Invité : Clément Charpentier.
Emission enregistrée le 14 juin 2016.
Editorial
« Pas de panique ! »
Douglas Adams en fait le message le plus important de son Guide du Voyageur Galactique. La Panique, c’est la peur sourde, la terreur totale et incompréhensible inspirée par le dieu Pan, le dieu des mystères. La panique est contagieuse, la panique est galopante, et la panique éteint complètement notre esprit critique, elle règle notre cerveau en mode “survie” et l’empêche d’élaborer la moindre pensée réflexive.
Alors, bien sûr, les dangers existent, et la panique peut avoir gardé en vie nos ancêtres quand leurs cousins un peu plus nonchalants passaient l’arme à gauche. Mais une réaction intuitive de cette sorte, si elle fut peut-être adaptée au mode de vie tribal qui a perduré pendant quelques centaines de siècles, n’est pas très efficace dans le monde moderne où des situations complexes réclament de notre part des réponses au moins un peu structurées.
La Panique Morale est une réaction de ce genre, que l’humain manifeste face à des pratiques, à des comportements “déviants” qui le mettent mal à l’aise et qui remettent en cause l’ordre des choses, sa jolie et délicate vision du monde. Puisqu’il se sent attaqué, il faut bien qu’il y ait un agresseur, un coupable, et l’humain raffole de l’idée du bouc émissaire, du coupable désigné contre lequel déchaîner sa frustration et son angoisse.
Il n’est pas nécessaire que l’humain se sente réellement menacé, qu’il éprouve de la peur. Il suffit qu’il soit offensé, outragé, dégoûté par quelque chose. Il suffit qu’il éprouve le besoin de faire disparaître ce qui le dérange.
Comme souvent on n’a pas besoin que quiconque soit à la manœuvre. Le phénomène suit la loi des boules de neige et s’auto-entretient. Il n’est pas nécessaire que quelqu’un ait provoqué la panique, que qui que ce soit l’ait désirée. Mais ceci étant, bien sûr, il est des situations où il est bien pratique d’éteindre l’esprit critique des individus, des situations où des humains en position de pouvoir vont chercher à attiser la haine des étrangers, l’indignation contre les casseurs, la suspicion contre les grandes industries, etc. pour que l’attention des gens soient obnubilée loin des affaires qu’on souhaite garder discrètes. Les manipulations de ce genre existent, c’est indéniable, mais pour mesurer leur efficacité il faudrait toutes les repérer, ce qui pose un petit problème d’échantillonnage.
Dans le paysage de ces dernières années, on trouve sans peine des exemples de la panique morale et de sa version pugnace et organisée : la croisade morale. C’est la Manif Pour Tous, c’est le soupçon permanent contre les jeux vidéos ou les jeux de rôle, c’est la guerre contre la drogue définie par principe comme la seule stratégie possible ; c’est aussi une composante de mouvements d’opinion contre les OGM, le nucléaire, une certaine forme de progrès. Et bien sûr la logique de la Panique Morale est parente incestueuse des théories du complot qui n’existent que par l’aversion qu’elles savent susciter envers leur bouc émissaire particulier.
Nous allons regarder d’un peu plus près ce que ces concepts peuvent nous apprendre sur notre manière de réagir individuellement et collectivement aux idées, aux comportements, aux propositions qui chagrinent notre vision du monde. Et pour cela nous recevons Clément Charpentier : mathématicien, informaticien et gesticuleur de conférence.
Références
- Repères pour une sociologie des croisades morales, Lilian Mathieu, Déviance et Société, vol.29, 2005.
- Moral Panics. The Social Construction of Deviance, Erich Goode, Nachman Ben Yehuda, 2009, Oxford, Wiley-Blackwell.
- Présentation. Entre paniques et croisades : sociologues et claims-makers, Jean-Michel Chaumont, Recherches Sociologiques et Anthropologiques, n°43-1, Paniques et croisades morales, 2012.
- La construction sociale de médias dangereux pour la jeunesse. Des paniques morales aux quasi-théories, Anne-Laure Wibrin, Recherches Sociologiques et Anthropologiques, n°43-1, Paniques et croisades morales, 2012.
- Des paniques morales spontanées ? Le cas de la “rumeur d’Orléans”, Jean-Michel Chaumont, Recherches Sociologiques et Anthropologiques, n°43-1, Paniques et croisades morales, 2012.
- Dangerous Games. What the moral panic over Role-Playing Games says about play, religion, and imagined worlds, Joseph P. Laycock, 2015. University of California Press.