Agitateur d’idées, amuseur éclairé, aventurier des concepts, le vulgarisateur (qui peut être une vulgarisatrice, et le plus sera le mieux) est par définition un personnage public. Il s’adresse aux curieux, aux néophytes, pour partager avec eux une information de nature scientifique.
Avec du travail et de la chance, il rassemblera autour de lui des gens nombreux et attentifs à ses publications. Le développement du web offre d’ailleurs de plus en plus d’opportunités. Les contenus internet en lien avec la science se multiplient, et, fatalement, se pose la question de ce qu’est une bonne vulgarisation. Dans tous les métiers, toutes les activités, on trouve des gens honnêtes, talentueux, et des moins bons, voire de véritables imposteurs. Il est donc souhaitable de savoir quelles caractéristiques signalent la vulgarisation de bonne qualité.
A qui se fier ?
« Alors le mauvais vulgarisateur, il voit un concept là, qu’à rien demandé, et hop il le vulgarise. Alors que le bon vulgarisateur…»
Comment distinguer le bon vulgarisateur du mauvais ? Aucune réponse honnête ne sera simple, parce que le monde est compliqué, et parce que rendre compte de ce que la science démontre n’est pas une mince affaire. Aucune recette ne marchera à tous les coups, et aucun point de vue dogmatique ne peut espérer être valide. C’est à celui qui visite les pages qu’incombe la tâche de se poser quelques questions avant d’accepter ou de rejeter les informations qui lui sont présentées.
Nous vous proposons ici une liste indicative de ce que devraient être les principales préoccupations du vulgarisateur scientifique, et donc les critères à l’aune desquels il semble juste de juger son niveau de crédibilité.
Les 5 critères de la bonne vulgarisation
Le public a tout intérêt à s’assurer que le vulgarisateur prend soin :
- De présenter un contenu accessible et scientifiquement correct
- D’être attentif à la manière dont son travail est compris
- De créditer ses sources
- D’expliquer la méthode mise en œuvre pour obtenir les connaissances
- D’être exemplaire dans son rapport aux faits et aux théories scientifiques
Développons un peu
Les listes, c’est bien joli, mais ça manque toujours de nuances et de contextualisation. Alors évidemment : ça dépend. Ca dépend de la discipline, ça dépend du sujet, ça dépend du format, ça dépend de mille choses… Mais toutes choses étant égales par ailleurs, on serait bien inspirés de ne point trop se fier à ceux qui n’émargent pas aux critères proposés.
1 — Présenter un contenu accessible et scientifiquement correct
C’est le critère le plus évident. Il faut fournir des explications au plus proche de ce que dit la science, sous une forme débarrassée du jargon technique, éventuellement ludique ; en tout cas qui encourage la curiosité et le partage. Quand le propos n’est pas clair, c’est qu’il est peut-être mal compris ; pire peut-être n’est-il pas scientifique. Et pour reconnaître si ce premier critère est respecté, on a besoin des 4 qui suivent…
2 — Être attentif à la manière dont son travail est compris
Cela veut dire lire les commentaires et les critiques faits sur son travail. Il faut corriger et expliquer les éventuelles erreurs. Si l’information est mal comprise, il faut probablement changer sa manière de l’expliquer. Bref, le passeur de science doit savoir se remettre en question. Les articles et les vidéos qui ne sont pas ouverts aux commentaires, et ceux où les commentaires pointent des problèmes sans recevoir de réponse doivent susciter la prudence.
Accessoirement le vulgarisateur n’est pas seul dans l’univers, et s’il est dans l’impossibilité de lire tous les commentaires (ça arrive), il peut néanmoins souvent compter sur une communauté de scientifiques prêts à relire ses brouillons et à lui suggérer reformulations et corrections (cf critère n°3).
3 — Créditer ses sources
Si la publication est l’explication d’un ou plusieurs articles de recherche, l’auteur doit citer ces articles. Si des ouvrages l’ont aidé à rédiger son contenu, il est préférable de les citer également, non seulement par respect de leur travail, mais aussi de manière à retracer toute erreur potentielle. Il faut également créditer les experts qu’il aura sollicités pour compléter / corriger son travail. Créditer les sources est aussi le meilleur moyen de rendre compte du fonctionnement collectif de la science, et d’écarter les clichés sur les découvertes providentielles et les génies incompris.
4 — Expliquer la méthode mise en œuvre pour obtenir les connaissances vulgarisées
C’est-à-dire ne pas se limiter à des collections de fun facts (pour distrayantes ou passionnantes qu’elles puissent être) mais partager aussi avec le public une partie du cheminement des chercheurs, les raisons pour lesquelles on peut avoir confiance dans la connaissance ainsi produite. Cet aspect est important, car c’est la méthode de validation des connaissances qui rend la science différente des autres activités humaines.
5 — Être exemplaire dans son rapport aux faits et aux théories scientifiques
La science produit des connaissances imparfaites et provisoires sur le monde. Les théories scientifiques n’ont rien de dogmatique, et certaines sont solidement étayées quand d’autres sont fragiles. L’évolution des connaissances passe nécessairement par la remise en question des « vérités de science » admises par le passé. La confiance que l’on peut accorder à la démarche scientifique dépend de la compréhension que l’on a de ses mécanismes d’autocorrection.
Pourquoi une telle liste de critères ?
On pourrait considérer qu’il suffit d’être passionné et honnête pour faire de la bonne vulgarisation, sans s’encombrer d’autant de principes rébarbatifs dont les lecteurs-spectateurs n’ont que faire. L’article ou la vidéo de vulgarisation n’est pas un mémoire universitaire, on pourrait arguer que des sources n’apportent rien de plus. Pire, on pourrait considérer que le consommateur a la responsabilité de bien choisir ce qu’il consomme ; charge à lui de ne pas confondre une publicité ou un message à caractère sectaire avec une véritable publication de vulgarisation scientifique.
Mais il n’est pas raisonnable d’argumenter de la sorte, puisque c’est réclamer de la part de l’audience un comportement qui est précisément celui que la vulgarisation a pour but de susciter. Quel pourrait être l’intérêt d’exiger du public qu’il possède une compétence qui est celle qu’on se propose de l’aider à acquérir ?
Le vulgarisateur, surtout s’il a une large audience, est un influenceur. Sa parole acquiert une autorité qui n’est pas corrélée à sa qualité mais à la familiarité du public envers lui, à sa popularité. Un lien affectif s’établit entre le vulgarisateur et son public. On appelle effet de halo le phénomène par lequel une qualité que possède un individu modifie la perception que l’on a de ses autres qualités. Le public peut s’habituer à croire le vulgarisateur simplement parce que c’est lui. Sa responsabilité est alors de dissoudre cet effet de halo et de rappeler aux gens les vraies raisons pour lesquelles ils peuvent croire ce qu’il leur dit.
C’est en donnant les sources des informations / découvertes / théories qu’il partage qu’il peut le mieux assumer la responsabilité de la confiance qu’il inspire aux gens. Naturellement, rien ne le contraint légalement à assumer cette responsabilité, et seule l’éthique personnelle de l’influenceur lui dictera sa conduite ; mais alors revient au public la responsabilité d’être exigeant envers ceux à qui il veut pouvoir faire confiance.
De l’utilité d’une telle précaution pour le vulgarisateur.
Tôt ou tard, le vulgarisateur commettra une erreur, car nul ne peut prétendre à l’infaillibilité. Que cette erreur soit une simple mésaventure, un impondérable événement, ou au contraire une retentissante catastrophe dépend en partie de la manière dont son public aura appris à recevoir sa parole, à en douter raisonnablement, et à garder en mémoire que les erreurs arrivent, qu’elles font partie intégrante du processus scientifique, et qu’elles ne sont pas graves en soi dès lors qu’on peut les identifier, retracer leur origine et leur apporter une juste correction.
Le vulgarisateur n’est pas un perroquet ou un traducteur, il communique avec les gens, il passe avec eux un contrat tacite de confiance, et il doit en donner les gages, sinon comment serait-il différent des gourous, des vendeurs de billevesées, des médiums, des charlatans, des télévangélistes qui prétendent savoir des choses qu’ils ne savent pas, et vendent très cher ce faux savoir ?
La médiation des savoirs implique une responsabilité partagée. En dernier recours, c’est toujours le public qui est juge. Charge à lui, par conséquent, de se donner les moyens de ne pas croire n’importe qui n’importe comment.























































