Et de l’importance du contexte dans la pratique de la pensée critique.
Buzzer or not buzzer ?
Imaginons qu’un vidéaste du web soit accusé par un autre de manipuler son public, de présenter un travail sous une forme sensationnaliste, excessive, dans le but de faire passer une information simple et banale pour un scoop (sous-titre : « NOTRE FILM SECRET »).
C’est le petit drame des derniers jours sur la plateforme Youtube. Guilhem présente une vidéo à charge contre une autre vidéo réalisée par un petit groupe (Osons Causer, Autodisciple, et « Le corps. La Maison. L’esprit »). Il remet en cause leur démarche, leur manière de travailler, leurs méthodes. Puis Autodisciple répond en format vidéo en taguant tout un tas de gens qui ont osé partager la critique de son travail. En somme : effet buzz et retour de buzz. Rien que de très classique…
À lire une courte analyse de l’affaire.
Quelle attitude adopter quand des personnes de la communauté sceptique demandent des comptes sur notre partage de la vidéo à charge ? Doit-on prendre le risque d’alimenter le buzz voulu par ceux-là mêmes dont la méthode de travail nous semble discutable ? Beaucoup des vidéastes épinglés par Autodisciple choisissent d’ignorer purement et simplement sa dernière vidéo. Nous faisons le choix d’y répondre, mais sous la forme d’un article, afin d’éviter d’alimenter la machine à cliquer et d’inviter tout le monde à analyser prudemment les faits. Une mise au point est rendue nécessaire par les allégations (et accusations) lancées dans cette vidéo qui se veut argumentée et dirimante vis-à-vis des critiques. Autant vous dire qu’au départ tout cela ne nous semblait pas devoir mériter beaucoup de notre temps, le partage était une simple invitation à se méfier. Seulement voilà, outre la réaction de Raj (alias Autodisciple) sur laquelle nous allons revenir, ce partage a suscité une certaine incompréhension auprès de membres de notre communauté.
Une erreur ?
La vidéo de Guilhem souffre de nombreux défauts. Son argumentaire revient souvent à des ad hominems, à des accusations qu’il ne prend pas soin d’étayer suffisamment, et ressemble, il est vrai, aux clashs devenus habituels. Visiblement, partager une vidéo contenant certains arguments de mauvaise qualité est rédhibitoire pour beaucoup d’entre vous, et c’est compréhensible étant donné la constance avec laquelle nous appelons nous-mêmes à rejeter les mauvais arguments. Nous étions conscients de ces défauts quand nous avons partagé avec pour seul commentaire
« Dans la rubrique « éducation aux médias », voici un exercice sur le petit monde de Youtube.».
De toute évidence, nous aurions dû être plus clairs et souligner d’emblée les problèmes pour mieux faire comprendre que, malgré ses défauts, l’analyse nous semblait valoir le coup d’être écoutée et prise en compte. Vos critiques sur ce point étaient justifiées.
Nous invitons tous ceux qui l’ignorent à jeter un œil à notre série « Le Point dans la Tronche » où nous revenons sans état d’âme sur des vidéos précédentes pour en corriger certains points, les compléter, les nuancer, car nous avons pleinement conscience d’être faillibles. Nous ne sommes pas les derniers à reconnaître une erreur quand nous la commettons. Et notre erreur, dans le cas présent, a été de ne pas contextualiser suffisamment cette sélection initiale , et sans doute de n’avoir pas choisi la vidéo de Projet Utopia qui propose une analyse similaire et plus propre sur le plan de la rhétorique. C’est la vidéo de Guilhem que nous avons partagée parce qu’après l’avoir vue, il nous semblait utile de le faire, et nous ne pensions pas (naïfs que nous sommes) que l’affaire s’envenimerait.
Notre ligne éditoriale est de parler avec tout le monde, d’échanger avec des pyramidologues (Pouillard et Grimault) des évangélistes, des médias alternatifs (Méta TV), des spirites (vidéo à venir). Toujours avec le souci de ne pas faire le jeu de l’idéologie de celui avec qui l’on parle pour se concentrer sur sa méthode de travail et de discrimination entre vrai et faux. Le débat sous format vidéo n’est une option que si certaines conditions sont réunies. Nous ne débattrons sans doute pas avec Raj comme certains ont pu le suggérer, parce qu’en l’état actuel des choses nous considérons que ce serait jouer un jeu pernicieux et que l’on ne pense rien de bien sur la sincérité (et l’efficacité à long terme) de sa démarche. Cette opinion sera étayée dans la suite de l’article.
La vidéo de Guilhem
Nous avons partagé la vidéo où Guilhem attaque la manière dont un groupe de vidéastes prétend avoir « hacké la commission européenne » et entend dénoncer des menaces de censure de Youtube.
Guilhem ne prétend pas faire de zététique et, nous l’avons dit, sa vidéo à charge comporte pas mal de défauts et d’arguments vaseux, mais aussi des éléments d’analyse qui soulignent le hiatus entre les effets d’annonce de cette vidéo et son réel contenu. Il faisait aussi allusion à une volonté de se mettre en avant, d’organiser le scandale à tout prix et de faire le buzz.
C’est là qu’entre en jeu un concept d’une importance capitale : le biais sophistique
Le biais sophistique : Parce que tu as utilisé un sophisme, alors tu as tort.
Des dizaines de commentaires négatifs nous ont été adressés. Quelques insultes et accusations grotesques de la part d’internautes inconnus de nos réseaux ont côtoyé des questionnements sincères, des doutes sur notre objectivité. Nous avons perdu quelques abonnés et soutiens sur Tipeee. Soit. Cela arrive. Nous assumons. Parmi ceux qui se sont plaint (légitimement) des défauts de la vidéo partagée, certains ont commis l’erreur de nous reprocher le partage parce que Guilhem avait simplement tort, voire d’exiger des excuses. D’autres, plus avisés, nous ont demandé de justifier ce partage.
Nous pensons que Guilhem a mis le doigt sur un certain nombre de problèmes sérieux dans la manière dont Osons Causer, Laetitia et Autodisciple présentent les faits et se mettent en scène. Nous avons estimé utile que notre public en prenne connaissance.
Beaucoup d’internautes ont réagi négativement au message de Guilhem parce qu’il n’a pas respecté les règles d’une bonne rhétorique. C’est compréhensible, mais c’est une erreur, car c’est une posture élitiste qui interdit à ceux qui ne maîtrisent pas les règles de la rhétorique de se faire entendre. Le principe de charité exige de ne pas se focaliser sur les erreurs de celui ou celle qui vous contredit mais de chercher à comprendre ce qu’il veut dire réellement afin de voir s’il ne pourrait pas avoir raison. Du reste, nous ne jouissons pas d‘une vision prophétique car nous ne sommes pas les seuls à pointer l’aporie de la démonstration de Pardon Youtube et de la constellation de vidéos-buzz qui l’ont accompagné. Un certain nombre de commentateurs en attestent.
La vidéo de Projet Utopia
Nous n’avions pas vraiment envie de nous pencher personnellement sur cette affaire, d’écrire dessus, d’en livrer une analyse (notamment parce qu’on a plein d’autres choses en cours, et qu’on n’aime pas bâcler ce qu’on propose au public). Nous avons donc retrouvé une autre vidéo mieux argumentée, plus factuelle et analytique, et l’avons partagée également. Ce travail, publié avant la sortie de la version longue de « pardon Youtube » semble avoir convaincu davantage nos abonnés, il serait donc bon que ceux qui ne l’ont pas encore fait la visionnent, ils comprendront quelle partie des propos de Guilhem nous soutenons.
Distinguer les registres
Quelques jours plus tard, Autodisciple réagit dans une vidéo (écrite de concert avec Osons Causer et Laetitia). Cette réaction ne nous convainc pas, mais avant d’expliquer pourquoi, permettez que soient écarté le scénario d’un conflit économico-politico-idéologique. Nous n’avons pas exprimé le moindre grief contre les idées publiquement défendues par qui que ce soit.
Les idéaux, les affections politiques, le combat idéologique de Osons Causer ne seront pas critiqués ici. Visitez la section Idéologie de ce blog pour constater la ligne éditoriale consistant à bien souvent critiquer un discours qui ne nous dérange pas dans sa finalité mais bien sur la démarche employée (cf article sur Yourovsky ou sur les SJW).
Critiquer la méthode d’Osons Causer, ce n’est pas la même chose que s’opposer à leurs valeurs ou aux objectifs qu’ils disent défendre, un raccourci manichéen trop souvent rencontré. Les gens qui pensent que le combat de ces vidéastes est important doivent avoir à cœur la qualité avec laquelle ce combat est mené, sans facilité, sans diffamation, sans entourloupe.
Quand un groupe comme celui qui est à l’origine de « Pardon Youtube » déclare travailler à dévoiler les rouages d’un système qui opprime les plus faibles, à mettre en évidence les injustices, les inégalités et prétend promouvoir les idées de ceux qui combattent pour plus de justice sociale, on s’attend à ce qu’il se concentre sur son travail de première importance et ne s’attarde pas en chicanes futiles contre ceux qui le critiqueraient. On s’attend à ce qu’un groupe ayant à cœur l’amélioration de la société fasse constamment son autocritique afin d’être plus convaincant, plus dans le vrai, et donc plus efficace. Si au contraire le groupe a pour but d’exister médiatiquement, de buzzer facilement en faisant du name dropping, il se comportera exactement comme les vidéastes au sujet desquels nous avons publiquement nourri des doutes.
Le mieux, quand c’est possible, est sans doute de se livrer à une analyse factuelle sans digresser vers les qualités ou les défauts des individus. C’est ce qu’a fait la chaîne Raisonnance.
Évacuons une autre question : ce n’est pas par amitié que nous avons partagé cette vidéo. Nous avons croisé Guilhem à une convention et échangé quelques mots, là s’arrêtent nos relations personnelles au moment de ce partage. Et oui, nous savions que sa vidéo n’était pas parfaite du tout en termes de rhétorique, cependant…
Ad hominem versus ad personam
Il existe une nuance importante entre l’ad hominem et l’ad personam.
L’attaque ad hominem consiste à renvoyer votre interlocuteur à son titre, à son statut, à ses propres actes et ses propres déclarations passées. C’est un argument qui s’intéresse à la cohérence de l’individu, à son identité plus qu’à son discours. C’est très souvent fallacieux, mais pas toujours, car il ne faut pas confondre cela avec l’ad personam qui consiste simplement à salir l’autre, à le rabaisser, l’injurier et attenter à sa dignité. Nous avouons d’ailleurs avoir confondu ces deux notions dans le live avec Jacques Grimault, en étiquetant ad hominem les attaques ad personam dont il s’est rendu coupable.
Guilhem commet des ad hominems assez nombreux dans sa vidéo, mais il ne s’agit pas nécessairement d’un sophisme dans la mesure où l’honnêteté et les qualités personnelles des personnes critiquées sont précisément ce qui est en jeu. Quand Guilhem rappelle que Raj s’est fait connaître sur Youtube en réalisant des vidéos de drague, il pose la question de son éthique personnelle. Il le fait à raison. Quand il rappelle qu’Autodisciple vend des formations 200€ sur « comment réussir sur youtube », qu’il multiplie les vidéos sur le marketing et joue le coach de vie, ce n’est pas innocent. Sa dernière vidéo en date « Comment aborder un(e) inconnu(e) n’importe où ? » propose de donner au spectateur une leçon de manipulation. Libre à lui de le faire, bien sûr. Libre aux autres d’estimer si cela plaide en faveur de l’honnêteté de sa démarche dans un contexte où elle est remise en cause. Cela ne prouve rien, néanmoins, évitons de nous rendre coupable du fallacy fallacy.
Sur le chapitre de la rigueur, Autodisciple est habitué aux déclarations anti-scientifiques, comme celle sur les OGM, il y a 5 mois. Il défend la thèse de la nocivité des OGM et fait preuve d’une très mauvaise connaissance du sujet. Il est intéressant de noter qu’il l’a fait en « réaction » à une vidéo de Dirty Biology en prenant soin de taguer le vidéaste. Il reçoit par la suite de longs commentaires argumentés (notamment de Bunker D et de Hygiène Mentale) lui montrant où il s’était trompé, c’est-à-dire environ partout, et sa réaction est de… poster une nouvelle vidéo pour revenir sur le sujet et conclure que les OGM ne sont pas nocifs, mais que s’ils l’étaient ce serait très grave. À cette occasion, sa chaîne est apparue dans quantité de feed (dont le nôtre) non pas en vertu de la qualité de son contenu (pas travaillé, pas sourcé, pas fiable) mais parce qu’il a « hacké » Dirty Biology afin de faire du buzz facile en profitant de la taille de la communauté de Léo. En tout cas cela y ressemble assez pour qu’on évoque cette interprétation et qu’elle soit ajoutée au dossier visant à contextualiser le travail de Raj. J’ai eu l’occasion moi-même (Mendax) de tweeter publiquement à Raj que ses agissements étaient impossibles à différencier de ceux d’un wannabe gourou et ses réponses n’ont pas été de nature à me rassurer. La prudence semble indispensable.
Du côté d’Osons Causer, des réserves semblent également nécessaires étant donné, notamment, les circonstances qui ont entouré leur départ du collectif « On Vaut Mieux Que Ça » (le désaccord est explicité ici par Dany Caligula.
En raison de leur goût jugé excessif pour l’exposition médiatique sur les plateaux de ceux que Serge Halimi a été le premier à qualifier de « nouveaux chiens de garde », plusieurs personnes ont été écartées du collectif On Vaut Mieux Que Ca. L’équipe de Osons Causer en faisait partie. Après ce départ, ils ont eu la bonne idée de signer un contrat pour la vente d’un livre intitulé… « On vaut Mieux que Ca », un manifeste politique de 38 pages qu’ils sont allés présenter… à la télévision. Le tout sans jamais avertir les membres du collectif OVMQC. Ces méthodes sont de nature à instaurer un doute raisonnable sur la cohérence entre le comportement des individus et les valeurs qu’ils disent défendre. C’est ce doute que nous estimons précieux de communiquer, car il est la seule défense contre la manipulation que nous soupçonnons d’être à l’œuvre (à tort ou à raison).
Sur sa chaîne « La Maison. Le corps. L’esprit. » Laetitia publie quotidiennement des pensées, des opinions, du bon sens sans mettre en place une méthode garantissant la véracité des informations transmises (ici, sur la chaîne de quelqu’un d’autre elle dit que les bonbons font « exploser les neurones »). La faible rigueur de son travail nous semble constituer le seul véritable indice que l’interview de Juncker organisée par Youtube était bien un coup de communication : elle n’a pas le profil de quelqu’un capable de déstabiliser le Président de la commission européenne (peu de vidéastes l’auraient vraiment convenons-en).
Du reste, Juncker a-t-il été gêné par ces questions déjà entendues des dizaines de fois ? Non. Laetitia n’a jamais rebondi sur les réponses, montré en quoi elles étaient des esquives, illustré les contradictions de l’homme politique, bref elle n’a pas été compétente face au talent oratoire du politicien. C’était tout à fait prévisible, et l’exercice étant très difficile on ne lui jettera pas la pierre. Le problème n’est donc pas là. Le problème c’est que l’équipe de « Pardon Youtube » voulait du scoop, équipée qu’elle était de caméras cachées. Et devant le pchit flagrant de l’interview, ils ont décidé de crier au scandale en traduisant en menace de CENSURE ce qui est plus exactement un recadrage, voire une pression explicite de la part de l’entreprise Youtube. Mais on se demande qui pouvait bien ignorer qu’une entreprise confiant l’interview d’un personnage politique important à une vidéaste qui ne fait pas partie de ses employés aura tendance à vouloir s’assurer que l’événement ait de bonnes retombées sur son image. Que le documentaire confirme les idées de ses spectateurs, cela ne signifie pas qu’il démontre ce qu’il prétend démontrer.
Bref. Dans cette affaire, s’intéresser à l’historique des personnes impliquées, à leurs profils, à leurs qualités et défauts est utile pour reconstituer un élément crucial quand on pratique la pensée critique : le contexte.
Le problème de la confiance.
Sans une bonne connaissance du contexte, il est difficile de savoir à qui se fier. Faut-il « croire » Guilhem et sa vidéo en partie mal argumentée ou la réponse de Raj avec sa vidéo en partie mal argumentée ? Sont-ils à égalité ?
Quand Guilhem ou Dany Caligula dénoncent Raptor Dissident, l’agressivité de ce dernier, ses outrances suffisent à confirmer une partie des reproches qui lui sont faits. La critique est audible quand bien même elle ne serait pas impeccable du point de vue de la rhétorique. Dans le cas qui nous occupe, c’est bien plus compliqué parce que beaucoup de gens veulent croire Osons Causer et Autodisciple. C’est parfaitement compréhensible. Puisque leurs discours sur les réseaux défendent une certaine idéologie, ou tout du moins certaines valeurs, ceux qui se reconnaissent dans ces valeurs veulent que ces vidéastes soient respectables. Rien d’anormal : le même phénomène joue certainement auprès des abonnés de la Tronche en Biais qui accordent du crédit à la parole de l’équipe de cette chaîne. Cette confiance a priori est utile, elle est au cœur de la dynamique de notre travail. Nous avons besoin d’inspirer confiance au public pour lui demander de nous suivre aux limites de sa zone de confort pour aborder des sujets plus délicats que d’autres. Parfois ça fonctionne, d’autres fois c’est la loose. Mais sans confiance, nous perdons le lien avec le public qui nous permet de tenter de jouer un rôle dans l’évolution de sa représentation du monde, pourvu qu’on se garde des effets pervers des arguments d’autorité.
C’est parce que nous attachons beaucoup d’importance à ce lien de confiance que nous sommes un peu obligés de réagir et de ne pas simplement faire le dos rond en attendant la fin du grain. Le stoïcisme n’a pas que des vertus.
Pourquoi la réaction d’Autodisciple pose problème ?
Nous n’entrerons pas ici dans une décortication en détail des sophismes commis par Raj dans cette vidéo. D’abord demandons-nous ce qu’on était en droit d’espérer de la part d’un vidéaste honnête ayant à cœur d’être avant tout factuel, précis et prudent.
Si une dizaine de vulgarisateurs des sciences partageaient une vidéo extrêmement critique envers notre travail, nous n’y trouverions motif à aucune gloire et ferions aussitôt notre autocritique. Par exemple nous n’axerions pas la totalité de notre réponse sur une mise en accusation de ces vidéastes en les qualifiant de « chiens de garde de Youtube » dans le titre de la vidéo et en mettant leurs visages sur la miniature YT.
Comme Autodisciple le rappelle ici, les vidéastes qui se montrent très critiques envers leur démarche sont nombreux : Nota Bene, Dirty Biology, Linguisticae, Hygiène Mentale, Usul, Dany Caligula, Histoire Brève, Boidin, Samuel Buisseret, La Tronche en Biais… (et ajoutons Raisonnance et Projet Utopia). Ils sont disséminés aux quatre coins de la France, ne collaborent entre eux qu’occasionnellement, ne sont pas nécessairement d’accord sur tout et débattent parfois sur les réseaux (cf notre article assez corrosif envers la vidéo de Dany sur l’athéisme), voire ne se connaissent même pas pour certains. La plupart ne monétisent pas leurs vidéos. La plupart sont plutôt sévères à propos du fonctionnement de YT, voire militent pour dégoogliser Internet, et tous sont plutôt reconnus pour la qualité de leur esprit critique. Mais soudain, les voici transformés en une « clique » de lobbyistes pro-Google dans la bouche d’Autodisciple et de ses amis parisiens co-auteurs de sa vidéo et, pour certains, habitués à fréquenter le Youtube Space (#ironie).
Ceux qui prêtent une oreille favorable aux arguments de Raj doivent prendre conscience que sa rhétorique est une forme larvée de discours conspirationniste, fondamentalement manichéen et simpliste, mais redoutablement efficace pour endormir l’esprit critique et susciter l’adhésion. Là encore, notre message est un appel à la prudence.
Il n’y a pas dans la réaction de Raj une volonté de dialogue, d’explication, d’apaisement. Après tout, il leur était possible de contacter les vulgarisateurs pour leur demander la raison de leur partage de la critique de Guilhem, essayer de comprendre ce qui posait problème, rectifier le tir et rétablir la confiance. Par exemple Hygiène Mentale et d’autres sceptiques leur ont souvent fait part de dérives intellectuelles en message privé, sans jamais les montrer du doigt en public sur leurs énormités pseudo-scientifiques.
Ils ont choisi la culture du clash, meilleure formule du moment pour gagner des abonnés. On doit au moins reconnaître leurs talents dans le marketing et pour la diversion. Car avec tout cela on en oublie le fond : pourquoi autant de vidéastes sont-ils sévères avec le travail d’Autodisciple, Laetitia et Osons Causer ?
L’abjecte diffamation
Dans la vidéo de réponse « Encore Pardon, etc » Raj émet un certain nombre d’accusations envers les vidéastes critiques, mais il franchit la ligne de la diffamation quand il donne un motif intéressé à leurs critiques et évoque la « taxe Youtube ». Voici ce qu’il dit à son public :
« Une grande majorité d’entre eux se sont retrouvés pour une opération de lobbying ou d’influence politique pour qu’une taxe Youtube en préparation revienne en partie aux Youtubeurs, c’est-à-dire à eux… c’est une petite clique qui a bien compris et bien identifié ses intérêts communs… comportement de chiens de garde de Youtube. »
Le conspirationnisme larvé est encore à l’œuvre. On a bel et bien l’impression d’une collusion d’intérêts, d’une intelligentsia qui s’organise pour étouffer toute critique de la plateforme afin de s’assurer un maximum de revenus, et qui implique tous les signataires. Mais c’est une hypothèse coûteuse, et on doit a minima se demander si Autodisciple et consorts ne sont pas en train d’essayer de nous la jouer à l’envers. Pour le savoir, il suffit de s’intéresser à ce qu’est réellement la liste de signatures montrée à l’écran.
Le PS est à l’origine de cette taxe qui n’arrange pas du tout Youtube (vu que c’est lui qui va la payer) dans le but de récupérer de l’impôt sur la publicité. Une petite partie de cet argent est destiné au CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). Le CNC a souhaité intégrer des « Youtubeurs » dans la discussion pour aider à définir le modèle de répartition le plus juste possible. La vidéo-pétition de RealMyop avait pour but de soutenir la proposition PS de cette taxe, afin que l’argent récolté revienne en partie aux créateurs de contenu sur Youtube, pour plus de diversité de l’offre sur ce média ; c’est donc un soutien aux petites chaînes. Le message a circulé dans les réseaux des vidéastes (qui ont très souvent des contacts en commun, c’est logique) et un certain nombre l’ont signé, comme d’autres (en partie les mêmes) ont soutenu en son temps le rapport Reda. Nous parlons d’une taxe qui prélève de l’argent sur le modèle publicitaire de YouTube pour renflouer les caisses de l’état et le redistribuer un peu à des créateurs. Combien des spectateurs de la vidéo de Raj ont-ils compris cela ?
Autodisciple s’adonne à un confusionnisme malsain en laissant entendre que nous serions collectivement à l’origine d’un projet de nouvelle taxe dans le but de bénéficier des sommes perçues. C’est une atteinte à notre dignité fondée sur des informations fausses. C’est pas joli. C’est la culture du clash et de la pensée conspi. Et c’est une mauvaise explication à donner aux critiques sévères formulées par ces vulgarisateurs.
Pourquoi sont-ils critiqués ?
L’équipe de Pardon Youtube a monté en épingle un événement. Le lobbying existe, les pressions sont multiples, et pour tenter d’y répondre, d’y résister, mille initiatives sont possibles, y compris celles qui consistent à dénoncer les pressions, à expliquer comment le système se maintient en place. C’est important de le faire, c’est donc important de le faire bien. Mais avec ce documentaire, nous nous retrouvons dans le storytelling où à partir d’une thèse à démontrer « Youtube est un géant mal intentionné » on utilise tous les éléments disponibles pour raconter une histoire. La méthode du cherry picking à l’œuvre permet de raconter tout ce que l’on veut dès lors qu’on choisit bien les ingrédients (Cf Opération Lune). Les vulgarisateurs impliqués dans cette polémique ne sont pas dupes des techniques ici utilisées, et ils réagissent en conséquence. La réponse de Raj est-elle de nature à réfuter les soupçons ou correspond-elle à ce qu’on peut attendre si le point de vue critique est proche du vrai ? C’est là que nous devons nous en remettre à votre esprit critique à vous.
Résumé
Ce n’est pas parce que l’équipe de « Pardon Youtube » commet des sophismes qu’ils ont forcément tort, et du reste nous pouvons nous tromper dans notre analyse. Mais pour le moment un certain nombre de faits demeurent, qui étayent notre présente analyse.
L’équipe de Pardon Youtube :
- Tente de mettre Juncker en difficulté et de démontrer le lobbying entre Google et la Commission Européenne.
- Échoue à déstabiliser Juncker.
- Mise tout sur la dénonciation du lobbying de Google. Monte en épingle une banale (et regrettable) tentative de pression, la transforme en menace de censure. Placarde partout les mots « censure » et « menace ».
- Se fait allumer par les vidéastes qui connaissent un peu les techniques de narration et ont repéré l’opération de marketing et ses grosses ficelles.
- Répond en mettant la tête des vidéastes connus sur leur miniature pour un nouveau buzz.
- En profite pour diffamer les signataires d’un document demandant à ce que l’argent ponctionné à YT puisse bénéficier aux créateurs de contenu (comme si ce combat était concurrent du leur).
- N’exprime aucune forme d’autocritique.