Bienvenu dans notre émission diffusée sur Internet. Vous, comme nous, flânons librement sur les réseaux, nous cliquons selon notre bon vouloir, nous partageons en toute liberté les contenus que nous consultons. Il n’existe aucun moyen de nous forcer à consommer tel contenu plutôt que tel autre, nous ne supporterions pas de nous plier à des obligations. Nous ne sommes pas totalement dupes, bien sûr ; parfois c’est avec regret que l’on se crée un profil Facebook ou Twitter, simplement parce que ces plateformes ont réussi à concentrer le flux des activités dont nous souhaitons ne pas être écartés. Mais en dehors de ces accommodements plus ou moins pressants, nous jouissons du sentiment enivrant d’être totalement indépendants dans nos usages et dans notre navigation.
Spinoza, fin connaisseur d‘internet pourrait nous mettre en garde : « Les hommes se croient libres pour cette seule cause qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés. »
Ce que notre ami Baruch entend par là c’est que derrière l’illusion de la liberté que nous aimons à entretenir, et sans tomber dans la caricature du mouton décérébré ou du crédule absolu, l’humain est un animal qui règle son comportement en intégrant de grandes quantités de données présentes dans son environnement, bien souvent sans en avoir conscience.
Il existe aujourd’hui dans les sciences cognitives des recherches consacrées à comprendre la genèse de nos comportements et le poids des influences qui s’exercent sur nous. Mais il n’y a pas que la science qui travaille, et ces travaux ne fabriquent pas seulement des connaissances librement disponibles à l’édification d’un savoir universel… On produit aussi des méthodes qui permettent d’exploiter plus efficacement le cerveau humain.
Le paysage social est aujourd’hui saturé de publicité, nous n’avons plus assez d’yeux et d’oreilles pour recevoir les réclames qui financent la plupart des programmes que nous regardons. Nous sommes depuis longtemps dans un monde façonné par l’économie de l’attention, et on ne peut pas évoquer cela sans citer la célèbre phrase de Patrick le Lay, président de TF1 en 2004 « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »
Rendre un cerveau humain disponible à une utilisation par une tierce personne, souvent une entreprise, c’est l’une des manières de définir la captologie. La discipline qui s’intéresse à la captation de notre attention.
Quelle est l’étendue de cet usage ? Peut-on imaginer un monde qui s’en débarrasserait ? Est-il possible de s’affranchir individuellement de ces influences ? Peut-on en faire un usage éthique ? Sommes-nous condamnés à être de plus en plus téléguidés par des techniques de manipulation des foules ?
Bref, que faire de la captologie ? Je vais le demander à nos deux invités
Albert Moukheiber, chercheur en neurosciences cognitives et fondateur du collectif Chiasma
Bruno Patino, doyen de l’Ecole de journalisme de Sciences Po et directeur éditorial d’Arte France
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/05/87_MINIATURE_TenL_1920x1080-1.jpg10801920Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2020-05-14 11:41:242020-05-11 14:54:58La Captologie : entre science et arme de l’économie de l’attention (Tronche en Live 87)
Ils rodent dans nos campagnes, ils se multiplient dans nos villes, ils font le choix de ne pas consommer de produits issus de l’exploitation des animaux, ce sont les végans.
Leurs motivations sont diverses, en général on peut la résumer à une posture éthique, celle d’accorder aux animaux un droit à la vie, et à éviter la souffrance, qui dépasse notre droit de profiter de ce que nous pourrions tirer d’eux. En conséquence les végans sont à la recherche d’alternatives pour se nourrir, pour se vêtir et aux autres produits qui nous viennent des animaux ou qui sont testés sur eux.
La société actuelle n’est pas très généreuses en solutions de ce genre et cela provoque des tensions, bien sûr, et des interrogations sur la viabilité de leur régime alimentaire, sur la logique de leur démarche, sur l’extrémisme qu’ils représentent par rapport à des gens sympa comme les flexitariens qui sont végétariens à la maison chez eux, mais font l’effort de goûter le rôti de grand-maman ou les brochette du voisin. Le végan, lui, il est sans concession. Et ça nous inquiète.
Les interdits alimentaires, c’est la grande spécialité des religions et des dérives sectaires, et le monde du véganisme est traversé de courants qui alertent les détecteurs de bullshit des rationalistes à tel point que certains militants de la lutte contre les sectes considèrent que le véganisme est en soi une dérive sectaire. Cela nous apprend deux choses :
D’abord que les militants ne sont pas toujours fortiches dans l’utilisation des concepts dont ils sont censés être spécialistes : ce qui est vrai pour les anti-sectes l’est également pour les activistes du droit des animaux, ou pour les rationalistes militants. (Car en fait le véganisme ne répond pas aux critères qui définissent les dérives sectaires.)
Ensuite qu’il y a bel et bien des soucis non seulement avec l’image du véganisme, mais aussi avec la récupération qu’il subit de la part des thuriféraires de l’ésotérisme, des médecines alternatives, du New Age… et des wanabe gourou prompts à exploiter le sentiment de rejet qui motive et alimente une bonne partie des végans.
Mais quand on aborde ces questions, avant de pouvoir aller au bout des concepts, on se heurte à un phénomène mille fois observé : les gens s’engueulent plus vite que leur ombre, les amis se fâchent, les zététiciens oublient de douter, les militants oublient d’être pédagogues, tout le monde pense que l’autre se croit plus intelligent, qu’on le rabaisse, chacun est victime des raccourcis de l’autre. Bref, on est en colère. Et cette colère dure, elle couve, et ressurgit comme un retour de flamme au moindre prétexte.
Il y a des soupçons chez les pro comme chez les anti à propos de ceux d’en face. On a franchement l’impression qu’ils s’imaginent détenir une vérité absolue, alors que de là où on est on voit facilement les failles de leur raisonnement, à eux. Quelle bande d’imbéciles ceux là, ils s’imaginent avoir la solution, le régime parfait, ils croient savoir ce que chaque être humain devrait consommer, ils sont dans une forme d’orthorexie dogmatique. Ils ont tort ! Alors on ne les écoute plus, puisqu’on pense avoir bien compris qu’ils n’avaient rien à nous apprendre.
Ce mécanisme de fermeture doxastique, je vous propose qu’on le désamorce ce soir. On va voir que les végans provoquent des réactions négatives parce que leurs arguments ne sont pas toujours à la hauteur, parce que certaines attitudes moralisatrices sont franchement incommodes, mais aussi simplement parce qu’ils ont le culot d’exister, d’incarner le constat que certains des comportements qui semblent naturels aux autres ne vont en réalité pas de soi, et qu’il n’est pas si facile de les justifier.
Nous recevons Florence Dellerie. Elle est une végane a priori sympa, elle milite gentiment pour la cause animale, et elle cherche à le faire de manière rationnelle et efficace, ce qui fait qu’elle condamne les mauvais arguments et ne devrait donc pas énerver les gens qui écoutent sans a priori. Nous verrons s’il est possible d’aller au bout des deux heures de l’émission sans irriter tout le monde ou presque. Bonsoir Florence.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/05/86_MINIATURE_TENL_Végan.jpg7201280Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2020-05-12 11:02:042020-05-11 14:44:32Pourquoi les végans énervent-ils tout le monde ? (Tronche en Live 86)
Invité : Grégoire BORST, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’université Paris Descartes
Enregistré au Muséum Aquarium de Nancy le 12 février 2020
Editorial
L’humain arrive novice à chaque âge de sa vie (on doit cet aphorisme à Chamfort). En effet, personne ne nous apprend à être un enfant, un ado ou un adulte. Et on sait bien que le temps fait plus de vieillards que de sages.
L’adolescence ne nous laisse pas que de bons souvenirs. Transformations physiques et acné, premiers émois, chagrins d’amour, heure des choix professionnels, émancipation, questionnement sur l’identité… Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 15 à 25 ans.
Par conséquent beaucoup d’humains passent des années modérément exquises, et une fois adultes ils osent parfois trouver intelligent de se moquer de ceux qui traversent les mêmes épreuves en les appelant boutonneux, puceaux, en les traitant comme des enfants, en leur accolant tous les stéréotypes que la société produit avec délectation sur leur état passager, mais quand même un peu durable, d’adolescent. Et cela parce que l’âge bête est hélas la destination finale de bien des adultes.
Mais tout de même, on voit bien que les adolescents ont le chic pour les comportements excessifs, déraisonnables, qu’ils se rebiffent soudainement contre l’autorité tout en se conformant en silence à des codes sociaux très autoritaires : vêtements ou accessoire de marque, musique à la mode et j’en passe. En plus ils nous donnent l’impression de prendre leurs ainés pour des bouffons, de croire qu’ils ont inventé l’eau chaude ou le binge drinking (en français on appelle ça une beuverie !)
Il y a comme une fracture entre les générations, et peut-être est-ce en raison de phénomènes que nous ne comprenons pas encore. Pouvons-nous caresser l’espoir de mieux comprendre ce qui se passe à ce stade de la vie pour éviter de répéter en boucle les mêmes erreurs, les mêmes incriminations ? Souvenez-vous de ce propos souvent prêté de manière abusive à Socrate :
« Notre jeunesse aime le luxe ; elle est mal élevée ; elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect pour les anciens… Ils ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans la pièce. Ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. »
C’est toujours à ceux qui sont en situation de pouvoir qu’on doit demander les premiers efforts. Être adulte ce n’est pas rose tous les jours, mais on s’y habitue. Et c’est peut-être une clef du problème. Avant de s’y habituer, on a maintes occasions de trouver insupportable la manière dont la vie nous traite, la manière dont la société cache les problèmes sous le tapis, la manière dont nous organisons nos priorités entre notre confort personnel et les conséquences sur la planète, le climat, les enfants qui travaillent dans des usines à l’autre bout du monde. La sensibilité ardente des jeunes à ces questions d’injustice a quelque chose d’irritant mais c’est peut-être leur forme de sagesse. Ils hériteront des conséquences de nos choix et de nos erreurs comme nous avons hérité du monde mal foutu que nos aînés ont, bon an mal an, réussi à nous transmettre. Cela fait une bonne raison de les écouter et de se demander si ce n’est pas le cerveau des adultes qui n’est pas à la hauteur des enjeux.
Nous serons bientôt plus éclairés sur ces questions grâce à Grégoire BORST, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’université Paris Descartes.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/05/85_MINIATURE_TenL_1920x1080.jpg10801920Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2020-05-11 14:22:362020-05-11 14:29:00Le cerveau des adolescents (Tronche en Live 85)
Luc Montagnier est l’un des plus célèbres Prix Nobel français vivant. Cette célébrité, il la doit à la nature de la découverte pour laquelle il a été salué : le virus VIH, mais aussi, et sans doute beaucoup trop, aux polémiques qu’il suscite depuis plus de dix ans, nous allons y revenir. Nous avons d’autres prix Nobel vivant en France mais leurs nom vous sont moins familiers : Gérard Mourou, Serge Haroche, Michel Mayor ou Françoise Barré-Sinoussi qui d’ailleurs a effectué le travail de recherche qui a abouti à la découverte du VIH dans l’unité dirigée par Luc Montagnier.
Le problème avec les Prix Nobel c’est que lorsqu’ils parlent, on les écoute, on s’attend à ce qu’ils soient de véritables puits de science et ne prononcent que des vérités objectives. Quand un prix Nobel dit une idiotie qui nous plait, on est bien content d’être d’accord avec lui, on se sent bien sûr de soi et on peut rétorquer aux incrédules : « Non mais dis, tu te crois plus intelligent qu’un prix Nobel ?! »
Pourtant, vous savez bien qu’on peut être intelligent et malgré tout se planter de temps à autres, voire même s’entêter dans l’erreur. Alors on va parler de la dernière saillie médiatique de monsieur Luc Montagnier.
1 — Déclaration sur le covid19
Sur l’antenne de « Fréquence Médicale » l’émission de Jean-François Lemoigne du 17 avril dernier, Luc Montagnier est invité pour parler du SARS-cov2. Le présentateur dit que le doute s’installe, il rappelle que son invité est prix Nobel et qu’il vient sur son antenne, « en exclusivité », raconter une « toute autre histoire ».
Je vous traduis le titre de l’article de ce collègue mathématicien : « Evolution et origine partiellement synthétique des métastructures génomiques fractales des coronavirus covid-19 de Wuhan et SARS. « Où il y a de la matière, il y a de la géométrie. » Il s’agit du papier d’un mathématicien à la retraite qui est publié dans ce qu’on appelle une « revue prédatrice », c’est-à-dire une revue qui est très heureuse de faire payer les auteurs, qui n’effectue aucune review scientifique, et qui par conséquent n’offre absolument aucune garantie sur le contenu de ce qu’elle publie. Jean-Claude Pérez consacre beaucoup de temps à retrouver le nombre d’or dans la nature, et en particulier dans l’ADN. Il s’emploie à décoder, je cite « les six codes fractaux de la vie biologique. ». Il est plus charitable de ne pas en dire plus sur le travail de ce monsieur. Son approche n’a pas grand chose à voir avec la biologie, et c’est de biologie dont nous allons parler ici
CNEWS 3m. « nous ne sommes pas les premiers. un groupe de chercheurs indiens avait publié la même chose; on les a forcés à rétracter… y aune grande bande annulée »
Pour voir l’intervention de L Montagnier sur CNews : cliquez sur ce lien. Vous constaterez que les interviewers n’opposent quasiment aucune résistance. À la radio, Luc Montagnier ne peut pas s’empêcher d’aller un peu plus loin et de prêcher pour les idées marginales qu’il n’a jamais su prouver concernant l’effet des ondes (sonores ou électromagnétiques) sur l’ADN. Je vous en parlais dans un épisode récent sur la théorie de la mémoire de l’eau.
Sur le plateau de CNews, Laurent Joffrin tente une timide résistance :
Laurent Joffrin : « la plupart des scientifiques disent le contraire » — De moins en moins….. Je suis Prix Nobel et je peux travailler librement je n’ai donc aucune pression sur moi »
Ces deux séquences, en pleine crise sanitaire, en plein boom des théories du complot, sont destinées à faire le buzz, c’est pourquoi vous en avez sûrement déjà entendu parler.
Il est impossible de mesurer la sincérité des gens, de savoir à quel point ils croient ce qu’ils disent. Il ne faut pas tomber dans le piège du soupçon permanent de ceux qui croient déceler les intentions des autres. Souvent ils se plantent. Mais ici, Luc Montagnier nous explique lui-même ce qu’il attend de sa prise de parole.
« J’ai des propositions à faire mais j’ai besoin de beaucoup de moyens. Je pense qu’avec des ondes interférentes on pourrait peut-être éliminer ces séquences d’ARN chez des patients.»
Ce qu’on vient d’entendre, c’est un monsieur, récompensé naguère par un prix Nobel de Médecine, qui vient promettre à la radio un remède au covid19 fondé sur des ondes interférentielles. Cela n’est pas normal !
2 — La dérive du Nobel
Luc Montagnier, depuis longtemps, est un défenseur de l’homéopathie. Il affirme que l’ADN émet des rayonnements électromagnétiques qui lui permettraient, grâce à un appareil breveté inspiré des travaux de Jacques Benveniste, de réaliser des diagnostics médicaux mais aussi de traiter des maladies parmi lesquelles il cite l’autisme ou la maladie de Lyme chronique. Au début des années 2010, il a piloté des travaux à l’éthique douteuse et prétendument soigné 60% des enfants autistes testés à l’aide d’antibiotiques…
Je n’ai rien contre les idées saugrenues, il faut en avoir pour explorer l’horizon des possibles et faire des découvertes, mais ensuite il faut travailler à démontrer proprement ses allégations, ce que Luc Montagnier ne fait pas depuis une bonne quinzaine d’années.
Continuons. Luc Montagnier a affirmé que les vaccins étaient probablement à l’origine de la mort subite du nourrisson dans une conférence avec Henri Joyeux en 2017, là encore sans aucun élément de preuve, juste son sentiment personnel. Cela a poussé une trentaine de membre des académies de médecine et de science à signer une tribune :
« Nous ne pouvons accepter d’un de nos confrères qu’il utilise son prix Nobel pour diffuser, hors du champ de ses compétences, des messages dangereux pour la santé. »
Contacté par le journal La Croix au lendemain de sa sortie théâtrale, le prix Nobel indiquait ne rien retirer de ses propos. « J’ai un dossier très complet sur les liens entre vaccination et mort subite du nourrisson. Certains enfants décèdent 24 heures après avoir été vaccinés. On a quand même le droit de s’interroger sur cette corrélation temporelle. C’est juste du bon sens » Trois ans après : où sont les preuves promises par Luc Montagnier ?
Le sida appartient au champ de compétence de Luc Montagnier, mais même là, il multiplie les déclarations infondées et contraires à ce qui est connu. Il estime que les Africains ont un régime alimentaire mal équilibré, ce qui fragilise leur système immunitaire et les rend plus sensibles au sida ; il leur préconise donc de la papaye fermentée et affirme avoir vu des résultats positifs chez les malades. Après cela, la papaye fermentée est devenue à la mode dans les pharmacies. En 2004 l’Agence Française de Sécurité sanitaire rend un avis sur la préparation de papaye fermentée concluant que trois allégations revendiquées par ce produit ne peuvent « être considérées comme fondées, d’autant plus qu’elles sont excessives et souvent orientées sur des pathologies nécessitant en premier lieu des traitements ayant fait la preuve d’une efficacité reconnue »,
Nous avons affaire à un homme qui a multiplié les prises de parole excessives, imprudentes et qui flirtent allègrement avec la charlatanerie. Un charlatan, par définition, c’est un « Guérisseur qui se vante de connaître des remèdes miraculeux ». Ce portrait de Luc Montagnier n’est utile que pour contre-balancer l’argument d’autorité de son Prix Nobel. Si on s’arrêtait là, on serait dans le registre de l’ad hominem, qui n’est pas toujours un sophisme, mais qui n’est pas adapté ici, puisque ce qu’il nous faut savoir c’est si ce qu’il dit est vrai ou peut être vrai.
Après tout il y a des éléments vraisemblables dans son discours
L’origine de l’épidémie est située à Wuhan ou dans les alentours, et cette grande ville possède un laboratoire dernier cri, le seul laboratoire P4 du pays, dans lequel on travaille sur des pathogènes très dangereux. Je précise tout de même que l’on n’a pas besoin d’un P4 pour travailler sur le VIH et sur les coronavirus, qui sont manipulés dans beaucoup d’autres endroits.
Autre élément véridique : les virologues peuvent en effet réaliser des transferts entre les génomes de virus afin de les étudier ou de produire des vaccins. Ces virus, outils de biologie moléculaire, sont normalement défectifs pour la réplication afin de ne pas causer de problème. Mais dans l’absolu, on peut parfaitement imaginer un scénario de virus créé en laboratoire qui échappe aux savants et se répand dans la population.
Un tel scénario est si facile à imaginer que beaucoup de gens y croient d’emblée, surtout quand un Prix Nobel estime que c’est ce qu’il s’est produit. Et c’est pourquoi il faut y apporter une réponse. Mais juste avant, une petite mise au point.
Mais comment un Youtubeur ose-t-il contredire un Prix Nobel ? Vous verrez cette question ou ce reproche dans la section commentaire. C’est peut-être une chose que vous vous dîtes, vous-même. Après tout je n’irai jamais me hisser sur un ring pour me mesurer à un champion de boxe. Sauf que la science et la boxe, ce n’est pas exactement la même activité.
Ce qui fait la beauté de la science, c’est que (en théorie du moins) n’importe qui, sans diplôme, sans renommée, sans pouvoir, peut donner tort à un grand professeur, s’il mobilise un raisonnement correct, s’il utilise de bons arguments, s’il cite correctement des sources fiables (que les grand professeur connaissent, normalement) et s’il sait se réfère au consensus le plus solide, quand il y en a un. Et c’est tout à l’honneur des grands scientifiques d’être, plus souvent que d’autres, capables d’admettre avoir eu tort et de reconnaître quand une idée s’avère plus solide qu’ils ne l’avaient d’abord cru. Je vais me répéter : ce qui distingue les scientifiques des autres personnes, ce ne sont pas tant leurs qualités personnelles que la méthode qu’ils s’engagent à suivre avant de porter un jugement.
Alors voyons ce que les connaissances disponibles permettent de répondre à Luc Montagnier !
3 — Réponse sur le covid 19
Aujourd’hui, les scientifiques disposent de la séquence complète du génome de très nombreux virus. Grâce à cela, ils peuvent reconstruire l’histoire de ces microbes, dresser des arbres phylogénétiques qui montrent l’évolution des différentes formes et permettent de comprendre que tel virus, par exemple le SARS-cov2 qu’on trouve aujourd’hui chez l’humain, a pour plus proches parents des virus qui infectent les chauve-souris.
Pour construire ces arbres, on procède à ce qu’on appelle des blast, ou des alignements de séquences : on compare la séquence de certaines parties plus ou moins conservées du génome, ou bien la séquence des acides aminés des protéines virales. C’est quelque chose de très banal pour tous les généticiens et les biologistes moléculaires du monde, c’est un travail qu’on fait sur tous types d’organismes.
Ce que nous dit Luc Montagnier, c’est qu’on aurait détecté dans le génome de SARS-cov2 des toutes petites séquences de 6 à 8 acides aminés qu’on ne s’attendait pas à trouver là… et qu’on est capable de dire que ces séquences proviennent explicitement du VIH.
GTNGTKR
HKNNKS
GDSSSG
QTNSPRRA
Luc Montagnier cite un travail publié le 31 janvier par une équipe indienne en pre-print, c’est-à-dire sans qu’il ait été relu par d’autres spécialistes, ce qui est la procédure habituelle pour s’assurer que le contenu est fiable et les données assez solides pour soutenir les conclusions. Après publication, il fallut moins de deux jours pour que les auteurs rétractent d’eux-mêmes leur papier suite aux nombreuses critiques concernant leur interprétation. C’est donc un travail supprimé par ses propres auteurs le 1er février, que Luc Montagnier est fier de citer en avril. Que disait ce papier ? Qu’on aurait détecté la présence de 4 inserts, 4 petites séquences de VIH ajoutées par l’homme dans le génome du coronavirus, toutes dans la séquence d’une protéine appelée Spike.
Uncanny similarity of unique inserts in the 2019-nCoV spike protein to HIV-1 gp120 and Gag – Prashant Pradhan, Ashutosh Kumar Pandey, Akhilesh Mishra, Parul Gupta, Praveen Kumar Tripathi, Manoj Balakrishnan Menon, James Gomes, Perumal Vivekanandan, Bishwajit Kundu. (LIEN)
IIs tirent cette conclusion après avoir déterminé que ces 4 séquences ne se retrouvent pas chez les autres coronavirus virus mais qu’on les trouve chez le VIH. Toute hybridation semble invraisemblable, ce qui laisse comme dernier recourt la manipulation humaine.
Dès le 4 février dans le journal « Emerging Microbes & Infections » des chercheurs de laboratoires chinois et américains ont montré que lorsqu’on cherche ces 4 séquences dans divers génomes, on les trouve. On les trouve d’abord dans la famille des coronavirus, ce qui indique que le virus responsable de la pandémie actuelle ne se singularise en rien vis-à-vis de ces séquences. Les chercheurs estiment que ces séquences ont été incorporées dans le génome de la famille des coronavirus à travers leurs contact avec des cellules de mammifères, où elles sont largement présentes. Voici leur conclusion :
« Une analyse biaisée, partiale et incorrecte peut conduire à des conclusions dangereuses qui inspirent des théories du complot, affectent le processus conduisant à de vraies découvertes scientifiques, et entament les efforts pour contrôler les dégâts en matière de santé publique.»
Luc Montagnier a évoqué le fait que le virus évolue très rapidement et que la nature se débarrasse des séquences artificielles, ce qui serait visible dans le génome des virus ayant infecté les américains de la cote Ouest.
Le Pr Didier Trono, directeur du laboratoire de virologie et génétique de l’École polytechnique fédérale de Lausanne indique qu’il n’y a « pas de signe de délétion de séquences» dans les souches virales isolées à Seattle (source). Interrogée par le journal le Parisien, la virologue Anne Goffard déclare : « On observe, contrairement à ce qu’il dit, que le virus n’a que peu muté depuis son apparition, comme on s’y attendait. » (source)
Le biologiste Colin Giacobi a partagé sur Twitter de rapides recherches où il a lancé un alignement de séquences sur les bases de données publiquement accessibles.
Le premier fragment (GTNGTKR) : donne une forte homologie avec le VIH, mais l’homologie est exactement du même niveau avec 115 autres virus, et notamment… un coronavirus de chauve-souris (comme on s’y attend pour un virus naturel).
Le deuxième fragment (HKNNKS) donne également une forte homologie avec le VIH… mais pas plus qu’avec d’autres virus, et notamment, derechef, des coronavirus.
Le troisième fragment (GDSSSG) allume des homologie un peu partout, et dans un classement du meilleur score au moins bon, il faut faire défiler plus de mille organismes avant de trouver le VIH. Mais dans les premières lignes nous avons, comme prévu des coronavirus de chauve-souris.
Le dernier fragment (QTNSPRRA) reproduit le même schéma.
Ce que Colin Giacobi explique très bien, c’est que la méthode de Blast est adaptée à la comparaison de longues séquences, mais pas à des fragments si petits qu’on peut le trouver, par pure chance dans des centaines d’organismes. Il montre ensuite qu’en prenant des séquences de 7 acides aminés au hasard dans des protéines humaines (l’insuline ou le récepteur EGF) un blast nous donne une homologie avec le VIH. On voit que la méthode utilisée par l’équipe indienne est complètement naze, ce qui explique pourquoi elle a été critiquée et retirée.
On pourrait espérer qu’un Prix Nobel de médecine soit capable de voir des failles aussi énormes dans un papier avant d’en faire la promotion à la télévision. Surtout que dès le 17 mars un papier publié dans l’inévitable revue Nature réalisait une analyse du génome qui concluait à l’origine naturelle du virus. Monsieur Montagnier n’est pas censé ignorer une telle publication. J’ajouterais que les journalistes qui l’invitent ne sont pas censés l’ignorer non plus !
4 — La Maladie du NOBEL
Le baratin de Luc Montagnier sur le coronavirus n’est que le dernier exemple en date de ce qu’on appelle la Maladie du Nobel, un syndrome qui a droit à sa page Wikipédia bien qu’il touche a priori, très peu de gens dans le monde. L’encyclopédie donne la définition suivante :
« La maladie du Nobel, ou nobélite, est l’incapacité ou l’impossibilité, pour certains lauréats scientifiques du prix Nobel, de reproduire ou poursuivre des recherches scientifiques après s’être vu remettre ce prix. »
Le mal aurait déjà frappé une trentaine de fois.
Nous assistons au spectacle navrant de personnages au parcours conséquent qui se permettent de prononcer publiquement des allégations pseudoscientifiques sur la santé ou sur des théories du complot ou divers sujets qui dépassent le cadre de leurs compétences académiques avec la même assurance que lorsqu’ils interviennent sur leur domaine d’expertise. Cela nous rappelle qu’un argument d’autorité est une chose bien fragile. Oui, les experts existent, et oui, il faut les écouter, mais ce à quoi on se fie chez l’expert, ce n’est pas le tempérament, le verbe haut ou les grandes incantation, ni même la blouse blanche.
Parenthèse. Si je porte une blouse blanche, vous savez bien que c’est pour que vous preniez l’habitude de vous demander à quoi ça peut bien servir de porter une blouse blanche devant une caméra. L’uniforme de la connaissance scientifique est l’une des mille manières employées tous les jours pour obtenir que vous acceptiez des discours qui par leurs seuls mérites échoueraient à vous convaincre. Fin de la parenthèse.
Revenons à cette maladie du Nobel.
Comment expliquer que des gens très compétents, à priori très équipés pour résister au bullshit, se mettent à dérailler ? On peut se perdre en conjecture… Une malédiction ? Bof. Une forme de désinhibition ? Un Prix Nobel, ça se gagne en étant le premier à démontrer quelque chose d’important, à aller contre ce qui se faisait, ce qui se pensait. Etre récompensé pour ça, peut vous donner envie d’aller encore plus loin. C’est possible. Une forme de mégalomanie ? Être adulé pour une performance intellectuelle pourrait donner la grosse tête, encourager la personne à penser qu’elle a forcément raison, et un entourage complaisant ou subordonné pourrait bien alimenter une telle dérive.
Un effet contextuel ? Je pense qu’on a toutes les chances de sous-estimer le contexte, ici, comme ailleurs. La grande différence entre une personne lambda en fin de carrière et un Prix Nobel en fin de carrière, c’est que le prix Nobel on l’écoute. Les médias l’invitent, on veut l’entendre en conférence, on veut lire ses livres, le public veut devenir plus intelligent et érudit à son contact. Alors s’il dit une connerie, il y aura un monde fou pour trouver ça brillant, que ça a du sens, que c’est certainement vrai, pour le colporter et pour le croire.
C’est donc à nous de changer tout ça, de ne pas tendre un micro aux mêmes experts à tout bout de champ en espérant qu’ils nous illuminent de leur sagesse. À nous de ne plus partager, par exemple, de fausses citations d’Einstein au sujet des abeilles qui n’étaient pas sa spécialité. Aux médias, surtout, de faire un peu mieux leur travail. Pourquoi avoir invité Luc Montagnier pour des émissions où l’on savait très bien ce qu’il venait dire, sans s’être préparé à le contredire ? Sans faire preuve de la moindre velléité d’informer le public sur le néant qui étayait ses propos ? Pourquoi la mission des journalistes scientifiques est-elle si souvent si mal remplie dans les grands médias ?
Quand nous aurons la réponse à ces questions et le remède à ces problèmes, il y aura moins de danger à récompenser des hommes et des femmes imparfaits de prix, car on saura prendre la distance qu’il faut pour éviter l’idolâtrie qui met hélas en relief les aspects les moins dignes d’éloges de certains grands savants.
La pandémie de covid19 touche peut-être à sa fin, le confinement aura peut-être sauvé d’innombrables vies et, avec de la chance, nous éviterons un rebond, mais une chose est sûre : le niveau de bullshit, de balivernes, de baratin ambiant dépasse actuellement en intensité tout ce qu’on a pu voir ces dernières années. La crise, l’angoisse, l’incertitude boostent notre système conspirationniste et il faut s’attendre à ce que cela persiste encore un peu, au moins.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/04/Miniature-TdF5.3-virus-nobel-complot.jpg10801920Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2020-04-24 17:10:292020-08-06 18:39:01Le Virus, le Nobel et le Complot
Avec Nathan Uyttendaele, Samuel Buisseret et Richard Monvoisin
Enregistré en confinement, le 1er avril 2020
Emission diffusée en simultané sur la Tronche en Biais, Le Chat Sceptique et Mr Sam.
Editorial
La première étape de la démarche scientifique et plus généralement de la pensée méthodique, c’est le scepticisme a priori sur les faits. Cela veut dire qu’on ne prend rien pour acquis, et qu’avant de croire une chose, on s’assure qu’il existe de bonnes raisons de penser que c’est vrai. Depuis ses débuts, la zététique (qu’on utilise le terme ou pas) met en avant le scepticisme dans le but de contrecarrer les mécaniques de remport d’adhésion qui fonctionnent parfois trop vite pour qu’on s’avise qu’on a été influencé, y compris par soi-même.
Selon certains (et j’en fais parie) la pensée critique consiste a accepter de ralentir le raisonnement, à prendre le temps de se questionner sur la valeur qu’on accorde à nos conclusions, et, le cas échéant, sur la nécessité de ne pas avoir d’opinion. Il faut parfois du courage pour accepter de ne pas avoir d’opinion sur des sujets qui fâchent, qui polarisent, qui font polémique, qui exigent qu’on choisisse un camp. Ce n’est pas de la lâcheté que de dire : « je ne sais pas, il me faudrait plus d’information pour pouvoir me prononcer » ou encore de se taire à propos des sujets sur lesquels on n’a rien à dire.
Mais la suspension du jugement n’est pas une fin en soi, tout le monde le comprend bien. Et on peut se demander si, parfois, le contexte n’est pas trop impérieux pour qu’on se paie le luxe d’être difficile, de trier les données, et tout simplement d’attendre.
J’aimerais vous dire que j’ai la recette miracle pour sortir de ce dilemme, mais je ne veux pas voler leur job aux gourous patentés ou en devenir. Je n’ai pas à ce jour de réponse ferme, et en quelque sorte je suspends mon jugement au sujet de la nécessité inconditionnelle de la suspension du jugement… Peut-être mes estimés confrères réunis ce soir éclaireront-ils cette question.
Enregistré à la Bibliothèque Stanislas de Nancy le 15 janvier 2020
Editorial
Vieille mégère au nez crochu, une
verrue au menton, à cheval sur son
balai, elle vole sous la pleine Lune vers la forêt pour participer au
sabbat et, toute la nuit, danser, copuler avec le diable, jeter des mauvais
sorts et manger des bébés. La voilà, la sorcière !
On en a tué soixante mille en Europe, mais d’autres en ont réchappé.
La vilaine sorcière du folklore affolait les bonnes gens d’il y a quelques siècles. En tout cas, c’est ce qu’on s’imagine aujourd’hui. Et déjà il faut bien se souvenir qu’on tuait encore par chez nous, au nom de l’abominable crime de sorcellerie jusqu’en 1856 ! On avait commencé dès les années 1430 du côté de la Suisse. La sorcière est donc une figure bien implantée dans notre culture. Cela ne veut pas dire que nous comprenons bien ce qu’elle représente réellement ni les raisons de son succès. Savons-nous en quoi exactement elle faisait peur, cette créature un peu mythique, ce bouc émissaire que la population, dans une bouffée de déraison criminelle, accuse de tout et brûle en place publique pour conjurer ses angoisses ?
Les blâmait-on d’être des femmes fortes, émancipées, savantes, autonomes, des sortes de féministes d’avant l’heure que la société ne pouvait que rejeter au nom d’un ordre établi ? Mais d’ailleurs, est-ce que les accusations ciblaient uniquement les femmes ? Ou bien les marginaux, d’où qu’ils viennent, les originaux, les gens bizarres ou les malades, dont le décalage avec les us et coutumes les rendaient suspects d’une manière ou d’une autre ? Mais peut-être encore décochait-on le « vilaine sorcière » uniquement comme un stigmate social, un coup d’épée visant la réputation afin de détruire un rival économique, de spolier une veuve, de régler un conflit familial…
Des hommes érudits, puissants et (très) religieux, ont écrit sur la question des ouvrages ahurissant de superstition et de haine en mêlant à leur discours la religion qui était la leur. La chasse aux sorcières en devient-elle un phénomène religieux ? Et aujourd’hui ? Nos régions sont plutôt épargnées par le type de croyance qui conduit à ces débordements, mais il se produit encore, en quelques endroits du monde, au 21ème siècle, des histoires abominables de lynchages, de mises à mort au prétexte de sorcellerie. Les victimes sont souvent des femmes, des marginaux, des enfants, des personnes infectées par le VIH…
Les humains d’aujourd’hui, sur
Twitter ou à la machine à café, ont des cerveaux indiscernables de ceux que
réjouissaient l’exécution des sorcières. Et la société actuelle a conservé bien
des codes, des fonctionnements, des automatismes qui nous rappellent cette
époque. Sommes-nous traversés aujourd’hui des mêmes types de réaction, des
mêmes désirs de vengeance, de punition, d’annihilation sociale, dans des
mécaniques d’une même nature ? Si oui, qui sont nos sorcières à nous ?
Cela fait beaucoup trop de questions pour une seule soirée ; nous allons commencer avec un regard d’historien sur la période de cette chasse aux sorcières en Europe avec notre invité, Olivier SILBERSTEIN qui nous vient de l’Université de Neuchâtel. Bonsoir Olivier.
Sur presque le même sujet et dans un registre différent, vous pouvez être intéressé par « Le marteau des sorcières », une pièce de théâtre d’Acermendax.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/02/84_MINIATURE_TenL_1920x1080.jpg10801920Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2020-02-13 11:14:582020-02-13 11:19:24La chasse aux sorcières (Tronche en Live 84)
Invité : Lyokoï (Lucas Levêque) — Membre de Wikimédia France
Enregistré le 14 novembre 2019 chez RCN.
Editorial
Ah, si seulement nous avions accès à la connaissance et à la culture gratuitement. Si seulement, en un clic, on pouvait connaître la biographie de Pocahontas, trouver un sonnet de Verlaine ou tout savoir sur le pylore.
« Le pylore (du grec
πυλωρός, pylôros, « qui garde la porte, portier ») est la région de l’estomac
qui connecte ce dernier au duodénum, on parle de région pylorique. » ceci
est le début de l’article Wikipédia dédié à cette petite partie méconnue de
notre anatomie.
Il y a deux millions d’articles
en français, plus de 38 millions au total, Wikipédia est l’un des sites les
plus visités du monde, l’un des plus cités aussi. Et tout le monde peut le
consulter gratuitement. C’est un bien commun, le produit de l’intelligence
collective motivée par un but commun : réaliser la plus grande
encyclopédie du monde.
Mais évidemment, vous savez je
suppose qu’il ne faut pas croire tout ce qu’on lit sur Internet. Cette
encyclopédie, nous n’en connaissons pas les auteurs. Peut-être cherchent-ils à
nous tromper, à mettre en avant des idées ou des produits. Nous ne connaissons
pas très bien ses créateurs : quel était leur but, ont-il des intérêts
cachés. La plupart des gens ne connaissent pas les coulisses de ce vaste projet
où certaines personnes détiennent le pouvoir de bloquer une page, d’en
interdire la modification, où sévissent parfois des guerres d’édition.
Alors réparons ces lacunes avec Lucas, membre de la fondation Wikimédia
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/02/10_Miniature_BdD__1920x1080.jpg10801920Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2020-02-09 12:38:092020-02-09 12:38:41Peut-on se fier à Wikipédia ?
Entretien Sceptique avec Charles-Éric de Saint Germain (professeur de philosophie)
Enregistré le 21 octobre 2019
Editorial
Dieu, c’est une vieille histoire.
Le divin, le monde des esprits, le surnaturel, tout cela est peut-être aussi
vieux que les humains. Dans le paradigme déiste c’est encore pire, Dieu était
là avant l’existence de tout, y compris le temps. Et selon les théistes Dieu
est resté dans les alentours, penché sur son œuvre, attentif, bienveillant mais
sévère, plein d’amour et génocidaire, figure déconcertante, évasive,
irréfutable, échappant si résolument aux définitions qu’il existe encore
aujourd’hui des milliers de religions monothéistes incompatibles.
Toutes les religions ne peuvent
pas dire le Vrai. Evidemment, toutes
peuvent se tromper, et c’est l’avis des athées et des agnostiques, ou bien une
seule d’entre elle a raison et toutes les autres ont tort.
Je ne vous teaserai pas
davantage, la vraie religion, c’est bien sûr le protestantisme, je serai plus
précis c’est l’église évangélique. Encore mieux, c’est la version personnelle
de Charles-Eric de Saint Germain, notre invité, puisqu’il affirme savoir sur
Dieu des choses que d’autres ne savent pas ou ne reconnaissent pas ou ne
comprennent pas.
Je le cite dans un échange sur
mon propre mur Facebook il y a quelques semaines :
L’émission d’aujourd’hui a lieu
car j’ai réagi à un article de l’invité intitulé « Comment prouver à un athée –
en moins d’une minute – que Dieu existe, par une preuve extrêmement simple mais
imparable »[1]
La preuve proposée dans cet
article est ce qu’on appelle la preuve par le commencement. Monsieur de Saint
Germain vous enjoins à questionner l’athée comme suit :
« Demandez-lui s’il croit que l’existence du monde a un commencement dans le temps.
S’il vous répond « non », c’est qu’il croit que le monde a toujours existé.
En supposant que le monde a toujours existé, demandez-lui comment on fait pour parvenir jusqu’à l’état actuel du monde, vu que la série des états du monde successifs va à l’infini en arrière. Si l’on cherche à remonter la série depuis moins l’infini jusqu’à aujourd’hui, on n’y arrivera jamais.
➡ L’hypothèse que le monde n’a pas de commencement dans le temps est donc absurde.
S’il vous répond « oui », demandez-lui ce qu’il y avait avant que le monde soit créé.
S’il vous répond « rien », demandez-lui comment le monde a-t-il fait pour apparaître à partir de rien, vu que quelque chose (le monde) ne peut provenir de rien (du néant), car le néant n’est pas créateur de quoi que ce soit (Gros silence et soupir…).
S’il vous répond « rien », demandez-lui comment le monde a-t-il fait pour apparaître à partir de rien, vu que quelque chose (le monde) ne peut provenir de rien (du néant), car le néant n’est pas créateur de quoi que ce soit (Gros silence et soupir…).
➡L’hypothèse la plus probable est qu’il faut bien qu’il y ait un Dieu lui-même éternel et incréé, qui ait créé le monde à partir de rien (création ex nihilo). Donc Dieu existe nécessairement pour expliquer que le monde existe.
CQFD »
Nous y reviendrons peut-être, mais je vous livre d’emblée ma réfutation : cette preuve apologétique confond un « Univers sans commencement » et un « Univers avec un commencement infiniment ancien ». Ces deux univers ne répondent pas à la même définition, ils ne peuvent pas être considérés comme étant la même chose ; ce qui invalide complètement l’argument. Avec la même logique défaillante, souvenons-nous que Zénon avait conclu à l’impossibilité du moindre mouvement. Par ailleurs, cette « preuve » aborde le temps d’une manière intuitive et naïve, alors que la science nous démontre depuis Einstein au moins que le temps n’est pas ce que, spontanément, l’on croit qu’il est. Enfin, la conclusion ne s’impose que par la force d’un sophisme de l’appel à l’ignorance selon lequel si l’on ne sait connait pas la réponse, c’est donc que Dieu doit être appelé.
J’ai donc de fortes réserves sur
la force d’une telle démonstration, mais il faut offrir à Charles-Eric de Saint
Germain le droit de nous convaincre, notre oreille attentive, la suspension de
notre jugement et le secours des questions que nous inspirera notre esprit
critique. Il a accepté de se frotter à la zététique avec nous ce soir, et cela
mérite d’être salué.
Dans l’heure qui vient, nous
allons aborder : 1) Foi et Raison. 2)
Bible et Sciences. 3) Les preuves de l’existence de Dieu. 4) La vérité du
christianisme par rapport aux autres religions.
Avant de démarrer je vous rappelle ce qu’est un Entretien Sceptique comme celui-ci. Il ne s’agit pas d’un débat entre deux spécialistes où nous allons argumenter pied à pied dans le but de démontrer une fois pour toute qui a raison. Le véritable but et de porter un questionnement sceptique à la rencontre d’énoncés du type de celui que j’ai cité un peu plus tôt. Le format live nous permet une chose importante, demander des précisions, interroger un point qui paraît faible, flou ou incohérent, et nous aider à terminer l’entretien en comprenant mieux pourquoi notre interlocuteur pense et parle comme il le fait. Car cela peut s’avérer précieux pour réévaluer la manière dont nous pensons ce que nous pensons.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2019/10/MINIATURE_entretien-épistémique-04-v1.jpg10801920Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2020-02-08 12:31:492020-02-08 12:31:51« Dieu, les preuves, la foi & la raison »
La mort est une chose à laquelle il
semblerait bien qu’aucun être vivant ne puisse échapper. Les humains ont cela
de spécial qu’ils le savent et qu’ils ont construit des systèmes de croyance
très complexes, très couteux, très ostentatoires et parfois très agressifs pour
se convaincre du contraire. On pense aux religions, mais il y a également les
nationalismes et toutes les idéologies qui permettent à l’individu de trouver
une raison d’être plus grande que lui-même : la famille, l’art, la
culture, la science… ou une chaîne YouTube.
L’existence d’une vie après la mort
serait une réponse parfaite à de nombreuses angoisses humaines. C’est un sujet
important ; la plupart d’entre nous avons perdu des proches, et s’il nous
était offert de leur parler à nouveau, de les sentir vivants, nous voudrions y
croire. Il est normal de vouloir croire à l’existence d’une vie après la mort,
cela ne signifie pas forcément que certaines personnes puissent être en
communication avec l’au-delà. Et surtout cela ne dit pas comment on pourrait
les distinguer, ces gens-là, de tous ceux qui pourraient singer de tels talents
dans le but de se sentir spécial, de réconforter une amie endeuillée, d’être
regardé comme quelqu’un d’important, de récolter un peu de fric au passage, de
se construire une petite secte autour de soi… Qui sait les motivations qui
animent les imposteurs ?
Celles et ceux qui consultent des
médiums ne sont pas très différents de celles et ceux qui trouvent cette
pratique malhonnête ou stupide. Ce qui les distingue est un ensemble complexe
d’attentes, de besoins, d’exigences, de contextes psycho-sociaux, de sympathie
pour telle ou telle vision du monde. Pour le dire autrement : les
performances d’un médium n’épateront pas tout le monde. Le problème est que
cela ne nous dit objectivement pas grand-chose sur la réalité du phénomène
allégué.
La satisfaction du client ne nous
dit rien non plus. N’oublions pas que le client n’arrive pas neutre et sans
préconception chez un médium ; il est souvent bien content que le médium
l’aide à croire ce qu’il veut croire, il est co-auteur de la séance, et il en
fera généralement après coup un récit qui correspondra à ses attentes. Les
témoignages des gens convaincus ne peuvent pas nous servir à évaluer la qualité
du service rendu ou vendu par le médium.
Le cas de la médiumnité ne fait que
poser la question de la testabilité d’allégations de la part de personnes qui
tirent profit de la croyance des autres. Et c’est un peu ça le vrai sujet. Nous allons bien sûr parler
du cas de Bruno Charvet, le médium a la mode qui s’est montré capable de parler
à une défunte totalement inventée. Le propos de cette émission ne sera pas de
s’acharner sur ce monsieur ou sur ses clients mais de nous servir du matériel
pédagogique qu’a produit le travail combiné du médium et de la petite équipe de
sceptiques rassemblée ici ce soir.
Nous essaierons de décrire
l’affaire en question, et surtout d’en
tirer des enseignements sur les discours qui entourent ce genre de profession
et sur l’usage de la rhétorique. La rhétorique est souvent ce qui permet de
distinguer un propos honnête d’une stratégie de protection d’un business model.
La rhétorique est hélas souvent le voile que les professionnels du paranormal
tentent d’employer pour échapper au questionnement des sceptiques et à la mise
à l’épreuve de leurs allégations.
Si vous voulez croire à la vie
après la mort et à l’existence de véritables médiums, mais sans tomber dans la
crédulité indigente qui profite aux margoulins, la zététique est votre
meilleure alliée.
Ce soir nous allons discuter sur la manière dont un médium pourrait nous convaincre qu’il n’est pas un charlatan avec : Clément Freze, Victor Rességuier, Max Est Là, et (via skype : Bastien Chevallier).
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/01/83_MINIATURE_TenL-Medium_1920x1080.jpg10801920Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2020-01-08 22:08:312020-02-13 11:06:48Médium ou charlatan ? Tronche en Live 83
Les gens qui pensent manquer d’esprit critique, c’est rare. En revanche, ceux qui imaginent en avoir forcément plus que le gars d’en face ne manquent pas. C’est le piège qui attend tout aspirant à la zététique et c’est l’image que se traîne un peu notre communauté (si on peut parler de communauté, ça c’est un autre débat). Des aspirants au doute raisonnable, c’est ce que nous sommes sur cette chaîne, et je ne connais personne autour de moi qui se présente comme un expert, une référence, un zététicien pur sucre. Si vous, vous en connaissez, c’est étonnant. Je dirais même que c’est suspect.
Dans la recherche de la zététique,
de l’art du doute, de l’esprit critique, quand on se croit arrivé c’est qu’on
est perdu.
Alors, bien sûr, se demander ce que c’est qu’un bon zététicien ou un mauvais zététicien a peu de chance de recevoir une réponse définitive ; que ça ne nous empêche pas d’y réfléchir. D’abord le zététicien (ou la zététicienne) est un être humain disposant d’un cerveau humain avec tous les biais que ça implique. Autrement dit le zététicien n‘est pas moins biaisé que les autres. Comme tout le monde, il est parfois tenté, sans bonne raison, par certaines conclusions plutôt que par d’autres. Il est frappé de préjugés. Il est sous l’influence de son milieu, de sa culture, de ses émotions. Ni plus ni moins que n’importe qui.
Mais son petit atout, celui qui fait toute la (petite) différence, c’est qu’il sait qu’il est biaisé, il connait les pièges, il peut identifier les situations les plus périlleuses, et, s’il consent à réagir, il peut activer sa vigilance épistémique et ainsi éviter de se tromper ou de persister dans l’erreur. Son petit atout doit le conduire à une plus grande prudence épistémique. C’est un super-pouvoir peu télégénique, mais il peut être très important.
Le « bon » zététicien sait que s’engueuler avec quelqu’un est un mauvais moyen de lui faire changer d’avis. Il sait quels types d’arguments ne pas employer, les sophismes… mais avouons que parfois les moisissures argumentatives fusent plus vite qu’on ne voudrait, et que le zététicien, n’étant pas parfait, peut aussi échouer à débattre proprement. Twitter, par exemple, n’est pas un environnement favorable à la zététique et le bon comme le mauvais zététicien peuvent l’apprendre à leurs dépens.
Sommes-nous, ici même, de bons ou de mauvais zététiciens, on aura bien du mal à trancher. La zététique c’est l’art du doute, mais historiquement et tel que nous tentons de la pratiquer c’est aussi une forme de didactique des sciences, une façon de s’initier à la méthode scientifique, de promouvoir l’esprit critique, et bien souvent (historiquement encore une fois) une exploration rationnelle et sceptique des thèses liées au paranormal.
Tous ceux qui utilisent ce terme et
s’y reconnaissent ne donnent pas la même importance à ces différents aspects,
et, évidemment, leurs avis divergeront sur ce qui fait un bon ou un mauvais
zététicien. Tout ce que l’on pourra faire ce soir, c’est vous aider à réfléchir
à la question et à trouver quel type de zététique vous avez envie de pratiquer.
Nous sommes réunis par la même croyance, celle que l’esprit critique est important, que certaines idées sont dangereuses, surtout si elles sont confortables, que notre société a besoin de remettre en question ses certitudes, que l’ignorance est toujours pire que la connaissance et que l’illusion de la connaissance fait des ravages autour du monde.
Rappelons-nous toujours de ça au moment de débattre entre nous des moyens que nous voulons employer, des attitudes que nous devons adopter. L’un des adages de la zététique nous dit que « l’alternative est féconde », alors prêtons oreille aux manières de penser des collègues en nous retenant de croire que notre manière de faire est la seule qui vaille.
Des amis créateurs de contenu ont apporté leur contribution à la réflexion sous forme de petits messages autour de la question c’est quoi un bon zététicien » ?
– Je ne
propose PAS d’être bienveillant par ce que ce serait « bien » ni que
être agressif serait « mal ». (déontologisme)
– Je
propose d’être bienveillant par ce que je pense que c’est « utile »
pour la réalisation de mes objectifs (conséquentialisme)
Mes
objectifs sont aller vers une société plus rationnelle et plus tolérante. (J’ai
bien sur des objectif de plus haute priorité encore, comme améliorer ma propre
metacognition, mais ici dans le contexte ca n’a rien a voir) Pour réaliser cet
objectif, j’essaye de « améliorer la connotation positive » de la
pensée critique (ouverture d’esprit, dialogue entre tenants et sceptiques) , ce
qui est un peu différent de simplement « enseigner » la pensée
critique. Je ne propose pas que TOUS les créateurs de contenus sceptiques aient
la même approche, car je sais que différents types de public sont convaincus
par différents types d’approche (les croyances les plus ancrées nécessitent
parfois d’être bousculée).
Par contre je propose que TOUS les créateurs
de contenus sceptiques s’entendent pour dénoncer ouvertement tous les appels a
des violences physiques contre les croyants, tel que – leur donner des baffes.
– les cogner – leur foutre des coups de chevrotine dans le cul
C’est sur
ce dernier point que je trouve que je n’ai pas beaucoup de soutiens en ce
moment.
Et bien
sur (disclaimer) je reconnais que il existe des circonstances où la violence
physique est nécessaire (se libérer d’une oppression, etc) mais ici dans un
contexte epistémologique (sur les questions de croyances) je ne pense pas qu’il
existe es circonstances où la violence physique est justifiée, et le simple
fait de faire un parallèle entre les platistes et des oppressions systémique
est choquant.
Les
meilleurs penseurs critiques sont des personnes incroyablement bienveillantes,
compréhensives, soucieuses du bien-être des autres, approchant tout le monde
avec douceur, y compris les tenants les plus virulents. Ce sont des personnes
qui ne perdent jamais leur moyen, ne s’expriment jamais avec sarcasme ou
ironie, n’insultent jamais qui que ce soit.
Les
penseurs critiques que j’identifie comme se rapprochant de cet idéal sont peu
nombreux mais existent et sont de véritables trésors à mes yeux. L’équipement
des concernés pour faire face à une certaine réalité de terrain pose toutefois
question. Dans un monde où tout le monde serait bienveillant, l’approche des
concernés serait parfaite. Mais nous ne vivons pas dans ce monde.
Certains
tenants de croyances et de pratiques en désaccord avec la réalité sont prêts à
tout pour mater les penseurs critiques, vus comme des ennemis quoi qu’ils
fassent ou disent, quitte à passer à l’intimidation, au procès, au harcelement
ou aux coups et blessures. Je pense que face à ces tenants-là, nous avons
besoin de penseurs critiques capable de résister et, *parfois* de rendre des
coups aux concernés.
Des gens comme Mendax de la Tronche en Biais, Arnaud d’Astronogeek ou encore DEFAKATOR. Ces gens ne correspondent pas à ma vision de ce qu’un penseur critique idéal devrait être, mais je suis sûr d’une chose : on ne peut pas se passer d’eux à l’heure actuelle. Merci de tout cœur à eux d’exister. Ces propos n’engagent que moi et non toute une communauté que je ne prétends pas représenter.
Pour moi
c’est plus simple que ça. Le bon zététicien sait faire la différence entre une
information discriminatoire et une affirmation qui doit inviter à plus de
vérification. Le grand classique devant l’hypothétique éternel: le conflit
d’intérêt.
De
mémoire, environ 8 à 10% des études présentant un conflit d’intérêt sont +
favorables au produit testé que les études indépendantes. De nombreux
« experts » de tout poils considèrent donc le conflit d’intérêt comme
un marqueur fiable d’information corrompue. Or, moi ce que je lis de ces résultats,
c’est qu’au contraire, sous conflit d’intérêt, 9 études sur 10 sont fiables !
Non seulement je trouve cela relativement encourageant, mais en plus bien
souvent, les meilleurs experts ne peuvent échapper aux conflits d’intérêt, ce
qui est parfaitement logique: si je veux mettre un produit sur le marché, je
vais tenter de financer des études menées par les meilleurs experts. Il en va
de même des sophismes, des arguments fallacieux, des biais. Aucune de ces
catégories ne contient d’argument qui pourrait discriminer la thèse défendue
avec ces illusions logiques. Voilà pourquoi, bienveillance ou pas, il me semble
être du devoir du bon zététicien d’encourager son interlocuteur à produire de
meilleurs arguments pour défendre son affirmation, plutôt que rejeter son propos
au prétexte qu’il est mal défendu, ce que font la plupart des mauvais
zététiciens et des zététiciens débutants, si on peut se permettre un peu de
manichéisme.
Ce qui est
discriminatoire pour une affirmation, c’est une preuve contradictoire dont le
résultat est produit par l’expérimentation scientifique, c’est à dire,
l’expérience du réel dont on a soigneusement exclu au maximum l’expérience de
la perception. Et lorsque le bon zététicien détient une telle preuve, mieux
vaut, selon les circonstances, demander à l’opposant ce qu’il en fait que de
lui dire frontalement que son raisonnement tombe à l’eau. Les bons zététiciens
sont curieux de connaître ce qui soutient un raisonnement et désireux d’aider
la personne à produire de meilleurs arguments. Le désir de déconvertir est un
objectif personnel, intime, une véritable pulsion primitive oserais-je dire,
qui est bien souvent plus coûtante que payante dans un échange dés lors que
chacun y met un minimum de bonne volonté.
Dans
l’extrême opposé, cela ne signifie en aucun cas qu’il « faut être gentil,
tolérant et respectueux » en toutes circonstances, il n’existe aucune
approche à ma connaissance qui soit généralisable, universelle. Le bon
zététicien n’a donc en somme que 3 questions en tête: Quel est mon objectif ?
Cet objectif est-il le fruit de ma réflexion ou de mon impulsivité ? Est-ce que
ce que je suis entrain de faire me rapproche ou m’éloigne de mon objectif
réfléchi ou de mon objectif impulsif ? À mon sens, à partir de cette
« auto-cohérence », il est bon de cultiver la diversité des approches.
Allez, à moi : je crois qu’il faut arrêter de percevoir le
zététicien / sceptique / rationaliste / whatever comme qqn de référent. De plus
en plus, je nous vois comme une bande de gens qui avons trouvé une méthode déjà
connue et prétendons qu’elle est l’alpha et l’omega de la connaissance sur tout
un tas de sujets. Et je nous trouve mauvais en fait.
Parce qu’on tente de réinviter l’eau chaude sur la base de
découvertes (pour nous) qui sont en fait des champs de recherches entiers déjà
existants sur lesquels on lorgne à peine. Je nous trouve mauvais en philo, en
épistémo, en histoire des idées. On investigue très peu nos propres places dans
l’espace social et on parle comme si la sagesse nous avait touché de sa grâce
et qu’on était le pinacle du savoir. On passe pour des pédants aux yeux de ceux
qui savent pas, et pour des glands aux yeux de ceux qui savent et qui nous
voient faire n’importe quoi.
On est armé d’un sabre laser et on s’en sert comme d’un
lance-pierre. Je crois qu’on a tout intérêt à arrêter de nous prendre pour des
cadors à donner des leçons au monde entier alors qu’on a raison sur une poignée
de sujets et qu’on se plante sur une montagne d’autres. Va falloir qu’on arrête
de nous prendre pour des phares immuables alors qu’on est juste des bateaux un
peu plus solides que les autres, rien de plus.
Puisque
Mendax nous laisse une tribune dans son live, je me permets d’ajouter mon grain
de sel, sans mauvais jeu de mots. Car quand Mendax nous a laissé cette tribune,
Nathan, alias le Chat Sceptique, a répondu à l’appel et s’est fendu d’une
intervention tout à fait pertinente, avant d’hésiter à dire à notre cher Mendax
de la délivrer en public, de peur que les gens l’interprètent de manière
erronée.
Je
comprends les craintes de Nathan, et c’est là-dessus que je souhaiterai
revenir. Internet, Youtube dans la même veine, et surtout Twitter, sont des
endroits impitoyables, où les interactions sont bien pires que dans la vraie
vie. Oh, entre proches ou amis, en général, tout se passe bien, mais entre
inconnus, les échanges sur les réseaux sociaux tiennent plus d’Omaha Beach que
de l’amphi n°4 de la Faculté de lettres. Et sur ce champ de bataille, tout le
monde est à armes égales : le scientifique fort de 30 ans d’expériences dans
son domaine ne vaut guère mieux que l’imbécile qui s’est formé à la médecine
sur Doctissimo. Je dirais même plus, qu’un chercheur compétent vaut souvent
MOINS qu’un ignare sur Internet, car pendant que l’érudit s’employait à
maîtriser un sujet complexe, l’ignare s’est formé à la rhétorique fallacieuse.
Et le problème de Nathan se trouve là.
Une idée
simpliste et terrifiante circulera toujours plus vite qu’une vérité complexe et
chiante comme la pluie, et les savants auront toujours une longueur de retard
sur les sacheurs. Mais sur les réseaux sociaux, là où les gens de bonne volonté
s’emploient à utiliser des arguments, ils se retrouvent bien souvent en face
d’idéologues qui leur opposent des armes rhétoriques bien affutées. Là où dans
la vraie vie, les armes servent à embrocher, empaler, éventrer ou mutiler, les
armes des réseaux sociaux servent à insulter, déshonorer, diffamer,
décrédibiliser. Si tu ne peux contrer les arguments de ton opposant, fait le
passer pour un machiste, un homophobe, un gauchiste, un droitard, un facho,
voir même un nazi, ou le tout en même temps, déshonneur qui, une fois balancé,
contraint souvent la victime à se perdre dans des justifications que la bonne
foi de son adversaire rendrait bien inutiles, au lieu de se concentrer sur ses
arguments.
Et je
comprends que mon ami Nathan se sente pris en étau entre deux possibilités,
celle de faire des circonvolutions à rallonge afin de justifier de toutes les
manières possibles un propos simple afin qu’il ne puisse pas être retourné
contre lui, et celle de tenir un propos simple, clair et efficace, mais dans
lequel les gens de mauvaise foi trouveront une faille qu’ils parviendront à
transformer en arme contre lui. Et pour éviter ça, Nathan en vient à envisager
le silence de l’autocensure. Nathan, tu sais que je t’apprécie. Et nous savons
tous les deux que dans ce grand débat des sceptiques pipous contre les
sceptiques hardcores, nous ne sommes pas du même bord. Donc je me permets de
répondre publiquement à tes craintes privées par cet argument probablement lui
aussi hautement rhétorique : nous, on est là pour débattre des idées.
Ceux qui
sont trop cons pour les comprendre, ou trop ignares pour y répondre autrement
que par des insultes ou de la diffamation, on les emmerde. On me range souvent
dans le camp des sceptiques hardcore. Mais la vision que je défends, moi, des
débats sur Internet, c’est celle des échanges courtois avec les gens de bonne
volonté. Des débats constructifs avec ceux qui veulent débattre, des
discussions polies avec ceux, nous compris, qui veulent apprendre. Par contre,
les bas du front qui polluent les échanges par leurs insultes ou leur
diffamation méritent notre attention que le temps de leur fermer leur
clac-merde d’une bonne baffe rhétorique. Je SAIS que derrière les insultes se
cache souvent une souffrance ou une peur. Mais cette souffrance et cette peur se
trouvent dans l’esprit de tous ceux qui ont peur de l’inconnu, moi y compris.
Mais si certains parviennent à échanger de manière courtoise là où d’autres
n’ont que des insultes dans leur inventaire, c’est, je pense, qu’il y a un
élément supplémentaire à prendre en considération : l’éducation et le respect.
Nous sommes tous effrayés par la mort ou la maladie, et nous avons tous du mal
à remettre en question notre vision du monde. Pourtant, certains parviennent à
débattre. Pourquoi ? Parce qu’Internet libère les comportements les plus
méchants et révèle la vraie nature de nos interlocuteurs. Là où dans la vraie
vie, on ne s’autoriserait pas à insulter un inconnu de peur de se prendre un
retour de kharma bien réel, bien caché derrière son écran, voir même derrière
l’anonymat des réseaux sociaux, la vraie nature des connards se révèle au grand
jour.
Voulons
nous réellement débattre avec ces gens là, souhaitons nous leur accorder de
l’importance ? Ou bien devrions nous concentrer nos efforts sur les personnes
avec qui le dialogue est possible, tout en adressant notre mépris aux autres ?
Pour ma
part je m’efforce de mettre en pratique une démarche sceptique, mais je ne suis
pas zététicien, et il serait donc un peu prétentieux de ma part d’affirmer de
manière péremptoire (et donc sans aucun parallèle) qui est un bon ou un mauvais
zététicien.
Mais vu de
ma position extérieure, et en particulier depuis les commentaires dans les
réseaux sociaux, il me semblent que ceux que j’ai vu font des interventions
pertinentes lorsqu’ils soulignent tel ou tel biais, tel ou tel sophisme, ou
telle assertion sujette au doute, en le faisant dans un but pédagogique
incitant à faire prendre conscience de la méthode et à la donner en exemple. Là
où cela devient improductif, et peut-être qu’on pourrait alors parler de
zététicien moins bon, c’est lorsque sa critique devient trop extrême, en
recherchant systématiquement l’absolu du doute, sans plus tenir compte de
l’endroit d’où part celui qui s’est exprimé. C’est au fond un principe
pédagogique que d’encourager ce qui va dans le bon sens, tout en tenant compte
de l’endroit d’où l’on part, et en étant donc raisonnable sur l’objectif si
l’on part de très loin… donc sans chercher à viser immédiatement
l’excellence, faute de quoi la démonstration tourne à l’écrasement et perd tout
caractère d’exemplarité, elle devient au contraire l’expression d’une sorte
d’intégrisme qui peut faire peur – et donc conduire à s’en détourner. Tout en
n’ayant comme résultat que de frustrer celui qui reçoit la critique, et celui
qui la formule.
Donc le
bon zététicien, je ne sais pas ce que c’est dans l’absolu, mais parmi ses
qualités il devrait y avoir le sens de la mesure pour s’adapter au contexte
dans lequel il s’exprime.
Pour ma part j’essaie d’être le plus
EBM (Evidence based medicine) possible c’est a dire m’appuyer sur les données
de la science mais prendre en compte aussi mon expérience pro et ce que veut le
patient. Avoir participé a Fakemed ma obligé a remettre en question beaucoup de
mes pratiques et de m’interroger dessus
J’essaie d’être le plus bienveillant
possible envers les gens que je juge en recherche d’informations. Par contre
j’ai très peu de bienveillance et de patience pour les gens qui sont déjà
convaincu et partisans. Je suis pas là pour faire de l’épistémologie avec tout
le monde et tant pis si je passe pour un connard auprès de prosélytes plus ou
moins conscients ou de mauvaise foi. On peut pas plaire à tout le monde et je
suis pas là pour être gentil ou débattre avec tout le monde
J’évite certains sujets polémiques qui s’enveniment très vite. J’essaie d’être sceptique et éclairé mais clairement pas zeteticien.
Je ne suis pas zététicien et c’est vrai que je ne suis pas non plus un habitué de l’exercice de debunking en public, dans le sens où je concentre la majorité de mon énergie (bien vu Vled pour ce point là) à plutôt parler de belles histoires que de tenter de retourner une audience qui nous crache dessus. Oui, elle nous crache dessus.
Ça a commencé pour moi en janvier 2017, où j’ai appris l’existence de gens qui remettaient en cause la forme de la Terre, l’existence de l’ISS, ou des concepts aussi simples que la gravité. Je ne suis pas allé à eux, c’est eux qui sont venus à moi, avec véhémence, comme un banc de piranhas apercevant un petit poisson qui se balade de façon insouciante. Depuis, leurs attaques sont quotidiennes, même si je dois parler d’eux ou faire du debunk une fois par an seulement. Je comprends alors Arnaud qui doit faire face, avec la visibilité qui est la sienne, de perdre sa patience. Les mots que l’ont reçoit viennent d’anonymes, mais on n’est pas tous assez blindés pour résister à ces petits calibres. Donc parfois, on ne tend pas l’autre joue, mais on sort notre propre calibre. Comme le disait un des vulgarisateurs précédemment, oui, on a besoin de plusieurs manières d’exposer l’esprit critique, parfois la méthode douce comme Christophe, parfois la forte comme Arnaud. Car les personnalités sont différentes.
En cela, je ne suis pas contre les méthodes des uns et des autres, j’aime le contenu de Mr Sam comme des moins pipous, mais ce que je pense qu’il faut éviter, surtout, c’est se juger les uns les autres sur quelle méthode est meilleure que les autres, car au lieu d’être unis malgré les méthodes différentes, on parait divisés, inconsistants et du coup pas crédibles. Vous avez vu, je viens de dire nous. Pas en tant que zététicien, mais en tant que personne, comme vous, qui prône l’esprit critique, la recherche, la vérité, mais aussi, la conscience qu’il faut sourcer ce qu’on dit aux gens pour ne pas les emmener dans le dark side. Bisous, je vous aime. Sincèrement.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2019/12/miniature-Tenl-Noel-2019.jpg275477Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2019-12-29 14:03:082019-12-29 14:05:30Y a le bon zététicien et y a le mauvais zététicien (TenL de Noël)
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