La chaîne aborde sur un ton décalé dans la forme mais sérieux sur le fond les raisons qui font que notre lecture du monde est souvent bancale.

Rien n’est plus puissant qu’une histoire.

Ceux qui aiment les sciences et veulent les faire aimer ont-il un autre choix que de raconter une histoire, la plus intéressante possible ? Cela ne veut pas dire qu’il faille se laisser aller aux facilités habituelles de la #SuccessStory dont les codes narratifs véhiculent des stéréotypes là où nous voudrions justement nous débarrasser des idées reçues pour questionner la fabrique du savoir.

Editorial

Internet n’est pas tombé du ciel. C’est un objet technologique et social très complexe.

Il nous donne accès à l’information et à la liberté d’expression comme à aucune autre génération dans toute l’histoire. Nous sommes tous à quelques clics de la plupart des connaissances universitaires de pointe. Et à quelques clics également des millions de contenus de propagande, de réinformation, de communication calibrée pour nous plaire ou nous radicaliser. C’est donc aussi un lieu de pouvoir.

Dans nos usages, nous votons en quelque sorte avec nos clics ; un peu comme les fourmis laissent derrière elle des traces de phéromones qui établissent quelles routes seront principalement empruntées par toute la colonie, nos choix de navigation co-construisent l’architecture dans laquelle les informations circulent et parviennent jusqu’à nous et nos voisins.

Depuis les débuts de l’ère numérique nous vivons sous le régime de la neutralité du Net dans lequel tous les bits d’information se valent et sont traités de la même manière par les serveurs. Tel est l’héritage laissé par ceux qui inventèrent les prémisses d’Internet il y a soixante ans.

Mais où en sommes-nous aujourd’hui ? Les Fake News pullulent, les croyances les plus extrêmes exploitent les failles d’algorithmes élaborés pour maximiser la consommation de contenus, la confiance dans les élites est en berne, la population est pessimiste, on se méfie de tout ce qui ressemble à une parole officielle, il y a de toute évidence une crise de notre rapport à la vérité. Et cette crise s’exprime, se vit, et peut-être se déploie sur Internet.

Comme vous j’aimerais comprendre ce qui nous arrive, et j’aimerais que le plus grand nombre puisse s’aviser des pièges et des éventuelles solutions qui permettent de les éviter. Parmi ces solutions : sortir des GAFAM. Ce sera le sous-texte de cette émission avec Elzen qui est secrétaire de la Fédération des Fournisseurs d’Accès Internet Associatifs, et qui est aussi un administrateur de l’instance PeerTube nommée Skeptikon.

Qui contrôle Internet est une question qu’il m’a lui-même soufflée en me rappelant que, pour être indestructible, les concepteurs d’Internet devaient le rendre incontrôlable. La surenchère des contrôles que cherchent aujourd’hui à exercer les puissants peut-elle aboutir à la destruction du Net ?

Bonjour Elzen

Enregistré le 11 septembre 2019 à la MJC Pichon, Nancy.

Invité : Yves Hansmann. Chef du service des Maladies infectieuses du CHU de  Strasbourg. Il est également l’auteur d’un livre : « La maladie de lyme, au-delà de la polémique »

Editorial

Être en bonne santé, ça s’explique mal, ça se passe de diagnostic, ça se constate. Personne ne se rend chez un médecin en exigeant qu’on lui explique comment il se fait qu’il se sente si bien. Celui qui est en bonne santé, en général, ne se pose pas de question, il en profite pour penser à autre chose. Et tant mieux. Quand on est malade, c’est une autre histoire. On veut savoir ce qui nous arrive. On veut le nom de l’agent pathogène ou du gène ou du facteur environnemental qui nous cause des ennuis. Si en plus on nous désigne un coupable à attaquer en justice, on se sent justifié à porter plainte. La maladie exige des explications ! C’est un état anormal, insupportable, et on ne se contentera pas d’un « ben c’est comme ça, c’est la vie, déso. » Et heureusement.

La pratique de la médecine consiste notamment à identifier la cause d’une maladie. Si vous avez un rhume passager, on peut se contenter d’apaiser les symptômes avec du paracétamol ; on parle alors de traitement symptomatique. Mais si votre problème de douleurs est lié à la présence d’une tumeur, vous n‘avez pas envie qu’on vous soigne avec des antalgiques, il faut s’attaquer à la cause de votre maladie. Dans le cas des maladies infectieuses : hépatite, sida, légionellose, grippe, choléra, rage, etc. nos médecins ont appris à lier spécifiquement des symptômes à un agent et à utiliser les traitements qui savent le cibler de manière efficace… quand c’est possible. Le médecin qui ne sait pas identifier de manière fiable la cause de votre maladie aura du mal à vous soigner, même s’il est sincère et bien gentil.

Nous tenons à notre santé et à celle de nos proches, nous voulons une médecine efficace, à l’écoute, fiable, rassurante. Et bien souvent, grâce aux progrès phénoménaux de la recherche médicale, nous sommes pris en charge, nous sommes soignés et nous avons la chance de survivre à des affections qui nous auraient emportés il y a une génération ou deux. Mais il y a aussi des affections qui résistent aux diagnostics. Certaines personnes ne reçoivent pas du monde médical des réponses à leurs souffrances. Elles ne se sentent pas entendues, respectées, soignées, et elles endurent une errance médicale à la recherche d’un spécialiste qui enfin leur dira le nom du mal qui les frappe. Et parfois ce diagnostic, obtenu de haute lutte, porte le nom de « Maladie de Lyme chronique ».

Nous verrons ce soir que la maladie de Lyme est une vraie maladie, c’est une infection par une bactérie nommé Borrelia. La forme dite « chronique » en revanche est à ce jour loin d’être reconnue comme une entité nosologique, c’est-à-dire une maladie clairement définie, un diagnostic fiable. On dira volontiers que les gens malades s’en fichent un peu du moment qu’on les soigne, mais là est tout le problème : comment savoir qu’on vous soigne correctement si on ne sait pas montrer de manière fiable de quoi vous souffrez ?

Aujourd’hui, on voit des gens recevoir des traitements à haute dose d’antibiotiques pendant des mois pour traiter une infection qui n’a rien de certain. Les Lyme doctors prétendent parfois que l’environnement électromagnétique aggrave la maladie, que le Lyme chronique cause la maladie d’Alzheimer, ou même l’autisme, et veulent traiter ces personnes… avec de hautes doses d’antibiotiques[1] ou des produits contenant de la javel. Bref, il y a un joli bordel autour de la maladie de Lyme et il faudrait commencer par établir clairement ce qui est connu et ce qu’il reste à comprendre à son sujet.

C’est notre but ce soir de contribuer à éclaircir ces choses, et nous n’avons pas de meilleur moyen que de nous tourner vers des experts capables de nous dire l’état des connaissances scientifiques plutôt que leur sentiment personnel. Nous recevons donc ce soir un spécialiste des maladies infectieuses, et en particulier des borrélioses, l’autre nom de la maladie de Lyme. Merci à Yves Hansmann d’avoir accepté notre invitation.



[1] https://debatbiomed.science.blog/2019/07/29/antibiotiques-pour-lautisme-recapitulatif-dun-scandale/

Le Bénéfice du Doute #7

Invités : Francine Cordier et Patrice Seray

Editorial

Si l’on pense à la présence, quelque part dans l’incommensurable immensité de l’univers,  d’autres formes de vie que la nôtre, d’autres formes d’intelligences, d’autre civilisations, on se retrouve face à l’alternative suivante : ou bien il y a quelqu’un d’autre, qui regarde les étoiles, se pose les mêmes questions que nous et rêve peut-être de nous rencontrer, et c’est complètement renversant. Ou bien, à l’inverse nous sommes seuls. Rien que nous dans tout ce vide. Et c’est complètement renversant.

Chaque hypothèse nous promet le vertige en réponse, et il n’y a rien de trivial à se passionner pour les ramifications de leurs présupposés et de leurs conséquences.

Sur Terre nous avons divers catégories de personnes. Beaucoup de gens sont plus préoccupés par des problèmes plus immédiats, n’y accordent guère d’intérêt, d’autres jurent d’un complot mondial pour cacher une vérité qu’ils connaissent on ne sait comment. D’autres scandent leurs certitudes que toutes ces histoires sont ridicules et ne méritent que dérision. Et puis il y a une catégorie, peut-être pas si rare, qui se questionne, qui doute, qui se dit pourquoi pas, et voudrait bien disposer d’informations fiables et d’une méthode pour y voir plus clair.

Alors disons-le, oui les ovnis sont un sujet qu’on peut aborder avec sérieux, en respectant scrupuleusement les personnes qui y croient comme celles qui n’y croient pas. Je me permets un petit rappel en forme de conseil de prudence sur le mot ovni (Objet Volant Non Identifié) qui nous allume dans la tête des images, des présupposés, des stéréotypes qui influencent notre manière de penser et de percevoir.

De fait, si je pointe le ciel en disant « Oh, un ovni », ceux qui suivront mon regard prépareront leur cerveau à reconnaître un objet qui vole (et volontiers, même, un vaisseau spatial). Et rien que ça peut conduire à réellement voir quelque chose que sinon nous n’aurions pas « vu ». On préfère souvent parler de Phénomène Aérospatial Non Expliqué (PANE) au lieu d’ovni, car ce que les gens observent dans le ciel, ce ne sont pas toujours des objets qui volent ; il peut s’agir d’astres comme la Lune, de nuages, de reflets, d’effets d’optiques étranges mais naturels, et diverses choses dont nous parlerons au cours de l’émission. Tout ce cortège d’images mentales qui viennent avec le mot ovni nous montre que notre regard n’est pas neutre. Il ne peut pas l’être, et le langage appuie souvent là où ça fait mal. Or c’est bien par le langage que nous avons accès aux ovnis, car la plupart d’entre nous n’en avons pas vu. Nous n’avons pas de photographie claire, d’enregistrement univoque, de morceau d’épave contenant des technologies non-humaines…

L’idée que nous nous faisons des ovnis est forgée par la manière dont nous en entendons parler. La matière première des chasseurs d’ovni, ce sont les témoignages humains. C’est d’ailleurs le grand point commun entre cette thématique et les autres sujets liés au paranormal, raison pour laquelle il faut s’intéresser aux méthodes d’analyse des témoignages.

Nos deux invités d’aujourd’hui sont très spéciaux, un peu comme des agents enquêtant sur l’étrange. Cela fait des décennies qu’ils sillonnent les forums, les vieilles revues, mais aussi le terrain, et la parole des témoins.

Amateurs éclairés mais aussi spécialistes érudits de la culture ovni et de ses réseaux, je vous présente Francine Cordier et Patrice Seray.

Les sceptiques et rationalistes sont souvent accusés d’avoir un esprit étroit, d’être « trop cartésiens », sous-entendu peu ouvert aux émotions, aux étrangetés, aux hypothèses alternatives, à l’imaginaire. Rien n’est moins vrai. En plus, des fois, on est même des artistes !

Pour fêter les 150.000 abonnés, nous vous offrons cette chanson écrite par Acermendax, arrangée par Vled et avec un clip réalisé par Loki Jackal.

Peut-être vous souvenez-vous de la précédente chanson de notre équipe : « J’ai comme un doute »

J’ai, je crois, un esprit ouvert.
Je peux tout croire si cela m’est prouvé.
Mais il faut quand même satisfaire
Une logique élémentaire
Pour ne pas se laisser berner.

Je peux croire au paranormal,
Tant de témoins ne sauraient mentir.
Mais se tromper c’est banal
Pour le modeste animal
Qui supporte mal de mourir.

Si tu tiens à ta conclusion
Alors je veux la partager.
Je ne suis pas débile profond,
Tu dois pouvoir m’expliquer.
Si c’est toi qui as raison
C’est ta responsabilité.

Je peux croire en la naturopathie
Consommons moins de médicaments.
Mais perso je tiens à la vie
Et à celle de mes amis
Sans preuve : dis-moi, on fait comment ?

Pont

Je peux croire que la Terre est plate
Aux énergies qui parcourent les chakras.
Mais permets que, comme Socrate,
J’ose, question délicate
Demander comment tu sais tout ça.

Je peux croire, pourquoi pas, en Dieu
C’est si sérieux un être suprême
Qu’on doit trouver une preuve ou deux
Qu’on est bien sûr que ce qu’il veut
C’est la circoncision et le baptême.

Si tu tiens à ta conclusion
Alors je veux la partager.
Je ne suis pas débile profond,
Tu dois pouvoir m’expliquer.
Si c’est toi qui as raison
C’est ta responsabilité.

Si tu tiens à la vérité
Avec un peu d’humilité
On doit pouvoir s’en approcher

Avec les croyances à la mode
Faire preuve d’un peu de méthode
Aucune colère, pas de haine
C’est juste une question d’hygiène.

Qu’on réfute mes certitudes
Qu’on questionne mes habitudes
J’accepte tous les démentis
À mon ouverture d’esprit.

Tronche en Live 77

Invité : Monsieur Phi. Enregistré le 23 juillet 2019.

Editorial

La philosophie, amour de la sagesse, questionnement de la condition humaine, vaste champ de réflexion dont les contours sont flous et le centre nulle part, cette chose que l’on rencontre en terminale dans les lycées français ou au détour de la lecture d’un bout de Platon ou d’Aristote, on se demande finalement ce que c’est, et quel est son statut vis-à-vis des sciences.

Philosopher c’est apprendre à mourir selon Montaigne. Entendez-par : là accepter la finitude de l’humain.

« Apprendre à mourir! Et pourquoi donc? On y réussit très bien la première fois! » rétorquait avec raison le poète Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort, ce qui pose la question de l’utilité de cette vieille habitude, du statut de ceux qu’on nomme les « philosophes »… Et vous savez la tristesse qui nous envahit quand on demande autour de nous des noms de philosophes contemporains et que l’on récolte des patronymes télévicoles et médiagéniques, éditolâtres & plumophores pour ne pas dire Idiocrates et opiniopathes.

Pourtant des philosophes, des vrais, il y en a, des gens qui pensent, qui remettent en cause certaines évidences et montrent que ce qui va de soi est en fait questionnable, et peut être exploré avec les outils de la pensée méthodique. Les philosophes sont peut-être les éclaireurs de la science, et aussi les sémaphores des questions éthiques autour de la production et de l’utilisation de connaissances.

Connaissons-nous cette philosophie-là ? La trouvons-nous dans les programmes scolaires ? Nous est-elle aussi utile qu’elle peut l’être ?

Dans la sphère zététique, des rationalistes et sceptiques, et plus généralement dans le monde de la science, il y a comme une méfiance à l’égard de la philosophie. Snobe et virulente, toute vêtue de d’une impénétrable métaphysique, la philosophie disqualifie le statut de « vérité » à toutes nos connaissances les mieux établies. Et si l’intention est bonne, on souhaiterait parfois que la forme fut plus conviviale, car notre scepticisme méthodique nous avait conduits à la même prudence.

À quoi nous sert la philosophie ? Quelle idée nous faisons-nous des philosophes ? Est-ce une discipline littéraire qui a toute sa place au milieu des facultés de lettres et de sciences humaines ? Est-ce une discipline homogène ? Peut-on en parler sans immanquablement formuler une succession de questions ?

Vous pensez bien que nous n’avons pas le début de l’ombre de réponses solides, et c’est pour ça que nous recevons Monsieur Phi avec qui nous allons débroussailler quelques idées reçues et interroger les relations complexe qu’entretiennent le rationalisme (la zététique) et la philosophie.

Consulter la chaîne de Monsieur Phi.

Le bénéfice du Doute #6

Invités : Patrick Baranger & Jade Herbert — Enregistré le 20 juin 2019

Editorial

Permettez que j’ouvre avec une citation de Coluche « L’intelligence est la chose la mieux répartie chez les hommes parce, quoiqu’on en soit pourvu, on a toujours l’impression d’en avoir assez, vu que c’est avec ça qu’on juge ». De la même manière je ne connais personne qui estime manquer de rationalité ou d’esprit critique. Cela devrait tous nous alerter.

Nous vivons une époque formidable. L’accès à Internet est quasi universel, nous sommes tous à trois clics de connaissances innombrables, de lieux d’échange qui peuvent transformer nos vies, nous apprendre à régler nos problèmes, à partager les remèdes contre les duperies et les mystifications. Les grandes œuvres d’art et leur remises en contexte ; les documents historiques jusque dans leurs moindres détails ; les connaissances scientifiques, dans toutes les langues ou presque.

Mais nous ne les consommons pas. Nous sommes collectivement apathiques devant ce prodige de notre civilisation. Nous préférons regarder des conneries, si possible les mêmes conneries que tout le monde, pour ne pas risquer de se sentir largué. La connerie à la mode a sur nous plus d’attrait que l’explication ardue d’un mystère scientifique ou l’enquête fastidieuse sur un scandale d’état.

Soit on trouve ça parfaitement normal et stylé, soit on comprend que la pensée critique n’est pas la chose la mieux répartie au monde.

Parce que si les gens préfèrent les conneries aux grandes œuvres d’art, aux connaissances, aux débats philosophiques, ce n’est pas par hasard bien sûr, mais parce que nul n’est totalement libre de penser ce qu’il veut.

Il est facile de dire que l’on est libre de penser ce que l’on veut, de le proclamer et d’y croire, mais la condition humaine s’y oppose de toutes les forces des influences que nous subissons pour le meilleur et pour le pire.

L’espace dans lequel nous nous autorisons à penser est cerné de murs invisibles qui font croire aux plus imprudents qu’ils ont pleinement choisi de penser ce qu’ils pensent. Les autres se posent d’avantage de questions métacognitives ; ils réfléchissent sur leurs réflexions, et c’est cette activité, sans doute qu’on peut appeler la pensée critique.

Ce serait formidable de pouvoir amener tout le monde à développer une telle attitude et les talents qui vont avec. Peut-on enseigner la pensée critique ? Si oui comment ? Si non : que faire ?

Evidemment l’école a un rôle central, mais il y a de la vie hors des écoles, et il existe une éducation populaire dont l’un des buts est d’aider les citoyens à se méfier des jugements hâtifs, des stéréotypes, des évidences et des vérités absolues.

La semaine prochaine Les Petits Débrouillards font leur université d’été à Nancy, et ce sera l’occasion pour le public de venir échanger avec les membres sur leur action, et notamment sur la possibilité oui ou non, de devenir plus critique, mieux critique, puisque le titre de l’événement est « Science, esprit et pensée critiques »

Pour en parler je reçois deux invités qui connaissent bien les petits débrouillards, le monde de l’enseignement et de l’éducation populaire.

Jade Hebert, Patrick Baranger, qui êtes-vous ?

Enregistré le 28 juin 2019 à l’ENS de Lyon.

Invités :

● Samuel Morin, chercheur, directeur du Centre d’Etudes de la Neige.
● Lionel Scotto d’Apollonia, sociologue et épistémologue.
● Marie Dégremont, docteur en science politique, spécialiste des questions de transition énergétique.

Editorial

Nous connaissons le principe de l’effet de serre depuis environ 150 ans. Depuis plus de 60 ans, nous savons que le climat mondial change de manière brutale, et on suspecte que les modifications atmosphériques dues à l’activité humaine y soient liées. Depuis 1995 la chose est prouvée. Cela fait 24 ans que nous voyons sortir, année après années, des études qui confirment les causes anthropiques d’un changement climatique aux conséquences potentiellement dramatiques pour beaucoup de monde.

Quand je dis « nous » je parle des membres de notre espèce dont le métier est de chercher à savoir ce qui se passe avec notre climat, notre atmosphère et tous les systèmes en interaction. Leur métier est de savoir, d’avoir une idée de l’étendue de ce qui n’est pas su, et de transmettre tout ça au public pour que la société puisse faire des choix éclairés.

Mais il y a comme un truc qui cloche, du sable dans les rouages, de la boue dans les yeux, une gonade dans le potage parce qu’on a beau produire de la connaissance, c’est comme si on ne voulait rien savoir.

La climatologie, ça existe, ça produit des modèles, ça fait des prédictions. Et ça tombe juste, puisque les modèles successifs se ressemblent et coïncident avec les données récoltées. Depuis la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, rédigée en 1992, nous avons eu 24 Conférences des Partis (on se souvient de la COP21 de Paris en 2015), le GIEC en sera bientôt à son sixième rapport, on entend parler de bien des tractations pour lutter contre le changement climatique, mais on se demande si du concret existe, quelque part.

En dépit de tous ces travaux, le grand public reste plutôt inculte, le monde journalistique n’est pas toujours plus brillant, et les décisions politiques prises au nom de nous tous pourraient bien n’être que très peu inspirée des conséquences qu’il faudrait pourtant tirer de ces connaissances.

Pour parler de ces questions, il faut commencer par comprendre, au moins dans les grandes lignes, ce que c’est que le climat, et quel est le travail des climatologues. Nous entamerons cela avec Samuel Morin, qui est directeur du Centre d’Etudes de la Neige, et donc climatologue. Il sera l’un des co-auteur du prochain rapport du GIEC, on pourra donc aussi évoquer avec lui comment travaille le Groupe Intergouvernemental d’Etude du Climat.

Quand on donne la parole à un climatologue, on voit surgir des commentaire et des critiques, le plus souvent émanant de personnes ignorantes, mais parfois de personnalités scientifiques qui estiment qu’on a tout faux et qui n’hésitent pas à nier les résultat d’un consensus scientifique sur lequel s’accordent plus de 99% des études (Le chiffre était de 97% il y a quelques temps, mais vous voyez ça avance[1]). Ces gens s‘estiment climato-réalistes, on les appelle improprement climato-sceptiques, peut-on dire que ce sont des climato-négationnistes ? Qui sont-ils et que disent-ils ? Nous en parlerons avec le sociologue et épistémologue Lionel Scotto d’Apollonia qui les connaît bien.

Pour la troisième et dernière partie, nous allons poser ce qui est sans LA question la plus importante, une fois qu’on s’est mis d’accord sur ce que dit la science.

Nous savons que l’activité humaine, depuis deux siècles, modifie l’atmosphère. Les rejets de gaz à effet de serre continuent d’augmenter malgré tout. On se trouve dans une situation où notre voiture se dirige vers un mur ; on me voit approcher, et nous continuons d’appuyer sur l’accélérateur. Pourquoi ? Pourquoi, si ce danger est la plus grande menace au monde, ne voyons-nous pas des décisions urgentes à tous les niveaux de la société ? Pourquoi, finalement, continuons-nous sur notre lancée sans réellement remettre en cause notre fonctionnement collectif ? C’est une question politique, qu’éclairera pour nous Marie Dégremont, docteur en science politique, spécialiste des questions de transition énergétique.

Merci à tous les trois d’avoir accepté notre invitation



[1] Those 3% of scientific papers that deny climate change? A review found them all flawed (2017) — Lien.

Le Bénéfice du Doute #5. Enregistré chez RCN le 23 mai 2019.

Invité : Mehdi Moussaïd.

Editorial

« La foule est la mère des tyrans. » disait Denys d’Halicarnasse un siècle avant notre ère. « La foule est la bête élémentaire, dont l’instinct est partout, la pensée nulle part. » jugeait André Suarès plus récemment.

On n’aime pas la foule. On la juge facilement vulgaire, manipulable, terriblement inintéressante. La foule ne contient finalement que des gens qui ne sont rien, ceux qui ne savent pas se distinguer par leurs qualités ou leurs efforts. Les artistes ne sont pas tendre avec elle, à l’image de Malarmé : « Cette foule hagarde ! Elle annonce : Nous sommes la triste opacité de nos spectres futurs. » et l’on voit que la foule, d’une certaine manière, nous renvoie à notre insignifiance personnelle. Comment ose-t-elle ? C’est odieux pour ceux d’entre nous qui chérissons notre individualité.

Nous voudrions que le monde soit dirigé par des esprits éclairés, par les meilleurs d’entre nous, par les plus méritants, et l’antithèse de cet idéal, c’est le chaos qui ne manquerait pas de survenir —nous le sentons bien— si on laissait aux incultes, aux profanes, au tout-venant, aux manifestants le pouvoir de décider ce que la société doit faire.

Même Terry Pratchett, le génial auteur des Annales du Disque Monde y va de son attaque : « Le degré d’intelligence de cette entité qu’on appelle une foule est inversement proportionnel au nombre d’individus qui la composent. » dit-il dans « Va-t-en Guerre »

Madame Michu n’est pas loin de la juger pire que l’anarchie cette Ochlocratie : « Gouvernement par la foule, la multitude, la populace ». Là où la démocratie serait l’organisation d’un choix rationnel parmi plusieurs projets politiques que le peuple sanctionne avant de concéder à être gouverné, le pouvoir exercé par la foule ne peut offrir que démagogie, emportements, jugements hâtifs et libération des pulsions les plus basses. C’est le despotisme de la cohue.  En somme il faudrait être pervers pour aimer la foule.

Mais Madame Michu, ET vous qui m’écoutez, ET moi-même, nous sommes la foule des autres. Que sommes-nous sinon des éléments d’un grand tout, constamment en interaction les uns avec les autres et souvent moins libre qu’on se plait à le croire ?

Car c’est l’une des questions fondamentale : les êtres humains existent-t-ils pleinement de par eux-mêmes ou seulement dans la dynamique qu’ils créent ensemble ? Cette multitude si détestée ne nous est-elle pas nécessaire ? Les foules sont-elles capables d’une forme d’intelligence qui surpasserait celle de l’humain moyen ?  Selon la formule du psychologue social Jonathan Haidt l’humain serait à 90% chimpanzé et à 10% abeille. Si c’est vrai la foule est en nous.

Et alors nous avons besoin que des chercheurs se penchent sur cette entité pour nous aider à comprendre qui nous sommes. Alors je pose la question à mon invité Mehdi Moussaïd : qui sommes-nous ?

Editorial

Le Bénéfice du Doute. Premier épisode.

Répondre à la question… et même la poser, cela réclame de savoir ce que c’est que l’intelligence, et le défi est considérable parce qu’il n’existe pas encore une définition compréhensible qui mette d’accord tous les spécialistes. Mais il faut aussi savoir ce qu’est une plante… et en fait ce n’est pas si simple que ça en a l’air.

Nous autres primates, mammifères, tétrapodes, métazoaires, opisthocontes que nous sommes, jetons souvent un œil hautain sur le reste du vivant. Il y a les espèces supérieures, celles qui nous ressemblent, et puis il y a le petit peuple de la planète, ceux qui ne sont rien… Quant au végétal, on a parfois le sentiment qu’il fait juste partie du décor. Nous vivons au milieu d’êtres vivants que la plupart d’entre nous ne connaissons qu’en surface. Si vous voulez mesurer à quel point vous ne connaissez pas les plantes, je vous propose un petit défi : essayez de dessiner le cycle de reproduction d’un arbre. Pour un humain, vous devriez vous en sortir sans trop de difficulté, faisons-le ensemble dans les grandes lignes : deux gamètes se rencontrent pour donner une cellule-œuf qui se divise et produit un embryon, puis un bébé humain qui grandit et produit à son tour des gamètes, (ou bien mâle ou bien femelle) ;  l’un de ces gamètes va rencontrer celui émis par un autre humain (de sexe opposé) et le cycle repart avec l’événement de fécondation. Chez les plantes, ou chez les champignons, c’est différent, et même bizarre d’une certaine manière. Les aliens de la science-fiction ne sont finalement pas si exotiques que ça si nous les comparons au châtaignier ou à la glycine. L’étrange nous entoure.

Mais revenons à l’intelligence de ces plantes. Qu’en est-il ?

Doit-on admettre que nous sommes passés à côté de cette intelligence, ou faut-il voir dans cette quête une autre forme de mépris, celui qui nous pousse à anthropomorphiser ce à quoi nous désirons nous intéresser ? Faut-il que les plantes soient intelligentes, un peu comme nous finalement, pour qu’on les respecte ? Pour qu’elles soient dignes qu’on leur consacre notre attention ?

Vous imaginez bien que je n’ai pas les réponses à ces questions, et dans cette émission nous allons recevoir des gens qui en savent bien plus que moi afin de nous mettre d’accord sur les idées fausses à écarter, sur les connaissances établies qu’il faudrait reconnaître et sur ce qui appartient au domaine incertain et flou du doute raisonnable.

Pour ce premier épisode du Bénéfice du Doute, nous avons pour parrain un chercheur éminent. Francis Martin a reçu les lauriers de la recherche agronomique de l’INRA pour ses travaux pionniers sur la symbiose entre les arbres et les champignons. Les arbres n’existeraient pas en l’absence de leurs partenaires mycéliens. Cette symbiose, elle est omniprésente autour de nous, et pourtant elle est discrète à nos yeux. Ce phénomène, il en parle dans un livre qui vient de sortir « Sous la forêt » aux éditions HumenSciences.

Avec Francis Martin, aujourd’hui nous allons essayer de savoir si nous nous posons les bonnes questions sur les arbres et sur les plantes en général. Bonjour Francis Martin.