Enregistré le mercredi 10 janvier 2018 à la Bibliothèque Stanislas de Nancy
Invité : Joel Swendsen
Editorial
Si comme moi, vous attachez une importance particulière à votre santé, et notamment à votre santé mentale, vous avez à cœur de ne la confier qu’à des gens compétents et vous vous méfiez des marabouts, des aigrefins, des affabulateurs et des gourous.
Les troubles mentaux peuvent être de natures très diverses, tous ont à voir avec la manière dont notre cerveau traite les informations et les pensées que nous avons de nous-même et de notre environnement. Il y a donc tout un champ disciplinaire destiné à comprendre le fonctionnement des boyaux de la tête et les causes de ses possibles dysfonctionnements. On appelle ça la psychologie.
L’histoire de cette discipline a été marquée par un personnage devenu célèbre à qui l’on attribue de grandes découvertes. Freud s’est lui-même comparé à Galilée et Darwin. Après la blessure narcissique de l’héliocentrisme qui expulse la Terre du centre de l’univers, puis la blessure de l’évolutionnisme qui fait de l’Homme un animal comme un autre, Freud réduisait notre contrôle de nous-même, notre conscience à un frêle esquif sur un inconscient tel un océan monstrueux. L’idée était-elle vraiment si nouvelle ? L’Inconscient freudien est au programme de Philo de nos Terminales.
Permettez qu’on doute de la légende de Sigmund Freud, protégée par la mise au secret d’une grande partie des archives par les héritiers de la maison Psychanalyse. Doutons, car la psychanalyse est d’abord créée comme une thérapie ; Freud se veut un scientifique et il s’appuie sur les cas traités par lui. Mais si l’on s’avise que Freud n’a jamais guéri personne, que les 6 cas historiques sont en réalité 6 échecs thérapeutiques, cela ne jette-t-il pas une ombre au tableau ?
Ne réduisons pas la psychanalyse à Freud, néanmoins. Il y a aussi Lacan, capable de dire à peu près tout et son contraire, de justifier le fait de s’endormir pendant les séances avec ses clients et d’affirmer parfois avec beaucoup d’autorité des choses privées du moindre sens : « L’interprétation doit être preste pour satisfaire à l’entreprêt. De ce qui perdure de perte pure à ce qui ne parie que du père au pire.» Une phrase qu’il n’a prononcée que pour le plaisir de l’oreille comme il l’admit lui-même.
Au-delà des cas particuliers de ces deux figures historiques, la psychanalyse, c’est un ensemble de concepts irréfutables qui immunisent commodément la théorie contre les critiques.
Prenons le refoulement. Il permet d’expliquer pourquoi les patients ne se souviennent pas de ce que la théorie dit leur être arrivés et lance les analysant à la recherche de souvenir enfouis comme s’ils étaient figés quelque part. Les faux souvenirs induits par des thérapeutes attachés aux théories psychanalytiques ont purement et simplement détruit des vies. La résistance est un autre concept pratique : si vous ne croyez pas la psychanalyse c’est parce que cela vous dérange inconsciemment, et cela est la preuve que la théorie a vu juste. Écrasant avantage : la lecture symbolique des événements psychiques permet de toujours arriver à la conclusion souhaitée.
Si votre santé mentale ou celle de vos proches vous importe, vous avez envie d’un peu plus de sérieux que cela. La science fait des progrès remarquables et nous soigne de mieux en mieux, y compris des maladies mentales. Le travail des psychologues et des chercheurs en sciences cognitives est d’appliquer la méthode scientifique aux questions qui concernent les mécanismes de l’addiction, de la dépression, des angoisses, et aussi le fonctionnement ordinaire et biaisé de notre jugement.
Ces méthodes permettent d’élaborer de nouvelles thérapies mais aussi d’évaluer l’efficacité de toutes les thérapies, et notamment celles des psychanalystes. Cette évaluation est peu connue du grand public, et nous recevons ce soir Joël Swendsen, professeur de psychologie et directeur de recherche CNRS à l’Institut de Neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine pour qu’il nous éclaire sur l’état actuel de la science. Les connaissances d’aujourd’hui nous permettent-elles d’avoir un avis fiable sur la validité des théories psychanalytiques et sur l’efficacité des thérapies qui s’en inspirent ?