Nous vivons tous dans un monde de concepts construit par notre cerveau à partir de nos perceptions de notre environnement. Nous le faisons assez efficacement, car la sélection naturelle s’est assuré d’éliminer continuellement ceux qui n’en étaient pas capables.

Si votre objectif est de gagner le débat, d’impressionner, de remporter l’adhésion, de disqualifier votre adversaire, vous trouverez ce qu’il vous faut dans le best-selller « l’art d’avoir toujours raison » d’Arthur Schopenhauer. Si au contraire, vous estimez plus important de gagner au débat que de gagner le débat, si vous estimez important de penser contre vous-même et de vous défaire de vos idées quand elles sont fausses, alors vous choisirez sans doute d’appliquer les règles proposées ci-dessous.

Nous proposons ces 10 commandements par allusion à une célèbre liste dont nous avons parlé dans un autre article (Les 10 commandements et la morale). La liste ci-dessous n’a rien d’exhaustif, puisque selon les sources on dénombre 20, 50, et jusqu’à 180 types de biais cognitifs et d’erreurs logiques dont Homo sapiens se rend coupable quotidiennement. Mais il faut bien commencer quelque part, et nous vous invitons à la partager.

 

1. Tu n’attaqueras point la personne ou son caractère, seulement l’argument.

L’argument ad hominem (Cf dictionnaire sceptique) consiste à souligner qui est le contradicteur, sa position, ses conflits d’intérêt, ses déclarations passées, ses contradictions. C’est bien souvent fallacieux, mais pas toujours. Selon les sujets, la remise en question de l’honnêteté de la démarche du contradicteur peut s’avérer la chose à faire. Il est rarement souhaitable, toutefois, de procéder ainsi pour réfuter une thèse.

L’argument ad personam, lui est toujours un sophisme. Il s’agit d’établir que le contradicteur possède tel attribut qui rendrait son discours nécessairement faux.

« Ce type a une tête de fouine, comme tous les menteurs. C’est donc un menteur, donc tout ce qu’il dit est faux. »

2. Tu ne feras ni fausse représentation ni exagération de l’argument d’une personne afin de le rendre plus facile à défaire.

L’Homme de paille (ou épouvantail) consiste à déformer la thèse adverse, à la présenter sous une forme affaiblie, voire absurde afin d’en souligner la faiblesse et de pouvoir conclure qu’elle est fausse.

« Les adversaires de l’astrologie prétendent que les astres n’ont pas d’influence sur nous. Allez donc demander aux marins si la Lune n’a pas d’influence sur les marées !»

3. Tu n’utiliseras point un faible effectif afin de représenter l’ensemble.

Nous avons facilement tendance à tirer des conclusions générales à partir de cas particuliers, et notamment à argumenter à partir d’anecdotes. La généralisation abusive est une forme de non sequitur (cf commandement 9)

« C’est le troisième tueur en série chez qui on retrouve de nombreux jeux vidéos, donc les jeux vidéos rendent violents.»

Étonnamment, les gens font rarement remarquer que chez presque tous les assassins, on retrouve du shampoing ; le shampoing rend-il violent ?

4. Tu n’argumenteras point ta position en présumant la véracité de l’une de ses prémisses.

Dans un argument, les prémisses sont des propositions proposées comme vraies, mais non démontrée. L’exemple classique est :

  1. Les hommes sont mortels
  2. Socrate est un homme
  3. Donc Socrate est mortel

La conclusion (3) est vraie si les deux prémisses (1 & 2) le sont également. Dans le cas qui nous occupe nous n’avons aucune raison de douter des prémisses, mais ce n’est pas toujours le cas, et parfois l’argument est formulé de telle manière que ce que l’on cherche à démontrer est contenu dans les prémisses et pas dans la démonstration. On parle alors de Pétition de principe.

« Les phénomènes paranormaux existent parce que j’ai eu des expériences qui ne peuvent être considérées que comme paranormales. »

5. Tu n’argumenteras point que, parce que telle chose s’est produite avant telle autre, elle en est la cause.

La terrible séduction de la causalité nous fait voir des liens qui n’existent pas. Nous confondons souvent corrélation et causalité, et nous avons tendance à penser que deux événements, s’ils attirent notre attention et se produise dans un certain ordre, doivent avoir entre eux un lien. C’est le post hoc ergo propter hoc (« après ceci, donc en raison de »).

« J’ai eu mal au ventre pendant trois jours, et puis j’ai pris une sucrette. Dès le lendemain je me sentais mieux. Je ne savais pas que les sucrettes guérissaient le mal de ventre. »

6. Tu ne réduiras point l’argument à seulement deux options.

L’alternative est féconde. Il est rare que devant un problème nous sachions formuler la totalité des choix qui s’offrent à nous. Souvent, nous réduisons ces options à un petit nombre, parfois à deux. Et l’on se retrouve alors devant un faux dilemme.

« Vous êtes pour le capitalisme ou pour le communisme ? »

7. Tu n’argumenteras point qu’à cause de notre ignorance, une affirmation doit nécessairement être vraie ou fausse.

Le monde est infiniment complexe. Nous ne comprenons pas tout, nous ne savons pas tout, et cela risque de durer. Sur les sujet où manquent encore des explications, il est incorrect de vouloir conclure que votre hypothèse est correcte simplement parce qu’aucune autre explication n’est disponible, car c’est commettre un appel à l’ignorance.

« 5% des phénomènes ovnis ne sont pas expliqués, c’est bien la preuve des visites extraterrestres ! »

 

8. Tu ne feras point porter le fardeau de la preuve à celui qui questionne l’affirmation.

Quelle raison me donnez-vous de croire ce que vous dites plutôt que de penser que vous vous trompez ou essayez de me tromper ? Celui qui doute d’une affirmation n’a rien à prouver, et celui qui exige que le sceptique apporte une preuve contradictoire se rend coupable d’une inversion de la charge de la preuve.

« Prouvez-moi que le libre arbitre n’existe pas, sinon c’est qu’il existe. »

Ajoutons qu’une proposition extraordinaire réclame une preuve extraordinaire.

9. Tu n’affirmeras point « en raison de ceci, je peux dire cela » quand il n’y a aucun rapport entre eux.

Le sophisme du non sequitur (« qui ne suit pas ») est commis quand la conclusion ne suit pas les prémisses. Il manque un lien logique entre ce qui est supposé vrai et la conclusion qu’on estime pouvoir en tirer.

« Samuel Christian Friedrich Hahnemann (1755-1843), le fondateur de l’homéopathie, considérait que si une substance produit des symptômes similaires à ceux produits par une maladie, cela impliquait que cette substance, en quantité infinitésimale, allait combattre les symptômes de ladite maladie. La conclusion de Hahnemann ne découle pas de sa prémisse.» (dictionnaire sceptique)

10. Tu n’argumenteras point que, parce qu’une prémisse est populaire, elle doit être vraie.

Si beaucoup de gens autour de nous adoptent un comportement, nous aurons tendant à faire comme eux ; on parle de preuve sociale. Pour un animal social comme l’humain, c’est par défaut un comportement plutôt bénéfique. Mais on a déjà vu des gens se tromper, même en état très nombreux. Et la majorité peut avoir tort. Dire le contraire, c’est commettre le sophisme de l’argument ad populum.
« Le dernier livre de Bidule est numéro 1 des ventes ! C’est donc le meilleur livre de la rentrée. »
On pourrait ajouter bien des choses encore, et nuancer les sophismes ici présentés. Mais si déjà tous ceux qui prennent part aux débats public s’astreignaient à ne jamais commettre ces fautes logiques, notre paysage intellectuel s’en trouverait transformé.

À la manière d’Isaac Asimov, imaginons une Loi zéro, un principe fondamental à la recherche d’une meilleure manière d’argumenter. Et empruntons les mots de Nietzche pour la formuler.

0. « Ne jamais rien taire, devant toi-même, de ce que l’on pourrait opposer à tes pensées ! Cela fait partie de la première probité du penseur. »

Critique bien ordonnée commence par soi-même…

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Cet article est inspiré du billet de blog de Relatively interesting.

La théorie de l’évolution est extrêmement importante dans l’histoire des idées. À l’heure actuelle, son enseignement pourrait bien être l’une des clefs pour dissoudre les illusions qui alimentent la pensée conspirationniste (agentivité, essentialisme, biais téléologique…). Il est donc capital de promouvoir les initiatives qui en facilitent la compréhension et de se dresser contre ceux qui veulent enseigner le créationnisme pour des raisons idéologiques.

La théorie de l’évolution repose sur des principes très contre-intuitifs. La grande difficulté devant laquelle nous nous trouvons pour expliquer la théorie aux personnes qui la rejettent ou expriment à son endroit un scepticisme très marqué, est que pour bien comprendre la théorie, il faut commencer par accepter ses prémisses. Notez qu’on peut bien sûr en douter, car accepter ne veut pas dire tenir pour absolument certain. Le postulat de base est que la matière s’organise toute seule, sans intervention. Le vivant suit cette règle : cellules, organes, individus, populations sont autant de structures que l’on explique par les propriétés de la matière, sans faire intervenir une volonté ou une finalité. Ceux qui n’acceptent pas de considérer ce postulat comme vrai, même momentanément, s’interdisent de comprendre comment la théorie offre une explication qui dépasse toutes les autres par sa parcimonie et son intégration au corpus des connaissances scientifiques.

Toutefois, ceux qui doutent des principes darwiniens posent souvent des questions intéressantes en ce qu’elles soulignent l’implicite résistance aux concepts-clefs à la source de leurs objections.

« La marche vers le progrès » représentation classique mais très trompeuse.

Ci-après, je reproduis avec sa permission le message de Denis (ce n’est pas son vrai nom) qui m’interroge à ce sujet.

 

Nous devons être d’accord sur le fait que le principe scientifique fondateur d’une théorie est le suivant:
Celle-ci découle du besoin de compréhension d’un ou plusieurs phénomènes et de certains sujets difficiles qui se présentent à nous.
Elle se fonde sur des bases prises de la nature.
Dit autrement, Une théorie scientifique a pour objectif d’expliquer un phénomène difficile à comprendre, à l’aide de sujets et d’explications s’appuyant sur des preuves expérimentales (…).
L’une des formidables possibilités que possède une théorie est qu’on peut tester par l’expérience le bien-fondé de ses conclusions.

Il en va un peu de même pour notre sujet ou finalement, les choses ont commencé de la manière suivante:
Nous nous sommes demandé comment autant de catégories et d’espèces peuvent se retrouver dans la nature, dans le minéral, le végétal, l’animal et dans l’humain.
Nous avons alors pensé supprimer en quelque sorte cette question par une théorie qui avancerait qu’au début ne se trouverait que des organismes très simples, unicellulaires.
Et c’est de ce point de départ, qu’au court du temps, se sont formé des êtres plus complexes. A partir d’un être monocellulaire ont été créé les grands animaux, puis les hommes etc…

Pour que cette théorie soit qualifiée de scientifique, elle doit en remplir en quelque sorte, les conditions :
– L’évolution d’un être simple a un être composé et complexe doit être un observé dans la nature (ou constaté)
il n’existe aucun témoignage ou preuve scientifique sérieuse mentionnant avoir observé ou déduit l’évolution d’un être vers un autre.
Ce que l’on a observé à ce jour (et Darwin le disait dans son livre bien connu), c’est de légers changements dans certains membres
et de plus, on a appuyé ces propos en ayant trouvé des squelettes de créatures mortes qui ressemblaient a ceux des créatures vivantes.
Il a été déduit que la meilleure hypothèse était qu’une espèce a évolué a partir d’une autre. (Colombes et chevaux, vérifiable dans « l’origine des espèces »).

– Un des principaux doute est aussi que le modèle proposée par la théorie de évolution doit être plus clair et plus simple que le fait de croire que tout a été crée a partir de rien.
RIEN dans la nature ne nous permet d’affirmer qu’il est plus facile qu’un être simple se transforme finalement en homme QUE l’homme soit créé ex nihilo.
On pourrait reformuler de la manière suivante : l’explication selon laquelle un ensemble d’atomes et de molécules se sont regroupés au point de donner forme à l’existence d’un homme ne présente pas plus
de difficultés que de dire qu’un ensemble de cellules simples qui ont subi des changements dans leurs conditions de « vie » se sont transformées, au cours du temps, en membres d’un corps, totalement différents
les uns des autres comme le cerveau dans la tête, la pupille de l’œil etc…

Il existe un certain nombre de créatures aussi bien des règnes végétal qu’animal inférieurs dont la durée de vie est très courte et, de ce fait,
l’homme peut expérimenter le cheminement des transformations de leur corps pendant un grand nombre de générations.
De même, l’expérimentateur a la possibilité de changer leurs conditions de vie de façon très importante.
Or, malgré tout cela, les scientifiques n’ont pas réussi à transformer une espèce en une autre et les seuls résultats qu’ils aient obtenus se résument à un changement des propriétés
des végétaux ou des animaux dans une certaine mesure, ou la production d’êtres hybrides par accouplement d’espèces différentes, mais en aucun cas la transformation d’êtres inférieurs en êtres des espèces supérieures.

D’emblée, nous pouvons convenir avec Denis qu’une théorie scientifique est en effet une construction intellectuelle qui doit être mise à l’épreuve des faits, des expérimentations, des observations. La preuve expérimentale est la forme idéale de couronnement d’une théorie scientifique.

Mais quand vient la question à laquelle la théorie est censée répondre selon Denis, on constate un biais :

« Nous nous sommes demandé comment autant de catégories et d’espèces peuvent se retrouver dans la nature, dans le minéral, le végétal, l’animal et dans l’humain.»

Sommes-nous sûrs de l’existence des catégories citées ici ? D’abord le minéral ne fait pas partie du vivant, il n’est pas soumis aux lois de l’hérédité. Ensuite, la distinction végétal-animal est loin d’être nette lorsqu’on s’intéresse aux très nombreuses espèces unicellulaires. La photosynthèse a été inventée à plusieurs reprises avec différents pigments, et certains se retrouvent dans des symbioses impliquant des animaux. Enfin l’humain n’a aucune raison d’être rangé en dehors de l’animal.

La série Minéral-Végétal-Animal-Humain rappelle l’échelle des êtres, qui est une idée désormais révolue, notamment parce qu’elle ne répond pas du tout aux critères de scientificité cités plus haut par Denis. Il ne faut donc pas poser en préalable à l’étude de la nature l’idée qu’elle serait organisée de la sorte, car ce serait partir biaisé. Pour une démarche objective, il faut savoir poser une question au maximum dénuée de présupposés. La question à laquelle la théorie de l’évolution tente de répondre est celle de l’origine de la structure actuelle du monde vivant. Comment se fait-il que les êtres vivants possèdent les caractères qui sont les leurs aujourd’hui (structure, formes, couleurs, tailles, composition, comportements, répartition, etc.) ?

 

« Et c’est de ce point de départ, qu’au cours du temps, se sont formés des êtres plus complexes. A partir d’un être monocellulaire ont été créés les grands animaux, puis les hommes etc… »

Ici, Denis commet une inversion. Ce qu’il appelle point de départ est en réalité une étape déjà bien avancée du raisonnement. D’abord on a constaté la ressemblance des individus entre eux. Plus ils sont apparentés, plus ils se ressemblent. On a constaté chez les espèces domestiques qu’on pouvait obtenir des individus très différents au cours du temps si on sélectionne un caractère et que l’on fait se reproduire entre eux les individus qui possèdent la forme la plus intéressante de ce caractère. Les éleveurs ont ainsi produit des quantités de variétés de plantes et d’animaux très éloignés de leurs cousins sauvages. On a ensuite découvert la richesse des fossiles, ce qui a permis de montrer que plus on remonte dans le passé, moins les fossiles ressemblent aux espèces actuelles. Si l’on remonte très loin, on ne voit plus que des espèces aux morphologies simples comparées à celles que l’on rencontre aujourd’hui. Au-delà de moins 2 milliards d’années, on ne trouve plus que des traces unicellulaires. Ajoutons que, fréquemment, on découvre un fossile ancien qui présente des similitudes avec deux groupes d’organismes qui n’existent que dans des couches plus tardives (des formes dites transitionnelles).

L’énigme de la diversité du vivant

 

À partir de tous ces éléments, l’idée d’évolution s’est imposée : les êtres vivants changent au fil des ères géologiques ; les espèces sont apparentées (existences d’ancêtres communs) ; le plus ancien ancêtre identifiable est unicellulaire. Le concept d’ancêtre commun est donc le résultat d’observations très nombreuses qui ne conduisent qu’à cette seule conclusion possible si l’on tient pour vrais les postulats donnés en introduction.

 

Denis soulève ensuite des objections

Pour que cette théorie soit qualifiée de scientifique, elle doit en remplir en quelque sorte, les conditions :
– L’évolution d’un être simple a un être composé et complexe doit être un observé dans la nature (ou constaté) il n’existe aucun témoignage ou preuve scientifique sérieuse mentionnant avoir observé ou déduit l’évolution d’un être vers un autre.
Ce que l’on a observé à ce jour (et Darwin le disait dans son livre bien connu), c’est de légers changements dans certains membres et de plus, on a appuyé ces propos en ayant trouvé des squelettes de créatures mortes qui ressemblaient a ceux des créatures vivantes.
Il a été déduit que la meilleure hypothèse était qu’une espèce a évolué a partir d’une autre. (Colombes et chevaux, vérifiable dans « l’origine des espèces »).

 

D’abord, on peut poser la question de la signification de « passer d’un être à un autre ». La phrase semble indiquer la préexistence des catégories « être A » et « être B » avant même la naissance d’un seul membre du groupe « être B ». Quand la question est ainsi comprise, les gens demandent en fait à voir un oiseau sortir d’un œuf de lézard, ce qui ne se produira jamais. À une telle demande, nulle théorie ne saurait répondre correctement, car elle porte une incohérence interne ; « passer d’un être à un autre » implique deux états fixes, c’est une vision essentialiste incompatible avec le paradigme évolutionnaire. Il faudrait donc ajouter aux postulats de départ que la théorie implique un regard non-essentialiste sur les groupes taxonomiques.

Mais résumons l’objection ainsi : Denis estime qu’aucune preuve empirique de l’évolution n’existe. Et cela est inexact.

Il existe des travaux mettant en évidence l’apparition de nouveaux caractères dans une population (les bactéries de Lenski ). C’est ce que l’on peut trouver de plus proche de la demande « passer d’un être à un autre ». Naturellement, ces travaux portent sur des bactéries et pas sur des animaux car les processus de l’évolution impliquent un grand nombre de générations et un très grand nombre d’individus.

Sauf que les exceptions existent. Un petit lézard, le Podarcis siculus, a étonné les chercheurs en présentant des modifications suffisantes pour parler de spéciation en l’espace d’une trentaine d’années sur une petite île de l’Adriatique (cf source).

 

Les anti-évolutionnistes vont souvent faire des demandes déraisonnables, exiger que ces résultats soient obtenus à des échelles impossibles à obtenir et déclarer unilatéralement que si leur demande n’est pas satisfaite alors la théorie est fausse.

Mais même en l’absence des travaux de Lenski ou de la spéciation de ce Podarcis, nous disposons de tout un ensemble de faisceaux cohérents. Et c’est la nature de la « preuve scientifique » qui est ici en jeu. Les preuves de la théorie de l’évolution se reconnaissent comme telles dans un réseau très complexe impliquant chimie, géologie, glaciologie, océanographie, climatologie, paléontologie, botanique, zoologie, virologie, embryologie, anatomie, génétique, physiologie, immunologie… Ces disciplines sont à la fois indépendantes et intimement liées par des concepts sans lesquels elle ne peuvent fonctionner. Cela signifie que les succès de l’immunologie valident expérimentalement les concepts que cette discipline partage avec toutes les autres, des concepts qui constituent le squelette de la théorie de l’évolution. On peut donc estimer que chaque expérimentation conforme aux attentes du paradigme scientifique est une nouvelle *preuve* de la théorie de l’évolution. Ces preuves sont de nature indirecte, certes, mais elles sont celles qui établissent la cohérence de notre corpus de connaissance.

Il revient aux anti-évolutionnistes (ou à ceux qui doutent un peu trop) de dire quel phénomène, quel résultat serait par eux accepté comme une « preuve » de la théorie de l’évolution. Malheureusement ils ne le font jamais, et par conséquent personne n’est en mesure de leur donner ce qu’ils sont incapables de décrire. Quand il leur arrive de formuler une telle demande, ils disent attendre un « crocoduck », or une telle créature serait au contraire une anomalie aux yeux d’un biologiste de l’évolution. C’est la raison pour laquelle les anti-évolutionnistes ne sont plus considérés comme des interlocuteurs sérieux par les scientifiques.

Deuxième objection

– Un des principaux doutes est aussi que le modèle proposée par la théorie de l’évolution doit être plus claire et plus simple que le fait de croire que tout a été crée a partir de rien.
RIEN dans la nature ne nous permet d’affirmer qu’il est plus facile qu’un être simple se transforme finalement en homme QUE l’homme soit créé ex nihilo.
On pourrait reformuler de la manière suivante : l’explication selon laquelle un ensemble d’atomes et de molécules se sont regroupés au point de donner forme à l’existence d’un homme ne présente pas plus de difficultés que de dire qu’un ensemble de cellules simples qui ont subi des changements dans leurs conditions de « vie » se sont transformées, au cours du temps, en membres d’un corps, totalement différents les uns des autres comme le cerveau dans la tête, la pupille de l’œil etc…

Il y a ici une incompréhension sur le périmètre de la théorie de l’évolution actuelle ; sur ce qu’elle prétend expliquer. L’abiogenèse est l’étude de l’apparition de la vie à partie de matière non-vivante, pas à partir de RIEN. La théorie de l’évolution telle que nous la connaissons aujourd’hui décrit la manière dont le vivant se reproduit, s’adapte, se transforme au fil du temps. Pour l’heure, elle ne décrit pas les mécanismes ayant abouti à la formation des premières cellules vivantes. C’est pourquoi tant de chercheurs y travaillent. Mais cette incomplétude n’affaiblit pas le pouvoir explicatif de la théorie sur les 4 milliards d’années écoulés depuis l’apparition du vivant.

Si l’on veut prendre une métaphore : à partir d’une scène de crime, les chercheurs ont établi qui était sur les lieux, quels événements se sont déroulés dans quel ordre, et qui a tué le Dr Lenoir. Cette explication fonctionne, quand bien même les enquêteurs ne savent pas comment a été fabriquée l’arme du crime à partir d’atomes de fer et de carbone. La théorie de l’évolution n’est pas une théorie du TOUT. Laissons aux chimistes et aux cosmologistes le soin d’apporter leurs éléments de réponse dans cette grande énigme.

Dans son objection, Denis évoque la « simplicité de l’explication ». La simplicité de la théorie de l’évolution réside dans ses hypothèses de départ, dans les entités qu’il est nécessaire d’invoquer pour rendre compte de l’état du vivant. Les mécanismes de la descendance avec modification couplés à la lutte pour la vie induisant le phénomène de sélection naturelle forment l’explication la plus économe pour rendre compte de la structure de la biosphère.

J’ajoute que nous avons une assez bonne idée de la manière dont l’œil des vertébrés a évolué (un oeil monté à l’envers…).

Evolution de l’œil des mollusques

Troisième objection

Il existe un certain nombre de créatures aussi bien des règnes végétal qu’animal inférieurs dont la durée de vie est très courte et, de ce fait, l’homme peut expérimenter le cheminement des transformations de leur corps pendant un grand nombre de générations.
De même, l’expérimentateur a la possibilité de changer leurs conditions de vie de façon très importante.
Or, malgré tout cela, les scientifiques n’ont pas réussi à transformer une espèce en une autre et les seuls résultats qu’ils aient obtenus se résument à un changement des propriétés des végétaux ou des animaux dans une certaine mesure, ou la production d’êtres hybrides par accouplement d’espèces différentes, mais en aucun cas la transformation d’êtres inférieurs en êtres des espèces supérieures.

 

L’idée de règne végétal ou animal est périmée. L’arbre du vivant se sépare en grands domaines dont les frontières sont plus ou moins floues et entre lesquels des transferts de gènes ont lieu via virus et bactéries. L’utilisation de cette terminologie scalaire n’aide pas à comprendre la complexité et la dense réticulation du monde vivant. On décourage également les termes de « supérieur » et « inférieur » sauf quand ils sont liés à une position dans les couches sédimentaires supérieures ou inférieures. En effet, toutes les espèces actuelles sont au même niveau d’évolution sur le tapis roulant du Vivant. Nous marchons de front dans un mouvement d’ensemble où le challenge est de ne pas se laisser distancer sous peine d’extinction. La question sur les changements en laboratoire a reçu sa réponse avec le cas des bactéries de Lenski et du podarcis.

 

 

Des questions idiotes ?

Le message de Denis est un cas particulier, mais il est représentatif des discussions autour de la théorie de l’évolution. Trop souvent ces débats s’enveniment en une escalade stérile d’accusations et d’horions virtuels. Mais les conversations courtoises elles-mêmes sont jalonnées de soupçons parce que les termes utilisés sont trop souvent mal compris ou trop flous. Ceux qui doutent de la théorie de l’évolution ne posent pas que des questions idiotes. Dans son message, Denis montre un réel questionnement et le désir d’être corrigé s’il se trompe.

La difficulté qu’il y a à lui répondre malgré tout réside à mon sens dans le tableau dressé par les deux citations les plus importantes de la biologie de l’évolution :

« Rien n’a de sens en biologie si ce n’est à la lumière de la théorie de l’évolution. » Theodosius Dobzhansky

« Ce qu’il y a de curieux avec la théorie de l’évolution, c’est que tout le monde pense la comprendre. » Jacques Monod

La situation lucidement présentée par ces deux réflexions est évidemment propice aux quiproquos, aux confusions, aux rationalisations et aux chamailleries. Il est impossible d’avoir un débat intelligent au sujet de l’évolution sans s’assurer que l’on comprend bien les mots et les concepts utilisés par notre interlocuteur. Dans un article précédent, j’ai défendu l’idée qu’il faut « écouter les arguments de m€#$£ ! » car ils nous éclairent sur ce qu’attendent ceux qui les utilisent.

De la même manière, il est utile d’écouter les objections sincères soulevées contre l’évolution et les principes darwiniens, sur la réification de la barrière des espèces et l’étonnante capacité de la matière à s’organiser toute seule. J’imagine que les programmes scolaires actuels et futurs sont ou seront conçus de manière à apporter des réponses à ces interrogations bien naturelles.

Pour ce qui est de ceux d’entre nous qui veulent échanger au sujet de ces questions sur les réseaux sociaux, il me semble utile de rappeler qu’avoir raison ne donne pas tous les droits. Dans un débat contradictoire, la connaissance porte une violence symbolique (je l’ai nommée violence épistémique) qui dresse contre elle des barrières psychologiques. Le meilleur moyen de ne pas activer ces défenses est sans doute d’adopter une attitude d’humilité et de questionnement. Dans ma réponse à Denis, je me suis permis d’analyser ses questions pour y trouver les présupposés, les conceptions implicites afin de lui proposer de les abandonner, en justifiant cette attente par les postulats de la théorie dont il est question. Si notre échange avait été un dialogue, je serais bien sûr passé d’abord par une phase de questionnement pour que Denis exprime lui-même ces présupposés et puisse les écarter ou les argumenter.

 

Pourquoi la critique de la théorie de l’évolution est souhaitable.

Au sein du monde scientifique, les idées sont débattues, âprement, et la critique continuelle assure que les idées fausses soient abandonnées tandis que de nouvelles sont mises à l’épreuves. Mais nous ne vivons pas tous dans le monde scientifique. Nous n’avons pas tous accès aux dernières versions des théories les plus complexes. On peut accepter de faire confiance à la science sans chercher à comprendre le détail de ce qu’elle dit, mais si l’on veut défendre une vision du monde éclairée par la science contre des discours qui empruntent leur autorité à des dogmes, alors il faut que notre pratique du débat ne se retourne pas contre-nous. Et aux critiques envers les théories que nous comprenons assez bien pour tenter de les défendre publiquement, nous devons apporter des explications compréhensibles et calibrées pour répondre, non seulement aux arguments, mais aussi aux conceptions erronées et pas toujours formulées qui sous-tendent l’argumentaire.

Ecouter les critiques envers la théorie de l’évolution est aussi un moyen de se mettre à l’épreuve et de se tenir à jour sur ce que dit réellement la théorie, car nul n’est à l’abri de surestimer la compréhension qu’il en a.

 

 

 

Le casino, temple de l’illusion et de l’instrumentation des mathématiques est un endroit où rationalité rime avec cynisme. Car la rationalité qui prime, c’est celle du propriétaire de l’établissement. Lui ne perd pas d’argent dans l’opération.

Le décorum de ces lieux scintillants et clinquants n’est financé qu’aux dépens de la clientèle à laquelle on fait miroiter des gains effectivement possibles mais peu probables. Or la probabilité est tout, et ceux qui savent combien nos intuitions mathématiques nous aveuglent peuvent vouloir exploiter cette faiblesse et pousser tranquillement l’arbre dans le sens où il penche.

Mauvaise perception du hasard

Que vous jouiez à la roulette ou à n’importe quel jeu de hasard, vous serez frappé par une forme de cécité. Vous aurez tendance à croire, spontanément, que vos chances augmentent à chaque nouvelle partie, à chaque nouvel investissement. Si en lançant une pièce non truquée nous obtenons le résultat :

Face – Face – Face – Face – Face

Au moment de réaliser le sixième lancé, une petite voix nous suggère de parier sur Pile. Or si la pièce n’est pas truquée, Face a toujours 50% de chance de sortir au sixième coup, exactement autant de chance qu’au cours des lancés précédents ou ceux qui suivront. Mais la petite voix qui nous dit le contraire est suffisante pour drainer de grosses sommes d’argent dans des établissements conçus pour vous donner l’illusion que vous avez vraiment raison de jouer exactement comme vous le faites.

Une invention comme la machine à sous est diaboliquement efficace. À chaque petite pièce glissée dans la fente, le joueur s’engage un peu plus à continuer à jouer, car chaque pièce alourdit la perte potentielle que représenterait l’arrêt du jeu. C’est le biais d’aversion à la perte. Quand on a misé trente pièces, on se dit que ce serait dommage de ne tenter encore 3 ou 4 fois plutôt que de renoncer complètement à ces 30 pièces. Arrivés à 40 on est prêts à une plus grande concession encore pour refuser la perte sèche.

On peut y ajouter des quantités d’effets contextuels et une forme de capital symbolique à fréquenter un lieu qui flatte l’image personnelle de ses clients. Sur les dangers du jeu pathologique, vous pouvez lire « Dans l’enfer du jeu« .

Une manipulation délibérée ?

Les clients des casinos sont des adultes consentants dont on doit respecter le droit d’aller dépenser leur argent comme bon leur semble. Il n’est pas question de les juger, de les rabaisser, de prétendre qu’ils seraient plus biaisés que les autres. Néanmoins, le respect de cette liberté s’accompagne de la liberté ici exprimée dans ce billet de critiquer l’idée selon laquelle ils feraient leurs choix de manière réellement libre. Les influences sont multiples pour les encourager à jouer davantage, et si cet article est écrit, c’est en raison d’un email reçu hier de la part d’une certaine Marie.

 

La demande est cavalière, elle est peu alignée avec l’éthique de ce blog, et elle signale de la part des professionnels du jeu sportif et du casino d’une pratique de la commande d’articles complaisants. Pour jouer le jeu, nous avons fait la réponse suivante :

 

 

 

En fonction de la réponse donnée, nous ajouterons un lien comme demandé, nous ferons payer l’annonceur, et nous vous en informerons. Nous ajouterons alors un message « Article sponsorisé » en haut de page.

Mais les annonceurs du monde du jeu verront-ils d’un bon œil un article critique mettant en garde contre les influences invisibles et les points aveugles de nos défenses mentales ?  On parie combien ?

 

Chers zététiciens,

 

Sceptiques de la première heure ou fraîches recrues des récentes vagues de popularisation sur le Net, vous connaissez les outils de la pensée critique qui permettent de savoir que l’astrologie est une discipline absurde. Vous connaissez les biais cognitifs qui enferment les croyants dans leurs schémas mentaux. Vous connaissez les sophismes qui servent à défendre duperies et visions du monde erronées. Vous connaissez notre travail, ou au moins celui de philosophes illustres ou d’auteurs éminents.

Mais vous n’êtes pas moins biaisés que n’importe qui d’autre.

Connaître l’existence des biais ne permet quasiment jamais de ne pas en être victime, de même que comprendre le fonctionnement d’une illusion d’optique ne permet pas de la dissoudre. Nommer un biais ou un sophisme ne nous protège pas de ses effets comme par magie, par l’effet performatif du langage. Ce serait cool, mais non. Vous êtes donc aussi biaisés que nous et que n’importe quel croyant.

Pire encore, car c’est le festival des mauvaises nouvelles : même s’il est raisonnable de penser que la pratique de la pensée critique améliore la qualité du raisonnement, si vous ne faites pas attention, vous pouvez être plus biaisés que n’importe qui, et de manière plus durable et perverse. Car il n’est pas prouvé à ce jour que les zététiciens soient capables de questionner leurs convictions profondes mieux que les non-zététiciens. Si cette absence de différence s’avèrait, alors il serait possible que nous soyons vous et nous d’accord sur beaucoup de sujets… pour de mauvaises raisons !

Car alors il est bien possible que, par pure chance, vous partagiez avec nous un respect pour certaines valeurs, et qu’ainsi vous trouviez dans notre travail de quoi confirmer ce que vous pensiez déjà des fantômes, des ovnis ou des religions. Cela vous permet d’être motivés à accepter les outils que nous utilisons, à les employer à votre tour pour réfuter des thèses absurdes, et ce à bon escient. Vous (et nous tout pareil) ressentez une appartenance à une communauté dans laquelle vous pouvez confirmer votre vision du monde. C’est confortable et flatteur, et ce n’est pas un mal en soi, sauf que…

 

Puisque vous n’êtes pas moins biaisés que les autres, vous avez votre propre représentation du monde, et elle ne coïncide pas forcément avec l’état de l’art le plus pointu, et ce que les sciences nous donnent à savoir sur les OGM, les études de genre, la médecine, l’économie, la nutrition, etc. Nous espérons tous que l’entraînement à l’esprit critique permet le *transfert*, c’est-à-dire l’allumage de notre scepticisme et de nos capacités de questionnement sur l’ensemble de nos convictions. Mais si ce transfert n’existe pas (malédiction qu’on ne peut écarter totalement pour l’heure, même s’il existe des raisons d’être optimistes) alors vous êtes dans la même situation que le croyant chaque fois que votre représentation du monde est en porte-à-faux vis-à-vis des connaissances scientifiques. Comme le croyant, vous êtes en butte à une forme de violence épistémique quand un argumentaire corrode vos certitudes. Comme lui, vous allez rationaliser vos comportements et vos déclarations, c’est-à-dire trouver de multiples moyens d’expliquer pourquoi vous avez raison, pourquoi vous êtes cohérent.

Et vous aurez dans votre carquois tout le vocabulaire des sophismes à jeter sans embâcle à la tête de vos contradicteurs pour protéger votre amour propre contre la réalisation d’être dans l’erreur. Si vous êtes doués, vous pourrez même convaincre les autres que vous avez raison grâce à une efficace rhétorique ou aux erreurs que commettent souvent ceux qui défendent des idées justes.

Le « sophisme du sophisme » consiste à penser que celui qui commet un sophisme dans sa démonstration a forcément tort. Ce biais est fort dans notre communauté.

 

Il faut donc se questionner sur ce qui anime nos efforts communs. Et cela ne doit pas être le confort cognitif.

Si la communauté zététique installe ceux qui s’y reconnaissent dans l’idée que nous avons raison par nature, nous rendons un mauvais service à l’esprit critique. Et cela jette un voile de doute glaçant sur la pertinence de faire communauté, comme par exemple dans le groupe Facebook « Zététique » où 15 000 personnes peuvent prétendre utiliser la pensée méthodique dans le périmètre des questions gérables sur un tel média. Et cela rappelle l’inquiétude du Cortecs dans son (maladroit) billet sur « la braderie de l’esprit critique ». Et cela nous met dans l’embarras chaque fois qu’un mur de rationalisation interdit le questionnement de certains présupposés.

Il semble utile de rappeler que la zététique, l’art du doute, est une méthode qui repose tout entière sur des axiomes indémontrables. Nous pensons collectivement qu’il est préférable de ne pas tenir pour vrai ce qui n’est pas prouvé. Vous ne trouverez pas de proposition plus abstraite que celle-ci. La zététique est tout à fait apte à questionner nos choix arbitraires (qui relèvent de la morale) et chacune des décisions qu’il est possible de prendre et pour lesquelles il importe de savoir estimer les conséquences d’un bon ou d’un mauvais choix. J’ai bien dit ‘questionner‘, ce qui ne garantit pas de pouvoir produire une réponse.

 

Chers amis, même si c’est la coïncidence de nos représentations du monde qui nous a rassemblés pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la pensée méthodique, il nous appartient toujours de travailler collectivement et individuellement à la dissolution de nos préjugés, à l’examen de nos présupposés et à l’abandon des rustines que nous collons un peu partout pour empêcher le doute méthodique de changer nos idées les moins défendables.

Cela implique d’éviter la complaisance envers des contenus que nous apprécions pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la recherche des moyens les plus efficaces pour distinguer le vrai du faux. Cela implique, quand sur un sujet nous échouons à prouver que nous avons raison et n’avons à faire valoir que des motifs subjectifs pour conserver nos habitudes, de cesser d’argumenter dans le but d’avoir raison et de commencer à vérifier SI nous avons raison. Cela implique aussi de ne pas juger hors sujet les questions liées aux conséquences de nos comportements au motif qu’elles touchent à la morale, car la morale doit pouvoir être abordée de manière rationnelle. En effet, il n’y a aucune raison de penser qu’il existe un meilleur moyen de trouver des solutions aux dilemmes moraux que par l’exercice de la plus grande rigueur intellectuelle. Or nous ne sommes jamais plus rationnels que lorsque nous nous offrons une chance de débattre dans une contradiction sereine afin de mettre à l’épreuve nos opinions et d’avoir l’occasion d’adopter des idées venues d’ailleurs. Rien n’autorise notre moralité personnelle à se soustraire à la critique, pas plus que n’importe laquelle de nos idées, y compris celles défendues dans ce billet.

 

La zététique (et plus généralement le scepticisme scientifique) n’est pas un art de combat, mais ce n’est pas non plus un salon de thé où la politesse n’est que la forme acceptable de l’hypocrisie. Elle ne doit pas devenir un hobby bourgeois où rien n’est plus urgent que de se moquer des analphabètes de la science en oubliant le gouffre béant de nos propres points aveugles.

 

Par exemple, les « mauvaises » raisons de manger de la viande.

Dans ce blog, on a plusieurs fois critiqué la rhétorique végétarienne qui s’adonne trop souvent à des sophismes pour défendre une cause par ailleurs salutaire. Jusqu’à présent nous n’avons pas accordé le même traitement aux arguments anti-végé, la raison en est la rareté des contenus rassemblant l’argumentaire en question. Une petite vidéo de Topito nous donne l’occasion de tenter l’exercice, mais ce sera surtout l’occasion de nous intéresser à la véritable valeur de ces mauvais arguments.

 

Topito égrène un petit florilège d‘arguments fort intéressant. Il est bien possible qu’il soit 100% de mauvaise foi, mais pourtant il résonne certainement avec ce que se disent beaucoup de carnistes* (personnes consommant des nourritures carnées, donc « non-végé » dans le vocabulaire végé).

 

«La mode est au véganisme, et même si tous les arguments pour arrêter la viande sont excellents sur le papier, on va pas se mentir la viande : ça déchire tout et on peut pas l’abandonner comme ça.»

Mettons de côté le mot « mode » sur lequel on pourrait s’étendre sur bien des paragraphes et qui insinue un certain nombre de jugement de frivolité. Si on s’arrête à tous les mots, nous n’irons pas loin. On sent en fin de phrase qu’il est question de trouver des arguments pour continuer à manger de la viande, car dès le début est admise l’idée que les arguments pour cesser d’en manger sont bons.

 

Mais alors, qu’est-ce que cela veut dire ?

C’est l’illustration parfaite de notre manière de prendre des décisions : nous choisissons les actes que nous posons en fonction de ce que nous sommes en mesure de justifier. Ce qui nous parait vrai, c’est ce que l’on peut argumenter, d’où l’abondance de mille-feuilles argumentatifs brodés de bric et de broc pour soutenir les thèses pseudoscientifiques en tout genre. Inversement, quand on veut que X soit vrai (pour des raisons variées et d’ordre émotionnel) alors on s’arme d’un argumentaire qui permet de justifier cette croyance. On se donne des raisons à faire valoir pour défendre la véracité de ce qu’on souhaite être véridique.

 

Argument 1. « Plein d’animaux nous mangeraient ».

Il s’agit du bon vieil appel à la nature. Mille fois réfuté, mille et une fois ressuscité. On ne peut évidemment pas inférer du comportement d’autres animaux la valeur des choix que nous faisons. La nature n’est pas un manuel de bonne conduite en société. D’ailleurs, il n’existe pas de définition de ce qui serait « naturel » ou « contre-nature ». On ne peut espérer argumenter sérieusement sur de telles bases.

Mais si l’argument revient c’est parce qu’il nous permet d’exprimer notre sentiment sur ce que les choses doivent être, plutôt que notre réflexion sur les raisons de nos choix. L’appel à la nature, c’est une boussole intuitive, familière qui n’a besoin d’aucune justification pour nous paraître vraie.

 

Argument 2 : « La gastronomie française est inscrite au patrimoine culturel de l’UNESCO »

Un appel aux traditions, au respect de la culture. Notre société a développé un art raffiné autour des nourritures carnées, et cela justifierait que l’on continue de manger de la viande, afin de ne pas perdre ce savoir-faire.  L’argument n’est pas rationnel, dans le sens où il ne permet pas de déduire que consommer de la viande est un choix plus logique que de n’en pas manger, notamment parce qu’on peut arguer de la richesse encore à découvrir d’une gastronomie nouvelle qui s’émanciperait des produits animaux. Néanmoins cet argument a un certain poids. Pourquoi ?

Nous sommes tous plus ou moins attachés à la culture ou nous avons grandi, et nous ressentons une forme de fierté pour les accomplissements de la culture à laquelle nous nous identifions. Aucun d’entre nous n’a inventé la blanquette de veau ou le saucisson, mais nous en partageons l’héritage et nous pouvons être tentés de défendre cet héritage pour nous confirmer à nous-mêmes qui nous sommes.

On peut comprendre ce qui pousse à argumenter de la sorte. Montrer de l’empathie pour ce point de vue, admettre qu’il soit subjectivement convainquant n’empêche pas de reconnaître aussi qu’il s’agit d’un raisonnement fallacieux avec lequel on pourrait défendre les inégalités actuelles au motif qu’elles sont l’héritage de notre culture. Nous aurions eu bien du mal à nous débarrasser de l’esclavage avec de tels arguments.

L’appel à la tradition est un appel au confort cognitif de répéter des schémas éprouvés.

Argument 3. « Nous avons des canines. C’est pour s’en servir. »

Variante de l’appel à la nature de l’argument 1. Notre denture est celle d’animaux omnivores, c’est un fait trop souvent nié par certains idéologues du véganisme. Notre vue est celle d’animaux diurnes, pourtant nous nous autorisons à agir autrement. Notre squelette est celui de bipèdes, et pourtant nous nous déplaçons assis la plupart du temps dans nos véhicules, etc.

La conformation de notre corps ne nous impose pas un régime carné. On peut vivre en bonne santé sans consommer de viande. On peut même vivre en bonne santé sans consommer aucun produit animal. Le fait qu’on puisse le faire n’indique pas que cela soit souhaitable, mais cela réfute l’idée que nous serions d’une certaine manière destinés à un régime carné.

Ce fatalisme est une lecture fautive des sciences du vivant. C’est aussi une manière de croire que le monde est bien fait, qu’il y a ne place pour chaque chose, des solutions faciles à tous les problèmes… on en revient au confort cognitif

 

Argument 4. « Parce que le foie gras »

Il s’agit d’un appel aux sentiments, une forme d’appel à la pitié aussi.

Le foie gras, c’est très très bon. Ne plus en manger me priverait de ce plaisir, or je n’ai pas envie de me priver de ce plaisir. Vous vous rendez compte des conséquences sur la qualité de vie si on nous interdit nos plaisirs ?!

Là aussi l’argument n’a logiquement aucun poids réel pour contredire un argumentaire végétarien fondé sur le respect de la vie animale. Et pourtant c’est un argument qui vient spontanément, et honnêtement : je ne veux pas me priver de ce petit plaisir de la vie.

Là encore, pour mieux voir la faille de cet argument, observons que certains plaisirs bourgeois ne sont permis que par l’exploitation de ressources et de populations, et que la critique de cette exploitation implique de remettre en cause lesdits plaisirs, au minimum pour permettre qu’ils soient atteints par des moyens plus éthique plutôt que se satisfaire d’un état de fait objectivement immoral.

Le fait que le foie gras soit très très bon ne permet pas de conclure que l’on doive continuer d’en manger dans les conditions actuelles.

Cet appel au plaisir est compréhensible. Celui qui en appelle au plaisir qu’il éprouve à manger de la viande ne ment pas. Mais ne pas mentir est insuffisant pour ne pas être dans le sophisme. On peut convoquer le goût personnel, l’habitude, la culture et mille autre choses pour expliquer pourquoi on consomme telle ou telle chose. Cette explication est valable en ce qu’elle décrit factuellement les motifs de ce comportement. Mais expliquer n’est pas justifier, et le sophisme apparaît quand on tente de faire passer pour une justification ce qui n’est qu’une explication

 

 

Argument 5. « Les végans sont bien relous »

La réactance est un comportement qui se produit quand une critique trop vive de nos idées nous pousse à les défendre plutôt qu’à les remettre en cause. Parmi les végans, ceux dont le prosélytisme les pousse à harceler tout leur entourage, à culpabiliser au lieu d’expliquer, à condamner au lieu d’informer, alimentent l’idée suivante

« Les végans sont des tarés extrémistes, donc ne soyons pas comme eux, donc continuons à manger de la viande ».

D’un point de vue logique, l‘argument est invalide, mais affectivement, il fonctionne du tonnerre, surtout quand il rencontre l’assentiment d’autres personnes ayant vécu la même situation avec à la clef les mêmes émotions négatives. Les végans n’ont pas tort sous prétexte qu’ils sont relous ou agressifs, mais de toute évidence avoir raison ne suffit pas pour être convaincant.

Argument 6. « Sans viande, les mecs n’auraient plus à faire le barbecue, et donc ce serait négatif pour le partage des tâches ménagères. »

On est dans l’absurde le plus complet, mais ce faux-fuyant est utilisé pour de vrai. Ce genre de faux argument montre bien la facilité avec laquelle nous générons des raisons de faire ce que l’on fait. Nous éprouvons un besoin congénital de pouvoir justifier ce que nous faisons / pensons.

Cet argument est intéressant car le déconstruire nécessiterait vingt ou quarante fois plus de temps qu’il n’en faut pour le formuler. Il y a de fortes chances qu’il ne rencontre que rarement une vraie réfutation. Un « t’es trop con » en réponse permettra à celui qui l’utilise de se dire « les végans sont vraiment relou » (argument 5) et qu’il a donc forcément raison.

Si vous croisez ce genre d’argument à l’avenir, essayez de le réfuter avec légèreté ; amenez votre interlocuteur à admettre que, bien évidemment, il ne croit pas réellement à ce qu’il dit parce qu’il n’est pas complètement idiot. Mais alors peut-être a-t-il un véritable argument pour justifier sa consommation…

Argument 7. « On ne peut pas mettre les bouchers et charcutiers au chômage » (plus de 40 000 emplois en France)

Avatar/mélange de l’argument 2 « appel à la tradition » et d’un appel aux conséquences. Cet argument n’a que peu de prise quand l’argumentaire végé n’est pas abolitionniste (cessation immédiate de toute consommation de produit animal) mais un plus raisonnable appel à réduire la consommation pour se diriger vers des filières plus responsables d’un point de vue éthique et environnemental.

Consommer moins mais consommer mieux permettrait de ne pas condamner au chômage les artisans qui font du bon travail. Une proposition de ce type permet d’envisager une mutation progressive de la société avec des compétences professionnelles qui évoluent vers d’autres pratiques et d’autres produits. Mais derechef, bien souvent, réfuter cet argument nécessite d’en appeler à trop de concepts pour que cela se fasse facilement, et il reste souvent sans réponse.

Ce mauvais argument est certes une forme de diversion, mais c’est aussi une manière de s’inquiéter des changements et des efforts d’adaptation qu’impliquerait le fait de changer d’avis.

 

Argument 8. « Il faut bien mourir de quelque chose »

Souvent associé à l’argument du plaisir, et utilisé pour justifier la consommation de produits aux effets nocifs pour la santé, cet argument est en partie un homme de paille, car les principales raisons de réduire notre consommation de viande ne sont pas liées à ses effets négatifs sur la santé, mais d’abord à des motifs éthiques et environnementaux.

Mais même en considérant l’argument des effets négatifs des produits carnés sur la santé, dire « bof, on doit tous mourir de quelque chose » est en vérité l’aveu que l’on renonce à agir de manière rationnelle. Ce n’est pas un argument, c’est une excuse entièrement destinée à éviter de regarder les conséquences de nos actes.

À nouveau il est difficile de trouver quoi répondre sans être dans une posture de jugement. Il suffit peut-être de montrer que cela n’est pas un argument valide, car avec la même logique pourquoi respecterions-nous la loi ? Pourquoi ne pas rouler à tombeaux ouverts avec 5g d’alcool dans le sang ? Parce qu’en réalité nous évitons d’adopter des comportements dont le résultat est clairement identifié comme non souhaitable. On pourra faire remarquer qu’avant le durcissement des lois contre l’alcool et la vitesse au volant beaucoup de gens réussissaient à ne pas voir les conséquences de leurs actes, et que cela se payait par des dizaines de milliers de mort sur les routes. Nous avons choisi collectivement de ne plus permettre aux gens de ne pas avoir conscience des conséquences de leurs actes. Dura lex, sed lex.

Au-delà du sophisme

En somme, on peut constater que tous ces arguments, même s’ils sont effectivement mauvais, invalides, voire absurdes, sont malgré tout utilisés, parfois très fréquemment. Cela signifie qu’ils ont une valeur aux yeux de ceux qui les utilisent. Et cela est valable pour les autres sujets évoqués sur ce blog. Les mauvais arguments sur les OGM, les études de genre, la théorie de l’évolution, le paranormal, les ovnis, etc… reviennent sans cesse car la réfutation logique laisse sans réponse la véritable motivation derrière cet argumentaire défectueux.

C’est pourquoi on ne peut pas balayer les arguments invalides d’un revers de la main, par le seul truchement de la logique ; cela ne marche pas très bien. Pour leur apporter une contradiction efficace, il faut se demander à quel besoin ils répondent chez celui qui les emploie, et si l’on ne peut pas proposer une réponse alternative qui permettra de rendre inutile ou moins attrayant le recours à ces mauvais arguments.

Les mauvais arguments ont donc bien des choses à nous apprendre, écoutons-les.

Qu’y a-t-il de plus stérile, dans un échange sur le net, qu’une réponse toute entière concentrée sur l’orthographe de son interlocuteur ?

Vous savez bien, en lisant ce genre d’échange, que celui qui s’adonne à la correction de l’autre au lieu de répondre sur le fond échoue totalement, irrémédiablement à le convaincre. Avoir raison sur la bonne manière d’épeler un mot n’est pas un argument, mais peut devenir une forme d’intimidation par l’orthographe. Volontairement ou involontairement, le correcteur induit chez l’autre le sentiment d’être rabaissé, méprisé. Bien sûr, nous sommes tous responsables de nos propres émotions, mais les émotions des autres sont toujours dans l’équation, et il parait peu raisonnable de vouloir purement et simplement les nier.

La toute puissance du Correcteur

Malheureusement, nous éprouvons facilement l’envie d’aller sur ce terrain, c’est notre réflexe correcteur. Ce n’est pas toujours une mauvaise chose ; il est naturel de vouloir redresser ce qui est de travers (dans le sens où notre faculté de raisonnement sert un peu à ça). L’intention peut être bonne, même quand on cherche à pointer tout ce qui ne va pas dans la parole adverse. Plus l’interlocuteur sera agressif et pédant, plus forte sera la tentation de rabattre son caquet, de lui montrer qu’il se trompe et qu’il devrait changer de ton.

Mais le ton de notre interlocuteur relève de son choix, pas du nôtre. Relever toutes ses erreurs, par exemple en nommant les sophismes qu’il commet (le « biais sophistique »), ne sera pas de nature à apaiser les échanges.

Bien sûr, dans certaines circonstances il est justifié de ne rien laisser passer et même de ridiculiser la position adverse. Cela s’avère utile, voire nécessaire, avec les discours outranciers, violents, sectaires. Mais dans la plupart de nos échanges, les petits désaccords appellent à plus de charité. Pas pour faire plaisir à autrui, pas pour être gentil avec lui, mais dans notre propre intérêt !

En effet il est possible que mon interlocuteur ait raison et que moi j’aie tort. Et dans ce cas, j’ai tout intérêt à ne pas jouer au malin qui se croit plus fort, plus compétent, car ce faisant je dresse tout seul un obstacle entre moi et la reconnaissance de mon erreur. Je mets en place les conditions pour refuser de me corriger. Dans ce genre de situation, l’humiliation sera la conséquence de mon arrogance, pas de celle de mon interlocuteur.

Dans les débats d’idées, nous avons le choix entre l’humilité… et le risque de l’humiliation.

Le réflexe correcteur n’est pas mon allié dans les conversations où je ne suis pas réellement expert, car la moindre ambiguïté ou erreur dans mon propos me sera renvoyée avec force. Dans le cadre d’un échange cordial, adopter une position de juge est une mauvaise stratégie. Il y a déjà de fortes chances pour que mes arguments soient perçus comme une agression, ce n’est donc pas la peine d’en rajouter.

Il semble plus sage d’adopter la stratégie de l’entretien épistémique. Comparable à la maïeutique de Socrate, elle consiste à aider mon interlocuteur à présenter sa pensée, à la synthétiser pour pouvoir mieux, avec lui, la scruter et mettre en évidence ses failles éventuelles.

Cela étant dit, bien sûr, parfois mon interlocuteur est un indécrottable cuistre, un arrogant hâbleur suintant d’accusations, de mépris et de contre-vérités. Il y a aussi de talentueux et vitupérants candidats au DSM-5. Je peux me trouver face à un gourou, à un escroc, à un manipulateur (ou une manipulatrice d’ailleurs). La parole de cet individu mérite d’être contredite avec énergie. Dans des cas de ce genre, je peux m’autoriser à corriger publiquement les erreurs et les mensonges, à démontrer l’inanité de sa démarche, la malhonnêteté de sa méthode. Je suis fondé à ridiculiser la thèse qu’il ne défend qu’au travers d’artifices, de sophismes et d’objurgations.

Une parole publique contraire aux faits mérite toujours d’être réfutée.

Il ne faut jamais, autant que faire se peut, manquer une occasion d’y parvenir en initiant un dialogue constructif et respectueux. À défaut, une argumentation, même sévère, est souhaitable, à condition de n’avoir pas pour but de convertir autrui, mais bien d’exposer le plus clairement possible les raisons pour lesquelles je pense ce que je pense. À condition aussi de ne pas oublier que l’arrêt pur et simple de toute espèce d’argumentation est parfois la meilleure stratégie.

Dans tous les cas, il semble sage de ne pas cultiver notre réflexe correcteur. Comme tous les mouvements intuitifs, il se déploie plus vite que la pensée rationnelle, et il peut piéger les plus futés d’entre nous.

Et de l’importance du contexte dans la pratique de la pensée critique.

Buzzer or not buzzer ?

Imaginons qu’un vidéaste du web soit accusé par un autre de manipuler son public, de présenter un travail sous une forme sensationnaliste, excessive, dans le but de faire passer une information simple et banale pour un scoop (sous-titre : « NOTRE FILM SECRET »).

C’est le petit drame des derniers jours sur la plateforme Youtube. Guilhem présente une vidéo à charge contre une autre vidéo réalisée par un petit groupe (Osons Causer, Autodisciple, et « Le corps. La Maison. L’esprit »). Il remet en cause leur démarche, leur manière de travailler, leurs méthodes. Puis Autodisciple répond en format vidéo en taguant tout un tas de gens qui ont osé partager la critique de son travail. En somme : effet buzz et retour de buzz. Rien que de très classique…

À lire une courte analyse de l’affaire.

Quelle attitude adopter quand des personnes de la communauté sceptique demandent des comptes sur notre partage de la vidéo à charge ? Doit-on prendre le risque d’alimenter le buzz voulu par ceux-là mêmes dont la méthode de travail nous semble discutable ? Beaucoup des vidéastes épinglés par Autodisciple choisissent d’ignorer purement et simplement sa dernière vidéo. Nous faisons le choix d’y répondre, mais sous la forme d’un article, afin d’éviter d’alimenter la machine à cliquer et d’inviter tout le monde à analyser prudemment les faits. Une mise au point est rendue nécessaire par les allégations (et accusations) lancées dans cette vidéo qui se veut argumentée et dirimante vis-à-vis des critiques. Autant vous dire qu’au départ tout cela ne nous semblait pas devoir mériter beaucoup de notre temps, le partage était une simple invitation à se méfier. Seulement voilà, outre la réaction de Raj (alias Autodisciple) sur laquelle nous allons revenir, ce partage a suscité une certaine incompréhension auprès de membres de notre communauté.

Une erreur ?

La vidéo de Guilhem souffre de nombreux défauts. Son argumentaire revient souvent à des ad hominems, à des accusations qu’il ne prend pas soin d’étayer suffisamment, et ressemble, il est vrai, aux clashs devenus habituels. Visiblement, partager une vidéo contenant certains arguments de mauvaise qualité est rédhibitoire pour beaucoup d’entre vous, et c’est compréhensible étant donné la constance avec laquelle nous appelons nous-mêmes à rejeter les mauvais arguments. Nous étions conscients de ces défauts quand nous avons partagé avec pour seul commentaire

« Dans la rubrique « éducation aux médias », voici un exercice sur le petit monde de Youtube.».

De toute évidence, nous aurions dû être plus clairs et souligner d’emblée les problèmes pour mieux faire comprendre que, malgré ses défauts, l’analyse nous semblait valoir le coup d’être écoutée et prise en compte. Vos critiques sur ce point étaient justifiées.

Nous invitons tous ceux qui l’ignorent à jeter un œil à notre série « Le Point dans la Tronche » où nous revenons sans état d’âme sur des vidéos précédentes pour en corriger certains points, les compléter, les nuancer, car nous avons pleinement conscience d’être faillibles. Nous ne sommes pas les derniers à reconnaître une erreur quand nous la commettons. Et notre erreur, dans le cas présent, a été de ne pas contextualiser suffisamment cette sélection initiale , et sans doute de n’avoir pas choisi la vidéo de Projet Utopia qui propose une analyse similaire et plus propre sur le plan de la rhétorique. C’est la vidéo de Guilhem que nous avons partagée parce qu’après l’avoir vue, il nous semblait utile de le faire, et nous ne pensions pas (naïfs que nous sommes) que l’affaire s’envenimerait.

Notre ligne éditoriale est de parler avec tout le monde, d’échanger avec des pyramidologues (Pouillard et Grimault) des évangélistes, des médias alternatifs (Méta TV), des spirites (vidéo à venir). Toujours avec le souci de ne pas faire le jeu de l’idéologie de celui avec qui l’on parle pour se concentrer sur sa méthode de travail et de discrimination entre vrai et faux. Le débat sous format vidéo n’est une option que si certaines conditions sont réunies. Nous ne débattrons sans doute pas avec Raj comme certains ont pu le suggérer, parce qu’en l’état actuel des choses nous considérons que ce serait jouer un jeu pernicieux et que l’on ne pense rien de bien sur la sincérité (et l’efficacité à long terme) de sa démarche. Cette opinion sera étayée dans la suite de l’article.

La vidéo de Guilhem

Nous avons partagé la vidéo où Guilhem attaque la manière dont un groupe de vidéastes prétend avoir « hacké la commission européenne » et entend dénoncer des menaces de censure de Youtube.

 

Guilhem ne prétend pas faire de zététique et, nous l’avons dit, sa vidéo à charge comporte pas mal de défauts et d’arguments vaseux, mais aussi des éléments d’analyse qui soulignent le hiatus entre les effets d’annonce de cette vidéo et son réel contenu. Il faisait aussi allusion à une volonté de se mettre en avant, d’organiser le scandale à tout prix et de faire le buzz.

C’est là qu’entre en jeu un concept d’une importance capitale : le biais sophistique

Le biais sophistique : Parce que tu as utilisé un sophisme, alors tu as tort.

Des dizaines de commentaires négatifs nous ont été adressés. Quelques insultes et accusations grotesques de la part d’internautes inconnus de nos réseaux ont côtoyé des questionnements sincères, des doutes sur notre objectivité. Nous avons perdu quelques abonnés et soutiens sur Tipeee. Soit. Cela arrive. Nous assumons. Parmi ceux qui se sont plaint (légitimement) des défauts de la vidéo partagée, certains ont commis l’erreur de nous reprocher le partage parce que Guilhem avait simplement tort, voire d’exiger des excuses. D’autres, plus avisés, nous ont demandé de justifier ce partage.

Nous pensons que Guilhem a mis le doigt sur un certain nombre de problèmes sérieux dans la manière dont Osons Causer, Laetitia et Autodisciple présentent les faits et se mettent en scène. Nous avons estimé utile que notre public en prenne connaissance.

Beaucoup d’internautes ont réagi négativement au message de Guilhem parce qu’il n’a pas respecté les règles d’une bonne rhétorique. C’est compréhensible, mais c’est une erreur, car c’est une posture élitiste qui interdit à ceux qui ne maîtrisent pas les règles de la rhétorique de se faire entendre. Le principe de charité exige de ne pas se focaliser sur les erreurs de celui ou celle qui vous contredit mais de chercher à comprendre ce qu’il veut dire réellement afin de voir s’il ne pourrait pas avoir raison. Du reste, nous ne jouissons pas d‘une vision prophétique car nous ne sommes pas les seuls à pointer l’aporie de la démonstration de Pardon Youtube et de la constellation de vidéos-buzz qui l’ont accompagné. Un certain nombre de commentateurs en attestent.

La vidéo de Projet Utopia

Nous n’avions pas vraiment envie de nous pencher personnellement sur cette affaire, d’écrire dessus, d’en livrer une analyse (notamment parce qu’on a plein d’autres choses en cours, et qu’on n’aime pas bâcler ce qu’on propose au public). Nous avons donc retrouvé une autre vidéo mieux argumentée, plus factuelle et analytique, et l’avons partagée également. Ce travail, publié avant la sortie de la version longue de « pardon Youtube » semble avoir convaincu davantage nos abonnés, il serait donc bon que ceux qui ne l’ont pas encore fait la visionnent, ils comprendront quelle partie des propos de Guilhem nous soutenons.

 

Distinguer les registres

Quelques jours plus tard, Autodisciple réagit dans une vidéo (écrite de concert avec Osons Causer et Laetitia). Cette réaction ne nous convainc pas, mais avant d’expliquer pourquoi, permettez que soient écarté le scénario d’un conflit économico-politico-idéologique. Nous n’avons pas exprimé le moindre grief contre les idées publiquement défendues par qui que ce soit.

Les idéaux, les affections politiques, le combat idéologique de Osons Causer ne seront pas critiqués ici. Visitez la section Idéologie de ce blog pour constater la ligne éditoriale consistant à bien souvent critiquer un discours qui ne nous dérange pas dans sa finalité mais bien sur la démarche employée (cf article sur Yourovsky ou sur les SJW).

Critiquer la méthode d’Osons Causer, ce n’est pas la même chose que s’opposer à leurs valeurs ou aux objectifs qu’ils disent défendre, un raccourci manichéen trop souvent rencontré. Les gens qui pensent que le combat de ces vidéastes est important doivent avoir à cœur la qualité avec laquelle ce combat est mené, sans facilité, sans diffamation, sans entourloupe.

Quand un groupe comme celui qui est à l’origine de « Pardon Youtube » déclare travailler à dévoiler les rouages d’un système qui opprime les plus faibles, à mettre en évidence les injustices, les inégalités et prétend promouvoir les idées de ceux qui combattent pour plus de justice sociale, on s’attend à ce qu’il se concentre sur son travail de première importance et ne s’attarde pas en chicanes futiles contre ceux qui le critiqueraient. On s’attend à ce qu’un groupe ayant à cœur l’amélioration de la société fasse constamment son autocritique afin d’être plus convaincant, plus dans le vrai, et donc plus efficace. Si au contraire le groupe a pour but d’exister médiatiquement, de buzzer facilement en faisant du name dropping, il se comportera exactement comme les vidéastes au sujet desquels nous avons publiquement nourri des doutes.

Le mieux, quand c’est possible, est sans doute de se livrer à une analyse factuelle sans digresser vers les qualités ou les défauts des individus. C’est ce qu’a fait la chaîne Raisonnance.

Évacuons une autre question : ce n’est pas par amitié que nous avons partagé cette vidéo. Nous avons croisé Guilhem à une convention et échangé quelques mots, là s’arrêtent nos relations personnelles au moment de ce partage. Et oui, nous savions que sa vidéo n’était pas parfaite du tout en termes de rhétorique, cependant…

Ad hominem versus ad personam

Il existe une nuance importante entre l’ad hominem et l’ad personam.

L’attaque ad hominem consiste à renvoyer votre interlocuteur à son titre, à son statut, à ses propres actes et ses propres déclarations passées. C’est un argument qui s’intéresse à la cohérence de l’individu, à son identité plus qu’à son discours. C’est très souvent fallacieux, mais pas toujours, car il ne faut pas confondre cela avec l’ad personam qui consiste simplement à salir l’autre, à le rabaisser, l’injurier et attenter à sa dignité. Nous avouons d’ailleurs avoir confondu ces deux notions dans le live avec Jacques Grimault, en étiquetant ad hominem les attaques ad personam dont il s’est rendu coupable.

Guilhem commet des ad hominems assez nombreux dans sa vidéo, mais il ne s’agit pas nécessairement d’un sophisme dans la mesure où l’honnêteté et les qualités personnelles des personnes critiquées sont précisément ce qui est en jeu. Quand Guilhem rappelle que Raj s’est fait connaître sur Youtube en réalisant des vidéos de drague, il pose la question de son éthique personnelle. Il le fait à raison. Quand il rappelle qu’Autodisciple vend des formations 200€ sur « comment réussir sur youtube », qu’il multiplie les vidéos sur le marketing et joue le coach de vie, ce n’est pas innocent. Sa dernière vidéo en date « Comment aborder un(e) inconnu(e) n’importe où ? » propose de donner au spectateur une leçon de manipulation. Libre à lui de le faire, bien sûr. Libre aux autres d’estimer si cela plaide en faveur de l’honnêteté de sa démarche dans un contexte où elle est remise en cause. Cela ne prouve rien, néanmoins, évitons de nous rendre coupable du fallacy fallacy.

Sur le chapitre de la rigueur, Autodisciple est habitué aux déclarations anti-scientifiques, comme celle sur les OGM, il y a 5 mois. Il défend la thèse de la nocivité des OGM et fait preuve d’une très mauvaise connaissance du sujet. Il est intéressant de noter qu’il l’a fait en « réaction » à une vidéo de Dirty Biology en prenant soin de taguer le vidéaste. Il reçoit par la suite de longs commentaires argumentés (notamment de Bunker D et de Hygiène Mentale) lui montrant où il s’était trompé, c’est-à-dire environ partout, et sa réaction est de… poster une nouvelle vidéo pour revenir sur le sujet et conclure que les OGM ne sont pas nocifs, mais que s’ils l’étaient ce serait très grave. À cette occasion, sa chaîne est apparue dans quantité de feed (dont le nôtre) non pas en vertu de la qualité de son contenu (pas travaillé, pas sourcé, pas fiable) mais parce qu’il a « hacké » Dirty Biology afin de faire du buzz facile en profitant de la taille de la communauté de Léo. En tout cas cela y ressemble assez pour qu’on évoque cette interprétation et qu’elle soit ajoutée au dossier visant à contextualiser le travail de Raj. J’ai eu l’occasion moi-même (Mendax) de tweeter publiquement à Raj que ses agissements étaient impossibles à différencier de ceux d’un wannabe gourou et ses réponses n’ont pas été de nature à me rassurer. La prudence semble indispensable.

 

Cette « idée du consentement » publiquement assumée éclaire-t-elle l’éthique de travail d’Autodisciple ?

Du côté d’Osons Causer, des réserves semblent également nécessaires étant donné, notamment, les circonstances qui ont entouré leur départ du collectif « On Vaut Mieux Que Ça » (le désaccord est explicité ici par Dany Caligula.

En raison de leur goût jugé excessif pour l’exposition médiatique sur les plateaux de ceux que Serge Halimi a été le premier à qualifier de « nouveaux chiens de garde », plusieurs personnes ont été écartées du collectif On Vaut Mieux Que Ca. L’équipe de Osons Causer en faisait partie. Après ce départ, ils ont eu la bonne idée de signer un contrat pour la vente d’un livre intitulé… « On vaut Mieux que Ca », un manifeste politique de 38 pages qu’ils sont allés présenter… à la télévision. Le tout sans jamais avertir les membres du collectif OVMQC. Ces méthodes sont de nature à instaurer un doute raisonnable sur la cohérence entre le comportement des individus et les valeurs qu’ils disent défendre. C’est ce doute que nous estimons précieux de communiquer, car il est la seule défense contre la manipulation que nous soupçonnons d’être à l’œuvre (à tort ou à raison).

Sur sa chaîne « La Maison. Le corps. L’esprit. » Laetitia publie quotidiennement des pensées, des opinions, du bon sens sans mettre en place une méthode garantissant la véracité des informations transmises (ici, sur la chaîne de quelqu’un d’autre elle dit que les bonbons font « exploser les neurones »). La faible rigueur de son travail nous semble constituer le seul véritable indice que l’interview de Juncker organisée par Youtube était bien un coup de communication : elle n’a pas le profil de quelqu’un capable de déstabiliser le Président de la commission européenne (peu de vidéastes l’auraient vraiment convenons-en).

Du reste, Juncker a-t-il été gêné par ces questions déjà entendues des dizaines de fois ? Non. Laetitia n’a jamais rebondi sur les réponses, montré en quoi elles étaient des esquives, illustré les contradictions de l’homme politique, bref elle n’a pas été compétente face au talent oratoire du politicien. C’était tout à fait prévisible, et l’exercice étant très difficile on ne lui jettera pas la pierre. Le problème n’est donc pas là. Le problème c’est que l’équipe de « Pardon Youtube » voulait du scoop, équipée qu’elle était de caméras cachées. Et devant le pchit flagrant de l’interview, ils ont décidé de crier au scandale en traduisant en menace de CENSURE ce qui est plus exactement un recadrage, voire une pression explicite de la part de l’entreprise Youtube. Mais on se demande qui pouvait bien ignorer qu’une entreprise confiant l’interview d’un personnage politique important à une vidéaste qui ne fait pas partie de ses employés aura tendance à vouloir s’assurer que l’événement ait de bonnes retombées sur son image. Que le documentaire confirme les idées de ses spectateurs, cela ne signifie pas qu’il démontre ce qu’il prétend démontrer.

Bref. Dans cette affaire, s’intéresser à l’historique des personnes impliquées, à leurs profils, à leurs qualités et défauts est utile pour reconstituer un élément crucial quand on pratique la pensée critique : le contexte.

Le problème de la confiance.

Sans une bonne connaissance du contexte, il est difficile de savoir à qui se fier. Faut-il « croire » Guilhem et sa vidéo en partie mal argumentée ou la réponse de Raj avec sa vidéo en partie mal argumentée ? Sont-ils à égalité ?

Quand Guilhem ou Dany Caligula dénoncent Raptor Dissident, l’agressivité de ce dernier, ses outrances suffisent à confirmer une partie des reproches qui lui sont faits. La critique est audible quand bien même elle ne serait pas impeccable du point de vue de la rhétorique. Dans le cas qui nous occupe, c’est bien plus compliqué parce que beaucoup de gens veulent croire Osons Causer et Autodisciple. C’est parfaitement compréhensible. Puisque leurs discours sur les réseaux défendent une certaine idéologie, ou tout du moins certaines valeurs, ceux qui se reconnaissent dans ces valeurs veulent que ces vidéastes soient respectables. Rien d’anormal : le même phénomène joue certainement auprès des abonnés de la Tronche en Biais qui accordent du crédit à la parole de l’équipe de cette chaîne. Cette confiance a priori est utile, elle est au cœur de la dynamique de notre travail. Nous avons besoin d’inspirer confiance au public pour lui demander de nous suivre aux limites de sa zone de confort pour aborder des sujets plus délicats que d’autres. Parfois ça fonctionne, d’autres fois c’est la loose. Mais sans confiance, nous perdons le lien avec le public qui nous permet de tenter de jouer un rôle dans l’évolution de sa représentation du monde, pourvu qu’on se garde des effets pervers des arguments d’autorité.

C’est parce que nous attachons beaucoup d’importance à ce lien de confiance que nous sommes un peu obligés de réagir et de ne pas simplement faire le dos rond en attendant la fin du grain. Le stoïcisme n’a pas que des vertus.

 

Pourquoi la réaction d’Autodisciple pose problème ?

Nous n’entrerons pas ici dans une décortication en détail des sophismes commis par Raj dans cette vidéo. D’abord demandons-nous ce qu’on était en droit d’espérer de la part d’un vidéaste honnête ayant à cœur d’être avant tout factuel, précis et prudent.

Si une dizaine de vulgarisateurs des sciences partageaient une vidéo extrêmement critique envers notre travail, nous n’y trouverions motif à aucune gloire et ferions aussitôt notre autocritique. Par exemple nous n’axerions pas la totalité de notre réponse sur une mise en accusation de ces vidéastes en les qualifiant de « chiens de garde de Youtube » dans le titre de la vidéo et en mettant leurs visages sur la miniature YT.

Comme Autodisciple le rappelle ici, les vidéastes qui se montrent très critiques envers leur démarche sont nombreux : Nota Bene, Dirty Biology, Linguisticae, Hygiène Mentale, Usul, Dany Caligula, Histoire Brève, Boidin, Samuel Buisseret, La Tronche en Biais… (et ajoutons Raisonnance et Projet Utopia). Ils sont disséminés aux quatre coins de la France, ne collaborent entre eux qu’occasionnellement, ne sont pas nécessairement d’accord sur tout et débattent parfois sur les réseaux (cf notre article assez corrosif envers la vidéo de Dany sur l’athéisme), voire ne se connaissent même pas pour certains. La plupart ne monétisent pas leurs vidéos. La plupart sont plutôt sévères à propos du fonctionnement de YT, voire militent pour dégoogliser Internet, et tous sont plutôt reconnus pour la qualité de leur esprit critique. Mais soudain, les voici transformés en une « clique » de lobbyistes pro-Google dans la bouche d’Autodisciple et de ses amis parisiens co-auteurs de sa vidéo et, pour certains, habitués à fréquenter le Youtube Space (#ironie).

Ceux qui prêtent une oreille favorable aux arguments de Raj doivent prendre conscience que sa rhétorique est une forme larvée de discours conspirationniste, fondamentalement manichéen et simpliste, mais redoutablement efficace pour endormir l’esprit critique et susciter l’adhésion. Là encore, notre message est un appel à la prudence.

Il n’y a pas dans la réaction de Raj une volonté de dialogue, d’explication, d’apaisement. Après tout, il leur était possible de contacter les vulgarisateurs pour leur demander la raison de leur partage de la critique de Guilhem, essayer de comprendre ce qui posait problème, rectifier le tir et rétablir la confiance. Par exemple Hygiène Mentale et d’autres sceptiques leur ont souvent fait part de dérives intellectuelles en message privé, sans jamais les montrer du doigt en public sur leurs énormités pseudo-scientifiques.

Ils ont choisi la culture du clash, meilleure formule du moment pour gagner des abonnés. On doit au moins reconnaître leurs talents dans le marketing et pour la diversion. Car avec tout cela on en oublie le fond : pourquoi autant de vidéastes sont-ils sévères avec le travail d’Autodisciple, Laetitia et Osons Causer ?

L’abjecte diffamation

Dans la vidéo de réponse « Encore Pardon, etc » Raj émet un certain nombre d’accusations envers les vidéastes critiques, mais il franchit la ligne de la diffamation quand il donne un motif intéressé à leurs critiques et évoque la « taxe Youtube ». Voici ce qu’il dit à son public :

« Une grande majorité d’entre eux se sont retrouvés pour une opération de lobbying ou d’influence politique pour qu’une taxe Youtube en préparation revienne en partie aux Youtubeurs, c’est-à-dire à eux… c’est une petite clique qui a bien compris et bien identifié ses intérêts communs… comportement de chiens de garde de Youtube. »

Le conspirationnisme larvé est encore à l’œuvre. On a bel et bien l’impression d’une collusion d’intérêts, d’une intelligentsia qui s’organise pour étouffer toute critique de la plateforme afin de s’assurer un maximum de revenus, et qui implique tous les signataires. Mais c’est une hypothèse coûteuse, et on doit a minima se demander si Autodisciple et consorts ne sont pas en train d’essayer de nous la jouer à l’envers. Pour le savoir, il suffit de s’intéresser à ce qu’est réellement la liste de signatures montrée à l’écran.

 

Médisez, il en restera toujours quelque chose.

Le PS est à l’origine de cette taxe qui n’arrange pas du tout Youtube (vu que c’est lui qui va la payer) dans le but de récupérer de l’impôt sur la publicité. Une petite partie de cet argent est destiné au CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). Le CNC a souhaité intégrer des « Youtubeurs » dans la discussion pour aider à définir le modèle de répartition le plus juste possible. La vidéo-pétition de RealMyop avait pour but de soutenir la proposition PS de cette taxe, afin que l’argent récolté revienne en partie aux créateurs de contenu sur Youtube, pour plus de diversité de l’offre sur ce média ; c’est donc un soutien aux petites chaînes. Le message a circulé dans les réseaux des vidéastes (qui ont très souvent des contacts en commun, c’est logique) et un certain nombre l’ont signé, comme d’autres (en partie les mêmes) ont soutenu en son temps le rapport Reda. Nous parlons d’une taxe qui prélève de l’argent sur le modèle publicitaire de YouTube pour renflouer les caisses de l’état et le redistribuer un peu à des créateurs. Combien des spectateurs de la vidéo de Raj ont-ils compris cela ?

Autodisciple s’adonne à un confusionnisme malsain en laissant entendre que nous serions collectivement à l’origine d’un projet de nouvelle taxe dans le but de bénéficier des sommes perçues. C’est une atteinte à notre dignité fondée sur des informations fausses. C’est pas joli. C’est la culture du clash et de la pensée conspi. Et c’est une mauvaise explication à donner aux critiques sévères formulées par ces vulgarisateurs.

Pourquoi sont-ils critiqués ?

L’équipe de Pardon Youtube a monté en épingle un événement. Le lobbying existe, les pressions sont multiples, et pour tenter d’y répondre, d’y résister, mille initiatives sont possibles, y compris celles qui consistent à dénoncer les pressions, à expliquer comment le système se maintient en place. C’est important de le faire, c’est donc important de le faire bien. Mais avec ce documentaire, nous nous retrouvons dans le storytelling où à partir d’une thèse à démontrer « Youtube est un géant mal intentionné » on utilise tous les éléments disponibles pour raconter une histoire. La méthode du cherry picking à l’œuvre permet de raconter tout ce que l’on veut dès lors qu’on choisit bien les ingrédients (Cf Opération Lune). Les vulgarisateurs impliqués dans cette polémique ne sont pas dupes des techniques ici utilisées, et ils réagissent en conséquence. La réponse de Raj est-elle de nature à réfuter les soupçons ou correspond-elle à ce qu’on peut attendre si le point de vue critique est proche du vrai ? C’est là que nous devons nous en remettre à votre esprit critique à vous.

Résumé

Ce n’est pas parce que l’équipe de « Pardon Youtube » commet des sophismes qu’ils ont forcément tort, et du reste nous pouvons nous tromper dans notre analyse. Mais pour le moment un certain nombre de faits demeurent, qui étayent notre présente analyse.

L’équipe de Pardon Youtube :

  • Tente de mettre Juncker en difficulté et de démontrer le lobbying entre Google et la Commission Européenne.
  • Échoue à déstabiliser Juncker.
  • Mise tout sur la dénonciation du lobbying de Google. Monte en épingle une banale (et regrettable) tentative de pression, la transforme en menace de censure. Placarde partout les mots « censure » et « menace ».
  • Se fait allumer par les vidéastes qui connaissent un peu les techniques de narration et ont repéré l’opération de marketing et ses grosses ficelles.
  • Répond en mettant la tête des vidéastes connus sur leur miniature pour un nouveau buzz.
  • En profite pour diffamer les signataires d’un document demandant à ce que l’argent ponctionné à YT puisse bénéficier aux créateurs de contenu (comme si ce combat était concurrent du leur).
  • N’exprime aucune forme d’autocritique.

 

 

Dans le travail de sceptique, de zététicien, on est amené à critiquer des idées, des conceptions, des discours qui revêtent une importance considérable pour certaines personnes. L’expression du scepticisme face aux croyances représente une violence intrinsèque, ce que j’ai appelé la violence épistémique. Il faut donc que la pratique de la zététique se fasse toujours en ayant conscience que notre action peut être perçue comme une agression. Cela ne signifie pas qu’il faille accepter les réactions violentes à notre action, et surement pas de la part de personnes qui tirent profit (pécuniaire ou symbolique) de la diffusion d’ouvrages traitant de phénomènes présumés paranormaux sous un angle non rationnel.

Le croyant, surtout quand il est engagé dans un processus coûteux vis-à-vis de sa croyance, comme des pratiques ésotériques ou une enquête conduisant à la sortie d’un livre, peut réagir de façon totalement disproportionnée aux critiques.

Depuis les débuts de la Tronche en Biais, nous avons reçu des dizaines de menaces d’agression physique et autres modes de représailles. Souventes fois par des internautes camouflés derrière l’anonymat d’un avatar, des haters lambda, mais aussi parfois par des personnages ayant une vie publique, publiant sous leur nom, qu’il s‘agisse d’un récentiste, d’un blogueur sur la culture SF ou d’un tenant du paranormal auteur de deux livres. Dans de telles situations, il n’y a sans doute pas de formule magique de la bonne réaction et de la bonne gestion d’olibrius ingérables. Sans grand espoir, on peut les aiguiller vers cet appel à la raison.

 

Récit d’un échec

Dernièrement, une nouvelle mésaventure de cette nature s’est produite. Voici le récit d’un échec du débat d’idées.

Laurent K est docteur en sociologie et auteur de deux livres. Son titre académique signifie qu’il a passé un diplôme de doctorat, diplôme sans rapport avec les sujets dont parlera cet article. Il est l’auteur de deux livres. Le premier « Un coup de fil de l’au-delà » a pour accroche sur sa couverture :

« Depuis la nuit des temps, on vous cache la vérité. Il existe bien des faits et des phénomènes inexplicables. Certains, que vous pourrez vérifier vous-mêmes, remettent absolument tout en question. »

Le second « Quand les morts nous contactent » traite en gros du même sujet : les appels téléphoniques post-mortem. Après la mort d’un proche, les gens reçoivent des coups de téléphone où ils entendent la voix du défunt, si l’on en croit les témoignages. Pour l’auteur, les coups de fil ont suivi la mort de… sa chienne. Je n’ai pas lu ces livres, ni n’en ai l’intention. Ils m’apparaissent peu honnêtes pour des raisons qui se feront jour d’ici la fin de l’article. Je les mentionne parce que leur auteur s’est invité grossièrement dans mon environnement numérique jusqu’à provoquer une effervescence aussi fugace que futile.

Acte zéro

Tout commence sur mon mur facebook. Dans une publication, je commente la réaction de Geneviève Delpech (veuve du chanteur) envers Guy Carlier. Ce dernier a vertement critiqué les allégations de Jean-Jacques Charbonier et de Madame Delpech sur la vie après la mort et la communication avec les défunts. Dans cette petite publication (reproduite ci-après), je m’étonnais notamment de la virulence des admirateurs du Dr Charbonier, très heureux de le croire et fort mécontents qu’on se mêle de douter de leurs croyances.

 

« Intéressante réponse au scepticisme qui ose s’exprimer contre les croyances dans l’au-delà (mais pas seulement… car dans ce cas il y aussi croyance de contact, de communication avec les disparus).

Une réponse très incohérente qui prétend que la position sceptique serait fausse mais rassurante… Car visiblement croire que la mort signifie l’extinction totale serait rassurant. Les études en psychologie prouvent le contraire : c’est la croyance dans une après vie qui rassure.

JJ Charbonier y est qualifié de « scientifique », ce qui n’est guère étonnant, mais rappelle la méconnaissance du monde de la science dans le grand public. Les médecins sont des praticiens, des techniciens, des gens souvent super compétents, mais pas forcément (et souvent pas beaucoup) formés à l’usage de la méthode scientifique.

La dame s’offusque du mépris qu’elle perçoit chez Carlier et dans sa phrase suivante parle des « gogos ».

On retrouve une posture victimaire habituelle, et l’habituel talent à dénoncer une chose tout en la commettant. Et comme souvent, on note la vacuité totale du propos : 100% d’offuscation et 0% d’argument.

Dans tous les cas, un commentaire sceptique à ce message a toutes les chances d’être disqualifié d’emblée puisque douter, cela revient à agresser certains croyants. Et cela, quel que soit la gentillesse avec laquelle vous douterez, car il y a une forme de violence intrinsèque à tenter de dissoudre les illusions et les incompréhensions. Quand en plus la croyance touche au deuil et à la souffrance qui l’accompagne, autant dire que le terrain est miné. »

 

C’est sous cette publication qu’intervient Monsieur K :

 

 

Il est très important de préciser que la plupart des gens qui croient en la vie après la mort sont fréquentables et normaux, avec souvent un vécu singulier qui mérite qu’on lui apporte une explication scientifique là où ils doivent généralement se contenter de récits accessibles, attractifs, vendeurs, mais sans fondement, sans méthode et donc très certainement illusoires et potentiellement dangereux. Les tenants qui prennent le plus la parole dans les médias et les réseaux ne sont que la partie émergée d’un groupe de gens qui n’ont pas de raison d’être plus stupides, bornés ou irrationnels que les autres. Malheureusement, nous allons voir que monsieur K participe à sa manière à décrédibiliser les tenants des hypothèses paranormales.

 

J’ai jugé utile d’afficher la hauteur de l’argumentaire de monsieur K sur ma page facebook. C’est là que l’aventure commence. Je voudrais vous présenter une miniature du post où je regrette le niveau où le débat est placé par un individu qui, auteur qu’il est, devrait pouvoir se comporter mieux, mais cela m’est techniquement impossible. Vous allez comprendre pourquoi.

 

Acte 1 – La vitupération

Rendu furieux par ma description de ses livres (pendant plusieurs jours, et pour une raison mystérieuse, il a systématiquement mis une majuscule au mot Livre quand il s’agissait des siens avant d’incriminer son téléphone… qui toutefois ne mettait pas de majuscule aux livres écrits par d’autres que lui… est-ce paranormal ?), monsieur K a exigé que je supprime ma publication. Il n’a guère laissé la place à une explication des raisons de sa fureur avant de se lancer dans divers insultes et vociférations sur mon incompétence et ma malhonnêteté, les deux explications que l’on jette facilement à la tête de ceux qui ne sont pas convaincus par notre manière de voir le monde.

J’ai cessé de lui répondre. Les visiteurs de ma page ont tenté de dialoguer avec lui, de lui faire comprendre que ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder pour échanger des idées et tester ses hypothèses.

J’en profite pour emprunter à Hygiène Mentale et partager avec vous l’illustration des règles d’un débat d’idées convenable. Il s’agit d’un contrat tacite entre deux interlocuteurs qui s’engagent à ne pas rendre impossible tout changement d’avis à la lumière d’arguments convaincants.

 

Au lieu de reprendre ses esprits face à des réponses argumentées, monsieur K a multiplié les promesses de représailles corporelles à mon endroit, avec allusions à ma ville de résidence. Pendant plusieurs jours. Cet épisode m’a permis d’apprendre l’existence d’une page sur laquelle on peut signaler les faits de menace et de harcèlement sur Internet. Partagez auprès des gens qui pourraient en avoir l’usage l’adresse de cette page : https://www.internet-signalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/Accueil!input.action

 

Sans conviction que la chose puisse réellement apporter quelque sérénité dans mon environnement virtuel, j’ai donc signalé la page sur laquelle Monsieur K a proféré menace et injures de manière répétée et ostentatoire. Si la zététique porte en elle une part de violence psychologique, cette violence est toute entière contenue dans la remise en question qu’elle enjoint, et nul n’a à tolérer de la vraie violence en retour. Bien sûr, dans aucun cas il n’est judicieux de répondre aux injures par l’insulte, ou inversement. Mais à ce stade, il n’était évidemment plus question de débattre, les conditions nécessaires n’étant pas réunies.

Acte 2 – Le dilemme

La santé mentale de Monsieur K me semblait discutable, et mon éthique personnelle m’incite à ne pas débattre publiquement avec une personne mentalement perturbée ou ne disposant pas de toutes ses facultés intellectuelles. C’est un service à rendre aux individus diminués que de ne pas profiter de leur situation. Ma position était donc aussi bienveillante et stoïque que possible.

Puis arrive un remarquable « t’es vraiment une pédale » en réaction à mon signalement de son comportement. Et l’on constate qu’il est difficile de savoir comment réagir. Faut-il considérer que Monsieur K est dérangé ? Le bannir de la page ? Lui répondre ? Par amour pour la liberté d’expression, et parce que l’observation de ce genre de personnage fait partie de la mission que je me suis bêtement confiée, j’ai laissé Monsieur K en liberté sur mes réseaux.

 

Ceci n’est pas une réaction appropriée à un signalement pour menaces physiques.

 

Y avait-il un moyen pour les sceptiques de désamorcer cette agressivité ? J’ai tendance à penser que non. On ne peut pas convaincre tout le monde, et un diplôme de doctorat ne suffit pas à faire d’un homme quelqu’un de sensé et sensible aux arguments. Parfois il n’est tout simplement pas possible d’entamer un dialogue constructif. Et des signes avant-coureurs l’indiquaient clairement avec Monsieur K : son vocabulaire du jugement, de l’accusation, son agressivité envers tout le monde, les menaces et rodomontades trahissaient un désir d’imposer son point de vue et de ne surtout pas laisser à l’autre une chance de s’exprimer réellement.

 

Pour le plaisir des homophobes

 

Pourtant je pourrais bien avoir eu tort, me disais-je, car Marc Doridant, internaute zététicien, entame avec Monsieur K une discussion sur le projet Aware, une étude sur les rescapés d’arrêt cardiaque ayant pour but d’explorer les Expériences de Mort Imminente. Ignorant les provocations, protestations et divagations de son interlocuteur, il réussit à obtenir quelques réponses sur l’interprétation que monsieur K en fait : ce projet aurait prouvé l’existence d’une conscience hors du cerveau. C’est malheureusement une interprétation erronée, comme Marc le lui explique patiemment, en montrant que l’étude ne permet pas de soutenir cette conclusion. Silence radio de Monsieur K sur le plan des preuves et de la méthode ; il préfère revenir sur la manière dont j’ai, selon lui, mal présenté son travail dans mon post initial.

 

Acte 3 – Quand accepter le débat s’avère être un faux pas

Devant le ton apaisé qu’ont pris les échanges et les demandes répétées de Monsieur K, j’accepte de débattre avec lui. Je commets l’erreur d’oublier la violence haineuse du personnage ; j’imagine qu’il y a dans sa démarche une réelle envie de confronter des idées.

Spoiler : il n’en est rien.

Parfois les gens veulent juste s’imposer, dominer, écraser les autres. Souvent, ils ne parviennent guère qu’à vriller les nerfs et gaspiller le temps de leurs contradicteurs, mais c’est déjà une nuisance plus que suffisante.

J’entame donc un dialogue au cours duquel je questionne sa méthodologie et sa définition de « paranormal » puisque son discours est « les phénomènes paranormaux existent, je le SAIS ». Pour lui le paranormal est irréductiblement inexplicable, un principe étranger à la démarche scientifique. Ses preuves sont des témoignages glanés en l’absence de toute méthodologie scientifique. Il est difficile d’obtenir de lui une réponse sur la nature des phénomènes paranormaux en question. Intentionnellement ou par incapacité, Monsieur K reste dans le flou artistique.

Par exemple, il se prétend sceptique, mais les titres de ses ouvrages et leur présentation s’adressent clairement aux croyants qu’ils brossent dans le sens de leurs attentes. Dans les interviews disponibles sur le net, la position défendue n’est jamais celle du scepticisme scientifique.

On parle de « coups de téléphone passés par les proches décédés », et les seules précautions obtenues après un intense questionnement sont un simple « tout se passe comme si… ». Bref, nous sommes en présence d’un croyant qui s’ignore ou qui feint de s’ignorer.

Une fois établi ce « tout se passe comme si… » (entendu : comme si des personnes décédées contactaient leurs proches via le téléphone), je lui propose de revenir sur le sujet du projet Aware qu’il m’accuse de travestir quand je cite une phrase de son auteur principal, Sam Parnia. Mais aussitôt le ton change et l’agressivité reparaît.

 

Acte 4 – Le bonheur d’être une victime

À ce moment précis Facebook m’annonce qu’il censure le post dans lequel je présentais Monsieur K et son drôle d‘argumentaire anal (Et vous savez maintenant pourquoi je ne pouvais vous donner un aperçu de ce post). Il a apparemment suffi à Monsieur K de se plaindre auprès de Facebook que son nom était mentionné dans la publication. La politique de publication de facebook n’est pas réputée pour sa logique. Sont donc perdus les 400 commentaires au milieu desquels se cachaient les injures et menaces qui m’avaient poussé à le signaler. Voilà.

En réaction, Monsieur K déclare aussitôt qu’il m’a « battu à plate couture ». Tel était donc son objectif. Je choisis à nouveau —mais un peu tard— de cesser d’interagir avec ce monsieur. De son côté, il s’obstine à répondre aux commentaires des autres intervenants. Les échanges se perdent dans l’amphigouri répétitive des mêmes bravades et invectives et dans le trollage joyeux et désinhibé des visiteurs de la page qui ont décidé que, de toute façon, tout ça n’avait aucun sens.

La logique de la censure sur Facebook est un grand classique.

 

 

Epilogue – C’est bien triste, mais : et alors ?

Quelle leçon tirer de cette aventure, de cet échec de la discussion avec un tenant (qui se dit sceptique) ?

Dans la vraie vie, beaucoup de gens sont soumis quotidiennement à ce niveau de violence de la part de proches, de camarades, de collègues, de supérieurs… La brutalité vulgaire de celui qui n’a aucun égard pour la liberté de conscience d’autrui est une cause de souffrance considérable. J’ai la chance de ne la subir que de mon plein gré sur des réseaux où je prends délibérément la parole sur des sujets qui fâchent. Cette expérience n’est qu’un pâle aperçu de ce que subissent les personnes qui n’ont pas d’autre choix que de fréquenter des individus semblables à Monsieur K.

Les abus psychologiques sont monnaie courante. Une bonne raison de les rejeter partout.

La violence du croyant est d’une nature bien plus perverse que celle du zététicien, car contrairement à ce dernier, il ne dispose d’aucun outil lui permettant de mesurer le mal qu’il fait, et aucune empathie épistémique n’est à espérer de la part de celui qui croit détenir une vérité absolue.

« L’offenseur ne pardonne pas » dit l’adage.

Le croyant frustré par la contradiction, en se lançant dans une agression de ses contradicteurs, met en place tous les ingrédients qui vont faciliter son enfermement doxastique. Plus il insulte, plus il s’immunise contre la remise en question de la part de ceux qu’il vient d’agonir, puisqu’il rabaisse aussi bien leur personne que leurs paroles. L‘agressivité explosive du croyant contredit, c’est la réaction d’une croyance qui ne veut pas mourir et resserre son emprise sur sa proie. La position épistémique est terriblement faible, mais elle est compensée par une charge affective et un capital symbolique qui ne nourrissent de la frustration et de la colère suscitées par la résistance des contradicteurs. C’est un peu le côté obscur de la rhétorique.

 

Les limites de l’argumentation.

Il n’est pas possible de raisonner avec tout le monde, tout le temps, notamment parce qu’il faut pour cela être dans une disposition d’esprit propice au dialogue. En toute rigueur, seule compte la logique, mais nous ne sommes pas des entités purement rationnelle. Les émotions, souvent, vont affecter notre capacité à accepter la contradiction et à nous plier aux règles du débat.

C’est pourquoi qui veut pratiquer la zététique doit se demander si son interlocuteur est en mesure d’entendre la contradiction qu’il désire lui porter (et si lui-même en est capable, point de départ évident). Entamer un débat d’idées quand les bonnes conditions ne sont pas rassemblées, c’est un peu scier la branche sur laquelle on est assis. L’autre risque de se sentir purement et simplement jugé, provoqué, agressé, ce qui le fermera à des débats futurs. Forcer l’autre à entrer dans un débat sans qu’il ne consente pleinement aux règles qui garantissent un bon déroulement est contre-productif. Cela risque de compliquer la tâche des autres zététiciens, laquelle consiste à déconstruire les représentations, assouplir les paradigmes, prendre en considération les déterminismes, et abaisser le niveau d’agressivité sur des questions épineuses.

 

Dans tous les cas, préparez-vous à l’échec. Vous ne « déconvertirez » jamais personne. Au mieux, vous pouvez aider les gens à comprendre qu’ils sont dans la croyance, mais c’est une découverte que personne ne fera à leur place. Charge à vous, dès lors, de savoir quand arrêter un échange d’idées et de ne surtout pas avoir pour but d’arracher une quelconque victoire.

La victoire est l’illusion après laquelle courent les trolls de l’internet ignorant que leur attitude est leur unique ennemie.

 

Le discours sceptique est irritant. Tel un solvant universel, il s’attaque aux objets de croyances et même aux récipients qui veulent le contenir (les paradigmes). L’existence du sceptique, sa simple présence est une forme de violence envers la croyance.

Ceci ne sera pas le dernier article sur Idriss Aberkane, car il s’agit d’un cas beaucoup plus intéressant qu’il peut sembler au premier abord. Ici nous allons nous intéresser à sa manière de répondre aux critiques, mais bientôt nous reviendrons sur ses « travaux » pour voir quelle vision de la science l’anime. Autant vous lâcher le morceau tout de suite : nous ne partageons pas cette vision.

Cet article aura deux parties, d’abord un passage en revue de l’histoire racontée par Idriss Aberkane et sa traduction en version réaliste, puis je vous proposerai une réflexion sur le succès de cette histoire, ce qu’elle dit de notre rapport aux faits et aux récits.

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Une réaction habile face à la polémique

Aux critiques et questions suscitées par son CV et le contenu jugé peu scientifique de ses conférences disponibles en ligne, Idriss Aberkane n’a pas répondu. Il a simplement réagi en publiant une nouvelle forme d’autofiction dans laquelle il se présente comme un héros de la science et corrige imperceptiblement, sans jamais les reconnaître, les grossiers bidonnages des versions antérieures de son CV.

Sa seconde réaction, est de bloquer sur twitter les comptes des gens un peu trop sceptiques à son égard. Toute interaction a donc été par lui refusée, et il ignore purement et simplement les critiques au lieu d’y apporter des réponses argumentées. Il impose un discours duquel il n’est pas permis de discuter avec lui. Le but est sans doute de décourager la critique en empêchant le débat, afin d’étouffer la polémique. Cela ne saurait nous interdire de continuer à disséquer cet intéressant cas d’école.

Tout d’abord disons une chose : Idriss Aberkane n’est pas un imbécile. Il a été un étudiant brillant et a obtenu de vrais diplômes. Il eut pu choisir, peut-être, avec le goût de l’effort et de l’abnégation, une carrière de chercheur. Mais il a moins un profil de chercheur que de chercheur de diplômes, et il feint admirablement bien de ne pas comprendre l’inadéquation mise en exergue sur les réseaux entre ses prétentions d’expertise, d’excellence et ses véritables publications et réalisations. Ce qui sera questionné ici, ce n’est pas l’intelligence de monsieur Aberkane, ni son talent à dire des choses enthousiasmantes, à captiver son auditoire, mais la confiance que l’on peut concéder à ses dires une fois examinée la véracité d’un certain nombre de ses affirmations. Ce qui est questionné ici, c’est la valeur de sa parole.

Avant de questionner le fond, dissipons le nouveau nuage de fumée jeté le 31 octobre vers 23h sur son site http://idrissaberkane.org (peu d’éminents chercheurs ont assez d’égo pour posséder un site avec leur nom suivi d’un « .org »). Les lecteurs pourront consulter in extenso ce qu’il appelle « une sorte de constitution professionnelle ». On ne va pas s’arrêter sur tous les points, car nul ne l’accuse de mentir sur tous les détails de son parcours.

Idriss Aberkane a-t-il déjà publié un article scientifique ?

Nous avons publié il y a peu le résultat d’une petite enquête au sujet d’un extrait de cette réaction du 31 octobre. Dans le but de vérifier une allégation de statut de « co-auteur final » nous avons découvert que le seul article universitaire d’Idriss Aberkane… n’existe pas réellement. C’est en fait un poster de congrès, et ce qu’il dit à son sujet est inconciliable avec les faits.

Fact-checking, le retour

En 2005 j’ai obtenu un DEUG Biologie option chimie Mention Très Bien de l’Université Paris-Sud d’Orsay (l’ancêtre de Paris-Saclay) top 1%, sept lettres de recommandation, et effectué deux stages dont un dans une équipe du CNRS avec laquelle j’ai dû signer un contrat de propriété intellectuelle couvrant la durée du stage. »

4ème sur 209, c’est un excellent résultat, mais ça ne fait pas le top 1%. Alors pourquoi le dire ?

J’ai été admis par concours sur dossier comme prédoctorant à l’Ecole Normale Supérieure…

Notons la confusion de la formule : « par concours sur dossier » semble dire qu’il a passé le concours d’entrée, voie royale. La réalité est qu’il a été admis sur dossier (ce n’est pas donné à tout le monde il était donc un bon étudiant). La distinction (qu’elle soit légitime ou non) réside en ce que les élèves admis au concours peuvent se dire « Normaliens », et les autres non.

Il s’agit d’un texte en réaction à des accusations de bidonnage de CV, alors pourquoi ne pas faire le choix de la clarté et préférer au contraire une formulation pouvant prêter à confusion ?

J’ai ensuite été invité en 2006 comme assistant de recherche rémunéré au département de psychologie expérimentale de l’Université de Cambridge, co-auteur final d’une publication en psychoacoustique. Je retournerai à Cambridge comme assistant de recherche en 2009, cette fois pour étudier des données de MagnétoEncéphaloGraphie (MEG). » Dominance region for pitch at low fundamental frequencies: Implications for pitch theories », Brian C.J. Moore, Brian Glasberg, Idriss Aberkane, Samantha Pinker, Candida Caldicot-Bull in The Journal of the Acoustical Society of America (Impact Factor: 1.5).01/2007.Cambridge

 

Le mot « invité » est intéressant. Il y avait probablement le mot « guest » ou « invited » sur sa convention, son badge ou son trousseau de clef, cela ne veut pas dire que sa présence a été sollicitée par le laboratoire, or c’est exactement ce que semble dire le paragraphe ci-dessus. Il s’agissait d’un stage d’été de 2 ou 3 mois. Que suggère Idriss Aberkane quand il précise qu’il a été invité et qu’il a été rémunéré : que d’autres ne le sont pas, et que son cas est exceptionnel. Ce n’est pas tout à fait exact.

Quant au terme co-auteur final, il est celui qui nous a mis sur la voie d’un scoop : l’article dont il se vante n’est pas un article mais un abstract de poster. Idriss Aberkane ne figure pas dans la liste des auteurs du papier final qui sortira en 2012, preuve que son implication n’a pas été cruciale dans ces travaux, et qu’en l’espèce il a commis un mensonge peu habile.

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J’ai été invité à l’Université de Stanford en 2006, d’abord comme “Visiting Scholar” (que l’on traduit souvent comme chercheur invité) par le Professeur…

Là encore il se dit « invité », et on est en droit de faire remarquer que ce n’est pas vraiment comme ça que ça marche ; c’est certainement lui qui a fait les démarches pour se rendre là-bas (comme c’était son droit). Aucun document fourni n’atteste en tout cas la thèse de l’invitation spontanée par Stanford telle qu’implicitement rapportée par Idriss Aberkane. Mais peut-être peut-il produire le nom de la personne qui l’y aurait « invité » pour rendre sa version crédible, s’il y tient.

– j’ai donné trois conférences à l’Université –

Conférence est un mot plus vendeur mais moins exact que séminaire, mais séminaire était le bon mot à employer. Un as de la communication peut-il involontairement faire autant d’erreurs qui vont toujours dans le sens de donner une image plus flatteuse et importante de sa personne ?

Les chercheurs industriels professionnels, en général, publient très peu en dehors de leurs produits finis ou de leurs brevets, mais je suis contre le brevet logiciel.

C’est souvent vrai. Cela dit, Idriss Aberkane publie beaucoup. On compte 25 publications dans son CV : trois thèses, un article qui n’en est pas un… et des tas de publications sans valeur universitaire reconnue, sans lien avec sa recherche industrielle. On est plutôt dans du discours en sciences sociales molles. Notez que là encore l’effet produit par une telle liste est une confusion profitable à monsieur Aberkane ; elle donne l’illusion d’une grande productivité universitaire. Le but d’un CV est-il de faire illusion ?

Je suis enseignant chargé de cours à l’école CentraleSupélec (Université Paris-Saclay) depuis 2011

Rappel : sur son CV et sur son site, il se disait professeur (un grade qu’il n’a pas) ce qui a forcé l’école Supélec à démentir officiellement son statut d’enseignant-chercheur. M Aberkane ne revient nullement sur cette usurpation-là (qui n’est vraiment, vraiment pas innocente quand on sait de quoi on parle), comme si cela n’était l’une des raisons pour lesquelles son CV a attiré les foudres des gens attachés à la probité des scientifiques.

j’ai dirigé un si grand nombre de mémoires de Mastère Spécialisé (formation sélective inscriptible uniquement après un Mastère) que je ne peux m’en souvenir de tête.

Son CV mentionnait qu’il avait dirigé « plus d’une vingtaine de thèses de master » or l’utilisation du mot est rare dans le cas d’un master et on le réserve d’ordinaire au doctorat. Par anglicisme il peut s’employer, mais alors il prête à confusion. Quelle surprise que ce soit le choix de la confusion encore une fois qui ait prévalu dans ce texte.

J’ai d’ailleurs été stagiaire dans un laboratoire du CNRS dès 2005 et ce n’était pas pour apporter des cafés mais faire de la recherche.

Comme des milliers d’étudiants ! Tous ne prétendent pas avoir été « chercheurs » juste parce qu’ils ont été « stagiaires ». Mais il fallait qu’Idriss Aberkane se juge plus digne qu’eux de cette adresse.

Le premier doctorat (Thèse rédigée en anglais)  a fait suite à mon éducation militaire comme officier de marine de réserve, il portait sur la géopolitique de la connaissance, au Centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris.

Seules les écoles doctorales des universités peuvent délivrer des diplômes de doctorat. Le titre « PhD » pour Philosophiæ doctor est moins encadré. Idriss Aberkane peut donc vraisemblablement se dire PhD du Ceds, mais pas revendiquer un doctorat. Cela ne l’empêche pas de nous dresser un véritable panégyrique à la gloire de ce travail :

« Le mérite et l’originalité de ce doctorat ont donné lieu à une publication soumise à la revue d’un comité éditorial de trois personnes, “Noopolitique: le pouvoir de la connaissance” chez Fondapol, puis à sa republication aux Presses Universitaires de France. Fait rarissime, cette publication a été traduite en Chinois, Coréen et Anglais (voir site de Fondapol) »

La Fondapol est un think tank qui produit des analyses, des études, des points de vue. Même si elle possède des comités éditoriaux, leurs publications ne sont pas équivalentes à des revues scientifiques expertisées par les pairs. C’est cependant l’impression que donne le phrasé d’Idriss Aberkane, qui gauchit la vérité juste assez pour permettre aux gens de croire qu’il jouit d’une reconnaissance académique dont il est dénué.

Ce doctorat n’a donc malheureusement donné lieu à aucune publication universitaire permettant de valider le travail du doctorant. On a dit dans un article précédent l’étrangeté de la composition du fort restreint jury de thèse.

SECRET STORY

Le deuxième doctorat est en Littérature Comparée et Études Méditerranéennes à l’Université de Strasbourg.

Une thèse de 259 pages abondamment illustrée dont le résumé déborde d’analogies entre le cerveau et le monde littéraire. À toutes fins utile précisons que l’analogie est l’outil favori des pseudosciences, qu’elle est utile en médiation scientifique, mais qu’elle ne peut jamais être un mode de description du réel dans le cadre d’un travail scientifique.

Un article entier devrait être réservé à l’analyse de cette thèse, tant on y trouve d’extraits qui témoignent d’une prétention hallucinante à révolutionner la science, à en rejeter les codes, à en mépriser la démarche. Pour le dire en trois mots, Idriss Aberkane y développe une pensée mystique, scientiste et relativiste qui devrait faire bondir n’importe quel épistémologue.

  • Extrait du résumé : « Ainsi comme il existe une cartographie dynamique des connexions cérébrales, la connectomique, il existe une connectomique des littératures et une biologie des littératures. Une partie du corps calleux des littératures, le faisceau de connexions directes entre Orient et Occident, est la « chaîne de la gâtine », un linéament de textes qui se fascinent pour l’interaction entre le monde et la conscience.»

et le troisième [doctorat], donc à l’école Polytechnique, a pour objet la neuroergonomie et la bio-inspiration logicielle appliquée, dont un chapitre a donné lieu, aussi, à une publication sous comité éditorial chez Fondapol, puis republication aux Presses Universitaires de France, traduite encore une fois en Chinois, Anglais et Coréen.

Nous nous bornerons à dire que cette thèse (obtenue à l’Université Paris-Saclay et non à Polytechnique) n’a pas non plus été l’occasion pour Idriss Aberkane de publier enfin un article dans une revue scientifique, comme c’est la règle pour valoriser un travail de recherche. On peut légitimement penser qu’il n’y a pas eu de véritable travail de recherche derrière la rédaction de ce mémoire. Le titre le souligne d’ailleurs de manière singulière par sa formulation très vague : « Neuroergonomie et Biomimétique logicielle pour l’économie de la connaissance: Pourquoi? Comment? Quoi? »

Idriss Aberkane ne s’est jamais soumis à l’examen de ses travaux par des pairs.

Sur les entreprises qu’il aurait créées et qui auraient planté plus de 10 000 arbres au Sahel, ne disons rien. Nous n’avons pas le temps de vérifier ces informations. Cela peut être vrai, et cela indique le talent d’entrepreneur de l’individu, sans rien dire sur ses connaissances dans les domaines où il se dit expert. Cela peut aussi être faux pour autant que nous le sachions.

Déontologiquement et légalement, il n’est pas possible d’être dirigeant d’entreprise et fonctionnaire titulaire en même temps. En créant et dirigeant ma première entreprise sociale en 2009, juste avant de me lancer dans mes recherches doctorales, et en sachant que j’en créerait deux autres par la suite, je savais donc que je ne ferai jamais carrière comme fonctionnaire-chercheur et c’est pour cette raison que j’ai choisi la recherche industrielle et appliquée, un secteur où le professionnel ne publie quasiment jamais ses travaux.

C’est inexact. Il existe des procédures facilitées pour qu’un chercheur CNRS puisse monter et diriger une entreprise. En fonction du temps consacré et des revenus perçus, ça peut exiger de se mettre en disponibilité totale ou partielle. La manière dont Idriss Aberkane présente la chose laisse croire qu’il avait toutes les chances d’avoir un poste au CNRS mais qu’il a décliné cette possibilité car un choix s’imposait à lui. Inexact. Ajoutons que dans le privé aussi règne le publish or perish, et que c’est un faux semblant d’expliquer de cette manière l’absence de publication.

Dans une version datée du 3 octobre, le point suivant a été ajouté, probablement en raison de ma propre insistance sur les réseaux sociaux à lui demander qui l’avait nommé « Ambassadeur du Campus Numérique de Systèmes complexes Unesco Unitwin ».

Je suis également « Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire » du Complexe Systems Digital Campus (CS-DC) UNESCO UniTwin. ambassadeur-unesco-unitwin

Que constate-t-on ? Qu’un tel titre n’existe nulle part ailleurs dans le monde académique. Idriss Aberkane est le seul à le posséder. Qu’il est délivré par Pierre Collet, un chercheur en informatique qu’on retrouve dans le jury non pas d’une mais de deux thèses d’Idriss Aberkane en Littérature et en Sciences de Gestion. Si vous avez le mot complaisance sur le bout de la langue, on ne nous en blâmera pas. On se demande au nom de quels travaux ce titre lui est accordé.

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Contactés, les présidents des jurys de thèse et le Centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris n’ont pas donné suite à notre courrier leur demandant des informations sur la qualité de ces thèses, notamment l’accès aux rapports de soutenance qui contiennent les critiques académiques adressées au manuscrit et à la soutenance orale par les rapporteurs, normalement membres du monde universitaire.

Une mystification.

La réaction du 31 octobre est une autofiction. Idriss Aberkane nous raconte une success story à laquelle on croit volontiers, car c’est une belle histoire. Les thématiques sont exaltantes, les décors sont étincelants, les ambitions sont à la mesure de l’excellence des références, et les diplômes sont à la démesure de ces ambitions empressées. On a quelqu’un de brillant qui nous parle d’échec (celui de l’école), lui qui n’a connu que des réussites ; qui nous promet de « libérer notre cerveau » lui qui de toute évidence utilise si bien le sien. On veut y croire, même quand certains faits ne cadrent plus, même quand on comprend qu’il y a des arrangements avec la réalité, car après tout quel héros est totalement parfait ? Les exagérations peuvent sembler pardonnables dans un monde féroce où les vraies vocations, les vraies valeurs ont maille à partir avec les conflits d’intérêt et l’immobilisme intellectuel. Le plan marketing consiste à nous parler d’un pouvoir d’achat égal pour tous : celui de la connaissance qui ne dépendrait que du temps et de l’attention, et ce au mépris de tout ce que la sociologie et la psychologie nous disent sur les déterminismes sociaux et sur l’inégalité radicale entre les humains qui ne s’effaceront pas d’un vœu pieux. Mais c’est gaiement qu’avec lui nous nions des réalités indésirables pour nous cramponner à l’espoir que la science a les réponses à tout, surtout quand elle est mise en équations.

Ф(k) α At

Le flux de connaissance (k) est proportionnel au temps (t) et à l’attention (A)

Cette équation est une profonditude, selon le mot inventé par Daniel Dennett (deepity en anglais). Une profonditude est une proposition qui peut avoir au moins deux sens. L’un est vrai mais trivial ; l’autre semble profond mais il est essentiellement faux et serait bouleversant s’il était vrai.

Ici, ce que nous dit-on ? Que le flux de connaissance dépend du temps disponible et de l’attention consacrée. C’est une évidence qui n’a pas besoin d’une équation : c’est à la fois vrai et trivial, et donc ça n’a aucun intérêt. Sans temps ou sans attention, nulle connaissance n’est transmise, personne ne l’ignorait.

Mais l’équation dans son contexte semble dire autre chose : du temps et de l’attention, tout le monde en a, et on peut transformer les millions d’heures passées sur les jeux vidéos en un immense flux de connaissances qui va alimenter l’économie (il parle de le transformer en « cash flow »). Cela est bouleversant si c’est vrai, mais c’est faux. Les individus ne sont pas maîtres du temps qu’ils peuvent consacrer à des serious game, ils subissent d’innombrables contraintes dans leur vie quotidienne qui ôtent à certains la simple possibilité de consacrer du temps à ces activités ; et leurs parcours personnels aboutissent à des inégalités cruelles sur la quantité d’attention dont sont capables les uns et les autres. Pour rendre compte du réel, il faudrait une équation autrement plus complexe que celle proposée par Idriss Aberkane, et jamais soumise par lui à la critique de la communauté scientifique. Les « pauvres » et les « chômeurs » ne sont pas réellement plus riches de temps et d’attention que les autres, mais on nous dit le contraire, et on veut le croire, car cela rend possible la belle histoire qui nous est narrée.

Il y a un coté e=mc² dans cette petite équation qui, sous une forme toute simple, nous donne l’illusion d’avoir compris une chose compliquée. Rien d’étonnant à ce que la séduction opère. Donner l’illusion de rendre plus intelligents des gens à qui vous voulez vendre l’idée que vous savez comment rendre tout le monde plus intelligent est en effet prodigieusement futé.

Chalkboard drawing - From Story to Success

Cachez ce scientisme !

Idriss Aberkane a un discours scientiste déconnecté des réalités de la démarche scientifique et du corpus de connaissance des sciences cognitives et sociologiques. Mais pour certains, ça n’a aucune importance puisqu’ils sont touchés, émus par ce qu’il leur dit. Il leur dit des choses qui ressemblent à de qu’ils veulent entendre, et que d’autres pourraient dire en respectant davantage les faits et la rigueur scientifique qui permet d’isoler et de corriger une éventuelle erreur. Mais Idriss Aberkane est passé avant, il est passé partout, sur toutes les ondes, et désormais c’est lui le propriétaire des concepts de « neurochronologie », « neuronaissance », « neurofascisme », « neurodatasome » dont certains sinon tous sont dénués de véritable définition et de toute validation par le processus de la revue par les pairs, processus qui permet aux scientifiques d’éprouver la solidité de leurs concepts avant toute éventuelle promotion. Le chercheur en neurosciences cognitives Sebastian Dieguez a spontanément inventé le terme de « neuro-impasse » pour parler de ce vocabulaire (communication personnelle).

Le Syndrome de Galilée n’est pas un cliché pour rien : nous adorons l‘histoire du génie solitaire qui doit s’opposer à la médiocrité ambiante. On la retrouve dans la plupart des films à succès qui abordent de près ou de loin le monde scientifique. La manière dont la science est présentée dans la culture populaire et dans certaines formes de vulgarisation alimente cette idée fausse que la science progresse par les coups de boutoir que donnent des héros de comics contre les certitudes indéboulonnables de savant poussiéreux hostiles aux idées nouvelles.

En vrai, la science, c’est une démarche collective. Les génies qui vivent parmi nous ont assez d’intelligence pour travailler en équipe. Ils ont le talent de se faire comprendre par les experts de leur domaine, au minimum par les moins obtus (car oui il y a des scientifiques obtus, fermés et sclérosés, pourquoi le nier ?) car c’est le meilleur moyen de faire avancer les choses et de déboucher sur de vraies découvertes. La révolution de nos modes de vie, de l’école, de la connaissance ne viendra pas de l’initiative d’un coach de développement durable auteur d’un livre dopé aux analogies douteuses, même s’il est bardé de quatorze doctorats en tétrapilectomie, mais d’un processus bien plus complexe qui implique que les gens s’approprient la méthode qui produit de la connaissance afin de mieux distinguer le savoir de la simple idéologie, afin de mieux respecter ce savoir et de le transmettre, afin de faciliter l’émancipation des individus grâce à l’amélioration de la société.

Ce paragraphe que vous venez de lire, enthousiaste, enivrant peut-être, n’est pas moins vrai que tout ce que vous pourrez lire chez Idriss Aberkane. La différence en est que l’auteur d’icelui ne prétend pas être l’individu par qui viendra la délivrance de notre si désespérante condition humaine. Inventer des mots et aligner des bons sentiments peut suffire à faire un écrivain, et les écrivains sont des gens utiles. Mais l’écrivain qui se veut au moins un peu scientifique ne le sera qu’à la condition de respecter ce qui fait qu’une connaissance est une connaissance.

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La science, ce n’est pas l’art de raconter des histoires, c’est la méthode autocorrectrice qui propose des modèles réfutables sur le fonctionnement du monde. Dans la course à la séduction, la science perdra toujours contre le storytelling, alors changeons le game.


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