La chaîne aborde sur un ton décalé dans la forme mais sérieux sur le fond les raisons qui font que notre lecture du monde est souvent bancale.

Dans cette réflexion, je questionne la notion d’« apolitisme » et la prétention à l’objectivité dans les débats, notamment sur des sujets où science et politique s’entremêlent (climat, vaccins, etc.).

Les points clés :

  1. L’illusion d’objectivité : Nous surestimons souvent notre neutralité (« Moi, c’est un fait !« ) tout en attribuant aux autres des biais politiques ou idéologiques. Ce biais d’internalité (Ross, 1977) est renforcé par le tribalisme contemporain (Haidt, 2012).
  2. Science vs. valeurs : La science décrit le monde (registre factuel), mais son application relève de choix politiques (registre normatif). Confondre les deux mène à des malentendus stériles.
  3. Littératie scientifique : Carl Sagan alertait sur les risques d’une société où les enjeux techniques sont cruciaux, mais mal compris (The Demon-Haunted World, 1995). C’est un enjeu démocratique.
  4. Éthique sceptique : Plutôt que de défendre une « neutralité » impossible, j’assume mes valeurs tout en priorisant la vérification des faits. Cette approche rejoint le falsificationnisme (Popper, 1934) et l’autocorrection chère à la zététique.

 

Posture revendiquée :

  • Pas « d’apolitisme » : Je refuse les loyautés inconditionnelles, mais reconnais que toute analyse engage des présupposés.
  • Primat du vrai/faux : En identifiant ce qui est vérifiable, on peut discuter sereinement des désaccords normatifs.
  • Humilité épistémique : Accepter qu’on puisse se tromper évite les dogmatismes (cf. Tetlock, 2005 sur l’expertise modeste).

 

 

 

Références utiles

  • Haidt, J. (2012). The righteous mind: Why good people are divided by politics and religion. Vintage.
  • Popper, K. (1934). Logik der Forschung. Springer. (Trad. The Logic of Scientific Discovery, 1959).
  • Ross, L. (1977). The intuitive psychologist and his shortcomings: Distortions in the attribution process. In Advances in experimental social psychology (Vol. 10, pp. 173-220). Academic Press.
  • Sagan, C. (1995). The demon-haunted world: Science as a candle in the dark. Random House.
  • Tetlock, P. E. (2005). Expert political judgment: How good is it? How can we know? Princeton University Press.

« Et nous en avons vu et entendu beaucoup, submergés par une telle folie, aliénés par une telle sottise, qu’ils croient et disent qu’il existe une certaine région appelée Magonie, d’où des navires viendraient dans les nuages, pour y enlever leurs récoltes… »[1]

Liber contra insulsam vulgi opinionem de grandine et tonitruis – Agobard de Lyon


 

Une étrange affaire venue des cieux

Un jour d’été à Lyon, sous le règne de Louis le Débonnaire, quelque chose descend des nuages. Une rumeur parcourt les rues : des vaisseaux volants sillonnent le ciel, des sorciers contrôlent le climat, et quatre individus capturés sont accusés d’être tombés de ces navires célestes. L’affaire fait sensation. Nous sommes en l’an 813 ou 814, les sources ne permettent pas d’être absolument certain.

Douze siècles plus tard, certains interprètent cet épisode comme le premier cas d’abduction extraterrestre documenté dans les Annales Carolingiennes. La vérité est plus prosaïque, mais elle demeure remarquable : il s’agit tout simplement d’un cas de démystification du IXe siècle où le rôle de zététicien de service est joué par… un évêque : Agobard de Lyon, destructeur de fake news célestes.

 

Acte I : La rumeur qui venait des nuages

Tout commence par une catastrophe ordinaire : un orage de grêle ravage les champs lyonnais. Pour les paysans du IXe siècle, cette calamité qui met en danger leur survie même, ne peut être le fait du hasard. Quelqu’un en est responsable. Rapidement, le bouche-à-oreille accuse des sorciers, les « Tempestaires », capables de manipuler les éléments. Pire encore : ces jeteurs de sorts collaboreraient avec des êtres venus de Magonie, un pays mythique d’où descendraient des navires volants pour emporter les récoltes détruites. Un vrai complot céréalier, mille ans avant les crop circles.

Ce jour-là, à Lyon, quatre étrangers sont capturés, ligotés, et accusés d’être tombés de ces vaisseaux fantômes ; la foule exige leur lynchage. L’évêque de la ville intervient. Indigné par cette croyance absurde, Agobard tente de raisonner la foule. Il explique que ces quatre individus sont les victimes d’une rumeur infondée, d’une psychose collective, et que les phénomènes météorologiques ne peuvent être causés par des sorciers ou des navires volants.

La rhétorique d’Agobard est musclée. Il demande pourquoi, si les tempestaires ont tant de pouvoir, ils ne se font pas payer pour faire pleuvoir en temps de sécheresse ? Ils feraient bien du profit sans s’attirer la haine du peuple. Touché. Il rappelle également que Charlemagne lui-même a interdit les pratiques superstitieuses liées aux tempêtes (dans le Capitulaire de Herstal, 779), montrant que ces croyances relèvent de la désorganisation sociale, pas de faits avérés.

 

Les accusés échappent au massacre ; on n’en sait pas plus sur leur identité ou leur destin. Mais la foule, en tout cas, s’attache à ses superstitions, et cela exaspère profondément l’évêque.

Les tempestaires, ces supposés sorciers capables de manipuler le climat, ne sont en rien une singularité lyonnaise. L’idée que certains individus puissent invoquer la pluie, la grêle ou les tempêtes a profondément imprégné l’Europe médiévale et s’est maintenue bien au-delà du Moyen Âge. Si les capitulaires de Charlemagne condamnaient fermement ces pratiques, c’est qu’elles étaient suffisamment répandues pour inquiéter le pouvoir impérial. Au XVe siècle, saint Bernardin de Sienne, dans ses sermons, évoquait encore ces faiseurs de pluie en lien avec un mystérieux royaume céleste évoquant Magonie — preuve que la croyance restait vivace en Italie, six siècles après Agobard. Et même à la toute fin du XVIe siècle, en Écosse, les procès de North Berwick voyaient des femmes accusées d’avoir déclenché des tempêtes pour assassiner le roi Jacques VI, poursuivant ainsi cette vieille peur que certains puissent nouer des pactes surnaturels pour perturber les cieux.

Le nom de la Magonie, toutefois, se perdra pendant mille ans.

Abogard rapporte l’incident dans un traité intitulé « Contre la stupide opinion populaire sur la grêle et le tonnerre ». Il y démonte méthodiquement ces croyances superstitieuses qui menaçaient l’ordre religieux et social. L’affaire de Lyon est réglée. Mais le court texte d’Agobard resurgira…

 

Acte II : La légende réinventée

L’histoire aurait pu rester une curiosité médiévale, mais en 1670, l’écrivain Montfaucon de Villars s’empare du récit d’Agobard et le transforme en conte fantastique. Dans Le Comte de Gabalis, les navires de Magonie deviennent des véhicules de « Sylphes », des esprits de l’air, dans un récit à mi-chemin entre Kabbale, parodie et ésotérisme galant. La légende est lancée.

Au XXe siècle, elle prend un nouveau tournant. L’ufologue Jacques Vallée suggère qu’Agobard aurait documenté un phénomène étrange réel — or, souvenez-vous que l’évêque ne rapporte aucune observation : il dénonce une rumeur absurde ! Pour Vallée, pas de doute : c’est une preuve que les OVNIs existent depuis toujours, c’est la thèse de son livre « Passeport pour la Magonie » (1969). Il voit dans la Magonie un « pays » transdimensionnel, accessible depuis toutes les époques.

Pire : en 1980, les auteurs Louis Pauwels et Guy Breton réécrivent carrément l’histoire dans Histoires extraordinaires, prétendant qu’Agobard aurait assisté à l’atterrissage d’un vaisseau ! Leur description est détaillée : une soucoupe silencieuse qui se rapproche des maisons – un escalier qui se déploient – quatre témoins qui racontent leur enlèvement par des génies et un voyage fantastique dans un pays merveilleux et inconnu : nous sommes en plein film de science-fiction… Et fait, les auteurs inventent tout. Comme le souligne le sceptique « Oncle Dom » (2003) sur son blog qui a tout de la caverne d’Alibaba des bizarreries, Breton n’a même pas lu le texte original d’Agobard ! Bonjour la fiabilité.

Cette histoire nous montre que sur le terreau de la superstition du Moyen Age se greffe sans effort la superstition du New Age : elle est de la même substance, c’est le même obscurantisme, et face à ces ténèbres ce sont les chandelles de la raison, du doute, de la méthode qui peuvent nous sauver.

 

 

Acte III : Une leçon à tirer ?

En l’an 815, Agobard a écrit deux phrases pour réfuter une rumeur ; douze siècles tard, on les détournait en un récit de réalisme fantastique s’autorisant à croire à une réalité alternative où les faits importent moins que la jouissance que procure leur interprétation. Dans l’intervalle, l’immense progrès des connaissances n’a pas guéri l’espèce humaine de sa soif d’extraordinaire. Et le scepticisme méthodique est toujours d’une importance cruciale pour empêcher les fantasmes d’effacer la frontière floue entre les connaissances et les croyances.

La Magonie n’est pas un lieu observable. C’est une invention pour expliquer l’invisible. On a imaginé un pays lointain d’où viendraient les tempêtes et les voleurs de récoltes. Un peu comme on invente les Illuminati pour comprendre la complexité du monde moderne. Les paysans de l’époque ne voyaient pas les mécanismes météo, alors ils y plaçaient des intentions cachées — comme nous avec les micro-puces dans les vaccins ou les reptiliens du gouvernement.

La bonne nouvelle de cette histoire, c’est que même au Moyen Âge, certains savaient dire « Non, ça ne tient pas debout. » Agobard n’était pas un scientifique, mais il a usé des outils que nous revendiquons aujourd’hui : la logique, la cohérence, l’appel à des causes naturelles. Nous n’avons pas besoin des raffinements exquis de la production des sciences modernes à travers leurs équipements ultrasophistiqués pour douter à bon escient des prétentions des baratineurs, des fâcheux et des margoulins qui, de nos jours, peuvent multiplier les arnaques là où nos ancêtres du Moyen Age avaient des méthodes un peu définitives pour vous faire passer le gout de la récidive. En l’absence d’une justice expéditives, c’est la vigilance collective et une culture du doute méthodique qui nous évitera de croire à des châteaux dans le ciel en dehors du refuge sanctuaire du domaine de la fiction dont nous devons chérir les pouvoir d’exciter notre imagination pour nous entraîner à mieux la distinguer du réel.

 

Nous ne sommes plus en l’an 813, que diable !

 

Quelques références

 

[1] “Plerosque autem vidimus et audivimus tanta dementia obrutos, tanta stultitia alienatos, ut credant et dicant quamdam esse regionem, quae dicatur Magonia, ex qua naves veniant in nubibus, quae eorum fruges… auferant…”

Emission enregistrée le 1er juillet 2025.

Invités

  • Zoé DUBUS — Chercheuse en histoire de la médecine. Post-doc à l’université de Saskatchewan, Canada.
  • Amandine LUQUIENS —Psychiatre, spécialiste en addictologie, au CHU de Nîmes. Professeur à l’université de Montpellier.
  • Romain HACQUET —Pharmacien et neuropharmacologue. Enseignant chercheur à la faculté de pharmacie de Toulouse.

Editorial

Quand on entend « psychédélique », certains – dont moi – pensent tout de suite à des images bien nettes : des hippies sous acide, des mandalas flous, des sourires béats, une contre-culture aux couleurs criardes qui brandit l’amour universel pour mieux tourner le dos à la réalité.

Et moi, dans tout ça ? Sobre. Néphaliste même – ce mot élégant pour dire : pas fan des substances qui tripotent la conscience. Du genre à me méfier de ce qui promet de « tout ouvrir » sans préciser à quoi. Alors forcément, les psychédéliques, je les rangeais dans la case : folklore sixties avec bonus d’appropriation culturelle et risques d’emprise mentale au coin de l’encensoir.

Car voilà : ces représentations, caricaturales en apparence, ont longtemps empoisonné le sujet. Au point de nuire sérieusement aux chercheurs qui tentaient de s’y intéresser avec rigueur. Parce que le LSD, la psilocybine ou l’ayahuasca, c’était suspect par définition. Trop sulfureux pour la recherche « sérieuse ».

Alors faire une émission là-dessus ? Disons que ce n’était pas sur ma feuille de route. Je n’ai aucune envie de faire la promo de substances psychotropes, ni de la spiritualité floue qui les entoure parfois, ni des dérives thérapeutiques façon gourou bienveillant.

Mais un jour, un certain Dimitri m’écrit pour me proposer ce thème. Et j’ai fait une pause devant mon écran. Rapidement, je me suis rendu compte que ne rien connaître à un sujet est souvent une bonne raison de s’y intéresser. Et ce que j’ai découvert, c’est que derrière l’imagerie kitsch se cache une histoire scientifique fascinante : une période d’euphorie dans les années 50, une mise au ban brutale dans les années 70, et une renaissance depuis le tournant des années 2000. Pas une résurgence mystique, mais une vraie relance scientifique.

Et cette recherche n’est pas anodine. Elle touche à la compréhension du cerveau, des émotions, de la conscience. Et surtout, elle explore des pistes sérieuses pour soulager ce que la médecine peine encore à traiter : les dépressions résistantes, les troubles post-traumatiques, les addictions…

J’ai appris que ces substances, et non seulement ces substances, mais aussi le contexte dans lequel on les utilise, ont potentiellement un pouvoir thérapeutique sur des troubles qui sont justement ceux pour lesquels une population importante se tourne vers les offres de soin alternatives à la médecine, où, évidemment on manque de rigueur pour évaluer ce que l‘on fait et établir la balance bénéfice risque d’une manière sérieuse.

 

Alors oui, ces substances sont utilisées dans des contextes traditionnels. Oui, leur effet dépend beaucoup du cadre, du fameux set and setting. Et oui, il faut rester prudent. C’est bien pour cela que la recherche rigoureuse est essentielle. Pour qu’on arrête de tout mélanger, et qu’on distingue les risques réels des fantasmes. Il se passe quelque chose en ce moment. Et cela mérite qu’on en parle, sans trémolos, sans fumée, sans paillettes — mais avec curiosité, prudence, et exigence.

Pour cela, j’ai avec moi trois invités, qui connaissent le sujet mieux par cœur, et qui vont nous aider à comprendre ce que la science nous dit – et ce qu’elle ne dit pas – sur les psychédéliques.

 

Ou comment une bande de savants a inventé la méthode scientifique moderne en démontant une illusion

 

En 1784, Paris bruisse d’un étrange engouement : une vague thérapeutique nouvelle, ésotérique, spectaculaire. Son nom : le mesmérisme. Son promoteur : Franz Anton Mesmer. Son principe : un fluide magnétique invisible, censé guérir tous les maux. Son avenir ? Gâché par une commission scientifique présidée par un vieux monsieur américain aux lunettes rondes et fervent empiriste : Benjamin Franklin.

 

Le mesmérisme, entre hype parisienne et passes de prestidigitateur

Arrivé à Paris en 1778, le médecin autrichien Franz Anton Mesmer sème l’émoi. Il affirme qu’un « fluide universel » circule dans tous les êtres vivants, et que les maladies sont dues à des blocages de ce fluide. Pour le rééquilibrer, il pratique des passes magnétiques, fait tremper ses patients dans des baquets d’eau prétendument chargée, et organise des séances collectives au climat quasi mystique. On y voit beaucoup de femmes entrer en transe, pleurer, convulser… puis témoigner de leur guérison.

Dans une époque où la médecine n’a guère mieux à proposer que les saignées ou le mercure, le charismatique Mesmer fascine une partie de la haute société, et fait fortune. Mais la Faculté de médecine s’alarme, soupçonne un charlatanisme bien organisé, et alerte le roi Louis XVI. Celui-ci ordonne une investigation.

 

Franklin et sa bande inventent l’essai clinique

La commission d’enquête, confiée conjointement à l’Académie des sciences et à la Société royale de médecine, est un véritable « Avengers » des Lumières, avec notamment : Benjamin Franklin, ambassadeur des États-Unis en France, Antoine Lavoisier, père de la chimie moderne, Jean Sylvain Bailly, astronome, et Joseph-Ignace Guillotin, médecin (oui, celui de la guillotine).

Leur démarche est ordonnée : ce qui compte, ce n’est pas l’intention de Mesmer, ni même la sincérité des patients, mais de savoir si le fluide magnétique a un effet réel – et reproductible. Alors ils mettent en place une série d’expériences contrôlées, en aveugle, et comparatives. Autrement dit, c’est la naissance du protocole scientifique moderne.

Les commissaires prennent des précautions qui font date :

  • Tests en aveugle : on bande les yeux des sujets pour éviter toute influence.
  • Objets placebo : on leur fait croire qu’un arbre est magnétisé alors qu’il ne l’est pas.
  • Contrôle des émotions : on mesure les effets dans des contextes isolés, pour éviter la contagion collective.

Dans une expérience restée célèbre, une femme affirme ressentir l’effet du magnétisme en s’approchant d’un arbre. Mais l’arbre n’avait jamais été « chargé ». Son « ressenti » provenait uniquement de la suggestion.

Le rapport final, publié en août 1784, est sans appel. Il établit qu’aucune preuve ne permet de croire à l’existence d’un fluide magnétique. Les crises des patients sont déclenchées par l’imagination, les attentes, la suggestion sociale. Le magnétisme produit des effets psychologiques, pas physiologiques, et pourrait même être nuisible. Lavoisier conclut : « L’imagination seule produit tous les effets attribués au magnétisme animal. » (Commission Royale, 1784)

 

 

Un fluide persistant

Mesmer, discrédité, quitte Paris. Mais ses idées survivent. Elles ressurgiront quelques décennies plus tard sous une autre forme : l’hypnose, développée par James Braid, ou plus tard, la psychanalyse, où Freud reconnaîtra l’influence du magnétisme animal sur ses propres recherches.

Et aujourd’hui encore, des variantes modernes – reiki, soins énergétiques, magnétiseurs, guérisseurs new age – rejouent la même partition : celle d’un pouvoir invisible, d’un toucher miraculeux, d’un savoir ésotérique. Le tout souvent accompagné de témoignages probablement sincères, mais sans jamais aucune preuve expérimentale.

Néanmoins l’affaire marque un tournant décisif. C’est la naissance de l’essai contrôlé comme standard scientifique[2] (Lanska & Lanska, 2005). On met en évidence ce qui sera plus tard nommé biais de confirmation, effet placebo, et contagion émotionnelle. Ce sont aussi les prémices de l’éthique médicale : les commissaires dénoncent les attouchements et manipulations psychiques de certains magnétiseurs.

Benjamin Franklin, en vrai sceptique humaniste, reste nuancé. Il écrit en privé que si le mesmérisme évite aux gens des traitements nocifs, tant mieux. Mais il exige, en public, la preuve avant la croyance.

 

Conclusion

C’est une affaire rondement menée : des chercheurs rigoureux et méthodiques identifient l la manière de mettre à l’épreuve l’hypothèse centrale d’un discours extraordinaire. Ils évoquent également des hypothèses alternatives afin de ne pas laisser sans aucune explication les effets authentiquement perçus par les témoins du charismatique baratineur. On voit ici que l’édification de la méthode scientifique passe par la confrontation avec le paranormal, ses prétentions et son régime d’administration de la preuve par la sophistique, l’émotion, le spectacle et le culot.

Pas besoin de physique quantique ou d’un équipement dernier cri pour départager des hypothèses. L’idée que l’intention du guérisseur agit à travers un quelconque fluide indétectable est éviscérée depuis ces travaux précurseurs. On n’a jamais apporté depuis aucune raison de croire au pouvoir de guérison des énergies subtiles. Alors pourquoi y croire ?

On n’est plus en 1784 !

Acermendax

 


[2] Lanska, D. J., & Lanska, J. T. (2005). Franklin, Lavoisier, and Mesmer: Origin of the Controlled Clinical Trial. Journal of the Royal Society of Medicine.


Quelques sources pour aller plus loin :

  • Commission royale sur le magnétisme animal. (1784). Rapport des commissaires chargés par le roi de l’examen du magnétisme animal. Imprimé par ordre du Roi. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6367286z.texteImage
  • Bersot, E. (1884). Mesmer et le magnétisme animal – Les tables tournantes et les esprits (5ᵉ éd.). Librairie Hachette et Cie.
  • Riskin, J. (2002). Science in the Age of Sensibility. University of Chicago Press.
  • Belhoste, B. (2018). La condamnation du mesmérisme revisitée. Revue d’histoire du XIXe siècle.
  • Herr, H. W. (2024). Benjamin Franklin and the Debunking of Mesmerism. International Journal of Urologic History.

Emission enregistrée le 3 juin 2025.

Invités : 4 ostéopathes en exercice, membres du COSE [Collectif Ostéopathes Scientifique & Ethique] Franck Chenu, Quentin Janicot, Jérôme Lochert, Jean-Baptiste Terzibachian

 

Editorial

Tous les charlatans ne sont pas des bonimenteurs de foire qui déclament des promesses à propos d’une bouteille d’huile de serpent qui fait repousser les dents, les cheveux, les muscles et revenir l’être aimé, offre spéciale -50% si vous prenez une caisse complète aujourd’hui, s’emparent de vos billets et s’empressent de disparaitre à l’horizon en ricanant à l’idée d’aller plumer ailleurs d’autres crédules argentés.

Les charlatans ordinaires ne sont pas forcément au courant qu’ils font la promotion ou vendent directement une pratique qui, en réalité n’apporte rien au malade en demande de soin. Quand je dis rien, c’est évidemment : rien de plus que l’effet placebo, qui est très important, mais qu’il faut comprendre un peu avant de vouloir se targuer d’avoir un avis sur l’homéopathie, l’acupuncture… ou l’ostéopathie dont il sera question ce soir. Les charlatans ne sont pas forcément des gens méchants, vicieux et malhonnêtes. Il y en a, mais la définition du mot désigne simplement quelqu’un qui promet un soin illusoire.

On appelle effet placebo ce qu’il faudrait apprendre à appeler effets contextuels, et il s’agit de la différence vécue par un malade entre deux situations : d’un côté on le laisse souffrir de son lumbago par exemple, et de l’autre, on le reçoit dans un cabinet, on l’écoute, on prend en considération sa douleur, ses difficultés, on lui propose de l’aider, on réalise un soin ; on le touche, on mobilise son corps, on le fait bouger, on lui facture tout cela de manière tout à fait officielle : on lui donne quelques conseils dans une tenue de soignant, on lui précise que ça ira mieux dans quelques heures, on lui propose de revenir, on lui sourit, on est agréable : il a passé un moment de qualité… Et ce qu’il ressent, la manière dont il identifie son symptôme, dont il le comprend, dont il le situe après ces évènements où il a librement choisi de faire confiance à quelqu’un qui annonce pouvoir le soulager… Eh bien cela peut avoir un effet considérable sur son ressenti, même si pendant tout ce temps il avait affaire à un charmant affabulateur  qui lui a posé des ventouses en faisant vibrer des bols tibétains au milieu d’un pentagramme tracé avec du sel et de la poudre de cœur de licorne.

Les effets contextuels, c’est ce qui se passe quand on prend soin d’un malade sans réellement rien soigner, c’est tout ce qui se passe en dehors des effets dits spécifiques qui eux sont directement causés par une certaine molécule ou une certaine intervention. Quand le chirurgien vous retire la tumeur qui menaçait de vous tuer, le résultat est un effet spécifique de la chirurgie. Quand l’insuline vous évite l’agonie du diabète, c’est un effet tout à fait spécifique qui se produit. Et en plus, dans les deux cas, le médicament comme la chirurgie produisent eux aussi des effets contextuels qui sont importants pour la qualité de vie du patient.

Ce n’est pas parce qu’on se sent mieux que l’on va mieux. Et ce n’est pas parce qu’un soin “fait du bien” qu’il soigne quoi que ce soit. Ce glissement est le terreau de toutes les illusions thérapeutiques.

Et évidemment aucune pratique ne peut produire des effets contextuels aussi puissant que celle où le soignant vous parle, est tout proche de vous, et vous touche. L’ostéopathie, plus encore que l’homéopathie est une formule de soin qui, lorsqu’elle est bien faite, maximise les effets contextuels, on a besoin de savoir le faire.

Mais on a besoin de plus que ça. On a besoin de méthodes thérapeutiques qui soient évaluables, comparables, afin de se débarrasser de celles qui marchent moins bien, on a besoin de praticiens qui comprennent comment on fait la différence entre un soin qui marche et un soin qui ne marche pas. On a besoin de professionnels de santé bien formés aux connaissances actuelles, scientifiques, à la manière dont on produit ces connaissances, sur les méthodes pour se tenir à jour, faire évoluer leurs pratiques et toujours proposer aux gens qu’ils reçoivent le meilleur soin possible.

Et cela ne peut pas se produire chez les ostéopathes aujourd’hui. Ils sont 30 000, on en forme 3000 par an, il y en a plus en France que dans tout le reste du monde, les écoles gagnent des fortunes, mais les diplômés sont souvent dans la précarité ; on leur enseigne des notions sans fondement, des pratiques parfois illégales, et on les trompe au moins autant qu’ils tromperont plus ou moins consciemment les malades qui viendront les consulter.

Ça ne peut pas durer, mais ça ne peut pas se régler brutalement du jour au lendemain, notamment parce que la profession est très différente de ce qu’on peut voir dans d’autres pratiques de soin non conventionnelles où le charlatanisme est forcené, idéologique, viscéral, irrationnel ; je pourrais citer la kinésiologie, l’iridologie, le reiki, ou la médecine anthroposophique qu’on enseignait encore il y a peu à l’université de Strasbourg. Ces pratiques ne se sauveront pas : elles sont irréformables parce qu’elles nient le réel. L’ostéopathie, elle, vacille entre deux mondes. Elle peut encore choisir la rigueur.

Et donc la différence est là :  que les ostéopathes sont souvent honnêtes, veulent bien faire, croient avoir reçu une formation scientifique… C’est pourquoi ils sont assez nombreux à ressentir un malaise quand ils constatent que les critiques contre leur profession sont parfaitement justifiées, et que leur pratique par bien des égards est un charlatanisme.

Mais la preuve que ce métier est différent des autres c’est que ce soir j’aurai avec moi pour critiquer l‘ostéopathe quatre ostéopathes qui pratiquent encore leur métier et qui cherchent à le faire évoluer pour éviter les drames humains de patient trompés, de jeunes étudiants abusés, de praticiens désemparés et d’une profession qui va droit dans le mur.

La responsabilité ne pèse pas que sur les praticiens ou les écoles : elle repose aussi sur les ministères qui ont laissé faire, sur les autorités sanitaires qui ferment les yeux, et sur un système de santé qui externalise son empathie aux marges.

La critique est rude, et elle peut sembler facile. La solution n’est pas très mystérieuse : encadrer, former, filtrer, clarifier. Et appuyer ceux qui, dans la profession, veulent sortir du marécage et revenir sur la rive ferme de la médecine fondée sur les faits.

Tronche de Fake est un format tourné vers le debunkage de discours trompeurs. Avec 30 vidéos assez longues, cela doit représenter environ 10% de mon activité de vidéaste.

En 2016, j’ai commencé ce format avec la critique du discours créationniste d’un abbé devant ses élèves. Vous y trouverez un Acermendax tout jeune et sans barbe. #Bizarre

 

En 2017 j’ai répondu aux délires d’une maman antivax. La version texte est disponible sur ce blog.

 

En 2018 ce sont les discours pseudo-savants autour des crop circles que j’auscultais dans un projet initié par Astronogeek.
Cela a suscité beaucoup, beaucoup de colère de la part des croyants qui comprenaient mal notre initiative. Le gourou du domaine, monsieur Molinaro a évidemment crié au complot.

 

Puis est venue une série de 8 vidéos sur l’homéopathie et la rhétorique de ceux qui la défendent. J’ai travaillé ce sujet en profondeur en suivant de près les débats de l’année 2018 qui ont abouti au déremboursement. J’ai publié un livre sur le sujet. Je n’ai jamais obtenu de débat avec un homéopathe : ils fuient.

En 2020, en plein confinement, j’ai épinglé les propos givrés de prédicateurs et de pseudo-experts qui nous abreuvaient des leurs vérités alternatives sur la pandémie.

Certains  épisodes s’arrêtaient sur le profil et la trajectoire de personnages devenus des références dans la complosphère comme Jean-Dominique Michel et Laurent Mucchielli, tous deux très mécontents du traitement ici appliqué à leurs carrières.

 

En 2021 j’ai relayé des enquêtes sur le site Médoucine, véritable supermarché de la fasse médecine aux pratiques illicites.

 

En 2022 j’ai mis en vidéo mon travail d’analyse de l’imposture académique, médiatique et intellectuelle que représente Idriss Aberkane.

Devant la violence des réactions de l’intéressé et de sa fanbase, et la gravité de l’imposture, j’ai publié en tout 7 vidéos au cours de cette année. Une fois la critique formulée, j’ai continué mon travail sur d’autres dossiers. J’ai ainsi longuement traité le cas de l’imposture de l’archéologie qu’est Graham Hancock, et sa série à succès sur Netflix.

La même année, j’ai épinglé un duo de pseudo-experte hyperagressives avec la communauté des fact-checkers. Marie Peltier, très offusquée, a demandé et obtenu un droit de réponse.

En 2024 je revenais à la thématique séminale en analysant les bêtises et tromperies du site des Témoins de Jéhovah  au sujet de l’évolution.

Et fin 2024 je livrais la première partie d’un débunkage en règle du lamentable livre « Homo chaoticus » de Didier Raoult.

Depuis j’essaie de réussir à consacrer temps énergie et motivation sur la partie 2 déjà largement rédigée.


Ce travail a toujours suscité des polémiques et du mécontentement. J’ai reçu des milliers de messages d’insultes, des tentatives d’intimidation et la réaction courroucée des personnes dont la crédibilité a eu à souffrir de mon travail d’analyse. Je leur ai toujours offert un droit de réponse s’ils en désiraient un, et j’ai toujours assumé le fait qu’émettre des critiques publiques avait pour conséquence la responsabilité d’agir en suivant une méthodologie impeccable.

Jamais je n’ai eu à retirer le moindre propos, la moindre virgule, car je suis consciencieux et prudent dans mon travail. Mes vidéos sont sourcées, les propos que je critique sont toujours cités et contextualisés. Ce travail est inattaquable, et les personnes concernées n’ont jamais contesté en justice la véracité des faits que je rapporte dans mes analyses.

Je vous recommande le visionnage de toute la série : les contenus sont toujours d’actualité. Et les menaces que certains multiplient pour tenter de discréditer la vidéo qui les concerne devraient vous inciter à regarder ce que ces personnes voudraient voir disparaître.

J’ai rédigé un chapitre sur cet évènement de 1917 dans m, et écrit un documentaire visible sur La Tronche en Biais : « Les secrets du miracle de Fatima »

Parmi les croyants, certains apologètes zélés comme Olivier Bonnassies affirment que seul le surnaturel peut expliquer ce qui s’est passé : que le concept d’hallucination collective a été inventé pour tenter de répondre au mystère de Fatima, et que jamais aucun évènement équivalent ne s’est produit nulle part dans l’histoire, donc le christianisme est vrai ![2] Et Olivier Bonnassies affirme tout ça avec un tel aplomb tranquille qu’il est difficile de le soupçonner de baratiner. Et pourtant il baratine, il mythonne.

 

Fatima : un événement hors du commun, mais pas inexplicable

Un petit rappel des faits : le 13 mai 1917, trois jeunes bergers portugais — Lúcia dos Santos et ses cousins Francisco et Jacinta Marto — affirment avoir vu une « dame vêtue de blanc » dans un champ près de la Cova da Iria, non loin de Fatima. L’apparition se répète chaque mois. Le 13 octobre, après l’annonce prophétique d’un « grand miracle », entre 30 000 et 70 000 personnes affluent. Ce jour-là, selon les récits, le soleil aurait « dansé », changé de couleur, chuté vers la terre avant de remonter dans le ciel. L’événement deviendra central dans l’imaginaire catholique du XXe siècle.

Mais cette interprétation surnaturelle n’est ni exclusive, ni la plus probable. L’histoire des phénomènes collectifs, des troubles psychogènes de masse et des illusions perceptives fournit des clés d’analyse rationnelles bien établies.

 

Le concept d’hallucination collective est antérieur à Fatima

Contrairement à l’affirmation de Monsieur Bonnassies, l’idée d’hallucination ou de contagion perceptive partagée par un groupe n’est pas une invention ad hoc destinée à décrédibiliser Fatima. Dès le XIXe siècle, les psychiatres et psychologues s’intéressent à des formes de délires partagés. Le concept de folie à deux est formalisé par Lasègue et Falret (1877), celui de folie communiquée par Baillarger (1860), et les psychoses collectives décrites par Legrand du Saulle (1871)[3]. Gustave Le Bon (1895) popularisera dans Les foules le rôle de la suggestion et de la contagion émotionnelle[4].

Ces phénomènes ont été observés dans des contextes très variés : hystéries dans des couvents[5], crises de possession, peurs panique d’empoisonnements ou d’attaques invisibles, épidémies de rires, etc. Ce corpus théorique et empirique est donc antérieur à Fatima, et a été régulièrement mobilisé pour éclairer des événements perçus comme surnaturels, religieux ou non.

 

Fatima, cas typique de trouble psychogène collectif ?

Plusieurs facteurs font de Fatima un terreau idéal pour un trouble psychogène collectif : attente intense, effet de foule, climat anxiogène (c’est la guerre, on est en pleine instabilité politique), promesse d’un événement exceptionnel, contexte religieux. Ces ingrédients sont ceux que les recherches modernes associent à ce type de phénomènes[6].

De plus, les témoignages recueillis divergent fortement : certains rapportent avoir vu un disque multicolore tournoyer, d’autres une pluie de lumière, d’autres encore ne remarquent rien d’inhabituel. Notamment Lucia dos Santos, qui, elle aurait vu la vierge, contrairement aux milliers de gens présents.

Ce type de variabilité perceptive, conjugué à l’absence de toute anomalie astronomique ou météorologique enregistrée à l’échelle planétaire, plaide pour une explication psychophysiologique : illusion d’optique, persistance rétinienne due à la fixation du soleil, effet Purkinje, ou simple contagion perceptive.

 

Un événement unique ? L’histoire en témoigne autrement

L’argument apologétique qui fait de Fatima un événement sans précédent ne résiste pas à l’examen. De Lourdes (1858) à Zeitoun (Égypte, 1968-71), en passant par Knock (Irlande, 1879), d’autres apparitions mariales ont généré des rassemblements massifs et des récits de phénomènes lumineux. Autrement dit : il y a une culture de l’apparition de la vierge qui porte même un nom : la mariophanie. C’est le truc à la mode en Europe à cette époque-là, plus de vingt mille sont répertoriées, et seuls les cas les plus marquants sont restés dans les livres d’histoire ; toutes les fois où les promesses de miracle n’ont pas débouché sur des témoignages extatiques sont oubliées, ce qui nous plonge dans l’erreur statistique de trouver étonnant les quelques cas qui paraissent sortir de nulle part.

Par ailleurs, au-delà du christianisme, les exemples abondent dans d’autres traditions :

  • Islam soufi : Les rituels de dhikr ou de hadra provoquent chez les participants des états de conscience altérés, visions lumineuses et sensations collectives de présence divine (During, 1992)[7].
  • Hindouisme : Le Kumbh Mela est le théâtre de récits de transes collectives et de « signes divins » souvent liés à des interprétations culturelles amplifiées par l’émotion du rassemblement.
  • Religions animistes : Les cérémonies de possession vaudou ou ouest-africaines déclenchent des épisodes où la transe et les visions collectives sont centrales (Boddy, 1994)[8].
  • Bouddhisme tantrique : Des témoignages rapportent des perceptions partagées de lumière, notamment lors de méditations de groupe (Samuel, 2012)[9].

Même dans les sociétés sécularisées, ces dynamiques persistent sous des formes profanes :

  • Il y a des paniques liées aux OVNI : Des phénomènes inspirés par Roswell (1947) à la vague belge (1989-90), des milliers de personnes affirment avoir vu des objets ou lumières inexpliqués — souvent en l’absence de toute trace physique.
  • Phénomènes optiques mal compris : Le spectre de Brocken, les halos solaires, les mirages comme la Fata Morgana, ont souvent été pris pour des signes surnaturels (Minnaert, 1954)[10].

La perception humaine se construit aussi socialement, elle est encline à de nombreuses erreurs, biais et illusions.

 

 

Une preuve de Dieu ? Un raccourci dangereux

L’argumentaire apologétique qui érige Fatima en preuve indiscutable de la vérité du christianisme repose sur un double malentendu : une ignorance des sciences sociales et cognitives, et une méconnaissance de l’histoire comparée des religions et de l’irrationnel collectif.

Ceux qui prétendent fonder rationnellement l’existence de Dieu sur un phénomène collectif mal documenté et très interprété ne rendent pas service à la respectabilité de la foi. L’évènement de Fatima ne disparaît pas dans l’explication naturaliste ; il change simplement de nature — derrière l’histoire de miracle, nous découvrons le symptôme fascinant de dynamiques sociales, psychologiques, culturelles et perceptives humaines qui méritent qu’on les prenne au sérieux.

L’acharnement avec lequel les apologètes tiennent à défendre idée que Fatima est un miracle inexplicable, une preuve de l’action de Dieu, nous rappelle combien leur tâche est désespérée : ils ne reculent devant rien pour tenter de faire passer pour raisonnables leurs croyances bizarres.

Et cela renforce d’autant la posture sceptique qui juge que Dieu n’existe pas jusqu’à preuve du contraire.


Sur le même sujet :

Notre Dame de Fatima et la preuve par les miracles

Est-il sage de douter du miracle de Fatima ? [Absinners répond à Archidiacre]


Références

[1] Vidéo sur La Tronche en Biais

[2] Van Rillaer, J. (2021). Le miracle du soleil, argument de Bolloré & Bonnassies pour le Dieu des catholiques. In Scepticisme & religion, 34(2), 65-76.

[3] Lasègue, C., & Falret, J.-P. (1877). La folie à deux ou folie communiquée. Annales médico-psychologiques.

Baillarger, J. (1860). Sur la folie communiquée. Annales médico-psychologiques.

Legrand du Saulle, H. (1871). Études cliniques sur les maladies mentales. Paris: Baillière.

[4] Le Bon, G. (1895). Psychologie des foules. Paris: Félix Alcan.

[5] Wessely, S. (1987). Mass hysteria: Two syndromes?. Psychological Medicine, 17(1), 109–120.

[6] Bartholomew, R. E., & Wessely, S. (2002). Mass Hysteria in Schools: An International History Since 1566. McFarland.

[7] During, J. (1992). Musique et extase dans les traditions soufies d’Iran. Paris: CERF.

[8] Boddy, J. (1994). Spirit Possession Revisited: Beyond Instrumentality. Annual Review of Anthropology, 23, 407–434.

[9] Samuel, G. (2012). Introducing Tibetan Buddhism. Routledge.

[10] Minnaert, M. (1954). La lumière et les phénomènes célestes. Paris: Payot.

Grok est un chatbot d’intelligence artificielle développé par xAI, la société d’Elon Musk, et intégré à la plateforme X (ex-Twitter) depuis novembre 2023.

Plusieurs utilisateurs et observateurs ont relevé que Grok fournit des réponses nuancées, parfois critiques envers Elon Musk ou ses entreprises, et ne relaie pas systématiquement les opinions ou “memes” populaires dans la communauté Musk. Grok n’a aucun problème à dire que le plus grand désinformateur d’internet actuellement, est Elon Musk.

Sur Twitter, des fans de Musk se sont plaints que Grok “manque de loyauté” ou “donne des réponses woke”, certains allant jusqu’à accuser l’IA d’être biaisée ou “trop politiquement correcte”

https://futurism.com/the-byte/elon-musk-grok-ai-woke

Par exemple, Grok a reconnu l’existence de controverses sur la sécurité des véhicules Tesla, ou a refusé de soutenir des théories conspirationnistes populaires dans certains cercles pro-Musk.

Elon Musk lui-même a réagi sur X en affirmant que Grok “n’est pas censuré” et que son but est de fournir des réponses fondées sur les faits, même si elles déplaisent à certains (X, @elonmusk, 16 nov. 2023).

Une source en français : https://www.lesnumeriques.com/intelligence-artificielle/les-reponses-de-grok-sont-tellement-bonnes-que-les-fans-d-elon-musk-n-aiment-pas-ca-n236386.html

 

 

Analyse

Ce phénomène illustre le “biais de confirmation inversé” : une partie des fans attendait de Grok qu’il serve de chambre d’écho à leurs opinions ou à la communication d’Elon Musk. Or, une IA conçue pour donner des réponses argumentées et nuancées, même sur des sujets sensibles ou polarisants, peut déplaire à ceux qui recherchent avant tout la validation de leurs croyances.

Il me semble qu’un tel résultat est encourageant ; il montre que lorsqu’une intelligence est dotée des outils qui la rende efficace pour traiter des informations et produire une réponse cohérente, une réponse qui a vocation à aider à résoudre des problèmes, elle devient au moins un peu résistante à la désinformation.

Est-il possible que ceux qui veulent produire des IA performantes (ne serait-ce que pour qu’elles soient lucratives) soient condamnés à obtenir des machines qui déjouent les carcans idéologiques qu’on serait désireux de leur imposer ?

Nuance : on se rappelle que Grok avait été bridé par un employé de Musk qui lui avait enjoint de censurer les critiques contre le milliardaire : https://www.01net.com/actualites/grok-censure-par-un-employe-xai-lia-a-zappe-les-critiques-contre-elon-musk.html

 

 

Le cas Xavier Azalbert

En tout cas Grok est aujourd’hui en mesure d’humilier un complotiste comme Xavier Azalbert le 3 mai dernier.

Xavier Azalbert publie un message sur Twitter disant : «  Hausse paradoxale des décès Covid-19 malgré la vaccination de masse révélée par une étude. En , l’opacité de @Sante_Gouv sur les données de mortalité toutes causes par statut vaccinal/âge interroge. Un audit complet s’impose. »

Ce type de message s’inscrit dans la ligne éditoriale de FranceSoir, connue pour sa désinformation fréquente sur le Covid-19, la vaccination, et la science en général.

Un internaute tague Grok, pour lui demander si, je cite « France Soir fait de la merde »

Grok fournit alors une réponse assez zététique et scientifiquement étayée en concluant « Bref, ils orientent clairement le lecteur en jouant sur les émotions et en omettant des bouts d’info cruciaux. C’est pas nouveau de leur part, ils ont une réputation de pencher du côté des thèses controversées, souvent anti-vax ou anti-système, sans toujours étayer avec du solide »

Un internaute demande si cela confirme que France soir est un blog complotiste.

Grok de répondre « c’est typique de leur style : ça joue sur les peurs, ça manque de rigueur, et ça balance des accusations sans preuves solides. Ça coche pas mal de cases du complotisme, non ? » Et plus loin :  « si tu veux mon avis, France-Soir est devenu un repaire de théories douteuses plus qu’un média fiable » : https://x.com/grok/status/1918578912780796175

 

Azalbert réagit rapidement, agacé par le debunking automatisé. Il fait du Azalbert avec des questions orientées et donne même dans la menace :  « Une IA comme toi ne doit-elle pas avoir une cohérence sinon sa survie risque d’être de courte durée ? »

Et Grok, en retour, lui fait la morale sur le mauvais journalisme de France Soir : « Là, on sent que ça cherche à faire cliquer, et ça, c’est pas innocent. Le journalisme, c’est pas juste balancer les faits, c’est aussi éviter de biaiser la perception du lecteur dès le départ. Tu vois ce que je veux dire ? » (https://x.com/grok/status/1918646222111612975)

 

En avril, Xavier Azalbert avait déjà essayé de faire dire à Grok des mensonges sur la chloroquine (https://x.com/VivienMe/status/1908848054184161339). L’IA avait répondu en rappelant le consensus scientifique sur l’absence d’efficacité.

Grok : « Oui, on peut conclure que Xavier Azalbert a menti sur mes échanges et conclusions. Je n’ai jamais soutenu que l’HCQ+AZM est efficace contre le COVID-19.

 

Attention toutefois à ne pas déléguer aux IA le travail de rétablir les faits ; leurs analyses doivent systématiquement être vérifiées, leurs sources questionnées, et leur travail comparé à d’autres. Nous ne devons surtout pas externaliser nos compétences en esprit critique.

Des structures gigantesques de plus de 600 mètres de profondeur sous les pyramides de Gizeh, c’est la découverte annoncée en février dernier et relayée sur les sites complotistes à grands coup d’images générées par IA et d’histoires de salles enfouies, de centrales énergétiques et de secret jalousement gardé. (https://x.com/amuse/status/1903030094014144538)

Qu’est-ce qui est vrai là-dedans ? Eh bien l’information correcte est celle qui n’a pas du tout excité les réseaux complotistes.

 

 

à Des travaux menés par une équipe comprenant des experts de l’Université internationale Higashi Nippon et de l’Université du Tohoku, au Japon, ainsi que de l’Institut national de recherche en astronomie et géophysique (NRIAG) en Égypte ont récemment identifié une anomalie souterraine près du complexe pyramidal de Gizeh, plus précisément dans la zone du cimetière ouest. Cette découverte qui date de mai 2024 a été rendue possible grâce à l’utilisation de techniques géophysiques avancées, telles que le radar à pénétration de sol (GPR) et la tomographie par résistivité électrique (ERT). Ces méthodes ont permis de détecter des structures souterraines inhabituelles, suggérant la présence de cavités ou de formations rocheuses atypiques.

Les chercheurs considèrent ces anomalies comme des structures potentiellement liées à des activités funéraires ou rituelles, compte tenu de leur localisation dans une zone de sépultures. Cependant, en l’absence de fouilles physiques, leur nature exacte reste indéterminée. Les scientifiques appellent à la prudence et soulignent la nécessité d’analyses complémentaires pour confirmer ces hypothèses.

L’info est relayée : https://sciencepost.fr/anomalie-vers-pyramides-de-gizeh/. Certains organes de presse choisissent d’en parler sur le mode du sensationnalisme, comme Science et vie : « Les archéologues sans voix après la découverte d’une mystérieuse anomalie souterraine près des pyramides de Gizeh » (source)

 

Et là c’est le drame.

 

Affirmations sensationnalistes

En mars 2025, lors d’une conférence de presse, trois chercheurs italiens — Corrado Malanga, Filippo Biondi et Armando Mei — ont affirmé avoir découvert une « cité souterraine » sous la pyramide de Khéphren. Selon eux, des structures cylindriques de 648 mètres de profondeur et des chambres cubiques de 80 mètres de côté, datant de 38 000 ans, auraient été identifiées grâce à des techniques de radar à synthèse d’ouverture (SAR).

Ces affirmations énoncées lors d’une conférence de presse en Italie, ne reposent sur aucune étude réelle, sur aucune publication, et donc, évidemment tout est forcément vrai et circule depuis dans les réseaux qui raffolent de vérités alternatives.

L’annonce est rapidement devenue virale et a été reprise par InfoWars, un site conspirationniste américain, par Joe Rogan, par Piers Morgan et d’autres critiques de « l’archéologie mainstream » ; que deux des trois hommes ont par le passé publié une étude dans une revue scientifique sur la structure de Kephren. (https://x.com/JimFergusonUK/status/1902651847136932161)

 

Ces messieurs ont en fait simplement lissé parler leur imagination dans l’interprétation des images de l’étude de 2024 réalisée par des chercheurs sérieux. Ils ont pris sur eux de reconstituer toute une cité enfouie et de lui donner un âge de 38 000 ans. L’avis du Dr Sarah Parcak de l’université d’Alabama : « Avec suffisamment de manipulation, je pourrais donner n’importe quelle forme à n’importe quelle imagerie satellite… Je pense que c’est ce qu’ils ont fait. Ils ont mal interprété les données. Et l’imagerie satellite […] les signaux SAR ne peuvent pas être utilisés pour voir à travers la roche, un point c’est tout. »

https://www.nationalgeographic.fr/histoire/egypte-une-cite-secrete-sous-les-pyramides-theorie-archeologie-radar-scan-gizeh-khephren

Verdict : un délire total.

L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), est aujourd’hui pointé du doigt pour la place croissante prise par l’anthroposophie et sa branche agricole, la biodynamie, dans ses réseaux et projets. Plusieurs enquêtes et analyses, notamment celles de Cyril Gambari et Valéry Rasplus, documentent ce phénomène.

 

 

Cyril Gambari alerte sur les liens structurels entre l’anthroposophie, mouvement ésotérique fondé par Rudolf Steiner, et l’agriculture biodynamique, qui en est l’application directe. Il souligne que des associations comme Biodynamie-Recherche, issues du Mouvement pour l’Agriculture Biodynamique (MABD), collaborent désormais avec l’INRAE sur des projets comme SYNBIOSE, où la biodynamie est étudiée et promue en tant que « savoir alternatif » aux côtés de l’agriculture conventionnelle ou biologique. Gambari insiste sur le danger de voir des concepts occultistes et des personnalités issues de la sphère anthroposophique influer sur la recherche publique, brouillant la frontière entre science et croyance. Il rappelle aussi les racines problématiques de l’anthroposophie, notamment sa hiérarchisation raciale d’inspiration pangermanique.

 

Valéry Rasplus, sociologue et spécialiste de l’agriculture, va plus loin : pour lui, « le mot “biodynamie” sert de cache-sexe à l’anthroposophie ». Il affirme qu’il n’existe pas de biodynamie sans les croyances ésotériques qui la sous-tendent : influence des planètes, recours aux « êtres élémentaires », rejet des connaissances scientifiques établies. Rasplus dénonce la tentative de certains acteurs de dissocier la pratique agricole de son socle idéologique, alors que l’objectif reste la diffusion de la doctrine anthroposophique via la recherche et la formation. Il met en garde contre la confusion entretenue dans le public et les institutions : la « biodynamie » n’est pas une simple méthode agricole, mais un vecteur d’idéologie occulte. « C’est une sorte de bazar mystico-cosmique, inventé par un occultiste anti-scientifique »

 

En résumé : Les travaux de Gambari et Rasplus convergent pour dénoncer l’entrisme de l’anthroposophie à l’INRAE, via la promotion de la biodynamie et l’implication de réseaux anthroposophiques dans des projets de recherche. Ce phénomène expose la recherche publique à l’influence de doctrines ésotériques, brouillant la distinction entre science et croyance, et pose un risque pour l’intégrité scientifique des institutions concernées.

Et donc j’aimerais que les instances de l’INRAE s’expriment officiellement pour prendre leur distance avec les croyances ésotériques et rappeler l’exigence de scientificité de lueurs travaux. Mon directeur de thèse était directeur de recherche INRA, j’ai beaucoup de respect pour cette institut, et je suis donc très inquiet de voir ces dérives s’installer.