Nous vivons tous dans un monde de concepts construit par notre cerveau à partir de nos perceptions de notre environnement. Nous le faisons assez efficacement, car la sélection naturelle s’est assuré d’éliminer continuellement ceux qui n’en étaient pas capables.

Ce texte a été initialement publié en 2017 dans La Science à Contrepied, aux éditions Belin, livre collectif signé par une quarantaine de vulgarisateurs.

 

À votre insu peut-être, vous mobilisez votre cerveau à cet instant précis, en lisant ces lignes. C’est un fait connu : dans la tête de tous les humains où l’on a regardé, on a trouvé un cerveau. Et si l’on retire le cerveau de la boîte crânienne, son propriétaire meurt… Le consensus est plutôt général. Mais ce que nous savons sur le cerveau, nous ne l’avons pas toujours su.

 

Ce qu’on pense savoir

Le plus ancien document faisant référence au cerveau est un papyrus égyptien datant de 1600 avant notre ère[1]. Il s’agit d’un texte quasi-scientifique qui s’intéresse aux conséquences de traumatismes violents et notamment de coups reçus à la tête (l’auteur, un chirurgien, était probablement confronté à des blessures de guerre). On y trouve entre autres les plus anciennes descriptions du liquide céphalo-rachidien ou de la surface du cortex cérébral. De façon notable, il n’y a pas de précédents : la méconnaissance sur cette partie du corps et sur son rôle semble générale à l’époque.

Pour Aristote, penseur du ive siècle avant notre ère, le cerveau n’est guère qu’un radiateur : sa grande taille chez l’humain l’aiderait à garder son sang-froid, et l’assurerait donc d’être plus raisonnable que les autres bêtes. Longtemps, comme Aristote, de nombreux savants ont positionné le siège de la pensée et des émotions dans le cœur, même si Hippocrate et certains autres suspectaient déjà qu’il en allait autrement. Pendant des siècles, les dissections du corps humain étant peu pratiquées pour des raisons morales et/ou religieuses, la connaissance n’a pas beaucoup progressé… Au deuxième siècle de notre ère, Galien montre que c’est bien dans le crâne que se forment les pensées ; mais il faut attendre le xixe siècle pour connaître la nature électrique des signaux qui parcourent le cerveau, et ce n’est qu’à l’aube du xxe siècle que seront découverts les neurones.

Aujourd’hui, il nous semble évident que le cerveau est le lieu où s’élaborent nos pensées, nos émotions et notre représentation du monde et de nous-mêmes. Notre organe cérébral est extraordinairement complexe ; on le considère même comme la structure la plus complexe connue à ce jour dans l’Univers. Bien sûr nous en tirons orgueil, car il nous donne le sentiment d’occuper une place à part dans la nature. Et nous oublions allégrement nos autres qualités : il est d’usage de dire que nos sens ne sont pas particulièrement développés par rapport à ceux des autres animaux, de rappeler que nous n’avons pas de pelage, pas de griffes, et seulement des crocs piteux ; nous serions des créatures inermes et chétives. En réalité nous sommes de gros animaux, plus massifs et plus forts que la plupart de ce qui rampe, vole, nage, trottine ou reste en place. L’Homo sapiens est un redoutable coureur de fond qui sait épuiser sa proie, et notre vue n’est franchement pas mauvaise (pour les moins myopes ou astigmates d’entre nous). Mais notre « gros » cerveau reste le signe distinctif auquel nous sommes le plus attachés ; c’est un peu notre superpouvoir à nous. Notre impressionnant quotient d’encéphalisation[2] fait notre fierté. Et s’il est si facile d’en faire la marque de ce qui nous distingue de tous les autres êtres vivants, c’est que nous ignorons collectivement et individuellement beaucoup de choses sur la manière dont cet organe fonctionne, sur l’histoire de son évolution, et sur comment il produit cette chose inexplicable : la conscience.

La conscience est-elle une fin en soi ? Est-elle le produit accidentel de l’élaboration par les processus de la sélection naturelle d’un système nerveux efficace ? Est-elle un avantage sélectif ou au contraire un fardeau que notre lignée a su porter grâce à d’autres qualités ? Nul n’a de véritable réponse pour le moment, et la présence dans notre boîte crânienne de cet organe épatant suscite des croyances et des légendes qu’il vaut la peine de remettre en perspective.

Parmi les idées fausses que l’on a pu se faire, on entend encore aujourd’hui que nous n’utiliserions que 20 ou même 10 % de notre cerveau. En fait, vous l’utilisez à 100 % mais pas 100 % du temps. Les imageries cérébrales le montrent clairement, et on s’en doutait pour la simple raison qu’il eut été logique que la sélection naturelle aboutisse à la disparition des parties inutiles d’un organe qui consomme 20 % de l’énergie que nous tirons de notre alimentation, une alimentation pas toujours facile à se procurer avant l’invention de la pâte à tartiner aromatisée à la noisette.

Les méconnaissances passées doivent nous inciter à l’humilité. Dans mille ans, on jugera sans doute bien limitée la connaissance actuelle de cet organe, et bien téméraires certaines spéculations que nous faisons sur son fonctionnement. Une chose est sûre : le cerveau n’existe pas pour penser. « C’est absurde ! », me rétorquerez-vous. Il est évident pour tout le monde que c’est avec le cerveau que nous pensons. Alors oui, bien sûr, nous pensons avec notre cerveau, et nos facultés de raisonnement ont joué un rôle fondamental dans l’histoire de la lignée humaine. Il n’en demeure pas moins un petit problème dans la phrase « le cerveau existe pour que nous pensions » : c’est le mot pour. Ça n’a peut-être l’air de rien, mais ce petit mot qui nous vient si facilement trahit notre difficulté à tirer les bons enseignements de la théorie de l’évolution. Si le cerveau était fait pour penser, alors tout ce qui possède un cerveau penserait. Un petit survol de l’évolution de cet organe nous montrera qu’il n’en est rien…

 

 

Petit historique de l’évolution du cerveau[3]

Si le cerveau fonctionne, c’est parce que les cellules qui le composent sont capables de réagir à leur environnement de manière coordonnée en réponse à des signaux chimiques ou électriques. Une capacité qui ne date pas d’hier : on a montré que des organismes unicellulaires marins très frustes, les Choanoflagellés, communiquent entre eux grâce à des composés identiques à ceux qu’échangent nos neurones. Et ils possèdent les mêmes canaux sodiques (des structures membranaires permettant le passage d’ions sodium) que nos neurones mettent à profit pour la transmission d’un signal électrique. Ces organismes ressemblent probablement aux créatures qui, il y a 850 millions d’années, marquèrent l’émergence de tout le règne animal.

Par la suite, chez les métazoaires (c’est-à-dire les animaux constitués de plus d’une cellule), certaines cellules se sont spécialisées dans la transmission d’informations, permettant ainsi une meilleure réactivité de l’organisme à son environnement. Chez les éponges de mer, qui ne possèdent aucun système nerveux, on trouve pourtant des structures qui ressemblent aux synapses[4].

Il y a quasiment 600 millions d’années, à l’époque où nos ancêtres semblables à des vers acquéraient une symétrie bilatérale, un système nerveux central a commencé à se mettre en place avec des rassemblements de neurones : des ganglions. Le ganglion le plus sophistiqué s’est développé près de la bouche et des yeux. Parmi les vertébrés, on trouve aujourd’hui un cerveau des plus rudimentaires chez les amphioxiformes, où il se compose d’une structure dédiée au contrôle de la nage, et une autre dédiée à la vision. Cette lignée d’animaux s’en sort parfaitement bien depuis plusieurs centaines de millions d’années, sans s’encombrer de plus de matière grise. On pense même que la lignée des Enteropneusta (des vers marins) a perdu son cerveau au fil des générations, preuve que cet organe n’apporte pas que des bénéfices : les coûts (notamment énergétiques) sont susceptibles de remettre en question l’avantage de le maintenir.

Le mouvement serait la clef du mystère

Pour le neurobiologiste Daniel Wolpert, tous ces éléments indiquent que si les animaux ont acquis un cerveau, cela a tout à voir avec le mouvement. Comment se déplacer, comment agir sur l’environnement, comment contrôler ses mouvements de sorte à produire un comportement viable ? Tels étaient sans doute les défis auxquels la branche du vivant menant aux animaux a répondu en produisant, petit à petit, sous la contrainte de la sélection naturelle, le cerveau.

Ce point de vue est étayé par l’étrange particularité des ascidies, qui sont des Chordés marins à la morphologie primitive (c’est-à-dire proche des formes fossiles de nos ancêtres communs avec elles). Leur cycle de vie comporte un stade larvaire dit « libre » et un stade adulte où l’animal reste fixé sur un support. Durant le stade larvaire, l’ascidie doit être capable de nager et de trouver un support où se fixer. Elle se métamorphose ensuite pour passer au stade adulte, pendant lequel elle ne se déplacera plus jamais. N’ayant plus besoin de générer le moindre mouvement, l’ascidie digère alors son propre système nerveux !

Si l’on poursuit notre examen de l’évolution des caractères dans la partie de l’arbre du vivant où nous nous trouvons, on constate que les vertébrés ont acquis une morphologie de poisson, et que leur cerveau a vu se développer des structures toujours présentes chez nous comme le tectum optique, qui dirige notre attention vers des objets d’intérêt dans notre champ visuel, ou encore l’amygdale, un ensemble de structures, au cœur du système limbique (la zone la plus fortement impliquée dans nos émotions), qui sont impliqués dans l’évaluation de la valeur émotionnelle des stimuli. Nos réactions instinctives de plaisir mais surtout de peur viennent de cette région.

Sur l’arbre du vivant, les organismes qui prennent une forme d’amphibien continuent d’être favorisés quand ils possèdent des cerveaux plus grands et plus complexes. Quand arrive le tour des mammifères, il y a 250 millions d’années, on observe une tendance accentuée de la croissance de la taille du cerveau proportionnellement à la taille du corps. Dans les crânes fossilisés de ces mammifères anciens, on constate que les zones qui se sont développées en premier sont liées au sens de l’odorat et au toucher. Plus tard se développent les couches externes des hémisphères cérébraux chez les animaux qui nous sont apparentés. Ce néocortex se met en place en étroite relation avec le système limbique. Après la disparition des dinosaures, il y a 65 millions d’années, de nouvelles niches écologiques s’ouvrent pour les mammifères, et notamment pour les primates chez qui l’environnement sélectionne une bonne vue et une grande agilité, des caractères étroitement liées aux capacités de traitement du cerveau.

Nous examinons à présent la branche des primates, et le plus gros du voyage est déjà derrière nous. Chez ces animaux au comportement complexe, les interactions entre les individus et la vie sociale sont devenues cruciales. Parmi les différentes espèces de primates, on relève une corrélation entre le nombre de relations que les individus entretiennent entre eux et la taille du cerveau, en particulier le néocortex frontal. Déjà, le cerveau est capable d’abstraction et d’inférences à partir de la très grande quantité d’informations qu’il traite. Cependant, il doit encore se dérouler un événement important pour que la branche des hominidés (la nôtre au sein du groupe des primates) continue à se doter d’un cerveau de plus en plus volumineux, alors que les branches voisines conduisant aux autres grands singes ne présentent pas cette tendance. Les hominidés ont quitté la forêt, ont marché sur deux jambes… mais le cerveau de nos ancêtres s’est démarqué de celui de nos cousins primates il y a seulement 2,5 millions d’années, et par un mécanisme non encore élucidé. Ce n’était sans doute pas « pour » faire des maths ou se poser des questions existentielles.

Une explication possible à cette poussée de croissance du cerveau est liée aux muscles de la mastication. Le régime alimentaire de nos ancêtres s’est modifié, les besoins en mastication se sont réduits et les muscles dédiés sont devenus moins proéminents. Ce phénomène a probablement réduit une contrainte physique sur le crâne, qui a alors pu se développer et offrir plus de place au cerveau[5]. À partir de là, les choses se sont emballées grâce à des boucles de rétroaction positive : un cerveau plus gros élabore de meilleures stratégies en vue d’obtenir des ressources, et ces ressources supplémentaires sont alors capables d’alimenter… un cerveau encore plus gros. La cuisson des aliments suite à la domestication du feu a pu jouer un rôle similaire. En conséquence, la survie des individus avec les plus gros cerveaux, et celle de leur descendance, étaient favorisées.

En parallèle éclot la culture : avec le langage, les outils, l’apprentissage, etc., elle apporte de nouveaux avantages dans la lutte pour la survie. Une fois le langage acquis, on peut s’attendre à une forte pression de sélection pour la fixation des caractères biologiques qui améliorent son usage. À cela s’ajoute la sélection sexuelle, apte à produire des caractères extravagants comme la queue du paon ; elle a bien pu jouer un rôle de premier plan dans l’apparition des gros cerveaux humains (des recherches sont encore en cours pour clarifier ce rôle). Et puis enfin, il y a 200 000 ans nous voici, nous, Homo sapiens, embarqués dans ce mouvement dont nous sommes une des extrémités momentanées, comme l’ont été en leur temps toutes les générations qui nous ont précédés.

L’histoire du cerveau humain, rapidement survolée dans ces quelques lignes, ne doit surtout pas nous faire croire qu’il existerait dans la nature une force directrice vers un cerveau de plus en plus grand. Si cela semble être le cas parmi certaines familles de vertébrés, l’évolution vers un cerveau de plus en plus gros est loin d’être la règle dans le reste du vivant. Et le reste du vivant est beaucoup plus vaste que la branche des Vertébrés. D’ailleurs, on constate une légère diminution de la taille du cerveau de notre espèce depuis les débuts d’Homo sapiens. N’oublions pas non plus que les plus gros cerveaux de notre famille se nichaient dans la tête des Néandertaliens, disparus voici trente ou quarante mille ans…

Si le cerveau existe sans doute initialement pour faire bouger un corps, comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’est-ce qui explique que les écosystèmes soient dominés par tant d’espèces possédant un cerveau développé ? Quel est le véritable rôle d’un très gros cerveau comme le nôtre ?

 

 

Sécréter du futur ?

Les organismes autour de nous sont le résultat d’une histoire évolutionnaire complexe. Ils ont hérité leurs caractères des générations précédentes. Parmi l’immense diversité générée par le jeu des mutations et des brassages génétiques, la compétition entre espèces et entre individus a éliminé, lentement et par itérations, toutes les variantes peu aptes à la survie et à la reproduction. Après plus de trois milliards d’années d’évolution, les organismes actuels se trouvent dotés des caractères qui assurent les meilleures chances de survie… pourvu que l’environnement continue à suivre les règles qui présidaient au cours des générations passées. À cet égard, le cerveau loge à la même enseigne que le pancréas ou le gros orteil : il existe chez nous parce qu’il a participé à la survie et/ou à la reproduction de nos ancêtres. Tous nos organes sont par définition des organes de survie. Tout ce paragraphe tient de la lapalissade ; c’est évidemment la base de ce que dit la théorie de l’évolution, mais voyons où cela nous mène.

Nous avons vu que le cerveau a vraisemblablement pour origine le besoin de contrôler les mouvements de l’organisme, puisque ce qui ne bouge pas n’a pas de cerveau. Mais pourquoi passe-t-on d’un cerveau à un très gros cerveau ? Comment le gros cerveau participe-t-il à la survie ? Il semble que la réponse à cette deuxième question soit en fait intimement liée à la première. Un gros cerveau offre une meilleure anticipation de ce qui se passe autour de l’animal. Et l’anticipation est ce qui permet d’adopter un comportement, d’engager un mouvement compatible avec la survie. On peut voir le gros cerveau comme une glande qui « sécrète » une représentation du futur, représentation à partir de laquelle l’animal adapte son comportement.

Qu’est-ce qui permet de considérer que le cerveau « sécrète du futur » ? Eh bien, regardons comment son action s’inscrit dans le temps. Le cerveau centralise les informations collectées par les organes récepteurs : ceux de la vue, de l’odorat, de l’équilibre, de la douleur, etc. Le temps que le signal soit reçu, transmis, intégré et traduit en une représentation de l’environnement, des centaines de millisecondes s’écoulent. Le cerveau conscient n’a accès qu’à une image du monde légèrement périmée. Nous percevons donc le passé ! Quand nous prenons la décision de bouger notre corps, il se produit quelque chose de similaire : la commande est produite quelque part dans le système nerveux central, elle est transmise via les fibres nerveuses jusqu’aux organes qui effectuent le mouvement, et cela prend encore des centaines et des centaines de millisecondes. L’action décidée ne se produit donc pas instantanément, mais dans un futur proche.

Comme nous l’avons dit, les animaux qui ont les meilleures chances de rester en vie et de se reproduire, et donc de transmettre leurs caractères aux générations suivantes, sont ceux qui sont capables d’agir conformément à ce que le monde autour d’eux propose de défis, d’opportunités et de dangers. Toutes choses égales par ailleurs, le cerveau qui sera capable, à partir des données périmées dont il dispose, de se doter d’une représentation fidèle de ce que sera le monde au bout du laps de temps qu’il faudra au corps pour réagir aux données recueillies… ce cerveau-là apportera au corps qui l’abrite, qui le nourrit, et aux gènes qui codent sa fabrication, de meilleures chances de survie et de reproduction. Le rôle principal du gros cerveau semble donc d’assurer une forme de contemporanéité entre le corps et son environnement, en dépit d’un décalage irréductible.

Dans son livre Le gène égoïste, inspiré des travaux de George C. Williams, Richard Dawkins estime que les organismes sont des « machines à survivre », produites par des gènes pour lesquels ils représentent de simples véhicules assurant leur dissémination. Le cerveau assume les fonctions qui ont gardé nos ancêtres en vie assez longtemps pour se reproduire efficacement, et il a donc des caractères compatibles avec la survie. Mais si la survie est LE critère autour duquel est centrée l’édification du cerveau, alors la conformité de nos représentations avec le monde réel n’est plus nécessaire, car d’autres facteurs peuvent avoir un rôle plus important encore pour une espèce sociale comme la nôtre. L’environnement le plus crucial pour la survie des humains, c’est son entourage formé par les autres humains, avant même la nature sauvage qui les entoure. Il faut donc que le cerveau soit adapté à cette dimension prééminente de notre environnement. Or, dans ce contexte, la rationalité (au sens d’un mode de raisonnement structuré qui élabore des pensées sur le mode hypothético-déductif) n’est pas forcément le meilleur atout ; et c’est bien pour ça que les maths, la logique et les sciences représentent des activités coûteuses et a priori peu attrayantes. Si elles sont si complexes pour nous, c’est parce que nos ancêtres n’étaient pas obligés d’y exceller. L’évolution ne les a pas prioritairement dotés de ces facultés-là. Nous appréhendons le monde avec une grande finesse ; nos mouvements, nos réactions aux trajectoires des objets impliquent une puissance de calcul importante. Mais ces calculs ont lieu dans les coulisses de notre cerveau, et nous n’avons accès qu’aux résultats de ces opérations. Par conséquent, quand ces calculs sont faux, nous ne savons pas isoler l’erreur ou l’information manquante pour rectifier le tir : c’est pourquoi nos raisonnements sont souvent biaisés.

Dans les grandes lignes, nos aptitudes cognitives et intellectuelles sont le résultat de la sélection pour des cerveaux capables de sécréter du futur — en particulier dans le cadre des interactions sociales — et le résultat des paramètres qui ont présidé au choix des partenaires sexuels de nos très nombreux ancêtres.

Mais il n’y avait pas vraiment d’obligation à ce que la capacité à élaborer une pensée rationnelle et méthodique s’impose chez l’humain. Nul doute que cette aptitude apporte de grands avantages en rendant plus efficace et plus durable l’exploitation des ressources dont dépend une lignée ; et on peut s’attendre à ce que ce caractère bien particulier, quand il apparaît, soit aussitôt favorisé sur le plan de la sélection naturelle. Mais avoir un gros cerveau, ça se paie énergétiquement. Cher. Un gros cerveau n’est pas forcément un équipement souhaitable pour un animal. La preuve en est que les gros cerveaux sont rares ; l’humain est peut-être le seul être de toute l’histoire de la vie sur Terre à en posséder un qui soit aussi complexe. Et on peut se demander pourquoi…

 

Faites-en bon usage malgré tout !

En conclusion, vous pensez avec un organe qui est le fruit imprévu d’une longue histoire. Au cours de celle-ci, les avantages successifs apportés par le cerveau ont fait émerger les ingrédients de la conscience, préalable à l’exercice du raisonnement et de la pensée réflexive. Que l’émergence de la conscience soit une étape logique et inévitable de la vie, ou qu’elle soit au contraire un accident statistiquement des plus improbables, l’existence même de cette matière pensante nous donnera encore longtemps matière à penser…

Parce que le cerveau n’est pas fait pour penser, penser est un exercice complexe et truffé de pièges. Et pour bien penser, nous avons besoin de pallier nos erreurs intuitives, inhérentes à un organe qui répond surtout aux besoins de la survie dans la savane. Pour contrer nos approximations, nos multiples biais de raisonnement et les raccourcis cognitifs que sont par exemple les préjugés, nous avons besoin de passer nos idées au crible de la démarche scientifique. Celle-ci est notre meilleure option pour aboutir à une pensée raffinée – et pour nous débarrasser enfin des scories d’irrationalité laissées par l’histoire mouvementée d’un organe qui est le premier à enquêter sur les raisons de sa propre existence.

 

Article similaire

 


[1] Le document est connu sous le nom de Papyrus Edwin Smith. Ce n’est évidemment pas le nom de son auteur égyptien, qui est inconnu, mais celui du collectionneur qui en fit l’acquisition en 1862.

[2] Le coefficient d’encéphalisation (QE) mesure le rapport entre la taille du cerveau d’une espèce par rapport à la taille de son corps, et sa taille prédite par une loi allométrique (c’est-à-dire qui établit des relations de taille entre les parties du corps) fondée sur les mêmes mesures chez les espèces voisines (Famille, Classe, etc…). Par exemple, le QE est de 7,44 chez l’humain, de 2,80 chez le Bonobo et de 2,09 chez le Macaque Rhésus (source Wikipédia).

[3] Cette section est en partie inspirée par l’article « A brief history of the brain » de David Robson, publié dans New Scientist en 2011 : https://www.newscientist.com/article/mg21128311.800-a-brief-history-of-the-brain/.

[4] Les synapses sont les zones de contact spécialisées où deux neurones échangent des signaux chimiques.

[5] Stedman et al. 2004. “Myosin gene mutation correlates with anatomical changes in the human lineage”. Nature. 428: 415. Voir aussi : David Robson, « A brief history of the brain », New Scientist, 21/09/2011. Consultable sur : https://www.newscientist.com/article/mg21128311.800-a-brief-history-of-the-brain/

 « Il existe des forces qui dévoient notre sens critique, qui gondolent notre objectivité, qui écaillent le beau vernis de notre cognition quand il est question des principes darwiniens. Ces forces ne sont pas à chercher dans une quelconque cabale, elles n’appartiennent à aucune coterie ni société secrète, elles sont dans notre tête, implantées là pour la simple raison que des milliers de générations en ont tiré avantage pour survivre. Ces fossiles de l’histoire de notre psyché, ce sont les biais cognitifs. Ils sont nos ennemis les plus redoutables dans la compréhension de la nature, mais ils représentent aussi la trace la plus intime, la plus troublante, des mécanismes de l’évolution de notre lignée. »

Tel est le pitch du livre d’Acermendax qui parait au Seuil le 8 février.

L’écriture de l’ouvrage s’est étalée sur 3 ans et elle aura été le ferment des futurs scripts de La Tronche en Biais. La nature et l’origine des biais cognitifs, ainsi que leur rôle d’obstacle dans la compréhension des théories scientifiques étant au centre du livre comme du travail de la chaîne.

 

« Il n’existe pas, il ne peut pas avoir existé un individu qui serait le premier être humain, car il n’y a aucun critère objectif qui permette de déterminer comment on pourrait le distinguer de ses parents ou de ses enfants, tout comme il semble aujourd’hui impossible de citer un caractère qui à lui seul séparerait l’humain de l’animal. »

On passe en revue les principaux empêchements à la compréhension et à l’adhésion des principes darwiniens : essentialisme, biais téléologique, illusion d’agent et dissonance cognitive. La science va à l’encontre de nos intuitions, c’est particulièrement vrai de la théorie de l’évolution, et c’est pourquoi cette théorie est particulièrement maudite. Seconde malédiction : malgré les discours plaidant pour une compatibilité entre darwinisme et religion, les principes darwiniens contredisent les présupposés des croyances religieuses assez clairement pour que les croyants peu disposés à adopter du recul et une lecture symbolique des dogmes n’y puissent pas adhérer.

 

Le livre est illustré par quelques dessins de Loki Jackal, réalisateur des épisodes canon de La Tronche en Biais.

La théorie de la reine rouge (Loki Jackal)

« La théorie de l’évolution a le pouvoir de dissoudre un certain nombre de concepts dont le rôle est de prémunir les croyants contre les angoisses existentielles. Il est compréhensible que la confirmation de cette théorie par les sciences et sa diffusion dans les médias puisse être perçue comme une violence. »

 

L’ironie de l’évolution tient à ce que les raisons habituelles du rejet dont elle fait l’objet sont explicables… par des mécanismes évolutionnaires. La raison humaine est peut-être avant tout un attribut social, adaptée à l’exquise complexité des interactions entre humains, mais désarmée face aux concepts scientifiques, et empesée d’une propension à des erreurs qui versent toujours dans le même sens : les pentes de l’esprit humain, responsables des croyances collectives les mieux partagées, y compris conspirationnistes.

Chimères et chaînons manquants selon les créationnistes (Loki Jackal)

La résistance face à la théorie de l’évolution, motivée par des raisons philosophico-religieuses, ne peut que difficilement être circonscrite avec de simples faits. Ce constat, un peu triste, ne signifie pas qu’il faille renoncer à la faire comprendre, mais qu’il faut peut-être s’attacher à répondre aux attentes que comblent, faute de mieux, des explications concurrentes. Il faut notamment, sans doute, prêter oreille à ce que nous disent les critiques, mêmes invalides qui sont émises à l’encontre de la théorie de l’évolution.

Nous avons besoin d’une culture du débat d’idées

Nos décisions de citoyens, nos choix personnels, nos engagements, nos actes dépendent de ce que nous savons, de ce que nous croyons savoir, de ce que nous désirons, et cela est le résultat de nos interactions avec les produits cognitifs qui nous entourent.

Trop souvent enfermés dans des bulles, à l’abri derrière des filtres, nous nous épargnons l’effort de penser sur nos pensées. Rien n’est plus facile que d’oublier pour quelle raison nous tenons telle ou telle certitude, et, ce faisant, d’oublier comment en douter.

Nous avons besoin de défier régulièrement nos convictions, de tester nos représentations de nous-mêmes et des autres. Cela passe par l’échange, par le questionnement et l’argumentation. Mais c’est parfois déplaisant, et cela peut même devenir totalement insupportable.

Confrontés à la mauvaise foi, à l’injure, aux abus de langage, aux insinuations, aux caricatures, nous perdons patience, cataloguons les contradicteurs à l’aide d’étiquettes péjoratives, jugeons les idées alternatives à l’aune de ce que nous inspirent les plus volubiles séides de telle ou telle faction radicale qui ne représente souvent qu’elle-même… Et nous en revenons à nos présomptions premières, faussement rassurés sur la validité de notre position.

La qualité des débats nous permet rarement d’examiner scrupuleusement nos idées.

Nous savons bien qu’il est inutile d’insulter notre interlocuteur, que le point Godwin est un aveu de faiblesse, que la vulgarité n’est pas un argument, et que toute attaque personnelle ne peut pas aider l’autre à se mettre d’accord avec nous. Et pourtant… nous manquons de politesse.

 

La politesse est inculquée aux enfants dès le plus jeune âge :

— Insulter, cracher, crier sur les gens, ça ne se fait pas.

— On ne montre pas du doigt !

— Tiens-toi bien !

Ceux qui n’ont pas intégré ces règles sont en mauvaise posture pour obtenir ce qu’ils désirent autrement que par la force, ce qui ne dure jamais très longtemps dans une société en bonne santé.

Je propose, de même, que nous nous apprenions mutuellement une politesse rhétorique.

— Argumenter une pente savonneuse, ça ne se fait pas !

— On ne fait pas d’homme de paille !

— Ne commets pas de généralisation abusive !

 

Les enfants finissent vite par comprendre que la politesse leur ouvre des portes, qu’ils ont grâce à elle accès à des échanges fructueux avec les autres. De même, la politesse rhétorique est un sésame pour l’esprit critique, pour le dialogue et pour la remise en question des croyances.

Et si nous abordions la question des sophismes et des mauvaises argumentations sous l’angle de la politesse et de la civilité ?

Nous sommes heurtés par les grossièretés et évitons de les employer dans la plupart des contextes sociaux. De même, apprenons que, par exemple, les fausses corrélations et les procès d’intention sont très vulgaires et donnent de nous une image dégradée, ce qui nous aidera à les éliminer de notre langage.

Bien sûr, cette exigence envers nous-même nous forcera à ne jamais disqualifier une idée au simple motif qu’elle est défendue avec de mauvais arguments 1, mais elle pourrait enrayer la viralité de ces mauvais arguments et nous permettre d’être toujours en présence des meilleurs arguments à l’appui des différents points de vue entre lesquels nous sommes amenés à faire un choix.

La politesse, c’est aussi un message de respect que l’on adresse aux autres, la reconnaissance de leur droit à défendre un avis différent, et de la légitimité dans laquelle nous nous trouvons d’attendre d’eux la même disposition, et donc des preuves.

Entre les hommes il n’existe que deux relations : la logique ou la guerre. Demandez toujours des preuves, la preuve est la politesse élémentaire qu’on se doit. (Paul Valéry)

En tout cas, ça vaut la peine d’essayer.


Article apparenté

Article inspiré de mon intervention sur la chaîne Le Psylab lors de la soirée Hannibal, il y a un an.

La question que m’inspire le cas de Hannibal Lecter est celle-ci : pourquoi y a-t-il des psychopathes ?

 

Dans le langage courant, le psychopathe est un malade. Il est anormal, inadapté à la vie en société. Personne n’a envie d’être un psychopathe. Il faudrait sans doute être fou pour vouloir être un psychopathe.

Si de nombreux désordres psychologiques ont une origine environnementale ou des causes développementales, la psychopathie est un peu particulière, car il semble qu’elle ait une composante génétique assez marquée 2. On observe que les psychopathes sont en très grande majorité de sexe masculin. Ils souffrent d’une condition congénitale qui les ampute de certaines capacités qui, à nous autres, semblent élémentaires, comme l’empathie ou la culpabilité. Ils semblent notamment avoir une faible capacité à percevoir les signes associés à la peur et à la détresse.

Bien sûr, cela ne fait pas de la psychopathie une condition uniquement commandée par les gènes, loin de là, mais cela pose la question de la perpétuation des traits génétiques associés avec des comportements dont on peut dire sans trop se mouiller qu’ils ne sont pas corrélés avec une très forte adaptation de l’individu dans son environnement social.

Pourquoi le terrain génétique associé à une condition terriblement handicapante n’a-t-il pas totalement disparu ? Eh bien, sans doute parce qu’il doit apporter son lot d’avantages malgré tout. Et donc le psychopathe ne serait pas juste un monstre maladapté, mais une variante de l’être humain au contraire très ajusté à son environnement.

Être un psychopathe : avantages vs inconvénients.

Le psychopathe a quelques libertés que nous nous refusons (de bon gré). Il peut trahir, tricher, exploiter autrui sans état d’âme, et jouit des avantages afférents. Néanmoins il souffre aussi d‘inconvénients : il ne peut compter sur personne et risque d’avoir une mauvaise réputation. Quand on est un être humain, la mauvaise réputation est un danger considérable pour la survie et la reproduction. La réputation c’est tout ce que vous possédez, c’est la valeur que les gens vous accordent.

Par conséquent, pour que les avantages contrebalancent les terribles risques encourus, il faut rassembler un certain nombre de paramètres contextuels.

  • Il faut développer des talents de manipulateur pour que les gens ne voient pas qu’ils sont exploités. Cela requière une bonne intelligence.
  • Il est préférable d’avoir un penchant pour la domination afin de se hisser dans une position de pouvoir qui permet de ne dépendre d’aucune amitié véritable.

Ce deuxième élément explique peut-être pourquoi les psychopathes sont bien plus souvent des hommes que des femmes. Dans nos sociétés, ce critère de domination est bien plus difficile à remplir si vous êtes une femme ; vos gènes de psychopathe ne se transmettront bien que si vous êtes un homme. S’ils se retrouvent dans un corps de femme par les caprices hasardeux de la reproduction sexuée, ils ont tout intérêt à ne PAS induire de comportement antisocial.

Mais il y a un troisième facteur, et c’est le plus important.

  • Pour être un psychopathe heureux il faut vivre au milieu de nombreux, très nombreux non-psychopathes. D’un point de vue évolutionnaire, la psychopathie peut représenter une « stratégie » efficace mais sous le couperet d’une forte fréquence-dépendante. Il faut avoir autour de soi assez de gens pour ne pas manquer de cibles potentielles, conserver un relatif anonymat (qui protège votre réputation) et se trouver dans une société que des abus peu nombreux n’ont pas rendue complètement méfiante.

Les psychopathes sont donc condamnés à rester une infime minorité sous peine de perdre les avantages qui permettraient à leurs gènes d’envahir la population. Notez bien que ce sont là des explications putatives ; il s’agit de spéculations sur le type de sélection que notre société peut réaliser sur un matériel génétique très complexe.

 

Une stratégie évolutionnairement stable ?

On appelle « stratégies évolutionnairement stables » des solutions que la sélection naturelle retient au fil des générations (sans impliquer l’existence d’aucun réel « stratège »). Il peut s’agir de caractères physiologiques ou comportementaux. Les traits de la psychologie humaine répondent eux aussi à des impératifs de ce genre.

Ainsi, par exemple, la sélection darwinienne aura tendance à favoriser les comportements népotiques. Celui qui accorde des bénéfices à ses proches parents aux dépens des autres permet à ses gènes du népotisme3 de se diffuser dans la population. La personne népotique aura peu d’empathie pour les individus qui ne lui sont pas apparentés, et contribuera donc à la diffusion de ce caractère, un caractère qui participe très probablement à façonner des individus psychopathes. Les lignées népotiques peuvent donc plus facilement produire des psychopathes qui, eux, vont exploiter à leurs avantage propre tout le monde y compris leurs proches.

D’ailleurs, la psychopathie est sans doute le résultat de plusieurs facteurs. Pour être un psychopathe et transmettre ses gènes efficacement (donc sans être identifié comme un monstre) il faut cumuler ces facteurs : être à un bout du spectre du manque d’empathie, au bout du spectre de la domination, et être plutôt plus intelligent que la moyenne pour être capable de manipuler son entourage.

 

Ce que les psychopathes nous disent de l’humain

En fait, il est frappant de constater que les psychopathes ont des lacunes dans les qualités qui constituent justement les plus extraordinaires points forts de notre espèce. Homo sapiens a mauvaise presse, et on déplorera volontiers que les humains soient moins rationnels qu’on le souhaiterait, que leur jugements soient approximatifs, et qu’ils s’aveuglassent à la délicieuse illusion de n’être pas des animaux… Et on peut s’agacer des incivilités, des impolitesses et de la violence que l’on croise trop souvent.

Mais le fait est que les villes les plus violentes sur Terre ont des taux d’agressions entre humains beaucoup moins élevés que dans le monde animal, y compris chez nos plus proches cousins (les bonobos exceptés). Quand on compare les comportements humains avec la manière dont nous imaginons les comportements d’autrui, on constate que ces tristes créatures humaines sont beaucoup moins égoïstes, âpres au gain et plus intéressés par l’honnête et la justice qu’on ne le croit.

Et c’est la bonne nouvelle que nous donnent les psychopathes. Notre espèce est exceptionnelle. Nous sommes beaucoup plus altruistes que les autres animaux. Nous aidons systématiquement les autres, même quand ils ne nous sont pas apparentés, c’est loin d’être la règle dans la nature. Nous avons un sens de la justice beaucoup plus large, nous avons le sens du mérite. Nous avons un sens de l’équité spectaculaire et donc nous réagissons très mal à l’injustice. En fait, nous sommes des hypersensibles de l’injustice, c’est pour ça que nous avons l’impression de vivre au milieu de gens méchants et égoïstes. Et c’est pour ça que les psychopathes un peu habiles peuvent tirer leur épingle du jeu. Les PDG et les personnes en position de pouvoir ont souvent des résultats élevés dans les tests de personnalité psychopathique.

Il est donc bien possible que nous soyons une espèce de primates particulièrement gentils, attentifs aux autres, mais manipulés par une minorité d’enfoirés près à tout pour dominer le monde. De là à voir des complots partout, il faudrait croire que les psychopathes puissent se faire assez confiance les uns aux autres pour organiser une réelle oppression des gentils singes que nous sommes. Et c’est peu probable.

Quand on voit les décisions des personnages politiques et leur manière de gérer des crises, on se rend compte que même si la moitié d’entre eux étaient des psychopathes, ils restent des singes beaucoup moins intelligents qu’ils se plaisent à l’imaginer.

Le ‘bon’ psychopathe est celui qui se hisse incognito en position de pouvoir

 

 

 

Quelques références sur le sujet :

 

Si votre objectif est de gagner le débat, d’impressionner, de remporter l’adhésion, de disqualifier votre adversaire, vous trouverez ce qu’il vous faut dans le best-selller « l’art d’avoir toujours raison » d’Arthur Schopenhauer. Si au contraire, vous estimez plus important de gagner au débat que de gagner le débat, si vous estimez important de penser contre vous-même et de vous défaire de vos idées quand elles sont fausses, alors vous choisirez sans doute d’appliquer les règles proposées ci-dessous.

Nous proposons ces 10 commandements par allusion à une célèbre liste dont nous avons parlé dans un autre article (Les 10 commandements et la morale). La liste ci-dessous n’a rien d’exhaustif, puisque selon les sources on dénombre 20, 50, et jusqu’à 180 types de biais cognitifs et d’erreurs logiques dont Homo sapiens se rend coupable quotidiennement. Mais il faut bien commencer quelque part, et nous vous invitons à la partager.

 

1. Tu n’attaqueras point la personne ou son caractère, seulement l’argument.

L’argument ad hominem (Cf dictionnaire sceptique) consiste à souligner qui est le contradicteur, sa position, ses conflits d’intérêt, ses déclarations passées, ses contradictions. C’est bien souvent fallacieux, mais pas toujours. Selon les sujets, la remise en question de l’honnêteté de la démarche du contradicteur peut s’avérer la chose à faire. Il est rarement souhaitable, toutefois, de procéder ainsi pour réfuter une thèse.

L’argument ad personam, lui est toujours un sophisme. Il s’agit d’établir que le contradicteur possède tel attribut qui rendrait son discours nécessairement faux.

« Ce type a une tête de fouine, comme tous les menteurs. C’est donc un menteur, donc tout ce qu’il dit est faux. »

2. Tu ne feras ni fausse représentation ni exagération de l’argument d’une personne afin de le rendre plus facile à défaire.

L’Homme de paille (ou épouvantail) consiste à déformer la thèse adverse, à la présenter sous une forme affaiblie, voire absurde afin d’en souligner la faiblesse et de pouvoir conclure qu’elle est fausse.

« Les adversaires de l’astrologie prétendent que les astres n’ont pas d’influence sur nous. Allez donc demander aux marins si la Lune n’a pas d’influence sur les marées !»

3. Tu n’utiliseras point un faible effectif afin de représenter l’ensemble.

Nous avons facilement tendance à tirer des conclusions générales à partir de cas particuliers, et notamment à argumenter à partir d’anecdotes. La généralisation abusive est une forme de non sequitur (cf commandement 9)

« C’est le troisième tueur en série chez qui on retrouve de nombreux jeux vidéos, donc les jeux vidéos rendent violents.»

Étonnamment, les gens font rarement remarquer que chez presque tous les assassins, on retrouve du shampoing ; le shampoing rend-il violent ?

4. Tu n’argumenteras point ta position en présumant la véracité de l’une de ses prémisses.

Dans un argument, les prémisses sont des propositions proposées comme vraies, mais non démontrée. L’exemple classique est :

  1. Les hommes sont mortels
  2. Socrate est un homme
  3. Donc Socrate est mortel

La conclusion (3) est vraie si les deux prémisses (1 & 2) le sont également. Dans le cas qui nous occupe nous n’avons aucune raison de douter des prémisses, mais ce n’est pas toujours le cas, et parfois l’argument est formulé de telle manière que ce que l’on cherche à démontrer est contenu dans les prémisses et pas dans la démonstration. On parle alors de Pétition de principe.

« Les phénomènes paranormaux existent parce que j’ai eu des expériences qui ne peuvent être considérées que comme paranormales. »

5. Tu n’argumenteras point que, parce que telle chose s’est produite avant telle autre, elle en est la cause.

La terrible séduction de la causalité nous fait voir des liens qui n’existent pas. Nous confondons souvent corrélation et causalité, et nous avons tendance à penser que deux événements, s’ils attirent notre attention et se produise dans un certain ordre, doivent avoir entre eux un lien. C’est le post hoc ergo propter hoc (« après ceci, donc en raison de »).

« J’ai eu mal au ventre pendant trois jours, et puis j’ai pris une sucrette. Dès le lendemain je me sentais mieux. Je ne savais pas que les sucrettes guérissaient le mal de ventre. »

6. Tu ne réduiras point l’argument à seulement deux options.

L’alternative est féconde. Il est rare que devant un problème nous sachions formuler la totalité des choix qui s’offrent à nous. Souvent, nous réduisons ces options à un petit nombre, parfois à deux. Et l’on se retrouve alors devant un faux dilemme.

« Vous êtes pour le capitalisme ou pour le communisme ? »

7. Tu n’argumenteras point qu’à cause de notre ignorance, une affirmation doit nécessairement être vraie ou fausse.

Le monde est infiniment complexe. Nous ne comprenons pas tout, nous ne savons pas tout, et cela risque de durer. Sur les sujet où manquent encore des explications, il est incorrect de vouloir conclure que votre hypothèse est correcte simplement parce qu’aucune autre explication n’est disponible, car c’est commettre un appel à l’ignorance.

« 5% des phénomènes ovnis ne sont pas expliqués, c’est bien la preuve des visites extraterrestres ! »

 

8. Tu ne feras point porter le fardeau de la preuve à celui qui questionne l’affirmation.

Quelle raison me donnez-vous de croire ce que vous dites plutôt que de penser que vous vous trompez ou essayez de me tromper ? Celui qui doute d’une affirmation n’a rien à prouver, et celui qui exige que le sceptique apporte une preuve contradictoire se rend coupable d’une inversion de la charge de la preuve.

« Prouvez-moi que le libre arbitre n’existe pas, sinon c’est qu’il existe. »

Ajoutons qu’une proposition extraordinaire réclame une preuve extraordinaire.

9. Tu n’affirmeras point « en raison de ceci, je peux dire cela » quand il n’y a aucun rapport entre eux.

Le sophisme du non sequitur (« qui ne suit pas ») est commis quand la conclusion ne suit pas les prémisses. Il manque un lien logique entre ce qui est supposé vrai et la conclusion qu’on estime pouvoir en tirer.

« Samuel Christian Friedrich Hahnemann (1755-1843), le fondateur de l’homéopathie, considérait que si une substance produit des symptômes similaires à ceux produits par une maladie, cela impliquait que cette substance, en quantité infinitésimale, allait combattre les symptômes de ladite maladie. La conclusion de Hahnemann ne découle pas de sa prémisse.» (dictionnaire sceptique)

10. Tu n’argumenteras point que, parce qu’une prémisse est populaire, elle doit être vraie.

Si beaucoup de gens autour de nous adoptent un comportement, nous aurons tendant à faire comme eux ; on parle de preuve sociale. Pour un animal social comme l’humain, c’est par défaut un comportement plutôt bénéfique. Mais on a déjà vu des gens se tromper, même en état très nombreux. Et la majorité peut avoir tort. Dire le contraire, c’est commettre le sophisme de l’argument ad populum.
« Le dernier livre de Bidule est numéro 1 des ventes ! C’est donc le meilleur livre de la rentrée. »
On pourrait ajouter bien des choses encore, et nuancer les sophismes ici présentés. Mais si déjà tous ceux qui prennent part aux débats public s’astreignaient à ne jamais commettre ces fautes logiques, notre paysage intellectuel s’en trouverait transformé.

À la manière d’Isaac Asimov, imaginons une Loi zéro, un principe fondamental à la recherche d’une meilleure manière d’argumenter. Et empruntons les mots de Nietzche pour la formuler.

0. « Ne jamais rien taire, devant toi-même, de ce que l’on pourrait opposer à tes pensées ! Cela fait partie de la première probité du penseur. »

Critique bien ordonnée commence par soi-même…

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Cet article est inspiré du billet de blog de Relatively interesting.

La théorie de l’évolution est extrêmement importante dans l’histoire des idées. À l’heure actuelle, son enseignement pourrait bien être l’une des clefs pour dissoudre les illusions qui alimentent la pensée conspirationniste (agentivité, essentialisme, biais téléologique…). Il est donc capital de promouvoir les initiatives qui en facilitent la compréhension et de se dresser contre ceux qui veulent enseigner le créationnisme pour des raisons idéologiques.

La théorie de l’évolution repose sur des principes très contre-intuitifs. La grande difficulté devant laquelle nous nous trouvons pour expliquer la théorie aux personnes qui la rejettent ou expriment à son endroit un scepticisme très marqué, est que pour bien comprendre la théorie, il faut commencer par accepter ses prémisses. Notez qu’on peut bien sûr en douter, car accepter ne veut pas dire tenir pour absolument certain. Le postulat de base est que la matière s’organise toute seule, sans intervention. Le vivant suit cette règle : cellules, organes, individus, populations sont autant de structures que l’on explique par les propriétés de la matière, sans faire intervenir une volonté ou une finalité. Ceux qui n’acceptent pas de considérer ce postulat comme vrai, même momentanément, s’interdisent de comprendre comment la théorie offre une explication qui dépasse toutes les autres par sa parcimonie et son intégration au corpus des connaissances scientifiques.

Toutefois, ceux qui doutent des principes darwiniens posent souvent des questions intéressantes en ce qu’elles soulignent l’implicite résistance aux concepts-clefs à la source de leurs objections.

« La marche vers le progrès » représentation classique mais très trompeuse.

Ci-après, je reproduis avec sa permission le message de Denis (ce n’est pas son vrai nom) qui m’interroge à ce sujet.

 

Nous devons être d’accord sur le fait que le principe scientifique fondateur d’une théorie est le suivant:
Celle-ci découle du besoin de compréhension d’un ou plusieurs phénomènes et de certains sujets difficiles qui se présentent à nous.
Elle se fonde sur des bases prises de la nature.
Dit autrement, Une théorie scientifique a pour objectif d’expliquer un phénomène difficile à comprendre, à l’aide de sujets et d’explications s’appuyant sur des preuves expérimentales (…).
L’une des formidables possibilités que possède une théorie est qu’on peut tester par l’expérience le bien-fondé de ses conclusions.

Il en va un peu de même pour notre sujet ou finalement, les choses ont commencé de la manière suivante:
Nous nous sommes demandé comment autant de catégories et d’espèces peuvent se retrouver dans la nature, dans le minéral, le végétal, l’animal et dans l’humain.
Nous avons alors pensé supprimer en quelque sorte cette question par une théorie qui avancerait qu’au début ne se trouverait que des organismes très simples, unicellulaires.
Et c’est de ce point de départ, qu’au court du temps, se sont formé des êtres plus complexes. A partir d’un être monocellulaire ont été créé les grands animaux, puis les hommes etc…

Pour que cette théorie soit qualifiée de scientifique, elle doit en remplir en quelque sorte, les conditions :
– L’évolution d’un être simple a un être composé et complexe doit être un observé dans la nature (ou constaté)
il n’existe aucun témoignage ou preuve scientifique sérieuse mentionnant avoir observé ou déduit l’évolution d’un être vers un autre.
Ce que l’on a observé à ce jour (et Darwin le disait dans son livre bien connu), c’est de légers changements dans certains membres
et de plus, on a appuyé ces propos en ayant trouvé des squelettes de créatures mortes qui ressemblaient a ceux des créatures vivantes.
Il a été déduit que la meilleure hypothèse était qu’une espèce a évolué a partir d’une autre. (Colombes et chevaux, vérifiable dans « l’origine des espèces »).

– Un des principaux doute est aussi que le modèle proposée par la théorie de évolution doit être plus clair et plus simple que le fait de croire que tout a été crée a partir de rien.
RIEN dans la nature ne nous permet d’affirmer qu’il est plus facile qu’un être simple se transforme finalement en homme QUE l’homme soit créé ex nihilo.
On pourrait reformuler de la manière suivante : l’explication selon laquelle un ensemble d’atomes et de molécules se sont regroupés au point de donner forme à l’existence d’un homme ne présente pas plus
de difficultés que de dire qu’un ensemble de cellules simples qui ont subi des changements dans leurs conditions de « vie » se sont transformées, au cours du temps, en membres d’un corps, totalement différents
les uns des autres comme le cerveau dans la tête, la pupille de l’œil etc…

Il existe un certain nombre de créatures aussi bien des règnes végétal qu’animal inférieurs dont la durée de vie est très courte et, de ce fait,
l’homme peut expérimenter le cheminement des transformations de leur corps pendant un grand nombre de générations.
De même, l’expérimentateur a la possibilité de changer leurs conditions de vie de façon très importante.
Or, malgré tout cela, les scientifiques n’ont pas réussi à transformer une espèce en une autre et les seuls résultats qu’ils aient obtenus se résument à un changement des propriétés
des végétaux ou des animaux dans une certaine mesure, ou la production d’êtres hybrides par accouplement d’espèces différentes, mais en aucun cas la transformation d’êtres inférieurs en êtres des espèces supérieures.

D’emblée, nous pouvons convenir avec Denis qu’une théorie scientifique est en effet une construction intellectuelle qui doit être mise à l’épreuve des faits, des expérimentations, des observations. La preuve expérimentale est la forme idéale de couronnement d’une théorie scientifique.

Mais quand vient la question à laquelle la théorie est censée répondre selon Denis, on constate un biais :

« Nous nous sommes demandé comment autant de catégories et d’espèces peuvent se retrouver dans la nature, dans le minéral, le végétal, l’animal et dans l’humain.»

Sommes-nous sûrs de l’existence des catégories citées ici ? D’abord le minéral ne fait pas partie du vivant, il n’est pas soumis aux lois de l’hérédité. Ensuite, la distinction végétal-animal est loin d’être nette lorsqu’on s’intéresse aux très nombreuses espèces unicellulaires. La photosynthèse a été inventée à plusieurs reprises avec différents pigments, et certains se retrouvent dans des symbioses impliquant des animaux. Enfin l’humain n’a aucune raison d’être rangé en dehors de l’animal.

La série Minéral-Végétal-Animal-Humain rappelle l’échelle des êtres, qui est une idée désormais révolue, notamment parce qu’elle ne répond pas du tout aux critères de scientificité cités plus haut par Denis. Il ne faut donc pas poser en préalable à l’étude de la nature l’idée qu’elle serait organisée de la sorte, car ce serait partir biaisé. Pour une démarche objective, il faut savoir poser une question au maximum dénuée de présupposés. La question à laquelle la théorie de l’évolution tente de répondre est celle de l’origine de la structure actuelle du monde vivant. Comment se fait-il que les êtres vivants possèdent les caractères qui sont les leurs aujourd’hui (structure, formes, couleurs, tailles, composition, comportements, répartition, etc.) ?

 

« Et c’est de ce point de départ, qu’au cours du temps, se sont formés des êtres plus complexes. A partir d’un être monocellulaire ont été créés les grands animaux, puis les hommes etc… »

Ici, Denis commet une inversion. Ce qu’il appelle point de départ est en réalité une étape déjà bien avancée du raisonnement. D’abord on a constaté la ressemblance des individus entre eux. Plus ils sont apparentés, plus ils se ressemblent. On a constaté chez les espèces domestiques qu’on pouvait obtenir des individus très différents au cours du temps si on sélectionne un caractère et que l’on fait se reproduire entre eux les individus qui possèdent la forme la plus intéressante de ce caractère. Les éleveurs ont ainsi produit des quantités de variétés de plantes et d’animaux très éloignés de leurs cousins sauvages. On a ensuite découvert la richesse des fossiles, ce qui a permis de montrer que plus on remonte dans le passé, moins les fossiles ressemblent aux espèces actuelles. Si l’on remonte très loin, on ne voit plus que des espèces aux morphologies simples comparées à celles que l’on rencontre aujourd’hui. Au-delà de moins 2 milliards d’années, on ne trouve plus que des traces unicellulaires. Ajoutons que, fréquemment, on découvre un fossile ancien qui présente des similitudes avec deux groupes d’organismes qui n’existent que dans des couches plus tardives (des formes dites transitionnelles).

L’énigme de la diversité du vivant

 

À partir de tous ces éléments, l’idée d’évolution s’est imposée : les êtres vivants changent au fil des ères géologiques ; les espèces sont apparentées (existences d’ancêtres communs) ; le plus ancien ancêtre identifiable est unicellulaire. Le concept d’ancêtre commun est donc le résultat d’observations très nombreuses qui ne conduisent qu’à cette seule conclusion possible si l’on tient pour vrais les postulats donnés en introduction.

 

Denis soulève ensuite des objections

Pour que cette théorie soit qualifiée de scientifique, elle doit en remplir en quelque sorte, les conditions :
– L’évolution d’un être simple a un être composé et complexe doit être un observé dans la nature (ou constaté) il n’existe aucun témoignage ou preuve scientifique sérieuse mentionnant avoir observé ou déduit l’évolution d’un être vers un autre.
Ce que l’on a observé à ce jour (et Darwin le disait dans son livre bien connu), c’est de légers changements dans certains membres et de plus, on a appuyé ces propos en ayant trouvé des squelettes de créatures mortes qui ressemblaient a ceux des créatures vivantes.
Il a été déduit que la meilleure hypothèse était qu’une espèce a évolué a partir d’une autre. (Colombes et chevaux, vérifiable dans « l’origine des espèces »).

 

D’abord, on peut poser la question de la signification de « passer d’un être à un autre ». La phrase semble indiquer la préexistence des catégories « être A » et « être B » avant même la naissance d’un seul membre du groupe « être B ». Quand la question est ainsi comprise, les gens demandent en fait à voir un oiseau sortir d’un œuf de lézard, ce qui ne se produira jamais. À une telle demande, nulle théorie ne saurait répondre correctement, car elle porte une incohérence interne ; « passer d’un être à un autre » implique deux états fixes, c’est une vision essentialiste incompatible avec le paradigme évolutionnaire. Il faudrait donc ajouter aux postulats de départ que la théorie implique un regard non-essentialiste sur les groupes taxonomiques.

Mais résumons l’objection ainsi : Denis estime qu’aucune preuve empirique de l’évolution n’existe. Et cela est inexact.

Il existe des travaux mettant en évidence l’apparition de nouveaux caractères dans une population (les bactéries de Lenski ). C’est ce que l’on peut trouver de plus proche de la demande « passer d’un être à un autre ». Naturellement, ces travaux portent sur des bactéries et pas sur des animaux car les processus de l’évolution impliquent un grand nombre de générations et un très grand nombre d’individus.

Sauf que les exceptions existent. Un petit lézard, le Podarcis siculus, a étonné les chercheurs en présentant des modifications suffisantes pour parler de spéciation en l’espace d’une trentaine d’années sur une petite île de l’Adriatique (cf source).

 

Les anti-évolutionnistes vont souvent faire des demandes déraisonnables, exiger que ces résultats soient obtenus à des échelles impossibles à obtenir et déclarer unilatéralement que si leur demande n’est pas satisfaite alors la théorie est fausse.

Mais même en l’absence des travaux de Lenski ou de la spéciation de ce Podarcis, nous disposons de tout un ensemble de faisceaux cohérents. Et c’est la nature de la « preuve scientifique » qui est ici en jeu. Les preuves de la théorie de l’évolution se reconnaissent comme telles dans un réseau très complexe impliquant chimie, géologie, glaciologie, océanographie, climatologie, paléontologie, botanique, zoologie, virologie, embryologie, anatomie, génétique, physiologie, immunologie… Ces disciplines sont à la fois indépendantes et intimement liées par des concepts sans lesquels elle ne peuvent fonctionner. Cela signifie que les succès de l’immunologie valident expérimentalement les concepts que cette discipline partage avec toutes les autres, des concepts qui constituent le squelette de la théorie de l’évolution. On peut donc estimer que chaque expérimentation conforme aux attentes du paradigme scientifique est une nouvelle *preuve* de la théorie de l’évolution. Ces preuves sont de nature indirecte, certes, mais elles sont celles qui établissent la cohérence de notre corpus de connaissance.

Il revient aux anti-évolutionnistes (ou à ceux qui doutent un peu trop) de dire quel phénomène, quel résultat serait par eux accepté comme une « preuve » de la théorie de l’évolution. Malheureusement ils ne le font jamais, et par conséquent personne n’est en mesure de leur donner ce qu’ils sont incapables de décrire. Quand il leur arrive de formuler une telle demande, ils disent attendre un « crocoduck », or une telle créature serait au contraire une anomalie aux yeux d’un biologiste de l’évolution. C’est la raison pour laquelle les anti-évolutionnistes ne sont plus considérés comme des interlocuteurs sérieux par les scientifiques.

Deuxième objection

– Un des principaux doutes est aussi que le modèle proposée par la théorie de l’évolution doit être plus claire et plus simple que le fait de croire que tout a été crée a partir de rien.
RIEN dans la nature ne nous permet d’affirmer qu’il est plus facile qu’un être simple se transforme finalement en homme QUE l’homme soit créé ex nihilo.
On pourrait reformuler de la manière suivante : l’explication selon laquelle un ensemble d’atomes et de molécules se sont regroupés au point de donner forme à l’existence d’un homme ne présente pas plus de difficultés que de dire qu’un ensemble de cellules simples qui ont subi des changements dans leurs conditions de « vie » se sont transformées, au cours du temps, en membres d’un corps, totalement différents les uns des autres comme le cerveau dans la tête, la pupille de l’œil etc…

Il y a ici une incompréhension sur le périmètre de la théorie de l’évolution actuelle ; sur ce qu’elle prétend expliquer. L’abiogenèse est l’étude de l’apparition de la vie à partie de matière non-vivante, pas à partir de RIEN. La théorie de l’évolution telle que nous la connaissons aujourd’hui décrit la manière dont le vivant se reproduit, s’adapte, se transforme au fil du temps. Pour l’heure, elle ne décrit pas les mécanismes ayant abouti à la formation des premières cellules vivantes. C’est pourquoi tant de chercheurs y travaillent. Mais cette incomplétude n’affaiblit pas le pouvoir explicatif de la théorie sur les 4 milliards d’années écoulés depuis l’apparition du vivant.

Si l’on veut prendre une métaphore : à partir d’une scène de crime, les chercheurs ont établi qui était sur les lieux, quels événements se sont déroulés dans quel ordre, et qui a tué le Dr Lenoir. Cette explication fonctionne, quand bien même les enquêteurs ne savent pas comment a été fabriquée l’arme du crime à partir d’atomes de fer et de carbone. La théorie de l’évolution n’est pas une théorie du TOUT. Laissons aux chimistes et aux cosmologistes le soin d’apporter leurs éléments de réponse dans cette grande énigme.

Dans son objection, Denis évoque la « simplicité de l’explication ». La simplicité de la théorie de l’évolution réside dans ses hypothèses de départ, dans les entités qu’il est nécessaire d’invoquer pour rendre compte de l’état du vivant. Les mécanismes de la descendance avec modification couplés à la lutte pour la vie induisant le phénomène de sélection naturelle forment l’explication la plus économe pour rendre compte de la structure de la biosphère.

J’ajoute que nous avons une assez bonne idée de la manière dont l’œil des vertébrés a évolué (un oeil monté à l’envers…).

Evolution de l’œil des mollusques

Troisième objection

Il existe un certain nombre de créatures aussi bien des règnes végétal qu’animal inférieurs dont la durée de vie est très courte et, de ce fait, l’homme peut expérimenter le cheminement des transformations de leur corps pendant un grand nombre de générations.
De même, l’expérimentateur a la possibilité de changer leurs conditions de vie de façon très importante.
Or, malgré tout cela, les scientifiques n’ont pas réussi à transformer une espèce en une autre et les seuls résultats qu’ils aient obtenus se résument à un changement des propriétés des végétaux ou des animaux dans une certaine mesure, ou la production d’êtres hybrides par accouplement d’espèces différentes, mais en aucun cas la transformation d’êtres inférieurs en êtres des espèces supérieures.

 

L’idée de règne végétal ou animal est périmée. L’arbre du vivant se sépare en grands domaines dont les frontières sont plus ou moins floues et entre lesquels des transferts de gènes ont lieu via virus et bactéries. L’utilisation de cette terminologie scalaire n’aide pas à comprendre la complexité et la dense réticulation du monde vivant. On décourage également les termes de « supérieur » et « inférieur » sauf quand ils sont liés à une position dans les couches sédimentaires supérieures ou inférieures. En effet, toutes les espèces actuelles sont au même niveau d’évolution sur le tapis roulant du Vivant. Nous marchons de front dans un mouvement d’ensemble où le challenge est de ne pas se laisser distancer sous peine d’extinction. La question sur les changements en laboratoire a reçu sa réponse avec le cas des bactéries de Lenski et du podarcis.

 

 

Des questions idiotes ?

Le message de Denis est un cas particulier, mais il est représentatif des discussions autour de la théorie de l’évolution. Trop souvent ces débats s’enveniment en une escalade stérile d’accusations et d’horions virtuels. Mais les conversations courtoises elles-mêmes sont jalonnées de soupçons parce que les termes utilisés sont trop souvent mal compris ou trop flous. Ceux qui doutent de la théorie de l’évolution ne posent pas que des questions idiotes. Dans son message, Denis montre un réel questionnement et le désir d’être corrigé s’il se trompe.

La difficulté qu’il y a à lui répondre malgré tout réside à mon sens dans le tableau dressé par les deux citations les plus importantes de la biologie de l’évolution :

« Rien n’a de sens en biologie si ce n’est à la lumière de la théorie de l’évolution. » Theodosius Dobzhansky

« Ce qu’il y a de curieux avec la théorie de l’évolution, c’est que tout le monde pense la comprendre. » Jacques Monod

La situation lucidement présentée par ces deux réflexions est évidemment propice aux quiproquos, aux confusions, aux rationalisations et aux chamailleries. Il est impossible d’avoir un débat intelligent au sujet de l’évolution sans s’assurer que l’on comprend bien les mots et les concepts utilisés par notre interlocuteur. Dans un article précédent, j’ai défendu l’idée qu’il faut « écouter les arguments de m€#$£ ! » car ils nous éclairent sur ce qu’attendent ceux qui les utilisent.

De la même manière, il est utile d’écouter les objections sincères soulevées contre l’évolution et les principes darwiniens, sur la réification de la barrière des espèces et l’étonnante capacité de la matière à s’organiser toute seule. J’imagine que les programmes scolaires actuels et futurs sont ou seront conçus de manière à apporter des réponses à ces interrogations bien naturelles.

Pour ce qui est de ceux d’entre nous qui veulent échanger au sujet de ces questions sur les réseaux sociaux, il me semble utile de rappeler qu’avoir raison ne donne pas tous les droits. Dans un débat contradictoire, la connaissance porte une violence symbolique (je l’ai nommée violence épistémique) qui dresse contre elle des barrières psychologiques. Le meilleur moyen de ne pas activer ces défenses est sans doute d’adopter une attitude d’humilité et de questionnement. Dans ma réponse à Denis, je me suis permis d’analyser ses questions pour y trouver les présupposés, les conceptions implicites afin de lui proposer de les abandonner, en justifiant cette attente par les postulats de la théorie dont il est question. Si notre échange avait été un dialogue, je serais bien sûr passé d’abord par une phase de questionnement pour que Denis exprime lui-même ces présupposés et puisse les écarter ou les argumenter.

 

Pourquoi la critique de la théorie de l’évolution est souhaitable.

Au sein du monde scientifique, les idées sont débattues, âprement, et la critique continuelle assure que les idées fausses soient abandonnées tandis que de nouvelles sont mises à l’épreuves. Mais nous ne vivons pas tous dans le monde scientifique. Nous n’avons pas tous accès aux dernières versions des théories les plus complexes. On peut accepter de faire confiance à la science sans chercher à comprendre le détail de ce qu’elle dit, mais si l’on veut défendre une vision du monde éclairée par la science contre des discours qui empruntent leur autorité à des dogmes, alors il faut que notre pratique du débat ne se retourne pas contre-nous. Et aux critiques envers les théories que nous comprenons assez bien pour tenter de les défendre publiquement, nous devons apporter des explications compréhensibles et calibrées pour répondre, non seulement aux arguments, mais aussi aux conceptions erronées et pas toujours formulées qui sous-tendent l’argumentaire.

Ecouter les critiques envers la théorie de l’évolution est aussi un moyen de se mettre à l’épreuve et de se tenir à jour sur ce que dit réellement la théorie, car nul n’est à l’abri de surestimer la compréhension qu’il en a.

 

 

 

Le casino, temple de l’illusion et de l’instrumentation des mathématiques est un endroit où rationalité rime avec cynisme. Car la rationalité qui prime, c’est celle du propriétaire de l’établissement. Lui ne perd pas d’argent dans l’opération.

Le décorum de ces lieux scintillants et clinquants n’est financé qu’aux dépens de la clientèle à laquelle on fait miroiter des gains effectivement possibles mais peu probables. Or la probabilité est tout, et ceux qui savent combien nos intuitions mathématiques nous aveuglent peuvent vouloir exploiter cette faiblesse et pousser tranquillement l’arbre dans le sens où il penche.

Mauvaise perception du hasard

Que vous jouiez à la roulette ou à n’importe quel jeu de hasard, vous serez frappé par une forme de cécité. Vous aurez tendance à croire, spontanément, que vos chances augmentent à chaque nouvelle partie, à chaque nouvel investissement. Si en lançant une pièce non truquée nous obtenons le résultat :

Face – Face – Face – Face – Face

Au moment de réaliser le sixième lancé, une petite voix nous suggère de parier sur Pile. Or si la pièce n’est pas truquée, Face a toujours 50% de chance de sortir au sixième coup, exactement autant de chance qu’au cours des lancés précédents ou ceux qui suivront. Mais la petite voix qui nous dit le contraire est suffisante pour drainer de grosses sommes d’argent dans des établissements conçus pour vous donner l’illusion que vous avez vraiment raison de jouer exactement comme vous le faites.

Une invention comme la machine à sous est diaboliquement efficace. À chaque petite pièce glissée dans la fente, le joueur s’engage un peu plus à continuer à jouer, car chaque pièce alourdit la perte potentielle que représenterait l’arrêt du jeu. C’est le biais d’aversion à la perte. Quand on a misé trente pièces, on se dit que ce serait dommage de ne tenter encore 3 ou 4 fois plutôt que de renoncer complètement à ces 30 pièces. Arrivés à 40 on est prêts à une plus grande concession encore pour refuser la perte sèche.

On peut y ajouter des quantités d’effets contextuels et une forme de capital symbolique à fréquenter un lieu qui flatte l’image personnelle de ses clients. Sur les dangers du jeu pathologique, vous pouvez lire « Dans l’enfer du jeu« .

Une manipulation délibérée ?

Les clients des casinos sont des adultes consentants dont on doit respecter le droit d’aller dépenser leur argent comme bon leur semble. Il n’est pas question de les juger, de les rabaisser, de prétendre qu’ils seraient plus biaisés que les autres. Néanmoins, le respect de cette liberté s’accompagne de la liberté ici exprimée dans ce billet de critiquer l’idée selon laquelle ils feraient leurs choix de manière réellement libre. Les influences sont multiples pour les encourager à jouer davantage, et si cet article est écrit, c’est en raison d’un email reçu hier de la part d’une certaine Marie.

 

La demande est cavalière, elle est peu alignée avec l’éthique de ce blog, et elle signale de la part des professionnels du jeu sportif et du casino d’une pratique de la commande d’articles complaisants. Pour jouer le jeu, nous avons fait la réponse suivante :

 

 

 

En fonction de la réponse donnée, nous ajouterons un lien comme demandé, nous ferons payer l’annonceur, et nous vous en informerons. Nous ajouterons alors un message « Article sponsorisé » en haut de page.

Mais les annonceurs du monde du jeu verront-ils d’un bon œil un article critique mettant en garde contre les influences invisibles et les points aveugles de nos défenses mentales ?  On parie combien ?

 

Chers zététiciens,

 

Sceptiques de la première heure ou fraîches recrues des récentes vagues de popularisation sur le Net, vous connaissez les outils de la pensée critique qui permettent de savoir que l’astrologie est une discipline absurde. Vous connaissez les biais cognitifs qui enferment les croyants dans leurs schémas mentaux. Vous connaissez les sophismes qui servent à défendre duperies et visions du monde erronées. Vous connaissez notre travail, ou au moins celui de philosophes illustres ou d’auteurs éminents.

Mais vous n’êtes pas moins biaisés que n’importe qui d’autre.

Connaître l’existence des biais ne permet quasiment jamais de ne pas en être victime, de même que comprendre le fonctionnement d’une illusion d’optique ne permet pas de la dissoudre. Nommer un biais ou un sophisme ne nous protège pas de ses effets comme par magie, par l’effet performatif du langage. Ce serait cool, mais non. Vous êtes donc aussi biaisés que nous et que n’importe quel croyant.

Pire encore, car c’est le festival des mauvaises nouvelles : même s’il est raisonnable de penser que la pratique de la pensée critique améliore la qualité du raisonnement, si vous ne faites pas attention, vous pouvez être plus biaisés que n’importe qui, et de manière plus durable et perverse. Car il n’est pas prouvé à ce jour que les zététiciens soient capables de questionner leurs convictions profondes mieux que les non-zététiciens. Si cette absence de différence s’avèrait, alors il serait possible que nous soyons vous et nous d’accord sur beaucoup de sujets… pour de mauvaises raisons !

Car alors il est bien possible que, par pure chance, vous partagiez avec nous un respect pour certaines valeurs, et qu’ainsi vous trouviez dans notre travail de quoi confirmer ce que vous pensiez déjà des fantômes, des ovnis ou des religions. Cela vous permet d’être motivés à accepter les outils que nous utilisons, à les employer à votre tour pour réfuter des thèses absurdes, et ce à bon escient. Vous (et nous tout pareil) ressentez une appartenance à une communauté dans laquelle vous pouvez confirmer votre vision du monde. C’est confortable et flatteur, et ce n’est pas un mal en soi, sauf que…

 

Puisque vous n’êtes pas moins biaisés que les autres, vous avez votre propre représentation du monde, et elle ne coïncide pas forcément avec l’état de l’art le plus pointu, et ce que les sciences nous donnent à savoir sur les OGM, les études de genre, la médecine, l’économie, la nutrition, etc. Nous espérons tous que l’entraînement à l’esprit critique permet le *transfert*, c’est-à-dire l’allumage de notre scepticisme et de nos capacités de questionnement sur l’ensemble de nos convictions. Mais si ce transfert n’existe pas (malédiction qu’on ne peut écarter totalement pour l’heure, même s’il existe des raisons d’être optimistes) alors vous êtes dans la même situation que le croyant chaque fois que votre représentation du monde est en porte-à-faux vis-à-vis des connaissances scientifiques. Comme le croyant, vous êtes en butte à une forme de violence épistémique quand un argumentaire corrode vos certitudes. Comme lui, vous allez rationaliser vos comportements et vos déclarations, c’est-à-dire trouver de multiples moyens d’expliquer pourquoi vous avez raison, pourquoi vous êtes cohérent.

Et vous aurez dans votre carquois tout le vocabulaire des sophismes à jeter sans embâcle à la tête de vos contradicteurs pour protéger votre amour propre contre la réalisation d’être dans l’erreur. Si vous êtes doués, vous pourrez même convaincre les autres que vous avez raison grâce à une efficace rhétorique ou aux erreurs que commettent souvent ceux qui défendent des idées justes.

Le « sophisme du sophisme » consiste à penser que celui qui commet un sophisme dans sa démonstration a forcément tort. Ce biais est fort dans notre communauté.

 

Il faut donc se questionner sur ce qui anime nos efforts communs. Et cela ne doit pas être le confort cognitif.

Si la communauté zététique installe ceux qui s’y reconnaissent dans l’idée que nous avons raison par nature, nous rendons un mauvais service à l’esprit critique. Et cela jette un voile de doute glaçant sur la pertinence de faire communauté, comme par exemple dans le groupe Facebook « Zététique » où 15 000 personnes peuvent prétendre utiliser la pensée méthodique dans le périmètre des questions gérables sur un tel média. Et cela rappelle l’inquiétude du Cortecs dans son (maladroit) billet sur « la braderie de l’esprit critique ». Et cela nous met dans l’embarras chaque fois qu’un mur de rationalisation interdit le questionnement de certains présupposés.

Il semble utile de rappeler que la zététique, l’art du doute, est une méthode qui repose tout entière sur des axiomes indémontrables. Nous pensons collectivement qu’il est préférable de ne pas tenir pour vrai ce qui n’est pas prouvé. Vous ne trouverez pas de proposition plus abstraite que celle-ci. La zététique est tout à fait apte à questionner nos choix arbitraires (qui relèvent de la morale) et chacune des décisions qu’il est possible de prendre et pour lesquelles il importe de savoir estimer les conséquences d’un bon ou d’un mauvais choix. J’ai bien dit ‘questionner‘, ce qui ne garantit pas de pouvoir produire une réponse.

 

Chers amis, même si c’est la coïncidence de nos représentations du monde qui nous a rassemblés pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la pensée méthodique, il nous appartient toujours de travailler collectivement et individuellement à la dissolution de nos préjugés, à l’examen de nos présupposés et à l’abandon des rustines que nous collons un peu partout pour empêcher le doute méthodique de changer nos idées les moins défendables.

Cela implique d’éviter la complaisance envers des contenus que nous apprécions pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la recherche des moyens les plus efficaces pour distinguer le vrai du faux. Cela implique, quand sur un sujet nous échouons à prouver que nous avons raison et n’avons à faire valoir que des motifs subjectifs pour conserver nos habitudes, de cesser d’argumenter dans le but d’avoir raison et de commencer à vérifier SI nous avons raison. Cela implique aussi de ne pas juger hors sujet les questions liées aux conséquences de nos comportements au motif qu’elles touchent à la morale, car la morale doit pouvoir être abordée de manière rationnelle. En effet, il n’y a aucune raison de penser qu’il existe un meilleur moyen de trouver des solutions aux dilemmes moraux que par l’exercice de la plus grande rigueur intellectuelle. Or nous ne sommes jamais plus rationnels que lorsque nous nous offrons une chance de débattre dans une contradiction sereine afin de mettre à l’épreuve nos opinions et d’avoir l’occasion d’adopter des idées venues d’ailleurs. Rien n’autorise notre moralité personnelle à se soustraire à la critique, pas plus que n’importe laquelle de nos idées, y compris celles défendues dans ce billet.

 

La zététique (et plus généralement le scepticisme scientifique) n’est pas un art de combat, mais ce n’est pas non plus un salon de thé où la politesse n’est que la forme acceptable de l’hypocrisie. Elle ne doit pas devenir un hobby bourgeois où rien n’est plus urgent que de se moquer des analphabètes de la science en oubliant le gouffre béant de nos propres points aveugles.

 

Par exemple, les « mauvaises » raisons de manger de la viande.

Dans ce blog, on a plusieurs fois critiqué la rhétorique végétarienne qui s’adonne trop souvent à des sophismes pour défendre une cause par ailleurs salutaire. Jusqu’à présent nous n’avons pas accordé le même traitement aux arguments anti-végé, la raison en est la rareté des contenus rassemblant l’argumentaire en question. Une petite vidéo de Topito nous donne l’occasion de tenter l’exercice, mais ce sera surtout l’occasion de nous intéresser à la véritable valeur de ces mauvais arguments.

 

Topito égrène un petit florilège d‘arguments fort intéressant. Il est bien possible qu’il soit 100% de mauvaise foi, mais pourtant il résonne certainement avec ce que se disent beaucoup de carnistes* (personnes consommant des nourritures carnées, donc « non-végé » dans le vocabulaire végé).

 

«La mode est au véganisme, et même si tous les arguments pour arrêter la viande sont excellents sur le papier, on va pas se mentir la viande : ça déchire tout et on peut pas l’abandonner comme ça.»

Mettons de côté le mot « mode » sur lequel on pourrait s’étendre sur bien des paragraphes et qui insinue un certain nombre de jugement de frivolité. Si on s’arrête à tous les mots, nous n’irons pas loin. On sent en fin de phrase qu’il est question de trouver des arguments pour continuer à manger de la viande, car dès le début est admise l’idée que les arguments pour cesser d’en manger sont bons.

 

Mais alors, qu’est-ce que cela veut dire ?

C’est l’illustration parfaite de notre manière de prendre des décisions : nous choisissons les actes que nous posons en fonction de ce que nous sommes en mesure de justifier. Ce qui nous parait vrai, c’est ce que l’on peut argumenter, d’où l’abondance de mille-feuilles argumentatifs brodés de bric et de broc pour soutenir les thèses pseudoscientifiques en tout genre. Inversement, quand on veut que X soit vrai (pour des raisons variées et d’ordre émotionnel) alors on s’arme d’un argumentaire qui permet de justifier cette croyance. On se donne des raisons à faire valoir pour défendre la véracité de ce qu’on souhaite être véridique.

 

Argument 1. « Plein d’animaux nous mangeraient ».

Il s’agit du bon vieil appel à la nature. Mille fois réfuté, mille et une fois ressuscité. On ne peut évidemment pas inférer du comportement d’autres animaux la valeur des choix que nous faisons. La nature n’est pas un manuel de bonne conduite en société. D’ailleurs, il n’existe pas de définition de ce qui serait « naturel » ou « contre-nature ». On ne peut espérer argumenter sérieusement sur de telles bases.

Mais si l’argument revient c’est parce qu’il nous permet d’exprimer notre sentiment sur ce que les choses doivent être, plutôt que notre réflexion sur les raisons de nos choix. L’appel à la nature, c’est une boussole intuitive, familière qui n’a besoin d’aucune justification pour nous paraître vraie.

 

Argument 2 : « La gastronomie française est inscrite au patrimoine culturel de l’UNESCO »

Un appel aux traditions, au respect de la culture. Notre société a développé un art raffiné autour des nourritures carnées, et cela justifierait que l’on continue de manger de la viande, afin de ne pas perdre ce savoir-faire.  L’argument n’est pas rationnel, dans le sens où il ne permet pas de déduire que consommer de la viande est un choix plus logique que de n’en pas manger, notamment parce qu’on peut arguer de la richesse encore à découvrir d’une gastronomie nouvelle qui s’émanciperait des produits animaux. Néanmoins cet argument a un certain poids. Pourquoi ?

Nous sommes tous plus ou moins attachés à la culture ou nous avons grandi, et nous ressentons une forme de fierté pour les accomplissements de la culture à laquelle nous nous identifions. Aucun d’entre nous n’a inventé la blanquette de veau ou le saucisson, mais nous en partageons l’héritage et nous pouvons être tentés de défendre cet héritage pour nous confirmer à nous-mêmes qui nous sommes.

On peut comprendre ce qui pousse à argumenter de la sorte. Montrer de l’empathie pour ce point de vue, admettre qu’il soit subjectivement convainquant n’empêche pas de reconnaître aussi qu’il s’agit d’un raisonnement fallacieux avec lequel on pourrait défendre les inégalités actuelles au motif qu’elles sont l’héritage de notre culture. Nous aurions eu bien du mal à nous débarrasser de l’esclavage avec de tels arguments.

L’appel à la tradition est un appel au confort cognitif de répéter des schémas éprouvés.

Argument 3. « Nous avons des canines. C’est pour s’en servir. »

Variante de l’appel à la nature de l’argument 1. Notre denture est celle d’animaux omnivores, c’est un fait trop souvent nié par certains idéologues du véganisme. Notre vue est celle d’animaux diurnes, pourtant nous nous autorisons à agir autrement. Notre squelette est celui de bipèdes, et pourtant nous nous déplaçons assis la plupart du temps dans nos véhicules, etc.

La conformation de notre corps ne nous impose pas un régime carné. On peut vivre en bonne santé sans consommer de viande. On peut même vivre en bonne santé sans consommer aucun produit animal. Le fait qu’on puisse le faire n’indique pas que cela soit souhaitable, mais cela réfute l’idée que nous serions d’une certaine manière destinés à un régime carné.

Ce fatalisme est une lecture fautive des sciences du vivant. C’est aussi une manière de croire que le monde est bien fait, qu’il y a ne place pour chaque chose, des solutions faciles à tous les problèmes… on en revient au confort cognitif

 

Argument 4. « Parce que le foie gras »

Il s’agit d’un appel aux sentiments, une forme d’appel à la pitié aussi.

Le foie gras, c’est très très bon. Ne plus en manger me priverait de ce plaisir, or je n’ai pas envie de me priver de ce plaisir. Vous vous rendez compte des conséquences sur la qualité de vie si on nous interdit nos plaisirs ?!

Là aussi l’argument n’a logiquement aucun poids réel pour contredire un argumentaire végétarien fondé sur le respect de la vie animale. Et pourtant c’est un argument qui vient spontanément, et honnêtement : je ne veux pas me priver de ce petit plaisir de la vie.

Là encore, pour mieux voir la faille de cet argument, observons que certains plaisirs bourgeois ne sont permis que par l’exploitation de ressources et de populations, et que la critique de cette exploitation implique de remettre en cause lesdits plaisirs, au minimum pour permettre qu’ils soient atteints par des moyens plus éthique plutôt que se satisfaire d’un état de fait objectivement immoral.

Le fait que le foie gras soit très très bon ne permet pas de conclure que l’on doive continuer d’en manger dans les conditions actuelles.

Cet appel au plaisir est compréhensible. Celui qui en appelle au plaisir qu’il éprouve à manger de la viande ne ment pas. Mais ne pas mentir est insuffisant pour ne pas être dans le sophisme. On peut convoquer le goût personnel, l’habitude, la culture et mille autre choses pour expliquer pourquoi on consomme telle ou telle chose. Cette explication est valable en ce qu’elle décrit factuellement les motifs de ce comportement. Mais expliquer n’est pas justifier, et le sophisme apparaît quand on tente de faire passer pour une justification ce qui n’est qu’une explication

 

 

Argument 5. « Les végans sont bien relous »

La réactance est un comportement qui se produit quand une critique trop vive de nos idées nous pousse à les défendre plutôt qu’à les remettre en cause. Parmi les végans, ceux dont le prosélytisme les pousse à harceler tout leur entourage, à culpabiliser au lieu d’expliquer, à condamner au lieu d’informer, alimentent l’idée suivante

« Les végans sont des tarés extrémistes, donc ne soyons pas comme eux, donc continuons à manger de la viande ».

D’un point de vue logique, l‘argument est invalide, mais affectivement, il fonctionne du tonnerre, surtout quand il rencontre l’assentiment d’autres personnes ayant vécu la même situation avec à la clef les mêmes émotions négatives. Les végans n’ont pas tort sous prétexte qu’ils sont relous ou agressifs, mais de toute évidence avoir raison ne suffit pas pour être convaincant.

Argument 6. « Sans viande, les mecs n’auraient plus à faire le barbecue, et donc ce serait négatif pour le partage des tâches ménagères. »

On est dans l’absurde le plus complet, mais ce faux-fuyant est utilisé pour de vrai. Ce genre de faux argument montre bien la facilité avec laquelle nous générons des raisons de faire ce que l’on fait. Nous éprouvons un besoin congénital de pouvoir justifier ce que nous faisons / pensons.

Cet argument est intéressant car le déconstruire nécessiterait vingt ou quarante fois plus de temps qu’il n’en faut pour le formuler. Il y a de fortes chances qu’il ne rencontre que rarement une vraie réfutation. Un « t’es trop con » en réponse permettra à celui qui l’utilise de se dire « les végans sont vraiment relou » (argument 5) et qu’il a donc forcément raison.

Si vous croisez ce genre d’argument à l’avenir, essayez de le réfuter avec légèreté ; amenez votre interlocuteur à admettre que, bien évidemment, il ne croit pas réellement à ce qu’il dit parce qu’il n’est pas complètement idiot. Mais alors peut-être a-t-il un véritable argument pour justifier sa consommation…

Argument 7. « On ne peut pas mettre les bouchers et charcutiers au chômage » (plus de 40 000 emplois en France)

Avatar/mélange de l’argument 2 « appel à la tradition » et d’un appel aux conséquences. Cet argument n’a que peu de prise quand l’argumentaire végé n’est pas abolitionniste (cessation immédiate de toute consommation de produit animal) mais un plus raisonnable appel à réduire la consommation pour se diriger vers des filières plus responsables d’un point de vue éthique et environnemental.

Consommer moins mais consommer mieux permettrait de ne pas condamner au chômage les artisans qui font du bon travail. Une proposition de ce type permet d’envisager une mutation progressive de la société avec des compétences professionnelles qui évoluent vers d’autres pratiques et d’autres produits. Mais derechef, bien souvent, réfuter cet argument nécessite d’en appeler à trop de concepts pour que cela se fasse facilement, et il reste souvent sans réponse.

Ce mauvais argument est certes une forme de diversion, mais c’est aussi une manière de s’inquiéter des changements et des efforts d’adaptation qu’impliquerait le fait de changer d’avis.

 

Argument 8. « Il faut bien mourir de quelque chose »

Souvent associé à l’argument du plaisir, et utilisé pour justifier la consommation de produits aux effets nocifs pour la santé, cet argument est en partie un homme de paille, car les principales raisons de réduire notre consommation de viande ne sont pas liées à ses effets négatifs sur la santé, mais d’abord à des motifs éthiques et environnementaux.

Mais même en considérant l’argument des effets négatifs des produits carnés sur la santé, dire « bof, on doit tous mourir de quelque chose » est en vérité l’aveu que l’on renonce à agir de manière rationnelle. Ce n’est pas un argument, c’est une excuse entièrement destinée à éviter de regarder les conséquences de nos actes.

À nouveau il est difficile de trouver quoi répondre sans être dans une posture de jugement. Il suffit peut-être de montrer que cela n’est pas un argument valide, car avec la même logique pourquoi respecterions-nous la loi ? Pourquoi ne pas rouler à tombeaux ouverts avec 5g d’alcool dans le sang ? Parce qu’en réalité nous évitons d’adopter des comportements dont le résultat est clairement identifié comme non souhaitable. On pourra faire remarquer qu’avant le durcissement des lois contre l’alcool et la vitesse au volant beaucoup de gens réussissaient à ne pas voir les conséquences de leurs actes, et que cela se payait par des dizaines de milliers de mort sur les routes. Nous avons choisi collectivement de ne plus permettre aux gens de ne pas avoir conscience des conséquences de leurs actes. Dura lex, sed lex.

Au-delà du sophisme

En somme, on peut constater que tous ces arguments, même s’ils sont effectivement mauvais, invalides, voire absurdes, sont malgré tout utilisés, parfois très fréquemment. Cela signifie qu’ils ont une valeur aux yeux de ceux qui les utilisent. Et cela est valable pour les autres sujets évoqués sur ce blog. Les mauvais arguments sur les OGM, les études de genre, la théorie de l’évolution, le paranormal, les ovnis, etc… reviennent sans cesse car la réfutation logique laisse sans réponse la véritable motivation derrière cet argumentaire défectueux.

C’est pourquoi on ne peut pas balayer les arguments invalides d’un revers de la main, par le seul truchement de la logique ; cela ne marche pas très bien. Pour leur apporter une contradiction efficace, il faut se demander à quel besoin ils répondent chez celui qui les emploie, et si l’on ne peut pas proposer une réponse alternative qui permettra de rendre inutile ou moins attrayant le recours à ces mauvais arguments.

Les mauvais arguments ont donc bien des choses à nous apprendre, écoutons-les.

Qu’y a-t-il de plus stérile, dans un échange sur le net, qu’une réponse toute entière concentrée sur l’orthographe de son interlocuteur ?

Vous savez bien, en lisant ce genre d’échange, que celui qui s’adonne à la correction de l’autre au lieu de répondre sur le fond échoue totalement, irrémédiablement à le convaincre. Avoir raison sur la bonne manière d’épeler un mot n’est pas un argument, mais peut devenir une forme d’intimidation par l’orthographe. Volontairement ou involontairement, le correcteur induit chez l’autre le sentiment d’être rabaissé, méprisé. Bien sûr, nous sommes tous responsables de nos propres émotions, mais les émotions des autres sont toujours dans l’équation, et il parait peu raisonnable de vouloir purement et simplement les nier.

La toute puissance du Correcteur

Malheureusement, nous éprouvons facilement l’envie d’aller sur ce terrain, c’est notre réflexe correcteur. Ce n’est pas toujours une mauvaise chose ; il est naturel de vouloir redresser ce qui est de travers (dans le sens où notre faculté de raisonnement sert un peu à ça). L’intention peut être bonne, même quand on cherche à pointer tout ce qui ne va pas dans la parole adverse. Plus l’interlocuteur sera agressif et pédant, plus forte sera la tentation de rabattre son caquet, de lui montrer qu’il se trompe et qu’il devrait changer de ton.

Mais le ton de notre interlocuteur relève de son choix, pas du nôtre. Relever toutes ses erreurs, par exemple en nommant les sophismes qu’il commet (le « biais sophistique »), ne sera pas de nature à apaiser les échanges.

Bien sûr, dans certaines circonstances il est justifié de ne rien laisser passer et même de ridiculiser la position adverse. Cela s’avère utile, voire nécessaire, avec les discours outranciers, violents, sectaires. Mais dans la plupart de nos échanges, les petits désaccords appellent à plus de charité. Pas pour faire plaisir à autrui, pas pour être gentil avec lui, mais dans notre propre intérêt !

En effet il est possible que mon interlocuteur ait raison et que moi j’aie tort. Et dans ce cas, j’ai tout intérêt à ne pas jouer au malin qui se croit plus fort, plus compétent, car ce faisant je dresse tout seul un obstacle entre moi et la reconnaissance de mon erreur. Je mets en place les conditions pour refuser de me corriger. Dans ce genre de situation, l’humiliation sera la conséquence de mon arrogance, pas de celle de mon interlocuteur.

Dans les débats d’idées, nous avons le choix entre l’humilité… et le risque de l’humiliation.

Le réflexe correcteur n’est pas mon allié dans les conversations où je ne suis pas réellement expert, car la moindre ambiguïté ou erreur dans mon propos me sera renvoyée avec force. Dans le cadre d’un échange cordial, adopter une position de juge est une mauvaise stratégie. Il y a déjà de fortes chances pour que mes arguments soient perçus comme une agression, ce n’est donc pas la peine d’en rajouter.

Il semble plus sage d’adopter la stratégie de l’entretien épistémique. Comparable à la maïeutique de Socrate, elle consiste à aider mon interlocuteur à présenter sa pensée, à la synthétiser pour pouvoir mieux, avec lui, la scruter et mettre en évidence ses failles éventuelles.

Cela étant dit, bien sûr, parfois mon interlocuteur est un indécrottable cuistre, un arrogant hâbleur suintant d’accusations, de mépris et de contre-vérités. Il y a aussi de talentueux et vitupérants candidats au DSM-5. Je peux me trouver face à un gourou, à un escroc, à un manipulateur (ou une manipulatrice d’ailleurs). La parole de cet individu mérite d’être contredite avec énergie. Dans des cas de ce genre, je peux m’autoriser à corriger publiquement les erreurs et les mensonges, à démontrer l’inanité de sa démarche, la malhonnêteté de sa méthode. Je suis fondé à ridiculiser la thèse qu’il ne défend qu’au travers d’artifices, de sophismes et d’objurgations.

Une parole publique contraire aux faits mérite toujours d’être réfutée.

Il ne faut jamais, autant que faire se peut, manquer une occasion d’y parvenir en initiant un dialogue constructif et respectueux. À défaut, une argumentation, même sévère, est souhaitable, à condition de n’avoir pas pour but de convertir autrui, mais bien d’exposer le plus clairement possible les raisons pour lesquelles je pense ce que je pense. À condition aussi de ne pas oublier que l’arrêt pur et simple de toute espèce d’argumentation est parfois la meilleure stratégie.

Dans tous les cas, il semble sage de ne pas cultiver notre réflexe correcteur. Comme tous les mouvements intuitifs, il se déploie plus vite que la pensée rationnelle, et il peut piéger les plus futés d’entre nous.