Réponse à Christian Vélot
On croise régulièrement des « je suis pas antivax, mais » suivi de propos généralement perlé de contrevérités qui s’opposent clairement à la vaccination. Parmi les discours antivax qui ne s’assument pas comme tels, on a celui de Christian Vélot. Docteur en biologie, généticien moléculaire à l’Université Paris-Saclay, homme politique, et Président du Conseil scientifique du CRIIGEN, on a affaire à quelqu’un qui donne tous les gages d’une crédibilité scientifique. Et qui devrait donc être fiable quand il s’exprime publiquement sur un sujet scientifique.
Nous allons nous arrêter sur un tout petit extrait d’une interview qu’il a donnée le 7 juin[1] sur la chaine YouTube d’un média qui se veut alternatif qui également reçu… Jean-Dominique Michel.
Je reformule son propos :
« Il y a une irresponsabilité collective à se faire vacciner (…) On a besoin de laisser un échappement au virus d’origine pour faire de l’ombre éventuellement à des variants, et à cause de cela il faut que des personnes ne soient pas vaccinées. » En conséquence Christian Vélot s’oppose à la vaccination des personnes qui n’ont pas de fragilité. Et il propose qu’on vaccine tous ceux qui le veulent… après l’épidémie.
Quelle est la logique de sa proposition ?
En gros il y aurait compétition entre les virus pour les hôtes humains, et une forte couverture vaccinale éliminerait les variants sensibles et sélectionnerait des variants résistants, plus contagieux et donc plus dangereux à l’échelle de la population. De loin ça a du sens, ça rappelle la médecine évolutionnaire que nous évoquions sur notre chaîne avec Frédéric Thomas dans les nouveaux traitements contre le Cancer. Et à partir de ce raisonnement, Christian Vélot conclut qu’il faut absolument ralentir la vaccination.
Si vous n’êtes pas fan d’aiguilles et de produits pharmaceutiques fabriqués à la chaine, ça fait réfléchir, ça fait un argument pour ne pas aller se faire piquer, ça peut faire douter de la stratégie vaccinale. Pourquoi ce monsieur dirait-il ça si ce n’est pas vrai ?
Christian Vélot a fait parler de lui il y a peu dans une vidéo diffusée sur un domaine Internet qui avait usurpé le nom du site « vitemadose »[2] et qui forçait les internautes à regarder ladite vidéo avant d’avoir accès au formulaire de prise de rendez-vous vaccinal. Dans cette vidéo Christian Vélot affirmait que les vaccins à ARN entraînent des mutations génétiques dangereuses. Ses propos ont été débunkés par le Pr Alain Fischer du Collège de France[3].
Ca c’est juste pour préciser que monsieur Vélot a déjà un historique d’opposant à la vaccination pour d’autres raisons, des raisons rejetées par les spécialistes.
Revenons à ses propos sur les variants qui échappent à la vaccination et voyons ce qu’on peut répondre.
Pour élaborer cette réponse je me suis appuyé sur des contributions sur mon mur Facebook de la part de plusieurs internautes Dr en immunologie, en virologie, en épidémiologie, ainsi qu’un membre de covid19 fédération. Je les remercie tous pour leur aide.
Il y a compétition entre les variants viraux, c’est vrai, qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas vaccination. Quel que soit le nombre de personnes vaccinées, un variant plus efficace va mieux se répandre qu’un moins efficace, par définition. Le variant britannique a remplacé le précédent D614G avant la vaccination. Ce même D614G avait remplacé la souche d’origine dès mars-avril 2020.
Mais ce qui crée les variants, ce n’est pas la compétition —qui ne fait que sélectionner les plus efficaces— ce qui crée les variants, c’est le hasard au gré du nombre de réplications que peuvent faire les virus, et cela est lié au nombre de personnes qu’ils peuvent infecter. Plus il y a de gens infectés, plus le virus va se répliquer, plus il a des chances de créer un gros méchant variant.
L’apparition de mutations et l’émergence de variants dépendent donc du nombre de contaminations et de la charge virale de chaque personne contaminée.
Or la vaccination, que fait-elle ? Elle réduit le nombre de contaminations et elle réduit la charge virale des personnes contaminées. Plus on vaccine, plus on réduit le nombre d’hôtes dans lesquels le virus aura une chance de varier. Par ailleurs, en vaccinant, et ce n’est pas un détail, on réduit la population qui a besoin de soin, on évite la saturation des hôpitaux : on sauve des vies (il n’y a pas que le covid qui tue pendant l’épidémie)
Attaquons le cœur de l’argument : Le lien entre couverture vaccinale et apparition/diffusion de variants est un équilibre qui dépend de plusieurs facteurs. Dans une population faiblement vaccinée, il n’y a effectivement pas assez de pression de sélection pour favoriser un mutant. Si la vaccination augmente, en théorie cette pression peut atteindre un seuil où une mutation rarissime du virus, une mutation qui le rendrait insensible au vaccin mais sans lui conférer un autre avantage sur ses compétiteurs finirait par être sélectionnée au bout d’un certain temps.
Souvent une mutation avantageuse s’accompagne d’une contrepartie négative : par exemple dans notre cas on peut imaginer une modification de la protéine virale spike qui ne serait plus fonctionnelle pour la fixation sur ACE2, qui est sa porte d’entrée dans la cellule humaine, mais qui donnerait une nouvelle cible d’infection. Ce changement rend le virus invisible aux anticorps produits par la vaccination spécifiquement contre la protéine Spike, et donc même si sa nouvelle cible d’entrée est moins efficace, le virus est avantagé, il est sélectionné : on a produit un variant qui peut échapper à la vaccination. Dommage
Si la population est fortement vaccinée, que se passe-t-il ? Eh bien la diffusion des virus est grandement empêchée, le nombre de réplications virales chez les infectés vaccinés reste faible, et le variant rarissime dont nous parlions à l’instant voit ses chances d’apparaitre extrêmement réduites.
Donc le problème se pose lorsque la circulation virale est suffisante pour que ces événements hyper rarissimes se produisent ET que la proportion vaccinale tout en étant trop faible pour couper la circulation est devenue assez grande pour représenter un écosystème où de telles mutations seraient favorisées.
En d’autre terme une fois qu’on a commencé à vacciner, il ne faut pas s’arrêter. Il est plus pertinent d’accélérer la vaccination tout en réduisant la circulation virale. C’est ce qu’ont choisit de faire les autorités sanitaires d’Israël en reconfinant -malheureusement- durant leur campagne de vaccination.
Pour info Médecin sans Frontières a déjà pratiqué la vaccination en pleine épidémie, par exemple contre la rougeole[4] en 2005.
Une étude sortie il y a quelques jour le 8 juillet (encore en preprint[5]) conclut la même chose avec un modèle mathématique : c’est la vaccination en cours d’épidémie sans mesure barrière qui présente un risque fort de sélectionner des variants résistants.
La réponse théorique à l’argumentaire théorique de Christian Vélot apporte donc une réfutation claire et nette. Mais peut-être que vous n’avez pas envie qu’on vous parle de théorie et que tout ce que je viens de vous raconter vous a paru complètement obscur. Je suis d’accord avec vous pour dire que rien n’est plus convaincant que des éléments factuels.
Avons-nous quelques faits ?
Dans l’histoire du Covid 19, les variants les plus contagieux, ceux qui ont remplacé les souches initiales sont apparus dans des populations… peu ou pas vaccinées. Allez vérifier, faites vos propres recherches.
Deuxièmement : une étude en préprint[6] (il faudra donc prendre soin de vérifier qu’elle est validée par la revue des pairs) sortie le 5 juillet vient de montrer que les pays qui vaccinent le plus voient la diversité des virus diminuer : autrement dit plus on vaccine, moins il y a de variants.
Cette étude, à elle seule, atomise complètement la rhétorique de Christan Vélot. Et si sa publication est validée par les experts dans les prochaines semaines, on doit s’attendre à ce que Christian Vélot revienne sur ses déclarations. Nous verrons comment ça se passe.
En conclusion
Les éléments que je vous ai montrés nous disent que les non-vaccinés sont de potentiels réservoirs à virus mutants et qu’à cause de cela, s’ils sont nombreux, ils représentent une menace pour les vaccinés qui ne sont jamais immunisés à 100%.
Je ne suis pas épidémiologiste, virologue ni médecin. Christian Vélot non plus. Et je ne vais pas sur les plateaux télé expliquer que les experts en épidémiologie, ceux qui travaillent sur le sujet, produisent des données et conseillent les gouvernements n’y connaissent rien et qu’il faudrait m’écouter moi, parce que moi je sais.
Ce que je fais ici, c’est de la vulgarisation, je me fais le relai auprès de vous des connaissances établies et des incertitudes qui résistent, je vous relaie la parole de ceux qui savent mieux que moi dans un contexte où la confusion règne à cause de gens comme monsieur Vélot. Et personne ne me paie pour ça, si ce n’est vous, à travers l’Association pour la Science et la Transmission de l’Esprit Critique qui m’emploie et qui est totalement indépendante.
Alors à la fin : qu’est-ce qui bloque l’apparition de variants plus contagieux et éventuellement plus virulents ?
La réponse de la science aujourd’hui est celle-ci : c’est l’arrêt de la circulation des virus à travers les populations humaines.
Ce qui bloque cette circulation, c’est deux chose : l’isolement des individus mais ça commence à bien faire et l’immunité. Cette immunité peut être acquise en attrapant la maladie : en l’absence de traitement efficace, c’est un mauvais choix, ça va faire beaucoup de malades et beaucoup de morts. L’autre choix c’est la vaccination mais il faut du temps pour que la couverture puisse jouer pleinement son rôle sur l’ensemble des variants du virus ; et les gestes barrières restent nécessaires dans l’intervalle.
De la même manière qu’avoir une ceinture de sécurité ne vous permet pas de dire que griller un feu rouge est une bonne idée, les vaccins ne sont pas des baguettes magiques qui font disparaitre le danger ; ce sont des outils indispensables à l’intérieur d’une stratégie globale.
Et ces vaccins, ils marchent ! Je vous renvoie vers la vidéo qui répond à Martine Wonner.
Un dernier mot sur Christian vélot.
Il est membre du CRIIGEN qui a l’habitude de s’opposer à de nombreux travaux scientifiques par idéologie. Cette association a d’ailleurs été épinglée par Conspiracy Watch. Et puis, pour se faire une idée du niveau de crédibilité du personnage, Monsieur Vélot est allé s’exprimer sur France Soir le 29 juin, site conspirationniste et férocement antivax, pour un entretien titré « Ne faisons pas un remède pire que le mal »[7]. France Soir à les experts qu’il mérite. Et inversement.
Si vous pensez que cette idéo peut être utile : rendez-la virale !
A lire également
— Des affirmations erronées noyées dans de la vulgarisation (Debunk d’une vidéo antivaccinaliste de Christian Vélot)
Sources :
[1] https://www.youtube.com/watch?v=nC7p6Zn6uX8&t=4165s&ab_channel=BAM%21BelgianAlternativeMedia
à 1h9min30″
[2] https://www.liberation.fr/checknews/vaccination-que-sait-on-du-faux-site-vitemadosefr-20210511_YP2VHZNBO5AHBPH56RG6ASXFMA/)
[3] https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/vaccins-modifiant-notre-genome-itineraire-d-une-fake-news_2141984.html
Voir également : https://www.facebook.com/docteymouri/posts/421886125630841
[4] https://www.msf.fr/actualites/rougeole-vacciner-en-urgence-lors-d-une-epidemie
[5] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.07.07.21259916v1.article-info « Modeling the emergence of vaccine-resistant variants with Gaussian convolution COVID-19: Could the wrong strategy ruin vaccine efficiency? »
[6] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.07.01.21259833v1.full.pdf
[7] https://www.francesoir.fr/videos-lentretien-essentiel/ne-faisons-pas-un-remede-pire-que-le-mal-entretien-essentiel-avec















