imaginer des choses dont nous ne pouvons avoir une expérience directe. L’une des merveilles de la science, c’est qu’elle repousse les limites de notre imagination en nous forçant à affronter des idées auxquelles nous n’aurions autrement jamais eu affaire. Et la notion d’un univers contenant 100 milliards de galaxies, contenant chacune 100 milliards d’étoiles provenant de rien, cela repousse les limites de ce que l’on peut croire. Le fait que la science puisse réellement s’attaquer à ce problème est remarquable, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu écrire ce livre. Je pouvais accrocher, une fois encore, mon public avec cette question qui me permettait d’exposer les extraordinaires développements de la cosmologie des cinquante dernières années. 

La science a fait évoluer la définition du « rien ». Certaines personnes en sont très contrariées, en particulier des théologiens et des philosophes. Et changer la définition n’a rien d’une échappatoire, cela fait partie du processus d’apprentissage parce que nous comprenons à présent que ce que nous considérions comme le « rien » doit être affiné. Nos notions du « néant » doivent changer. L’exemple que je vais utiliser ici et que vous trouverez aussi dans ce livre, c’est l’exemple tout simple d’un espace vide : vous retirez tout. C’est le néant de la Bible si vous voulez. L’espace vide. Eh bien ce n’est pas vide en termes de particules : en physique, il est rempli d’un brassage bouillonnant de particules virtuelles qui surgissent et disparaissent. Et donc, même si ces particules ne sont pas réelles, les notions de néant et de vide sont assez complexes. Et pas seulement ça : certaines de ces particules virtuelles peuvent devenir réelles. Ce qui fait que la distinction entre « rien » et « quelque chose » commence à s’estomper. Tout cela peut nous déstabiliser, mais c’est aussi ça la science dans cette société moderne où les gens n’aiment pas être mal à l’aise. Dans l’apprentissage, il y a aussi une part d’inconfort, autrement, quel intérêt y aurait-il si on ne repoussait pas ses limites ?

TD – A-t-on prouvé que l’univers puisse venir de rien ? Vous avez dit dans votre livre que cela est peut-être possible, mais est-ce prouvé ?

LK – Non non non non non ! L’un des plus grands malentendus concernant la science est de penser que l’on peut prouver que les choses sont correctes. Nous ne pouvons en réalité que prouver que les choses ne sont pas correctes. Nos idées peuvent l’être, et certaines expériences ultérieures peuvent toujours nous conduire à les affiner. Mais ce qui est remarquable, c’est que cela soit vraisemblable : en s’appuyant sur la compréhension moderne de la physique – ce que je m’efforce de faire dans cet ouvrage – on se rend compte que cette idée folle d’un univers provenant d’absolument rien n’est en réalité pas simplement vraisemblable, c’est également très stimulant. Le fait même que cela soit vraisemblable – on a l’impression que sont enfreintes des lois fondamentales, d’avoir des galaxies là où il n’y en avait pas auparavant, mais vous pouvez montrer que l’énergie totale de l’univers pourrait être nulle – le fait que ce soit vraisemblable est étonnant, mais encore plus étonnant : si vous essayez d’imaginer quelles seraient les propriétés d’un univers qui pourrait être créé à partir de rien, par aucune loi physique ou aucune extrapolation de lois connues de la physique, les propriétés de cet univers serait précisément les propriétés de l’univers dans lequel nous vivons et que nous observons. Ce fait même en dit long. Bien sûr, nous ne pouvons certainement pas le prouver car nous n’avons pas de lois de la physique qui nous permettent de bien comprendre le tout début de notre univers car les lois de la physique s’effondrent, mais de simples extrapolations le rendent vraisemblable, et les implications de tout cela sont très révélatrices. Donc je dirai que c’est là le début le plus plausible de l’univers. Beaucoup plus plausible qu’un grand barbu disant : « Que la lumière soit ». 

TD – Je suis d’accord avec tout cela, mais la question demeure : qu’est-ce que « rien » ? « Rien » peut-il exister sans aussitôt devenir quelque chose ?

LK – C’est une bonne question, et j’essaie d’y répondre très minutieusement dans le livre en expliquant ce que j’entends par « rien ». D’abord pas d’espace. Ou plutôt rien dans l’espace. Puis l’absence d’espace lui-même. Et puis peut-être même l’absence de lois. Je suis toujours sidéré par les gens qui laissent un commentaire du genre « votre « rien », ce n’est pas vraiment « rien » ». J’ai vraiment envie de leur demander leur définition du rien. Pour moi, en tant que scientifique, la définition qui convient de « rien » est « l’absence de quelque chose ». Et ensuite quelque chose que l’on peut mesurer, tester – le temps, l’espace. Sur le plan opérationnel, je n’ai rien à faire d’une vague notion philosophique. Sur le plan opérationnel, je pense donc que c’est une définition raisonnable du « rien. » Mais le fait que nous ne puissions pas bien le décrire ne signifie pas pour autant qu’il ne puisse pas exister. Par exemple, certaines personnes vont nous dire : « Comment notre univers pourrait-il exister sans cause ? Comment pourrait-il se mettre spontanément à exister ? » Eh bien, il pourrait se faire que le temps lui-même se mette à exister lorsque notre univers vient à exister. N’oublions pas, en effet, que l’espace et le temps sont liés dans la relativité générale. Alors disons que le temps n’existait pas avant que notre univers ne vienne à exister. Dans ce cas, s’il n’y a pas de temps, vous ne pouvez pas avoir ni cause ni effet. La causalité passe à la trappe. Et cela signifie que notre compréhension, qui se fonde sur les notions de causalité, est manifestement insuffisante pour décrire l’univers. Nous devons élargir nos notions, peut-être même nos notions mathématiques. Nous ne disposons peut-être pas d’une boîte à outils adéquate afin de décrire cela de manière adéquate. Mais l’univers n’existe pas pour que nous puissions être heureux ou pour que nous puissions le comprendre. Et nous devrons peut-être faire face à des notions qui déconcerteront notre bon sens. En réalité, c’est ce que nous faisons sans cesse en mécanique quantique, et c’est l’une des choses que nous avons apprises plus généralement avec la science. Donc, si vous n’aimez pas les définitions de « rien » – et j’essaie d’être très précis à ce sujet –, alors j’aimerais bien que vous me donniez votre définition de « rien ». Et jusqu’à présent, personne ne l’a fait, excepté en termes philosophiques vagues qui n’ont vraiment aucune signification opérationnelle.

Une dernière fois, pour résumer ce que j’essaie d’exposer dans ce livre, les trois étapes du « rien » sont les suivantes : tout d’abord rien d’existant dans l’espace, l’espace vide – c’est la définition la plus simple du « rien ». Ensuite : pas d’univers lui-même. Les univers peuvent en effet se mettre spontanément à exister, ce qui signifie que tout ce que nous voyons n’existait pas, au sens propre. Mais y avait-il alors autre chose qui existe ? C’est une possibilité mais comme notre univers n’existait pas, et si quelque chose d’autre existe, vous pourriez alors dire que ce n’est pas « rien », et je n’aurais aucune objection à ce que vous le disiez, mais alors la question est de savoir quelles lois ont fait en sorte que notre univers existe. Et il se peut que les lois elles-mêmes aient été spontanément créées lorsque notre univers a été créé. Il me semble donc que la question vraiment importante n’est pas cette interrogation philosophique de savoir si quelque chose d’autre existait auparavant, alors que notre univers n’existait pas. La question opérationnelle qui a un intérêt est de savoir comment il est possible qu’un univers se mette à exister. C’est la seule question qui compte, et c’est pour cela que j’insiste dans ce livre en répétant que ce ne sont pas les questions qui portent sur le « pourquoi » qui sont importantes, mais celles qui s’intéressent au « comment ». Ce sont ces questions-là qui sont réellement pertinentes.

TD – Vous êtes physicien. Vos collègues physiciens vous ont-ils pardonné d’avoir dit (je l’ai vu dans une conférence) que la plus grande idée scientifique était celle de Darwin ? C’est ce que vous avez affirmé !

LK -. Je ne pense pas qu’ils … Vous savez, les physiciens ont un tel sentiment de supériorité que je ne pense pas que cela les ait dérangés. Il se trouve qu’ils ont meilleure presse que les biologistes. Je pense qu’ils considèrent cela comme une réflexion collégiale et généreuse de ma part. Mais il est amusant qu’aucun physicien n’ait jamais protesté. Des biologistes, par contre, ont soutenu que ce n’était pas vrai. Mais aucun physicien. Laissez-moi juste rajouter une petite chose si vous voulez bien (vous pourrez toujours couper au montage). Juste pour vous dire pourquoi j’ai dit cela de Darwin. Prenez quelqu’un comme Einstein. Ou Newton. Le cas de Newton se rapproche peut-être plus de celui de Darwin. Darwin a non seulement conçu une idée qui a changé le monde, mais il a passé des années à faire des observations et à réaliser des expériences qui constituaient la base de son idée. Il a donc à la fois fait les observations et conçu l’idée. Très peu de scientifiques à part, peut-être, Newton, ont réussi cela. Voilà, c’était ma petite remarque. 

TD – Alors pour ce petit intermède, je sais que vous parlez français. Un mot peut-être pour le public français qui nous regarde ?

LK – J’espère que mon anglais, c’est pas trop vite et que tout le monde peut comprendre ce que je dis. Et j’espère aussi que je peux visiter et parler en français et peut-être donner une conférence en français sur les idées dont j’ai parlé aujourd’hui.

TD – J’espère que si vous venez, on sera au courant et que l’on pourra se voir en vrai.

LK – J’ai déjà donné une conférence une fois en français, à Lyon, pour l’association de physique française [Société française de Physique]. C’est joli parce que j’ai étudié à l’avance tous les noms propres [corrects] en français et j’ai donné la conférence avec tous les mots propres en français. Mais tous mes collègues [parlant français] ont utilisé les mots anglais. 

TD – Le français est très pollué par beaucoup d’anglais…

LK – Mais ce sont les sciences !

TD – Avez-vous déjà collaboré avec des scientifiques français ? Y a-t-il des Français, vivants ou morts, dont le travail vous inspire ?

LK – Bien sûr qu’il y en a. Je veux dire les travaux de toutes les personnes dans le monde entier. La science est une collaboration internationale et les gens du monde entier y jouent un rôle. J’ai un ancien collègue de Yale [Serge Haroche] qui est un scientifique français qui a récemment remporté le prix Nobel pour ses travaux sur la mécanique quantique, ce qui est très important. J’ai aussi collaboré, il y a quelques années déjà, avec mon ami Thibault Damour de l’Institut des Hautes Études Scientifiques. C’est un spécialiste de la relativité générale, et ce fut l’une des plus agréables collaborations scientifiques que j’ai jamais eue. Il n’y a que dans ce monde moderne qu’une telle collaboration a pu être possible : je prenais l’avion pour Paris le matin et me rendais à cet institut l’après-midi où je travaillais toute la journée. Et puis je reprenais l’avion le lendemain pour enseigner. C’était amusant. Et lorsque vous considérez de grandes expériences comme le grand collisionneur de hadrons, vous avez besoin de scientifiques du monde entier. Ce dont on ne se rend pas compte, je pense, c’est à quel point la science est une entreprise collaborative. On s’imagine des gens comme Einstein, tout seul dans une pièce la nuit. Mais ce n’est pas du tout comme cela que ça se passe. Juste avant de vous parler, je participais à une conférence en ligne, par Zoom, qui avait lieu à Zurich et de par le monde, dans le cadre d’une collaboration expérimentale.

TD – Très bien…. Vous avez écrit ce livre sur Feynman.

LK – Effectivement.

TD – Et j’ai une question à ce propos : Avez-vous des héros dans la science autres que Richard Feynman dont vous avez écrit la biographie scientifique ? Peut-on parler d’héroïsme à propos de la science actuelle ?

LK – J’ai beaucoup de héros scientifiques. J’ai appris que les héros… le terme est peut-être exagéré. Tout le monde est humain, et j’avais ce complexe de considérer mes héros comme des gens irréprochables. Et j’ai eu la joie de faire la connaissance de beaucoup de mes héros. J’ai ainsi appris qu’ils étaient humains. Cela ne veut pas dire qu’ils ne soient pas héroïques dans un sens différent. C’est peut-être d’ailleurs ce qui les rend plus héroïques encore. En un sens, j’admire presque tous ceux avec qui je travaille, y compris mes étudiants. Ils m’ont souvent surpris en réalisant des travaux que je n’aurais jamais été capable de faire. Vous savez, Einstein était sans conteste un héros, et pas seulement bien sûr pour les raisons qu’on connaît. J’ai appris beaucoup de choses sur lui, et pas seulement son travail, mais son intérêt pour la politique et ses exposés, et tout cela c’était important. La liste [de mes héros] est longue. J’ai des mentors pas tout à fait de ma génération : des professeurs qui sont devenus mes collègues, comme Steven Weinberg, un physicien remarquable. Et Sheldon Lee Glashow. Ils ont reçu ensemble le prix Nobel de physique. Tous deux étaient professeurs à Harvard lorsque je m’y trouvais, et nous sommes devenus collègues. Et ils ont chacun une personnalité bien distincte. Ce que j’aime chez mes héros scientifiques – et ce que j’aime dans la science –, c’est qu’il y a de tout. Et on devrait le dire aux étudiants car certains peuvent penser « mais je ne suis pas le meilleur élève en physique » ou « je ne suis pas le plus fort en maths ». Or j’ai des amis qui ont eu le Nobel et qui ont contribué à beaucoup de choses importantes, et certains étaient loin d’être les meilleurs de leur classe en mathématiques. Certains sont d’un naturel très enjoué, d’autres sont plus sérieux. Certains ne font que de la physique, alors que d’autres vont faire différentes choses. Tous les scientifiques que j’ai ainsi pris pour modèles m’ont ainsi influencé de différentes façons. Et comme je le disais, j’ai eu la chance de collaborer avec des gens remarquables, et pas seulement ceux que je viens d’évoquer. Je pense à un autre collaborateur comme Frank Wilczek, qui a également reçu le prix Nobel. Tous me stimulent à leur façon tout en me donnant une belle leçon d’humilité. À mon sens, la chose la plus importante dont il faut avoir conscience – et pas seulement moi, mais tout le monde –, c’est que nous sommes tous liés les uns aux autres par des liens qui font que même mes héros, même les personnes que je trouve remarquables, peuvent avoir des manques dans certains domaines, là où moi je me sentirai peut-être plus à même de réussir, ou là il me sera possible d’arriver à quelque chose. Il est donc important – et particulièrement dans le monde moderne – de pouvoir apprécier les capacités et les talents des gens autour de soi, et de reconnaître qu’ils ont des défauts mais que cela ne retire rien à leurs contributions. Et malheureusement dans ce monde de culture de l’annulation (« cancel culture »), les gens semblent l’oublier.

TD – Oui, il est difficile de parvenir à la perfection. 

LK – C’est impossible.

TD – Oui, vous avez raison. Parlons maintenant de science et de croyances parce que je vous connais par vos débats sur Dieu etc. Ma question est donc la suivante : Pourquoi militer pour l’athéisme ? Est-ce le prolongement naturel de votre implication dans la promotion de la science ?

LK – C’en est devenu un prolongement naturel. Mais je dois d’abord dire que je n’ai pas commencé par militer, et d’ailleurs je ne me suis jamais vu comme un militant de l’athéisme. Je suis quelqu’un qui peut provoquer. Ce qui s’est passé, c’est qu’aux États-Unis, il y avait – et il y a toujours – un grand mouvement visant à stopper l’enseignement de l’évolution (je dis cela en regardant le portrait de Darwin juste derrière vous), ou du moins pour le diluer avec les concepts fondamentalement religieux de dessein intelligent (« intelligent design »). Et cela m’a vraiment fâché. Je considérais cela comme une attaque contre la science parce que l’évolution est l’un des fondements de la biologie moderne. Et j’étais fâché, ou plutôt déçu que dans mon propre État aux États-Unis, les biologistes ne se soient pas opposés en s’exprimant contre ces tentatives pour changer l’enseignement des sciences dans les lycées et les écoles publiques. Mes écrits m’avaient donné une certaine visibilité médiatique et je me sentais dans l’obligation de prendre la parole pour défendre la science. Et puis je me suis impliqué à la fois localement et nationalement dans ces efforts de lutte contre ces tentatives religieuses de combattre le darwinisme. Et c’est ce qui m’a – naturellement pourrait-on dire – amené à débattre de la religion et de sa place par rapport à la science.

Mes efforts pour « attaquer la religion » ne visaient que ces tentatives qui cherchaient à nuire à la science chaque fois qu’elle interférait avec la science. Si cela n’interférait pas avec la science, je ne me sentais pas aussi concerné. Mais au fur et à mesure de mon implication – et j’ai participé à plusieurs grands débats avec mon ami Richard Dawkins à cette occasion parce qu’il était plus « militant », si vous voulez utiliser ce terme –, et à mesure que ma visibilité augmentait au sein de ce débat, je me suis rendu compte que la religion comportait des aspects beaucoup plus insidieux. Et un autre de mes amis, Christopher Hitchens, m’a également profondément influencé à cet égard. Parlons de ce qu’il y a de plus insidieux dans la religion – outre le fait que les religions organisées du monde, au moins, se basent sur des absurdités, sur des contes de fées, ce qui ne dérange pas tant que ça. Il y a deux aspects de la religion qui posent problème. Premièrement, je n’aime pas faire étalage de mes connaissances, mais un autre ami qui est également un de de mes héros, Noam Chomsky, dit qu’il ne se soucie pas de ce que les gens pensent, il se soucie de ce qu’ils font. Mais l’argument de poids que je lui rétorque, c’est que ce que les gens pensent influe sur ce qu’ils font. Et vous savez, si chacun était une île [référence à une expression de John Donne], cela ne me dérangerait pas que les gens se leurrent et vivent avec leurs illusions, mais ils ont un impact sur leurs enfants, sur leurs choix politiques, etc. Mais l’aspect le plus insidieux, je n’en ai eu conscience qu’après la sortie d’un film que l’on avait fait sur moi et sur Richard Dawkins qui s’appelait « The Unbelievers » (« Les incroyants »), pour lequel une équipe nous avait suivis– et je trouve très bien que le film se soit fait. Mais ce qui s’est passé, c’est que j’ai reçu beaucoup de lettres et de courriels de gens qui me disaient : « Je suis vraiment heureux de savoir que tout cela existe ! », parce qu’ils se sentaient seuls. Des gens qui venaient par exemple d’une petite ville du sud des États-Unis. Et la religion a cela de vraiment insidieux que ces gens se considéraient comme de mauvaises personnes parce qu’ils questionnaient l’existence de Dieu. C’est ce qu’il y a de pire dans la religion : que des gens se sentent mal dans leur peau simplement parce qu’ils s’interrogent. Et comme je l’ai dit : tout devrait pouvoir être sujet à interrogation. Et c’est particulièrement important aujourd’hui, et pas seulement pour ce qui concerne la religion. Dans notre monde du politiquement correct, d’autres discours sont devenus leur propre religion, et on se retrouve à ne plus pouvoir questionner tout un tas d’idées. Et c’est ce qu’il y a de pire, parce qu’au fondement même de la science, il y a cette idée : « Questionnons et nous découvrirons la réponse, mais suivons les preuves ». Et lorsque tous ces gens, et pas seulement les fondamentalistes, se voient monopoliser leur moralité par la religion et qu’ils considèrent qu’ils ne peuvent pas être de bonnes personnes parce qu’ils remettent en question l’existence de Dieu, on est en face d’un désastre. J’étais donc heureux de pouvoir promouvoir l’idée qu’il n’y a rien de mal, au contraire, à soutenir qu’il n’y a pas de preuves de Dieu, qu’il n’y a rien de mal à dire cela, et pour deux raisons. Premièrement, cela incite les gens à penser – on peut l’espérer, parfois cela les met en colère – mais cela permet aussi à des gens de voir qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils font partie d’une communauté d’individus rationnels et ouverts aux questionnements. La meilleure chose relative à ce film, c’est qu’il a permis à des gens de s’apercevoir qu’il y avait des milliers de personnes comme eux. Et je pense que c’est là l’une des raisons de la prospérité de la religion : cela crée un sentiment de communauté, et il est important que les gens pour qui la vie n’est pas une question de religion, il est important que ces personnes fassent également l’expérience d’un sentiment de communauté. C’est une longue réponse à votre question… mais la dernière chose que j’aimerais ajouter, c’est que je me suis d’abord dit athée. Et puis, sans doute du fait de mon ami Christopher Hitchens, j’ai commencé à me considérer comme un antithéiste, parce que ce Dieu de la Bible, vous n’auriez certainement pas envie qu’il existe, si cela était possible. Mais j’ai ensuite moi-même évolué d’un cran en devenant apathéiste. Autrement dit, je m’en fiche. Parce que les gens semblent penser que la question de Dieu et de la science est une question cruciale, alors que ça ne l’est pas du tout. Je suis scientifique depuis quarante-cinq ans et je n’ai jamais entendu le mot de « Dieu » mentionner dans aucune réunion scientifique. Cela n’a pas d’importance parce que nous ne nous soucions que de la façon dont le monde fonctionne, et Dieu n’a aucune pertinence à ce niveau-là.

TD – Y a-t-il selon vous de mauvaises manières de défendre la science ou la liberté de conscience ? Et pouvez-nous donner quelques exemples de ce que nous devrions arrêter de faire.

LK – Ce que nous devrions d’abord arrêter de faire, à mon sens – et je m’y efforce depuis longtemps maintenant –, nous devrions arrêter de penser que les gens qui attaquent la science à cause de leurs croyances religieuses ou autre le font parce qu’ils seraient stupides : ils sont ignorants. Il y a une énorme différence. On peut être quelqu’un d’assez intelligent mais ignorer certaines choses qui vous conduiront à de mauvais arguments. Nous ne devrions donc pas être condescendants et prêcher comme si nous disposions en quelque sorte de la sagesse ou de l’intelligence ultime. Nous devons considérer les arguments de ces gens – même si certaines de ces personnes ne valent évidemment pas la peine que l’on débatte avec elles –, on doit néanmoins prendre leurs arguments au sérieux. C’est la première chose. La deuxième, et les scientifiques essaient de ne pas le faire, c’est de ne pas donner l’impression que nous avons toutes les réponses parce que c’est exactement le contraire de ce dont nous devrions parler : nous avons les bonnes questions. Nous n’avons pas les réponses. Et avoir les bonnes questions rend la vie passionnante. L’autre chose qu’il nous faut éviter, c’est de donner l’impression que la science aurait plus de valeur dans l’expérience humaine que l’art, la musique, la littérature, etc. La science est d’une importance vitale dans divers aspects de notre société, mais pour être un être humain, la science partage – et c’est en partie ce que j’essaie de faire depuis trente ans, c’est de faire des ponts entre la science et la culture – la science partage avec la culture une dimension importante qui est de nous forcer à adopter une nouvelle perspective de notre place au sein du cosmos. Lorsque vous voyez une toile de Picasso, ou quand vous écoutez une symphonie de Mozart ou un morceau d’Eric Clapton ou de qui vous voulez, cela vous amène à changer votre point de vue sur vous-même en un sens – même si vous vous laissez simplement prendre par la musique. Voilà les trois choses que je pense nous devrions nous méfier de faire lorsque nous expliquons à quel point la science est merveilleuse. Et d’ailleurs, la science n’est pas intrinsèquement merveilleuse : si elle l’est, c’est dans la mesure où elle marche ! Si elle ne marchait pas, ça n’aurait aucun intérêt. Et lorsque je dis « science », je ne parle pas de personnes ou d’un livre en particulier. Je parle du processus de la science : questionner librement, tester, réévaluer, remettre en cause ses propres suppositions. Tout ce processus peut être mis à profit bien au-delà de la science dans notre vie pour nous aider de bien des façons.

TD – J’ai une question plus personnelle si cela ne vous dérange pas. Je sais que votre frère est religieux si bien que l’on peut se demander s’il est plus difficile de convaincre ses proches.

LK – Bien sûr. Tous les gens mariés le savent. Avec la famille, avec ma fille également : ma fille sait beaucoup mieux que la plupart des gens comment me faire réagir. Et il est difficile d’avoir une conversation raisonnable lorsque l’on est sous le coup de l’émotion. Il est donc parfois plus difficile d’avoir une conversation sereine, rationnelle, où vous prenez du recul, ou vous êtes détaché de votre famille proche. Et il vaut souvent mieux accepter les différences parce qu’il n’y a pas de… La vérité c’est que l’on s’imagine que l’on arrive à convaincre les gens, mais en fin de compte, ce sont les gens qui se convainquent eux-mêmes. C’est sans doute pour cela que j’admire Socrate. Tout ce que l’on peut faire, c’est de poser les questions et faire en sorte que les gens pensent par eux-mêmes. Ce n’est pas à vous de les convaincre.

TD – Très intéressante réponse. Je me reconnais tout à fait dans ce que vous dites. (J’espère au moins.) La dernière partie porte sur la science et la société parce que nous vivons des temps intéressants. Dans – désolé – mais dans l’Amérique de Donald Trump…

LK – Vous connaissez le proverbe juif qui dit : « Que Dieu nous préserve de vivre une époque intéressante. »

TD – Oui, malheureusement, nous sommes en plein…

LK – Fin de la parenthèse … 

TD – Dans l’Amérique de Donald Trump, donc, quelle est la place de la science dans le débat public ?

LK – C’est vraiment étrange, vous savez. Il n’y a pas de doute que les gens font naturellement (c’est encore vrai dans l’ensemble même si c’est en train de changer), les gens ont naturellement confiance dans les scientifiques et dans la science. L’éditeur d’un de mes livres, peut-être celui sur Star Trek, disait : « Les gens ont beau dire qu’ils ne croient pas dans la science, ni dans ceci ou cela, mais quand les extraterrestres arriveront, ils seront les premiers à aller trouver les scientifiques. Tous ces gens iront chercher de l’aide auprès des scientifiques. On cherche à se protéger : les gens vont voir le médecin… Laissez-moi vous raconter une petite histoire. (Vous pourrez toujours la couper.) Elle me vient de mon ami Steven Weinberg qui est un physicien lauréat du prix Nobel et qui est aussi athée. Il vit au Texas. Il écrit et parle de l’athéisme. Un jour qu’il conduisait à travers les plaines du Texas et qu’il voyait des fermes, il eut conscience que tous ces gens étaient très religieux et il se demanda de quel droit il pouvait parler de religion. Il réfléchit et se dit qu’auparavant, ces mêmes gens priaient pour que tombe la pluie – et certaines personnes, certains politiciens le font d’ailleurs toujours au Texas. Mais aujourd’hui, s’ils veulent savoir ce qui se passe, ils vont se tourner du côté des météorologues. En définitive, les gens savent, en leur for intérieur, que la science marche.

Mais cela s’est tellement politisé que cette notion de réalité est en train de passer à la trappe, et pas seulement aux États-Unis, mais dans le monde entier parce que les gens décident qu’ils peuvent accepter leur propre réalité. C’est ce que font les religieux : ils jettent les faits qui leur déplaisent et ne gardent que ceux qui leur plaisent. On a d’ailleurs tous cette tendance, ne nous voilons pas la face. Nous avons tous tendance à faire des rationalisations. C’est pour cette raison que la science est tellement importante, pas seulement les faits de la science : ce sont les techniques de la science qui nous permettent de surmonter cette tendance humaine naturelle. Et aujourd’hui, nous voyons dans mon pays que les gens disent que la science est dangereuse, que le processus scientifique est dangereux car cela conduit à des questions qui dérangent ou menacent. Et cela fait longtemps que les religieux – certains d’entre eux – ont cette impression. Pas tous bien sûr, mais certains se sont sentis menacés par la science. Et ce qu’il y a de vraiment effrayant, c’est que dans la scène politique, les gens se sentent menacés par la science. Bien sûr, les politiciens cherchent à réaliser leur programme politique, et les faits viennent souvent heurter leur programme politique. Ils s’efforcent donc souvent de minimiser les faits. Mais aujourd’hui, la puissance effective d’Internet est telle que nous avons la possibilité d’aller jusqu’à nier l’existence des faits eux-mêmes. Il y a beaucoup d’aspects dans ce problème qui tient en partie à la façon dont nous enseignons. Nous enseignons en suivant le modèle du XXe siècle, qui consistait surtout à faire apprendre un certain nombre de choses. Les enfants à l’école devaient connaître un certain nombre de faits… Mais mon téléphone contient plus de faits que je ne pourrai jamais en connaître. Mais on y trouve également plus de mensonges que je ne pourrai jamais en connaître. Il nous faut donc enseigner les jeunes générations à savoir distinguer ce qui est sensé de ce qui est absurde, leur enseigner comment pouvoir déterminer sur Internet entre ce qui doit être mis au rebut et ce qui ne doit pas l’être.

Et vous savez quoi ? La méthode pour y arriver est fondamentalement la méthode scientifique : faire de vastes recherches, examiner toutes les différentes perspectives, essayer de tester, etc. Mais c’est extrêmement inquiétant, et vous le voyez dans la pandémie en ce moment : vous le voyez quand les chefs des grands gouvernements nient la réalité. Et, là non plus, rien de bien nouveau, mais on y arrive aujourd’hui avec une efficacité redoutable. Et ce qu’il y a de vraiment inquiétant, c’est qu’il ne semble pas y avoir de mécanisme de neutralisation. Le bruit sur Internet l’emporte souvent sur le signal.

TD – Une dernière question, une question très lugubre. S’il n’y a pas de Dieu, pas de justice cosmique, pas d’espoir au-delà de la mort, aucune chance pour que la terre échappe à son destin funeste quand le Soleil vieillira… à quoi bon agir pour l’écologie, l’éducation ou la paix ? Pourquoi ne pas être égoïste et profiter à l’excès de toutes les ressources dès aujourd’hui ?

LK – La réponse se trouve dans la rationalité, pas dans la religion. La réponse vient d’abord du fait de notre empathie, en tant qu’êtres humains. Mais il nous faut avant tout nous rendre compte que le fait qu’il n’y ait peut-être pas de vie après la mort, que l’avenir lointain sera sans doute épouvantable, tout cela devrait nous donner conscience de la valeur du présent, cela devrait nous conduire à profiter de chaque instant qu’il nous est donné de vivre. Penser qu’il n’y a pas de vie éternelle après la mort rend donc votre temps ici-bas plus précieux et signifie que vous devriez faire autant que possible l’expérience de tous les aspects merveilleux d’une vie humaine, autrement dit avoir une conscience qui nous permette d’apprécier l’univers qui nous entoure, qui nous permette d’apprécier la musique et la littérature, l’amour et le sexe et tout ce dont les êtres humains font l’expérience – le bonheur et la tristesse … Cela veut dire que le présent a plus de valeur, et pas que vous devriez aller vous tuer. Mais en même temps, nous sommes également conscients que – et je pense que cela fait partie du contrat social dont Rousseau a parlé il y a déjà bien longtemps – à savoir que nous naissons libres mais que nous sommes toujours enchaînés, nous sommes liés à nos voisins. Et dans un certain sens, notre propre bonheur est lié au bonheur général. Vous pouvez toujours demander « mais alors, pourquoi ne pas tuer son voisin ? ». La réponse, c’est que votre voisin, lui aussi, pourra vous tuer. Vous êtes alors dans un constant état de siège et, comme le disait Rousseau, la société a fait un contrat qui à un certain niveau nous contraint nous-même afin de permettre de façon optimale le plus grand bonheur au plus grand nombre. Il y a donc un certain égoïsme à être altruiste parce qu’en définitive, vous êtes bénéfiques au sort des autres, parce qu’en un sens, vous vous attendez à ce que cela soit bénéfique à votre propre sort.

Et la dernière chose, c’est que nous avons des enfants. Nous avons cet impératif génétique de nous reproduire. Et si l’avenir lointain est affreux, ce qui comptera vraiment, c’est de savoir si l’avenir de nos enfants ou de nos petits-enfants sera pire que le présent. Et beaucoup de gens, je pense, essaient, autant qu’ils le peuvent, de rendre ce monde meilleur, parce qu’ils veulent de façon égoïste que que le monde soit un meilleur endroit pour leurs enfants. Parce qu’il est naturel de vouloir que la vie de ses enfants soit meilleure que la sienne.

TD – Nous allons parler de votre dernier livre, qui sortira en janvier, je crois.

LK – Oui, en janvier.

TD – La partie de l’entretien consacré à l’essai The Physics of climate change sera disponible sur cette chaîne YouTube en janvier, au moment de la sortie conjointe du livre aux États-Unis et en France (sous le titre Comprendre le changement climatique aux éditions H&O).

Un dernier sur tout ce dont nous venons de parler ? Quelle est la chose la plus importante que les gens devraient garder à l’esprit après avoir vu cette vidéo ?

LK – J’espère que les gens qui auront vu cette vidéo en garderont deux choses. Tout d’abord que l’univers est une chose remarquable. Il est tellement remarquable que vous pouvez laisser de côté toutes les absurdités. La réalité est suffisamment fascinante. Deuxièmement, l’expérience de l’univers dans tout ce qu’il offre est ce qui donne toute la valeur à la vie d’un être humain. Ce qui veut dire apprécier les sciences et l’univers, même sans le faire à un haut niveau. Vous n’avez pas besoin d’être Mozart pour apprécier la musique, et vous n’avez pas besoin d’être Einstein pour apprécier la science. Et la dernière chose, c’est que la science, par son processus tout comme par ses bienfaits technologiques, peut rendre le monde meilleur. Les questions de la science sont d’une importance vitale pour chaque problème majeur de société. Si vous pensez à chaque question politique à venir, depuis la santé et la sécurité jusqu’à l’énergie : dans tout, la science joue un rôle. Il faut avoir conscience de cela et s’efforcer, dans la mesure du possible, si vous vivez dans une démocratie, de vous instruire suffisamment, de prendre des décisions rationnelles concernant les politiciens qui réalisent les projets politiques.

TD – Merci beaucoup, professeur Krauss, pour ce temps passé en notre compagnie aujourd’hui.

Et merci à vous d’avoir regardé cette vidéo. N’hésitez pas à partager si vous l’avez aimée et à revenir en janvier regarder le bonus de cette interview à propos du livre sur le changement climatique. Vous pouvez soutenir la Tronche en biais et l’Association pour la Science et la Transmission de l’Esprit Critique (l’ASTEC) qui produit ces contenus sur HelloAsso, sur Tipeee, sur différentes plateformes d’aide à la création de nos contenus. Merci d’avance et faites attention aux idées que vous envisagez de mettre dans votre tête.