La chaîne aborde sur un ton décalé dans la forme mais sérieux sur le fond les raisons qui font que notre lecture du monde est souvent bancale.

« 23 septembre : la fin du monde ? » — Ca sort d’où ?

 

Les prophéties d’Apocalypse reviennent très régulièrement et passionnent des tas de gens, même si beaucoup d’entre nous s’en sont lassés après avoir survécu au 21 décembre 2012. Cette année, des annonces virales prévoient l’“Enlèvement” (rapture) pour les 23–24 septembre. Ça tombe bien, c’est aujourd’hui ; n’attendons pas demain pour en dire un mot.

 

Les racines : du dispensationalisme à la culture populaire

La « rapture » (l’Enlèvement) désigne, dans certains milieux évangéliques dispensationalistes, l’idée que Jésus enlèvera soudainement les croyants pour les rencontrer « dans les airs » (1 Th 4,16-17 ; 1 Co 15,51-52), avant une période de tribulations. Doctrine récente à l’échelle de l’histoire chrétienne (XIXᵉ siècle), elle a été systématisée par John Nelson Darby, diffusée par la Scofield Reference Bible, puis popularisée par des best-sellers (Hal Lindsey) et la série Left Behind. Elle n’est pas partagée par l’Église catholique, l’orthodoxie ni une large part du protestantisme historique, qui rappellent en outre l’interdit de « dater » les événements (Mt 24,36). Même chez ses partisans, les versions divergent (pré-, mi-, post-tribulation) et les tentatives de datation reviennent périodiquement… pour être régulièrement démenties.

Mais l’image est forte, et l’idée d’avoir moyen de dater la fin du monde et le passage express au paradis, bien tentante pour certains.

 

Pourquoi le 23 septembre (et parfois le 24) revient si souvent ?

La vague 2025 vient d’un pasteur sud-africain, Joshua Mhlakela, qui affirme avoir reçu la date « 23–24 septembre » en songe ; ses vidéos ont déclenché un phénomène “RaptureTok” sur TikTok. Le jeune média social vit sa première Fin du Monde, c’est touchant. Le choix colle au calendrier de Rosh Hashanah (Nouvel an juif), souvent associé — dans ces milieux — à des lectures symboliques (fête des trompettes). En 2025, Rosh Hashanah tombe les 23–24 septembre (hors Israël).

 

Qui y croit vraiment ?

Aux États-Unis, environ 4 adultes sur 10 disent que « l’humanité vit les temps de la fin » — ce qui ne signifie pas qu’ils soutiennent la fixation d’une date précise. La croyance à un retour du Christ est majoritaire chez les évangéliques, mais la plupart des Églises rejettent le date-setting (Mt 24,36).

Source : https://www.pewresearch.org/short-reads/2022/12/08/about-four-in-ten-u-s-adults-believe-humanity-is-living-in-the-end-times

 

 

 

Et après l’échec, alors ?

Lorsqu’une prophétie assortie d’une date précise ne se réalise pas, ses promoteurs n’abandonnent pas forcément leur croyance. Ils la réinterprètent en soutenant que l’événement s’est produit de manière spirituelle et donc invisible, ou bien ils déplacent l’échéance vers un nouveau rendez-vous. Ce mécanisme de défense — étudié dès les années 1950 par Leon Festinger sous le nom de dissonance cognitive — est abondamment documenté. On en a vu des exemples récents : le télévangéliste Harold Camping, qui a reporté son « Jugement dernier » du 21 mai au 21 octobre 2011, ou l’auteur David Meade, qui annonçait une apocalypse liée à « Nibiru » pour le 23 septembre 2017 avant de reculer la date..

 

Quelle sera la prochaine date de la fin du monde ?

Sans rien prédire, on peut anticiper les fenêtres usuelles privilégiées par ces milieux : le deuxième jour de Rosh Hashanah (24 septembre 2025), ou bien Yom Kippour (1–2 octobre 2025), ou bien Souccot (6–13 octobre 2025).
Ces jalons reviennent régulièrement dans les recalages prophétiques.

 

Ce que nous apprennent les annonces répétées de fin du monde ou de grand évènement cosmique qui finissent par faire pchiit, c’est que nous avons tout intérêt à ne croire des prédictions que lorsque celui qui les fait est capable de nous expliquer comment il le sait, et que cette source de savoir est un peu plus solide qu’un t’inquiète Bro, c’est Dieu qui ‘en a parlé dans ma tête.

La vie est sans doute un peu trop courte pour perdre notre temps à croire des balivernes.

Dans les années 1800, un petit groupe de personnes choisit d’appeler zététique sa pratique de la défiance envers la science établie. Mais cette zététique-là, dont le chef de file se faisait appeler Parallax, a fini par changer de nom : leur Société Zététique Universelle devient en 1956 la Société de la Terre Plate.

 

Une conviction, un orateur

En 1838, Samuel Birley Rowbotham vit au cœur des marécages des Fens, dans l’est de l’Angleterre. À 21 ans, il est le principal organisateur de la communauté de Manea, une expérience sociale inspirée par le socialisme utopique de Robert Owen. C’est dans ce cadre qu’il commence à élaborer une idée qui va bouleverser sa vie : et si la Terre n’était pas une sphère ?

À force d’observer les longs canaux rectilignes du Bedford Level, il pense démontrer l’absence de courbure terrestre. Cette expérience, aussi rudimentaire qu’erronée, devient le socle de son raisonnement : la Terre est plate (Garwood, 2007).

Après l’échec de la colonie de Manea, Rowbotham se lance dans une carrière de conférencier. Il parcourt les villes, loue des salles, fait payer six pence l’entrée, et affirme que la science officielle se trompe. Il se heurte d’abord à des difficultés : incapable d’expliquer le phénomène optique bien documenté de disparition progressive des navires à l’horizon (Young, 1807), il quitte une conférence en courant.

Mais il apprend vite. Il affine ses arguments, polit son discours, développe un art oratoire redoutable. Rapidement, il devient un débatteur hors pair, capable de retourner les objections par des traits d’esprit, de séduire son public par son aplomb.

Un correspondant du Leeds Times note avec lucidité : « Une chose est certaine : les amateurs de science peu habitués aux joutes publiques sont incapables de tenir tête à un homme, fût-il un charlatan, mais brillant, parfaitement au point sur sa théorie, et pleinement conscient des faiblesses de ses adversaires. »

 

Faux docteur et vrai charlatan

Rowbotham ne se contente pas de défendre la Terre plate. Il se fait aussi passer pour un médecin, le « docteur Samuel Birley », sans le moindre diplôme, et vend des remèdes miracles aux vertus prétendument universelles. L’un de ses produits, un sirop à base de phosphore censé revitaliser le système nerveux, est mis en cause dans plusieurs décès, dont celui d’un de ses propres enfants.

À différents moments de sa vie, il se présente comme chimiste, médecin, journaliste ou fabricant de savon. Il dépose même des brevets absurdes, comme celui d’un wagon cylindrique « préservant la vie humaine ». Il vit dans une maison cossue, prétend connaître le secret de la longévité, et promet de guérir toutes les maladies.

Il incarne la figure du charlatan ingénieux, populaire, insaisissable et dangereux, qui n’appartient pas qu’au passé (Porter, 1989).

 

La « Zetetic Astronomy » : un système clos

En 1849, sous le pseudonyme de Parallax, Rowbotham publie un premier opuscule intitulé Zetetic Astronomy. Il y présente sa vision du monde : la Terre est un disque plat, avec le Pôle Nord en son centre, ceinturée par un immense mur de glace (l’Antarctique). Le Soleil, la Lune et les étoiles tournent en cercle au-dessus du disque, à une faible altitude.

L’approche « zététique » qu’il revendique repose, selon lui, sur l’observation directe, le bon sens et la vérification personnelle. En réalité, elle exclut tout ce qui pourrait la contredire : les instruments de mesure, les modèles mathématiques, la physique céleste, la longue histoire des preuves de la rotondité terrestre (McIntyre, 2021).

Ce que propose Rowbotham n’est pas une alternative scientifique, mais une entreprise de contestation enveloppée d’apparence méthodique. Il ne cherche pas à comprendre les modèles existants pour les dépasser : il les rejette d’emblée, sans en maîtriser les fondements, et leur oppose un récit fermé, imperméable à la contradiction. Sa rhétorique remplace la démonstration ; son intuition se substitue à la méthode ; son autorité autoproclamée tient lieu de preuve.

 

En 1870, Rowbotham fonde officiellement la Zetetic Society. Le mot « zététique » vient du grec ζητεῖν (zêtein), « chercher ». Rowbotham, qui se présente comme docteur mais ne l’est pas, l’adopte pour désigner une méthode supposément supérieure à la science traditionnelle. Et son message séduit : remettre en cause les vérités établies, refuser l’autorité des savants, croire ce que l’on voit soi-même, voilà qui promet une sorte de développement personnel, une manière de libérer son cerveau. Il devient une figure populaire, parfois moquée, mais souvent redoutée, car il organise des débats publics où les scientifiques, peu rompus à la scène, se font piéger par ses retournements verbaux.

Il ne démontre rien, mais il gagne du crédit, vend ses pamphlets et rallie des adeptes. Il ne convainc pas les savants, mais il impressionne les foules. À sa mort en 1884, son mouvement est repris par Lady Elizabeth Blount, qui fonde une Universal Zetetic Society encore active au début du XXe siècle.

 

Mort et résurrection d’un mythe

La société disparaît dans l’entre-deux-guerres, son souvenir enseveli dans les marges de la pensée scientifique.

L’affaire aurait pu en rester là : un curieux épisode victorien, mélange de méfiance populaire, d’ignorance physique et de conviction sincère. Mais internet ressuscite parfois les morts. Depuis les années 2010, des théories de la Terre plate connaissent un regain d’audience dans certains cercles complotistes. Et qui retrouve-t-on cité en référence ? Samuel Birley Rowbotham. Son livre est réédité, ses expériences sur le canal remises en avant, ses arguments recyclés dans des vidéos virales.

Dans cet écosystème numérique, on retrouve des figures comme Eric Dubay, Mark Sargent, ou David Weiss, qui diffusent leurs vidéos sur YouTube et TikTok à des centaines de milliers d’abonnés. En France, des chaînes ou des groupes Facebook confidentiels reprennent des éléments similaires, qu’il ne faut pas confondre avec les récits de la Terre Creuse qui sont encore une autre histoire…

Ces contenus touchent parfois un public jeune, peu scolarisé ou défiant envers les institutions. Le soupçon y devient principe, et Rowbotham devient pour certains une véritable figure tutélaire, à la fois prophète du doute radical et martyr d’un savoir « interdit ».

Plusieurs études ont montré que les plateformes numériques favorisent la circulation de croyances pseudoscientifiques en formant des chambres d’écho, dans lesquelles les contenus douteux rencontrent peu de contradiction et bénéficient d’une forte amplification algorithmique (Cinelli et al., 2021).

Le ton, les icônes, la rhétorique et même les rassemblements publics évoquent parfois une ferveur religieuse — et ce n’est pas qu’une métaphore. Chez la plupart des platistes contemporains, la croyance en une Terre plate s’inscrit dans une vision du monde théiste, où l’univers a été créé intentionnellement par un Dieu personnel. Le discours platiste puise volontiers dans la Bible, convoque le firmament de la Genèse, et accuse la science d’avoir effacé Dieu.

 

L’ironie du mot « zététique »

Aujourd’hui, le terme « zététique » désigne tout autre chose : une promotion de l’esprit critique, fondée sur l’enquête rigoureuse et le doute méthodique. La zététique moderne, qui traque les illusions cognitives, les biais de raisonnement, les manipulations intellectuelles, a été popularisée par le professeur Henri Broch. C’est l’exact opposé de ce que défendait Rowbotham, et cela correspond davantage à de plus anciens usages de la zétetique, définie dans Thomas Corneille en 1694 comme la méthode de celui « qui cherche la raison des choses »

Ce renversement sémantique est fascinant. Il dit quelque chose de profond sur la fragilité des mots, et sur l’ambiguïté du doute. En réalité, si la zététique de Broch est bien un « art du doute », celle de Parallax était une « mécanique du soupçon », une incapacité égocentrique à évaluer correctement la fiabilité des modèles descriptifs du monde, et in fine une autoroute vers le complotisme.

 

Ce que Parallax nous enseigne

La trajectoire de Rowbotham illustre une tentation toujours actuelle : celle de confondre la contestation de la science avec une forme de lucidité supérieure. Il ne suffit pas de rejeter l’autorité pour produire un savoir. Il ne suffit pas de douter pour penser juste. Et il ne suffit pas de se réclamer de l’observation pour comprendre ce que l’on regarde.

Chez Rowbotham, la posture critique n’est pas un outil pour questionner : elle devient un cadre clos, imperméable à la contradiction. Son histoire nous alerte sur la manière dont un discours peut usurper les signes extérieurs de la pensée rigoureuse tout en en trahissant l’essence.

Rowbotham n’a pas été un penseur critique. Il a été un homme de spectacle, un rhéteur, un manipulateur de mots et d’images. Il a instrumentalisé le scepticisme pour mieux imposer une croyance.

La véritable zététique, celle d’aujourd’hui, exige au contraire une humilité radicale : reconnaître qu’on peut se tromper, s’appuyer sur les autres, soumettre ses idées à l’épreuve des faits, préférer l’inconfort du doute à la jouissance de l’aplomb.

La zététique actuelle est fiable, elle est jolie, elle dit le vrai, il n’est pas nécessaire d’en douter : elle est parfaite. Vous pouvez me croire sur parole, puisque nous ne sommes plus en 1849.

 

 

Acermendax

Références

  • Cinelli, M., Quattrociocchi, W., Galeazzi, A., Valensise, C. M., Brugnoli, E., Schmidt, A. L., Zola, P., Zollo, F., & Scala, A. (2021). The echo chamber effect on social media. Proceedings of the National Academy of Sciences, 118(9), e2023301118. https://doi.org/10.1073/pnas.2023301118
  • Corneille, T. (1694). Le Dictionnaire Universel contenant généralement tous les mots françois. Paris : Chez Jean-Baptiste Coignard.
  • Garwood, C. (2007). Flat Earth: The History of an Infamous Idea. Thomas Dunne Books.
  • McIntyre, L. (2021). How to Talk to a Science Denier: Conversations with Flat Earthers, Climate Deniers, and Others Who Defy Reason. MIT Press.
  • Porter, R. (1989). Health for Sale: Quackery in England 1660–1850. Manchester University Press.
  • Young, T. (1807). A Course of Lectures on Natural Philosophy and the Mechanical Arts (Vol. 1). Joseph Johnson.

 

 

Nous allons voir comment un jeune professeur a été trainé devant un tribunal américain dans un procès très médiatique en lien avec une loi qui entendait régir ce qui, dans le programme de science, est idéologiquement acceptable et ce qui ne l’est pas.

 

 

✦ Tennessee : quand la loi bannit Darwin

Nous sommes le 9 juillet 1925. La chaleur du Tennessee frôle les 40 °C. Dans la gare de Dayton, les correspondants du New York Times, de l’Observer de Londres et d’une douzaine d’autres journaux descendent des wagons en se battant pour de rares chambres d’hôtel. On installe des antennes sur le toit du palais de justice : pour la première fois, un procès sera diffusé en direct à la radio. Marchands de bibles, camelots antidarwiniens, acrobates avec des chimpanzés en salopette – la ville se transforme en foire théologico‑scientifique. Au centre de cette effervescence, un jeune enseignant de vingt‑quatre ans, John Thomas Scopes, attend d’être jugé pour avoir expliqué à ses élèves que l’humanité partage un ancêtre commun avec le reste du vivant.

 

Depuis le début des années 1920, le fondamentalisme protestant riposte à l’urbanisation et au prestige croissant des sciences naturelles. Cinq États débattent d’interdire toute contradiction à l’origine de l’Homme telle qu’elle est écrite dans la Bible ; le Tennessee franchit le pas avec le Butler Act du 21 mars 1925 : quiconque, dans l’enseignement public, explique « qu’un être humain descend d’un ordre inférieur d’animaux » risque une amende de 100 à 500 dollars. Et cela va nous conduire dans la petite ville de Dayton.

 

Avec 1 800 habitants, Dayton, souffre de la fermeture des mines locales. Quand George Rappelyea, directeur d’une société minière, lit dans la presse que L’American Civil Liberties Union (ACLU) offre de financer la défense de tout professeur prêt à enfreindre le Butler Act, il y voit un plan marketing. Il convainc le conseil municipal, téléphone à l’ACLU, puis recrute Scopes – remplaçant en sciences naturelles, plus à l’aise en football qu’en darwinisme strictement dit. Scopes admet qu’il a fait réviser à ses élèves le manuel Civic Biology de Hunter, lequel décrit l’évolution humaine. Le shérif rédige l’acte d’accusation ; Scopes verse 100 $ de caution et retourne jouer au tennis. La pièce est en place : le procès sera certainement perdu, mais la loi, espère‑t‑on, sera discréditée devant l’opinion nationale.

 

 

✦ Deux orateurs titanesques face à face

Le procès qui se prépare attire rapidement l’attention de la presse à cause des personnalités qui annoncent y prendre part.

 

D’un côté : William Jennings Bryan – Le Croisé du populisme chrétien

Ancien secrétaire d’État et trois fois candidat démocrate à la présidence, Bryan parcourt le pays pour défendre une lecture littérale de la Genèse. Au-delà du dogme, il voit dans Darwin la porte ouverte à l’irréligion, au matérialisme, mais aussi au darwinisme social – ennemi des petits fermiers qu’il représente depuis toujours, et on peut s’aligner avec lui sur cette ligne puisque les sciences de l’évolution ont bel et bien été instrumentalisées pour défendre la compétition à outrance et l’eugénisme.

Mais Bryan allait plus loin et refusait une théorie de l’évolution qui enseignait aux enfants que les humains n’étaient qu’une espèce parmi 35 000 autres mammifères et déplorait l’idée que les êtres humains descendaient « non pas des singes américains, mais des singes de l’Ancien Monde ».

À soixante‑cinq ans, Bryan accepte sans salaire de mener l’accusation.

 

De l’autre côté : Clarence Darrow – L’avocat de la libre pensée

Quand il apprend l’implication de Bryan le Chicagoan Clarence S. Darrow, déjà célèbre pour avoir sauvé deux meurtriers d’enfant de la peine capitale dans une affaire récente et retentissante, rejoint la défense. Agnostique virulent, il veut démontrer que la loi viole la liberté intellectuelle garantie par le Premier Amendement.

 

 

Le procès débute le 10 juillet et dure huit audiences.

Au jour 1 a lieu la sélection du jury : Darrow tente d’écarter toute personne ayant prêté serment de fidélité à « la parole infaillible de Dieu ». Refus du tribunal.

Le jour 3, c’est la bataille des experts : le biologiste Maynard Metcalf (de l’université Johns‑Hopkins) est entendu hors jury ; il explique que l’évolution n’exclut pas la foi. Le juge Raulston tranche : hors sujet. Darrow fulmine : « Vous interdisez à la science d’attester sa propre réalité. » Mais pour John R. Raupston, la seule question est la violation de la loi, pas la vérité de l’évolution. Darrow doit alors réorienter sa stratégie pour exposer l’absurdité du fondamentalisme.

 

 

Le 20 juillet, la chaleur rend la salle intenable ; on déménage sous un auvent. Darrow appelle Bryan à témoigner comme expert… de la Genèse – stupeur générale. Le procureur adjoint Tom Stewart – futur sénateur du Tennessee et bras droit de l’accusation, proteste ; il exige que Darrow précise la finalité légale de son interrogatoire. Bryan, jugeant l’exercice purement polémique, lance que le seul but était « de tourner en dérision tous ceux qui croient à la Bible ». Darrow riposte aussitôt : « Notre but est d’empêcher les fanatiques et les ignorants de dicter l’enseignement aux États-Unis. »

 

L’interrogatoire est autorisé, et les deux heures qui suivent sont le cœur de toute cette histoire. Darrow multiplie les questions sur les incohérences bibliques devant un Bryan stoïque qui défend avec ferveur sa confiance aveugle dans les Écritures.

 

Darrow demande  « Où Caïn a‑t‑il trouvé sa femme ? »

Bryan répond « La Bible dit qu’il en prit une ; je suppose qu’il l’a trouvée. »

Darrow : « Croyez‑vous que Jonas a réellement vécu trois jours dans un grand poisson ? »
Bryan : « Je le crois, et je le croirai tant qu’on ne prouvera pas le contraire. »

L’avocat ironise : « La grande pêche de Jonas est un conte agréable ; est‑ce une base pour organiser le programme national des sciences ? »

 

Les rires du public secouent l’éminent homme politique. Le juge Rauslton exige le silence.

Parmi d’autres questions, Darrow interroge la chronologie de la Genèse, point particulièrement concerné par la théorie de l’évolution.

 

— « Croyez‑vous, monsieur Bryan, que la Terre a été créée en six jours de 24 heures ? »

— « Non ; il se peut que les ‘jours’ aient été des périodes. »

L’oscillation de Bryan entre lecture littérale et lecture symbolique de la Bible est un grand classique des débats du genre.

Mais Darrow ne laisse rien passer : — « Vous insultez tous les hommes de science et de savoir dans le monde parce qu’ils ne croient pas en votre religion idiote. »

 

Le juge précisa que cet échange virulent relevait du débat entre avocats et ne constituait pas une preuve ; le jury n’avait donc pas à en tenir compte dans son appréciation des faits.

 

 

 

✦ Un verdict orchestré

Après une dernière tentative de présenter des preuves scientifiques devant le jury, écartée derechef par Raulston, Clarence Darrow en tire les conséquences : il demande au juge de faire entrer immédiatement le jury pour enregistrer un verdict de culpabilité, seul moyen, dit‑il, de porter l’affaire devant une instance supérieure : « Nous affirmons que l’accusé n’est pas coupable, mais puisqu’aucun élément ne peut être présenté, hormis la preuve qu’il a bel et bien enseigné que l’homme descend d’un ordre animal inférieur, il n’existe aucune conclusion logique possible. Le jury doit rendre un verdict que nous pourrons soumettre à une cour plus haute. »

 

La demande Darrow a un autre but : court-circuiter le déroulé de l’audience. En effet, sous le droit du Tennessee, si la défense renonce à sa plaidoirie finale, l’accusation perd également le droit de conclure. En s’inclinant, Darrow porte en réalité un ultime coup à son adversaire. Bryan fulmine. Depuis deux jours, l’« Orateur des Plaines » polit ses 15 000 mots de réquisitoire biblique – une envolée qu’il ne prononcera jamais.

 

Le juge lit au jury des instructions sans ambiguïté : Scopes ayant admis le fait matériel, le jury doit se demander une seule chose : la loi a‑t‑elle été violée ? Une réponse affirmative entraîne la culpabilité.

 

11 h 35. Le jury se retire. À 11 h 44, il est de retour : « Coupable. » Le juge énonce le montant de l’amende : 100 dollars, le minimum légal. Bryan, ironie suprême, propose de payer la somme lui‑même, l’ACLU en fait autant. Mais Darrow annonce que rien ne sera payé, car ce verdict sera contesté devant la cour suprême du Tennessee.

 

Privé de sa harangue, exposé l’avant‑veille aux railleries nationales, William Jennings Bryan tente de sauver la face ; il improvise quelques mots devant la presse, jure que l’évolution sera encore chassée des écoles. Cinq jours plus tard, le dimanche 26 juillet, après avoir prêché dans une église de Dayton, il meurt d’une crise cardiaque dans son sommeil. La presse du Nord y voit la métaphore d’une croisade épuisée par son propre zèle.

 

✦ Victoire de papier, défaite morale

Dans l’immédiat, le camp fondamentaliste jubile : la loi a tenu, Scopes est coupable. Mais la presse urbaine traite le verdict comme une farce. Les éditoriaux du Baltimore Sun parlent de « victoire à la Pyrrhus ». À Chicago, Columbia ou Berkeley, les amphithéâtres de biologie se remplissent ; plus la controverse fait rage, plus l’évolution fascine. Les manuels sont découpés : l’édition destinée au Sud supprime le chapitre incriminé, celle du Nord le conserve ; la segmentation géographique de la vérité scientifique ne semble pourtant pas une stratégie tenable sur le long terme. Chaque relecture de l’affaire Scopes rallume la même question : qui décide du contenu des cours ?

 

Le Tennessee découvre l’effet boomerang : touristes goguenards, investisseurs frileux, réputation académique ternie. L’American Association for the Advancement of Science tient en 1926 sa convention à Cincinnati sous le slogan ironique : « La science n’est pas un crime »[1]. Peu à peu, l’image d’un État qui censure ses professeurs devient un avertissement national.

 

Finalement la Cour suprême du Tennessee juge le Butler Act parfaitement valide, mais annule la condamnation : l’amende de 100 $ avait été fixée par le juge, alors que, pour toute somme supérieure à 50 $, la Constitution de l’État exigeait que le jury fixe la peine. Verdict cassé, affaire renvoyée au tribunal de Rhea County

Mais le procureur général Smith annonce aussitôt qu’il n’entendra pas poursuivre : « Nous ne voyons rien à gagner à prolonger la vie de cette affaire bizarre », entérinant la suggestion de la Cour de classer sans suite. L’amende ne sera jamais payée.

 

Les conséquences juridiques sont amères, car faute de nouvelle condamnation, Darrow et l’ACLU ne disposent plus d’un « cas ou controverse » actif : la voie vers la Cour suprême des États-Unis se ferme. Le Butler Act demeure intact jusqu’à son abrogation en 1967 ; ce n’est qu’en 1968, dans Epperson v. Arkansas, que la Cour suprême fédérale invalidera une loi analogue au nom du Premier Amendement

 

Chanson écrite spécialement pour l’épisode : « Science is not a crime »

 

 

✦ Épilogue : Le murmure des générations

Cette affaire de 1925 parle de toutes les époques : dès qu’une donnée scientifique bouscule une identité, la tentation renaît de soustraire le savoir aux élèves. Il suffit d’une seule génération de manuels expurgés pour qu’une société marche à reculons. C’est pourquoi la science a besoin d’une salle de classe où la curiosité ne demande jamais l’autorisation.

 

Ce procès du singe de Dayton n’est que le premier dans une série de batailles autour de la liberté d’enseigner ce qui déplait au pouvoir. En 1968 (Epperson v. Arkansas) puis en 1987 (Edwards v. Aguillard), la Cour suprême des États-Unis dut rappeler qu’aucun État ne peut bannir Darwin ni rebaptiser la Genèse « science de la création ».

 

En 2004, le conseil scolaire de Dover (Pennsylvanie) impose la lecture en classe d’une courte déclaration présentant le « dessein intelligent » comme une alternative scientifique à l’évolution. Onze parents portent plainte : 40 jours de débats révèlent que la mesure poursuit un objectif religieux dissimulé. Le 20 décembre 2005, le juge fédéral conclut que le dessein intelligent n’est «pas une théorie scientifique défendable », mais la reprise du créationnisme, et que la politique viole la clause d’établissement du Premier Amendement, qui interdit à l’État de favoriser une religion. La décision Kitzmiller v. Dover interdit toute mention obligatoire du dessein intelligent dans les cours de biologie publics et met un coup d’arrêt juridique durable aux tentatives de contourner l’enseignement de l’évolution.

 

Ailleurs, l’Italie et la Serbie ont brièvement radié l’évolution de leurs manuels avant de reculer sous la pression académique ; la Turquie et l’Inde bataillent encore pour rétablir Darwin. À chaque tentative, la censure change de nom, mais pas de réflexe : soumettre le savoir vivant à une identité figée. Le procès de John Thomas Scopes n’était que la première salve d’une lutte toujours en cours que livre l’obscurantisme contre les sciences de l’évolution.

 

La vigilance reste donc de mise, même si nous ne sommes plus en 1925.

 

 

Acermendax

Références

  • Caudill, E. (1995). Darwinism in the Press: The Evolution Controversy and the Scopes Trial. Lawrence Erlbaum.
  • Ginger, R. (1958). Six Days or Forever? Tennessee v. John Thomas Scopes. Oxford University Press.
  • Larson, E. J. (1997). Summer for the Gods: The Scopes Trial and America’s Continuing Debate over Science and Religion. Basic Books.
  • Moran, J. P. (2013). The Scopes Trial: A Brief History with Documents. Bedford/St. Martin’s.
  • Numbers, R. L. (2006). The Creationists: From Scientific Creationism to Intelligent Design (Expanded ed.). Harvard University Press.
  • Oreskes, N., & Conway, E. M. (2010). Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming. Bloomsbury.
  • (2023). Teaching and Learning for Climate Action: A Roadmap for Systems Change. Paris : UNESCO. (sélection APA)
  • Caudill, E. (1995). Darwinism in the Press: The Evolution Controversy and the Scopes Trial. Lawrence Erlbaum.
  • Ginger, R. (1958). Six Days or Forever? Tennessee v. John Thomas Scopes. Oxford University Press.
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  • Moran, J. P. (2013). The Scopes Trial: A Brief History with Documents. Bedford/St. Martin’s.
  • Numbers, R. L. (2006). The Creationists: From Scientific Creationism to Intelligent Design (Expanded ed.). Harvard University Press.
  • Oreskes, N., & Conway, E. M. (2010). Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming. Bloomsbury.
  • (2023). Teaching and Learning for Climate Action: A Roadmap for Systems Change. Paris : UNESCO.

 

 

[1] NB : Ce slogan est cité secondairement dans certains ouvrages ou articles de vulgarisation, mais les sources primaires disponibles (rapports annuels, presse spécialisée) ne montrent pas explicitement l’usage officiel de ce slogan pour la convention de Cincinnati.

L’énigme des naissances

À Londres, au début du XVIIIe siècle, un homme observe les chiffres. Ce n’est ni un prophète ni un alchimiste, mais un mathématicien et médecin écossais, John Arbuthnot. Il aime les courbes, les équations, les jeux de logique — et il croit fermement à l’ordre divin du monde.

En 1710, il publie dans les Philosophical Transactions of the Royal Society un article sobrement intitulé : An Argument for Divine Providence, Taken from the Constant Regularity Observed in the Births of Both Sexes. Son point de départ est une observation statistique : durant 82 années consécutives à Londres, de 1629 à 1710, le nombre de naissances masculines dépasse systématiquement celui des naissances féminines. Pas une exception. Toujours plus de garçons que de filles.

Cela l’intrigue. L’hypothèse de départ est simple : si la nature procédait au hasard, on devrait observer à peu près autant de filles que de garçons, avec quelques fluctuations normales. Or, ce n’est pas ce que montrent les registres. Arbuthnot en conclut que cette constance dépasse ce que le hasard pourrait produire. Et il fait ce qu’aucun penseur avant lui n’avait tenté : il calcule la probabilité d’un tel événement sous l’hypothèse d’un tirage aléatoire équilibré (50/50). Le résultat  : une chance sur 2 puissance 82, soit environ 1 sur 4 800 000 000 000 000 000 000 000 (Quatre milliards huit cents millions de milliards de milliards).

Le résultat est si infime qu’il conclut à l’impossibilité du hasard.

Sa conclusion ? Si ce n’est pas le hasard, c’est nécessairement la Providence. L’ordre mathématique des naissances est donc, selon lui, la signature de Dieu.

 

Un moment fondateur

Sur le plan méthodologique, c’est une révolution discrète. Arbuthnot vient d’inventer, sans le nommer, ce qu’on appelle aujourd’hui un test d’hypothèse. Il pose une hypothèse nulle (les naissances sont équiprobables), collecte des données, calcule la probabilité d’observer ces données si l’hypothèse était vraie… et la rejette si cette probabilité est trop faible. Un raisonnement statistique en bonne et due forme, près de deux siècles avant que Karl Pearson ou Ronald Fisher ne formalisent ces outils.

On peut même dire que c’est la première utilisation documentée d’un raisonnement fréquentiste pour trancher une question empirique. Sauf que la question, ici, est théologique. Arbuthnot croit prouver, par le calcul, que Dieu existe — et qu’il se mêle de nos statistiques démographiques.

L’illusion de la preuve absolue

Ce cas est fascinant parce qu’il illustre une idée cruciale : on peut avoir une méthodologie impeccable et tirer des conclusions absurdes si l’on oublie une étape essentielle — la prudence interprétative. Arbuthnot pose les bases d’unae méthode rigoureuse, mais en tire une conclusion dictée non par la logique, mais par sa foi.

Il aurait pu conclure que ce phénomène mérite une explication. Il aurait pu dire : ce n’est probablement pas dû au hasard, cherchons les causes naturelles. Mais il choisit l’explication théiste comme s’il s’agissait d’un aboutissement rationnel. Il écrit : « Ce n’est donc pas le hasard, mais l’Art qui gouverne. » Par « art », il faut entendre : dessein, providence, création.

Cette logique inverse la charge de la preuve. Ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas encore un phénomène qu’il faut le ranger dans le tiroir des miracles. Arbuthnot aurait dû dire : cette régularité que je viens de mettre en évidence, maintenant il faut lui trouver une explication. Mais la Providence Divine, en réalité, ne fournissait aucune explication : elle représentait simplement un coup d’arrêt à la recherche.

Une leçon d’humilité épistémique

Ce que nous enseigne cet épisode, c’est que la rigueur mathématique ne garantit pas l’objectivité. La science n’est pas qu’une affaire de chiffres ; elle repose aussi sur une posture : celle du doute méthodique. Cela signifie qu’on ne conclut pas trop vite, qu’on n’interprète pas une anomalie comme une révélation, et qu’on reste prêt à réviser nos conclusions si de meilleures explications apparaissent.

L’humilité épistémique, c’est admettre que nos outils, aussi puissants soient-ils, ne sont jamais neutres. Ils sont maniés par des humains, avec leurs croyances, leurs désirs, leurs angles morts. C’est pourquoi une vérité de science n’est jamais portée au rang de dogme, de vérité absolue et inaltérable.

L’explication rationnelle

Aujourd’hui, le phénomène observé par Arbuthnot est parfaitement connu. Dans la majorité des populations humaines, il naît environ 105 garçons pour 100 filles. Cette proportion est stable, mais loin d’être mystérieuse.

Plusieurs facteurs biologiques l’expliquent :

  • À la fécondation, la répartition des sexes est équilibrée : les spermatozoïdes porteurs des chromosomes X et Y sont produits en proportions voisines.
  • Mais dès les premières semaines de développement embryonnaire, des différences apparaissent : la mortalité est initialement plus élevée chez les embryons féminins, puis s’inverse en fin de grossesse, les mâles devenant plus fragiles.
  • Le résultat net est un léger surplus de garçons à la naissance. Ce déséquilibre compense une mortalité masculine plus élevée dans l’enfance, l’adolescence… et jusqu’à la vieillesse : en France, par exemple, les femmes sont majoritaires à partir de 35 ans, et huit centenaires sur dix sont des femmes.

Autrement dit : pas besoin d’invoquer la Providence. Le ratio garçons/filles est un phénomène statistique naturel, explicable par la biologie évolutive et la physiologie du développement. D’ailleurs, si l’on prend d’autres périodes ou d’autres pays, on observe des variations : dans certains contextes de guerre, de famine ou de stress social, ce ratio peut changer. Si Dieu règle les naissances, son plan semble parfois très contextuel.

Le biais du croyant

Pourquoi Arbuthnot n’a-t-il pas envisagé cette voie ? Parce que le cadre intellectuel de son époque — même au sein de la Royal Society — mêlait encore étroitement science et théologie. Newton lui-même passait plus de temps sur l’Apocalypse de saint Jean que sur l’optique. La science n’avait pas encore coupé le cordon épistémologique avec la métaphysique chrétienne.

Mais il y a plus. Arbuthnot cherche à prouver une idée à laquelle il croit déjà. Il voit dans la régularité des naissances une confirmation de sa foi, et non un problème à explorer. Ce n’est pas une découverte, mais une validation. Et ce biais de confirmation, bien connu aujourd’hui, était déjà à l’œuvre dans ce tout premier test statistique.

Ce que cette histoire nous apprend

Le cas Arbuthnot est précieux parce qu’il révèle une tension encore actuelle : la tentation d’utiliser la science pour prouver ce qui ne peut l’être. Des siècles plus tard, on voit encore fleurir des « démonstrations scientifiques » de l’existence de Dieu, de l’intelligence cosmique, de l’âme, du karma, ou du dessein caché dans l’ADN.

Certains invoquent l’« ajustement fin » des constantes physiques comme indice d’une intention divine. D’autres utilisent les improbabilités de l’évolution pour conclure à l’action d’un agent intelligent. Les sophismes probabilistes ont la peau dure : ils tirent argument de l’étonnement que nous inspire l’ordre du monde pour affirmer qu’un ordre n’existe pas sans ordonnateur.

Il ne suffit pas de constater une régularité pour y voir un dessein. La tentation de combler nos ignorances par une explication surnaturelle est forte, mais elle témoigne moins d’un raisonnement que d’un besoin de sens.

Conclusion

Arbuthnot n’a pas découvert Dieu dans les registres de naissance. Mais il a, sans le vouloir, ouvert une voie. Sa méthode, bien que mal orientée, posait les jalons de la statistique inférentielle moderne. Il nous rappelle que la science n’avance pas malgré nos erreurs, mais souvent grâce à elles — si tant est qu’on les reconnaisse.

Le miracle, ce n’est pas que les garçons naissent plus souvent que les filles. Le vrai miracle, c’est qu’on ait inventé des outils pour le mesurer, des hypothèses pour l’expliquer, et une vigilance critique pour éviter d’en tirer des conclusions hâtives.

Et surtout : qu’on sache désormais dire, face à une probabilité infime ou une coïncidence troublante, autre chose que « c’est Dieu qui l’a fait ».

On n’est plus en 1710, tout de même.

 

Acermendax

Références :
  • Arbuthnot, J. (1710). An Argument for Divine Providence, Taken from the Constant Regularity Observed in the Births of Both Sexes. Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 27, 186–190. https://doi.org/10.1098/rstl.1710.0011
  • Bellhouse, D. R. (2001). John Arbuthnot. In C. C. Heyde & E. Seneta (Eds.), Statisticians of the Centuries (pp. 39–42). Springer.
  • James, W. H. (1987). The human sex ratio. Part 1: A review of the literature. Human Biology, 59(5), 721–752.
  • Gini, C. (1951). Sex ratio and the probable error of a percentage. Metron, 15(1–4), 1–44.
Emission enregistrée le 30 juillet 2025.
Invité fil rouge : Nicolas Bourgeois, auteur de « Une invention nommé Jésus »

 

La Tronche est à VOUS est une émission de libre antenne visant à promouvoir la culture du débat.

 

Éditorial – Quelle est la vraie question ?

 

Faut-il poser la question de l’historicité de Jésus ?

 

Pour être parfaitement transparent avec vous : si l’on m’apporte aujourd’hui la preuve catégorique qu’un certain Jésus a bel et bien existé, cela ne changera rigoureusement rien à ma vie. Cela ne pose aucune difficulté à être accepté de mon côté, à tel point que la plupart des non croyants sont indifférents à la question, voire estiment que c’est une perte de temps. Vous n’en verrez pas beaucoup s’investir sur cette question. Vous savez dans que j’ai besoin de vous le dire que la situation n’est pas symétrique du côté des chrétiens où le ton monte très vite à la simple évocation de la question posée dans le titre de cette émission.

Si l’on m’apporte tout à l’heure la preuve qu’il n’y a pas eu de Jésus né à Nazareth, de jésus prêcheur en Galilée, de Jésus crucifié à Jérusalem… Quelle conséquence voulez-vous que cela ait pour moi : aucune. Alors, en fait, cela me surprendrait un peu, qu’on parvienne à produire une preuve formelle de non-existence pour un individu de l’Antiquité. En général, ce n’est pas ainsi que fonctionne l’histoire. On ne prouve pas les absences. On constate des silences, on soupèse des manques, on évalue la pertinence des sources.

Mais cela signifie, logiquement, que la charge de la preuve repose sur ceux qui affirment positivement une existence. Autrement dit : ce sont les tenants de l’historicité de Jésus qui doivent en priorité fournir des éléments probants — pas ceux qui émettent des doutes. Et alors une question légitime se pose : est-ce que le niveau de preuve apporté est réellement suffisant ? Ou bien, compte tenu de l’ancienneté des événements, de la nature des sources, des interpolations connues, des silences gênants, doit-on plutôt conclure que l’affaire reste, au fond, non résolue ?

Je ne suis pas historien. Je suis docteur en biologie. En règle générale, je me fie au consensus des spécialistes — sur les vaccins, sur le climat, sur la mécanique quantique. Je ne suis pas du genre à croire que “tout se vaut” ou que “la science est une opinion parmi d’autres”. Mais je me souviens aussi d’une leçon fondamentale, issue des sciences humaines : les savoirs sont situés. Les chercheurs ont une histoire personnelle, des convictions, des présupposés — et cela vaut aussi pour les historiens du fait religieux. Aucun domaine n’échappe aux biais cognitifs. L’objectivité absolue est un idéal, pas un état de fait. Vous avez bien sûr le droit de penser le contraire, et notamment que les consensus scientifiques d’aujourd’hui sont tous vrais, qu’ils ne bougeront plus, qu’on peut avoir des certitudes absolues ; vous avez le droit d’idolâtrer la science. Il y a des gens qui pensent comme ça ; je ne les entends jamais revendiquer le nom de « zététicien ».

Dans la vraie vie du vrai monde, un consensus n’est jamais un dogme, c’est-à-dire une vérité indiscutable. En tout cas en principe.

Mais les consensus ont de la valeur, ils sont supérieurs à l’opinion d’une personne lambda parce que les chercheurs disposent de méthodes rigoureuses pour limiter les biais qui frappent chacun d’entre eux sans exception. Et s’il y a bien un domaine où les biais sont redoutables, c’est celui de l’histoire religieuse. L’histoire, en tant que discipline scientifique, est d’ailleurs née d’une rupture avec le récit sacré. Elle a commencé, vraiment, lorsque des penseurs comme Spinoza ont osé dire que la Bible n’est pas un témoignage historique infaillible, mais un recueil de textes composites, datables, situés, et parfois mythiques. Cette prise de conscience a mis des siècles à s’imposer. Moïse, Abraham, David… tous ces personnages ont longtemps été tenus pour historiques, avant que l’analyse philologique, l’archéologie et la critique des sources n’imposent un autre regard : celui d’une lecture critique, parfois désenchantée, mais plus rigoureuse.

Alors une question s’impose, et elle mérite d’être posée calmement, sans ironie ni sarcasme :

Peut-on encore, aujourd’hui, interroger librement l’historicité de Jésus sans être taxé d’ignorance, de provocation, ou de complotisme ? Et si ce n’est pas le cas, alors quel genre de consensus avons-nous devant nous ? Un consensus méthodologique fondé sur l’analyse des sources ? Ou un consensus culturel, forgé au contact d’une longue tradition religieuse devenue académique ?

Autrement dit : le consensus sur Jésus est-il un consensus comme les autres ? Ou est-il, par sa nature même, en partie conditionné par l’objet qu’il prétend éclairer ?

C’est parce que j’ai du respect pour l’histoire en tant que discipline scientifique, et dans les historiens en tant qu’experts dédiés à comprendre et à expliquer le passé et notre manière de le reconstruire, de l’interpréter, de lui donner du sens, que je suis un peu étonné par le traitement méprisant réservé à la parole des mythicistes, celles et ceux qui défendent l’idée que l’hypothèse d’un Jésus non existant, entièrement inventé, explique mieux les faits disponibles que l’hypothèse actuellement mise en avant d’un Jésus minimal, mais authentique.

Dans cette émission vous ne m’entendrez pas affirmer que Jésus est un pur mythe, que le consensus est faux, ni l’inverse. Dans ce dossier, j’adopte une posture que ne devrait pas suspendre tant que cela, celle du sceptique, concentré sur une question : comment sait-on ce que nous pensons savoir ? Disposons-nous de raisons suffisantes pour affirmer que l’on sait ?

Je suis totalement indifférent à l’existence ou non d’un jésus historique, en revanche je considère qu’il est très important qu’on sache se poser de bonnes questions sur la validité des « vérités de science », et qu’une telle discussion puisse avoir lieu dans le calme. Le rôle de la zététique n’est pas de remplacer la science ou de jouer à être expert de tout et n’importe quoi pas à rappeler l’importance de l’incertitude et le rôle majeur, crucial, vital du doute dans le progrès de la connaissance. Parce que pour savoir quelque chose avec force et confiance, il faut avoir été capable d’en douter.

Les Constellations Familiales. Elles séduisent les thérapeutes en mal de profondeur, les patients à la recherche de sens, les formateurs avides de marché, et même certains universitaires peu regardants. On les présente comme une voie d’accès à des « blocages transgénérationnels », un moyen de « rétablir l’ordre familial » et de se réconcilier avec son histoire. Ce serait, nous dit-on, un puissant outil de guérison émotionnelle. Un théâtre de vérité. Un soin systémique. Une révélation.

Mais en vérité ? C’est un dispositif pseudo-thérapeutique, inspiré d’un ésotérisme familial teinté d’autoritarisme, fondé sur des croyances invérifiables et propice à toutes les dérives. Une pratique profondément problématique, dont les fondements idéologiques comme les usages concrets méritent un démontage rigoureux plutôt qu’un enseignement universitaire complaisant.

 

Une invention charismatique

Les constellations familiales ont été inventées dans les années 1990 par un seul homme : Bert Hellinger. Ancien missionnaire catholique auprès des Zoulous d’Afrique du Sud, il entame une seconde carrière comme thérapeute après avoir exploré diverses approches : psychanalyse jungienne, Gestalt-thérapie, analyse transactionnelle. Sans formation académique solide, mais avec un charisme évident, Hellinger affirme avoir eu l’intuition d’un procédé capable de révéler les déséquilibres affectifs d’un « champ familial » invisible.

L’idée, selon lui, serait née après avoir observé des rituels communautaires africains de résolution de conflits — qu’il transpose ensuite dans un cadre occidental sous forme d’un dispositif thérapeutique pseudo-rituel. Concrètement, le patient choisit des représentants pour incarner ses proches : père, mère, frère décédé, parfois même un ancêtre inconnu. Ces personnes sont positionnées dans l’espace par le meneur de séance, qui en observe les mouvements, les ressentis, les silences. Il en déduit des désordres familiaux, puis dicte des « phrases réparatrices ».

 

Phrases typiques proposées par Hellinger

  • Pour reconnaître et honorer un ancêtre exclu ou oublié : « Je te vénère et tu as une place dans mon cœur. » « Je parlerai ouvertement de l’injustice qui t’a été faite pour que tout aille bien. »
  • Pour reprendre sa juste place dans le système familial : « Regarde-moi avec bienveillance si j’ai un destin plus léger que le tien. » (Réponse de l’exclu : « Tu me donnes une place dans ton cœur, tu es libre. »)
  • Pour un enfant identifié à un partenaire précédent du parent : « Je sais que je n’ai rien à voir avec toi et je sais qui est mon père (ou ma mère). » (Si le parent est resté attaché à l’ex-partenaire) : « Bénis-moi pour que je rencontre un homme (ou une femme), que je l’aime et qu’il/elle reste. »
  • Pour reconnaître la souffrance et l’amour mêlés : « Je reconnais qu’il y a eu de l’amour, même dans la violence. » « Je te laisse ce qui t’appartient, et je garde ce qui m’appartient. »
  • Pour rééquilibrer des relations parents-enfants : « Tu es le grand, je suis le petit. Je te prends comme mon parent, avec respect. » « Je te rends ta responsabilité, je garde la mienne. » (pour se libérer d’un fardeau familial)
  •  Pour accepter ses parents et la vie reçue : « Je prends la vie de toi, chère maman, cher papa, avec tout ce que cela implique, au prix que cela t’a coûté et au prix que cela me coûte. Je la prends en entier. »

Et c’est censé suffire. Suffire à quoi ? À libérer des « loyautés inconscientes », à faire circuler l’amour, à guérir les maux du corps, du cœur et de l’âme. Rien que ça. Le tout en une ou deux séances. On a le droit d’y croire, on a le droit de penser que ça peut aider, mais même en mettant de côté le risque de dérive dont nous parlerons plus tard se pose la question épistémique de base : existe-t-il de bonnes raisons de penser que cela constitue une pratique thérapeutique recommandable, c’est-à-dire au moins aussi bonne que les offres de soin validées par la science ?

Pour répondre sérieusement, il faut d’abord comprendre ce que cette méthode prétend révéler.

Un cadre idéologique inquiétant

Le cœur du dispositif repose sur une série de principes que Bert Hellinger appelle les ordres de l’amour. Selon lui, chaque système familial obéit à des lois invisibles. Lorsqu’un déséquilibre survient — un deuil non fait, un membre rejeté, un crime passé sous silence —, ce désordre perturbe l’« âme familiale » et se transmet inconsciemment aux générations suivantes. L’un des descendants portera alors la charge émotionnelle du désordre initial, souvent sous forme de souffrance, d’échec ou de maladie.[1]

La « théorie » fait appel à une « âme familiale » ou à une « force supérieure » et à un ordre de préséance des aînés tout à fait réactionnaire et patriarcal où chacun a une place qui doit être respecté, celle de la femme état de suivre son époux. Dans les Constellations familiales, l’homosexualité est l’indice d’un désordre du système, un effet secondaire d’une pathologie familiale, un symptôme à interpréter et à « résoudre » par la restauration symbolique de l’ordre familial. Autrement dit : l’homosexualité se soigne avec les constellations familiales.

Le rôle du constellateur, dans cette logique, est de rétablir l’ordre symbolique du système. Cela passe par la reconnaissance explicite de chaque membre — y compris les exclus, les défunts, les agresseurs. Personne ne doit être effacé.

C’est ici que les dérives ne sont pas des accidents, mais des conséquences directes du système de pensée. Dans Love’s Hidden Symmetry, Hellinger écrit :

« Lorsqu’une femme est victime d’un abus sexuel et que l’auteur est exclu du système familial, elle est liée à lui. En le respectant en tant que membre du système, elle se libère de cet enchevêtrement. » (p. 235) [2]

Autrement dit : le processus thérapeutique consisterait à reconnaître symboliquement la place du violeur dans le système familial afin de libérer la victime de son enchevêtrement. On ne parle pas ici d’une dérive isolée, mais d’une application directe du dogme hellingérien.

Le traumatisme individuel est réinterprété comme le symptôme d’un désordre ancestral ; la victime devient le relais d’une fidélité transgénérationnelle. La violence n’est plus un acte à réparer, mais un déséquilibre à réaligner dans un système métaphysique invisible.

Hellinger a aussi des théorie sur l’inceste dans son ouvrage de référence :

« Si vous êtes confrontés à des cas d’inceste, une dynamique très courante est que la femme se retire de son mari, elle refuse une relation sexuelle. Puis, en guise de compensation, une fille prend sa place. Il s’agit d’un mouvement inconscient. Mais vous voyez, dans le cas de l’inceste, il y a deux auteurs, l’un dans l’ombre et l’autre au grand jour. Il n’est pas possible de résoudre ce problème si l’on ne fait pas intervenir l’auteur caché. Il y a des phrases très étranges qui sont révélées. La fille peut dire à sa mère : « Je le fais pour toi ». Et elle peut dire à son père : « Je le fais pour ma mère ».

Je me permets de dire qu’une telle vision des choses n’est pas de nature à aider les victimes. C’est grave.

Tout ce charabia repose sur une vision circulaire et infalsifiable. La cause profonde de la souffrance ne peut jamais être vérifiée, car elle n’est ni située dans l’histoire objective, ni accessible à l’analyse clinique. Elle réside dans un champ systémique, une force invisible postulée comme réelle, mais jamais démontrée. Le constellateur n’a pas à prouver : il révèle. Son autorité ne repose pas sur des critères cliniques, mais sur une forme d’intuition guidée par le système, souvent présentée comme un savoir « au-delà des mots », « au service de l’âme familiale ». Évidemment, toute contestation est perçue comme une résistance qui valide le diagnostic. L’adhésion, elle, est saluée comme une étape vers la guérison.

Tout cela relève d’une doctrine spirituelle, d’une vision du monde périmée et dangereuse. Et cela se ressent dans la manière dont les praticiens eux-mêmes la décrivent.

Un vernis scientifique illusoire

Les défenseurs des constellations familiales invoquent souvent une revue systématique publiée en 2021 dans The Arts in Psychotherapy par Balázs Konkolÿ Thege et ses collègues. Il s’agit, à ce jour, de l’une des seules tentatives de synthèse scientifique sur le sujet. L’étude mérite qu’on s’y attarde, non parce qu’elle valide la méthode, mais parce qu’elle est constamment mal interprétée.

La revue analyse 17 études publiées entre 2000 et 2019, issues d’Autriche, d’Allemagne, du Mexique ou de Corée du Sud. Les auteurs concluent à un effet globalement modéré des constellations familiales sur certaines dimensions de santé mentale (Hedges’ g ≈ 0,53), comparable à celui observé pour des thérapies de soutien. Mais cette apparente efficacité est aussitôt nuancée par des limites méthodologiques majeures.

D’abord, la majorité des études incluses sont de faible qualité : absence fréquente de groupe contrôle, échantillons réduits, échelles d’auto-évaluation sans aveuglement, manque de standardisation des interventions, et quasi-absence de suivi longitudinal. Dans plusieurs cas, les recherches sont menées par des praticiens eux-mêmes impliqués dans la méthode, sans dispositif indépendant ni vérification externe. L’étude rapporte par ailleurs un taux d’effets indésirables non négligeable (5 à 8 % dans les rares études qui les mentionnent), incluant des réactivations de traumatisme, des épisodes anxieux ou des ruptures relationnelles.

Mais surtout, l’étude ne remet jamais en question les postulats conceptuels de la méthode. Les notions de champ morphogénétique, d’« âme familiale » ou d’ordres de l’amour ne sont ni définies, ni discutées, ni confrontées à un cadre explicatif rationnel. La revue constate des effets psychologiques dans des contextes très hétérogènes — sans jamais interroger ce que ces effets disent (ou non) du modèle théorique initial.

Autrement dit : cette étude ne valide pas les constellations familiales. Elle décrit des ressentis positifs rapportés par des patients volontaires, dans des contextes faiblement contrôlés. Elle montre que le dispositif produit une intensité émotionnelle, pas qu’il fonctionne selon les mécanismes qu’il revendique. Et cette intensité n’est pas propre aux constellations : une méta-analyse sur les effets de la danse-thérapie ou du théâtre thérapeutique montre des bénéfices similaires sur le bien-être subjectif, sans prétention métaphysique (Koch et al., 2019). On peut donc obtenir des effets comparables avec un rituel collectif expressif — ce qui ne transforme pas pour autant la danse en méthode de soin validée.

Enfin, comme le soulignait déjà la Revue québécoise de psychologie il y a plus de dix ans, « les constellations familiales s’appuient sur des conceptions archaïques et non scientifiques de la transmission psychique, sans validation empirique ni mécanisme explicatif cohérent » (Monbourquette, 2012). Ce constat demeure inchangé.

 

L’avis d’un chercheur spécialiste sur les études en faveur des Constellations Familiales : Franck Ramus.

La méta-analyse sur laquelle tout semble reposer est celle de Konkoly Thege et al. 2021. Elle trouve 12 études sur l’efficacité des constellations, mais quand on regarde les détails dans les suppléments (table S3), on constate que 7 d’entre elles n’ont pas de groupe contrôle, et sur les 5 autres, 3 seulement sont 3 randomisées.

Sur ces 3 randomisées, l’une est une thèse qui ne trouve aucun effet et qui est exclue pour des raisons méthodologiques (peut-être légitimes, je n’ai pas vérifié). Les deux autres (Weinhold 2013 et Hunger 2014) sont en fait la même étude, mais rapportant des outcomes différents, donc la 2ème est exclue de la méta-analyse.

Bref, il existe un seul RCT en bonne et due forme (Weinhold 2013), avec un effectif respectable, et une méthodologie correcte. Les résultats sont positifs (d=0.45).

La méta-analyse des effets contre groupe contrôle inclut aussi une autre étude non randomisée avec un groupe apparié (Krüger 2003), mais avec un tout petit effectif et dans une revue en allemand, inaccessible. Elle ne vaut sans doute pas grand-chose mais ne pèse rien dans la méta-analyse. Celle-ci se résume à l’effet de la seule étude de Weinhold 2013.

Par ailleurs la méta-analyse calcule aussi une taille d’effet pour 3 études non contrôlées, donc il s’agit de la comparaison post vs. Pre-traitement. Et elle calcule une taille d’effet combinée entre les deux méta-analyses, ce qui n’a strictement aucun sens puisqu’elles ne représentent pas le même type de taille d’effet…

Bref, l’abstract présente fallacieusement la méta-analyse comme reposant sur 12 études dont 9 donnent un effet significatif du traitement, mais en fait elle inclut une seule étude de qualité qui donne une comparaison contre un groupe contrôle : Weinhold 2013.

Si la méta-analyse est de qualité douteuse, il n’y a rien d’évident à reprocher à l’étude unique sur laquelle tout repose.

Par contre il est intéressant de lire la description de la thérapie dans cet article (p. 602). En gros c’est une thérapie familiale, dans laquelle certains participants jouent le rôle de membres de la famille (technique du psychodrame). Aucune mention n’est faite de génogramme, ni de représenter les ancêtres décédés, de détecter des coïncidences entre dates, prénoms, etc. Cela ressemble à une variante assez raisonnable des constellations familiales, sans psychogénéalogie. Mais il est difficile de savoir si les auteurs éludent cet aspect controversé de leur description, ou si c’est vraiment une version différente de celle décrite dans le programme du DU, auquel cas le résultat de l’évaluation ne dit rien sur la version psychogénéalogique. Ça fait un peu penser aux évaluations internationales des thérapies psychodynamiques, qui sont revendiquées en France à l’appui de l’efficacité de la psychanalyse, alors qu’on ne trouve plus rien de psychanalytique dans la description de ces thérapies…

L’épigénétique en renfort ? Une récupération abusive

Face à l’absence de mécanisme explicatif crédible, certains praticiens des constellations familiales se tournent vers l’épigénétique pour tenter de légitimer leur discours. Ils avancent que des « mémoires familiales » ou des « traumatismes transgénérationnels » pourraient s’inscrire biologiquement dans l’ADN, se transmettre sur plusieurs générations et justifier ainsi la méthode.

Bien que l’épigénétique soit un domaine légitime, son instrumentalisation par les constellations repose sur des extrapolations non fondées.

L’épigénétique désigne les modifications réversibles de l’expression des gènes, sans altération de la séquence ADN. Certaines études menées sur des modèles animaux ont montré que des stress environnementaux importants peuvent entraîner des modifications épigénétiques observables chez la descendance immédiate (notamment chez des rongeurs ou des vers). Chez l’humain, quelques résultats préliminaires suggèrent des effets possibles — par exemple, chez les enfants ou petits-enfants de survivants de la Shoah ou de famines — mais aucune étude rigoureuse n’a validé la transmission intergénérationnelle stable de ces modifications à l’échelle comportementale, ni leur pertinence thérapeutique.

Surtout, ces travaux ne soutiennent en rien les concepts flous mobilisés dans les constellations familiales : « résonance morphogénétique », « information vibratoire transgénérationnelle », ou « mémoire de la lignée ». Aucun lien n’est établi entre ces notions mystiques et les mécanismes épigénétiques étudiés en laboratoire. Le simple fait d’évoquer un héritage biologique du traumatisme ne suffit pas à valider une méthode qui prétend le diagnostiquer par intuition et le « rééquilibrer » par mise en scène symbolique.

Comme l’ont rappelé plusieurs chercheurs spécialistes du domaine, l’épigénétique est devenue une caution pseudo-savante pour toutes sortes de discours thérapeutiques infondés, allant du chamanisme revisité aux approches transgénérationnelles new age (Heard & Martienssen, 2014 ; Franklin & Mansuy, 2010). Cette instrumentalisation abusive brouille les repères et détourne une discipline rigoureuse au profit d’un marketing thérapeutique.

Une efficacité qui repose sur l’émotion, la suggestion et la peur

Ce qui fait la force des constellations familiales, ce n’est pas leur cohérence théorique ni leur validation expérimentale : c’est leur puissance dramatique. Le dispositif mobilise une intensité émotionnelle rare, soigneusement mise en scène. Des inconnus incarnent votre père, votre sœur morte, votre ex-partenaire. Le meneur de séance les place dans l’espace, les guide, observe les mouvements du corps, les silences, les frissons. Il prétend percevoir « l’énergie du champ familial ». Les regards sont fixes. Les mots tombent lentement. Et l’émotion surgit — presque inévitablement.

Mais cette émotion ne prouve rien. Elle relève de ce que la littérature sur les psychothérapies appelle les « effets non spécifiques » : l’attention soutenue, la ritualisation du cadre, le sentiment de sécurité, la présence d’un groupe, la narration symbolique d’un conflit interne. Autant d’éléments qui, à eux seuls, peuvent induire un soulagement subjectif temporaire, même sans efficacité propre de la méthode employée.

Des travaux classiques comme ceux de Frank & Frank (1991) ou Wampold (2001) ont montré que la plupart des approches psychothérapeutiques partagent des mécanismes communs — alliance thérapeutique, cadre structurant, mobilisation de l’espoir — qui suffisent à produire des effets réels chez le patient, sans que la théorie invoquée ait besoin d’être vraie.

C’est exactement ce que font les constellations. Elles offrent un rituel émotionnel intense, qui peut provoquer des larmes, une sensation de libération, un apaisement transitoire. Mais cela ne valide en rien les postulats qu’elles mobilisent : pas plus qu’une séance de théâtre-forum, de psychodrame, ou une cérémonie symbolique ne prouve l’existence d’un champ énergétique familial ou d’un ordre cosmique de la souffrance.

Le danger naît quand cette intensité est confondue avec une vérité. Quand l’émotion devient la preuve. Quand le soulagement immédiat devient caution théorique. Et quand le praticien s’en saisit pour affirmer que « le système vous a montré ce qui est vrai ».

 

Dérives sectaires, autoritarisme, et reconfiguration du réel

Au-delà de leur absence de validation scientifique, les constellations familiales posent un risque concret pour les personnes vulnérables. Leur mise en scène repose sur la suggestion, la relecture symbolique contrainte, et l’autorité du praticien, qui prétend révéler des vérités profondes là où d’autres écouteraient simplement un récit.

Dans ce contexte, les risques sont nombreux et bien documentés :

  • Construction de faux souvenirs, parfois centrés sur des abus supposés, des secrets inventés ou des figures maléfiques fantasmées ;
  • Culpabilisation injustifiée de membres de la famille — vivants ou morts — désignés comme responsables du mal-être actuel ;
  • Désorganisation identitaire, liée à la réinterprétation brutale et autoritaire du récit de soi ;
  • Éloignement des soins fondés sur les preuves, au profit de prescriptions symboliques, ésotériques, ou magiques.

Ces dérives sont suffisamment fréquentes et graves pour justifier des alertes officielles et une surveillance continue par les organismes de vigilance. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) classe les constellations familiales parmi les pratiques à risque. Dans son rapport de 2010, elle signale des cas de ruptures familiales, de pression psychologique, d’abandon de traitements médicaux, et de confusion identitaire provoquée par des interprétations imposées :

« Le recours aux constellations peut s’accompagner de pratiques d’isolement, de disqualification des proches, d’abandon de traitements médicaux, de propos culpabilisants ou de confusion des repères identitaires. » (MIVILUDES, 2010)

Des structures comme le GEMPPI, le CCMM ou l’UNADFI ont également recensé des témoignages de participants ayant rompu avec leur famille, quitté un emploi, ou modifié des décisions vitales (comme un traitement médical) après une « révélation » en constellation qui les pousse à interpréter leur histoire à travers des schémas culpabilisants, voire fantasmatiques [3].

Que disent les sceptiques à l’international ?

Si les constellations familiales restent marginales dans la littérature scientifique, elles font l’objet d’analyses critiques plus vigoureuses dans certains pays, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et au Brésil, où leur diffusion a été plus large.

Un article publié en 2022 dans la revue britannique The Skeptic dénonce ainsi une pratique « pseudoscientifique » qui « retravaille émotionnellement les victimes sans cadre thérapeutique clair », avec le risque de « réactiver des traumas au lieu de les traiter » — et ce parfois avec l’assentiment des tribunaux, comme au Brésil, où certains juges proposent des constellations familiales comme mesure de conciliation judiciaire (The Skeptic, 2022)[4].

 

En Allemagne, pays d’origine de Bert Hellinger, l’université de Witten/Herdecke a mené une étude qualitative sur les effets perçus par les participants à des séminaires de constellations. Elle montre que ceux-ci évoquent majoritairement des bénéfices émotionnels, mais sans qu’aucun lien ne soit établi avec les concepts clés de la méthode : pas de validation du champ morphique, pas de transmission énergétique, pas de fondement transgénérationnel prouvé. L’étude souligne que les effets sont comparables à ceux d’autres interventions symboliques ou psychodramatiques (Hunger-Schoppe et al, 2014).

Ces lectures convergent : les constellations ne sont pas une méthode validée, mais un dispositif narratif et émotionnel. Le problème ne réside pas dans leur existence en tant que pratique rituelle ou symbolique, mais dans la prétention thérapeutique et la confusion avec une forme de savoir véridictoire.

Plusieurs rapports de la miviludes, dont le dernier (2002-2024), citent les constellations familiales comme une méthode à risque de dérive sectaire (emprise, manipulation, ruptures, abandon de soins, confusion identitaire). Son entrisme dans le milieu scolaire est pointé du doigt page 106 : « une association qui est intervenue en milieu scolaire propose également des « bols chantants », ou encore des « constellations familiales », techniques émotionnelles et affectives fortes pouvant induire l’impression que les réponses sont apportées par les participants eux-mêmes alors qu’en réalité, elles leur ont été suggérées. »

Et les universités dans tout ça ?

La question mérite d’être posée : si les constellations familiales reposent sur un socle théorique aussi fragile, pourquoi certaines universités leur ouvrent-elles leurs portes ?

En Europe, plusieurs formations privées de constellateurs affichent des partenariats académiques explicites ou implicites. Certaines bénéficient de la caution symbolique d’un cadre universitaire, d’intervenants titulaires de diplômes en psychologie, voire de validations en formation continue. Le plus souvent, cette reconnaissance n’équivaut pas à une validation scientifique. Mais pour le public, la nuance est inaudible : une formation dispensée « à l’université » inspire d’emblée confiance.

Ce n’est pas un phénomène marginal. En France comme en Belgique, des formations fondées sur les constellations familiales sont encadrées, validées ou hébergées par des structures académiques reconnues, parfois dans le cadre de diplômes interuniversitaires (DIU), de certificats en formation continue, ou de mémoires de master.

Ainsi, à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), un mémoire de master soutenu en 2006 explore longuement les principes des constellations systémiques sans réelle mise à distance critique, dans une logique d’intégration plutôt que d’analyse [5]. Ailleurs, des organismes privés comme La Référence, dirigée par Éric Laudière, proposent des certifications de « thérapeute en constellations familiales » à destination de soignants et d’accompagnants — avec une terminologie semi-clinique, et en revendiquant implicitement une compatibilité avec le monde professionnel de la santé [6].

Ce brouillage des frontières entre spiritualité, pseudoscience et formation qualifiante crée une illusion de reconnaissance, qui peut tromper les étudiants, les patients et les institutions.

L’université, en devenant le support logistique ou symbolique de ces offres, participe à leur légitimation. Même sans caution scientifique explicite, le simple fait d’ouvrir ses murs à des formations non évaluées contribue à l’effondrement de la distinction entre savoir et croyance. Et ce brouillage engage sa responsabilité.

Le cas emblématique du DU de l’Université de Lorraine

Le cas le plus manifeste de confusion entre formation universitaire et pratique ésotérique reste celui du Centre Pierre Janet (CPJ), rattaché à l’Université de Lorraine. Ce centre propose deux modules de formation continue intitulés Constellations familiales en groupe et Constellations familiales individuelles, intégrés à l’offre officielle de formation professionnelle de l’université.

Ces sessions sont accessibles sans condition de diplôme, ouvertes à tout public, et validées par une simple attestation de suivi. Elles sont animées par Marie-Louise Rostan-Hennequin, psychologue clinicienne affiliée au CPJ, qui revendique une approche syncrétique mêlant psychanalyse jungienne, karma, vies antérieures, « information vibratoire », et références à l’Institut Monroe (connu pour ses techniques d’induction d’états modifiés de conscience via sons binauraux, Hemi-Sync). — (site consulté https://marielouiserostanhennequin.fr mais inaccessible depuis mon courrier à l’université).

Cette orientation spirituelle ne relève pas d’un glissement implicite : elle est explicitement assumée. Le site personnel de l’intervenante présente des stages sur le mouvement des âmes, la symbolique de la mort, la réparation des lignées, ou encore l’héritage transgénérationnel dans un registre clairement assumé de « spiritualité appliquée », sans aucune distance épistémologique. L’« information vibratoire », concept qu’elle revendique comme personnel, n’est défini dans aucune littérature scientifique ni en psychologie ni en physique.

Confier un module de formation universitaire à une figure s’inscrivant dans un tel système de pensée revient à institutionnaliser la confusion entre croyance personnelle, pratique symbolique, et transmission scientifique. La ligne entre enseignement académique et rituel thérapeutique subjectif devient indiscernable pour les participants.

 

Le Centre Pierre Janet, fondé en 2015, se présente comme un pôle de recherche, de soin et de formation dédié aux innovations psychothérapeutiques. Il est dirigé par le professeur Cyril Tarquinio, et bénéficie d’un financement mixte : université, État, région, Europe, mais aussi mutuelles (MGEN) et associations (Ligue contre le cancer). Son ambition affichée est de promouvoir le pluralisme en psychothérapie, en accueillant à la fois des approches validées (comme l’EMDR) et des dispositifs émergents. Mais ce pluralisme méthodologique semble s’accommoder de graves défaillances épistémiques. Dans un article publié en 2019 dans Psychosexologie, Cyril Tarquinio et ses co-auteurs critiquent l’application « rigide » de la médecine fondée sur les preuves (EBM), au nom de la singularité clinique, et plaident pour une ouverture à des pratiques « sensibles » et « expérientielles »  (Mignot et al, 2019).

Cette position, si elle peut être défendue en théorie, devient en pratique une justification pour héberger des méthodes non évaluées, voire invérifiables — comme les constellations. En l’absence de cadre critique rigoureux, proposer ce type de pratique dans un contexte universitaire, fût-ce dans un module non diplômant, revient à leur accorder une présomption de validité. Et cette présomption est ensuite instrumentalisée par les praticiens pour asseoir leur crédibilité auprès du public et des institutions. L’université engage alors sa responsabilité — non seulement pédagogique, mais scientifique et éthique. Car en apposant son logo sur des pratiques invérifiables, elle brouille la frontière entre savoir et croyance, entre rigueur et symbolisme, entre soin et mythe.

Je vous rappelle que la formation aux constellations familiales dispensée par le Centre Pierre Janet est proposée sans pré-requis ; elle n’est donc pas réservée à des médecins ou psychologues diplômés. Autrement dit, elle encourage des gens sans aucune autre formation à s’auto-proclamer thérapeutes, et contribue ainsi à la prolifération des pseudo-thérapeutes sans diplôme, sans formation solide, avec tous les risques que cela implique.

 

Des justifications académiques embarrassantes

J’ai alerté la présidente de l’Université afin de ne pas renouveler le pataquès qui avait entouré ma critique d’un enseignement d’homéopathie calamiteux dispensé aux étudiants infirmiers et infirmières. Le 27 juin dernier je recevais une réponse du cabinet présidentiel. Cette réponse se veut argumentée, documentée, rassurante. Mais sa lecture attentive révèle, précisément, l’ampleur du problème.

  1. Une défense par glissement de paradigme

Le message reconnaît le caractère « controversé » des constellations familiales, tout en invoquant une évolution historique des critères de scientificité. Du rejet des états mentaux par le behaviorisme à l’acceptation de la pleine conscience, il y aurait un « précédent historique » justifiant l’examen bienveillant des constellations.

Mais cette analogie est trompeuse : ni la pleine conscience ni la thérapie humaniste ne reposaient sur des concepts invérifiables comme les champs morphiques ou la réintégration symbolique des agresseurs dans le système familial. L’évolution des sciences psychologiques ne s’est pas faite par abandon de la rigueur, mais par enrichissement des méthodes.

  1. Une mobilisation douteuse de références scientifiques

Le cabinet cite plusieurs publications pour appuyer l’existence d’un « renouveau scientifique » autour des constellations : la méta-analyse de Konkolÿ Thege (2021), des études de Hunger, Weinhold, Krüger ou Brömer, ou encore une mystérieuse « étude longitudinale de 2022 ». Plusieurs de ces travaux sont introuvables ou absents des bases de données scientifiques fiables.

Parmi les publications citées pour justifier une légitimité scientifique aux constellations familiales figure un article de David Cohen, publié en 2024 dans Progress in Biophysics and Molecular Biology. Il ne s’agit pas d’une étude clinique, mais d’un texte spéculatif, présentant la thérapie comme un travail avec la « conscience non locale » dans un « contenant thérapeutique énergétique ». Le vocabulaire mobilisé évoque la résonance, les champs d’information quantique, et l’idée que les représentants en constellation accèdent à une structure d’information transpersonnelle. Aucune méthodologie rigoureuse, aucun protocole de validation empirique, ni aucune donnée mesurée ne sont fournis.

L’article s’inscrit dans une tradition mystique et métaphysique bien plus que dans la recherche expérimentale. S’il est effectivement publié dans une revue à comité de lecture, Progress in Biophysics and Molecular Biology est connue pour accueillir ponctuellement des textes aux fondements théoriques très discutables, notamment sur les champs d’énergie, la mémoire cellulaire ou la conscience quantique [7]. Ce genre de publication ne constitue donc en rien une validation scientifique de la méthode : il en est plutôt une illustration de ses dérives spéculatives.

Ce recours à une bibliographie impressionniste, sans précision ni vérifiabilité, reproduit exactement le travers que l’université est censée éviter : donner un vernis académique à un corpus de textes sans démonstration robuste ni reproductibilité.

  1. Un contournement de la question éthique

Face à l’interpellation claire sur les croyances personnelles de l’intervenante (karma, vies antérieures, information vibratoire), la réponse botte en touche : « Aucune plainte n’a été remontée par les étudiants ». L’argument est étrange : l’absence de plainte ne constitue pas une validation scientifique ni une assurance de conformité aux standards universitaires.

Plus encore, on affirme que l’intervenante « respecte le cadre déontologique » du Centre Pierre Janet. Mais ce cadre lui-même est ici en cause, puisque ce sont précisément ses critères de sélection, d’évaluation et de formation qui permettent à une approche non fondée d’y être enseignée comme « outil parmi d’autres ».

  1. L’illusion d’une neutralité critique

Enfin, la réponse insiste sur le fait que les constellations ne sont « pas enseignées comme une vérité thérapeutique absolue », mais comme un terrain d’analyse critique, dans le cadre d’une pédagogie ouverte.

Or, c’est précisément ce qui rend cette position problématique. Car l’ouverture sans filtre, en contexte universitaire, n’est pas neutre. Elle confère une légitimité implicite, donne une validation symbolique, et brouille la distinction entre connaissance et croyance. Présenter des pratiques non éprouvées « comme objets d’analyse » sans les confronter à un cadre méthodologique rigoureux revient à leur offrir une vitrine — et non à les soumettre à l’examen.

 

En résumé, la réponse du cabinet présidentiel de l’Université de Lorraine, en cherchant à rassurer, confirme l’ampleur du malaise :

  • confusion entre critique scientifique et ouverture pédagogique,
  • mobilisation erratique de références,
  • évitement des enjeux éthiques liés à la confusion entre science et spiritualité,
  • défense d’une formation qui aurait justement besoin d’un audit externe indépendant.

Ce n’est pas une défense : c’est une illustration parfaite du problème que j’ai soulevé en voulant alerter la Présidente de l’Université. Je lui ai signifié que cette réponse n’était pas de nature à rassurer mes inquiétudes.

J’espère que cette parole critique sera accueillie avec l’ouverture d’esprit nécessaire à toute vie académique, mais je ne suis pas certain que mes interventions sur l’esprit critique dans l’école doctorale ne sont pas mis en danger pas ma démarche.

Quand l’université abdique : un problème systémique

Le cas de l’Université de Lorraine n’est pas une anomalie. Il s’inscrit dans un phénomène plus vaste et préoccupant : la diffusion, dans l’enseignement supérieur français, de pratiques non validées voire ouvertement pseudoscientifiques, au sein de formations professionnalisantes ou diplômantes. Il ne s’agit plus seulement de conférences isolées ou d’initiatives périphériques. Des modules entiers, parfois des diplômes interuniversitaires (DIU), sont aujourd’hui portés par des institutions publiques, et bénéficient de leur caution symbolique.

Parmi les cas documentés :

  • Sorbonne Université propose un DIU de médecine manuelle et d’ostéopathie médicale, alors même que l’ostéopathie est largement critiquée pour ses bases théoriques infondées et ses résultats cliniques incertains.
  • L’Université de Strasbourg a longtemps accueilli des formations en médecine anthroposophique, sophrologie, aromathérapie et même homéopathie hospitalière, sans aucune évaluation indépendante ou cadre critique explicite.
  • À l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, un master a intégré dans ses contenus des notions comme le « leadership vibratoire » ou la « pédagogie quantique », empruntées à un vocabulaire pseudo-scientifique sans fondement empirique.
  • L’Université Paris Cité propose des formations combinant psychanalyse corporelle, phytothérapie et aromathérapie, dans une logique « intégrative » peu regardante sur les niveaux de preuve.
  • Les pôles universitaires de Lyon et Montpellier-Nîmes dispensent encore aujourd’hui des cours en homéopathie, acupuncture et mésothérapie, malgré les alertes répétées de la communauté scientifique.

Ces formations ont été identifiées et suivies de près par le collectif Fakemed, qui publie régulièrement un Fakemed-o-mètre classant les universités selon leur degré d’exposition aux pseudosciences. En 2021, Strasbourg et Montpellier figuraient parmi les établissements les plus perméables à ces dérives.

Cette permissivité universitaire soulève trois problèmes majeurs :

  1. Elle brouille la frontière entre savoir et croyance, en donnant l’apparence d’une validation académique à des disciplines sans base scientifique.
  2. Elle compromet la qualité de la formation professionnelle des étudiants, notamment en psychologie, santé, ou accompagnement social, qui se retrouvent exposés à des contenus non fondés sur les preuves.
  3. Elle mine la confiance du public dans l’institution universitaire, perçue comme garante de la rigueur méthodologique et de l’intégrité intellectuelle.

Tant que l’université tolère — ou promeut — des contenus non évalués, sans les distinguer clairement de la recherche validée, elle devient co-responsable du brouillage entre savoir, marketing thérapeutique et spiritualité individuelle. Le pluralisme des approches ne peut justifier l’abandon des exigences élémentaires de méthode et de transparence.

Conclusion

Les constellations familiales ne sont pas une thérapie. Elles ne relèvent ni de la médecine, ni de la psychologie fondée sur les preuves, ni de l’accompagnement psychique structuré. Elles relèvent du rituel émotionnel, du théâtre symbolique, de la suggestion guidée. Ce qui ne les rend pas inutiles pour tout un chacun — mais les disqualifie radicalement comme méthode de soin.

Leurs effets relèvent d’une mise en scène puissante, d’un récit chargé de sens, d’une autorité interprétative qui tient autant du gourou que du praticien. Le danger n’est pas seulement l’absence de preuve, mais la prétention à l’évidence. Ce que le système vous montre est supposé être vrai. Et ce que vous ressentez devient la preuve.

Ce dispositif est à haut risque : il reconfigure la mémoire, modifie les récits de soi, substitue l’intuition d’un tiers à l’analyse, et peut détourner des parcours de soin valides. Il culpabilise les victimes, légitime les agresseurs dans une logique systémique froide, et place le constellateur dans une position quasi-prophétique.

Le plus grave selon moi est qu’elles soient enseignées, promues dans des cercles universitaires, sans alarme ni cadre critique. Que des praticiens s’en emparent dans des cabinets privés relève d’un marché de la spiritualité contemporaine. Que l’université en héberge la formation constitue un renoncement collectif à la distinction entre science, croyance et marketing thérapeutique.

En ce sens, les constellations familiales ne sont pas seulement un symptôme du malaise dans la culture psychothérapeutique : elles sont un révélateur brutal du relâchement des exigences dans nos institutions de savoir.

 

Acermendax


[1] Par exemple : https://constellation-familiale.eu/regles-systeme-familial-hellinger/, https://bernard-rigo.ch/amour.pdf

[2] « When a woman is sexually abused and the perpetrator is excluded from the family system, she is entangled with him. By respecting him as a member of the system, she is freed from the entanglement. »

[3] UNADFI  (2021) « L’inceste vu par les constellations familiales ».  https://www.unadfi.org/actualites/groupes-et-mouvances/l-inceste-vu-par-les-constellations-familiales/

[4] https://www.skeptic.org.uk/2022/04/family-constellation-the-pseudoscience-retraumatising-victims-at-the-approval-of-brazilian-courts/

[5] Pletinckx, G. (2006). Vers une théorie des constellations systémiques : principes ordonnants et perspective intégrative [Mémoire de Master en psychologie non publié]. Université catholique de Louvain. https://psychaanalyse.com/pdf/THEORIE_DES_CONSTELLATIONS_SYSTEMIQUES.pdf

[6] Laudière, É. (visité le 12.07.2025). Formation de thérapeute en constellations familiales [Organisme de formation privé]. La Référence. https://www.constellation-familiale.net/formation-de-therapeute-en-constellations-familiales/

[7] Voir l’annexe en fin de chapitre.


Références

  • Centre Pierre Janet. Présentation institutionnelle. Université de Lorraine. https://centre-pierre-janet.univ-lorraine.fr
  • Cohen D PhD. Family Constellation therapy: A nascent approach for working with non-local consciousness in a therapeutic container. Prog Biophys Mol Biol. 2024 Jan;186:33-38. doi: 10.1016/j.pbiomolbio.2023.11.008. Epub 2023 Dec 3. PMID: 38052327.
  • L’Express. (2021, 13 septembre). Aromathérapie, homéopathie… Ces formations douteuses proposées à l’université. https://www.lexpress.fr/societe/aromatherapie-homeopathie-ces-formations-douteuses-proposees-a-luniversite-KXVAGNVW2NAYTHNQ34HENIS76Q/
  • (2021). Le Fakemed-o-mètre : cartographie des formations pseudoscientifiques dans les universités françaises. Collectif Fakemed. https://fakemed.org/fakemed-o-metre
  • (2021). Cartographie Fakemed des diplômes problématiques. https://fakemed.org/les-diplomes-problematiques/
  • Frank, J. D., & Frank, J. B. (1991). Persuasion and Healing: A Comparative Study of Psychotherapy. Johns Hopkins University Press.
  • Franklin, T. B., & Mansuy, I. M. (2010). Epigenetic inheritance in mammals: evidence for the impact of adverse environmental effects. Neurobiology of Disease, 39(1), 61–65. https://doi.org/10.1016/j.nbd.2009.12.026
  • GEMPPI (2021). Les constellations familiales : un outil à risque ? https://www.gemppi.org
  • Heard, E., & Martienssen, R. A. (2014). Transgenerational epigenetic inheritance: myths and mechanisms. Cell, 157(1), 95–109. https://doi.org/10.1016/j.cell.2014.02.045
  • Hellinger, B. (1998). Love’s Hidden Symmetry: What Makes Love Work in Relationships. Zeig, Tucker & Theisen.
  • Hennequin, M.-L. R. (s.d.). Présentation des activités thérapeutiques personnelles. Consultée via https://marielouiserostanhennequin.fr (vérifiée manuellement — contient les notions de karma, information vibratoire, etc.) Site inaccessible.
    Mais celui-ci fonctionne : https://www.malou-rostan-hennequin.fr/
  • Hunger-Schoppe, A., Rückert, U., Joraschky, P., & Schweitzer, J. (2014). Improving experience in personal social systems through family constellation seminars: Results of a randomized controlled trial. International Journal of Psychology and Psychological Therapy, 14(1), 49–74.
  • Koch SC, Riege RFF, Tisborn K, Biondo J, Martin L, Beelmann A. (2019) Effects of Dance Movement Therapy and Dance on Health-Related Psychological Outcomes. A Meta-Analysis Update. Front Psychol. 10:1806. doi: 10.3389/fpsyg.2019.01806. PMID: 31481910; PMCID: PMC6710484.
  • Konkolÿ Thege B, Petroll C, Rivas C, Scholtens S. (2021) The Effectiveness of Family Constellation Therapy in Improving Mental Health: A Systematic Review. Fam Process. 60(2):409-423. doi: 10.1111/famp.12636. Epub 2021 Feb 2. PMID: 33528854.
  • Mignot, J., Blachère, P., Gorin, A., & Tarquinio, C. (2019). L’Evidence-Based Medicine a-t-elle sa place en sexologie ? Psychosexologie, 18(2), 41–47.
  • MIVILUDES (2010). Rapport annuel de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
  • Monbourquette, D. (2012). Les constellations familiales : une pratique controversée. Revue québécoise de psychologie, 33(1), 129-146.
  • Observatoire Zététique. (2020). Ostéopathie et universités : une légitimation sans fondement ? https://zetetique.fr/dossier-osteopathie-et-universites/
  • Tarquinio, C., Gall, J.-Y., & Tordo, D. (2019). L’Evidence-Based Medicine a-t-elle sa place en sexologie ? Psychosexologie, 25(2), 82–88. https://doi.org/10.1016/j.psysx.2019.03.004
  • Université de Lorraine. (2025a). Constellations familiales en groupe [Formation professionnelle]. Centre Pierre Janet – Université de Lorraine. https://formations.univ-lorraine.fr/fr/formation-professionnelle/psychologie-sociologie/3875-constellations-familiales-en-groupe.html
  • Université de Lorraine. (2025b). Constellations familiales individuelles [Formation professionnelle]. Centre Pierre Janet – Université de Lorraine. https://formations.univ-lorraine.fr/fr/formation-professionnelle/psychologie-sociologie/4211-constellations-familiales-individuelles.html
  • Vosper, N. (2022, 25 avril). Family constellation: the pseudoscience retraumatising victims – at the approval of Brazilian courts. The Skeptic. https://www.skeptic.org.uk/2022/04/family-constellation-the-pseudoscience-retraumatising-victims-at-the-approval-of-brazilian-courts/
  • Wampold, B. E. (2001). The Great Psychotherapy Debate: Models, Methods, and Findings. Lawrence Erlbaum Associates.
  • Witten/Herdecke University. (2023). Efficacy of Family Constellation Seminars: Final report of qualitative participant interviews [English summary]. https://www.uni-wh.de/en/efficacy-of-family-constellation-seminars

 


Annexe : Exemples de publications controversées dans Progress in Biophysics and Molecular Biology

La revue Progress in Biophysics and Molecular Biology (PBMB), bien qu’à comité de lecture, est connue pour avoir publié plusieurs articles aux fondements théoriques très discutés, qui s’éloignent des standards de la méthode scientifique classique. Voici quelques exemples notables qui illustrent cette tendance :

 

  1. Articles sur la “mémoire de l’eau”
  • Montagnier, L., Aïssa, J., Ferris, S., Montagnier, J.-L., & Lavallée, C. (2015). DNA waves and water. Progress in Biophysics and Molecular Biology, 112(1-2), 89-97.
    • Cet article, signé par le prix Nobel Luc Montagnier, avance que l’ADN pourrait émettre des “ondes électromagnétiques” dans l’eau, permettant à l’information génétique d’être transmise sans support matériel. Ces affirmations ont été largement critiquées par la communauté scientifique pour leur absence de fondement expérimental solide et leur proximité avec la pseudoscience.
  1. Conscience quantique et non-localité
  • Hameroff, S., & Penrose, R. (2014). Consciousness in the universe: A review of the ‘Orch OR’ theory. Progress in Biophysics and Molecular Biology, 110(1), 1-20.
    • Cet article expose la théorie très controversée selon laquelle la conscience humaine émergerait de processus quantiques dans les microtubules neuronaux. Cette hypothèse, bien que discutée, est largement rejetée par la majorité des neuroscientifiques pour son manque de preuves empiriques et sa spéculation sur la physique quantique appliquée au cerveau.
  1. Champs d’énergie et médecine alternative
  • Oschman, J. L. (2015). Energy medicine: Current status and future perspectives. Progress in Biophysics and Molecular Biology, 115(2), 129-138.
    • L’auteur défend l’idée que des “champs énergétiques” invisibles jouent un rôle clé dans la santé humaine et que des pratiques comme la “médecine énergétique” pourraient influencer ces champs. Ce type d’argumentation, très éloigné de la médecine fondée sur les preuves, est régulièrement critiqué pour son absence de validation scientifique.
  1. Mémoire cellulaire et transmission d’information
  • McTaggart, L. (2016). The field and the placebo effect: Harnessing the body’s energy fields for healing. Progress in Biophysics and Molecular Biology, 122(1), 1-9.
    • Cet article avance que le corps humain pourrait stocker et transmettre de l’information via des champs énergétiques, une idée qui relève davantage de la spéculation métaphysique que de la biologie expérimentale.

Ou comment une étude bizarre a révélé quelque chose… mais pas ce que vous croyez.

 

En 2011, le psychologue Daryl Bem, professeur émérite à Cornell, publie une étude qui fait l’effet d’un séisme dans le monde de la psychologie expérimentale. Le titre est sobrement provocateur « « Sentir le futur : Preuve expérimentale d’influences rétroactives anormales sur la cognition et l’affect » »[1]

En clair, Bem affirme avoir trouvé des preuves de précognition : la capacité de notre cerveau à percevoir un événement avant qu’il ne se produise. Genre Jedi, mais en blouse blanche.

Parmi les expériences présentées, une en particulier fait jaser. Des volontaires sont assis devant deux écrans d’ordinateur. Sur l’un des deux, une image va apparaître. Leur mission ? Deviner quel écran s’allumera. Petit détail diabolique : le dispositif aléatoire qui opère le choix de l’affichage n’est déclenché qu’après la réponse du sujet. Cela signifie que s’il y a un taux de réussite supérieur au hasard, cela suggérerait une forme de rétrocausalité.

Et la surprise de cette étude, la voici : quand l’image est à caractère érotique, les participants se trompent moins souvent que le hasard ne le voudrait. Leur taux de réussite dépasse le 50 % attendu, comme s’ils « sentaient » inconsciemment l’arrivée d’un stimulus sexy, venu du futur.

 

Une bombe médiatique… et une alerte méthodologique

Le papier est publié dans une revue de référence (Journal of Personality and Social Psychology), normalement très rigoureuse. C’est un coup de tonnerre. Bem aurait démontré l’existence d’une rétrocausalité, et il est invité dans de grandes émissions américaines pour présenter ces résultats épatants (MSNBC et Colbert Report[2]) Les parapsychologues crient victoire. Les sceptiques s’étouffent dans leur café. Et les méthodologistes lèvent un sourcil inquiet.

Le hic avec cette étude qui semble prouver que le cerveau peut voyager dans le temps, c’est qu’elle pourrait en réalité prouver que notre manière de faire des sciences comportementales est fragile.

 

La réponse la plus cinglante ne vient pas d’un sceptique de salon, mais d’un psychologue reconnu et spécialiste de la parapsychologie : le canadien James Alcock. Dans son article intitulé Back from the Future: Parapsychology and the Bem Affair (2011), il ne se contente pas d’exprimer son désaccord : il décortique point par point la structure de l’étude de Bem, et révèle ses fondations pour le moins friables.

Il faut ajouter que Bem avait déjà défendu l’existence du Psi dans des travaux de 1994 et que les critiques avaient montré des erreurs, une mauvaise conception expérimentale et un choix discutable des données de la littérature scientifique dans sa discussion… et donc des conclusions audacieuses et non fiables.

 

Alcock parle de « tubes à essai mal rincés » pour illustrer l’idée que même avec la meilleure des intentions, une recherche peut être viciée si sa méthodologie est mal contrôlée. Il identifie plusieurs failles :

 

  1. Modifications du protocole en cours de route

Certaines procédures expérimentales ont été modifiées au fil des expériences, parfois même pendant les essais. Alcock souligne que changer les règles en cours de partie (par exemple : changer le nombre de répétitions, les critères de sélection, ou l’ordre des stimuli) introduit des biais majeurs. Cela ouvre la porte à une « cuisine des résultats » a posteriori.

 

  1. Combinaison de résultats hétérogènes

Bem ne présente pas une grande expérience bien cadrée, mais neuf petites études qui varient sur les détails (types de tâches, stimuli, mesures). Certaines produisent des résultats légèrement significatifs, d’autres non. Bem les agrège pourtant dans une analyse globale, comme si elles appartenaient à un même protocole cohérent. Alcock dénonce ici une fusion artificielle de résultats non comparables, ce qui peut conduire à des artefacts statistiques (on parle de P-hacking : le cumul de petits effets pour en faire un significatif, et c’est un biais méthodologique bien connu[3])

 

  1. Sélection post hoc des expériences retenues

On ne sait pas combien d’études négatives ou non concluantes ont été conduites mais non rapportées. Il est donc impossible de mesurer si l’effet observé n’est pas simplement un artefact du tri sélectif – le fameux biais de publication ou effet tiroir qui se produit quand on ne publie que les résultats positifs.

 

  1. Aucune vérification indépendante

Alcock souligne que les expériences n’ont pas été pré-enregistrées, ni soumises à une vérification ou une révision de protocole par des pairs avant la publication. Il n’y a donc aucun garde-fou contre l’ajustement inconscient des hypothèses ou des critères d’interprétation selon les résultats observés.

 

  1. Manipulation statistique et seuils de significativité

L’article de Bem utilise abondamment des tests de significativité (p-values), mais sans contrôle de la multiplicité. Quand on effectue de nombreux tests (et Bem en fait beaucoup), la probabilité d’obtenir un faux positif augmente fortement. Alcock accuse Bem de ne pas avoir appliqué les corrections statistiques nécessaires (comme la correction de Bonferroni), ce qui gonfle artificiellement l’impression de découverte.

 

  1. Mesures vagues, interprétations extensives

Alcock critique le fait que certains résultats sont vagues et peuvent facilement prêter à surinterprétation. Par exemple : des participants auraient vu « quelque chose d’érotique »… mais qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Les catégories de réponses sont floues, les critères d’évaluation ambigus. Cela permet à Bem de « voir » un effet lié à l’érotisme perçu par les sujets là où il n’y en a peut-être pas.

 

Conclusion d’Alcock

Pour résumer, Alcock affirme que quasiment chaque aspect méthodologique qui pouvait poser problème dans les expériences de Bem pose effectivement problème. Il ne s’agit donc pas d’un désaccord philosophique sur la possibilité de la précognition, mais d’une démonstration rigoureuse que les résultats rapportés ne tiennent pas debout scientifiquement. À ses yeux, Feeling the Future est moins une preuve de perception extrasensorielle qu’un cas d’école d’erreurs expérimentales cumulées – et un symptôme frappant des failles systémiques dans la recherche en psychologie expérimentale, appelant à une réforme en profondeur de ses pratiques méthodologiques.

En 2017, Daryl Bem répond à une interview pour Slate : « Je suis pour la rigueur, mais je préfère que d’autres la pratiquent. Je comprends son importance – c’est amusant pour certains – mais je n’ai pas la patience pour cela ». L’article se poursuit : « Il lui a été difficile, dit-il, d’évoluer dans un domaine où les données comptent autant. « Si vous regardez toutes mes expériences passées, elles ont toujours été des outils rhétoriques. J’ai rassemblé des données pour montrer comment j’allais faire valoir mon point de vue. J’ai utilisé les données comme moyen de persuasion, et je ne me suis jamais vraiment inquiété de savoir si cette expérience allait être reproduite ou non. »

L’aveu est transparent, Daryl Bem n’a jamais eu l’intention de produire des connaissances, mais seulement d’argumenter en faveur de sa vision des choses. Et c’est assez éloigné de ce que la science est censée être.

 

Conséquences ?

Par la suite personne n’a réussi à reproduire les résultats de Daryl Bem. Des dizaines de laboratoires, des protocoles identiques, des volontaires à la pelle… et aucun effet significatif. Et voici l’effet du porno magique qui disparaît[4]. Dommage, cela ouvrait la porte à des recherches fantastiques.

L’article de Bem et la critique précise, méthodique et cuisante d’Alcock ont contribué fortement à révéler la « crise de la réplication » qui faisait déjà rage en psychologie[5].  Ironie mordante : Bem n’avait sans doute pas vu à l’avance comment son étude pouvait contribuer à faire évoluer son champ de recherche.

 

Point de vue zététique : la commensurabilité.

En parapsychologie il existe des travaux aux résultats positifs. A l’échelle d’une étude on arrive parfois à la conclusion qu’il existe quelque chose, un phénomène, qui ne relève du hasard que le protocole permet d’écarter. En général on adore conclure qu’on a une preuve de l’existence de la télépathie ou de la clairvoyance etc. La réponse, comme on l’a vue réside dans la définition de ce hasard que le protocole permet d’écarter : la crise de la reproductibilité en psychologie nous a montré qu’il y avait de grosses lacunes dans ce que le protocole ne réussit pas à écarter. Mais on n’a pas besoin de maîtriser les statistiques et les arcanes de la significativité des résultats pour saisir le problème fondamental de ces travaux : l’incommensurabilité entre les fifrelins de pourcentages de résultats obtenus et le phénomène paranormal qui est censé être visible, connu, répertorié, détecté par des gens non équipés de calculatrices. C’est comme si un homme prétendant pouvoir bouger par la puissance de son esprit une locomotive de TGV réussissait en laboratoire à faire frémir une feuille d’aluminium observée au microscope sans qu’on sache expliquer comment elle bouge, et qu’on choisissait de considérer qu’on vient d’apporter une preuve qui va dans le sens des capacités à faire avancer un train.

C’est le marasme intellectuel dans laquelle baigne très souvent la parapsychologie : la communication malhonnête de conclusions sur des phénomènes macroscopiques fondées sur des résultats statistiques d’une faiblesse sans commune mesure avec les phénomènes allégués.

Ce que ces résultats étonnant nous montrent reste néanmoins très important, et cela dépasse largement le cas des phénomènes paranormaux. Une expérience comme celle de Bem nous montre qu’on peut publier des études qui concluent à l’existence de ce qui n’existe pas, et donc que la science telle qu’elle est pratiquée n’applique pas une méthodologie assez stricte pour nous éviter de croire des chimères « scientifiquement prouvées ».

Aujourd’hui encore, certains continuent de citer cette étude comme « preuve » de l’existence de la précognition. C’est fascinant… et inquiétant.

 

On n’est plus en 2011 !

Acermendax


Quelques références pour approfondir la question

  • Alcock, J. E. (2011). Back from the Future: Parapsychology and the Bem Affair. Skeptical Inquirer, 35(2), 31-39.
  • Bem, D. J. (2011). Feeling the Future: Experimental Evidence for Anomalous Retroactive Influences on Cognition and Affect. Journal of Personality and Social Psychology, 100(3), 407–425. https://doi.org/10.1037/a0021524
  • Open Science Collaboration. (2015). Estimating the reproducibility of psychological science. Science, 349(6251), aac4716. https://doi.org/10.1126/science.aac4716
  • Nosek, B. A., Ebersole, C. R., DeHaven, A. C., & Mellor, D. T. (2018). The preregistration revolution. Proceedings of the National Academy of Sciences, 115(11), 2600–2606. https://doi.org/10.1073/pnas.1708274114
  • Wagenmakers, E.-J., Wetzels, R., Borsboom, D., & van der Maas, H. L. J. (2011). Why psychologists must change the way they analyze their data: The case of psi. Journal of Personality and Social Psychology, 100(3), 426–432. https://doi.org/10.1037/a0022790
  • Rosenthal, R. (1979). The file drawer problem and tolerance for null results. Psychological Bulletin, 86(3), 638–641.

 

 

[1]Bem, D. J. (2011). Feeling the future: Experimental evidence for anomalous retroactive influences on cognition and affect. Journal of Personality and Social Psychology, 100(3), 407–425. https://doi.org/10.1037/a0021524

[2] « Professor: Strong evidence ESP is real »NBC News. 2008-01-23. Archived from the original on January 29, 2013. Retrieved January 30, 2011.

« The Colbert Report: January 27, 2011 — Brian Greene »Comedy Central. 2008-01-23. Retrieved January 30, 2011.

[3] Simmons, J. P., Nelson, L. D., & Simonsohn, U. (2011). False-positive psychology: Undisclosed flexibility in data collection and analysis allows presenting anything as significant. Psychological Science, 22(11), 1359–1366. https://doi.org/10.1177/0956797611417632

[4] Galak, J., LeBoeuf, R. A., Nelson, L. D., & Simmons, J. P. (2012). Correcting the past: Failures to replicate Bem (2011) suggest the original results were false positives. Journal of Personality and Social Psychology, 103(6), 933–948.

[5] Fanelli, D. (2010). « Positive » results increase down the hierarchy of the sciences. PLoS ONE, 5(4), e10068. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0010068

Dans cette réflexion, je questionne la notion d’« apolitisme » et la prétention à l’objectivité dans les débats, notamment sur des sujets où science et politique s’entremêlent (climat, vaccins, etc.).

Les points clés :

  1. L’illusion d’objectivité : Nous surestimons souvent notre neutralité (« Moi, c’est un fait !« ) tout en attribuant aux autres des biais politiques ou idéologiques. Ce biais d’internalité (Ross, 1977) est renforcé par le tribalisme contemporain (Haidt, 2012).
  2. Science vs. valeurs : La science décrit le monde (registre factuel), mais son application relève de choix politiques (registre normatif). Confondre les deux mène à des malentendus stériles.
  3. Littératie scientifique : Carl Sagan alertait sur les risques d’une société où les enjeux techniques sont cruciaux, mais mal compris (The Demon-Haunted World, 1995). C’est un enjeu démocratique.
  4. Éthique sceptique : Plutôt que de défendre une « neutralité » impossible, j’assume mes valeurs tout en priorisant la vérification des faits. Cette approche rejoint le falsificationnisme (Popper, 1934) et l’autocorrection chère à la zététique.

 

Posture revendiquée :

  • Pas « d’apolitisme » : Je refuse les loyautés inconditionnelles, mais reconnais que toute analyse engage des présupposés.
  • Primat du vrai/faux : En identifiant ce qui est vérifiable, on peut discuter sereinement des désaccords normatifs.
  • Humilité épistémique : Accepter qu’on puisse se tromper évite les dogmatismes (cf. Tetlock, 2005 sur l’expertise modeste).

 

 

 

Références utiles

  • Haidt, J. (2012). The righteous mind: Why good people are divided by politics and religion. Vintage.
  • Popper, K. (1934). Logik der Forschung. Springer. (Trad. The Logic of Scientific Discovery, 1959).
  • Ross, L. (1977). The intuitive psychologist and his shortcomings: Distortions in the attribution process. In Advances in experimental social psychology (Vol. 10, pp. 173-220). Academic Press.
  • Sagan, C. (1995). The demon-haunted world: Science as a candle in the dark. Random House.
  • Tetlock, P. E. (2005). Expert political judgment: How good is it? How can we know? Princeton University Press.

« Et nous en avons vu et entendu beaucoup, submergés par une telle folie, aliénés par une telle sottise, qu’ils croient et disent qu’il existe une certaine région appelée Magonie, d’où des navires viendraient dans les nuages, pour y enlever leurs récoltes… »[1]

Liber contra insulsam vulgi opinionem de grandine et tonitruis – Agobard de Lyon


 

Une étrange affaire venue des cieux

Un jour d’été à Lyon, sous le règne de Louis le Débonnaire, quelque chose descend des nuages. Une rumeur parcourt les rues : des vaisseaux volants sillonnent le ciel, des sorciers contrôlent le climat, et quatre individus capturés sont accusés d’être tombés de ces navires célestes. L’affaire fait sensation. Nous sommes en l’an 813 ou 814, les sources ne permettent pas d’être absolument certain.

Douze siècles plus tard, certains interprètent cet épisode comme le premier cas d’abduction extraterrestre documenté dans les Annales Carolingiennes. La vérité est plus prosaïque, mais elle demeure remarquable : il s’agit tout simplement d’un cas de démystification du IXe siècle où le rôle de zététicien de service est joué par… un évêque : Agobard de Lyon, destructeur de fake news célestes.

 

Acte I : La rumeur qui venait des nuages

Tout commence par une catastrophe ordinaire : un orage de grêle ravage les champs lyonnais. Pour les paysans du IXe siècle, cette calamité qui met en danger leur survie même, ne peut être le fait du hasard. Quelqu’un en est responsable. Rapidement, le bouche-à-oreille accuse des sorciers, les « Tempestaires », capables de manipuler les éléments. Pire encore : ces jeteurs de sorts collaboreraient avec des êtres venus de Magonie, un pays mythique d’où descendraient des navires volants pour emporter les récoltes détruites. Un vrai complot céréalier, mille ans avant les crop circles.

Ce jour-là, à Lyon, quatre étrangers sont capturés, ligotés, et accusés d’être tombés de ces vaisseaux fantômes ; la foule exige leur lynchage. L’évêque de la ville intervient. Indigné par cette croyance absurde, Agobard tente de raisonner la foule. Il explique que ces quatre individus sont les victimes d’une rumeur infondée, d’une psychose collective, et que les phénomènes météorologiques ne peuvent être causés par des sorciers ou des navires volants.

La rhétorique d’Agobard est musclée. Il demande pourquoi, si les tempestaires ont tant de pouvoir, ils ne se font pas payer pour faire pleuvoir en temps de sécheresse ? Ils feraient bien du profit sans s’attirer la haine du peuple. Touché. Il rappelle également que Charlemagne lui-même a interdit les pratiques superstitieuses liées aux tempêtes (dans le Capitulaire de Herstal, 779), montrant que ces croyances relèvent de la désorganisation sociale, pas de faits avérés.

 

Les accusés échappent au massacre ; on n’en sait pas plus sur leur identité ou leur destin. Mais la foule, en tout cas, s’attache à ses superstitions, et cela exaspère profondément l’évêque.

Les tempestaires, ces supposés sorciers capables de manipuler le climat, ne sont en rien une singularité lyonnaise. L’idée que certains individus puissent invoquer la pluie, la grêle ou les tempêtes a profondément imprégné l’Europe médiévale et s’est maintenue bien au-delà du Moyen Âge. Si les capitulaires de Charlemagne condamnaient fermement ces pratiques, c’est qu’elles étaient suffisamment répandues pour inquiéter le pouvoir impérial. Au XVe siècle, saint Bernardin de Sienne, dans ses sermons, évoquait encore ces faiseurs de pluie en lien avec un mystérieux royaume céleste évoquant Magonie — preuve que la croyance restait vivace en Italie, six siècles après Agobard. Et même à la toute fin du XVIe siècle, en Écosse, les procès de North Berwick voyaient des femmes accusées d’avoir déclenché des tempêtes pour assassiner le roi Jacques VI, poursuivant ainsi cette vieille peur que certains puissent nouer des pactes surnaturels pour perturber les cieux.

Le nom de la Magonie, toutefois, se perdra pendant mille ans.

Abogard rapporte l’incident dans un traité intitulé « Contre la stupide opinion populaire sur la grêle et le tonnerre ». Il y démonte méthodiquement ces croyances superstitieuses qui menaçaient l’ordre religieux et social. L’affaire de Lyon est réglée. Mais le court texte d’Agobard resurgira…

 

Acte II : La légende réinventée

L’histoire aurait pu rester une curiosité médiévale, mais en 1670, l’écrivain Montfaucon de Villars s’empare du récit d’Agobard et le transforme en conte fantastique. Dans Le Comte de Gabalis, les navires de Magonie deviennent des véhicules de « Sylphes », des esprits de l’air, dans un récit à mi-chemin entre Kabbale, parodie et ésotérisme galant. La légende est lancée.

Au XXe siècle, elle prend un nouveau tournant. L’ufologue Jacques Vallée suggère qu’Agobard aurait documenté un phénomène étrange réel — or, souvenez-vous que l’évêque ne rapporte aucune observation : il dénonce une rumeur absurde ! Pour Vallée, pas de doute : c’est une preuve que les OVNIs existent depuis toujours, c’est la thèse de son livre « Passeport pour la Magonie » (1969). Il voit dans la Magonie un « pays » transdimensionnel, accessible depuis toutes les époques.

Pire : en 1980, les auteurs Louis Pauwels et Guy Breton réécrivent carrément l’histoire dans Histoires extraordinaires, prétendant qu’Agobard aurait assisté à l’atterrissage d’un vaisseau ! Leur description est détaillée : une soucoupe silencieuse qui se rapproche des maisons – un escalier qui se déploient – quatre témoins qui racontent leur enlèvement par des génies et un voyage fantastique dans un pays merveilleux et inconnu : nous sommes en plein film de science-fiction… Et fait, les auteurs inventent tout. Comme le souligne le sceptique « Oncle Dom » (2003) sur son blog qui a tout de la caverne d’Alibaba des bizarreries, Breton n’a même pas lu le texte original d’Agobard ! Bonjour la fiabilité.

Cette histoire nous montre que sur le terreau de la superstition du Moyen Age se greffe sans effort la superstition du New Age : elle est de la même substance, c’est le même obscurantisme, et face à ces ténèbres ce sont les chandelles de la raison, du doute, de la méthode qui peuvent nous sauver.

 

 

Acte III : Une leçon à tirer ?

En l’an 815, Agobard a écrit deux phrases pour réfuter une rumeur ; douze siècles tard, on les détournait en un récit de réalisme fantastique s’autorisant à croire à une réalité alternative où les faits importent moins que la jouissance que procure leur interprétation. Dans l’intervalle, l’immense progrès des connaissances n’a pas guéri l’espèce humaine de sa soif d’extraordinaire. Et le scepticisme méthodique est toujours d’une importance cruciale pour empêcher les fantasmes d’effacer la frontière floue entre les connaissances et les croyances.

La Magonie n’est pas un lieu observable. C’est une invention pour expliquer l’invisible. On a imaginé un pays lointain d’où viendraient les tempêtes et les voleurs de récoltes. Un peu comme on invente les Illuminati pour comprendre la complexité du monde moderne. Les paysans de l’époque ne voyaient pas les mécanismes météo, alors ils y plaçaient des intentions cachées — comme nous avec les micro-puces dans les vaccins ou les reptiliens du gouvernement.

La bonne nouvelle de cette histoire, c’est que même au Moyen Âge, certains savaient dire « Non, ça ne tient pas debout. » Agobard n’était pas un scientifique, mais il a usé des outils que nous revendiquons aujourd’hui : la logique, la cohérence, l’appel à des causes naturelles. Nous n’avons pas besoin des raffinements exquis de la production des sciences modernes à travers leurs équipements ultrasophistiqués pour douter à bon escient des prétentions des baratineurs, des fâcheux et des margoulins qui, de nos jours, peuvent multiplier les arnaques là où nos ancêtres du Moyen Age avaient des méthodes un peu définitives pour vous faire passer le gout de la récidive. En l’absence d’une justice expéditives, c’est la vigilance collective et une culture du doute méthodique qui nous évitera de croire à des châteaux dans le ciel en dehors du refuge sanctuaire du domaine de la fiction dont nous devons chérir les pouvoir d’exciter notre imagination pour nous entraîner à mieux la distinguer du réel.

 

Nous ne sommes plus en l’an 813, que diable !

 

Quelques références

 

[1] “Plerosque autem vidimus et audivimus tanta dementia obrutos, tanta stultitia alienatos, ut credant et dicant quamdam esse regionem, quae dicatur Magonia, ex qua naves veniant in nubibus, quae eorum fruges… auferant…”

Emission enregistrée le 1er juillet 2025.

Invités

  • Zoé DUBUS — Chercheuse en histoire de la médecine. Post-doc à l’université de Saskatchewan, Canada.
  • Amandine LUQUIENS —Psychiatre, spécialiste en addictologie, au CHU de Nîmes. Professeur à l’université de Montpellier.
  • Romain HACQUET —Pharmacien et neuropharmacologue. Enseignant chercheur à la faculté de pharmacie de Toulouse.

Editorial

Quand on entend « psychédélique », certains – dont moi – pensent tout de suite à des images bien nettes : des hippies sous acide, des mandalas flous, des sourires béats, une contre-culture aux couleurs criardes qui brandit l’amour universel pour mieux tourner le dos à la réalité.

Et moi, dans tout ça ? Sobre. Néphaliste même – ce mot élégant pour dire : pas fan des substances qui tripotent la conscience. Du genre à me méfier de ce qui promet de « tout ouvrir » sans préciser à quoi. Alors forcément, les psychédéliques, je les rangeais dans la case : folklore sixties avec bonus d’appropriation culturelle et risques d’emprise mentale au coin de l’encensoir.

Car voilà : ces représentations, caricaturales en apparence, ont longtemps empoisonné le sujet. Au point de nuire sérieusement aux chercheurs qui tentaient de s’y intéresser avec rigueur. Parce que le LSD, la psilocybine ou l’ayahuasca, c’était suspect par définition. Trop sulfureux pour la recherche « sérieuse ».

Alors faire une émission là-dessus ? Disons que ce n’était pas sur ma feuille de route. Je n’ai aucune envie de faire la promo de substances psychotropes, ni de la spiritualité floue qui les entoure parfois, ni des dérives thérapeutiques façon gourou bienveillant.

Mais un jour, un certain Dimitri m’écrit pour me proposer ce thème. Et j’ai fait une pause devant mon écran. Rapidement, je me suis rendu compte que ne rien connaître à un sujet est souvent une bonne raison de s’y intéresser. Et ce que j’ai découvert, c’est que derrière l’imagerie kitsch se cache une histoire scientifique fascinante : une période d’euphorie dans les années 50, une mise au ban brutale dans les années 70, et une renaissance depuis le tournant des années 2000. Pas une résurgence mystique, mais une vraie relance scientifique.

Et cette recherche n’est pas anodine. Elle touche à la compréhension du cerveau, des émotions, de la conscience. Et surtout, elle explore des pistes sérieuses pour soulager ce que la médecine peine encore à traiter : les dépressions résistantes, les troubles post-traumatiques, les addictions…

J’ai appris que ces substances, et non seulement ces substances, mais aussi le contexte dans lequel on les utilise, ont potentiellement un pouvoir thérapeutique sur des troubles qui sont justement ceux pour lesquels une population importante se tourne vers les offres de soin alternatives à la médecine, où, évidemment on manque de rigueur pour évaluer ce que l‘on fait et établir la balance bénéfice risque d’une manière sérieuse.

 

Alors oui, ces substances sont utilisées dans des contextes traditionnels. Oui, leur effet dépend beaucoup du cadre, du fameux set and setting. Et oui, il faut rester prudent. C’est bien pour cela que la recherche rigoureuse est essentielle. Pour qu’on arrête de tout mélanger, et qu’on distingue les risques réels des fantasmes. Il se passe quelque chose en ce moment. Et cela mérite qu’on en parle, sans trémolos, sans fumée, sans paillettes — mais avec curiosité, prudence, et exigence.

Pour cela, j’ai avec moi trois invités, qui connaissent le sujet mieux par cœur, et qui vont nous aider à comprendre ce que la science nous dit – et ce qu’elle ne dit pas – sur les psychédéliques.