Nous vivons tous dans un monde de concepts construit par notre cerveau à partir de nos perceptions de notre environnement. Nous le faisons assez efficacement, car la sélection naturelle s’est assuré d’éliminer continuellement ceux qui n’en étaient pas capables.

Quand on m’a proposé de présenter une conférence TEDx à Rouen, j’ai immédiatement pensé à critiquer le format. Les organisateurs n’avaient pas choisi pour rien le thème « Esprit critique » et ils ont aussitôt été emballés par l’idée.

Je vous propose donc cette courte et rapide conférence sur le biais du survivant, ce petit défaut dans notre perception du monde qui nous fait oublier l’étendue de notre ignorance et nous pousse à nous fier à des informations partielles et à ainsi confirmer, dans une totale bonne foi, des présupposés qui reposent eux-mêmes sur la disponibilité préalable d’informations filtrées par d’autres avant nous. Il y a de quoi persister dans l’erreur !

Les Conférences TED participent probablement à entretenir notre lecture biaisée du monde.

Heureusement, en prendre conscience peut nous aider à éviter (un peu) ce piège.

À Mesdames et Messieurs les responsables de la programmation de France 3.

Le 9 avril dernier, vous avez diffusé, « réseau d’enquêtes », émission consacrée à la vaccination. Cette diffusion avait été massivement annoncée sur les réseaux sociaux et nous attendions de la part d’un service public une rigueur exemplaire.

Au cours de ce reportage, vous avez repris les centaines de morts imaginaires d’écrivains confondants fiction et science en usant de leurs statuts pour asseoir leurs affirmations infondées. Vous avez laissé Romain Gherardi faire de la publicité pour une maladie aux symptômes « à la carte » et qui donne une réponse infondée aux vraies souffrances de patients. Vous l’avez laissé affirmer contre les faits que les effets de l’aluminium seraient méconnus et que la recherche ne serait pas financée, bien que nombre de ses travaux sur le sujet ont été financés par l’argent public pour répéter systématiquement les mêmes erreurs avant de se victimiser lorsque ses pairs ont cessé de le soutenir. Vous avez laissé des militants aligner des fake news sur l’aluminium, la santé des vaccinés, laissant entendre que les hommes et femmes qui se dévouent à soigner les gens et faire progresser la recherche seraient en réalité des conspirateurs qui chercheraient à « étouffer » les faits. Vous avez qualifié de « lanceuse d’alerte » une militante anti-vaccin adepte de la censure de ses contradicteurs, justifiant de mettre ses enfants et ceux d’autrui en danger au nom du « principe de précaution ». Enfin avez-vous reproché aux gouvernements d’avoir fait passer la prévention d’une épidémie qui n’a pas eu lieu, mais qui aurait pu faire des millions de victimes (H1N1) devant des considérations économiques, tout en laissant les opposants à la vaccination reprocher l’exact opposé.

Si vous avez donné la parole à des professionnels de la santé, les fausses affirmations des opposants à la vaccination ont majoritairement été laissées sans les réponses que les professionnels auraient pu fournir. La vérification est la base du travail du journaliste et cette vérification n’a manifestement eu lieu à aucun moment. C’est donc bien un choix, comme celui de la mise en scène anxiogène, comme celui de systématiquement laisser planer l’ombre d’intérêts cachés.

Mesdames et Messieurs les responsables de la programmation de France 3, vous avez choisi de commander, de tourner, de monter, de diffuser ce reportage et d’en faire la réclame. Choisi de donner une vitrine, sur une chaîne nationale, à des propos douteux. Choisi, en ne vérifiant pas les affirmations fantaisistes, de mettre en danger une part conséquente de la population. Ce choix vous a peut-être apporté de l’audience, surfant sur les peurs. Ces peurs font plus que monter l’audimat : ces peurs conduisent des parents à mettre en danger leurs enfants en étant persuadés de les protéger. Ces peurs obligent les chercheurs et les médecins à ne plus seulement lutter contre des maladies, mais aussi contre des défiances que vous engendrez. Ce sont moins des accidents, dramatiques mais rares, ou des scandales que naissent l’opposition à la vaccination et la défiance de la science en général, mais de la désinformation. De cette désinformation qui tue des gens et qui met en danger notre démocratie, au profit des vendeurs de peur. Aujourd’hui, les maladies évitables font leur retour dans les pays riches. 110 000 personnes sont mortes en 2018 de la rougeole et l’OMS classe le mouvement hostile à la vaccination dans les menaces pour la santé mondiale. Pourtant, vous avez choisi d’être complices de cette menace. France 3, nous ne vous appelons pas à devenir des scientifiques ou des médecins. Nous vous appelons par cette lettre à (re)devenir des journalistes qui vérifient leurs sources et informent plutôt que faire le buzz. C’est votre devoir car la santé des plus fragiles vaut plus que votre audience.

Lettre cosignée par Les Vaxxeuses, Vaccins France Information et Discussion, Stop à la Propagande Anti-Vaccins, Un Monde Riant, Mr. Sam et la Tronche en Biais. Vous pouvez retrouver l’analyse complète du documentaire de France 3 sur cet article de la page Stop à la Propagande Anti-Vaccins.

Cet article est rédigé à partir de la conférence du même nom que j’ai présentée à l’occasion des 50 ans de l’AFIS le 9 novembre 2018.

Internet n’existe pas hors du temps et de l’espace, dans un non-lieu où des énergies insoupçonnées produiraient des phénomènes nouveaux. Ce qui se passe sur Internet dépend de ce qu’il se passe ailleurs, et en particulier dans l’organe avec lequel nous l’utilisons : notre cerveau.

Le cerveau n’est pas un organe créé pour philosopher ou faire des maths, la logique pure n’est pas son atout premier, mais il est certaines choses qu’il fait très bien. Le problème est que nous ne savons pas toujours reconnaître les points forts dont nous disposons… ni nos points faibles.

Le cerveau humain est un champion de l’inférence : il imagine très vite des explications sur la base de ce qu’il sait ou croit savoir, ou de ce qu’il désire. Il est surtout très fort pour confirmer ses inférences, pour nourrir des narratifs à l’aide de tous les éléments de son environnement (c’est le biais de confirmation). Ces narratifs impliquent souvent des éléments de théorie de l’esprit : le cerveau cherche à tenir compte des intentionnalités externes. Le singe super-social que nous sommes est le résultat d’une histoire où les principales ressources de notre environnement sont nos semblables ; des autres Homo sapiens dépendent notre survie et notre reproduction, tandis que le principal danger de notre environnement, eh bien c’est aussi les autres Homo sapiens. On répète depuis longtemps que l’Homme est un Loup pour l’Homme. Savoir lire les intentions d’autrui, anticiper les comportements est donc crucial, et ceux qui échouaient trop n’ont pas laissé de descendance.

Décrypter les intentions d’autrui, cela passe le plus souvent, pour notre cerveau, par le prisme des émotions : nous savons lire (et exprimer) des dizaines d’émotions nuancées. Ce en quoi le cerveau humain surpasse tous les autres, ce qu’il fait Vite, Bien et Sans Effort, c’est « construire une histoire cohérente avec l’ensemble des choses que nous tenons pour vraies et qui va confirmer toutes nos intuitions ». Aucune intelligence artificielle à ce jour n’est capable de l’ombre de la moitié de l’esquisse de ce talent. Notre point fort n’est donc pas, dans un premier temps, la réflexion rationnelle.

 

 

Belief shoots first

En résumé, nous commençons par croire, et ensuite nous cherchons des raisons de justifier nos croyances. Pour le chercheur en psychologie Daniel Kahnemann, cela s’explique par l’existence de deux « systèmes » dans notre cerveau. Le système 1 est rapide, toujours à l’affût, il saute sur toutes les anomalies ou tous les schémas qui offrent de quoi construire une narration. Le système 2 est plus lent, coûteux, il analyse, il raisonne.

Mais le système 2 est-il lui-même objectif ? Peut-on le comparer à un scientifique rationnel qui évalue prudemment la vraisemblance des propositions ? En réalité, il est souvent au service du système 1 comme un avocat au service de son client : il cherche à valider les conclusions, à donner de la cohérence à ses cognitions. Il est un artisan besogneux du biais de confirmation, et un humain peut être très intelligent, posséder un système 2 extraordinairement efficace et malgré tout persister dans des croyances fausses, car son intelligence lui fournit de grandes quantités d’arguments donnant un semblant de validité à sa vision du monde. Bon gré mal gré, nous confondons « vrai » et « facilement justifiable à l’aide d’arguments qui me viennent à l’esprit ».

Ce qui façonne nos représentations, ce sont d’abord des intuitions, qui possèdent une forte dimension affective (attraction, répulsion). Ensuite, nous cherchons à nous expliquer à nous-mêmes pourquoi nous avons raison d’avoir un tel jugement (c’est la rationalisation). Et nous sommes toujours tentés de nous croire… cela veut-il dire que nous sommes condamnés à l’irrationalité ?

Le remède aux croyances fausses tient dans le bon usage d’un outil simple : l’inhibition cognitive. Il s’agit tout simplement d’un « frein mental ». Il permet de prendre le temps de questionner une idée, une inférence, une opinion, avant de l’incorporer à notre vision du monde.  Pour aller vers plus de rationalité, nous devons avoir un recours conscient et méthodique à ce frein, un outil d’autant plus vital que votre bolide est puissant : les personnes très intelligentes, si elles ne savent pas freiner, peuvent finir par croire des choses complexes, baroques, complètement fausses, voire dangereuses non pas malgré mais en raison même de leur intelligence.

Le grand accélérateur des inférences

Internet offre un flux continu de produits cognitifs. Les propositions sont crédibles ou invraisemblables en vertu non pas de leur qualités propres, mais de la manière dont nous les rencontrons : notre disposition personnelle, notre paysage cognitif, le contexte de l’information. « Il n’y a pas de force intrinsèque de l’idée vraie. » disait Spinoza.

On trouve déjà une belle quantité de bullshit dans les médias audiovisuels (y compris dans le précieux service public), dans la presse quotidienne ou les magasines, sous forme de conférences pseudo-savantes et jusque dans les cabinets des médecins et les amphithéâtres des universitésInternet n’est donc coupable que d’une amplification du problème.

Avec Internet, les occasions de croiser une idée qui retiendra notre attention et nous donnera envie d’y croire sont plus grandes que jamais. Mais il y a plus : on y croise une infinité de confirmations à ce que l’on croit déjà, surtout si l’on poursuit une recherche active d’informations dans la zone d’Internet la plus encline à soulager notre besoin de validation.

À ce titre, Internet est le piège ultime des biais de confirmation : recherche motivée, interprétation biaisée, mémorisation biaisée. Internet nous offre en permanence mille-et-un arguments (parfois pourris) auxquels nous raccrocher. Il est le grand accélérateur de nos inférences. La déconversion des croyances bizarres ou extrêmes a peu de chance de se réaliser spontanément dans cet environnement en raison d’une forme d’assuétude à la croyance : notre cerveau nous « récompense » quand nous trouvons un argument pour continuer de croire ce que nous croyions déjà, au lieu de devoir déployer des ressources pour changer d’avis. Nous éprouvons un plaisir mental, le signal interne que nous maîtrisons ce qui nous arrive.

À cela s’ajoute la dimension sociale : nous ne croyons généralement pas seul dans notre coin, mais cherchons la validation de nos idées chez les autres, des gens qui nous ressemblent et envers qui nous pouvons développer une forme d’identification. C’est le phénomène de la bulle de filtre qui crée un cocon nous abritant contre les réfutations, un lieu où trouver des réponses aux informations contradictoires. La pensée de groupe devient alors un puissant levier pour renforcer la croyance et orienter toujours plus l’utilisation d’Internet à l’avantage des idées séduisantes. À cause de cela, chaque débat houleux peut aisément renforcer une croyance : c’est le phénomène de réactance.

 

Cette grosse machine est un accélérateur de particules. Internet c’est pareil, mais en très différent.

 

 

Fausse symétrie

L’intuition tire en premier, elle vise souvent juste, mais confond le sentiment d’être dans le vrai avec une véritable méthode de validation de ses résultats. Donc quand elle se plante, elle n’en a strictement aucune idée.

Si par malheur nous croyons une fake news, et que nous l’incorporons à notre représentation du monde, recevoir une rectification, une « vraie news », n’est pas suffisant pour revenir  à l’état initial. Même si nous acceptons de nous défaire du fait incorrect… ce qui est parfois une gageure en vertu du principe d’asymétrie de Brandolini, nous conserverons sans doute l’empreinte de la fake news.

 

Principe d’asymétrie de Brandolini : « La quantité d’énergie nécessaire pour réfuter du baratin est beaucoup plus importante que celle requise pour le produire. »

 

C’est se battre contre des moulins à vent que d’espérer opérer une « réinformation » du public ou une chasse systématique du faux. Les contenus frelatés naissent à une cadence infernale, ils séduiront toujours plus qu’une réalité désenchantante, ils nourriront des narratifs idéologiques et leurs puissantes caisses de résonnance, et jamais aucune censure ne sera en mesure de les stopper sans détruire dans le même mouvement la liberté d’expression, ce qui serait un funeste calcul.

 

Donc c’est perdu ?

Les pseudo-sciences ne sont qu’une manifestation du problème des balivernes en tous genres qui pullulent et prospèrent autour de nous. Les balivernes sont pleinement armées pour rafler la mise sur les réseaux : panique anti-vaccination, anti-glyphosate, fausses médecines, propagandes diverses et variées, extrémismes religieux, climato-négationnisme, idéations conspirationnistes…

À la question de savoir si les pseudo-sciences, les discours faux mais séduisants, les narratifs trompeurs, vont gagner sur Internet, la réponse est oui, évidemment, si nous ne réagissons pas !

Une illusoire régulation d’Internet par le pouvoir politique serait impuissante à contrecarrer leur progression dans les esprits ; la censure n’est pas l’amie de la libre pensée. La vraie réponse ne peut qu’être systémique et pédagogique : réinjecter de la méthodologie, une éducation aux médias, valoriser le bon usage du doute, l’épistémologie, la culture du débat qui implique le respect de la diversité d’opinion, la liberté d’expression, le pouvoir d’investigation d’une presse indépendante, l’alphabétisation scientifique des citoyens et l’exemplarité des personnels politiques et médiatiques.

La tâche est énorme, elle devra compter avec une inertie colossale, et il faudra prendre soin d’évaluer les méthodes employées pour y parvenir. Nous avons donc besoin de travaux de recherche sur l’esprit critique, ce qu’il recouvre et comment on peut éventuellement l’enseigner efficacement.

La réponse aux produits cognitifs avariés la mieux adaptée doit sans doute prendre la forme d’un entraînement à la détection des rhétoriques moisies et des épistémologies faisandées ; l’acquisition d’une meilleure immunité épistémique individuelle pourrait réduire considérablement la diffusion des idées trompeuses qui se répandent comme des virus. Déléguer à une instance le rôle de trier le vrai du faux reviendrait à établir en quelque sorte une « vérité officielle » qui ne serait jamais vraiment indépendante des opinions de ceux qui la pilotent. L’autorité de la chose vraie doit tenir à la méthode employée pour la mettre à l’épreuve et pas à l’institution qui en est l’émettrice. Par conséquent, c’est à chaque citoyen, chaque citoyenne, de s’équiper des moyens permettant d’évaluer la fiabilité des informations et d’accéder à une indépendance intellectuelle jamais pleinement acquise, toujours en construction.

Nous n’avons pas de réelle alternative humaniste et démocratique. Jusqu’à preuve du contraire.

Nous sommes des unités informativores. Nous ingurgitons constamment des stimuli que nous analysons pour comprendre le monde. Tous les animaux fonctionnent ainsi, mais nous avons atteint un niveau de raffinement extrême grâce auquel notre espèce réussit des prouesses techniques, artistiques et scientifiques. Nous sommes capables d’identifier les informations pertinentes au milieu du bruit des stimulations tous azimut de notre environnement. Pensons à l’effet cocktail : au milieu d’un brouhaha informe, nous avons la capacité d’isoler un flux verbal, de le faire ressortir du bruit ambiant afin d’en comprendre le sens. Et dans le même temps, une partie de notre attention reste disponible pour un stimulus externe. Par exemple, nous percevons si notre nom est prononcé, ou si une voix familière se rapproche. Cette compétence de reconnaissance de forme est le fondement de la grille de lecture qu’utilise notre cerveau pour se représenter le monde.

 

Sur cette image, vous êtes probablement capable de voir un animal. Mais si, concentrez-vous.

Excès de zèle

Nous sommes tellement forts dans cette tâche, qu’il nous arrive de commettre des excès de zèle. Pour s’en convaincre, on peut lire la liste des étranges coïncidences que certains ont dénichées entre les vies des présidents Lincoln et Kennedy (Coïncidences entre Lincoln et Kennedy). Leurs noms ont 7 lettres ; les noms de leurs assassins ont 15 lettres. Tous les deux sont assassinés un vendredi d’une balle dans l’arrière de la tête. Lincoln est abattu dans le Théâtre Ford, Kennedy meurt à bord d’une Lincoln fabriquée par Ford. Leurs successeurs meurent 10 ans après eux et s’appellent Johnson. La semaine précédant sa mort, Lincoln était à Monroe dans le Maryland, tandis que Kennedy était en compagnie de Marylin Monroe 1, etc. Le relevé de ces faits semble faire émerger un schéma sous-jacent et notre première réaction est de lui chercher une signification. Une signification vide en ce qui concerne ces deux présidents, car il est très facile de dresser une liste de coïncidences impressionnantes entre deux individus en choisissant arbitrairement certaines données parmi d’innombrables informations.

Tout est lié !!

Nous éprouvons d’ailleurs une satisfaction intime à chaque fois que nous réussissons à donner une signification à un signal ambigu ou complexe ; nous aimons comprendre. Nous aimons tellement cela que nous exagérons souvent, nous comprenons trop, parce que nous sur-interprétons. Et ainsi lit-on l’avenir dans les entrailles des oiseaux ou dans le marc de café, ou dans la position des astres, ou en tirant quelques cartes de tarot ; et la personne qui veut croire à la véracité de ces interprétations données à partir d’informations sans signification intrinsèque éprouve une satisfaction à entrevoir un sens caché qui échappe aux autres et qui lui donne le sentiment d’avoir un peu plus de contrôle sur son existence. D’aucuns y voient des synchronicités.

 

On appelle apophénie l’erreur très répandue qui consiste à voir quelque chose… qui n’est pas là. C’est la capacité à identifier une forme, à faire émerger un sens dans ce qui est en réalité du bruit statistique.

 

Une origine naturelle

Pour comprendre d’où vient cette capacité étonnamment répandue, remontons notre arbre généalogique sur des centaines de milliers, des millions de générations. Revenons 100 millions d’années dans le passé. À cette époque, notre lignée évolutive est présente sous la forme d’un animal qui est aussi le futur ancêtre des rongeurs, des lapins et des écureuils volants, et il devait ressembler à l’Eomaia, long de 12 cm, lourd de 25g. C’est un animal de taille réduite dans un monde peuplé de dinosaures.

Pourtant, déjà, il possède un cerveau de mammifère. Surtout, à la différence de la majorité des espèces qui l’entourent, il va transmettre ce cerveau à des descendants qui s’en servent encore 100 millions d’années plus tard. Et il y  a une raison à ce succès évolutif, parce que l’évolution n’est pas régie par le hasard mais par la sélection naturelle, qui est l’inverse du hasard. Notre petit ancêtre possède des caractéristiques qui lui confèrent un avantage déterminant pour la survie. Et son cerveau est au diapason, car c’est un organe de survie avant d’être un outil pour philosopher.

 

L’erreur de seconde espèce versus la sélection naturelle

À présent, imaginons que vous êtes cet ancêtre éloigné. Un bruit attire votre attention dans un buisson. Deux possibilités : ou bien c’est un danger, ou bien ce n’en est pas un. Il s’agit peut-être d’un prédateur s’apprêtant à surgir, ou bien ce n’est que le vent. Ces deux possibilités n’ont pas les mêmes conséquences pour vous. Si un prédateur est bien là, c’est votre vie qui est en jeu, et vous avez intérêt à réagir rapidement. Vous-même êtes en vie parce que vos parents avant vous ont réussi à ne pas se faire dévorer à l’improviste, ils étaient sans doute capables de reconnaître un danger, et ils vous ont transmis cette aptitude.

Le petit animal que vous êtes se trouve face à un test d’hypothèse. Il doit répondre à la question : le danger que je perçois est-il réel ? Si vous commettez une erreur de première espèce, c’est à dire un faux positif, vous commettez l’erreur d’identifier un danger là où il n’y en a pas. Conséquence : vous adoptez un comportement de fuite, vous éprouvez un stress relativement fort, et puis voilà. Le coût de cette erreur n’est pas susceptible de vous peser bien longtemps.

Fausse frayeur !

L’erreur de seconde espèce est la situation diamétralement opposée : le faux négatif. Vous avez échoué à reconnaître le danger qui était bien là. Et là c’est tout simple : vous n’aurez plus jamais l’occasion de refaire une erreur de ce type. Votre mort élimine vos gènes au bénéfice des gènes de ceux qui ne commettent pas ce type d’erreur.

Au fil des générations, et depuis des millions d’années, la nature a éliminé les individus qui avaient tendance à commettre l’erreur de seconde espèce. Et nous sommes le résultat de ce long travail de la nature et de la logique sur la matière vivante. Ce mécanisme extrêmement simple a de profondes conséquences sur la fixation dans les lignées évolutives des aptitudes à percevoir et identifier les formes dans l’environnement.

 

L’apophénie (voir Wikipédia en anglais) n’est donc un défaut de notre cerveau que si l’on regarde le cerveau pour ce qu’il n’est pas. Il n’est pas fait pour penser rationnellement, réaliser des statistiques ou pratiquer le scepticisme scientifique. Le cerveau pilote notre corps avec des comportements qui ont donné par le passé la preuve de leur utilité à travers la survie des individus. Point. Notre reconnaissance abusive des formes dans l’environnement n’est donc pas un défaut, c’est bel et bien un atout, historiquement… sauf que le monde actuel tend de nouveaux pièges d’autant plus pernicieux et périlleux que notre cerveau y tombe avec plaisir, voire volontairement.

 

L’horizon d’attente

Aucun d’entre nous ne s’attend à croiser une girafe dans un couloir ou un paquebot sur un parking. Et de fait, il ne vous est certainement jamais arrivé de si mal percevoir votre environnement que vous ayez pu croire avoir observé ces choses-là. Pourtant il est probable que vous ayez commis fréquemment des confusions moins étonnantes. Par exemple, une feuille tombée d’un arbre dans votre dos vous fait sursauter car vous croyez sentir une araignée se déplacer sur vous avec ses huit pattes (qui ne sont pas là). Il nous est tous arrivé un jour de croire reconnaître un ami dans la rue, ou de penser avoir entendu la voix d’un proche avant de réaliser notre méprise.

Cela se produit parce que nous sommes habitués à rencontrer une certaine gamme de stimuli, tandis que d’autres nous sont totalement étrangers. Notre cerveau est donc préparé à l’avance, conditionné pour répondre bien plus rapidement à des situations familières. On parle d’effet d’exposition. Lorsque nous avons été exposés à certains stimuli (des objets, des voix, des situations, des thèmes), cela augmente la probabilité que nous percevions ces stimuli alors qu’ils ne sont pas là. Nos expériences passées façonnent un horizon d’attente, une grille de lecture avec des schémas préétablis qui fonctionnent sur un mode binaire : le bon stimulus va immédiatement activer l’un de nos schémas de manière à déclencher un comportement adapté. Parfois un stimulus vaguement ressemblant va activer par erreur l’un de ces schémas, et l’espace d’une seconde nous croyons avoir perçu quelque chose. Toutefois l’impression ne persiste pas, elle est trop fugace pour qu’on puisse prendre conscience de sa nature.

C’est là que les illusions d’optique peuvent se montrer des outils précieux, car elles sont des signaux ambigus et persistants. Par exemple, le dessin de la fourche du diable allume dans notre cerveau la vision en trois dimensions d’un objet avec deux branches à section carrée… mais aussi celle d’un objet avec trois branches rondes. Sauf que nous ne pouvons pas voir ces deux objets en même temps, et qu’en réalité aucun des deux n’est réellement dessiné. Il nous est même très compliqué de réussir à voir le dessin tel qu’il est, parce que rien dans notre expérience quotidienne des objets physiques ne nous a préparé à répondre à ce genre de stimulus.

 

La conséquence est que nous percevons ce que nous nous attendons à percevoir. Les témoignages sur les ovnis sont bien plus nombreux quand, la veille, la télévision a diffusé un programme qui parlait d’ovnis. Ce sont des chrétiens qui croient voir le visage de la Vierge Marie apparaître sur des toast ou le visage de Jésus sur des taches d’humidité. De la même manière, les narcissiques pensent abusivement qu’ils suscitent envie et admiration tandis que les paranoïaques s’imaginent être la cible de malveillance s’ils découvrent une éraflure sur leur voiture. Quant à ceux qui pensent que des groupes occultes cherchent à les manipuler, ils trouveront aisément à reconnaître les signes qu’on les manipule. Et toutes ces erreurs sont d’autant plus faciles à commettre qu’elles se nourrissent au biais de confirmation d’hypothèse, un biais qui nous affecte tous, celui de négliger —inconsciemment— les faits qui contredisent ce que nous pensons savoir.

 

Les formes incomplètes

Nous avons dit que le cerveau utilise une gamme de concepts qui s’allument en fonction des stimulations. Par conséquent, quand nous croyons avoir conscience des objets qui nous entourent, nous avons en réalité conscience des concepts des objets qui nous entourent. Bien sûr, les objets sont là, dehors, indépendamment de ce que nous croyons voir, mais il nous arrive de confondre un trombone avec une épingle à nourrice. Et durant l’instant que dure notre confusion, notre erreur nous fait l’effet d’une réalité tout aussi réelle que n’importe quelle perception correcte.

La gamme des concepts stockés dans la mémoire vive de notre esprit est dynamique, elle est remise à jour au fil de nos expériences. Il y a néanmoins des constantes. L’une des plus courantes est que les objets que nous rencontrons sont complets. Comme nous ne croisons jamais une moitié de chien, quand il nous arrive de percevoir, dans des conditions de visibilité réduite, une forme qui nous rappelle une tête de chien, notre cerveau nous dit qu’il croit avoir vu un chien entier. L’image ci-dessous ne contient que des disques noirs incomplets et quelques traits. Leur alignement produit sur nous, instantanément, l’illusion qu’existe un triangle blanc. Mais ce phénomène est encore plus étonnant qu’il pourrait le sembler à première vue. En effet, regardez l’image un peu plus attentivement. Regardez la couleur de ce triangle blanc. Comparez là au blanc qui est tout autour. Le triangle blanc (qui n’est pas là) ne vous semble-t-il pas plus blanc que le fond blanc de l’image, et en particulier que le triangle formé par les traits ? C’est comme si votre esprit avait besoin de vous signaler l’existence de ce triangle, de le réifier, de le faire ressortir du décor. Vous hallucinez un blanc plus blanc que blanc.

 

Nous sommes donc capables de voir l’invisible, des formes qui ne sont pas réellement là et qui n’ont donc pas réellement touché nos sens, mais qui répondent à l’activation dans notre esprit d’un concept, ici le concept de triangle blanc. Mais il y a encore plus invisible que ça.

 

Le monde invisible (la sphère sociale)

Les lecteurs de ce texte sont des primates. À ce titre, ils possèdent une expertise stupéfiante dans la reconnaissance des visages. Cette faculté permet de distinguer les individus familiers des étrangers (potentiellement dangereux) et aussi de comprendre autrui ou de s’en faire comprendre à travers les expressions. L’importance des relations entre les individus est telle que nous sommes devenus des spécialistes de la détection des visages et que notre schéma mental « visage » s’allume pour un rien. Nous pouvons tous reconnaître avec une facilité déconcertante des visages à peu près n’importe où, y compris dans des images très sommaires. C’est notre grande spécialité en matière de reconnaissance des formes. La preuve en est : cette faculté n’a pas besoin d’être apprise par les enfants. Et quand nous faisons l’expérience d’une paréidolie, c’est bien souvent un visage qui surgit.

 

Et c’est derrière ces visages que se trouvent les innombrables concepts qui constituent une proportion considérable de notre représentation du monde : tous les concepts impliqués dans les relations sociales. À l’instar des grands singes, de quelques grands mammifères (dauphins, éléphants) et peut-être d’autres animaux sociaux, nous avons dans notre cerveau l’équipement nécessaire pour avoir accès à la connaissance des états mentaux d’autrui, c’est ce qu’on appelle la Théorie de l’Esprit. Et c’est cette faculté, en séparant les entités physiques des entités mentales, abstraites, qui nous ouvre les portes du véritable monde de l’invisible.

 

De l’invisible partout

Nous voyons l’invisible tous les jours. D’abord parce que l’évolution a produit des animaux dont le module de reconnaissance des formes est en position hypersensible. Ensuite parce que la représentation mentale du monde dans laquelle nous vivons est centrée autour des concepts les plus fréquemment stimulés, ce qui nous rend plus susceptibles de les « voir ». Et aussi parce que chaque fois que nous interagissons avec un autre animal, nous agissons en réponse à des concepts abstraits que sont les intentions, les besoins et les représentations d’autrui.

Le fonctionnement de base de notre cerveau est amplement suffisant pour nous inciter à (croire) percevoir des signaux dans des jeux de données aléatoires, et à acquérir des certitudes infondées sur l’existence de phénomènes qui résultent d’une mauvaise interprétation du réel. Tous les ingrédients sont réunis : apophénie, effet d’exposition et théorie de l’esprit, pour générer la puissante illusion d’agent impliquée dans la plupart des croyances surnaturelles et des théories conspirationnistes.

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que si nombreux soient les témoignages proprement incroyables de phénomènes mystérieux ou mystiques. Étant donné notre équipement cérébral de survie, c’est leur absence qui serait un miracle.

 

Article apparenté…

Les médias sont là pour nous informer, et à cette fin, on attend qu’ils donnent la parole à des personnes disposant de connaissances dont le partage est bénéfique au public.

Le 18 mars 2018, 124 médecins ont co-signé dans le Figaro une tribune qui dénonce sévèrement des dérives dans la pratique de certains professionnels de la santé : des praticiens qui utilisent des médecines dites « alternatives », « douces » ou « non-conventionnelles », c’est-à-dire, en clair, des thérapies qui ne respectent pas les exigences de la médecine fondée sur les preuves (evidence based medicine en anglais). Dans la mesure où nous souhaitons tous pouvoir disposer des meilleurs traitements sans risquer notre vie où celle de nos proches à chaque pilule, nous voulons que toutes les thérapies soient testées afin de s’assurer qu’elles ne peuvent pas nous nuire et qu’elles effectuent bel et bien le soin que l’on attend d’elles. Par conséquent, la tribune qui se borne à rappeler cette exigence et à en tirer les conclusions devrait être d’une grande banalité. Mais elle ne l’est pas du tout, et c’est la réaction des médias qui nous le montre.

 

 

Chronique dans le Figaro, 18 mars 2018.

 

 

Nous avons assisté, sur les antennes de France Inter, LCI et d’Europe 1 notamment, à un déferlement de réactions offusquées et de tentatives désespérées de défendre des pratiques, du seul fait qu’elles sont entrées dans les mœurs, et font donc partie de la vie de beaucoup de gens. À ce titre, elles mériteraient une forme de respect, d’immunité à la critique, un principe assumé mais que personne ne prend la peine de justifier… peut-être parce que c’est une position injustifiable.

Une lecture de la situation avec les concepts de la pensée critique permet de soupçonner un besoin de rationalisation : on cherche à justifier des pratiques largement répandues auxquelles beaucoup ont recours sans trop savoir pourquoi ; l’absence de connaissance sur la raison de ces choix thérapeutiques va créer une sorte de relation intime entre le patient et ces thérapies par un mécanisme expliqué par la théorie de l’engagement. En l’absence d’argument rationnel pour justifier mon choix, il n’existe aucune distance entre la pratique en question et ma personnalité, je pense donc que si j’utilise telle thérapie, c’est parce que cela me correspond, et dès lors toute critique de la thérapie est une critique qui m’est directement adressée. Il n’y a guère d’espace pour le débat : la critique raisonnée du bien fondé de ces thérapies ne produit pas une réponse raisonnable sur le terrain des arguments, mais une réaction émotionnelle. Je reçois la critique de la thérapie comme une injure personnelle.

 

En réalité, la tribune n’est pas une injure faite aux patients ni un brûlot contre des escrocs, mais une alerte vis-à-vis de ce que nous acceptons de croire dans un pays où les gens ont plus confiance dans l’homéopathie que dans les vaccins (à l’exact opposé de ce que les connaissances scientifiques nous donnent à savoir). Le débat doit être mené sur le terrain des arguments rationnels : existe-t-il des éléments de preuve de l’efficacité ou de l’inefficacité de certaines thérapies ? La réponse est oui mais les médias semblent étonnamment gênés par l’existence de résultats scientifiques. La science, parfois, nous dérange, on le sait bien. Elle dérange les créationnistes, les climatonégationnistes, les révisionnistes de l’histoire, les croyants dans la nocivité des ondes téléphoniques… et dans ces cas-là les média savent bien le dire et ne traitent pas les scientifiques de « Pères la morale », comme se permet de le faire Mathieu Vidard dans une chronique sur France Inter le 20 mars.

 

France Inter à la rescousse des thérapies sans efficacité ?

Voici la réaction de Mathieu Vidard sur France Inter.

Disponible ici : https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-carre/l-edito-carre-20-mars-2018

 

« Surfant sur le thème des fake news, nos docteurs déguisés en oies blanches, se drapent dans l’arrogance de leur respectabilité scientifique pour dézinguer –je cite- ces fausses thérapies à l’efficacité illusoire. »

On appréciera le jugement (on appelle ça une attaque ad personam) qui part du principe que la critique est nécessairement signe d’arrogance plutôt que d’exigence de la démarche scientifique. Nous verrons que la chronique dans son entièreté n’est pas avare de moisissures argumentatives.

« Et d’en appeler au Conseil de l’ordre des médecins pour sévir contre les fous furieux de la granule et renvoyer au fin fond du Larzac ces dangereux baba cool qui empoisonnent les patients à coup de Nux Vomica et d’Arnica Montana 30 ch. »

Un journaliste consciencieux ne prétendrait pas que la tribune dénonce un « empoisonnement » puisque ce mot n’apparaît nulle part, pas plus que « fou furieux de la granule » ni aucun des termes employés dans cette phrase. L’homéopathie prise à haute dose ne peut sans doute empoisonner que les gens intolérants au lactose. Pour mieux voir comment le journaliste commet un sophisme de l’épouvantail, lisons ce que la tribune dit réellement sur les dangers des médecines parallèles / alternatives :

« Les thérapies dites « alternatives » sont inefficaces au-delà de l’effet placebo, et n’en sont pas moins dangereuses.

  • Dangereuses, car elles soignent l’inutile en surmédicalisant la population et en donnant l’illusion que toute situation peut se régler avec un « traitement».
  • Dangereuses, car elles alimentent et s’appuient sur une défiance de fond vis-à-vis de la médecine conventionnelle comme le montrent les polémiques injustifiées sur les vaccins.
  • Dangereuses enfin, car leur usage retarde des diagnostics et des traitements nécessaires avec parfois des conséquences dramatiques, notamment dans la prise en charge de pathologies lourdes comme les cancers. »

 

La caricature de Mathieu Vidard sur France Inter n’a aucun pouvoir explicatif, elle n’informe pas les auditeurs du service public sur la réalité du contenu de cette tribune. Elle est la pure manifestation d’une volonté de contre-argumenter… sans argument.

« Si cette tribune n’était pas franchement insultante pour les praticiens comme pour les 40% de Français qui ont recours aux médecines alternatives, on s’amuserait des arguments de ces pères la morale. »

« L’insulte aux patients » est un sophisme du chiffon rouge qui travestit la tribune pour en faire un acte de pure malveillance, donc indéfendable. La tribune n’insulte personne, relisez-la bien. Naturellement, il n’est pas plaisant de voir critiquée une pratique médicale dont on est soi-même consommateur ; on se sent floué. Et certains patients éprouveront un sentiment très désagréable à la lecture de cette tribune (peut-être une forme de dissonance cognitive). Mais est-il raisonnable d’accuser de vous traiter d’idiot celui qui vous prévient que l’empereur est nu, en espérant ne pas réellement passer pour quelqu’un qui manque de jugeote ?

« Lorsqu’on pense aux dizaines de milliers de personnes qui sont devenues gravement malades ou qui ont passé l’arme à gauche en raison des effets secondaires de médicaments allopathiques type Médiator ou Distilbène, ou lorsque l’on sait que les somnifères ou les anti-dépresseurs sont prescrits de façon excessive, qu’ils représentent des bombes à retardement tout en faisant la fortune de laboratoires pharmaceutiques véreux ; on se dit que notre club des 124 pourrait légèrement baisser d’un ton. »

Ici le sophisme est celui de la double faute : X n’est pas une discipline sans défaut, elle pose des problèmes ; sous-entendu : alors ne venez pas critiquer Y, c’est injuste ! Cette manœuvre est de nature à convaincre les déjà-convaincus qui ont besoin de n’importe quel argument pour défendre leur position. La faute qui serait commise par X n’est en rien une réponse montrant que la critique de Y n’est pas justifiée.

Mais au-delà du simple sophisme, permettez qu’on s’étonne que monsieur Vidard emploie le mot allopathie, terme inventé par les homéopathes pour (dis)qualifier la médecine scientifique et instaurer une illusion d’équivalence entre les deux. D’un côté il y aurait l’homéopathie et de l’autre l’allopathie, deux pratiques également respectables. Imaginez qu’on dise la même chose des négationnistes qui estiment que leur version de l’histoire a la même valeur que celle des « historiens classiques » et vous aurez sans doute une idée de l’aberration que cela représente.

Dès lors, on se réjouit que Radio France ait annoncé récemment vouloir se doter d’un conseil scientifique, il sera utile pour éviter ce qu’on appellera charitablement une maladresse lexicale… qui flirte avec la faute professionnelle. La faute serait caractérisée s’il s’avère que Monsieur Vidard adopte pleinement la rhétorique des Laboratoires industriels Boiron. Il va sans dire qu’on attend mieux de la part de l’animateur de La Tête au Carré,  l’une des rares émissions de qualité sur la science dans les médias français.

 

« Dans cette tribune, les médecins écrivent que l’homéopathie n’est pas scientifique.

Et ils ont raison puisqu’aucune étude sérieuse n’a prouvé à ce jour une quelconque efficacité de cette thérapie. Le contenu scientifique des médecines alternatives est vide. Rien d’autre que l’effet placebo. Et alors ? »

L’état de l’art est un peu plus précis que ça. Nous ne sommes pas en face d’une absence de preuve, mais bel et bien dans la situation ou l’absence d’effet spécifique est attestée par des méta analyses qui ont conduit des académies scientifiques à dire explicitement ce que de très nombreuses études ont démontré : l’homéopathie n’a pas d’efficacité et sa pratique relève de la pseudoscience.

  • Un rapport au gouvernement Australien a effectué la revue systématique de 225 études impliquant 1800 scientifiques. Il conclut à l’inefficacité de l’homéopathie (2015). Lire ce rapport.
  • Le conseil scientifique des académies des sciences européennes « recommande une approche fondée sur la preuve scientifique » (2017). Il déclare : « La promotion et l’utilisation des produits homéopathiques risquent d’entraîner des dommages importants ». Lire la communication.
  • L’académie des sciences Russe déclare que l’homéopathie est une pseudoscience dangereuse qui ne fonctionne pas (2017). Voir cette déclaration.
  • Les Etats Unis exigent que les « traitements » homéopathiques affichent clairement sur leur emballage qu’ils ne fonctionnent pas (2016). Source.
  • S’appuyant sur le corpus scientifique, le département de la santé britannique juge que l’homéopathie est un gaspillage de ressources (2017). Lire la publication de la NHS.

 

Continuons la chronique de Mathieu Vidard…

« Est-ce que tous les allopathes peuvent se vanter de pouvoir soigner chaque maladie de façon rationnelle ? Non bien sûr. »

Nouveau sophisme, celui de la solution parfaite : Les praticiens de la médecine fondée sur les sciences (qui ne s’appellent jamais des allopathes) travaillent à étayer avec des preuves les prétentions thérapeutiques de leurs pratiques. Qu’ils échouent à soigner tout le monde ne valide évidemment aucune forme de charlatanerie alternative, et on ne devrait pas laisser croire le contraire sur une antenne sérieuse.

« Alors n’est-il pas possible d’admettre qu’il existe parfois une part de magie permettant de soigner ? »

Que dire ? Devons-nous vraiment subir une obscurantiste défense de la pensée magique de la part d’un journaliste scientifique sur un sujet de santé ? Que la science actuelle n’explique pas tout est une chose bien connue, et d’abord par les scientifiques eux-mêmes. Mais invoquer la magie n’a jamais fait progresser la connaissance, et nul n’est censé l’ignorer.

 

« En conclusion de leur tribune, les 124 exigent que l’ensemble des soignants respectent une déontologie et qu’ils proposent à leurs patients une écoute bienveillante. Il fallait oser ! Car c’est précisément à cause d’une médecine conventionnelle déshumanisée que les malades fatigués d’être considérés comme de simples organes sur pattes, se tournent vers des praticiens capables de passer du temps avec eux et de les écouter. »

Oui, il fallait oser ! Car Mathieu Vidard a raison sur un point : la médecine conventionnelle n’est pas assez humaine, elle laisse sans réponse certains besoins des patients. Il est grand temps qu’elle s’en rende compte, fasse son autocritique et travaille à apporter des réponses compatibles avec l’éthique scientifique et le respect du consentement éclairé du patient, plutôt que de se laver les mains des conséquences des choix que les patients font par défaut, par désespoir de se sentir pris en charge. Or, c’est exactement le sens de la tribune qu’ici il malmène à mauvais escient.

 

« On se demande bien quel est l’intérêt d’une tribune aussi péremptoire à l’heure où la médecine allopathique pourrait largement balayer devant sa porte plutôt que d’avoir le mauvais goût de dénigrer le travail de ses confrères. »

La question rhétorique qui vient clore cette chronique ressort de la logique conspirationniste, et c’est très alarmant. Apparemment, il faudrait que les auteurs de la tribune aient un but caché, un agenda, un intérêt personnel et étranger à celui de la société dans son ensemble. Il est peut-être plus raisonnable de ne pas suspecter la malveillance de ces médecins qui osent secouer leur profession. Et s’ils le faisaient pour l’amour de leur métier, par inquiétude de voir des allégations sans preuve être gobées et donner lieu à des profits considérables ?

 

Les laboratoires Boiron, parangon de l’industrie chimique, engrangent des centaines de millions d’euros par an. Leur dirigeant, l’héritier de l’entreprise Christian Boiron, n’hésite pas à déclarer « il y a un Ku Klux Klan contre l’homéopathie » (source)  ou encore « Nous travaillons sur les maladies lourdes comme le cancer et le sida. Encore une fois, il ne faut pas enfermer l’homéopathie dans des maladies légères. » (source) tandis que Homéopathes sans Frontière apporte à des populations vivant dans des régions hautement épidémiques des traitements qui ne sont pas des médicaments et qui donnent aux gens une fausse illusion d’être protégés contre des maladies graves… L’AFIS s’alarme : « l’OMS a rappelé que cette pratique « n’avait aucune place » dans la prise en charge des patients atteints de maladies graves telles que le sida, la tuberculose, la malaria, les grippes, ou encore les diarrhées chez les enfants. » (source).

 

L’état de l’art scientifique est clair sur ces sujets, et il faudrait avoir le courage de remettre en question nos habitudes : l’homéopathie et les médecines alternatives sont dangereuses. Au-delà de la chronique de Mathieu Vidard, indigne du service public, d’autres personnalités médiatiques ont apporté leur pierre à l’édifice sophistique qui s’érige en réaction à la tribune, même si certain·e·s comme Géraldine Woessner se montrent beaucoup plus consciencieux et respectueux de la démarche scientifique.

 

Sur twitter, quelques médecins soulignent les problèmes potentiellement graves qui entourent la pratique des médecines alternatives.

 

Emission « La république » sur LCI

La tribune #FakeMed a été rédigée notamment par François de la chaîne Primum Non Nocere et Jérémy Descoux de la chaîne Asclépios. Le 19 mars, ce dernier est reçu sur le plateau de La République LCI, où il subit 14 minutes d’un harcèlement rhétorique qui ferait une superbe publicité pour les biais cognitifs et les sophismes : un festival de déclarations dénuées du moindre esprit critique, de la moindre prudence épistémique, de pures tentatives de justifier ce que l’on croit sur la base de ce qu’on souhaite être vrai.

Pour que LCI mérite le I de Information, nous souhaiterions que la chaîne informe le public sur la fabrication des remèdes homéopathiques, sur leur composition et les études sérieuses, en double aveugle, qui se penchent sur leurs effets putatifs. Comment se fait-il que dans notre pays 57% des gens utilisent un traitement sans quasiment rien en savoir ?

Voici quelques moments choisis qui illustrent la maltraitance de la science et de la logique dans nos médias :

Roselyne Bachelot « L’homéopathie française et les laboratoire français sont les plus renommés dans le monde. Vous allez donner un véritable coup de poignard à une industrie française. »

La phrase se passe quasiment de commentaire : la France a aussi une industrie de l’armement qui rapporte beaucoup d’argent. Faut-il à ce titre se retenir de critiquer la prolifération des armes ?

Charles Beigbeder « Il y a une sagesse populaire qui, depuis des milliers d’années… Eh oui ! L’acupuncture, c’est la civilisation chinoise qui nous l’apporte. C’est 3000 ans de pratique. Et ça marche ! Vous savez, vous dites « oui la science ne peut pas démontrer…[« que ça marche » NDR] » oui mais elle ne peut pas démontrer non plus que ça ne marche pas, et elle ne comprend pas. Je crois qu’il faut être humble, modeste par rapport à notre compréhension du corps humain. Vous savez que dans l’embryogenèse on sait toujours pas comment ça marche. (…) soyons humbles. Il y a beaucoup de français qui utilisent ces médecines. (…) n’allons pas tout rejeter au nom de la science, c’est un ingénieur qui vous le dit »

 

Cet homme d’affaire et politicien fait la leçon à des médecins en leur disant d’être plus modestes et en alignant un appel à l’ancienneté, un appel à la sagesse populaire (ad populum), un appel à l’ignorance et enfin un appel à l’humilité que suit un appel à l’autorité dans une étourdissante enfilade sophistique qui fera un excellent cas d’école pour mes cours sur l’esprit critique.

« Un ingénieur n’est pas forcément un scientifique » dixit un ingénieur de notre équipe.

 

En réalité, la science peut bel et bien démontrer l’absence d’efficacité, et elle l’a fait, comme nous l’avons rappelé un peu plus haut avec les publications des institutions scientifiques.

 

Alexandre Malafaye « Quand tout d’un coup on jette le bébé avec l’eau du bain comme vous le faites je suis par nature méfiant. Je n’ai aucune compétence médicale mais j’ai des expériences tout à fait probantes (…) Cet hiver, je ne vais faire aucune pub, mais j’ai pris un traitement antigrippal homéopathique, ma femme aussi, c’est la première fois que je traverse l’hiver sans grippe. Alors vous allez me dire que c’est contextuel et cetera »

Non ce n’est pas contextuel. Sans symptôme, il n’y a pas d’effet placébo. Il y a simplement un effet de corrélation illusoire du type post hoc ergo propter hoc : le fait de prendre un remède « antigrippal » (vendu sans avoir fait la preuve de son efficacité) est associé au fait de ne pas avoir eu la grippe, et le cerveau humain qui adore voir de la causalité établit un lien entre les deux. Cela fait une jolie histoire à raconter sur un plateau télé pour alimenter le mille-feuilles argumentatif au service des pseudo-sciences, celles qui, faute de preuve d’efficacité, alignent les témoignages.

La science sert justement à ne pas se laisser abuser par les liens de causalité excessifs que nous voyons partout. Tenir un tel propos sur l’antenne du service public, c’est donc très exactement défendre une posture antiscientifique. Que ce soit probablement fait de manière involontaire n’empêche pas le problème.

Rappel : Avec un argument de type « anecdote » des gens défendent l’existence du paranormal, des ovnis d’origine extraterrestre ou des complots avec autant d’aplomb et exactement autant de rigueur intellectuelle.

 

Roselyne Bachelot « J’ai mieux, moi j’ai soigné mon chien à l’homéopathie,  alors là l’effet placebo est assez limité. (…) et ça marchait très très bien »

Madame Bachelot n’est pas bien informée de ce que la science sait sur l’effet placebo observé chez les animaux. Oui, cet effet existe. Oui, on peut croire indûment qu’on améliore la santé de son animal ou de son bébé en lui administrant un remède privé d’effet spécifique.

 

Malheureusement, personne n’a contredit ces gens sur le plateau. Jérémy Descoux était là pour expliquer la raison d’être de la tribune, pas pour corriger les fautes logiques des intervenants. Le public a donc pu se laisser influencer par des déclarations très assertives mais illogiques ou factuellement fausses. Cela n’est pas de nature à contribuer à la liberté éclairée de leurs choix thérapeutiques.

 

Un besoin d’esprit critique.

Pour démêler le vrai du faux dans cette histoire, nous avons besoin de ne plus accepter les arguments fallacieux, de les éliminer, afin de ne plus avoir à traiter que les vrais arguments, les vraies données, les vraies démonstrations. Ce ménage rhétorique reste à faire. Il y a encore des illusions et de la pensée magique chez certains médecins, et l’ensemble de la population demeure prisonnière de ses biais cognitifs. Rare sont ceux qui désirent la vérité plus que le confort avec assez de force pour penser contre leurs idées reçues, contre leurs pratiques quand c’est nécessaire.

On ne peut décemment pas se moquer des conspirationnistes, dénoncer les fake news, si dans le même temps on donne le spectacle d’un refus de la remise en question de ses préjugés. La tribune sur les #FakeMed est un test que la plupart des médias qui s’y sont intéressés n’ont pas su passer.


La chronique de Mathieu Vidard a fait l’objet d’une critique en vidéo de la part de Un Monde Riant.

On ne prête qu’aux riches

Il y a 50 ans, en janvier 1968, un article de Robert K. Merton souligne l’existence d’un biais dans le fonctionnement sociologique de la science. Il le nomme Effet Matthieu en référence à l’évangile du même nom.

« Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. » Mt 13:12

En substance, l’effet Matthieu produit la chose suivante : un nom connu agrégera sur lui les mérites portant sur des travaux auxquels auront participé des chercheurs moins renommés… et dont la renommée ne pourra s’accroître puisque le mérite de leurs travaux leur est ôté. Il s’agit d’un phénomène « naturel » en ce sens que la communauté scientifique n’a jamais explicitement pris la décision de se comporter ainsi ; c’est le résultat de comportements individuels à l’échelle desquels on ne peut pas soupçonner l’émergence d’un effet important sur l’ensemble de la communauté.

 

L’effet Matthieu est valable pour les institutions. Une étude publiée par une université ou un laboratoire très reconnu sera beaucoup plus citée qu’une étude de même qualité provenant d’une source moins prestigieuse.

Comment cela est-il possible ? Une production intellectuelle provenant d’un excellent scientifique d’une illustre institution envoie plus de stimuli au lectorat que la même contribution signée d’un nom inconnu. Elle sera lue davantage, provoquera plus de réactions, et in fine pourra plus facilement être jugée importante. À la manière d’une prophétie auto-réalisatrice, il devient rentable pour les chercheurs de lire en priorité ces études au détriment des autres.

 

Inspirée de l’Effet Mathieu, la loi de Merton, aussi nommée loi de l’éponymie dispose : « Aucune découverte scientifique ne porte le nom de son authentique inventeur ». La loi de Merton obéit à la règle qu’elle décrit puisqu’elle fut formulée par… Steven Stigler

On ne prête qu’aux riches

Loi de l’éponymie

Au rang des découvertes qui suivent la Loi de Merton-Stigler, on peut citer la loi de Hubble sur l’éloignement des galaxies et donc sur l’expansion de l’Univers, qui avait été prédite deux ans plus tôt par Lemaître. Le théorème de Pythagore est une relation connue bien avant lui, par les Babyloniens déjà. La constante d’Euler est découverte par Bernouilli. Le diagramme de Venn est d’abord employé par Euler. On appelle Lamarckisme le concept d’héritabilité des caractères acquis qui date d’avant Lamarck et ne constitue pas un élément très important de son travail. L’organe de Jacobson (voméronasal) est découvert par Frederik Ruysch. Les première et deuxième lois de Newton ont été décrites avant lui, notamment pas Galilée. La température de Curie fut découverte 60 avant Pierre Curie par Claude Pouillet[1]. La sphère de Dyson est une idée originale d’Olaf Stapledon.

Stigler et Merton soulignent que le travail des scientifiques jouit d’une visibilité moins indexée sur sa qualité que sur la réputation de l’auteur. On pourrait surnommer cet effet le syndrome « Best Seller » où le succès d’un livre devient un argument efficace pour amplifier les ventes.

L’effet Matilda est un phénomène similaire dans lequel les travaux ou découvertes de femmes ont tendance à être attribués à leurs collègues masculins. Par exemple Marthe Gauthier ne fut que tardivement reconnue pour son rôle prépondérant dans la découverte de l’origine chromosomique du syndrome de Down (trisomie 21) longtemps attribuée au seul Jérôme Lejeune.

À la fois cause (peut-être) et conséquence (certainement) de cette distorsion de perception du monde académique : une minorité des chercheurs produisent la majorité des travaux de recherche et concentrent la plupart des citations.

Cet effet conduit à une invisibilisation de certain·e·s intellectuels, et alimente les images d’Epinal du savant isolé réalisant ses grandes découvertes coupé du monde, quand en réalité l’essentiel des avancées de la connaissance sont réalisées à travers un travail collectif.

En 2014, toutefois, Azoulay et al[2] étudient l’effet Matthieu et sont capables de le mesurer. Ils estiment que l’effet est relativement limité et, notamment, que l’attribution d’un prix scientifique augmente surtout la visibilité des publications précédentes quand il y avait des raisons de douter de leur qualité (journaux à faible factor d’impact ou sujets nouveaux ou controversés) ou quand le récipiendaire ne jouit pas déjà d’un haut statut dans le monde de la recherche.

 

Les perceptions des scientifiques sur leurs travaux sont biaisés

Il est important de détecter les biais existant dans la manière dont la science est communiquée et reçue, dans la manière dont les carrières sont évaluées, les postes attribués, les promotions accordées. On retrouve évidemment ces biais dans d’autres domaines, d’autres communautés culturelles, en particulier dans le monde des médias, notamment sur YouTube où les chaînes les plus (re)connues éclipsent probablement des travaux tout aussi valables.

Si cet article est en mesure de mettre l’accent sur les défauts du monde académique, c’est pour la bonne raison que ce milieu possède les outils qui permettent de mettre en évidence le phénomène. Le monde académique montre ici un aspect peu reluisant, mais il pourrait bien être moins coupable de ces distorsions que toutes les autres communautés culturelles dans lesquelles les injustices se perpétuent sans qu’il soit moyen de les constater objectivement.



[1]  Grimmett, Geoffrey (2006). « Random‑Cluster Measures ». The Random‑Cluster Model. Grundlehren der Mathematischen Wissenschaften. Springer. p. 6. ASIN B000UTDCSSdoi:10.1007/978-3-540-32891-9_1ISBN 978-3-540-32891-9ISSN 0072-7830LCCN 2006925087OCLC 262691034OL 4105561WArchived (PDF) from the original on 2016-02-13. There is a critical temperature for this phenomenon, often called the Curie point after Pierre Curie, who reported this discovery in his 1895 thesis … In an example of Stigler’s Law … the existence of such a temperature was discovered before 1832 by [Claude] Pouillet….

[2] Azoulay P., Stuart T., Wang Y. 2014. Matthew: Effect or Fable? Management Science, 60.

Ce texte a été initialement publié en 2017 dans La Science à Contrepied, aux éditions Belin, livre collectif signé par une quarantaine de vulgarisateurs.

 

À votre insu peut-être, vous mobilisez votre cerveau à cet instant précis, en lisant ces lignes. C’est un fait connu : dans la tête de tous les humains où l’on a regardé, on a trouvé un cerveau. Et si l’on retire le cerveau de la boîte crânienne, son propriétaire meurt… Le consensus est plutôt général. Mais ce que nous savons sur le cerveau, nous ne l’avons pas toujours su.

 

Ce qu’on pense savoir

Le plus ancien document faisant référence au cerveau est un papyrus égyptien datant de 1600 avant notre ère[1]. Il s’agit d’un texte quasi-scientifique qui s’intéresse aux conséquences de traumatismes violents et notamment de coups reçus à la tête (l’auteur, un chirurgien, était probablement confronté à des blessures de guerre). On y trouve entre autres les plus anciennes descriptions du liquide céphalo-rachidien ou de la surface du cortex cérébral. De façon notable, il n’y a pas de précédents : la méconnaissance sur cette partie du corps et sur son rôle semble générale à l’époque.

Pour Aristote, penseur du ive siècle avant notre ère, le cerveau n’est guère qu’un radiateur : sa grande taille chez l’humain l’aiderait à garder son sang-froid, et l’assurerait donc d’être plus raisonnable que les autres bêtes. Longtemps, comme Aristote, de nombreux savants ont positionné le siège de la pensée et des émotions dans le cœur, même si Hippocrate et certains autres suspectaient déjà qu’il en allait autrement. Pendant des siècles, les dissections du corps humain étant peu pratiquées pour des raisons morales et/ou religieuses, la connaissance n’a pas beaucoup progressé… Au deuxième siècle de notre ère, Galien montre que c’est bien dans le crâne que se forment les pensées ; mais il faut attendre le xixe siècle pour connaître la nature électrique des signaux qui parcourent le cerveau, et ce n’est qu’à l’aube du xxe siècle que seront découverts les neurones.

Aujourd’hui, il nous semble évident que le cerveau est le lieu où s’élaborent nos pensées, nos émotions et notre représentation du monde et de nous-mêmes. Notre organe cérébral est extraordinairement complexe ; on le considère même comme la structure la plus complexe connue à ce jour dans l’Univers. Bien sûr nous en tirons orgueil, car il nous donne le sentiment d’occuper une place à part dans la nature. Et nous oublions allégrement nos autres qualités : il est d’usage de dire que nos sens ne sont pas particulièrement développés par rapport à ceux des autres animaux, de rappeler que nous n’avons pas de pelage, pas de griffes, et seulement des crocs piteux ; nous serions des créatures inermes et chétives. En réalité nous sommes de gros animaux, plus massifs et plus forts que la plupart de ce qui rampe, vole, nage, trottine ou reste en place. L’Homo sapiens est un redoutable coureur de fond qui sait épuiser sa proie, et notre vue n’est franchement pas mauvaise (pour les moins myopes ou astigmates d’entre nous). Mais notre « gros » cerveau reste le signe distinctif auquel nous sommes le plus attachés ; c’est un peu notre superpouvoir à nous. Notre impressionnant quotient d’encéphalisation[2] fait notre fierté. Et s’il est si facile d’en faire la marque de ce qui nous distingue de tous les autres êtres vivants, c’est que nous ignorons collectivement et individuellement beaucoup de choses sur la manière dont cet organe fonctionne, sur l’histoire de son évolution, et sur comment il produit cette chose inexplicable : la conscience.

La conscience est-elle une fin en soi ? Est-elle le produit accidentel de l’élaboration par les processus de la sélection naturelle d’un système nerveux efficace ? Est-elle un avantage sélectif ou au contraire un fardeau que notre lignée a su porter grâce à d’autres qualités ? Nul n’a de véritable réponse pour le moment, et la présence dans notre boîte crânienne de cet organe épatant suscite des croyances et des légendes qu’il vaut la peine de remettre en perspective.

Parmi les idées fausses que l’on a pu se faire, on entend encore aujourd’hui que nous n’utiliserions que 20 ou même 10 % de notre cerveau. En fait, vous l’utilisez à 100 % mais pas 100 % du temps. Les imageries cérébrales le montrent clairement, et on s’en doutait pour la simple raison qu’il eut été logique que la sélection naturelle aboutisse à la disparition des parties inutiles d’un organe qui consomme 20 % de l’énergie que nous tirons de notre alimentation, une alimentation pas toujours facile à se procurer avant l’invention de la pâte à tartiner aromatisée à la noisette.

Les méconnaissances passées doivent nous inciter à l’humilité. Dans mille ans, on jugera sans doute bien limitée la connaissance actuelle de cet organe, et bien téméraires certaines spéculations que nous faisons sur son fonctionnement. Une chose est sûre : le cerveau n’existe pas pour penser. « C’est absurde ! », me rétorquerez-vous. Il est évident pour tout le monde que c’est avec le cerveau que nous pensons. Alors oui, bien sûr, nous pensons avec notre cerveau, et nos facultés de raisonnement ont joué un rôle fondamental dans l’histoire de la lignée humaine. Il n’en demeure pas moins un petit problème dans la phrase « le cerveau existe pour que nous pensions » : c’est le mot pour. Ça n’a peut-être l’air de rien, mais ce petit mot qui nous vient si facilement trahit notre difficulté à tirer les bons enseignements de la théorie de l’évolution. Si le cerveau était fait pour penser, alors tout ce qui possède un cerveau penserait. Un petit survol de l’évolution de cet organe nous montrera qu’il n’en est rien…

 

 

Petit historique de l’évolution du cerveau[3]

Si le cerveau fonctionne, c’est parce que les cellules qui le composent sont capables de réagir à leur environnement de manière coordonnée en réponse à des signaux chimiques ou électriques. Une capacité qui ne date pas d’hier : on a montré que des organismes unicellulaires marins très frustes, les Choanoflagellés, communiquent entre eux grâce à des composés identiques à ceux qu’échangent nos neurones. Et ils possèdent les mêmes canaux sodiques (des structures membranaires permettant le passage d’ions sodium) que nos neurones mettent à profit pour la transmission d’un signal électrique. Ces organismes ressemblent probablement aux créatures qui, il y a 850 millions d’années, marquèrent l’émergence de tout le règne animal.

Par la suite, chez les métazoaires (c’est-à-dire les animaux constitués de plus d’une cellule), certaines cellules se sont spécialisées dans la transmission d’informations, permettant ainsi une meilleure réactivité de l’organisme à son environnement. Chez les éponges de mer, qui ne possèdent aucun système nerveux, on trouve pourtant des structures qui ressemblent aux synapses[4].

Il y a quasiment 600 millions d’années, à l’époque où nos ancêtres semblables à des vers acquéraient une symétrie bilatérale, un système nerveux central a commencé à se mettre en place avec des rassemblements de neurones : des ganglions. Le ganglion le plus sophistiqué s’est développé près de la bouche et des yeux. Parmi les vertébrés, on trouve aujourd’hui un cerveau des plus rudimentaires chez les amphioxiformes, où il se compose d’une structure dédiée au contrôle de la nage, et une autre dédiée à la vision. Cette lignée d’animaux s’en sort parfaitement bien depuis plusieurs centaines de millions d’années, sans s’encombrer de plus de matière grise. On pense même que la lignée des Enteropneusta (des vers marins) a perdu son cerveau au fil des générations, preuve que cet organe n’apporte pas que des bénéfices : les coûts (notamment énergétiques) sont susceptibles de remettre en question l’avantage de le maintenir.

Le mouvement serait la clef du mystère

Pour le neurobiologiste Daniel Wolpert, tous ces éléments indiquent que si les animaux ont acquis un cerveau, cela a tout à voir avec le mouvement. Comment se déplacer, comment agir sur l’environnement, comment contrôler ses mouvements de sorte à produire un comportement viable ? Tels étaient sans doute les défis auxquels la branche du vivant menant aux animaux a répondu en produisant, petit à petit, sous la contrainte de la sélection naturelle, le cerveau.

Ce point de vue est étayé par l’étrange particularité des ascidies, qui sont des Chordés marins à la morphologie primitive (c’est-à-dire proche des formes fossiles de nos ancêtres communs avec elles). Leur cycle de vie comporte un stade larvaire dit « libre » et un stade adulte où l’animal reste fixé sur un support. Durant le stade larvaire, l’ascidie doit être capable de nager et de trouver un support où se fixer. Elle se métamorphose ensuite pour passer au stade adulte, pendant lequel elle ne se déplacera plus jamais. N’ayant plus besoin de générer le moindre mouvement, l’ascidie digère alors son propre système nerveux !

Si l’on poursuit notre examen de l’évolution des caractères dans la partie de l’arbre du vivant où nous nous trouvons, on constate que les vertébrés ont acquis une morphologie de poisson, et que leur cerveau a vu se développer des structures toujours présentes chez nous comme le tectum optique, qui dirige notre attention vers des objets d’intérêt dans notre champ visuel, ou encore l’amygdale, un ensemble de structures, au cœur du système limbique (la zone la plus fortement impliquée dans nos émotions), qui sont impliqués dans l’évaluation de la valeur émotionnelle des stimuli. Nos réactions instinctives de plaisir mais surtout de peur viennent de cette région.

Sur l’arbre du vivant, les organismes qui prennent une forme d’amphibien continuent d’être favorisés quand ils possèdent des cerveaux plus grands et plus complexes. Quand arrive le tour des mammifères, il y a 250 millions d’années, on observe une tendance accentuée de la croissance de la taille du cerveau proportionnellement à la taille du corps. Dans les crânes fossilisés de ces mammifères anciens, on constate que les zones qui se sont développées en premier sont liées au sens de l’odorat et au toucher. Plus tard se développent les couches externes des hémisphères cérébraux chez les animaux qui nous sont apparentés. Ce néocortex se met en place en étroite relation avec le système limbique. Après la disparition des dinosaures, il y a 65 millions d’années, de nouvelles niches écologiques s’ouvrent pour les mammifères, et notamment pour les primates chez qui l’environnement sélectionne une bonne vue et une grande agilité, des caractères étroitement liées aux capacités de traitement du cerveau.

Nous examinons à présent la branche des primates, et le plus gros du voyage est déjà derrière nous. Chez ces animaux au comportement complexe, les interactions entre les individus et la vie sociale sont devenues cruciales. Parmi les différentes espèces de primates, on relève une corrélation entre le nombre de relations que les individus entretiennent entre eux et la taille du cerveau, en particulier le néocortex frontal. Déjà, le cerveau est capable d’abstraction et d’inférences à partir de la très grande quantité d’informations qu’il traite. Cependant, il doit encore se dérouler un événement important pour que la branche des hominidés (la nôtre au sein du groupe des primates) continue à se doter d’un cerveau de plus en plus volumineux, alors que les branches voisines conduisant aux autres grands singes ne présentent pas cette tendance. Les hominidés ont quitté la forêt, ont marché sur deux jambes… mais le cerveau de nos ancêtres s’est démarqué de celui de nos cousins primates il y a seulement 2,5 millions d’années, et par un mécanisme non encore élucidé. Ce n’était sans doute pas « pour » faire des maths ou se poser des questions existentielles.

Une explication possible à cette poussée de croissance du cerveau est liée aux muscles de la mastication. Le régime alimentaire de nos ancêtres s’est modifié, les besoins en mastication se sont réduits et les muscles dédiés sont devenus moins proéminents. Ce phénomène a probablement réduit une contrainte physique sur le crâne, qui a alors pu se développer et offrir plus de place au cerveau[5]. À partir de là, les choses se sont emballées grâce à des boucles de rétroaction positive : un cerveau plus gros élabore de meilleures stratégies en vue d’obtenir des ressources, et ces ressources supplémentaires sont alors capables d’alimenter… un cerveau encore plus gros. La cuisson des aliments suite à la domestication du feu a pu jouer un rôle similaire. En conséquence, la survie des individus avec les plus gros cerveaux, et celle de leur descendance, étaient favorisées.

En parallèle éclot la culture : avec le langage, les outils, l’apprentissage, etc., elle apporte de nouveaux avantages dans la lutte pour la survie. Une fois le langage acquis, on peut s’attendre à une forte pression de sélection pour la fixation des caractères biologiques qui améliorent son usage. À cela s’ajoute la sélection sexuelle, apte à produire des caractères extravagants comme la queue du paon ; elle a bien pu jouer un rôle de premier plan dans l’apparition des gros cerveaux humains (des recherches sont encore en cours pour clarifier ce rôle). Et puis enfin, il y a 200 000 ans nous voici, nous, Homo sapiens, embarqués dans ce mouvement dont nous sommes une des extrémités momentanées, comme l’ont été en leur temps toutes les générations qui nous ont précédés.

L’histoire du cerveau humain, rapidement survolée dans ces quelques lignes, ne doit surtout pas nous faire croire qu’il existerait dans la nature une force directrice vers un cerveau de plus en plus grand. Si cela semble être le cas parmi certaines familles de vertébrés, l’évolution vers un cerveau de plus en plus gros est loin d’être la règle dans le reste du vivant. Et le reste du vivant est beaucoup plus vaste que la branche des Vertébrés. D’ailleurs, on constate une légère diminution de la taille du cerveau de notre espèce depuis les débuts d’Homo sapiens. N’oublions pas non plus que les plus gros cerveaux de notre famille se nichaient dans la tête des Néandertaliens, disparus voici trente ou quarante mille ans…

Si le cerveau existe sans doute initialement pour faire bouger un corps, comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’est-ce qui explique que les écosystèmes soient dominés par tant d’espèces possédant un cerveau développé ? Quel est le véritable rôle d’un très gros cerveau comme le nôtre ?

 

 

Sécréter du futur ?

Les organismes autour de nous sont le résultat d’une histoire évolutionnaire complexe. Ils ont hérité leurs caractères des générations précédentes. Parmi l’immense diversité générée par le jeu des mutations et des brassages génétiques, la compétition entre espèces et entre individus a éliminé, lentement et par itérations, toutes les variantes peu aptes à la survie et à la reproduction. Après plus de trois milliards d’années d’évolution, les organismes actuels se trouvent dotés des caractères qui assurent les meilleures chances de survie… pourvu que l’environnement continue à suivre les règles qui présidaient au cours des générations passées. À cet égard, le cerveau loge à la même enseigne que le pancréas ou le gros orteil : il existe chez nous parce qu’il a participé à la survie et/ou à la reproduction de nos ancêtres. Tous nos organes sont par définition des organes de survie. Tout ce paragraphe tient de la lapalissade ; c’est évidemment la base de ce que dit la théorie de l’évolution, mais voyons où cela nous mène.

Nous avons vu que le cerveau a vraisemblablement pour origine le besoin de contrôler les mouvements de l’organisme, puisque ce qui ne bouge pas n’a pas de cerveau. Mais pourquoi passe-t-on d’un cerveau à un très gros cerveau ? Comment le gros cerveau participe-t-il à la survie ? Il semble que la réponse à cette deuxième question soit en fait intimement liée à la première. Un gros cerveau offre une meilleure anticipation de ce qui se passe autour de l’animal. Et l’anticipation est ce qui permet d’adopter un comportement, d’engager un mouvement compatible avec la survie. On peut voir le gros cerveau comme une glande qui « sécrète » une représentation du futur, représentation à partir de laquelle l’animal adapte son comportement.

Qu’est-ce qui permet de considérer que le cerveau « sécrète du futur » ? Eh bien, regardons comment son action s’inscrit dans le temps. Le cerveau centralise les informations collectées par les organes récepteurs : ceux de la vue, de l’odorat, de l’équilibre, de la douleur, etc. Le temps que le signal soit reçu, transmis, intégré et traduit en une représentation de l’environnement, des centaines de millisecondes s’écoulent. Le cerveau conscient n’a accès qu’à une image du monde légèrement périmée. Nous percevons donc le passé ! Quand nous prenons la décision de bouger notre corps, il se produit quelque chose de similaire : la commande est produite quelque part dans le système nerveux central, elle est transmise via les fibres nerveuses jusqu’aux organes qui effectuent le mouvement, et cela prend encore des centaines et des centaines de millisecondes. L’action décidée ne se produit donc pas instantanément, mais dans un futur proche.

Comme nous l’avons dit, les animaux qui ont les meilleures chances de rester en vie et de se reproduire, et donc de transmettre leurs caractères aux générations suivantes, sont ceux qui sont capables d’agir conformément à ce que le monde autour d’eux propose de défis, d’opportunités et de dangers. Toutes choses égales par ailleurs, le cerveau qui sera capable, à partir des données périmées dont il dispose, de se doter d’une représentation fidèle de ce que sera le monde au bout du laps de temps qu’il faudra au corps pour réagir aux données recueillies… ce cerveau-là apportera au corps qui l’abrite, qui le nourrit, et aux gènes qui codent sa fabrication, de meilleures chances de survie et de reproduction. Le rôle principal du gros cerveau semble donc d’assurer une forme de contemporanéité entre le corps et son environnement, en dépit d’un décalage irréductible.

Dans son livre Le gène égoïste, inspiré des travaux de George C. Williams, Richard Dawkins estime que les organismes sont des « machines à survivre », produites par des gènes pour lesquels ils représentent de simples véhicules assurant leur dissémination. Le cerveau assume les fonctions qui ont gardé nos ancêtres en vie assez longtemps pour se reproduire efficacement, et il a donc des caractères compatibles avec la survie. Mais si la survie est LE critère autour duquel est centrée l’édification du cerveau, alors la conformité de nos représentations avec le monde réel n’est plus nécessaire, car d’autres facteurs peuvent avoir un rôle plus important encore pour une espèce sociale comme la nôtre. L’environnement le plus crucial pour la survie des humains, c’est son entourage formé par les autres humains, avant même la nature sauvage qui les entoure. Il faut donc que le cerveau soit adapté à cette dimension prééminente de notre environnement. Or, dans ce contexte, la rationalité (au sens d’un mode de raisonnement structuré qui élabore des pensées sur le mode hypothético-déductif) n’est pas forcément le meilleur atout ; et c’est bien pour ça que les maths, la logique et les sciences représentent des activités coûteuses et a priori peu attrayantes. Si elles sont si complexes pour nous, c’est parce que nos ancêtres n’étaient pas obligés d’y exceller. L’évolution ne les a pas prioritairement dotés de ces facultés-là. Nous appréhendons le monde avec une grande finesse ; nos mouvements, nos réactions aux trajectoires des objets impliquent une puissance de calcul importante. Mais ces calculs ont lieu dans les coulisses de notre cerveau, et nous n’avons accès qu’aux résultats de ces opérations. Par conséquent, quand ces calculs sont faux, nous ne savons pas isoler l’erreur ou l’information manquante pour rectifier le tir : c’est pourquoi nos raisonnements sont souvent biaisés.

Dans les grandes lignes, nos aptitudes cognitives et intellectuelles sont le résultat de la sélection pour des cerveaux capables de sécréter du futur — en particulier dans le cadre des interactions sociales — et le résultat des paramètres qui ont présidé au choix des partenaires sexuels de nos très nombreux ancêtres.

Mais il n’y avait pas vraiment d’obligation à ce que la capacité à élaborer une pensée rationnelle et méthodique s’impose chez l’humain. Nul doute que cette aptitude apporte de grands avantages en rendant plus efficace et plus durable l’exploitation des ressources dont dépend une lignée ; et on peut s’attendre à ce que ce caractère bien particulier, quand il apparaît, soit aussitôt favorisé sur le plan de la sélection naturelle. Mais avoir un gros cerveau, ça se paie énergétiquement. Cher. Un gros cerveau n’est pas forcément un équipement souhaitable pour un animal. La preuve en est que les gros cerveaux sont rares ; l’humain est peut-être le seul être de toute l’histoire de la vie sur Terre à en posséder un qui soit aussi complexe. Et on peut se demander pourquoi…

 

Faites-en bon usage malgré tout !

En conclusion, vous pensez avec un organe qui est le fruit imprévu d’une longue histoire. Au cours de celle-ci, les avantages successifs apportés par le cerveau ont fait émerger les ingrédients de la conscience, préalable à l’exercice du raisonnement et de la pensée réflexive. Que l’émergence de la conscience soit une étape logique et inévitable de la vie, ou qu’elle soit au contraire un accident statistiquement des plus improbables, l’existence même de cette matière pensante nous donnera encore longtemps matière à penser…

Parce que le cerveau n’est pas fait pour penser, penser est un exercice complexe et truffé de pièges. Et pour bien penser, nous avons besoin de pallier nos erreurs intuitives, inhérentes à un organe qui répond surtout aux besoins de la survie dans la savane. Pour contrer nos approximations, nos multiples biais de raisonnement et les raccourcis cognitifs que sont par exemple les préjugés, nous avons besoin de passer nos idées au crible de la démarche scientifique. Celle-ci est notre meilleure option pour aboutir à une pensée raffinée – et pour nous débarrasser enfin des scories d’irrationalité laissées par l’histoire mouvementée d’un organe qui est le premier à enquêter sur les raisons de sa propre existence.

 

Article similaire

 


[1] Le document est connu sous le nom de Papyrus Edwin Smith. Ce n’est évidemment pas le nom de son auteur égyptien, qui est inconnu, mais celui du collectionneur qui en fit l’acquisition en 1862.

[2] Le coefficient d’encéphalisation (QE) mesure le rapport entre la taille du cerveau d’une espèce par rapport à la taille de son corps, et sa taille prédite par une loi allométrique (c’est-à-dire qui établit des relations de taille entre les parties du corps) fondée sur les mêmes mesures chez les espèces voisines (Famille, Classe, etc…). Par exemple, le QE est de 7,44 chez l’humain, de 2,80 chez le Bonobo et de 2,09 chez le Macaque Rhésus (source Wikipédia).

[3] Cette section est en partie inspirée par l’article « A brief history of the brain » de David Robson, publié dans New Scientist en 2011 : https://www.newscientist.com/article/mg21128311.800-a-brief-history-of-the-brain/.

[4] Les synapses sont les zones de contact spécialisées où deux neurones échangent des signaux chimiques.

[5] Stedman et al. 2004. “Myosin gene mutation correlates with anatomical changes in the human lineage”. Nature. 428: 415. Voir aussi : David Robson, « A brief history of the brain », New Scientist, 21/09/2011. Consultable sur : https://www.newscientist.com/article/mg21128311.800-a-brief-history-of-the-brain/

 « Il existe des forces qui dévoient notre sens critique, qui gondolent notre objectivité, qui écaillent le beau vernis de notre cognition quand il est question des principes darwiniens. Ces forces ne sont pas à chercher dans une quelconque cabale, elles n’appartiennent à aucune coterie ni société secrète, elles sont dans notre tête, implantées là pour la simple raison que des milliers de générations en ont tiré avantage pour survivre. Ces fossiles de l’histoire de notre psyché, ce sont les biais cognitifs. Ils sont nos ennemis les plus redoutables dans la compréhension de la nature, mais ils représentent aussi la trace la plus intime, la plus troublante, des mécanismes de l’évolution de notre lignée. »

Tel est le pitch du livre d’Acermendax qui parait au Seuil le 8 février.

L’écriture de l’ouvrage s’est étalée sur 3 ans et elle aura été le ferment des futurs scripts de La Tronche en Biais. La nature et l’origine des biais cognitifs, ainsi que leur rôle d’obstacle dans la compréhension des théories scientifiques étant au centre du livre comme du travail de la chaîne.

 

« Il n’existe pas, il ne peut pas avoir existé un individu qui serait le premier être humain, car il n’y a aucun critère objectif qui permette de déterminer comment on pourrait le distinguer de ses parents ou de ses enfants, tout comme il semble aujourd’hui impossible de citer un caractère qui à lui seul séparerait l’humain de l’animal. »

On passe en revue les principaux empêchements à la compréhension et à l’adhésion des principes darwiniens : essentialisme, biais téléologique, illusion d’agent et dissonance cognitive. La science va à l’encontre de nos intuitions, c’est particulièrement vrai de la théorie de l’évolution, et c’est pourquoi cette théorie est particulièrement maudite. Seconde malédiction : malgré les discours plaidant pour une compatibilité entre darwinisme et religion, les principes darwiniens contredisent les présupposés des croyances religieuses assez clairement pour que les croyants peu disposés à adopter du recul et une lecture symbolique des dogmes n’y puissent pas adhérer.

 

Le livre est illustré par quelques dessins de Loki Jackal, réalisateur des épisodes canon de La Tronche en Biais.

La théorie de la reine rouge (Loki Jackal)

« La théorie de l’évolution a le pouvoir de dissoudre un certain nombre de concepts dont le rôle est de prémunir les croyants contre les angoisses existentielles. Il est compréhensible que la confirmation de cette théorie par les sciences et sa diffusion dans les médias puisse être perçue comme une violence. »

 

L’ironie de l’évolution tient à ce que les raisons habituelles du rejet dont elle fait l’objet sont explicables… par des mécanismes évolutionnaires. La raison humaine est peut-être avant tout un attribut social, adaptée à l’exquise complexité des interactions entre humains, mais désarmée face aux concepts scientifiques, et empesée d’une propension à des erreurs qui versent toujours dans le même sens : les pentes de l’esprit humain, responsables des croyances collectives les mieux partagées, y compris conspirationnistes.

Chimères et chaînons manquants selon les créationnistes (Loki Jackal)

La résistance face à la théorie de l’évolution, motivée par des raisons philosophico-religieuses, ne peut que difficilement être circonscrite avec de simples faits. Ce constat, un peu triste, ne signifie pas qu’il faille renoncer à la faire comprendre, mais qu’il faut peut-être s’attacher à répondre aux attentes que comblent, faute de mieux, des explications concurrentes. Il faut notamment, sans doute, prêter oreille à ce que nous disent les critiques, mêmes invalides qui sont émises à l’encontre de la théorie de l’évolution.

Nous avons besoin d’une culture du débat d’idées

Nos décisions de citoyens, nos choix personnels, nos engagements, nos actes dépendent de ce que nous savons, de ce que nous croyons savoir, de ce que nous désirons, et cela est le résultat de nos interactions avec les produits cognitifs qui nous entourent.

Trop souvent enfermés dans des bulles, à l’abri derrière des filtres, nous nous épargnons l’effort de penser sur nos pensées. Rien n’est plus facile que d’oublier pour quelle raison nous tenons telle ou telle certitude, et, ce faisant, d’oublier comment en douter.

Nous avons besoin de défier régulièrement nos convictions, de tester nos représentations de nous-mêmes et des autres. Cela passe par l’échange, par le questionnement et l’argumentation. Mais c’est parfois déplaisant, et cela peut même devenir totalement insupportable.

Confrontés à la mauvaise foi, à l’injure, aux abus de langage, aux insinuations, aux caricatures, nous perdons patience, cataloguons les contradicteurs à l’aide d’étiquettes péjoratives, jugeons les idées alternatives à l’aune de ce que nous inspirent les plus volubiles séides de telle ou telle faction radicale qui ne représente souvent qu’elle-même… Et nous en revenons à nos présomptions premières, faussement rassurés sur la validité de notre position.

La qualité des débats nous permet rarement d’examiner scrupuleusement nos idées.

Nous savons bien qu’il est inutile d’insulter notre interlocuteur, que le point Godwin est un aveu de faiblesse, que la vulgarité n’est pas un argument, et que toute attaque personnelle ne peut pas aider l’autre à se mettre d’accord avec nous. Et pourtant… nous manquons de politesse.

 

La politesse est inculquée aux enfants dès le plus jeune âge :

— Insulter, cracher, crier sur les gens, ça ne se fait pas.

— On ne montre pas du doigt !

— Tiens-toi bien !

Ceux qui n’ont pas intégré ces règles sont en mauvaise posture pour obtenir ce qu’ils désirent autrement que par la force, ce qui ne dure jamais très longtemps dans une société en bonne santé.

Je propose, de même, que nous nous apprenions mutuellement une politesse rhétorique.

— Argumenter une pente savonneuse, ça ne se fait pas !

— On ne fait pas d’homme de paille !

— Ne commets pas de généralisation abusive !

 

Les enfants finissent vite par comprendre que la politesse leur ouvre des portes, qu’ils ont grâce à elle accès à des échanges fructueux avec les autres. De même, la politesse rhétorique est un sésame pour l’esprit critique, pour le dialogue et pour la remise en question des croyances.

Et si nous abordions la question des sophismes et des mauvaises argumentations sous l’angle de la politesse et de la civilité ?

Nous sommes heurtés par les grossièretés et évitons de les employer dans la plupart des contextes sociaux. De même, apprenons que, par exemple, les fausses corrélations et les procès d’intention sont très vulgaires et donnent de nous une image dégradée, ce qui nous aidera à les éliminer de notre langage.

Bien sûr, cette exigence envers nous-même nous forcera à ne jamais disqualifier une idée au simple motif qu’elle est défendue avec de mauvais arguments 2, mais elle pourrait enrayer la viralité de ces mauvais arguments et nous permettre d’être toujours en présence des meilleurs arguments à l’appui des différents points de vue entre lesquels nous sommes amenés à faire un choix.

La politesse, c’est aussi un message de respect que l’on adresse aux autres, la reconnaissance de leur droit à défendre un avis différent, et de la légitimité dans laquelle nous nous trouvons d’attendre d’eux la même disposition, et donc des preuves.

Entre les hommes il n’existe que deux relations : la logique ou la guerre. Demandez toujours des preuves, la preuve est la politesse élémentaire qu’on se doit. (Paul Valéry)

En tout cas, ça vaut la peine d’essayer.


Article apparenté

Article inspiré de mon intervention sur la chaîne Le Psylab lors de la soirée Hannibal, il y a un an.

La question que m’inspire le cas de Hannibal Lecter est celle-ci : pourquoi y a-t-il des psychopathes ?

 

Dans le langage courant, le psychopathe est un malade. Il est anormal, inadapté à la vie en société. Personne n’a envie d’être un psychopathe. Il faudrait sans doute être fou pour vouloir être un psychopathe.

Si de nombreux désordres psychologiques ont une origine environnementale ou des causes développementales, la psychopathie est un peu particulière, car il semble qu’elle ait une composante génétique assez marquée 3. On observe que les psychopathes sont en très grande majorité de sexe masculin. Ils souffrent d’une condition congénitale qui les ampute de certaines capacités qui, à nous autres, semblent élémentaires, comme l’empathie ou la culpabilité. Ils semblent notamment avoir une faible capacité à percevoir les signes associés à la peur et à la détresse.

Bien sûr, cela ne fait pas de la psychopathie une condition uniquement commandée par les gènes, loin de là, mais cela pose la question de la perpétuation des traits génétiques associés avec des comportements dont on peut dire sans trop se mouiller qu’ils ne sont pas corrélés avec une très forte adaptation de l’individu dans son environnement social.

Pourquoi le terrain génétique associé à une condition terriblement handicapante n’a-t-il pas totalement disparu ? Eh bien, sans doute parce qu’il doit apporter son lot d’avantages malgré tout. Et donc le psychopathe ne serait pas juste un monstre maladapté, mais une variante de l’être humain au contraire très ajusté à son environnement.

Être un psychopathe : avantages vs inconvénients.

Le psychopathe a quelques libertés que nous nous refusons (de bon gré). Il peut trahir, tricher, exploiter autrui sans état d’âme, et jouit des avantages afférents. Néanmoins il souffre aussi d‘inconvénients : il ne peut compter sur personne et risque d’avoir une mauvaise réputation. Quand on est un être humain, la mauvaise réputation est un danger considérable pour la survie et la reproduction. La réputation c’est tout ce que vous possédez, c’est la valeur que les gens vous accordent.

Par conséquent, pour que les avantages contrebalancent les terribles risques encourus, il faut rassembler un certain nombre de paramètres contextuels.

  • Il faut développer des talents de manipulateur pour que les gens ne voient pas qu’ils sont exploités. Cela requière une bonne intelligence.
  • Il est préférable d’avoir un penchant pour la domination afin de se hisser dans une position de pouvoir qui permet de ne dépendre d’aucune amitié véritable.

Ce deuxième élément explique peut-être pourquoi les psychopathes sont bien plus souvent des hommes que des femmes. Dans nos sociétés, ce critère de domination est bien plus difficile à remplir si vous êtes une femme ; vos gènes de psychopathe ne se transmettront bien que si vous êtes un homme. S’ils se retrouvent dans un corps de femme par les caprices hasardeux de la reproduction sexuée, ils ont tout intérêt à ne PAS induire de comportement antisocial.

Mais il y a un troisième facteur, et c’est le plus important.

  • Pour être un psychopathe heureux il faut vivre au milieu de nombreux, très nombreux non-psychopathes. D’un point de vue évolutionnaire, la psychopathie peut représenter une « stratégie » efficace mais sous le couperet d’une forte fréquence-dépendante. Il faut avoir autour de soi assez de gens pour ne pas manquer de cibles potentielles, conserver un relatif anonymat (qui protège votre réputation) et se trouver dans une société que des abus peu nombreux n’ont pas rendue complètement méfiante.

Les psychopathes sont donc condamnés à rester une infime minorité sous peine de perdre les avantages qui permettraient à leurs gènes d’envahir la population. Notez bien que ce sont là des explications putatives ; il s’agit de spéculations sur le type de sélection que notre société peut réaliser sur un matériel génétique très complexe.

 

Une stratégie évolutionnairement stable ?

On appelle « stratégies évolutionnairement stables » des solutions que la sélection naturelle retient au fil des générations (sans impliquer l’existence d’aucun réel « stratège »). Il peut s’agir de caractères physiologiques ou comportementaux. Les traits de la psychologie humaine répondent eux aussi à des impératifs de ce genre.

Ainsi, par exemple, la sélection darwinienne aura tendance à favoriser les comportements népotiques. Celui qui accorde des bénéfices à ses proches parents aux dépens des autres permet à ses gènes du népotisme4 de se diffuser dans la population. La personne népotique aura peu d’empathie pour les individus qui ne lui sont pas apparentés, et contribuera donc à la diffusion de ce caractère, un caractère qui participe très probablement à façonner des individus psychopathes. Les lignées népotiques peuvent donc plus facilement produire des psychopathes qui, eux, vont exploiter à leurs avantage propre tout le monde y compris leurs proches.

D’ailleurs, la psychopathie est sans doute le résultat de plusieurs facteurs. Pour être un psychopathe et transmettre ses gènes efficacement (donc sans être identifié comme un monstre) il faut cumuler ces facteurs : être à un bout du spectre du manque d’empathie, au bout du spectre de la domination, et être plutôt plus intelligent que la moyenne pour être capable de manipuler son entourage.

 

Ce que les psychopathes nous disent de l’humain

En fait, il est frappant de constater que les psychopathes ont des lacunes dans les qualités qui constituent justement les plus extraordinaires points forts de notre espèce. Homo sapiens a mauvaise presse, et on déplorera volontiers que les humains soient moins rationnels qu’on le souhaiterait, que leur jugements soient approximatifs, et qu’ils s’aveuglassent à la délicieuse illusion de n’être pas des animaux… Et on peut s’agacer des incivilités, des impolitesses et de la violence que l’on croise trop souvent.

Mais le fait est que les villes les plus violentes sur Terre ont des taux d’agressions entre humains beaucoup moins élevés que dans le monde animal, y compris chez nos plus proches cousins (les bonobos exceptés). Quand on compare les comportements humains avec la manière dont nous imaginons les comportements d’autrui, on constate que ces tristes créatures humaines sont beaucoup moins égoïstes, âpres au gain et plus intéressés par l’honnête et la justice qu’on ne le croit.

Et c’est la bonne nouvelle que nous donnent les psychopathes. Notre espèce est exceptionnelle. Nous sommes beaucoup plus altruistes que les autres animaux. Nous aidons systématiquement les autres, même quand ils ne nous sont pas apparentés, c’est loin d’être la règle dans la nature. Nous avons un sens de la justice beaucoup plus large, nous avons le sens du mérite. Nous avons un sens de l’équité spectaculaire et donc nous réagissons très mal à l’injustice. En fait, nous sommes des hypersensibles de l’injustice, c’est pour ça que nous avons l’impression de vivre au milieu de gens méchants et égoïstes. Et c’est pour ça que les psychopathes un peu habiles peuvent tirer leur épingle du jeu. Les PDG et les personnes en position de pouvoir ont souvent des résultats élevés dans les tests de personnalité psychopathique.

Il est donc bien possible que nous soyons une espèce de primates particulièrement gentils, attentifs aux autres, mais manipulés par une minorité d’enfoirés près à tout pour dominer le monde. De là à voir des complots partout, il faudrait croire que les psychopathes puissent se faire assez confiance les uns aux autres pour organiser une réelle oppression des gentils singes que nous sommes. Et c’est peu probable.

Quand on voit les décisions des personnages politiques et leur manière de gérer des crises, on se rend compte que même si la moitié d’entre eux étaient des psychopathes, ils restent des singes beaucoup moins intelligents qu’ils se plaisent à l’imaginer.

Le ‘bon’ psychopathe est celui qui se hisse incognito en position de pouvoir

 

 

 

Quelques références sur le sujet :