L’intérêt supérieur de l’enfant ?
Les membres de la manif pour tous ont raison quand ils disent que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer, quand ils s’inquiètent de la marchandisation des corps et réclament le respect de la famille.
En effet la Gestation Pour Autrui (GPA) pose question : peut-on accepter qu’une femme loue son corps pour neuf mois afin d’y faire grandir un bébé, en mettant peut-être sa santé en danger dans l’opération ? Peut-on la dépouiller de tous les droits sur l’enfant qu’elle mettra au monde ? Cela pose le problème de l’encadrement technique, juridique, médical, du coût (estimé à 150.000$), et en matière d’éthique la question de la position de la mère porteuse envers l’enfant à naître. Le droit de chacun à connaître ses parents et à être élevé par eux ne peut pas être balayé de la main. Peut-on accepter qu’on « achète » un enfant ?
Dans un pays qui augmente les impôts tout en diminuant les prestations familiales, on peut légitimement questionner la position du gouvernement par rapport à la famille. Et cela seul suffirait à justifier que les « défenseurs de la Famille » descendent dans la rue pour cette Manif pour Tous. Les anti-GPA ont tellement raison que le premier Ministre naguère favorable à la GPA, quand il parlait au magazine Têtu, s’est soudain rendu compte, sans doute avec la plus grande sincérité, qu’il était contre, et l’a déclaré dans les pages du magazine La Croix deux jours avant la manif de dimanche.
Toutefois la lutte contre la GPA n’est pas le cœur de l’action de la Manif Pour Tous qui occupe les rues de Paris le 5 octobre (70.000 selon la Police, 500.000 selon les organisateurs, un écart qui se creuse entre la communication et la réalité). La MPT s’est structurée autour du refus du mariage homo, et elle se bat maintenant pour l’abrogation de la loi Taubira au nom de la protection de la famille, en tant que sanctuaire où grandit l’enfant. Ici encore, on peut réussir à voir en quoi ils peuvent avoir raison : au vu de la dégradation des résultats scolaires des jeunes français, il n’est pas idiot de fortifier la famille, de l’aider dans sa mission d’éducation des futurs citoyens. Ces préoccupations peuvent être les nôtres.
Tout cela étant dit, bien évidemment…
Cela ne les empêche pas d’avoir (tellement !) tort.
Les gens de la Manif pour Tous qui protestent contre la GPA n’arrivent pas drapés d’innocence et de bons sentiments. Sans qu’il soit question de faire un procès d’intention, on les connait, on sait dans quelle idéologie baigne leur organisation. Ce qui les rassemble d’abord est le refus du mariage homo et la défense d’UN modèle familial bien particulier, ce qu' »on appelle la cellule nucléaire : papa, maman, et deux ou trois enfants, modèle que les anthropologues ne jugent ni universel ni spécialement naturel dans l’histoire de l’humanité. Leur discours outrancier et pseudo-universaliste (c’est-à-dire l’universalisme de ceux qui prennent leur cas pour une généralité) est finement travaillé, et il devrait donc se concentrer sur les vrais bons arguments à leur disposition. Quelle surprise, dès lors, de les entendre s’horrifier à mauvais escient à tous propos.
1 — Ils sont contre « l’idéologie du genre inculquée dans les écoles ».
Sur la définition du genre et la question de l’existence d’une « théorie » du genre, le lecteur pour consulter un billet précédent [Les défenseurs des études sur le genre ont raison].
Il est très intéressant de s’arrêter sur l’aspect idéologique de cet argument, et de se demander justement à partir de quand on peut considérer de quelqu’un qu’il est aveuglé par son idéologie. Par exemple quand des dizaines d’études en psychologie et en sociologie étalées sur plus de vingt ans démontrent les unes après les autres que le « genre » est une construction sociale et culturelle plutôt qu’un attribut biologique, que les goûts des hommes et des femmes (les couleurs, les professions, les loisirs) proviennent en majorité d’un conditionnement de la société (sans jugement de valeur : ce conditionnement peut très bien être une bonne chose a priori), quand les faits s’accordent, que les experts donnent leurs conclusion et que malgré tout on reste sur ses positions en criant au complot… est-on aveuglé par son idéologie ? La réponse ne semble pas très compliquée.
2 — Ils sont contre la PMA pour les couples homos, mais la tolèrent pour les couples hétéros.
Au gré du cortège, on nous rassure pourtant : « On n’est pas homophobes mais mariageophiles », mais le mariage et les droits qui vont avec, et notamment la Procréation Médicalement Assistée, ce n’est de toute évidence pas fait pour les homosexuels, et ces derniers (ou en tout cas les associations qui veulent les représenter) sont accusées sans rire de vouloir détruire le mariage et la famille simplement parce qu’ils veulent y participer : se marier comme le autres et avoir une famille comme les autres, c’est-à-dire reproduire le modèle social (que ce soit une bonne ou une mauvaise idée). En somme le concept du mariage et des liens qui font la famille sont déclarés propriété privée des manifestant de la MPT qui se sentent plus légitimes à les définir que ceux qui veulent les élargir à des types de famille moins traditionnelle. Cette légitimité ressentie, bien sûr, n’est étayée par aucun argument. Elle est, point.
Nos doctes manifestants sont persuadés de faire le bien en protégeant LA famille, vous savez le modèle Ami Ricoré, et hurlent à la « Familiphobie » en vertu du plaisir coupable des chrétiens qui raffolent du sentiment biblique de se sentir victimes d’une oppression injuste. Qu’il me soit permis, même si ce n’est pas très politiquement correct, de pointer du doigt ce trait de caractère d’une frange de la France amoureuse des histoires de martyr où la souffrance est la monnaie du rachat des âmes.
Note : Depuis quelques années des sondages montrent que les chrétiens des USA se sentent discriminés. À titre d’information, nous vous suggérions la page Wikipédia de la discrimination contre les athées dans le monde.
Pour être tout à fait clair, une majorité des personnes qui manifestent réclament l’abrogation d’une loi (le mariage homo) qui en 12 ans d’application dans différents pays d’Europe ne semble poser aucun problème à la société, à l’économie, à la morale ou à tout ce que vous voulez. Ces personnes s’accordent à trouver que le chômage est un problème plus important, que le gouvernement devrait s’en occuper en priorité, mais on ne les trouve pas dans la rue pour des questions de pouvoir d’achat ou de chômage ; ils manifestent pour recommencer un long débat législatif quasi-impossible sur une question jugée secondaire. « Pardon de le dire » (comme dirait JF Copé), mais c’est illogique.
3 — Ils dénoncent l’exploitation du corps de la femme et la marchandisation de l’humain.
Sur le sujet précis de la GPA, c’est leur argument le plus fort, et il est recevable. Mais il a ses limites. Sans revenir sur la comparaison de Pierre Bergé, qui disait en substance : « l’ouvrier vend ses bras, pourquoi une femme ne vendrait pas son ventre ? », penchons-nous sur ce que serait la GPA : une contractualisation de procréation. Seulement, voilà, une femme qui s’engage à produire un enfant, c’est quasiment la définition du mariage au cours des siècles passés. La marchandisation du corps, c’est la tractation entre les familles, c’est la dote, c’est le contrat de mariage, c’est l’obsession de la transmission patrimoniale, le dogme de la propriété. Les arguments anti GPA sont aussi, en dernière analyse, des arguments anti-mariage.
Hypothèse : l’attachement féroce au mariage aveugle sans doute ceux qui défendent l’idée qu’ils s’en font et leur rend insupportable le genre de comparaison qui vient d’être faite.
Continuons de nous interroger. Sur la marchandisation de l’enfant, regardons-nous un peu en face. L’adoption d’un enfant en France ou à l’étranger passe par tant d’étapes et tant d’épreuves qu’il est inutile de tenter cette éreintante aventure en l’absence d’un socle financier confortable. À l’autre bout du spectre, pourrait-on dire, on connait des familles dans lesquelles la naissance d’un nouvel enfant n’est programmée que pour assurer la poursuite des versements des allocations familiales. Qu’on le veuille ou non le lien entre accès à la parentalité et argent existe déjà, il ne va pas naître soudainement d’une éventuelle légalisation de la GPA.
Dimanche, parmi les slogans brandis dans le cortège, on pouvait lire « La femme n’est pas une machine à bébés ». La sociologie des manifestants n’est pas mystérieuse : ce sont essentiellement les milieux catholiques qui trouvent là une occasion de battre le pavé. On y voit les représentants de familles parfois nombreuses dans lesquelles la tradition n’a jamais dit autre chose que : Femme, fais des enfants, occupe-t-en, reste à la maison. Le reste de la France a déjà compris que la femme n’est pas une machine à bébé et n’attend guère d’information sur le sujet de la part des MPT.
Mais alors… Pourquoi nos concitoyens qui manifestent dimanche et se veulent les dénonciateurs de l’exploitation du corps de la femme, et par conséquent les protecteurs du libre droit de chacun à disposer de son corps sont-ils les mêmes que l’on retrouve quand il s’agit de s’opposer à l’avortement et à l’euthanasie ? On a envie de dire FAIL.
4 — Ils ont un discours centré sur l’émotion.
Parmi la forêt de panneaux et de slogan au cours des différents défilés de la MPT, on peut lire « non à l’asservissement de la femme », « Je ne veux pas que ma mère s’appelle Robert », « La loi de Dieu et (sic) bonne », et sur le trottoir les explications des manifestants : « Que dira-t-on à ces enfants plus tard ? Qu’ils ont éte achetés pour quelques milliers d’euros sur internet ? », « Recourir à une mère porteuse c’est de « l’industrialisation », de « l’esclavagisme moderne » ».
Quant à leur communication par image, sur internet, elle ressemble à ça :
Tous ces propos ne font pas débat, ils sont des jugements de valeur, des accusations sur les motivations hideuses des pro-PMA et pro-GPA. Il ne s’agit pas d’argument ni de question sérieuse à partir desquelles entamer un dialogue. Plus rarement on voit apparaitre des pancartes comme « Peut-on se prévaloir d’un droit à l’enfant ? » qui posent le genre de vraies questions dont il est possible de débattre. Pourquoi la MPT en produit-elle si peu ? Pourquoi l’essentiel de son propos est-il tourné vers émotion, vers la peur, vers l’illusion de persécution ?
C’est un véritable problème, parce que l’absence de vraie question empêche le débat, et sans débat les idées se défendent par la violence. L’espace d’un paragraphe, permettons-nous de jouer le même jeu, et employons le pathos et l’émotion pour défendre la GPA.
« La GPA est une avancée fantastique, une libération pour la femme et pour la famille. Qu’y a-t-il de plus beau au monde que de donner la vie ? Comment imaginer un acte d’amour plus absolu que d’être le vecteur d’une vie qui démarre, que d’être celle par qui le miracle arrive. La GPA va enfin permettre à des couples empêchés par les accidents de la vie d’avoir un enfant à élever, à aimer, à éduquer dans le respect de notre culture qui chérit la vie, qui chérit l’effort, le dépassement de soi. La GPA et la PMA vont offrir aux enfants des familles qui les désirent, qui ont de véritables projets de vie pour eux. Il y a certainement des milliers de femme en France qui sont désireuses de faire ce geste de générosité, de prendre cet engagement étonnant que la science a rendu possible, bref, inutile d’en rajouter… »
![La GPA c'est mal](https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2014/10/Mere_porteuse_la_circulaire_peut_elle_mener_a_la_legalisation__1359621927-300x200.jpg)
C’est beau un corps de maman, il faut le protéger. (Cette phrase à une puissance dialectique totalement nulle)
Tout ce paragraphe présente les choses d’une manière qui n’est pas fausse et qui n’est guère réfutable, car les arguments sont des sentiments, des émotions, du ressenti, tout y est subjectif. Précisons que je n’ai jamais vu un pro-GPA tenir ce genre de propos. Ici, comme dans tous les débats publics, on a besoin de beaucoup, beaucoup plus d’objectivité.
5 — Ils ne savent pas comment défendre le droit de l’enfant
La protection de l’enfant est le cri de ralliement des anti-GPA, anti-PMA, anti mariage pour tous. Et ce cri est suivi de l’assertion que la famille traditionnelle est parfaite, insurpassable, sans alternative valable, sous vos applaudissements. Là encore, point d’argument, simplement une opinion, une intuition assenée comme une vérité qui s’émancipe des faits, des études scientifiques et du débat. Une vérité au nom de laquelle les manifestants veulent priver de droit les enfants nés d’une GPA à l’étranger. Oui, ces gens veulent punir l’enfant pour la manière dont il est né.
Dans le même temps, nous pouvons observer un certain nombre de chose sans qu’il soit besoin d’aller fouiner dans les foyers, de soulever les secrets d’alcôves, d’épier les familles. Dans la rue, au sein même de la manifestation publique, la MPT nous démontre que la protection de l’enfant n’est qu’un alibi à la défense d’une idéologie.
1 – « On va mettre les enfants devant »
En 2013 un certain nombre de parents armés de poussettes et de bambins sont allés au contact des CRS, sur des barrières qui délimitaient le parcours autorisé. En refusant d’obtempérer avec les forces de l’ordre, ils étaient à la recherche de l’incident, dans le désir du martyr qui justifierait leur cause. On peut juger la démarche respectable dans bien des cas de figure, celui qui consiste à utiliser l’enfant comme bouclier humain n’en fait pas partie.
2 – Tout au long du cortège, les enfants en poussette ou sur les épaules portent des T-shirt et des drapeaux, parfois des pancartes avec un message politique qui est celui de leurs parents. Pourtant aucun des enfants de 5 ou 12 ans n’avait sa carte de l’UMP ou du FN, une fois en âge, une proportion non négligeable se désolidarisera du message de la MPT ce qui promet des repas de famille agités, d’autant que 5-10% d’entre eux se révèleront homosexuels une fois adolescents/adultes (les chiffres là-dessus sont extrêmement flous et ce n’est pas grave).
Ces enfants ont été utilisés comme slogan vivant par leurs parents, et c’est bien plus grave que ce qu’on tend à dire. La définition du respect de la dignité humaine tient en une phrase toute simple : on doit toujours considérer l’individu comme une fin en soi et jamais comme un moyen. En utilisant les enfants comme moyen de communication, la MPT foule aux pieds la dignité humaine en toute bonne foi et sans jamais l’imaginer, preuve que la bonne foi et le manque d’imagination ne sont pas d’une grande aide.
3 – Enfin, qu’en est-il vraiment des conséquences des idées de la Manif pour Tous sur le bien être des enfants en général ? Pourquoi ne pas laisser la parole, rien que 1 minutes à l’association « La Ligue du Droit des Enfants » qui répond en vidéo :
Conclusion.
Le Premier Ministre Manuel Valls nous dit le 3 octobre 2014 que la GA c’est « La marchandisation de l’être humain, c’est donc inacceptable »… Mais comment croire vraiment ces mots extrêmement forts puisqu’il disait en 2011 « la GPA est une évolution incontournable, et je crois que si elle est maitrisée, elle est acceptable ». Comment ne pas voir dans la galerie des personnages politiques qui défilent dans les rangs de la MPT une récupération politicienne ?
Le droit de l’enfant, le droit à l’enfant, sont des questions très sérieuses, ce sont des problèmes de fond qui méritent un dialogue apaisé parce que les enfants et la Famille ne sont la propriété d’aucun parti politique, d’aucun lobby, qu’il soit catho ou gay.
Et pourtant on voit que toute l’énergie déployée n’aboutit qu’à de petits compromis entre les blocs politiques :
« J’ai gagné le mariage pour tous.
— Mais moi je t’ai coulé ta GPA.
— Pour la PMA on remet ça l’an prochain ? »
Dans un camp comme dans l’autre, la trahison des idées aux intérêts électoralistes est criante et elle exacerbe les tensions entre les pro et les anti qui se sentent les uns et les autres mal représentés et mal compris. Alors on a vu des milliers de gens défiler dans un camp comme dans l’autre, on a lu des dizaines de slogans à l’emporte-pièce, on a eu droit à des postures à la télévision, à des outrances, à des mots comme décadence ou civilisation, mais où était le débat réclamé ? Beaucoup de bruit pour rien.