On identifie sans mal certaines idéologies pour ce qu’elles sont : des combinaisons de valeurs, d’idéaux et des stratégies déployées pour les défendre.

Revenons aux textes

Les Saintes Écritures ne sont pas mystérieuses ni équivoques dans le compte-rendu qu’elles livrent de la Création de notre Univers.

Pendant un certain nombre de siècles, les récits de l’ancien testament, et en particulier celui de la Genèse, ont été pris pour ce qu’ils étaient : l’histoire des débuts du monde, le récit de la création de l’Univers et de l’Homme. En tant que tentative assez primitive de répondre à des questionnements fondamentaux, afin de comprendre le monde, ces récits mythiques remplissaient un rôle aujourd’hui dévolu à la science. Le but des Écritures était d’expliquer le monde, il aspire à raconter l’Histoire, et il le fait avec moult détails. Évidemment, il n’était pas question d’allégorie, de symbolique, mais de la véritable histoire telle qu’elle s’est déroulée.

Le monde y était créé en 6 jours de 24 heures. Et la Terre est donc âgée, tout au plus de 10.000 ans.

C’est le point de vue des Créationnistes « Terre Jeune » (CTJ) qui vilipendent la libéralité des interprétations de leurs confrères Créationnistes « Terre Vieilles » qui se rendent coupables de désirer un peu trop fort un accommodement des textes avec les faits et les connaissances produites par la science de ces derniers siècles.

création

Les Écritures sont explicites sur la chronologie des origines du monde.

 

 Des créationnistes « cohérents ».

Les CTJ font remarquer que Dieu aurait pu créer l’univers en trois millisecondes. Sa toute puissance n’a pas de limite et rien ne l’oblige à passer par d’assommants milliards d’années. Il est donc inutile de se demander ce que Dieu aurait pu faire, mais bien ce qu’il a fait en réalité, et pour cela il faut se fier à ce qu’il a dit.

Genèse 1 est d’une clarté limpide : Dieu réalise sa création en six jours.

Cela est répété dans Exode 20:8-11 «Car en six jours l’Eternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour: c’est pourquoi l’Eternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié.» (Bible Louis Second)

D’ailleurs, il suffit de regarder l’ordre dans lequel il a travaillé pour voir que ce n’est pas compatible avec un univers datant d’il y a 14 milliards d’années.

— La Terre est faite le jour 1. Le Soleil et la lune (et les autres étoiles) : jour 4. Et le mot utilisé (Hebreu asah) veut bien dire fabriqué, et pas dévoilé ou autre interprétation. Il est écrit que le Soleil, les Galaxies et tout le reste est créé après la Terre.

— Le troisième jour sont créés tous les végétaux, des mousses aux fougères, des algues aux séquoias, et avant que le moindre animal ne voit le jour. Il n’y est pas question d’évolution, aucune histoire commune avec des pollinisateurs et aucun soleil pour la photosynthèse ! Mais cela ne dérange pas les CTJ car le soleil était créé dès le lendemain… alors que si les jours durent des millions d’années, ça ne marche pas; L’interprétation CTJ est ici plus… logique.

créationisme

C’est pourtant simple, c’est écrit, là !

Bien sûr, le mot Jour écrit dans l’Ancien Testament en hébreu peut avoir différents sens dans la langue d’alors et surtout dans celle d’aujourd’hui, mais l’interprétation des Jour-Eons ne fonctionne pas, en vertu de la grande précision du texte de la genèse : « il y eut un matin, il y eut un soir : ce fut le premier jour » (et idem pour les 5 suivants) c’est explicitement un jour de 24 heures, et il a toujours été enseigné en ce sens avant que l’on se mette à vouloir faire coïncider le texte avec les dires de la science moderne.

Le Nouveau testament n’est pas en reste sur le sujet. Jésus a cité la Genèse au sujet de l’origine du mariage : «  Mais au commencement de la création, Dieu fit l’homme et la femme » (Marc 10:6). Comment parler de commencement si 5 périodes de plusieurs millions d’années se sont écoulées avant ? Cette citation montre bien que Jésus croit à une Terre Jeune.

 Quelles conséquences ?

Bien sûr, cette lecture littérale implique que Dinosaures et Hommes ont pu se croiser, que le déluge était mondial, que l’Arche de Noé a existé, et que l’Humanité entière descend de ses fils.

créationniste

La lecture littérale de la Bible n’a pas que des mauvais côtés quand on a 8 ans [Image credits: Saddled Triceratops at the Creation Museum in Kentucky originally posted to Flickr by John Scalzi and released under a CC-BY-2.0 license. Obtained from WikiCommons.]

Cette démonstration peut être retrouvée sur différents sites (http://eternallifeseries.com/creation-and-the-age-of-the-earth/)

Cela ne les empêche pas d’avoir tort.

D’un point de vue théologie pur, la discussion semble futile. La majorité des croyants éduqués admettent les données des sciences modernes à la lumière desquelles ils relisent les Écritures avec toujours la distance interprétative adéquate pour transformer en symbole les détails qui ne peuvent plus être accepté dans leur sens littéral. La messe est dite, car la position des accommodationnistes est à la fois irréfutable et socialement souhaitée.

Du point de vue des faits, bien sûr l’astronomie, la géologie, la paléontologie, la chimie, la biologie et le corpus général des sciences de la nature et de l’humain sont formelles : l’âge de l’univers et de la terre se compte en milliards d’années et l’être humain est le produit du long processus de l’évolution au travers du crible des mutations génétiques et de la sélection naturelle. Mieux qu’un fait, c’est l’unique conclusion valide de toutes les théories qui sont à la fois le produit et la source de nos connaissances. Bref, c’est comme ça.

Conclusion

Si les CTJ ont raison sur l’esprit initial des Écritures, comme il semble bien que cela doive être le cas, alors les conclusions qu’ils en tirent sont à considérer avec un minimum de respect. Or, que disent-ils ?

« Les faits sont simples, on ne peut pas logiquement croire à la fois dans l’évolution et dans la Bible. Un choix doit être fait entre les deux. On peut choisir la théorie de l’évolution construite par l’Homme (…) ou bien choisir de croire la Parole du Seigneur qui jamais ne se flétrit mais « demeure éternellement » (1 Pierre 1:24-25).  »

L’incompatibilité entre les Écriture et les apports de la science est pleinement dénoncée par les croyants les plus attachés au respect du sens initial des textes. Dont acte.

Pour aller plus loin.

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 Lettre ouverte à Dany Caligula, de la chaine Youtube « Doxa ».

Dany, je regarde de temps en temps votre chaine qui « lutte contre les préjugés et les lieux communs ». J’ai été attristé hier par votre vidéo sur l’athéisme et les religions. Elle verse systématiquement dans la facilité, la démagogie et une sorte d’accommodationnisme mou. Je vais devoir être « cynique », puisque c’est ainsi que vous étiquetez un peu hâtivement ceux qui émettraient des critiques sur votre point de vue. Pour des raisons de brièveté, je vais me retenir de revenir sur chacune des phrases qui mériteraient un commentaire pour me concentrer sur les principaux problèmes. Cela va déjà nous occuper un petit moment. D’emblée, je tiens tout de même à vous remercier d’avoir abordé ce sujet. C’est l’occasion de revenir sur quelques-unes des nombreuses erreurs que l’on entend au sujet de l’athéisme et des religions.

 De fausses équivalences.

Vous commencez pas dénoncer « les mêmes travers » chez les athées et chez les croyants sans préciser exactement ce qui serait symétrique chez ces deux groupes. Ce manque de précision sera récurrent tout au long de la vidéo. Selon vous, les églises ont commis des persécutions « à l’encontre des messages de leur Bible », ce qui revient à croire que la Bible propose un message d’amour et de paix. Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de Yahvé, massacreur d’enfants, terrifiant dieu jaloux qui a tous les attributs du pervers narcissique : exigeant l’amour de ses créatures, il se repait de la culpabilité qu’il inspire chez sa proie. Je suppose que vous n’aviez pas conscience que le nouveau testament est explicitement en accord avec l’ancienne alliance, c’est-à-dire le message de l’ancien testament. Si la persécution est encore aujourd’hui menée au nom des religions et jamais au nom de l’athéisme, j’y vois un fait significatif, et je m’étonne qu’il vous ait échappé.

Votre désir de paix est réconfortant, et votre intention est bonne, mais la démonstration floue qui vous sert à renvoyer dos à dos athées et religieux extrémistes est au mieux futile, au pire irresponsable. Quand vous dites que « L’athéisme est avant tout une construction spirituelle très concrète basée sur des principes tangibles », vous oubliez que l’athéisme est en fait une vision du monde qui s’affranchit d’un concept divin jugé inutile. Point. C’est bien là le seul point commun à tous les athées. Rien ne les oblige à devenir nihilistes, communistes ou humanistes. Dire le contraire serait donner dans l’essentialisme, dans le préjugé, bien loin des exigences de la philosophie et des objectifs de votre chaîne.

Dieu est courroux

Dieu est courroux

La nature de la morale

Quand vous dites : « Les grands idéaux semblent faire l’unanimité, comme la tolérance, le respect ou la compassion », c’est un peu court, mais on aimerait y croire. On aimerait vraiment y croire, sauf qu’il faudrait pour cela nier la manière dont Yahvé traite ceux qui ne sont pas son « peuple élu », nier que le Coran est jalonné d’appels au meurtre des incroyants, et nier que Jésus soit érigé comme seule et unique voie d’accès au paradis (ce qui signifie l’enfer pour les autres). Je suis étonné que vous n’ayez pas évoqué cela, j’imagine que c’était difficilement compatible avec votre désir d’imposer le statut quo et de rassurer tout le monde pour nous convaincre que personne n’a tort.

En évoquant la valeur morale des dix commandements vous avez fait une très mauvaise pioche. La première table, dans son intégralité, est destinée à glorifier un dieu qui se qualifie lui-même de « jaloux », s’empresse d’interdire toute mention à d’autres divinité, ne souffre pas que des idoles soient adorées, que son nom soit profané, que le jour du seigneur ne soit pas respecté sous peine de malédiction sur treize générations. Le culte du chef absolu et la politique de la terreur semblent plus important que les autres lois qui viennent ensuite et qui sont bien moins développées : honore ton père et ta mère, ne tue pas, ne commets pas d’adultère, ne vole pas, ne produis pas de faux témoignage, et enfin ne convoite rien qui appartienne (la maison, les servantes, les bœufs, ou la femme) à ton prochain. [Cf notre article : les 10 commandements et la morale]

les 10 commandements

Le décalogue a une valeur morale très… discutable.

La règle d’or, ou principe de réciprocité, que l’on peut énoncer par comporte-toi avec autrui comme tu voudrais qu’il se comportât avec toi n’est pas d’origine religieuse. On la retrouve dans toutes les cultures, et elle dérive de la théorie de l’esprit conjuguée aux contraintes du mode de vie social des humains et des pré-humains. La preuve en est que l’altruisme n’est pas le propre de l’Homme, on le retrouve chez plusieurs animaux (primates, mammifères, oiseaux, etc). Nous vivons malheureusement dans une société qui imagine que cette règle a été inventée par la religion. Le rôle positif de la religion dans la diffusion de cette idée est fort possible, mais la religion est aussi et surtout un cadre qui rend justifiables des comportements autrement impensables comme la torture, l’éradication d’une culture, l’intimidation et la mutilation des enfants.

La règle d'or

La règle d’or

Le poids de l’Histoire.

Si, comme vous le dites, l’Espagne du 13ème et du 14ème siècles est un symbole de mélange culturel qu’on admire depuis des siècles (en oubliant un peu que ce mélange se fait à coup de conquêtes militaires, mais soit.), il demeure curieux de vous entendre professer que les merveilles architecturales seraient dues aux « élans religieux ». On est d’abord en droit d’accorder le mérite aux artisans, aux savants, aux bâtisseurs (laïques) de ces édifices remarquables. La beauté des églises, des temples, des mosquées et synagogues n’est pas le résultat de la religion, mais bien plutôt de la concentration des pouvoirs, en particulier du pouvoir financier, dans l’escarcelle des clergés ou des seigneurs désireux de manifester leur crainte de Dieu.

On pourrait vous demander des preuves du lien de causalité entre la religiosité et la capacité à être un artiste. Je vous souffle la réponse que vous connaissez sans doute : l’éducation a très, très longtemps reposé exclusivement dans les mains des autorités religieuses. Une éducation athée, ça n’existait pas. Ce qui est en cause, c’est donc la main-mise de la religion sur la culture au cours des siècles. Notons que des chefs-d’œuvre architecturaux continuent d’être produits, et qu’il ne s’agit plus, la plupart du temps, d’édifices religieux. En revanche, comme vous l’avez rapidement évoqué, les « élans religieux » sont directement responsables de comportements violents comme les croisades ou l’inquisition, et jusqu’aux massacres qui se passent en ce moment même en Afrique, de musulmans par des chrétiens ou de chrétiens par des musulmans.

respect athéisme

Le nécessaire respect des religions

 Le dilemme du « bon » croyant.

Quand vous attribuez à des « brebis galeuses » les messages violents « sous couvert religieux », vous posez la question de la définition du bon croyant versus le mauvais croyant, mais sans aborder la moindre réflexion dessus. Comment douter que les hommes qui se font exploser au nom de Dieu soient moins impliqués, moins imprégnés de religion que les croyants modérés qui adhèrent aux valeurs morales contemporaines inspirées par le siècle (anticlérical) des Lumières ? Les croyants les plus intégristes sont les plus fidèles aux textes, les plus attachés au sens original, les plus assujettis au code moral périmé qui avait cours lors de leur rédaction ; les qualifier de brebis galeuses est un non-sens, hormis dans le paradigme accommodationniste qui veut la paix à tous prix, serait-ce au sacrifice de l’esprit critique.

En parlant d’esprit critique, je m’étonne que vous soyez témoin d’une « incompréhension mutelle », quand on sait qu’une étude a montré que les athées avaient une meilleure connaissance de la Bible que les croyants (juste avant les juifs et les mormons).

Un athéisme extrême ?

Je suis d’accord avec vous quand vous plaidez qu’il « ne faut pas s’en prendre aux personnes mais aux convictions », ce qui est exactement l’angle critique des athées ‘militants’ tels que Dawkins, Dennett, Hitchens ou encore Harris. Aucun d’entre eux n’a jamais sous-entendu que ses opposants souffriraient une demi-éternité en enfer, ni commis la moindre incitation à la haine ou à la violence. J’imagine donc que cette critique était adressée aux apologètes et aux autorités spirituelles (songeons à l’appel au meurtre de Salman Rushdie), auquel cas c’est par erreur que vous aurez dénoncé un « prosélytisme athée rempli de certitude ». Pour vous situer le niveau de certitude, le coup d’éclat prosélyte de l’association de Richard Dawkins a été de diffuser en 2009 sur les bus londoniens le message :

« Dieu n’existe probablement pas. Maintenant, arrêtez de vous angoisser et profitez de la vie. »

Dawkins fundation london bus

L’athéisme radical de la fondation Dawkins

 On est a priori désireux d’acquiescer quand vous nous invitez à « ne pas se priver des différentes sagesses que proposent les religions », mais comme vous n’en citez pas une seule, je me demande si vous vouliez parler de la croyance en la sorcellerie, dans le créationnisme, dans l’existence d’animaux parlants ou bien des conseils du Lévitique sur le meilleur moyen de vendre votre fille en esclavage.

Tout compte fait, je ne sais pas si ces exemples vous auraient permis d’ajouter ensuite : « si nous les suivions mieux, les principaux préceptes des spiritualités amèneraient sûrement à une véritable éthique et à une tolérance profonde », ce qui me paraît concorder avec le discours ambiant de la religion privée de son pouvoir de coercition d’autrefois, mais fort peu avec le contenu des textes que vous auriez peut-être dû consulter afin d’en citer des passages à l’appui de votre thèse.

New atheism

La transgression du « nouvel athéisme ».

Athéisme & religion… c’est forcément compliqué.

 Le sujet est bien sûr épineux, et vous vous exposiez à la critique en connaissance de cause. J’espère que vous voudrez bien croire que ma démarche s’inscrit dans la critique nécessaire aux échanges d’idées.

Je vous encourage dans votre entreprise de vulgariser des notions pour susciter le débat, mais il serait préférable de ne pas commettre autant d’approximations, de jugements et d’omissions, même pour la bonne cause. Le message de paix sociale et de dialogue entre les individus que vous défendez n’a rien à craindre d’une réelle analyse critique qui mette chacun devant ses responsabilités. Décréter que tout le monde est a égalité parce que c’est plus gentil est un piètre service à rendre à ceux qui en ce moment même se questionnent sur leur rapport avec une religion dans laquelle ils ont été élevés dès leur petite enfance sans avoir jamais reçu la liberté de remettre en cause les dogmes qui leur sont inculqués.

Conclusion

S’il est souhaitable que s’installe un dialogue intelligent entre les individus et qu’on peut regretter toutes les formes de violences verbales, y compris celles de certains athées envers les croyants, il ne faut pas tomber dans le piège relativiste de considérer que les torts seraient partagés au niveau des ‘doctrines’ religieuses et athées. Les individus athées peuvent être discourtois, intolérants et stupides, mais pas plus que les croyants de toute obédience, le problème n’est donc pas l’individu mais les idées qui le motivent. Or, aucune autorité supérieure n’adoube l’odieux blasphémateur qui crache dans le vin de messe, aucune idéologie dominicale n’est là pour justifier une Croisade agnostique ou un Djihad antithéiste, nul livre de chevet d’un Dawkins ou d’un Hitchens ne prône l’ostracisme des croyants ou le communautarisme. Tout simplement parce que l’athéisme n’est pas une religion.

« Si l’athéisme est une religion, alors chauve est une couleur de cheveux. » (Anonyme)

 Humour athée

Pour aller plus plus

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La cause est bonne.

 

Les antiracistes ont raison d’être vigilants, de dénoncer les propos haineux, de combattre les injustices, les mauvais traitements, la violence physique ou morale que l’on inflige trop souvent à ceux qui font « l’erreur » de naître différents de nous.

Le racisme est une idéologie selon laquelle les qualités d’une personne sont déterminées par son appartenance à un groupe ethnique qui lui transmet des comportements, des idées, des aspirations jugées inférieures ou dangereuses. Cette manière de juger les autres est profondément encrée dans la manière dont notre cerveau fonctionne, héritage d’un long passé tribal où celui qui est différent représentait une réelle menace pour la survie du groupe.

La psychologie sociale nous apprend que nous avons en nous une puissante tendance à catégoriser les choses et les êtres et à leur attribuer des qualités intrinsèques, et qui nous porte à surestimer les facteurs internes (liés à la personne elle-même) par rapport aux facteurs externes (liés aux circonstances) quand il s’agit d’expliquer le comportement de quelqu’un. Cette tendance a un nom, c’est l’erreur fondamentale d’attribution[1].

 

pointe du doigt

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La mesure du danger ?

Les Anti-OGM ont raison de vouloir empêcher une certaine technocratie de prendre le contrôle de nos assiettes. Exiger une nourriture de bonne qualité et refuser les réponses toutes faites de la puissante industrie agro-alimentaire est légitime. La logique du profit est régulièrement la cause de dégâts considérables sur la santé publique. Si besoin en est, la maladie de la vache folle nous donne le parfait exemple des conséquences de l’exploitation intensive des ressources agricoles[1]. Cette crise sanitaire et le choc qu’elle a engendré ont conduit au principe de précaution sur lequel s’appuient désormais presque toutes les critiques adressées aux industries agro-alimentaires et pharmaceutiques. Il nous faudra revenir un de ces jours sur le sacro-saint principe qui paralyse facilement l’esprit critique.

Les porteurs d’alerte ont raison d’entretenir la vigilance, d’exiger que les produits vendus fassent l’objet de contrôles drastiques tout au long de la chaine de production et de douter de la bonne foi des industriels qui affirment qu’il est de leur propre intérêt de vendre des produits entièrement sains pour conserver leur clientèle à long terme, car même si l’argument est valide il est malheureusement en décalage avec la réalité des décisions souvent prises à courte-vue.

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La rhétorique de la peur a-t-elle la moindre vertu ?

Cela ne les empêche pas d’avoir tort.

Les « Faucheurs Volontaires », mouvement essentiellement français, détruisent des parcelles agricoles pour protester contre les OGM et empêcher leur culture. Une grande partie d’entre eux militent aussi pour l’arrêt des recherches (oui, l’arrêt de la science), raison pour laquelle des expériences en champ ont été détruites à plusieurs reprises, conduisant à l’arrêt des programmes qui avaient pour but de répondre à la question des bénéfices que les OGM peuvent apporter (on parle surtout ici de bénéfice sociétal, sanitaire, etc.) mais aussi de leurs dangers potentiels. Quelle autorité supérieure les Faucheurs pensent-ils détenir pour agir sur la seule foi de leur conviction au mépris du travail des chercheurs ?

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Les Anti-OGM ont assez d’arguments dans leur escarcelle pour peser sur les débats, pour imposer une surveillance accrue des procédés agro-alimentaires, pour obtenir la transparence et la visibilité des résultats de la  recherche. Pourquoi n’a-t-on pas des résultats à la hauteur des attentes ? Peut-être parce que, trop souvent, ils décident que leurs bonnes intentions à elles seules les autorisent à mener une véritable croisade avec tout ce que cela implique d’irrationnel, de passionnel et de violence. Une partie d’entre eux considèrent que parce qu’ils sont du côté des gentils, tout ce qui va dans leur sens est nécessairement bien. Si toute publication scientifique qui va dans leur sens est parole d’évangile, voici qui permet au chercheur Gilles Séralini de survendre dans les journaux un article censé démontrer la nocivité des OGM[2]. L’article en question, si l’on prend le temps de le lire, est d’ailleurs parfaitement édifiant. Les tests réalisés sur des souris nourries de manière conventionnelle et d’autres nourries avec un maïs transgénique montrent que l’OGM particulier utilisé dans cette étude, le NK603, n’a statistiquement pas d’effet sur leur santé. Voilà. La seule conclusion que l’on peut tirer de cette étude est que le maïs transgénique utilisé n’a aucun effet visible sur la santé des souris. Las, pendant plusieurs mois on nous a fait croire que le papier montrait 1) la nocivité des OGM (et pas seulement de NK603),  2) sous-entendu pour l’Homme. Un tel décalage entre les résultats d’une étude et l’exploitation idéologique que l’on en fait jette un terrible discrédit sur la cause des anti-OGM. Cette démarche ne fait qu’entretenir la confusion chez le public qui va d’une inquiétude à une autre sur tous les sujets de société. La rhétorique de la peur que l’on brandit ici est l’ennemie de la réflexion et du jugement raisonné.

Il faut se débarrasser de toute idéologie quant aux dangers potentiels des OGM. Ne rien nier, mais ne rien inventer non plus. Il n’existe à l’heure actuelle aucun modèle scientifique qui permette de supposer que les OGM représentent une menace pour la santé des consommateurs. Or, en l’absence de travaux (empêchés par les anti-OGM), nous n’aurons pas de réponse éclairée à ces questions. Les anti-OGM devraient très rapidement se demander quel type d’argument pourrait leur prouver qu’ils ont tort. S’ils n’en trouvent pas, qu’ils s’inquiètent sans plus attendre car ils sont déjà du mauvais côté de la frontière floue qui sépare le gouffre irrationnel du petit îlot défendu par la raison.

Conclusion

Si veiller à ce que la nourriture soit saine, goûteuse, respectable de l’environnement, des droits de l’homme et de la dignité de ceux qui la produisent est un objectif non seulement noble, mais crucial, l’entreprise mérite d’être conduite avec de vrais arguments et de rassembler autour d’elle les citoyens grâce à la démonstration rationnelle de ses positions, sans prendre en otage les chercheurs ou les journalistes, sans employer la force en lieu et place du raisonnement.

 

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—-

[1]Pour rappel, des animaux destinés à la consommation humaine ont été nourris avec des « farines animales » produites à partir de carcasses et de cadavres. Des épizooties se sont déclarées, notamment au Royaume Uni, dans les années 1990. La maladie en cause, l’encéphalopathie spongiforme bovine, est causée par un prion. Le prion est une protéine, et n’a donc pas de métabolisme, raison pour laquelle il résiste à la congélation, à la dessiccation et à la plupart des conditions de transformations des produits (y compris la pasteurisation). Le temps de comprendre cela… le mal était fait.

[2] Pour se rendre compte du crédit scientifique qu’il est possible d’accorder à ce monsieur, une visite de la page wikipédia qui lui est consacrée peut s’avérer utile : http://fr.wikipedia.org/wiki/Gilles-%C3%89ric_S%C3%A9ralini . On y parle notamment de résultats invalidés par les experts du domaine, de « Prix du  Scientifique international de l’année 2011 » factice et de conflits d’intérêt…

Cet autre lien s’intéresse aux problèmes du journalisme scientifique dans « l’affaire Séralini » http://www.acrimed.org/article4063.html.

Contre la violence des extrémismes

 

Les croyants modérés représentent la majorité des croyants vivant dans les pays dit « développés » et probablement une grande proportion des croyants en général. On les dit modérés car ils veulent vivre leur foi, transmettre leurs traditions tout en s’intégrant à la société actuelle, sans heurt.

Ils considèrent avec raison que le terrorisme ne peut pas être le mode d’expression d’une sagesse venue du ciel. Ils refusent l’oppression des plus faibles au nom d’un dogme, et en particulier la mutilation des jeunes filles, qui subissent l’infibulation afin de les priver de tout plaisir sexuel (parce que naturellement, cela ne peut que conduire ces petites perverses à une débauche abominable). Les croyants modérés et leurs représentants sont pour la liberté de conscience, aucun ne réclame plus aujourd’hui la pénalisation du blasphème, ce qui n’allait pas de soi il y a moins d’une génération.

Les régimes intégristes de part le monde, les théocraties, n’ont bien sûr pas les mêmes scrupules. On emprisonne et on torture les blogueurs qui émettent la moindre critique sur tel ou tel prophète. Et comme c’est surtout dans le monde musulman que ça se passe, l’abus va jusqu’au crime avec la décapitation des femmes insoumises ou infidèles à un mari qu’elles n’ont pas choisi, ou bien la pendaison des homosexuels. La théocratie n’est pas un régime souhaité par les croyants modérés, car ils en connaissent les dangers.

Anti concordisme

La Terre est plate d’après plusieurs autorités religieuses saoudiennes.

Dans ce que l’on appelle les « démocraties », le gouvernement se porte en général garant des libertés individuelles, mais certains groupes religieux au sein de ces pays tuent au nom de la protection de la vie : des médecins pratiquant l’interruption volontaire de grossesse ont ainsi été assassinés. L’Église de Westboro, obsédée par l’homosexualité, se réjouit bruyamment des attentats du 11 septembre ou de la mort de chaque soldat américain tué en mission, ou encore des ravages des ouragans, en affirmant que c’est la punition de Dieu pour la trop grande bienveillance du pays envers les gay. En Israël, autre démocratie, les juifs intégristes prônent l’implantation de nouvelles colonies juives dans les territoires occupés, dans le but de chasser les non-juifs de la terre promise et au mépris des efforts de paix déployés depuis plus d’un demi-siècle. Dans le camp d’en face, la violence armée fait souvent office d’argument dans le conflit religieux qui empoisonne la vie des habitants. Les autorités modérées condamnent ces pratiques qu’elles jugent contraires à leurs valeurs.

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L’église baptiste de Westoboro aime la liberté d’expression. Et la Lettre de la Bible.

Cela ne les empêche pas d’avoir tort.

Les croyants modérés considèrent que les actions citées plus haut sont indignes, injustes et répréhensibles. Précisons, à toutes fins utiles qu’on sera d’accord avec eux. Mais on les entend aussi dire que si les extrémistes ont tort, c’est parce qu’ils ne sont pas de vrais bons croyants, parce qu’ils ne respectent pas l’esprit du livre saint (Bible, Coran, Torah, etc.). Cette rhétorique est répétée en chambre d’écho dans la presse. Et on en arrive à entendre sur toutes les ondes, sur toutes les lèvres que le croyant modéré est le seul, le vrai, l’unique. Le modéré aurait la bonne lecture des textes, la lecture qui passe par le filtre de la philosophie du siècle des lumières, ce qui est quand même bien pratique. Ainsi estampillé, le « bon croyant » est l’alibi qui permet à tous les hommes politiques de répéter que l’islam, le catholicisme, le judaïsme sont des religions de paix. Au nom de l’objectif louable et ardu de pacifier les relations entre les Hommes, une idée fausse est érigée au rang de vérité indiscutable.

« No true scotsman… »[1]

C’est une idée fausse, car fondée sur ce que, dans le registre des sophismes, on appelle une définition flottante (ou ad hoc), une définition que l’on peut modifier à volonté de façon à n’avoir jamais tort. Dans de nombreuses sectes, chez les témoins de Jéhovah par exemple, celui qui quitte le groupe, dès lors qu’il est apostat, est déclaré n’avoir jamais été un vrai croyant. De la même manière, quiconque commet un crime peut aussitôt être considéré comme n’ayant jamais vraiment appartenu à la communauté. Rien n’est plus facile dès lors que d’étiqueter « bon croyant » celui qui se comporte comme un vrai croyant doit se comporter, sans plus de précision. Cet étiquetage flou est une manœuvre extraordinairement puissante qui réussit l’exploit de dissocier les religions des grands crimes qu’elles commettent ou que l’on commet en appliquant leurs textes (ce qui revient un peu à la même chose).

Qu’est-ce qu’un bon croyant ?

Parce que, quand même, est-ce qu’on ne devrait pas se demander en quoi les religieux intégristes, les fanatiques, les terroristes qui se font exploser au nom de leur dieu, ne sont pas de « bons croyants » ? Si on leur demandait leur avis, ils s’estimeraient probablement plus dignes que d’autres de ce libellé. Comment leur donner tort ? Ils sont souvent très pratiquants, respectent les interdits alimentaires, et observent les différentes obligations. Et quand bien même leur conduite de tous les jours serait discutable, ils citent volontiers les écritures à l’appui de leurs idées ou de leurs actes. En réalité, les atrocités commises au nom de la religion sont très aisément justifiables par un nombre considérable de passages des Écritures.

Les talibans qui ont presque assassiné la jeune Malala parce qu’elle désirait s’instruire, aller à l’école, n’ont pas besoin de chercher longtemps les passages qui interdisent l’instruction aux femmes et leur imposent l’obéissance aux hommes en toutes circonstances, directives divines que l’on retrouve dans le Coran, mais aussi dans l’Ancien Testament… Ce sont des hommes violents, des criminels, on peut les mépriser mais il n’y a aucune raison objective de les qualifier de « mauvais croyants ».

 L’argument du « mauvais croyant qui n’a pas compris son texte sacré » utilisé par les autorités religieuses modérées pour se désolidariser des intégristes criminels est un moyen démagogique d’acheter la paix, il est une insulte à la raison et contribue à empêcher les croyants, en particulier les plus jeunes, de questionner les fondements de la foi qui leur a été inculquée. Cette démission face à l’irrationnel était flagrante en 2006 lors de l’affaire des caricatures de Mahomet  ; le Président Chirac a certes condamné les violences (évidemment), mais a surtout insisté sur le respect que l’on devait aux croyances de chacun en dénonçant « les provocations manifestes susceptibles d’attiser dangereusement les passions»[2][4]. On flirte allègrement avec l’idée de blasphème dont on a dit tout à l’heure qu’elle était pourtant étrangère aux valeurs actuelles des croyants modérés… sauf quand les extrémistes font assez peur à tout le monde pour qu’on leur cède sur le terrain de la liberté.

free speech

La ligne de démarcation de la liberté d’expression.

 

Conclusion

Si dénoncer les fanatiques religieux et leurs crimes incessants est une bonne cause, considérer qu’ils sont de mauvais croyants qui n’ont pas compris leur religion est un mauvais moyen de le faire. Cela revient à valider la stratégie des autorités religieuses qui veulent se dédouaner de toute responsabilité vis-à-vis de leurs éléments violents.

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[1] http://en.wikipedia.org/wiki/No_true_Scotsman

[2] http://www.lefigaro.fr/international/2006/02/09/01003-20060209ARTFIG90129-caricatures_chirac_denonce_les_provocations_.php

[3] http://abcnews.go.com/US/kidnapper-ariel-castro-calm-cooperative-prison-home/story?id=19864481

Contre les réactionnaires

Les défenseurs des études sur le genre ont raison de dénoncer la posture idéologique des réactionnaires qui nient le déterminisme de l’environnement social dans les comportements « genrés ».

 Il y a deux catégories d’êtres humains : les hommes et les femmes. C’est une vérité qui semble acquise. La génétique a magistralement confirmé cette vérité en nous annonçant que les chromosomes étaient unanimes : XX pour les femmes, XY pour les hommes. La Nature (avec une majuscule) a donc parlé.

Et pourtant il existe des humains avec la paire de chromosome XY dont l’organisme ne répond pas aux hormones androgènes : leur corps se développe comme celui d’une petite fille. Comment doit-on les considérer ? Ont-ils le droit à l’autodétermination, eux qui n’entrent pas dans les catégories prévues ?

On estime que les individus « intersexués », c’est-à-dire présentant des caractères anatomiques pas tout à fait mâles ou pas tout à fait femelles, représente 0.2 à 2% des naissances. Ce n’est pas si marginal, et cela devrait être un indice que la grande vérité dont nous parlions est plus un vœu pieux qu’une réalité conforme aux faits. L’identité sexuelle, qui n’est pas seulement affaire de chromosomes, est-elle réductible aux attributs physionomiques qui nous collent à la peau ? Les transexuels nous montrent le contraire : le corps est insuffisant pour déterminer si son propriétaire s’identifie comme un homme ou comme une femme.

études de genre

Tiens, pourquoi cette image est-elle drôle ?

 

Les études sur le genre ne se limitent pas aux questions d’identité, mais cherchent à connaître la genèse des comportements que l’on s’accorde si aisément à trouver féminins (la danse, la vaisselle, le commérage) ou masculins (la conduite sportive, le bricolage, la vulgarité). Ces études mettent en exergue que la part de ces comportements qui est due à des facteurs innés est plus faible que ce que l’on croyait dans les siècles et décennies passées. Les chercheurs démontrent de plus en plus que les comportements « genrés » répondent à des injonctions tacites, plus ou moins subtiles, souvent inconscientes, de notre environnement. Un garçon ça ne pleure pas. Une petite fille doit être coquette. Si l’on répète tant ces choses aux enfants, n’est-ce pas parce que ces comportements ont besoin de leur être inculqués afin qu’ils leur semblent ensuite « naturels » ?

gender studies

C’est un peu plus compliqué qu’une simple question de dualisme.

Cela ne les empêche pas d’avoir tort.

Défendre les études sur le genre est une bonne chose. Pour autant, on peut lire ici et là que « le genre est un fait », que « le genre n’est pas une théorie », ce qui sous-entend qu’un fait c’est mieux qu’une théorie, qu’un fait c’est solide, c’est véridique, tandis qu’une théorie, c’est vague, c’est de l’ordre de l’hypothèse, et puis si ça se trouve c’est bidon.

L’origine de ce rejet du mot « théorie » est à chercher du côté des réactionnaires qui ont brillamment réussi à imposer leur élément de langage « théorie du genre« . Sortie de nulle part, mais pas sans raison, cette étiquette vise à distiller le doute sur la validité du concept. Après tout, chacun sait que ce qui est théorique, c’est ce qui n’est pas pratique, une théorie ce n’est pas un fait, c’est une hypothèse, parfois une pure fiction… Sauf que point du tout ! Et il faut se garder de tomber dans le panneau.

La théorie en question.

J’ai bien peur qu’il soit nécessaire de se pencher sur la définition du mot « théorie ». Allons-y franco : la gravitation n’est pas un fait, c’est une théorie… Voire plusieurs théories : on a celle de Newton et celle d’Einstein, et d’autres viendront peut-être plus tard. Les faits sont nombreux : les pommes tombent, les planètes sont rondes, les astres s’attirent, mais aucun de ces faits n’explique rien sur le fonctionnement du monde. Ca, c’est le job de la théorie qui rassemble les faits, les met en perspective, offre une interprétation logique et cohérente qui permet de prédire les résultats de futures expérimentations afin d’être validée (ou réfutée). Une théorie est le parachèvement de la démarche scientifique qui vise à l’explication du monde. Autre exemple : l’évolution des espèces n’est pas un fait, c’est une théorie qui rassemble les faits et nous fait découvrir une histoire. Ce qui la rend si passionnante, c’est l’histoire qu’elle permet de raconter, et pas la collection brute de fossiles ou de séquences génétiques qui, eux, sont les faits. Là réside le problème que soulève ce billet : confondre les concepts de faits et de théorie.

théorie du genre

« Tu utilises tout le temps ce mot. Je ne pense pas qu’il signifie ce que tu crois. »

Il existe d’innombrables faits qui nous montrent tous les jours que le genre masculin et le genre féminin sont des constructions sociales qui ne doivent pas grand-chose à la nature. La nature produit des sexes, mais pour parler de genre, la culture est quand même plutôt indispensable, parce qu’il est difficile de trouver quels attributs d’une femelle alligator la rendent plus féminine que ses congénères mâles, tandis que je peine à voir en quoi une éléphante serait moins virile qu’un éléphant. Tous ces faits convergent : ils nous montrent que le genre est le résultat de codes omniprésents dans la société. Mais le genre, lui, n’est pas un fait, il est le concept émergeant qui donne de la cohérence aux faits. Si un jour les anthropologues, les sociologues, les psychologues et les biologistes expliquent comment le comportement d’un être humain se conforme à un modèle sexué en réponse aux contraintes de son environnement, nous aurons peut-être une vraie théorie du genre. Ce sera une excellente nouvelle, car cela voudra dire qu’on a pigé quelque chose sur le fonctionnement du monde. Et le genre, qui ne sera « qu’une théorie », aura pour lui la force de la démarche scientifique, la même force qui permet aux biologistes d’être fiers que l’évolution soit, elle aussi, une théorie et rien d’autre.

 Conclusion

Si défendre les études sur le genre afin que la compréhension des mécanismes qui encodent nos comportements débouche sur une lutte plus efficace contre les discriminations et les violences fondées sur les catégories « genrées » actuellement reconnues et même défendues par la société, il serait sage de le faire sans sacrifier le sens des mots comme « théorie » ou « fait » car nous en aurons besoin pour comprendre de quoi nous parlons.

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