La chaîne aborde sur un ton décalé dans la forme mais sérieux sur le fond les raisons qui font que notre lecture du monde est souvent bancale.

Enregistré le mercredi 10 janvier 2018 à la Bibliothèque Stanislas de Nancy

Invité : Joel Swendsen

 

Editorial

Si comme moi, vous attachez une importance particulière à votre santé, et notamment à votre santé mentale, vous avez à cœur de ne la confier qu’à des gens compétents et vous vous méfiez des marabouts, des aigrefins, des affabulateurs et des gourous.

Les troubles mentaux peuvent être de natures très diverses, tous ont à voir avec la manière dont notre cerveau traite les informations et les pensées que nous avons de nous-même et de notre environnement. Il y a donc tout un champ disciplinaire destiné à comprendre le fonctionnement des boyaux de la tête et les causes de ses possibles dysfonctionnements. On appelle ça la psychologie.

L’histoire de cette discipline a été marquée par un personnage devenu célèbre à qui l’on attribue de grandes découvertes. Freud s’est lui-même comparé à Galilée et Darwin. Après la blessure narcissique de l’héliocentrisme qui expulse la Terre du centre de l’univers, puis la blessure de l’évolutionnisme qui fait de l’Homme un animal comme un autre, Freud réduisait notre contrôle de nous-même, notre conscience à un frêle esquif sur un inconscient tel un océan monstrueux. L’idée était-elle vraiment si nouvelle ? L’Inconscient freudien est au programme de Philo de nos Terminales.

Permettez qu’on doute de la légende de Sigmund Freud, protégée par la mise au secret d’une grande partie des archives par les héritiers de la maison Psychanalyse. Doutons, car la psychanalyse est d’abord créée comme une thérapie ; Freud se veut un scientifique et il s’appuie sur les cas traités par lui. Mais si l’on s’avise que Freud n’a jamais guéri personne, que les 6 cas historiques sont en réalité 6 échecs thérapeutiques, cela ne jette-t-il pas une ombre au tableau ?

Ne réduisons pas la psychanalyse à Freud, néanmoins. Il y a aussi Lacan, capable de dire à peu près tout et son contraire, de justifier le fait de s’endormir pendant les séances avec ses clients et d’affirmer parfois avec beaucoup d’autorité des choses privées du moindre sens : « L’interprétation doit être preste pour satisfaire à l’entreprêt. De ce qui perdure de perte pure à ce qui ne parie que du père au pire.» Une phrase qu’il n’a prononcée que pour le plaisir de l’oreille comme il l’admit lui-même.

Au-delà des cas particuliers de ces deux figures historiques, la psychanalyse, c’est un ensemble de concepts irréfutables qui immunisent commodément la théorie contre les critiques.

Prenons le refoulement. Il permet d’expliquer pourquoi les patients ne se souviennent pas de ce que la théorie dit leur être arrivés et lance les analysant à la recherche de souvenir enfouis comme s’ils étaient figés quelque part. Les faux souvenirs induits par des thérapeutes attachés aux théories psychanalytiques ont purement et simplement détruit des vies. La résistance est un autre concept pratique : si vous ne croyez pas la psychanalyse c’est parce que cela vous dérange inconsciemment, et cela est la preuve que la théorie a vu juste. Écrasant avantage : la lecture symbolique des événements psychiques permet de toujours arriver à la conclusion souhaitée.

Si votre santé mentale ou celle de vos proches vous importe, vous avez envie d’un peu plus de sérieux que cela. La science fait des progrès remarquables et nous soigne de mieux en mieux, y compris des maladies mentales. Le travail des psychologues et des chercheurs en sciences cognitives est d’appliquer la méthode scientifique aux questions qui concernent les mécanismes de l’addiction, de la dépression, des angoisses, et aussi le fonctionnement ordinaire et biaisé de notre jugement.

Ces méthodes permettent d’élaborer de nouvelles thérapies mais aussi d’évaluer l’efficacité de toutes les thérapies, et notamment celles des psychanalystes. Cette évaluation est peu connue du grand public, et nous recevons ce soir Joël Swendsen, professeur de psychologie et directeur de recherche CNRS à l’Institut de Neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine pour qu’il nous éclaire sur l’état actuel de la science. Les connaissances d’aujourd’hui nous permettent-elles d’avoir un avis fiable sur la validité des théories psychanalytiques et sur l’efficacité des thérapies qui s’en inspirent ?


Article connexe :

Editorial

 

Ce soir, émission détendue avec un éditorial allégé sur canapé.

Pour quelques jours encore nous sommes en 2017, mais on peut déjà dresser un bilan de cette année écoulée avec vous. Une année de bonheur, de shitstorm et d’aventure. Une année de création, de rencontres et de tournages impromptus. Récapitulons 2017.

  • 2017 c’est plus 34k abonnés (et moins 6520).
  • C’est 39 vidéos.
  • Ce sont des invités toujours plus intéressants les uns que les autres : Charlotte Barbier et Manon Brill, Alexandre Moatti, Jean-Michel Abrassart, Laurent Gouyneau Freeman (Stop Mensonges), Sylar (Sylar Tichot), Eric Maillot,  Oriane Piquer-Louis, Usul, Olivier Simard Casanova, Samuel Nowakowski, Marc Villalongue, Bunker D, Didier Desor, Olivier REY, Pleen, Bruno Della Chiesa. [Jérôme Dumont, Mathieu Gaillard et Isabelle Masson-Loodts pour la fête de la science à Verdun], Jean-Pierre Adam et Jacques Balthazart.
  • C’est la sortie tant attendue de notre documentaire « Les Lois de l’Attraction Mentale »
  • C’est une vingtaine de conférences. A Nice, Paris, Dijon, Arlon, Bordeaux, Avignon, Toulouse, Montpellier, Reims, Lyon… et même Nancy !
  • Ce sont des formations à l’esprit critique sur plusieurs campus et dans plusieurs institutions, dans le cadre de l’ASTEC.
  • Ce sont des milliers de commentaires sur les réseaux sociaux
  • Vous êtes 16.000 à nous suivre sur FB et presque 9000 sur Twitter.
  • C’est un Tipeee sur lequel vous nous aidez maintenant à hauteur de 1200€ tous les mois.

Notre travail continue, notamment avec vous. Et nous allons vous parler ce soir de ce qu’on envisage pour 2018.

 

Depuis 1987 une association travaille à rassembler des fonds pour financer la recherche scientifique sur les maladies rares, en majorité génétiques, qui sont dites « orpheline » quand aucune recherche médicale ne leur est dédiée.

Notre équipe s’est rendu à l’Institut des Biothérapies à Evry pour questionner le directeur scientifique de l’AFM-Téléthon Serge Braun, ainsi qu’Anselme Perrier, directeur de l’équipe « maladies neurodégénératives ». Nous en apprenons plus sur les maladies, sur les progrès des thérapies, des outils de la recherche, mais également sur l’éthique

Reportage

 

Les interviews

Pour aller plus loin que le court reportage ci-dessus, nous vous proposons de regarder les interviews intégrales.

Serge BRAUN est le directeur scientifique de l’AFM-Téléthon.

 

Anselme PERRIER est directeur de l’équipe Maladies neurodénégératives de l’I-Stem

Enregistré le 6 décembre 2017 au Musée Aquarium de Nancy

Invité : Jacques  BALTHAZART.

Au sujet de la polémique qui a entouré la préparation de l’émission, lire cet article.

Editorial

Bonsoir à tous, chers organismes.

Vous nous écoutez et nous regardez présentement grâce à l’interaction de structures réceptrices d’ondes sonores et lumineuses qui ont la capacité de convertir ces signaux externes en influx nerveux et messages chimiques dans votre système nerveux, lequel est le produit de l’interaction d’un génome (portant les traces épigénétiques d’événements survenus une ou deux générations avant vous) et de son environnement, un environnement extrêmement complexe qui commence avec le corps de votre maman, les échanges que vous avez avec elle, et qui sont en partie dépendants des effets de son propre environnement sur son corps tout au long de sa vie. Un environnement qui dépend notamment du passage avant-vous au même endroit de vos frères et sœurs aîné·es.

Bref, vous êtes d’incroyables et d’improbables organismes, fruits d’une complexité que l’on peut à peine imaginer. La nature se charge depuis quelques milliards d’années d’éliminer sans état d’âme les individus que toute cette complexité, parfois, rend insuffisamment aptes à la survie. Malgré ce qu’on en dit, la nature ne « fait pas bien les choses », elle se contente d’effacer tout ce qui ne marche pas. La nature ne fait pas de pitié, n’a aucun sentiment et n’a aucune leçon de morale à nous donner : c’est une peau de vache.

Parmi la kyrielle de caractères dont l’évolution a doté les organismes humains au fil des générations, on trouve naturellement des comportements sexués, c’est-à-dire qui divergent selon que vous êtes un mâle ou une femelle, mais aussi des comportements sexuels qui ont à voir avec vos attirances, vos préférences en ce qui concerne les individus avec lesquels vous êtes susceptible d’entrer en contact génital.

On a toutes les raisons de penser que les mécanismes darwiniens pèsent lourdement sur tout ce qui détermine notre choix de partenaire, un choix primordial à l’échelle de l’évolution, un choix qui est certainement sous la dépendance de nombreux paramètres biologiques. Qu’il s’agisse de génétique, d’immunologie ou d’endocrinologie, nous avons les indices d’une forme de déterminisme biologique de l’orientation sexuelle. Bien sûr, s’agissant d’un caractère si complexe et multiforme qu’on aurait du mal à nommer toutes les variantes des préférences et des désirs, on peut suspecter de multiples influences au cours de la vie des individus. Il semble par ailleurs difficile d’imaginer un déterminisme génétique à l’orientation romantique : la manière dont nous tombons ou ne tombons pas amoureux.

Explorer les déterminants biologiques du comportement humain ne revient pas à nier d’autres chaines causales dans la genèse de nos comportements et attitudes. C’est néanmoins une entreprise scientifique qui éveille des inquiétudes sérieuses tant la biologie a naguère été utilisée pour tenter de justifier des thèses politiques, voire des programmes eugénistes. Mais il nous faut bien distinguer ce que la science nous donne à connaître et ce que les pouvoirs décisionnaires de nos sociétés décident d’en faire.

La biologie expliquerait au moins en partie les origines de votre orientation sexuelle, chers abonnés. Pour bien comprendre ce que cela veut dire et écarter les interprétations tendancieuses de tels résultats, nous recevons Jacques Balthazart, professeur de neuroendocrinologie à l’Université de Liège dont les travaux de recherche portent sur la différenciation sexuelle du cerveau et du comportement. Avec presque 400 publications scientifiques, nous tenons quelqu’un qui a une connaissance du sujet que nous qualifierons de… solide. Et nous le cuisinerons afin d’obtenir que tous ici, nous soyons sûrs de bien distinguer le vrai du faux dans l’état des connaissances actuelles.

Bonsoir Jacques Balthazart.

Enregistré le 26 novembre 2017

Invité : Maxime GINOLIN.

 

Editorial

Les artistes engagés ont toujours été à l’avant-poste de la remise en question des confortables certitudes de la société. Contre l’ordre établi, il faut du talent et de la motivation pour faire entendre un message critique. L’urgence d’une situation, d’un préjudice, d’une injustice insupportable ne souffre pas vraiment la contradiction. Quand il s’agit de défendre des valeurs, le compromis n’est pas envisagé et le débat peut faire figure d’obstacle au changement jugé nécessaire.

À travers le prisme de la militance, c’est-à-dire l’attitude du militant, certaines choses sont simplement inacceptables et d’autres non négociables. Des générations de militants ont transformé notre monde. Nous bénéficions aujourd’hui de ce qu’on appelle les acquis sociaux, des droits et des libertés qui n’allaient pas de soi dans le passé, qui nous semblent des évidences aujourd’hui… mais qui pourraient bien disparaître demain si on laisse à la manœuvre ceux que ces acquis dérangent.

Ce préambule pour souligner le respect que l’engagement doit pouvoir susciter, l’importance qui est la sienne. On peut douter toutefois des résultats qu‘il est raisonnable d’espérer obtenir en ne mobilisant que des valeurs et de la motivation. Les mouvements populistes et réactionnaires savent motiver leurs troupes autour de certaines valeurs avec autant de talent que les mouvements dit progressistes ou libéraux. Ce qui les distingue, c’est le contenu de leur argumentaire et, souvent, la relation entre leur discours et l’éclairage que la science donne sur le fonctionnement de la nature et de la société.

Si la logique militante a pour objectif la transformation du monde, la première étape logique semble bien être de décrire au mieux l’état actuel du monde et les mécanismes par lesquels le changement attendu peut être obtenu. Cela implique d’être méthodique et rigoureux et pas seulement motivé et vigoureux. En d’autres termes, cela exige de la méthode.

On peut donc s’attendre à ce que la science : sa méthode, ses résultats, soient pleinement embrassés par les militants parce qu’un argument reposant sur une connaissance solide a toutes les chances de mieux résister aux contre-discours. Dans un monde idéal, en tout cas. Mais l’humain est plus sensible aux appels à l’émotion qu’aux démonstrations logiques. Il est donc tentant de l’attraper par les sentiments, quitte à tordre les faits. Qui veut la fin veut les moyens, et travestir la réalité devient une stratégie acceptable.

Le risque, c’est qu’à convaincre avec de mauvais arguments, on construit des convictions sur des fondations bien fragiles, on n’éclaire pas vraiment les gens et on les prépare à ce que des menteurs plus doués les amadouent vers des idées douteuses. On peut se demander si le jeu en vaut la chandelle.

Du côté des rationnalistes on se montre donc volontiers critique avec l’argumentaire des militants, y compris, voire surtout, quand la cause nous parait mériter d’être défendue avec la force des connaissances produites par la science. Mais nous ne devons pas oublier qu’il faut souvent la vigueur de convictions bruyamment partagées pour que certaines questions se posent enfin, que des travaux reçoivent financement et attention, et que le monde de la recherche s’attache à son autocritique avec toute le soin qu’elle mérite.

Nous recevons Maxime Ginolin, artiste engagé, dont le parcours est marqué par le besoin d’agir pour améliorer le monde et un scepticisme sur les moyens déployés à cette fin. Parviendrons-nous, avec lui, à décrire la synthèse de l’esprit critique et de l’esprit de militance ?

 

Enregistré le 8 novembre 2017 dans la Salle d’honneur des Universités, à Nancy.

Invité : Jean-Pierre ADAM

Editorial

La question des origines obsède sans doute un peu trop notre espèce. On ne peut pas s’empêcher de chercher ce qui nous relie au passé, le plus lointain possible, au plus proche de l’origine de tout. Le mythe de l’âge d’or jouit d’un joli succès grâce à ce besoin étrange que nous avons souvent de trouver notre propre valeur en dehors de nous-mêmes, d’être plus que simplement qui nous sommes.

Alors on s’imagine descendre de guerriers intrépides ou de sages en harmonie avec la nature ; nous dotons nos ancêtres des qualités dont nous rêvons d’avoir hérité. Et on obtient une croyance parfaitement apte à être acceptée par nos semblables. C’est en toute logique que la réécriture de l’histoire lointaine est fréquente dans les milieux nationalistes qui ont besoin de s’inventer une filiation, une sorte de pureté de la lignée autorisant à se distinguer du commun des mortels.

C’est ainsi que certains Bosniaques veulent croire à l’existence de pyramides antédiluviennes sur leur territoire, ou que des Russes tiennent à revoir la chronologie pour faire de leur nation la véritable source des grands empires du passé. Certains nazis rêvaient (et rêvent peut-être encore) de la pureté perdue de Thulé et de leur ancêtres hyperboréens.

La mythologie n’est pas morte, elle se réinvente sous nos yeux, dans l’inconscience d’elle-même, certaine de dire le vrai comme toutes les mythologies ont pu le prétendre avant elle. Il lui faut pour cela disqualifier l’approche rationnelle de la science, ou bien la dire dévoyée. C’est pourquoi il y a chez les archéomanes —les amoureux d’hypothèses improbables au sujet des grands sites archéologiques— des relents de pensée conspirationniste : on fait obstacle à la manifestation de la vérité qu’ils ont découverts mais échouent à démontrer. Il faut bien que cela soit la faute de quelqu’un.

Les pseudosciences de l’histoire et de l’archéologie ont des prétentions extraordinaires : l’analyse des projets cachés des bâtisseurs à l’aide de rapports mathématiques de niveau collège, la prédiction de cataclysmes en vertu de la prétendue nature cyclique du temps, ou encore la prédiction d’un retour de la civilisation extraterrestre à l’origine des constructions antiques dont on nie aux humains d’alors qu’ils puissent en être les vrais concepteurs. La relecture du passé a souvent pour but une réinvention de l’avenir dont on doit bien admettre qu’il est raisonnable de le craindre, parfois.

« Le Faux Absolu est fils de la conscience malheureuse d’un présent sans épaisseur.» écrivait Umberto Eco dans “La Guerre du faux”.

Il faut déployer beaucoup d’efforts et beaucoup de rigueur pour nous débarrasser de nos fantasmes et de nos présupposés, pour regarder les faits tels qu’ils sont, les dépouiller de la fiction qu’ils nous inspirent et nous contenter de la réalité, parfois décevante, mais souvent fascinante dans laquelle nous nous inscrivons. Reconnaître les mérites de la décevante réalité nous permettra peut-être de donner assez d’épaisseur au présent pour résister aux tentations des faussaires.

Nous avons la chance de recevoir ce soir Jean-Pierre Adam qui connait très bien les discours parascientifiques, les hypothèses exotiques et les griefs des vitupérateurs de la science pour s’être penché sur leur cas depuis maintenant une quarantaine d’années.

 

Enregistré le 13 octobre 2017 au bar Le rallye, Verdun.

Invités :

  • Jérôme Dumont, historien au Mémorial de Verdun
  • Mathieu Gaillard, chiroptérologue.
  • Isabelle Masson-Loodts, archéologue et journaliste.

Editorial

Nous avons oublié ce que c’est que la guerre. La guerre chez nous, dans nos villes. C’est bien sûr une bénédiction, mais aussi une forme d’ignorance que nous risquons de payer un jour. Pardon pour la banalité de ce qui va suivre, mais la guerre est une machine criminelle qui transforme des humains en soldats et, plus grave encore, en statistiques. C’est aussi une activité destructrice de tout ce qui tombe dans son sillage avec des effets considérables sur l’environnement. Des millions de tonnes de métaux disséminés, des villes détruites dont les polluants se répandent, des terres brulées, des populations affamées qui cherchent à subsister dans les arrière-pays.

Malheureusement Guerre est l’un des premiers mots qui vient à l’esprit quand est prononcé le nom de Verdun, où nous nous trouvons ce soir, bien avant les mots Science ou Fête. Pourtant nous sommes à Verdun à l’occasion de cette Fête de la Science 2017 à l’invitation du Pays de Verdun.

Nous avons aujourd’hui des images crépusculaires des paysages dévastés lors de la Grande Guerre, l’usure, la peur, le pilonnage de l’artillerie, les hurlements et les entrailles déversées dans de sinistres tranchées. L’horreur absolue qu’il serait vain de chercher à décrire. Cent ans ont passé sur une région ravagée. Où en sommes-nous ? La guerre détruit les humains, laisse des traumatismes jusque dans l’héritage génétique transmis par les survivants ; elle a aussi de profonds effets sur les écosystèmes. Mais avec le temps, la nature reprend ses droits. La nature n’a rien à envier aux Lannister, elle finit toujours par liquider ses dettes. La nature est là depuis longtemps, et au cas où nous disparaissions demain dans un grand nuage nucléaire, les bactéries, les cloportes et les tardigrades –parmi beaucoup d’autres– continueraient de peupler le monde.

La nature qui reprend ses droits est donc une expression qui a tout du truisme et ne doit pas nous faire oublier l’équilibre des forces en présence. Quand l’activité humaine, et en particulier la plus désordonnée et irresponsable de toutes, détruit des écosystèmes, ce que nous détruisons, c’est le monde dans lequel nos ancêtres ont vécu et sont passés au tamis de la sélection naturelle en nous transmettant les caractères qui nous attachent à l’état ancestral du monde. Nous, humains, avons besoin de la nature plus que la nature n’a besoin de nous.

Dans le fracas des combats, ce que nous bousillons, c’est notre héritage, mais c’est aussi le capital des générations à venir. Nous allons voir ce soir, avec un invité historien, l’ampleur des destructions dont nous nous sommes rendus coupables. Mais nous verrons aussi, avec un invité chiroptérologue, que les paysages dévastés finissent toujours par devenir le milieu « naturel » d’organismes qui trouvent le moyen d’y prospérer. Le problème est qu’Homo sapiens est un organisme qui ne prospère pas si facilement sur les décombre de ses propres méfaits, et la troisième partie de l’émission parlera de la place de l’humain dans ces paysages laissés à l’abandon.

Car il y a, à Verdun, des humains en vie avec des projets et des rêves. Bienvenu dans la Tronche en Live, et bonne Fête de la Science.

Enregistré le 20 septembre 2017 chez Radio Caraïb Nancy

Invité : Pleen, vulgarisateur en éducation et intervenant en Philo pour enfants.

Editorial

Qui-suis-je ? Qu’est-ce que la conscience ? Le sentiment du beau est-il inné ? Que dois-je respecter chez autrui ? Des questions profondes, parfois si profondes qu’elles sont lointaines. La philosophie a un petit goût de terminale engoncée, de salle de classe endormie, de professeur verbeux et d’auteurs plus morts que morts qui semblent se parler à eux-mêmes. C’est en tout cas le sentiment qu’on peut avoir quand on n’a pas été un élève brillant dans cette discipline étrange et baroque réservée à la dernière année avant le bac, et où l’on serait censé prendre goût à la sagesse.

Alors, l’idée d’infliger ça à de tendres écoliers parait non seulement absurde mais carrément odieuse. Comme oser violenter l’innocence de l’enfance avec des concepts austères, avec de la pensée complexe, au lieu de les laisser goûter pleinement les années insouciantes qui les séparent de l’âge adulte, de ses tracas, contraintes, angoisses, du carcan que la société leur prépare, de la lente sédimentation des certitudes acquises au fil des années. Puis de la mort.

Philosopher c’est apprendre à mourir, dit-on. Ca ne regarde donc pas les enfants à qui on doit épargner ces considérations. L’argument semble valide. Il est recevable, mais peut-être ne fait-il pas le tour de la question.

Car nos enfants, et nous-mêmes à leur âge, tâchons de nous en souvenir, ne vivent pas chez les bisounours. Ils connaissent la contrainte : celle de l’école, celle de la politesse, celle de se taire quand parlent les adultes. Leur vie n’est guère pacifique. On reçoit plus de coups de pieds et de coups de poing à 6 ans qu’à soixante. Les jeunes singes que sont nos enfants ont entre eux des relations dont la dureté n’a rien à envier à ce que l’on voit dans Games of Thrones, le sang et les dragons en moins. Ils sont proportionnellement plus violents entre eux, ils subissent également plus de violence de la part des adultes : gifles, punitions, notes vexatoires, injonctions, etc. Ils savent bien que le monde est injuste, ils le voient, et ils ne trouvent pas ça normal. Sans doute ne faut-il pas attendre qu’ils s’y habituent, finissent par juger tout cela banal et prennent le pli de reproduire les comportements injustes qu’on leur donne en exemple, bien malgré nous.

La complexité du monde n’épargne personne, et les enfants y sont confrontés, peut-être de plus en plus jeunes. Désormais à douze ans, et avant, ils sont en contact avec des vidéos violentes, avec des propos extrêmes, avec des débats qui les dépassent mais dans lesquels la pression sociale leur demande de prendre parti. Que faisons-nous pour les aider à éviter les pièges ?

La science est formidable pour répondre à des questions que l’on peut transformer en expérience afin d’obtenir le verdict de la réalité sur nos hypothèses. Tout n’est pas élucidable par ces moyens, les réponses ne sont pas toujours compréhensibles. Ils est fort probable, disent les experts, que le meilleur moyen de nous protéger contre les idées fausses, les discours séduisants et la pensée extrême passe par les sciences humaines : comprendre l’histoire de notre espèce, de notre culture, de notre langue, comprendre la nécessaire humilité que l’on doit adopter face aux questions compliquées. Et comprendre qu’il faut débattre pour s’assurer qu’on comprendre bien ce que pense celui qui a l’air de dire que ce que je pense est incorrect. La philosophie ressemble beaucoup à ce dont on a besoin pour aider les plus jeunes à acquérir leur autonomie de pensée et à développer leur autodéfense intellectuelle.

Mais comment fait-on sur le terrain ? C’est ce qu’est venu nous dire Pleen, qui fait justement ce travail-là, comme ça tombe bien !

Enregistré le 4 Octobre 2017 Au G.E.C. Nancy

Invité : Bruno Della Chiesa

Editorial

S’il y a bien un organe qui excite notre imagination, suscite rumeurs et exagération, affole, fascine et passionne, c’est le cerveau. Rappelons les évidences, il est le siège de la conscience, de notre personnalité, le grand organisateur de nos actes, de nos pensées, de nos intuitions et de nos réflexions, il est le champion de l’apprentissage, de l’adaptabilité, et nous ne l’échangerions contre aucun autre cerveau du monde animal… ce qui n’est pas le cas de tous nos organes, avouons-le !

Nous sommes tous équipés d’un cerveau, ce qui nous donne parfois l’illusion que nous sommes aptes à parler des capacités de cet organe sans besoin pour cela d’être neurobiologiste ou psychologue, ni curieux de l’état des connaissances dans les domaines de ces spécialités.

Bien sûr, chacun a le droit d’avoir son avis, même bizarre, sur le fonctionnement de son corps, et de donner foi à des hypothèses spirituelles, baroques à base de corps énergétique, de corps astral ou éthéré. Chacun est même libre de partager librement ces idées où il le veut, à condition d’accepter que d’autres jouissent du même droit, et notamment de celui de questionner ces thèses et les raisons pour lesquelles on pourrait les défendre.

Redisons-le, chacun doit pouvoir continuer à penser librement ce qu’il veut penser. Mais la liberté ce n’est pas la tyrannie de l’égo, le soliloque de l’amour propre qui se mure à l’abri de la contradiction. Et surtout cette liberté s’accompagne d’une responsabilité. Quand on est un média national, cette responsabilité est grande, c’est celle de la valeur accordée à la connaissance commune, la connaissance qui repose sur des preuves, que l’on peut discuter, réfuter et faire évoluer au rythme des découvertes.

Or, continuellement, on nous inflige des idioties. Du film Lucy aux ouvrages des coachs de vie, on nous répète de veilles légendes sur ce que le cerveau serait capable de faire, sur les facultés que nous serions en mesure d’acquérir moyennant qu’on se plie à telle ou telle autorité intellectuelle. Ces idées, Bruno Della Chiesa les a appelées des neuromythes ; c’était avant que n’éclate la mode des neuro-choses et des neuro-trucs, la  neurosagesse, la neuronaissances et le neurobaratin…

Avec le cerveau ce n’est pas la taille qui compte, c’est la réticulation, le nombre de connexion, et ce que nous faisons avec notre cerveau a un impact sur tout cela.  Or dans notre société hyper compétitive on nous ferait croire n’importe quoi sous la promesse d’améliorer nos capacités cérébrales ou encore mieux, celles de notre progéniture. Si votre enfant réussit mal à l’école, il est tentant de se dire que c’est parce que, d’une certaine manière, il est trop intelligent. C’est la croyance qu’on vous encourage à nourrir, peut-être à tort, avec les concepts de surdoués, d’enfants indigo, de Haut potentiel, de zèbres que l’on oppose peut-être un peu vite aux autres, les imbéciles lambda, les médiocres, ceux qui ne sont rien… Nous vous renvoyons vers le Tronche en Live #11 avec Nicolas Gauvrit, où déjà nous avions évoqué les discours non-scientifiques et les idées reçues autour de la douance.

Le sujet des neuromythes, toutefois, est vaste et nous allons apprendre beaucoup de choses sur ce que l’on croyait savoir à propos du cerveau grâce à notre invité qui nous rend spécialement visite depuis les États-Unis car il est très attaché au partage des connaissances et de la démarche scientifique, c’est le chercheur en neurosciences de Harvard : Bruno Della Chiesa.

Enregistré le 13 septembre 2017 sur le campus Lettres de l’Université de Lorraine (Nancy)

Invité : Olivier Rey, de l’Institut Français de l’Education

Editorial

L’éducation. Il y a peu de choses plus importantes pour une société. Tout le monde sait bien que c’est important, mais nous allons le redire quand même en soulignant pourquoi. L’éducation, c’est le moyen par lequel nous nous disons qui nous sommes en tant que société, où nous transmettons notre identité et la faisons évoluer. L’école, le collège, le lycée, l’université, et autres établissements : lieu de toutes les rumeurs, les angoisses, les espoirs. Lieu d’identification, d’intégration, d’évolution des représentations et des mentalités, de dépassement mais aussi d’échec, de stagnation sociale, de crispation identitaire… Lieu hautement sensible de la République, premier budget de l’État, théâtre de calculs électoraux et d’affrontements idéologiques sans fin. A première vue, tout cela laisse bien peu de place à la science. Sûrement, on ne gère pas une classe comme une expérience de laboratoire.

Et pourtant pour que cela fonctionne – et l’école fonctionne encore, malgré l’image qu’en donnent souvent les médias– il faut que les équipes pédagogiques aient une petite idée de la manière dont fonctionne un apprenant, un enseignant et une classe. Pour espérer que cela fonctionne mieux encore, avec moins d’échecs, moins de stress, plus de compétences transmises, il semble cohérent de chercher à s’éclairer sur ce qui fonctionne ou pas, d’évaluer les pratiques, d’en tester de nouvelles.

Quel est le meilleur moyen d’apprendre à lire ? Quel doit être l’effectif d’une classe, sa composition ? Quel est le bon rythme pour une journée ou pour une semaine d’écolier ? Les notes, les fameuses notes, sont-elles nécessaires pour situer un élève dans son apprentissage, sont-elles au contraires stigmatisantes et néfastes aux plus fragiles ? Qu’en est-il de la constante macabre qui aboutit à ce que chaque classe ait son petit groupe d’élèves décrocheurs indépendamment du niveau moyen ? Si elle est réelle, que dit-elle sur le fonctionnement des élèves mais aussi des enseignants ?

Peut-être l’ignorez-vous, mais il existe des équipes de recherche dont le travail consiste justement à comprendre et décrire les mécanismes de l’apprentissage afin d’optimiser les pratiques, les programmes, les environnements, les outils  à l’usage des profs et des élèves.

Dès lors que nous réserve l’avenir ? Des neurosciences partout, avec un électroencéphalographe sur chaque pupitre ? Au contraire un retour à la nature, aux choses simples ? Plus de méthode, moins de méthode ? Et un choix s’appuyant sur quels modes d’évaluation avec quelles priorités ? Si nous avions réponse à ces questions ce soir, la quête de graal serait achevée. Soyons plus modestes et vérifions d’abord que nos questions sont bien posées, questionnons nos présupposés. Pour nous y aider, nous recevons Olivier Rey de l’Institut Français de l’Education dont le travail consiste notamment à avoir sur nous tous une longueur d’avances en ce qui concerne ces questions.