On identifie sans mal certaines idéologies pour ce qu’elles sont : des combinaisons de valeurs, d’idéaux et des stratégies déployées pour les défendre.

Nous avons maltraité Descartes dès la première vidéo de la Tronche en Biais, et il n’est que justice de permettre à Nathanaël de rendre à René tout ce qui n’est pas à César en rappelant son rôle central, encore aujourd’hui, sur la vieille question philosophique et scientifique des relations entre le corps et l’esprit.

 

article corps - esprit fig3

Introduction : Un problème actuel aux racines classiques.

Le problème des rapports entre le corps et l’esprit est aussi vieux que la philosophie. Dans l’Antiquité Aristote, notamment avec le Traité de l’Âme, se propose ainsi d’étudier ce rapport dans une certaine mesure[1]. Cependant c’est avec Descartes que le problème de l’interaction entre le corps et l’esprit se pose sous sa forme moderne, que l’on connaît désormais sous le nom de mind-body problem, expression anglaise devenue classique dans la littérature, à savoir le problème concernant ces deux éléments. Peut-on réduire l’esprit à l’activité du cerveau, ou faut-il conserver une hétérogénéité entre ces deux éléments, dans quelle mesure les interactions sont possibles et surtout comment elles le sont ? Ce sont des questions qui donnent naissance à de multiples théories actuelles : néo-dualisme, matérialisme, fonctionnalisme, physicalisme etc, qui sont encore discutées. Il s’agira pour nous de montrer comment les différentes perspectives trouvent leur source aux origines du problèmes et sont relatives à la façon dont la question des interactions corps-esprit se pose au XVIIème siècle, qui développe déjà de multiples réponses au problème.

Si le problème se pose en terme essentiellement métaphysique avant le XIXème, pour des raisons techniques[2] (toute expérimentation ne pouvant être menée sans risquer la vie du cobaye), c’est néanmoins dans ce cadre que s’élaborent non seulement les premières réflexions mais aussi les développements théoriques postérieurs. Ce n’est pas étonnant si les chercheurs ou philosophes se positionnent encore aujourd’hui contre ou avec Descartes. Deux exemples sont importants pour ce point. Tout d’abord Gilbert Ryle qui en 1950 dans son article célèbre The concept of mind propose l’image du « fantôme dans la machine ». Contre Descartes, l’esprit y est décrit comme une illusion métaphysique. Il s’agit de pointer l’absurdité d’une entité qui existerait séparément d’un corps régit par la physique. Plus récemment Antonio R. Damasio a fait date avec son livre L’Erreur de Descartes, en 1995. Il critique largement le dualisme cartésien comme erroné au vu des recherches récentes qu’il présente dans son livre. Il n’est pas le lieu de discuter de la pertinence de ce travail[3] mais uniquement de remarquer que Descartes loin d’être une figure oubliée est véritablement le père fondateur du problème, auquel chacun se réfère sans cesse[4]. Pour comprendre cela il nous faudra donc passer par une exposition de sa pensée.

 

descartes and bitches

« T’es dans ta jalousie je suis dans mon jacuzzi. » René est le cador de la question corps-esprit.

I- La position cartésienne et ses successeurs.

C’est dans les Méditations métaphysiques que le dualisme cartésien apparaît le plus clairement. Dans la deuxième méditation Descartes, après un doute hyperbolique ou tout -sensation, science, et même vérité mathématique, est remis en doute, y compris son propre corps – découvre l’originalité du cogito. Cette originalité, dans l’expérience de pensée en quoi consiste le malin génie[5], Descartes la démontre alors même que tout est remis en doute. Une chose ne peut être remise en doute néanmoins : le fait précisément qu’il y ait un « je » qui doute. Le passage suivant l’exprime clairement :

« Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me   tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il     ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. »[6]

En somme le cogito, formulé sous la sentence « je suis, j’existe », est indubitable du fait de la pensée elle-même, y compris si je suspens la thèse de l’existence de mon corps. On peut donc distinguer clairement et distinctement[7] la réalité de la pensée indépendamment de l’existence du corps, qui n’est pas encore prouvé à ce moment des Méditations. C’est ainsi dans la sixième méditation que le dualisme sera clairement énoncé :

« Et quoique peut-être ( ou plutôt certainement comme je le dirai tantôt) j’aie un corps auquel je suis très étroitement conjoint ; néanmoins, parce que d’un côté j’ai une claire et distincte idée de moi-même, en tant que   suis seulement une chose qui pense et non étendue, et que d’un autre j’ai une idée distincte du corps, en tant qu’il est seulement une chose étendue et qui ne pense point, il est certain que ce moi, c’est-à-dire mon âme, par    laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et véritablement distincte de mon corps, et qu’elle peut être ou exister sans lui. »[8]

 

Descartes Matrix

René D : la puissance du doute hyperbolique !

Le dualisme est ainsi affirmé : deux substances, une substance pensante et une substance étendue, sont hétérogènes l’une à l’autre. Cette distinction n’est pas sans poser problème vis-à-vis de l’expérience quotidienne ou chacun sent bien que sa volonté, son esprit, influence son corps, et qu’inversement le corps influence l’esprit, bref qu’il y a une interaction entre les deux substances. Les lecteurs de Descartes ne manquent pas cela, notamment la Princesse du Palatinat, Elisabeth, qui correspond avec le philosophe. La réponse au problème est formulé ainsi par Descartes :

« Premièrement, je considère qu’il y a en nous certaines notions primitives, qui sont comme des originaux, sur le patron desquels nous formons toutes nos autres connaissances. Et il n’y a que fort peu de telles notions ; car, après les plus générales, de l’être, du nombre de la durée, etc. qui conviennent à tout ce que nous pouvons concevoir, nous n’avons, pour le corps en particulier, que la notion de l’extension, de laquelle suivent celle de la figure et du mouvement ; et pour l’âme seule, nous n’avons que celle de la pensée, en laquelle sont comprises les perceptions de l’entendement et les inclinations de la volonté ; enfin, pour l’âme et le corps ensemble, nous n’avons qu celle de leur union, de laquelle dépend celle de la force qu’a l’âme de mouvoir le corps, et le corps d’agir sur l’âme, en causant ses sentiments et ses passions. » [9]

 

Trois « notions primitives » apparaissent alors : l’âme (ou l’esprit comme on voudra), le corps, mais aussi l’union de l’âme et du corps. Ce qui relève de l’âme se conçoit par l’entendement pur, ce qu’on montrés les Méditations, cela correspond ainsi à l’expérience de pensée du cogito : nous n’avons besoin d’aucune connaissance extérieure ou aucune expérience, ni même aucune imagination pour savoir que nous  sommes une chose pensante. La pureté de l’entendement dénote ainsi ici l’absence de mélange avec des éléments empiriques. Les corps c’est-à-dire l’extension, mon corps, cette table, la voiture qui passe, peuvent se connaître par l’entendement mais mieux aidé de l’entendement accompagné d’imagination, ce qu’ont également montrés les Méditations[10]. On peut en effet connaître les corps par la physique, Descartes en est d’ailleurs un des grands artisans : mais il est plus aisé de les connaître avec l’imagination, permettant de nous représenter, au moins en esprit, ces corps. Pour ce  qui est de l’union le problème est plus ardu pour Descartes : c’est cela dit l’expérience ordinaire qui nous en enseigne le contenu. En somme l’union se vit, elle ne se pense pas. L’intelligence sépare ce que l’expérience fait ressentir comme unitaire. Remarquons cependant que cette théorie de l’union est le lieu d’un développement fondamental pour l’histoire du mind-body problem : l’union est expliquée physiologiquement par Descartes, et localement cela se passe dans le cerveau, notamment dans la glande pinéale, qui est le lieu, si l’on veut, de l’union de l’esprit et du corps. Cette orientation – bien que fausse sur la question de la glande pinéale- fait partie de celles qui perdureront après Descartes.

La théorie cartésienne de séparation des substances est également le lieu d’un autre développement important. Le corps, comme étendue, se voit soumis  aux règles de la physique  et à celles-ci uniquement. Descartes, en physicien, se propose alors d’écrire un Traité de l’homme. Au début de celui ci il développe une analogie qui aura une grande postérité : celle entre l’homme et la machine. Cette analogie, qui est à but heuristique – c’est à dire qu’elle n’énonce pas une affirmation ontologique portant sur la réalité des êtres mais vise seulement à produire des résultats empiriques- sera largement reprise. Deux grandes lectures se feront de cette analogie : d’une part certains prendront l’analogie au pieds de la lettre en considérant que l’humain est réellement une machine, d’autres l’étendront d’un point de vue anatomique, pour la spécifier. Nicolas Sténon, anatomiste de renom au XVIIème siècle, fait partie de ces derniers. Dans son Discours sur l’anatomie reprend ainsi cette analogie, en soulignant le fait qu’il s’agit d’une analogie, pour l’appliquer au cerveau. Le cerveau est certes le lieu de l’esprit mais il doit être traité en tant qu’organe avec la même attention -ni plus ni moins- que les autres organes du corps humain. Si Descartes pose un premier jalon dans la naturalisation de l’étude du corps humain (même s’il n’est pas le seul à son époque), en l’étudiant anatomiquement et physiologiquement, Sténon franchit un nouveau pas. Si ce dernier n’énonce pas que le cerveau est réellement une machine il est le premier à appliquer et spécifier l’analogie cartésienne au cerveau. Avec les développements de l’intelligence artificielle au XXème siècle cette analogie sera reprise au sérieux  -entre temps bien d’autres médiations auront eu lieu- et on indiquera que le cerveau est un organe de calcul ( to compute en anglais), semblable ainsi à une machine[11].

Il faut bien voir que tout le monde se positionne en relation avec la position cartésienne que nous avons brièvement présentée[12] :Descartes est ainsi à la racine de deux traditions contradictoires, une tradition qui va chercher à réduire le fonctionnement de l’homme au fonctionnement du corps, qu’on peut trouver grossièrement dans le physicalisme, du fait de l’analogie que l’on trouve dans le Traité de l’Homme, mais aussi une tradition dualiste, considérant que l’esprit est d’une autre nature que le fonctionnement neuronal[13].

Descartes fight club

La première règle du rapport corps esprit : les substances sont distinctes et unies à la fois dans l’expérience.

II- Les oppositions à Descartes au XVIIème.

Certes Descartes ménage la possibilité d’une union, il y a certaines choses que nous expérimentons en nous-mêmes. Cependant cette union demeure un mystère inexplicable : on ne peut la connaître clairement ni distinctement comme on l’a fait pour le corps et l’esprit, c’est à dire avec le seul entendement. Pour Descartes nous ne la comprenons pas intellectuellement mais nous la vivons avec évidence. Cette réponse ne séduira pas tous les lecteurs de Descartes. En effet en appeler à l’évidence de l’expérience, pour ces lecteurs rationalistes[14], c’est en faire appel à de l’inintelligible : on ne comprend pas mieux les interactions entre le corps et l’esprit. En somme Descartes n’explique pas du tout le comment, mais seulement le fait. Certes nous expérimentons que nous pouvons mouvoir notre corps par la volonté mais cela n’explique pas comment cela est possible ni si cela est réellement le cas. Je vois ainsi le soleil comme s’il était à deux cent mètres quand je regarde dans le ciel, mais cette expérience immédiate qui peut me paraître évidente n’est pas pour autant vraie, au contraire quelques connaissances astronomiques m’indiquent qu’il est infiniment plus lointain que cela. Le refuge cartésien dans l’expérience vécue sonne ainsi comme un aveu d’ignorance pour plusieurs de ses lecteurs. Si les substances sont distinctes et obéissent à deux causalités différentes comment penser leur interaction ? La physique cartésienne en effet stipule un principe très clair : seul un corps peut mouvoir un corps. Le problème est réel. En effet ou bien les deux substances ont un rapport de causalité et sont alors de même nature  ou bien ils sont de natures différentes et ne peuvent interagir. Ces critiques sont adressées très rapidement au XVIIème siècle on reconnaît dans l’une d’elle une voie qui sera empruntée et déployée au cours du XX ème siècle : celle du physicalisme, qui consiste à considérer que l’esprit est de même nature que le corps, et qui va parfois jusqu’à éliminer même le concept d’esprit. Nous voyons que le problème du dualisme cartésien est le terreau originel des nombreuses discussions qui s’établiront par la suite. Une deuxième objection peut être soulevée[15] : celle du solipsisme. Si je n’ai affaire dans l’expérience qu’à des corps, qui obéissent aux lois physiques, comment puis-je m’assurer que les autres individus possèdent bien un esprit et ne sont pas des automates ? Enfin la théorie cartésienne suppose une introspection pour mener au cogito, posé métaphysiquement, cette hypothèse d’une transparence à soi étant discutable.

Pour toutes ces raisons – et d’autres encore, tenant notamment au scepticisme que certains, comme Spinoza, énonce à propos de l’explication physiologique de l’union par la glande pinéale[16]– certains philosophes post-cartésiens sont amenés à refuser la position cartésienne. Nous ne pouvons présenter cela que sommairement.

A- Le parallélisme de Spinoza

Spinoza le premier refuse le dualisme cartésien, pour les raisons énoncées mais également pour plusieurs autres qu’il développe dans l’Ethique, et répond aux difficultés du dualisme par une théorie originale : ce que l’on a appelé le parallélisme[17]. Spinoza prend acte de la distinction cartésienne entre deux substances et refuse la solution de l’union, affirmant bien que les deux substances ne peuvent avoir de rapports causaux entre eux. Du coup un problème se pose : comment expliquer l’expérience la plus simple ? Si je passe ma main dans le feu suffisamment longtemps je ressentirai une douleur. Or la douleur est de l’ordre de la pensée, elle n’est pas dans le feu lui-même. Certes Spinoza n’ignore pas que le corps transmet nerveusement l’information au cerveau, mais cela n’explique pas comment on passe d’une affections purement corporelle à une modification mentale, comment, même s’il connaissait l’existence des neurones, on passe d’un état physique à un état mental – problème qui se pose encore aujourd’hui. Sa réponse refuse ainsi la causalité entre deux ordres distincts : jamais du corporel ne peut causer de la pensée[18] et jamais de la pensée ne peut causer du corporel.

Spinoza high

« Mais, Descartes t’es pas sérieux avec ta théorie, tu as fumé ou quoi ?! » Baruch Spinoza.

Pour comprendre la réponse Spinoziste il faut expliquer la formule que l’on trouve en Ethique II, proposition VII :

« L’ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l’ordre et la connexion des choses. »

 Cette formule est rien moins que gratuite, et découle complètement de l’ontologie spinoziste développée dans le premier livre. On ne peut ici que le formuler rapidement[19] : l’ensemble de ce qui est n’est qu’une substance, qui possède deux attributs que l’humain connaît : l’étendue et la pensée.  Ces deux attributs sont indépendants l’un de l’autre mais, du fait qu’ils appartiennent à la même substance, possèdent un ordre qui est le même. Les idées étant elles-mêmes des choses elles participent du même ordre que les corps. En somme si j’ai mal quand je me brûle ce n’est pas parce que mon corps cause la douleur dans mon esprit mais parce que l’ordre de mes pensées, donc ici la douleur, est dans le même ordre que mes sensations physique, du fait que j’appartiens à une substance unique, qui est la Nature, ou Dieu. Spinoza dans la démonstration de la proposition VII du livre II de l’Ethique dit ainsi :

« Par exemple, un cercle qui existe dans la Nature et l’idée du cercle -idée qui est aussi en Dieu- sont une seule    et même chose, qui s’explique par des attributs différents ; et ainsi, que nous concevions la Nature soit sous l’attribut de l’Étendue, soit sous l’attribut de la Pensée, soit sous quelque autre, nous trouverons un seul et même ordre, autrement dit une seule et même connexion de causes, c’est à dire les mêmes choses se suivant de part en part. »

Le parallélisme nous paraît assurément étrange aujourd’hui, même après l’avoir replacé dans son contexte théorique, qui est démontré more geometrico, c’est-à-dire que la méthode spinoziste dans l‘Ethique consiste à enchaîner les démonstrations à partir d’axiomes et de définitions, en suivant la méthode des géomètres. Cependant on voit que ce choix théorique est motivé par les problèmes posés par la théorie cartésienne et notamment sa théorie de l’union de l’âme et du corps. En somme chez Spinoza le problème se résout du fait que l’âme et le corps participent à deux attributs distincts qui suivent un même ordre du fait qu’ils constituent une même substance, c’est à dire l’ensemble de ce qui est, ou la Nature. Ainsi Spinoza ne reconduit le dualisme que d’un certain point de vue : les attributs sont bien distincts mais participent d’une même substance, en somme l’ordre des idées et des choses est le même parce que ce n’est qu’un seul ordre. On peut ainsi comprendre la position spinoziste comme une résolution du problème cartésien qui passe par une déréalisation de l’humain : pour comprendre les relations entre le corps et l’esprit il faut en passer par un ordre plus grand que l’ordre individuel, qui est celui de la nature en général, et la relation entre les attributs de Dieu. Le corps et l’esprit sont deux ordres différents, puisqu’un corps ne peut causer une idée et réciproquement, mais suivent, du fait de leur inscription dans une seule substance, un même ordre, et cela de façon nécessaire car démontré géométriquement par Spinoza.

Bien évidemment cette position apparaît étrange aujourd’hui, pour autant sa position découle logiquement des propositions qu’il développe au début de l’Ethique, notamment relativement à ce qu’est la substance et ce qu’est Dieu – qui n’ a rien à voir avec le Dieu des religions anthropomorphes. Dans le débat du XVIIème il est ainsi une figure centrale du problème et permet de penser un corps indépendant, notamment par exemple dans le scolie de la proposition II de la troisième partie de l‘Ethique, tendant presque vers le matérialisme.

B- L’occasionnalisme de Malebranche.

La position de Malebranche est encore différente et ne paraîtra pas moins étrange pour un lecteur contemporain, mais elle est motivée par le même souci de rationalité, la même volonté de vouloir rendre compte des phénomènes mieux que Descartes.

Contrairement à Spinoza il n’abandonne pas une position causaliste. Mais il énonce que les causes naturelles ne sont pas les véritables causes mais seulement des « causes occasionnelles ». Cette théorie est notamment développée dans La recherche de la vérité, VI, ii, 3. Pour répondre au problème du dualisme cartésien, relativement indépendant de Dieu – si l’on excepte la garantie, pour Descartes, que ce dernier exerce sur les vérités perçue par l’esprit puisqu’il ne peut pas être trompeur- Malebranche fait appel à un Dieu assez spécifique. Dieu va ainsi permettre de surmonter l’opposition entre deux substances hétérogènes et irréductibles l’une à l’autre. Pour expliquer l’expérience commune on a ainsi besoin de faire l’hypothèse d’un Dieu qui est seule cause efficace des phénomènes et qui procède par décrets immuables et lois universelles, se manifestant dans la causalité apparente de la nature.

Reprenons en synthétisant ce point : le Dieu de Malebranche produit des lois de toute éternité, et ces lois déterminent pour l’éternité comment les phénomènes vont s’ordonner. Pour reprendre mon exemple du feu et du doigt il faut voir que cet événement est déjà prévu par Dieu et l’occasion de la brûlure n’est qu’une occasion pour Dieu d’agir en conformité avec les lois qu’il avait déjà instauré dès le début. La réponse de Malebranche répond donc au problème du dualisme cartésien avec des moyens étonnants et en supposant un déterminisme intégral – tout comme Spinoza sur ce dernier point. Il s’agit en effet d’un déterminisme puisque des lois divines règlent à chaque instant le cours des événements. Le corps ne cause pas réellement l’esprit ou seulement occasionnellement. En réalité quand je ressens quelque chose je le vois en Dieu, puisque c’est lui qui est cause efficace – c’est à dire, pour le dire rapidement, réelle- de ma sensation[20].

Notons que cette solution est étroitement reliée à une certaine théologie et nous semble par là même extrêmement inadéquate actuellement, surtout quand les théories traitant de ce problème des relations corps-esprits se revendiquent d’une scientificité. Il faut bien voir cela dit que le problème est suffisamment central pour que les plus grands savants de l’époque s’y penchent et développent une théorie explicative. Cette théorie qui peut paraître fantasque répond ainsi à une difficulté réelle, avec les moyens de l’époque.

god is the answer

Si la position de Malebranche peut sembler réductible à cette phrase, c’est néanmoins un peu plus compliqué !

Conclusion :

Ces deux théories sont deux des plus fameuses à la suite du dualisme cartésien, mais elles n’épuisent pas, loin de là, les possibilités. D’autres théories philosophiques – puisque jusqu’au XIXème siècle la discussion est essentiellement philosophique, et elle continue à l’être encore aujourd’hui en partie- verrons le jour au XVIIème et au XVIIIème siècle, notamment la théorie de l’harmonie préétablie de Leibniz qu’on peut trouver dans la Monadologie, une autre forme occasionnalisme chez des néo-cartésiens comme La Forge, une forme de physicalisme chez les penseurs des Lumières comme d’Holbach et Hélvetius, un sensualisme chez Condillac, jusqu’aux théories modernes. Ce qu’il faut en tous cas souligner pour conclure c’est que c’est le programme cartésien qui est, par ses thèses et ses tensions internes, le terreau fondamental à partir duquel se sont développées et se développent encore les théories traitant du mind-body problem. Descartes loin d’avoir tout anticipé a cependant posé le problème sous sa forme moderne et encore aujourd’hui ses thèses sont discutées, pour être nuancées, acceptées ou rejetées. Il nous semble alors qu’il fallait revenir sur les positions et les ambiguïtés de Descartes pour comprendre les débats contemporains, qui développent en partie des potentialités déjà présentes dans les débats du XVIIème siècle.

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Notes

[1]Poser le problème ainsi est d’une certaine façon anachronique puisque l’âme n’est pas séparée du corps chez Aristote, si l’on excepte sa partie supérieure.

[2] Le Gall puis Broca sont les premiers respectivement en 1810 et en 1861 à mettre en place des premiers éléments d’analyse cérébrale. Il faudra attendre 1924 pour l’életro cardiogramme.

[3]Cela a été fait  par Damien Lacroux, L’esprit et le cerveau : une dialectique néo-cartésienne ? ENS de Lyon, 2014, direction de Delphine Antoine-Mahut, 193pages.

[4] Jean pierre Changeux (matérialisme éliminativiste) ou Pierre Buser ( néo-dualiste), présentent des positions ainsi bien diverses dans le champ des sciences cognitives et dans leur rapport avec Descartes. La position de Damasio étant de réduire l’esprit aux circuits neuronaux. Les distinctions peuvent être subtiles : le néo-dualisme considérera que l’esprit et le corps sont deux réalité au moins partiellement hétérogènes, le matérialisme éliminativiste considérera que les termes du sens communs comme « désirs », « volonté », voire « esprit » n’ont aucune base neuronale et doivent être éliminés de la théorie, Damasio pour sa part tient une position plus nuancés. Pour se retrouver dans toutes ses théories on peut se rapporter utilement à Philosophie de l’esprit, Paris, Ithaque, 2008, de Jaegwon Kim, qui donne une présentation critique de la plupart des mouvements contemporains sur la question.

[5]Descartes, Méditations Métaphysiques, Paris, GF, 1992, p.73.

[6]Idem.

[7]Deux termes centraux pour la théorie de la connaissance chez Descartes. La clarté s’oppose à l’obscurité, c’est l’idée qui apparaît directement présente à un esprit attentif, la distinction s’oppose à la confusion, il s’agit du fait qu’on ne peut confondre une idée avec une autre.

[8]Méditations Métaphysiques, op.cit. p.189.  Descartes distingue âme et esprit dans la lettre à Mersenne 21 avril 1641 : il fait la différence entre anima et mens. Et pour ce qui est des Méditations on voit que Descartes refuse le vocabulaire de l’âme pour penser l’esprit (Frédéric de Buzon et Denis Kambouchner, Le vocabulaire de Descartes, Paris, Ellipses, 2011, art « âme (anima) et esprit (mens) », p.8/9. Dans la seconde méditation Descartes dit qu’il est un esprit, « chose qui pense ».

        De plus il faut noter que l’âme n’est pas du tout pensée sur un plan religieux, quand elle apparaît dans le Discours de la méthode ou Les passions de l’âme c’est pour désigner l’esprit sous une certaine accentuation : connotant le sens, la sensation, l’affectivité, la volonté. C’est le cas dans notre citation également.

[9]     Correspondance à Elisabeth, Paris, Garnier Flammarion, 1989, lettre du 21 mai 1643, p.68.

[10]On ne peut développer ce point, mais on trouve les éléments de cela dans la deuxième méditation avec l’exemple du morceau de cire, mais aussi dans les Sixièmes réponses aux Objections.

[11]La filiation Descartes-Sténon-Turing a été étudiée en détail par Damien Lacroux dans L’esprit, le cerveau et l’ordinateur : le nouveau dualisme du transhumanisme, ENS de Lyon, sous la direction de Delphine Antoine-Mahut,  2015, 245 pages.

[12]Pour plus de précision on peut se rapporter évidemment aux ouvrages de Descartes lui-même, notamment les Passions de l’âme, mais aussi les Principes de la Philosophie, I ainsi que le début de la Correspondance avec Elisabeth. Pour quelques approches accessibles : http://www.philopsis.fr/IMG/pdf_esprit-descartes-de-buzon.pdf

        https://asterion.revues.org/2419

        Pour des thèses ou ouvrages de recherches :

        https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01131243/document

        Sandrine Roux, Le corps et l’esprit, problèmes cartésiens problèmes contemporains, Paris, 2015, Editions des archives contemporaines.

        De la même auteure : « Les paradoxes de l’héritage cartésien dans la philosophie des sciences cognitives : John Searle, La redécouverte de l’esprit », in Qu’est ce qu’être cartésien ? Lyon, ENS éditions, 2013, p.595-609.

        Voir également les travaux de Damien Lacroux déjà mentionnés.

[13]On peut citer plusieurs recherches sur ces deux points. Antonio R Damasio, L’erreur de Descartes, Paris, Odile Jacob sciences, 2010, Pierre Buser, Neurophilosophie de l’esprit, ces neurones qui voudraient expliquer le mental, Paris, Odile Jacob sciences, 2013, Pierre Changeux, « En-a-t-on fini avec l’esprit ? », Philosophie magazine, n.31, juillet-aout 2009.

[14]« Rationalistes » étant ici une case générale : on peut y ranger des penseurs aussi différents que Leibniz, Malebranche ou Spinoza. Disons qu’ils partagent tous une même volonté de pouvoir rendre raison des phénomènes de façon rationnelle, en mettant au jour les relations qui les lient causalement. Cette catégorie de « rationaliste » peut frapper plusieurs lecteurs contemporains quant aux réponses que ses auteurs donnent.

[15]Daniel Denett, La conscience expliquée, Paris, Odile Jacob,1991.

[16]Spinoza, Ethique, V, Préface.

[17]L’expression en elle-même n’apparaît jamais chez Spinoza et est le fruit d’une tradition de commentateur. Il semble que l’expression vienne de Leibniz.

[18]Spinoza ne nie bien évidemment pas l’évidence de l’expérience quotidienne, mais ne la pense pas sous le rapport de la causalité.

[19]Pour plus de précision se rapporter au livre I de l’Ethique, notamment les quinze premières propositions sur la substance, les attributs et Dieu. Pour le commentaire on peut se rapporter aux ouvrages de référence : M Gueroult, Spinoza, Paris, Aubier Montaigne, 1968, le tome I portant sur Dieu. Alexandre Matheron, Individu et communauté chez Spinoza, Paris, Editions de minuit, 1969. Ferdinand Alquié, Le rationalisme de Spinoza, Paris, PUF, 1981. P.F. Moreau, Spinoza et l’expérience de l’éternité, Paris, PUF,

        Notons que le Dieu de Spinoza n’a plus grand-chose à voir, si ce n’est rien, avec Dieu tel qu’il est conçu dans les religions. Au contraire Spinoza, dans l’Appendice du premier livre de l‘Ethique, critique largement cette représentation anthropomorphique d’un Dieu doué de volonté et pensé à l’image de l’homme, comme fruit d’une superstition.

[20]Sur Malebranche, l’occasionnalisme et la vision en Dieu on consultera particulièrement Geneviève Rodis-Lewis, « L’âme et le corps chez Descartes et ses successeurs, la naissance de l’occasionnalisme », in Les Etudes philosophiques, Paris, 1996 ; mais aussi Marie-Frédérique Pellegrin, Le système de la loi de Nicolas Malebranche, Paris, Vrin, 2006.

Petit préambule : les déterminismes biologiques et sociaux qui font ce que nous sommes dépassent largement nos échelles individuelles, et même les gens favorisés ont « subi » leur état. Ils n’ont pas choisi qui ils sont dans la société. Ils ne sont responsables que de leurs actes personnels et des choix qui vont contribuer à faire le bien autour d’eux, et éventuellement à combattre toutes les formes d’oppression, ou bien le mal et accroître la misère et la pression qu’exerce la société sur les plus faibles. Merci de relire ces quelques phrases si vous pensez que l’auteur de la suite nie la souffrance de qui que ce soit, nie l’oppression, nie le racisme ou le fait que la société organise des inégalités gravissimes.
Je ne livre pas ici une humeur ou un avis a priori ni une leçon de militantisme ou un « guide du bon féministe » mais le résultat de l’observation de la frange des militantismes pour laquelle la cause importe moins que le combat, la logique moins que la victimisation, la vérité moins que le jugement d’autrui. Tout en m’efforçant de ne pas juger les gens je veux mettre l’accent sur un problème qui n’est spécifique à aucune idéologie, mais qui est d’autant plus triste quand il affecte des idéaux qui pourraient faire l’unanimité. Je présente ici un point de vue critique sur le discours et l’attitude de gens dont je pense qu’ils ont raison sur le fond mais qui pour autant n’ont pas tous les droits.

Je ne suis pas un SJW anti-SJW…

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Étrange animal.

Vous avez tous croisé au fil de vos échanges sur les réseaux sociaux, ou dans la vie de tous les jours, une personne avec qui vous partagez visiblement des valeurs importantes concernant la justice sociale, c’est-à-dire le respect des droits fondamentaux des individus, mais qui ne vous pardonne pas de ne pas les défendre exactement comme elle le fait. On appelle ce type de personne un « guerrier de la justice sociale », et en bon français : un-e Social Justice Warrior (SJW). Le terme n’a pas toujours eu une connotation péjorative, et comme le terme troll, il faut bien faire attention à ne pas en abuser sous peine de le vider de son sens. Avant d’aller plus loin disons-le, le Social Justice Warrior est un poncif dans la fachosphère et les réactionnaires collent volontiers cette étiquette sur les activistes dans le but de dénigrer leur parole. Certains lecteurs seront tentés de nous accuser d’appartenir à ce courant de pensée et de nous coller une étiquette à leur tour afin de faire l’économie d’une remise en question. Courons le risque malgré tout, mettons de côté le choix de certains activistes d’endosser le nom de SJW en réaction aux réactionnaires, et parlons un peu du fond du sujet en considérant le SJW sous ses aspects problématiques.

Social Justice Warrior 02

Il y a toujours un peu d’arbitraire dans la manière que nous avons de juger qu’une situation est raciste.

Le Social Justice Warrior vaut mieux que vous.

Il / elle est plus égalitariste que vous, plus humaniste, plus féministe, plus républicain-e, plus gentil-le, plus antiraciste, moins oppressif-ve, plus rationnel-le… et moins humain-e en quelque sorte, puisque il /elle nie en grande partie les contradictions et les compromis qui sont au cœur de notre psyché à tous ; le Social Justice Warrior est monolithique, iel a raison par définition, donc toute tentative de pensée critique sur son action est une agression, notamment parce qu’iel sait mieux que vous pourquoi vous dites ce que vous dites. De son point de vue, c’est logique, imparable, inéluctable. Parce que lui/elle « sait », lui/elle « voit ». Selon le lexique afférant, lui/elle est passé-e par l’étape de « déconstruction ». Toute personne avec un avis différent peut être supposée comme étant encore victime des stéréotypes – comment pourrait-elle sinon être en désaccord. 

Sauf que c’est terriblement, tristement stupide.

Dans la suite de ce texte, je vais cesser d’ajouter des -e comme on le fait souvent pour s’opposer à l’oppression du masculin sur le féminin par le biais de la grammaire. Dans l’absolu, ceux qui font le constat que la langue française maltraite le féminin et met le masculin en valeur ont plutôt raison, mais la langue sert avant tout à exprimer des idées de la manière la plus élégante, la plus efficace possible, et si je dois ajouter des -es ou des -le partout, ce texte deviendra vite très désagréable à lire pour les non habitués, ce qui va décourager des lecteurs qui pourtant, je le pense humblement, ont sans doute à gagner à lire ce qui suit. Je fais donc le choix d’être intelligible avant celui d’être dans le non-oppressif sans concession.
(Cette simple déclaration vient de faire monter en flèche la pression artérielle du SJW qui visite cette page).

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Autre mise au point.

Parmi les militants de toutes les causes imaginables, on trouve des gens formidables qui vont contribuer à changer le monde. Il n’est pas question de minimiser leur rôle majeur dans la circulation des idées nouvelles, en particulier quand elles heurtent notre zone de confort. Il y a des indignations nécessaires, des colères justifiées, des luttes inévitables. Plus que cela, j’irai jusqu’à dire que le travail réalisé sur ce blog cherche à participer à ce mouvement de contestation de l’état actuel du monde et de la manière dont il est gouverné. Il n’est pas question de minimiser non plus l’importance des enjeux ou la gravité des injustices contre lesquelles les uns et les autres s’élèvent ; c’est tout le contraire. C’est parce que les enjeux sont primordiaux qu’il est nécessaire de s’y attaquer correctement et de mettre en pratique les valeurs au sein même des groupes qui militent pour elles. Le déterminisme social existe, il est prépondérant et presque aussi invisible que l’air que nous respirons, il est donc important d’apprendre à le reconnaître et à nous départir de la naïveté avec laquelle nous voulons croire que ce sont les qualités personnelles qui sont la première cause du succès ou de l’échec des individus. Mais pas n’importe comment, et force est de constater qu’il y a un sérieux problème dans la plupart des milieux militants dès qu’une frange non négligeable en vient à défendre l’idée que :

La fin justifie les moyens.

Celui ou celle qui croit en cela a de fortes chances d’être un SJW en puissance, et donc un traître à sa cause, un traître qui s’ignore. Et cet article propose de montrer pourquoi.

En passant, n’oublions par que l’étiquette « SJW » est aussi employée à la légère pour éviter de voir de vrais problèmes.

Qui est le Social Justice Warrior ?

Le SJW fait profession de l’indignation et du procès d’intention. Il est toujours offensé, et garde un jugement lapidaire sur le bout de la langue à dégainer à la moindre occasion.

Il y a sans doute un petit peu de SJW dans la tête de tous ceux qui estiment qu’ils doivent se battre pour plus d’égalité et de respect des minorités, mais la plupart ne tombent pas dans les travers que nous allons décrire, des travers qui ne caractérisent pas des individus mais une posture et un comportement. On retrouve le SJW parmi les militants des causes justes et importantes. Il occupe les rangs les plus bruyants des écologistes, des féministes, des véganes, des anti-racistes, des pro LGBT+, etc. Il est plutôt du bon côté de la lutte sociale et il le sait. Il est progressiste et veut que les choses changent, mais pas à n’importe quel prix, et notamment pas au prix de renoncer à ce privilège délicieux entre tous qui est celui d’avoir toujours raison. On le voit parfois créer des « safe space » où la parole est censée être protégée contre tout jugement, sauf que souvent, on y assiste au contraire à un jugement perpétuel de la parole qui y est prononcée.

On en connait qui sont plus royalistes que le roi, et on sait que les convertis de fraîche date font les intégristes les plus zélés, on pourrait légitimement se demander si, par exemple, le SJW de l’antiracisme ne cherche pas à exorciser un racisme culturel internalisé qui susciterait chez lui une culpabilité qu’il va rejeter sur autrui. Cet excès de zèle lui sert-il à manifester le plus fort possible qu’il ne fait plus partie des oppresseurs ?

On note chez le SJW un attrait certain pour le manichéisme basique et pour la simplification à outrance, c’est-à-dire la binarité. Soit on est avec eux, soit on est contre eux et donc contre le progrès. Tel est le faux dilemme qu’ils confondent avec une réalité bien plus complexe et nuancée qu’ils ne veulent surtout pas se donner la peine de penser, car cela les priverait d’un temps qu’ils aiment passer à juger les autres, pour se rassurer eux-mêmes du bien fondé de leur démarche. Le militant, même radical, ne commet pas l’erreur de s’estimer au dessus de la condition humaine et de se croire le juge de ses contemporains.

Quand une cause devient assez populaire, elle attire tôt ou tard des imbéciles, des dogmatiques, des sectaires et des dérangés qui auront tendance à parler plus fort que les autres et à occuper une part de terrain alors qu’ils ne représentent rien.

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Le SJW et le langage.

Le SJW veut que tout le monde ait les mêmes droits, dit-il, et il refuse tout jargon scientifique, car c’est aussi un privilège que d’avoir l’éducation requise pour comprendre ces termes. C’est tout à son honneur, et on le féliciterait s’il appliquait réellement ce principe. Au lieu de quoi il invente son propre vocabulaire que nul n’est censé ignorer sous peine d’être jugé oppressif.

Il est donc exigé de vous que vous sachiez ce que signifie : le slutshaming, le splaining (et ses variantes mansplaining, safesplaining, etc.), les ‘tears‘, le tone policing, le #notall… et sachez qu’on peut écrire nous nou-e-s ou hétéro hétéra même si cela n’a aucun sens du point de vue étymologique ou même de la lutte contre l’oppression grammaticale. Là où le défenseur d’une cause cherche à faire comprendre les concepts et les mots nouveaux aux gens lambda, le SJW, lui, utilise ces concepts pour faire culpabiliser ces gens.

Créer des termes pour nommer des principes n’a rien de mal en soi, c’est utile pour formuler des idées. Ça devient un problème lorsque ce langage spécifique est utilisé pour différencier le camarade de l’ignare. Or, le SJW est dans la toute puissance de son langage à lui, acte d’oppression fondateur par lequel il se distingue volontairement des autres. Le SJW s’est construit des mots qui font rempart autour de lui, et qui réduisent à néant toute tentative de débattre sur le fond. Car débattre sur le fond est secondaire quand, comme le SJW, vous croyez connaître les motivations de votre interlocuteur mieux que lui-même, motivations entièrement déductibles de son appartenance à un groupe. Naturellement, il n’est pire groupe que le HSBC (Homme Straight Blanc Cis), le groupe des Homme cis-hétérosexuel blanc valides, cis signifiant que le genre auquel l’individu s’identifie correspond à ses attributs physiques. Il n’est pire humain que celui qui appartient à ce groupe car tous ceux-là sont par nature des oppresseurs puisqu’ils seraient favorisés par le système. Cela signifie que le SJW place autrui dans une case, qu’il le fait sciemment, et s’en réclame ouvertement. Le SJW pratique donc un essentialisme décomplexé qui est, cruellement, l’ingrédient principal avec lequel on fabrique du racisme et de la discrimination. Là commencent la traîtrise et la débâcle intellectuelle.

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Warrior avant tout ?

En redéfinissant les termes, le SJW ne peut avoir tort. Par exemple l’hétérophobie ne peut pas exister même isolément, même sous une forme qui serait une réaction aux discriminations ordinaires, et le racisme anti-blanc est de même totalement exclu car seule l’oppression systémique mérite d’être dénoncée (ce qui ne veut pas dire que l’appel au racisme anti-blanc soit justifié, généralement il ne l’est pas, puisqu’il n’existe pas d’oppression systémique contre les blancs… encore que ce soit discutable selon l’échelle à laquelle un « système » sera considéré). Un homme est toujours moins opprimé qu’une femme pour un SJW, et l’intersectionalité (la prise en compte de la multiplicité des formes d’oppression) le dépasse ou devient un mot creux dans lequel il fait résonner son point de vue. Toutes les discriminations, les souffrances qui ne s’alignent pas avec les oppressions reconnues sont niées car elles n’entrent pas dans le cadre local de cohérence d’un discours où les nuances sont bannies et la complexité des interactions sociales réduites au seul axe oppresseur (méchant) — opprimé (gentil). Nul membre d’un groupe dominant ne saurait être victime de quoi que ce soit, il n’est que coupable.

Le SJW, dans sa pratique du langage, est le parangon du politiquement correct, une notion si souvent instrumentalisée par un bord de l’échiquier politique peu en phase avec la lutte contre les discriminations que certains pensent pouvoir la nier, une négation quelque peu dangereuse pour qui veut réfléchir à la manière dont les gens réagissent aux discours critiques. Une négation qui rend difficile de dénoncer les SJW comme le montreront sans doute les réactions à cet article.

De toute façon, le SJW possède les mots. Il est le seul à pouvoir définir les contours du racisme ou du sexisme. Puisque le monde n’est qu’oppression, c’est l’oppression qui détermine quelles sont les souffrances réelles. Les souffrances sont bien réelles, d’ailleurs, sauf qu’admettre qu’il existe d’autres souffrances en même temps chez d’autres gens qui n’ont pas choisi non plus d’appartenir à des catégories moins fragiles, ce n’est pas les nier ou les mettre en sourdine. Cependant pour le SJW il y a des souffrances abominables et d’autres qu’on peut négliger, car elles n’affectent que les individus et pas les groupes. Le SJW semble croire que c’est le groupe qui souffre, alors que vous et moi savons que ce sont les femmes et les hommes, et les enfants qui en bavent pour de vrai.

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Tout dominant qui s’exprime le fait-il au nom du groupe dominant ? Est-il forcément motivé par la peur de perdre ses privilèges ? .. et le SJW alors ?

Le SJW et la discrimination.

Bien sûr, il y a chez les groupes privilégiés des individus qui refusent de se voir comme favorisés malgré les avantages dont ils jouissent, et qui vont jusqu’à nier la réalité de l’oppression que la société organise et pérennise, et c’est terriblement fatiguant pour un militant de se trouver continuellement face aux mêmes dénis. Cela ne justifie en rien l’automatisme avec lequel le SJW décide que le « dominant » a nécessairement une parole de « dominant » visant à défendre ses « privilèges de dominant ».

En terme de déontologie, il faut peut-être oser se demander ce qui distingue le SJW et le fasciste. Tous les deux ont raison dans le leur cadre local de cohérence, tous les deux pensent œuvrer pour le bien et sont prêts, à cette fin, à amputer les droits de ceux qui pensent différemment car ils représenteraient une menace pour les valeurs qu’ils placent au dessus de tout. Cette remarque n’est pas un point Godwin, elle pose la question du dogmatisme avec lequel certaines causes sont défendues, et qui va jusqu’aux actes violents comme on l’a vu avec le Front de Libération des Animaux. La déontologie est un principe selon lequel c’est par l’exemplarité morale que l’on contribue au bien commun, la valeur d’une action humaine se mesurant à sa conformité envers certains devoirs. Cette exemplarité est étrangère à la démarche du SJW.

Sans frémir, le SJW peut décider d’ôter le droit à la parole d’un individu qu’il identifie à un groupe ‘dominant’ sans autre forme de procès, à moins que l’individu incriminé n’accepte de faire étalage public des raisons pour lesquelles il serait moins privilégié qu’on aurait pu le croire. Ainsi on rançonne le droit à la parole, on extorque la confession d’une « faiblesse » ou d’une forme de marginalité adéquate en échange d’une sorte de permis de parler légitimement d’un sujet. Il faudra être non-blanc pour s’exprimer sur le racisme, non-homme-cis-genre pour discourir sur le sexisme, préférablement non-hétéro pour les autres formes de discriminations sexuelles, etc. Vous êtes donc priés de décliner votre identité vis-à-vis des cases préétablies afin que votre parole, puisse être jugée à l’aune de sa provenance, comme si seul votre pedigree parlait à travers vous. (Et peu importe si cette déclinaison d’identité met en danger (notamment psychique) certains LGBT peu enclins à s’afficher ainsi, ou même incertains de l’étiquette qu’il leur faudrait porter… et si bon nombre d’entre eux font alors le choix de ne pas s’exprimer). Si vous outrepassez cette règle indiscutable où seuls les opprimés peuvent s’exprimer et ont forcément raison de dire ce qu’ils disent, vous devenez oppressif vous-même. Cela n’est pas sans rappeler l’étiquette suppressif utilisée par les scientologues pour neutraliser la parole de ceux qui remettent en cause le fonctionnement de la secte.

Une nouvelle précision est ici requise.

Laisser la parole en priorité à ceux qui sont frappés par les discriminations est évidemment une bonne chose, cette prise de parole fait partie de la solution : elle rappelle aux dominants que d’autres types d’individus existent, qu’ils ont un point de vue et que le résultat de la violence sociale, ce sont eux qui le vivent. L’expression de ce ressenti est importante ; le privilégié serait donc bien inspiré de prendre conscience de ses privilèges et de la mettre en veilleuse quand il a la possibilité d’entendre un moins privilégié que lui s’attaquer au problème. Ce principe rejoint une éthique personnelle dont il est utile de faire la promotion de manière pédagogique. Toutefois, si cette parole à l’opprimé fait sens dans le cadre du ressenti, elle devient absurde lorsqu’elle est étendue au cadre de la réflexion sur les dynamiques sociétales de préservation de stéréotype, ou sur les moyens de lutte contre les discriminations (extension que pratique volontiers le SJW).

Et puis bien sûr, le SJW pratique le relativisme culturel au nom duquel il est inadmissible, par exemple, de critiquer l’excision pratiquée en Afrique car on ne peut pas se permettre de critiquer la culture africaine. Et si les Irakiens de Daech balancent leurs homos du haut des immeubles, de quel droit leur dirions-nous que c’est pas bien, puisque nous occidentaux sommes des dominateurs nés ? Si vous avez un problème avec ça, attendez-vous à vous retrouver dans la case raciste ou à rejoindre Kamel Daoud et tant d’autres dans la boîte « islamophobe« .

Dans le monde du SJW, faire taire tous ceux qui pensent différemment ressemble à une bonne stratégie pour les faire changer d’avis.

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Je connais des SJW qui vont considérer ce qui vient d’être dit comme un discours de « haine » ; la haine est très présente dans la rhétorique du SJW, elle lui permet de réduire son interlocuteur à une émotion négative, et de ne pas lui reconnaître le statut d’être pensant. Dès lors il n’est plus nécessaire de répondre aux éventuels arguments avancés. Dès que quelqu’un évoque la haine, ne vous y trompez pas, il a renoncé à comprendre ce qui motive autrui et il se limite à une posture de supériorité morale d’où il pense tirer sa légitimité.

Le SJW et la violence.

La colère du SJW est toujours légitime, la vôtre est oppressive. C’est parfaitement logique car le SJW n’est pas un SJW s’il n’a pas d’ennemi. Il commet l’erreur de croire qu’il lui faut un adversaire de chair pour réifier l’oppression (bien réelle) d’un système qu’il croit être le seul à avoir percé à jour.

Si vous appartenez à un groupe ethno-sociologique non opprimé, votre parole ne vaut rien et le SJW aura beau jeu de vous rappeler que vous n’avez pas assez souffert pour chanter le blues. Mais rassurez-vous : si d’aventure vous appartenez à un groupe opprimé ou à une minorité, ou bien vous trouvez dans une situation particulièrement difficile, et que vous évoquez l’idée que la stratégie de lutte du SJW n’est pas appropriée, sa tactique est toute trouvée malgré tout. Il joue la carte de l’internalisation. Vous êtes coupable de vous identifier au groupe dominant et de vouloir en reproduire les codes en vous attaquant perfidement aux opprimés que le SJW est seul à pouvoir défendre. Pile je gagne, face tu perds : la position du SJW est indéboulonnable, irréfutable… et donc épistémologiquement nulle, mais malheureusement ce qui est un défaut à la lumière d’une analyse rationnelle peut devenir une force pour qui n’a pas peur du populisme, et la posture du SJW lui confère une résilience qui peut passer pour du bon sens.

Pour le bien des valeurs dont il se fait le chevalier, le SJW s’arroge le droit de vous insulter, de vous essentialiser, de vous cataloguer, de vous réduire à la dimension de son choix : votre couleur, votre sexe, votre genre, votre taille, votre poids, votre rang social, votre régime alimentaire, votre degré de militantisme, votre obédience envers la doxa, etc. Et il peut exercer à votre endroit toutes les discriminations qu’il dénonce lorsqu’elles sont « systémiques », il saura toujours rationaliser ses attaques en hiérarchisant les souffrances, les oppressions et donc la compassion à avoir envers les individus.

«Quand le SJWTM est vraiment trop vener, encore plus que d’habitude, il prend un mec ou une meuf lambda, de préférence un mec, de préférence cis et hétéro, mais il fait avec ce qu’il a sous la main, il le harcèle, l’insulte, le traîne dans la boue, il fait un « meme » avec sa tête pour montrer que cette personne est vraiment une sous-merde, et il diffuse ça sur ses milieux safe. Il se marre bien avec ses potes safe, et il va se coucher heureux, en se disant que décidément la justice sociale c’est bien cool, et que demain on ruinera la vie d’une autre personne.» Extrait du blog www.lesquestionscomposent.fr

Avec des amis pareils, les causes progressistes n’ont plus besoin d’ennemi.
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Comment osé-je écrire tout cela ?

À la lecture des paragraphes précédents, si vous avez en vous une tendance SJW vous vous êtes peut-être dit que l’auteur de cet article est un parfait représentant du groupe dominant qui n’exprime ici que sa frustration de se voir traité ponctuellement de la même manière que les groupes opprimés le sont continuellement. Peut-être pensez-vous que tout cela n’est que du safesplaining, un discours qui vise à défendre les prérogatives d’un groupe qui a déjà tout pour lui. N’étant pas maître de tous les déterminismes qui sont à l’origine de sa pensée, cet auteur ignore si cette partie de vous a peut-être raison, alors il en tient compte, d’où la prudence constante avec laquelle cet article est écrit.

Toutes les remarques ici apportées peuvent être employées pour examiner ma propre parole, mon point de vue critique est lui-même critiquable, et il se trouve sans doute des biais dans ma position comme dans toute position, raison pour laquelle la critique méthodique défendue ici est cruciale. Mais justement, ce billet n’a pas pour objet de défendre la supériorité de ma position, la justesse de mon point de vue, la manière dont je suis personnellement privilégié ou opprimé par le système, puisque tout cela est pris en compte dans la démarche que je défends et qui est celle des militants rationnels, attachés à ne pas combattre le mal par le mal, la violence injustifiable par une violence justifiée.

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Pour certains lecteurs, cet article sera choquant.

Que des hommes, certes habitués à parler plus que les femmes, et à leur couper la parole plus facilement qu’elles ne le font, soient interdits de certaines manifestations féministes publiques (qui deviennent de facto sexistes) est un peu violent pour les hommes qui voudraient participer et se voient traités en citoyens de seconde zone, mais leur inconfort n’est pas l’inconvénient le plus grave. Le réel problème, le pêché mortel, est que ce genre de pratique prête à la cause une éthique qui ne devrait pas être la sienne. Quand on fabrique des espaces estampillés « safe » dans lesquels il est autorisé de rabaisser la parole d’un intervenant dès qu’il est associé à un groupe dit « dominant », l’espace n’est pas « safe ». Quand on interdit aux hommes de manifester dans la rue contre le sexisme, on ne manifeste plus contre le sexisme. Quand on dit aux hétéros qu’ils n’ont rien à dire sur l’homophobie, on cesse de lutter contre l’homophobie et à la place on contribue à instaurer un climat de pensée unique qui ne fait pas évoluer les mentalités dans le bon sens.

Le SJW, par son comportement même, est l’antithèse des valeurs qu’il prétend défendre. Dès lors il suscite le rejet de ceux qu’il devrait vouloir convaincre, il perpétue un comportement d’agression qui ne peut qu’encourager une agressivité en retour, il crispe tout dialogue, il fait reculer la cause, et il est bien entendu totalement incapable d’accepter la simple idée que ce soit possible, parce que dans son monde avoir tort c’est être méchant, or lui il pense qu’il est gentil. Il y a un profond manque de logique dans la démarche qui consiste à combattre le mal par le mal dans une arène sociale dont on dénonce par ailleurs la forte tendance au conditionnement. L’histoire nous montre sans cesse que les dominés qui accèdent au pouvoir sont terriblement tentés par l’oppression à leur tour. N’est pas Mandela qui veut, et surtout pas un SJW.

Que l’auteur d’un article soit un homme blanc ou pas, qu’il s’identifie avec un sous-sous-groupe opprimé ou non est sans rapport avec la valeur de ce qui s’y trouve écrit, pourvu qu’il ne prétende pas adopter un point de vue ou se prévaloir d’un vécu qui n’est pas le sien. Et l’auteur que je suis ne veut pas faire pleurer dans les chaumières sur la vilaine manière dont on le traite, notamment parce que les SJW ont encore des choses à apprendre en matière d’injures et de violence auprès des défenseurs des idéologies que j’égratigne par ailleurs dans mon travail. Et pourtant ces deux critiques vont revenir encore et encore dans les commentaires, parce que c’est la seule grille de lecture possible pour le SJW qui n’envisage pas qu’on puisse vouloir autant que lui / elle une évolution de la société, mais douter qu’elle soit facilitée par ses méthodes, sa rhétorique et ses admonestations incessantes. J’accepte d’avoir tort dans le regard que je porte sur les luttes sociales, mais je ne serai pas convaincu par un argumentaire centré autour de mon incapacité congénitale à être une femme ou un homme de couleur, ou (pour le moment du moins) un handicapé. Ce qui peut me convaincre c’est une étude sociologique qui montrerait que l’agressivité, la violence, la discrimination, les jugements moraux pratiqués par une certaine frange militante produisent plus de bien que de mal. Alors, pour le bien de la cause, je me tairais pendant que ces méthodes font leur office malgré que j’en aie. À l’inverse, je me demande ce qui pourrait convaincre un SJW qu’il a peut-être tort, qu’il joue contre son camp. Or, je pense que ceux qui ont à cœur que leurs valeurs s’imposent doivent se poser cette question et ne pas se contenter de la satisfaction personnelle de lutter pour lutter.

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Ne soyez pas un SJW

Vous êtes arrivé à la fin de cet article, alors vous valez sûrement mieux que le portrait qui a été dressé ci-avant ; et la cause que vous défendez aussi. Soyez un exemple, une inspiration, pas un kapo à l’affût d’un ‘dominant’ à humilier.

Nous passons notre temps dans ces pages et ailleurs à dire qu’il faut respecter les personnes mais pas les idées, et cet article ne doit pas laisser croire que nous aurions changé d’avis. Le SJW, c’est une posture, une attitude, un comportement social, une tendance qui guette beaucoup de gens bien intentionnés quand ils oublient que même leurs idées à eux peuvent être critiquées. Le SJW n’est pas un individu, personne n’est visé, et personne ne doit être tout entier réduit à la posture de SJW qu’il adopte. Le SJW n’est sans doute pas un état définitif, irrécupérable. Aussi, malgré tout ce qui vient d’être dit — en en réalité à cause de tout ce qui vient d’être dit — évitons de cataloguer quiconque dans le rôle de SJW, car ce serait donner dans un essentialisme que nous dénonçons à longueur de temps. Pour autant ne nions pas les problèmes.

On ne fait pas de la zététique en disant des choses qui font plaisir à tout le monde. L’exercice de la pensée critique cause de la gêne, de la résistance, de la colère, voire des émotions plus violentes encore, et c’est inévitable car il n’y a pas de manière polie de dire à quelqu’un qu’il s’est trompé toute sa vie. La remise en question, c’est douloureux, et on ne peut pas constamment la jouer safe et non oppressif quand il s’agit de mettre des gens face à une réalité qui les blesse. Mais cela ne veut pas dire que blesser autrui puisse être considéré comme un acte banal, et cela signifie surtout que les SJW n’ont aucun droit d’immunité à faire valoir contre la remise en cause qui leur est faite ici.

Cet article a pour but de prévenir ceux qui se sont engagés dans cette voie par erreur, et ceux qui sont sur le point de tomber dans ce genre de travers, et d’informer ceux qui ont affaire à ce type de dialectique. Sachez reconnaître le SJW en vous ou dans vos amis assez tôt pour l’empêcher de prendre un ascendant qui sera d’autant plus douloureux à expurger qu’elle aura pris le temps de s’installer. Bien sûr, cet article de blog ne réglera pas le problème, et le monde militant ne nous a pas attendu pour gérer ses affaires. Qu’il nous soit permis toutefois d’espérer que ces mots susciteront des discussions qui à leur tour permettront à des personnes bien intentionnées de ne pas trahir leurs valeurs malgré elles.

Soyez plutôt un Social Justice Worker.

On a besoin de gens qui se posent des questions, qui soulignent les problèmes, et notamment l’oppression systémique qui n’épargne personne. On a besoin de gens qui proposent des solutions, qui cherchent, et pas de ceux qui ont trouvé dans l’anathème perpétuel une illusoire panacée.

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Social Justice Worker ?

 

 

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Je tiens à remercier pour leur relecture et remarques fort utiles Paul, Irène, Giliane, Nathanël et Vled.

  • Quelques liens :

http://www.acadegeek.fr/comment-tumblr-illustre-les-derives-du-postmodernisme/

The Totalitarian Doctrine of ‘Social Justice Warriors’

 

Réflexions après un échange provoqué par la réponse que j’ai donnée à une question reçue sur ASK.com

 

Que penses-tu du féminisme dans son intégralité?

Le combat contre le sexisme n’est pas seulement juste et nécessaire, il est urgent.

Toutefois le féminisme, en tant que mouvement (multiforme), n’est pas exempt de défaut. Il y a mille manières de mal défendre une cause juste, et certain(e)s féministes font du mal à la cause, beaucoup de mal.
Mais ces personnes ne sont pas seulement incapables de s’en rendre compte, elles sont incapables d’accepter la simple idée qu’on puisse leur suggérer que leur méthode est mauvaise. Imaginez un peu que la critique vienne d’un être humain pourvu d’un chromosome Y et vous assistez à un craquage de slip en direct.

Le problème c’est que c’est un sujet sur lequel il est très compliqué de s’exprimer sans prendre mille précautions pour être sûr de ne pas être compris de travers…. Alors on en parlera quand on aura quelque chose de précis à dire dessus.

Vled & Mendax.

 

feminism

 Ci-dessous une version abrégée de l’échange que j’ai eu sur twitter avec un homme féministe, abonné à notre chaine et donc attaché au rationalisme, une personne dont je suis certain de partager l’essentiel des valeurs, y compris sur l’importance et la gravité du sexisme dans le monde.

 Twitter

R — Il serait peut être bon que vous limitiez vos avis aux sujets que vous maitrisez, donc de suspendre votre jugement. Faire fi des rapports de domination, et de la position d’où l’on parle dans une opinion sur un système de domination mène souvent à dire des bêtises. Mais loin de moi l’idée de vous interdire d’en dire… c’est juste que j’attends d’une chaine de qualité comme la vôtre autre chose que des avis « de café du commerce »

TeB — Corrigez mes bêtises s’il vous plait. Mais soyez précis.

R — Un exemple : Un homme (bénéficiaire du système patriarcal) qui vient donner ses bons et mauvais points sur les divers mouvements du féminisme me semble une erreur.

TeB —Il y a là dedans l’idée que posséder des testicules disqualifie tout avis sur la question. Est-ce raisonnable ?

R — non pas disqualifie mais minimise. Vous parlez (comme moi) en tant que bénéficiaire. Dire ce qu’est le bon féminisme vous place dans la position du dominant qui disqualifie un mouvement d’émancipation de dominé-e-s. Est-ce raisonnable de se penser au-dessus des conditionnements sociaux?

TeB — A quel point mon droit de critiquer la rhétorique féministe est-il minimisé ? Comment mesurez-vous mon conditionnement ? N’est-il pas plus judicieux de critiquer le contenu de mes propos plutôt que le genre de la personne qui parle ?

R — Je critique vos propos en fonction de la position de laquelle vous parlez. Juger comme vous le faites des mouvements-

TeB — Avec la même logique : les humains (=bénéficiaires) sont inaptes à comparer 2 manières de défendre la cause animale.

R — mauvaise comparaison, il n’y a pas de mouvement d’émancipation chez mes animaux à ma connaissance. en revanche, c’est valable pour blancs/racisés, prolétaires/bourgeois, hétéro/homos, occident/tiers-monde…

TeB —Y en aurait-il que j’aurais toujours mon mot à dire sur leurs méthodes. Critiquer l’autre, c’est le respecter. C’est penser qu’il peut changer d’avis quand on lui présente de bonnes raisons de le faire.

R — C’est vrai à condition de parler à égalité, sinon, c’est condescendant, paternaliste.

TeB — Hypothèse : les opprimés s’y prennent mal. Doit-on se retenir de le leur dire ? N’est-ce pas la pire forme de paternalisme ?

R — Tout est là : quand l’oppresseur estime que son avis sur les oprimé-e-s est objectif. « s’y prennent mal » : selon toi

TeB — Vous faites donc autorité pour décréter que nos critiques sont biaisées tout en étant un homme, donc un bénéficiaire. #incohérence ?

R — je n’ai jamais prétendu faire autorité, au contraire

TeB — Juste pour dire un mot sur le fond : pensez-vous que tous les moyens de lutte se valent ?

R — Vaste question. Pour moi, les moyens de lutte se jugent à leur efficacité et à ma marge de manœuvre que l’on a et je pense que c’est facile quand on n’est pas victime d’une oppression de reprocher aux opprimé-e-s leur stratégie.

féminisme 01

 L’échange est resté courtois. C’est intéressant de le signaler, parce que j’ai déjà par le passé essuyé les frénétiques débordements de féministes arquebouté(e)s sur des positions qu’elles ne savaient défendre qu’à grands coups d’admonestations sexistes visant à tout simplement interdire une parole masculine sur des questions dont elles (voire ils,) s’estimaient les seul(e)s propriétaires. Ce genre de mésaventure n’est pas rare, ce qui ne produit guère de bons résultats sur l’image du féminisme, si on m’autorise à formuler un avis.

Je suis heureux qu’avec cet internaute nous ayons pu échanger nos points de vue sans verser dans l’ad hominem (encore que vous aurez sans doute noté ma catégorisation en tant qu’oppresseur qui a peut-être échappé à mon interlocuteur), ce qui nous a permis, je crois, de comprendre la position de l’autre.

Bon, mais après cet échange, que doit-on comprendre ?

En substance, qu’il existe chez certains militants une idée relativement indéboulonnable une fois qu’elle s’installe : que les opprimés ont plus de droit (voire de compétences) que les autres. Et on entend que les non-homos n’ont rien à dire sur la meilleure manière de lutter contre l’homophobie. Que les carnistes blancs cis-hétéro valides, éternels gagnants de la loterie sociale, doivent nécessairement être soupçonnés de vouloir pérenniser l’ordre établi, et autres jugements pareillement absurdes…
Je ne comprends la logique à l’œuvre quand on affirme (ou qu’on sous-entend) que certaines causes ne peuvent pas être défendues par une personne à cause de son sexe, de son apparence ou d‘un quelconque attribut qui la classe ipso facto dans le clan des oppresseurs. Parce que, par quel bout qu’on la prenne, cette idée est la substance même de la discrimination.

Et contre cette manière de voir les choses, je prétends (j’ose) qu’il est bien plus rationnel d’accepter que tous ceux qui veulent combatte le sexisme (ou le spécisme, ou le racisme, etc.)  soient les bienvenus pour le faire, y compris quand ils apportent avec eux des avis critiques sur la manière dont d’autres le font. Car la bonne volonté ne suffit pas à faire une bonne action, sinon il faut appeler bonne action l’évangélisation forcée des peuples « primitifs » pratiquée par des hommes et des femmes qui croyaient sauver des âmes.

J’invite chacun à ne pas oublier qu’un militant pour la cause des femmes, pour la cause des droits de l’Homme, pour plus de justice sociale, pour plus de liberté, pour moins d’oppression, un militant bien intentionné, ça peut être complètement con et brutal, ça peut avoir une action et un discours qui font du mal à la cause, qu’elle soit écologique, végane ou féministe, pour ne citer que les cas les plus clairement trollés par des extrémismes de mauvais aloi.

Feminism thisiswhat

L’esprit critique n’est pas réservé à l’analyse des croyances des autres.

L’esprit critique n’est pas à traiter comme la cinquième roue du carrosse quand on veut faire le bien autour de soi, parce qu’il faut toujours se demander si le bien qu’on fait on ne pourrait pas le faire mieux, et si celui qui nous critique, même s’il ressemble à s‘y méprendre à un être humain que je voudrais essentialiser dans une catégorie que j’antagonise, n’a pas lui aussi le droit de défendre la cause qui est la mienne et de me dire qu’il a un problème avec ma manière de faire.

Si on accepte ça, alors le dialogue peut exister, ce qui est une bonne nouvelle parce que le débat d’idées s’avère être l’environnement adéquate pour que le cerveau humain sélectionne des meilleures idées, et c’est donc le passage obligé de toute action qui se veut efficace et rationnelle.

 L’idéologie dans le langage

 

« L’opposition à la religion s’appelle athéisme quand on la professe et idolâtrie quand on la pratique. L’athéisme est tellement insensé et tellement odieux à l’humanité qu’il n’y a jamais eu beaucoup de gens pour l’enseigner. » Isaac Newton

 

Les conventions actuelles sur le sens et l’usage des mots athéisme et agnosticisme sont le produit d’une culture dominée par le monothéisme. C’est aux apologètes que l’on doit la classification qui intercale les agnostiques entre les croyants et les athées, peut-être pour éviter de s’interroger sur la distinction pourtant capitale qui existe entre l’opinion que l’on se fait d’un sujet comme l’existence de Dieu, d’un côté, et le degré de certitude ou de preuve que l’on estime pouvoir revendiquer à l’appui de cette opinion.

De fait, et contrairement à l’usage commun de ces mots, il s’avère que l’on peut être athée et agnostique en même temps.

Mais avant de le montrer, feuilletons le dictionnaire en ligne Larousse. Athée y est un adjectif qui « se dit de celui qui nie l’existence de Dieu ». Sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et lexicales, on retrouve exactement la même définition principale. En tant que substantif, un athée serait une « personne qui ne reconnaît pas Dieu ou nie l’existence de Dieu ». À titre indicatif, voici les extraits choisis par le site pour illustrer le mot :

« Ce n’a pas été sans une profonde habileté que la science athée et la philosophie irréligieuse des siècles modernes ont prononcé leur divorce avant de les condamner à mourir. » Montalembert, Histoire de ste Élisabeth de Hongrie, 1836, p. CVIII.

« … Marx pensait-il donc qu’il est facile d’être humain lorsqu’on ne veut point être saint? Cela serait alors le grand mensonge de l’humanisme athée : parce que nous sommes nés pour tendre à la perfection de l’amour, …» Maritain, Humanisme intégral, 1936, p. 101.

« L’existentialisme athée, que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n’existe pas, il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept, et que cet être c’est l’homme… Sartre, L’Existentialisme est un humanisme, 1946, p. 21.

« Toute la dispute entre les deux partis qui divisent l’Europe savante, les théistes et les athées, les chrétiens et les sophistes, se réduit à ce fait, à ce seul fait : là est la preuve de l’existence de Dieu, le motif des devoirs de l’homme, la nécessité des lois et de la société : là est la raison du pouvoir religieux, du pouvoir civil, du pouvoir domestique; …» Bonald, Législ. primitive,t. 1, 1802, p. 58.

« Les immoraux et les athées, ce sont ces hommes, fermés à tous les airs venant d’en haut. L’athée, c’est l’indifférent, c’est l’homme superficiel et léger, celui qui n’a d’autre culte que l’intérêt et la jouissance. » Renan, L’Avenir de la sc., 1890, p. 78.

« … on a même pu dire que la louange la plus haute de Dieu est dans la négation de l’athée qui trouve la création assez parfaite pour se passer d’un créateur. » Proust, Le Côté de Guermantes2, 1921, p. 415.

Le ton des citations utilisées pour illustrer le terme vous aura peut-être surpris. Regardons l’article athéisme : « Doctrine ou attitude fondée sur la négation d’un Dieu personnel et vivant ». On retrouve l’idée de négation. Et à nouveau les extraits de la littérature ne sont pas exactement neutres :

« … on m’a accusé ou loué de panthéisme : j’aimerais autant qu’on m’accusât d’athéisme, cette grande cécité morale de quelques hommes privés, par je ne sais quelle affliction providentielle, du premier sens de l’humanité, du sens qui voit Dieu. » Lamartine, Correspondance, 1836, p. 203.

« Dans toutes les sociétés qui se sont succédé depuis le commencement du monde, il y a eu un athéisme des intelligences supérieures, mais je ne connais pas encore de société ayant subsisté avec l’athéisme des gens d’en bas, des besogneux, des nécessiteux. » E. et J. de Goncourt, Journal, 1882, p. 165.

« M. Proudhon est certainement une intelligence philosophique très distinguée. Mais je ne puis lui pardonner ses airs d’athéisme et d’irréligion. C’est se suicider que d’écrire des phrases comme celle-ci : « L’homme est destiné à vivre sans religion : … » Renan, L’Avenir de la sc., 1890, p. 474.

Pour le Larousse l’agnosticisme est la « Doctrine qui considère que l’absolu est inaccessible à l’esprit humain et qui préconise le refus de toute solution aux problèmes métaphysiques. », ce qui ressemble un peu plus à une bonne définition. Dans le dictionnaire du CNRTL l’agnosticisme est la «Doctrine ou attitude philosophique qui considère l’absolu inaccessible à l’intelligence humaine ». Là encore les extraits de la littérature sont souvent sévères envers cette position. Faut-il croire que la plupart des auteurs en langue française n’ont utilisé ce mot que pour rejeter la pensée qui lui est associée ?

Incroyance

Un paradigme de la croyance.

Insistons sur le traitement réservé à la notion d’athéisme, car il est révélateur de l’histoire de cette notion dans des civilisations où partout règne la croyance dans le surnaturel, et en particulier en l’existence d’entités immatérielles puissantes et gardiennes de la bonne morale. Dans toutes les définitions de l’athéisme qui sont disponibles dans les encyclopédies, il n’est que rarement fait mention au scepticisme, alors que le doute et la raison font partie du parcours de l’athée au moins autant que la foi et l’espérance appartiennent à celui du croyant.

Mais surtout les définitions de l’athéisme partent du principe que le monothéisme actuel est une croyance singulière, intrinsèquement différente des autres types de croyances. Or il n’en est rien, et tous les individus qui se reconnaissent dans le monothéisme font sans le savoir l’expérience de l’athéisme. En effet les chrétiens, juifs et musulmans sont athées vis à vis de Mami Wata, Vishnu, Athéna, Osiris, Marduk ou Izumo tandis que les bouddhistes et les shintoïstes sont athées vis-à-vis d’Allah ou de Yahvé. Dans l’immensité des dizaines de milliers de divinités qui ont été adorées au cours de l’histoire humaine, les monothéistes sont dans une incroyance quasi-totale, et ils ne sont séparés des athées que par un dernier dieu. Beaucoup de monothéistes, sans doute, apprécieraient peu qu’on les appelle athées en se plaçant dans le paradigme du panthéon aztèque. Cela leur paraitrait absurde de recevoir une étiquette qui ne dépend que de la croyance des autres et ne dit rien sur leur vision du monde. Celui qui ne croit pas à l’existence des licornes (espérons que ce soit votre cas), estimerait-il juste d’être définitivement étiqueté alicorniste ou amonokériste ? Or c’est exactement le traitement que l’on réserve dans notre civilisation aux « athées » qui ne doivent cette appellation qu’au fait que le monothéisme est considéré comme l’option de référence à l’aune de laquelle on pense devoir mesurer la position de chacun.

 

Pour bien comprendre le problème avec des termes créés dans le cadre d’un certain paradigme non neutre, faisons un détour vers la psychiatrie. Ces dernières années, on a pris la mesure du problème des étiquettes utilisées pour désigner les personnes atteintes de diverses affections. Dans les publications qui étudient les individus présentant des syndromes du spectre autistique, les sujets sont étudiés en comparaison des caractères des personnes neurotypiques. On a inventé le mot neurotypique afin de ne plus utiliser le terme normal qui contenait implicitement l’idée que les autistes sont anormaux. On a fait cet effort de langage dans le but de s’extraire au moins en partie du paradigme d’une certaine vision de la santé mentale. Et on a jugé cet effort valable parce que les mots sont le matériau avec lequel nous construisons notre compréhension mutuelle du monde.

 

Essayons de mettre un peu d’ordre dans les concepts.

 

Dans la vidéo ci-dessous, Vled de la Tronche en Biais fait le point sur ce que signifie être athée (il y a mille manière d’être athée, pas toutes rationnelles, pas toutes recommandables, pas toutes aimables, mais on s’attache ici au dénominateur commun auquel le terme devrait se borner). On y explique que l’agnosticisme n’est pas une position intermédiaire entre le croyant et l’athée, mais bien une option de nature différente. Là où l’athée et le théiste/déiste ont un jugement ontologique, c’est à dire un avis sur l’existence de Dieu, l’agnostique se place sur le terrain de l’épistémologie, c’est-à-dire de la connaissance, et il juge que l’existence de Dieu est une proposition au statut indécidable, inconnaissable. Enfin l’ignostique juge que la question ne mérite aucune espèce de réponse tant qu’elle n’aura pas été posée correctement, c’est-à-dire en présence d’une définition clair et nette des termes, en particulier du concept Dieu.
La vidéo fait l’impasse sur les apathéistes qui considèrent que la question n’a aucune importance et refusent donc de s’y intéresser, ainsi que sur l’antithéisme qui est une opposition aux prétentions des religions, en particulier à leurs influences sur la société.

Espérons tout de même qu’en 9 minutes, la vidéo vous aidera à éclaircir quelques notions ou bien vous permettra d’aider vos interlocuteurs à mieux comprendre en la partageant autour de vous.

 Une défense environnementaliste en quête de rigueur

Les médias spécialisés dans l’écologie sont désormais sur internet des entités à part entière. De la même manière qu’il y a spécialisation de la critique politique, culturelle ou économique, il y a aussi une critique écologique, qui est d’ailleurs de plus en plus répandue sur la toile. Les commentaires prenant la défense de l’environnement sont également devenus monnaie-courante à la suite d’articles qui parfois n’ont pas grand-chose à voir avec la nature.

Pourtant cette critique écologiste et cette défense environnementaliste sont bien souvent immatures, caricaturales voire parfois totalement mensongères et manipulatrices. Vouloir défendre et préserver l’environnement est évidemment une bonne chose, mais le faire n’importe comment est bien souvent davantage source de discrédit que d’accomplissement de l’objectif recherché. Nous allons ici voir sous différents aspects la manière dont la défense écologique actuelle se tire elle-même une balle dans le pied quand il s’agit de sourcer et d’appuyer ses propos. Pour se faire, nous allons utiliser l’un des sujets les plus récurrents dans ce milieu : Monsanto.

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L’écologie aussi peut manipuler les chiffres

Les constantes et virulentes attaques faites contre Monsanto n’auront certainement échappé à personne. Pourtant, un nombre significatif de ces critiques sont soit erronées, soient totalement mensongères. Il y a quelques mois, une vidéo réalisée par Datagueule a été reprise de nombreuses fois sur les réseaux sociaux, avec plus de 400 000 vues sur sa version Youtube[1]. Elle y présente de nombreux faits sur Monsanto mais la rigueur des informations données est loin d’être toujours présente. Par exemple, la vidéo affirme que 90% des semences transgéniques mondiales sont produites par Monsanto.

Or, ce chiffre est erroné, ou du moins manipulé. Les parts de marché, c’est-à-dire les ventes réalisées par Monsanto au niveau mondial et sur l’ensemble des semences sont de moins de 5%[2]. Mais la vidéo parle de la production des graines, pas de leurs ventes. La vérité est que 90% des graines OGM produites utilisent des technologies mises au point ou appartenant à Monsanto mais ne sont pas forcément produites par cette dernière. Ainsi, dans ce chiffre, une entreprise indépendante produisant des graines qui sont sous licence Monsanto est comptabilisée comme s’il s’agissait de la production de Monsanto. C’est évident un raccourci grossier. Le but ici est de présenter Monsanto comme un empire attiré uniquement par les profits, dominant le monde et les agriculteurs, peu importe que ce soit vrai ou non. Il s’agit de la stratégie habituelle du recours à l’émotionnel plutôt qu’au rationnel.

Traitement d’exception

Plus loin dans la vidéo, il est fait mention du passé de Monsanto qui a participé à la production de l’agent orange, produit utilisé par l’armée américaine et responsable de milliers de malades et de morts. Toutefois, ce Monsanto-là n’existe plus et n’a plus rien à voir avec le Monsanto actuel[3]. La firme a en effet connu de nombreuses restructurations, avec des branches créées tandis que d’autres étaient fermées. En outre, même s’il s’agissait vraiment de la même entreprise, elle n’était pas la seule à produire l’agent orange, alors pourquoi ne critiquer que celle-ci et pas les autres ? Et pourquoi subitement ce détail du passé resurgit alors qu’il n’a rien à voir avec l’impact écologique actuel ? Qu’on prenne en compte le passé des entreprises, pourquoi pas, mais alors pourquoi presque personne ne s’émeut, par exemple, du lien entre IBM et les nazis durant la seconde guerre mondiale ? On touche ici plus à un argument ad hominem qu’à une critique pertinente. Bien d’autres données dans cette vidéo sont en fait des approximations.

Monsanto, un parfait chiffon rouge

La manière de ne choisir que les informations qui vont dans notre sens au moment où cela nous arrange s’appelle en rhétorique du cherry-picking. [Et cela est une forme de biais de confirmation, ndr]. Se focaliser sur des informations partielles et non représentatives de l’ensemble du sujet est une pratique qui est plus généralement utilisée lorsqu’il s’agit de parler des producteurs d’OGM ou de pesticides. Par exemple, il y a plus de mille entreprises différentes à travers le monde qui vendent des graines OGM, mais bien rares seront les personnes capables de citer le nom d’une seule entreprise de ce secteur hormis Monsanto[4].

Dans ce milieu, on retrouve d’autres géants comme DuPont ou Syngenta, ils ne sont que très rarement cités par les défenseurs de l’environnement qui émettent des critiques à l’encontre des OGM ou pesticides. Leur implication dans ce domaine est pourtant particulièrement importante. Cette critique sélective n’est toutefois pas surprenante. S’indigner contre les multinationales agressives est facile, comprendre qui fait quoi, comment et pourquoi requiert à l’inverse un peu plus d’efforts. Monsanto a donc émergé comme chiffon rouge sur lequel on crache à tout va, tout le temps et finalement sans savoir pourquoi. Monsanto est-elle une entreprise pire que les autres ? Non.

Lutte écologique contre-productive

Il ne s’agit pas de défendre cette entreprise, il s’agit au contraire de faire prendre conscience qu’en se focalisant toujours sur le même ennemi à abattre, généralement avec des critiques infondées ou mal interprétées, on finit par avoir une action contre-productive. Pendant que tout le monde a les yeux rivés sur Monsanto, personne ne s’intéresse aux autres entreprises de ce secteur, aux vraies données ni aux études de fond.

Ce n’est pas en caricaturant ce qu’on combat qu’on parvient à le vaincre. Faire passer Monsanto pour un horrible monstre sanguinaire qui va jusqu’à endetter les paysans n’est pas pertinent ni utile. Ainsi, le mythe selon lequel il y aurait eu une vague de suicides chez les paysans indiens à cause des produits de Monsanto est largement contraire aux faits[5]. L’important taux de suicides parmi cette tranche de la population existait déjà bien avant l’introduction du coton OGM vendu par Monsanto. La vérité est toute autre puisque le coton transgénique a permis d’augmenter les rendements et le niveau de vie des paysans indiens[6] [7] [8] [9].

GMHero

 

Le cas du Dr. Moore

Récemment est apparue une actualité, reprise sans critiques sur les réseaux sociaux : le pesticide le plus utilisé au monde et produit par Monsanto est cancérogène. Comme toujours, on a assisté à une transformation de l’indication d’origine, qui était au conditionnel et très réservée, pour obtenir une affirmation absolue et sans retenue. En vérité, l’agence du cancer de l’Organisation Mondiale de la Santé a indiqué qu’il était possible que ce pesticide soit cancérogène mais que leur indication ne se basait que sur des données limitées. Pour une certaine presse par contre, pas besoin de pincettes, seul le mot cancérogène sera retenu.

Le dernier cas en date de cet « anti-Monsanto » à tout prix est aussi ridicule que désespérant. On retrouve lors d’une interview le Dr. Patrick Moore, présenté comme lobbyiste pour Monsanto, qui indique que boire du glyphosate n’est pas dangereux pour la santé. Le journaliste qui l’interview lui propose alors un verre de ce produit, amenant à une rétractation de Moore. Il était assez stupide de la part de Moore d’affirmer que boire un tel produit n’est pas dangereux, une telle affirmation est en effet tout à fait fausse. Le glyphosate est réellement dangereux s’il est ingéré [10]. Mais pour tous, cette vidéo est une preuve de l’hypocrisie de Monsanto qui voudrait faire ingérer aux autres ce qu’elle ne veut pas boire elle-même. Bien que Moore puisse être défini comme un lobbyiste, il n’est pas et n’a jamais été employé par Monsanto.[11] Ce que dit Moore n’engage donc aucunement Monsanto. On se sert de ses propos pour attaquer indirectement l’entreprise américaine avec une forme de déshonneur par association.

La manière dont cette vidéo a été reprise et diffusée est regrettable. Il est parfaitement évident que Moore a tenu ses propos pour souligner explicitement que le glyphosate n’est pas dangereux dans son usage, il ne s’attend évidemment pas à ce qu’on puisse vraiment en boire. Bien que ce ne soit pas très malin de faire au journaliste une telle proposition, prendre au pied de la lettre qu’on peut boire un tel produit n’est pas beaucoup plus pertinent. Encore une fois, il n’est pas question ici de dédouaner Moore mais de recalibrer les critiques qui lui ont été faites et qui sont souvent hors propos ou infondée.

Éviter les raisonnements simplificateurs

En outre, cette preuve de la malveillance de Monsanto n’en est même pas une. Si on demandait à un producteur bio de manger son compost biologique, est-ce qu’on serait outré s’il refusait ? Bien sûr que non. Pourtant quelques restes de légumes compostés ne vont pas vous tuer. Quelle est la différence ici ? La vidéo n’a pas été diffusée parce qu’elle est une preuve d’un quelconque danger du produit incriminé, elle a été diffusée simplement parce qu’il s’agit de Monsanto.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’absence d’esprit critique véritable ou d’approches pertinentes dans le milieu écologiste. De l’éternel dualisme naturel = bon / chimique = mauvais[12] en passant par les thérapies naturelles et alternatives forcément meilleures que la médecine conventionnelle jusqu’aux approches pseudo-scientifiques en ce qui concerne la nutrition, la défense de l’environnement est littéralement plombée par de multiples non-sens, d’approches dénuées de la moindre critique voire de promotions de pratiques dangereuses et parfois sectaires. Il est en outre bien trop facile de se considérer comme écologiste simplement en critiquant Monsanto sur internet tout en conservant intact son mode de vie qui, lui, offense très certainement au quotidien l’environnement.

monsanto

Pour une défense raisonnée de l’environnement

Arrêtons de tirer à tout va sur tout ce qui nous semble en surface critiquable, cherchons à critiquer ce qui peut et doit vraiment l’être et essayons de remettre en question ce que l’on considère comme acquis. Sans cela, la critique environnementaliste restera cantonnée à une simple chasse aux sorcières superficielle qui aura davantage pour but de divertir ceux qui s’y adonnent que de véritablement parvenir à préserver l’environnement. Commençons par nous en remettre aux vraies recherches scientifiques dans ce domaine plutôt qu’à des articles sensationnalistes, privilégions les alternatives concrètes plutôt que les buzz éphémères. Mais surtout, continuons de vérifier les sources, les données et les arguments, de manière la plus neutre possible, sans nous laisser aller à l’émotionnel ou à l’idéologie. Seule une approche véritablement argumentée et réfléchie permettra d’avoir la crédibilité suffisante pour défendre efficacement l’environnement face aux comportements qui lui sont néfastes. Cette défense rigoureuse existe, par exemple chez les végétariens (et autres végan), où certains individus utilisent des données solides et scientifiques pour défendre la cause animale ou le végétarisme tout en s’efforçant de limiter les arguments peu rigoureux ou jouant trop sur l’émotionnel. Il serait appréciable que cette approche se généralise.

Par Frédéric Drago.

NDR : Cet article nous a été soumis spontanément par son auteur pour participer à la critique des rhétorique employées par certaines personnes dont nous partageons les valeurs et les objectifs, mais pas les méthodes de communication.


Références

[1]https://www.youtube.com/watch?v=8gJn4EhlsY0

[2]https://gmoanswers.com/ask/what-participation%C2%B4s-percentage-monsanto-american-seed%C2%B4s-general-market-and-gm-seeds-and-world

[3]http://www.quora.com/Is-Monsanto-evil/answer/Franklin-Veaux?srid=y5k&share=1

[4]https://gmoanswers.com/ask/what-participation%C2%B4s-percentage-monsanto-american-seed%C2%B4s-general-market-and-gm-seeds-and-world

[5] http://en.wikipedia.org/wiki/Farmers%27_suicides_in_India#/media/File:Bt_Cotton_Hectares_and_Farmer_Suicides_Time_Trend_India.png

[6]http://articles.latimes.com/2013/jun/06/science/la-sci-sn-gmo-cotton-better-diet-indian-farmers-20130606

[7]http://www.ids.ac.uk/files/Briefing9.pdf

[8]http://www2.warwick.ac.uk/newsandevents/pressreleases/gm_crop_produces

[9]http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00220380903002954#.UlB8FhA7enk

[10]http://www.forbes.com/sites/matthewherper/2015/03/27/no-its-not-safe-to-drink-weed-killer-on-camera-but-who-cares/

[11]http://www.newsweek.com/patrick-moore-scientist-who-offered-and-then-refused-drink-glyphosate-weed-317289

[12]https://www.youtube.com/watch?v=bHc-xz1yNUs

Le discours le plus important de votre vie… Vraiment ?

Gary Yourofksy est un activiste des droits des animaux qui bénéficie d’une large audience. Associé à PeTA durant quelques années, il dit avoir présenté des conférences à plus de 60.000 lycéens et étudiants américains. Mais surtout, l’une de ces conférences a fait l’objet d’une vidéo sur YouTube visionnée des millions de fois. Elle est souvent citée comme l’exemple du discours le plus inspirant, le plus utile pour la cause animale. Cet article propose de montrer qu’il s’agit au contraire d’une parole contre-productive et délétère pour la cause animale.

Avertissement : Cet article est clairement à charge contre la conférence de G. Yourofsky. Cela ne signifie pas que nous jugeons la personne, et surtout pas ses idéaux. L’objet ici est de critiquer la méthode et de dénicher les mensonges et sophismes que certains s’estiment autorisés à proférer au nom de leur cause. Il faudra donc que le lecteur, s’il est investi dans ce genre de combat, sache faire preuve de distance et d’autocritique par rapport à ce qui sera dit dans ces lignes. C’est en cultivant l’autocritique que l’on s’améliore et que l’on devient convaincant.

 

 Après des centaines de conférence à travers le monde, le propos de M. Yourofsky est rodé, et avec plus de 3 millions de vues, cette vidéo fait référence, elle est donc par définition sa pièce de rhétorique la plus aboutie et la plus diffusée, et donc celle sur laquelle doit porter une analyse critique des propos de M. Yourofsky qui, du reste, n’a jamais exprimé depuis le moindre erratum ou addendum : sa pensée est là, exprimée au mieux de ses capacités.

Nous allons analyser ses propos dans l’ordre où il les présente dans cette vidéo.

 Les victimes

Gary Yourofsky ouvre le discours en posant ce qu’il appelle une question rhétorique aux étudiants : « L’esclavage, la possession, (les victimes ?) le profit, la domination sont-ils exclusifs à la race humaine ? » (3’45 »)

C’est une question bizarrement tournée, et nous allons voir que par conséquent la réponse que l’on peut y apporter n’est pas même envisagée par l’orateur. Répondons : L’esclavage est très commun chez les fourmis. L’exploitation du ‘travail’ d’un autre organisme est la règle dans tout le vivant, c’est ce en quoi excellent les parasites. Et à l’intérieur d’une même espèce on assiste à une véritable lutte entre les sexes pour savoir qui va exploiter le plus l’autre pour l’obliger à disséminer ses propres gènes (Voir le livre de Thierry Lodé : La guerre des sexes chez les animaux). La notion de possession est évidente chez les animaux territoriaux, et chez les mammifères cela s’accompagne souvent d’une domination d’un mâle sur un harem de femelles. Le profit est une notion omniprésente en écologie où toute vie est résumable à un système qui tire profit de son environnement pour se répliquer. En bref, la réponse à cette question est un retentissant non. Mais ce n’était pas vraiment l’angle de la question de M. Yourofsky, car il embraye immédiatement sur une deuxième « Les noirs, les juifs, les femmes et les enfants ont-ils été les seules victimes de ces atrocités ? » en oubliant délibérément ou par ignorance que les perpétrateurs de ces actes immoraux ne sont pas nécessairement humains.

 

Voilà comment il escamote complètement la réponse que l’on pouvait fournir et qui montrait que l’Homme n’a rien d’exceptionnel dans ses comportements en comparaison aux autres animaux. L’homme est un animal comme beaucoup d’autres, et ses qualités comme ses défauts se retrouvent chez d’autres espèces. Espérons que cette vérité toute simple que la science n’a su imposer qu’au terme d’une longue lutte contre les idéologies exceptionnalistes ne sera pas niée dans cette conférence.

 

« Les animaux sont réduits en esclavage. Les océans, les forêts elles-mêmes sont les victimes de la possession.»

On pourra se permettre de noter une confusion dans les termes. Les victimes ne sont pas les forêts et les océans, mais bien les animaux qui les habitent. Quant au terme « esclavage », son usage dans l’histoire est réservé aux êtres humains, et il ne va pas de soi qu’on puisse l’employer dans le sens que G. Yourofsky veut lui donner.

Sans transition G.Y. évoque les abattoirs, et demande si un « abattage d’êtres humains » est envisageable, mais l’expression anglophone peut également vouloir dire « abattage humain », c’est-à-dire qui fait preuve d’humanité. Puis il parle d’abattage « humanitaire » pour montrer la contradiction des termes. Selon M. Yourofksy dans les abattoirs les animaux subissent des abus psychologiques, physiques, la torture, le démembrement et le meurtre (au passage je m’étonne de l’ordre dans lequel il place les choses, car le démembrement intervient après la mort dans tous les abattoirs qui respectent la législation). Selon lui ces actes n’ont rien « d’humain », a fortiori d’humanitaire. À ce stade, on se demande s’il fait semblant de croire que quiconque puisse penser que tuer des animaux est un acte de gentillesse.

On en arrive à la définition de l’holocauste. « Est-ce le massacre d’être humains ou tout simplement le massacre d’être vivants innocents ? », puis aux chiffres : 10 milliards d’animaux terrestres et 18 milliards d’animaux marins sont tués chaque année aux USA

« Pas pour la santé, la survie, la subsistance ou l’auto-défense », précise-t-il, mais uniquement pour 4 raisons qu’il a identifiées : « habitude, tradition, commodité et goût ». Et sur ce point, on peut admettre qu’il ait raison. Et c’est heureux, car la cause animale est en effet défendable avec de vrais arguments comme celui-ci !

Yourofsky01

L’activisme

Yourofsky présente alors ce qu’est le végétalisme, et rassure son auditoire : il a vécu 25 ans sans être végétarien, il a possédé un manteau de fourrure (!), aussi comprend-il très bien leur mode de vie. Il déclare ensuite n’avoir aucune appartenance politique et se définit comme un activiste et rappelle ses arrestations et son interdiction de séjour dans 5 pays en raison de ses « actes de bonté et de compassion envers ses « frères et sœurs animaux ». Un bon défenseur de la cause n’aurait pas besoin d’adopter la posture de l’activiste malmené par les puissants de ce monde, il lui suffirait de démontrer pourquoi le choix de vie végé (au sens large) est bénéfique pour les animaux, les individus et la société humaine. C’est le contenu du propos qui devrait compter, pas l’aura du conférencier

« Les animaux ne nous appartiennent pas. » Parce qu’ils peuvent « penser et ressentir ». La vision cartésienne de l’animal machine est « 100% insane ».

Tout cela sonne parfaitement juste, et il n’est pas question de le contredire, mais deux phrases plus loin, les animaux sont devenus « rationnels et conscients d’eux-mêmes », ce qui est bien plus problématique, car ces attributs ne concernent certainement pas le lombric ou la palourde. C’est problématique parce que cette question fondamentale de la frontière entre les animaux « conscients » et les autres, question explorée par les neurosciences, n’est jamais assumée par l’orateur. Très vite, son discours s’oriente vers la « propagande des mangeurs de viande » pour une critique du matraquage publicitaire et des médicaments contre le cancer ou le surpoids, et il conclut : « On vous a dupés. Ils sont en train de vous tuer. »

 

Encore une fois on peut avoir envie de lui donner raison sur ce point, même si l’intention de tuer les consommateurs n’est probablement pas ce qui motive les annonceurs publicitaires. Mais cela n’empêche pas de se souvenir qu’il a parlé d’animaux « rationnels et conscients d’eux-mêmes » sans nous démontrer pourquoi cette vision des choses serait juste, parce qu’aligner des généralités ne saurait suffire. Il ne s’est pas passé 10 minutes, et déjà la conférence ressemble a de la propagande qui ne pose des questions que pour asséner des réponses sans les démontrer puis passer au sujet suivant avec le maximum d’emphase et d’appel aux émotions. Nous voici prévenus, il faudra être prudent en regardant la suite.

 

« Je veux reconnecter les gens aux animaux (…) réveiller des émotions, des sentiments et de la logique qui ont été supprimés intentionnellement par notre société. » (11 minutes)

 

La preuve par l’enfant.

Gary Yourofsky rappelle que les enfants aiment les animaux, qu’ils ne supportent pas le mal qui leur est fait, que nous avons tous étés l’ami des animaux quand nous étions petits. Cette vision idyllique est assez caricaturale pour qu’il ne soit pas utile de la commenter longtemps. Disons seulement que les enfants ne voient pas le monde comme les adultes, mais que les enfants aient une vision du monde plus juste, plus proche de la réalité, n’a à ce jour jamais été démontré en dehors de quelques programmes Disney. Les agressions physiques sont bien plus nombreuses entre enfants dans une cour d’école qu’entre adultes dans la rue, au bureau, à l’usine… La société n’a donc pas tendance à nous rendre plus violents, mais sans doute au contraire à effacer l’agressivité qui caractérise les primates que nous sommes. (source sur l’agressivité durant l’enfance)

Outre que cette comparaison s’avère donc fondamentalement fausse, il s’agit d’un appel aux bons sentiments plus qu’à la réflexion. Ce type d’argument est efficace pour convertir à peu de frais des gens à une idéologie, mais ce n’est jamais le moyen de prouver que l’on a raison à une audience dont on respecte le sens critique.

Pour développer sa thèse, G.Y. explique que nous avons tous appris à mépriser les animaux, à nous moquer d’eux, de leur souffrance. « La haine est un comportement appris. Racisme, sexisme, hétéro-sexisme, antisémitisme, misogynie sont des comportements appris. »… et la preuve en serait que des enfants de 2 ans qui jouent dans la cour ne se comportent pas ainsi. L’argument est fallacieux. Sans nier la très forte influence de la société, tous nos comportements d’adultes ne sont pas nécessairement appris. Les adultes ont une sexualité, les enfants de 2 ans n’en ont pas, et pourtant il s’agit bien d’un comportement « naturel », et il s’accompagne de tout un cortège de comportements codifiés qui ont leur racine dans le monde naturel, dans la famille des primates où la violence n’est pas rare. L’amour du prochain n’est pas un instinct largement répandu chez les animaux adultes, contrairement à ce que le conférencier insinue lourdement. Cet appel à la nature engluera tout le reste de son intervention.

 

Le spécisme

À 13 minutes, on nous livre la définition du spécisme. « Point de vue immoral et sans scrupule que l’espèce humaine a tous les droits d’exploiter, asservir et tuer une autre espèce. » Tout cela parce que nous croyons que notre espèce est très spéciale, dit-il. Très bien ! C’est une excellente chose de le voir admettre le biais général que nous avons de considérer notre espèce comme spéciale, différente, séparée des autres. Yourofksy établit correctement que le sentiment d’être spécial, d’appartenir à un groupe supérieur, est le point de départ de toutes les discriminations. Et il décrète que toutes les formes de discriminations sont mauvaises par nature, qu’on ne peut pas les échelonner.

Ensuite, il appelle à l’empathie, demande aux étudiants d’adopter le point de vue de l’animal (de la «victime»). Car raisonner sans se mettre à la place de la victime permet, dit-il, beaucoup plus de rationaliser et d’excuser la cruauté, ce qui est vrai. Mais alors s’ensuit la projection de 4 minutes d’images vidéo d’une atrocité totale durant laquelle il insiste pour que personne ne détourne le regard « parce que si vous avez choisi de manger de la viande, des œufs et du lait, la moindre des choses et que vous voyez la souffrance que vous causez.». Yourofsky avait-il besoin de nous demander d’être empathique pour amplifier encore l’effet de ces images ?

Insistons sur le fait que les images sont réelles, et que les équipes qui vont les tourner font un travail bénéfique. Nous devons savoir ce qui se passe dans les abattoirs et nous devons refuser les comportements et les pratiques révoltantes que montrent ces images brutales. Mais la dénonciation des crimes de certains n’est pas un argument suffisant pour dénoncer un système de manière rationnelle. Le propos de Yourofsky tourne en rond.

La morale à toutes les sauces

Yourofsky estime que l’industrie procède à un lavage de cerveau pour que nous ne nous intéressions pas à la manière donc la viande est obtenue, et il a certainement raison. Mais c’est là que revient la comparaison avec le génocide juif.

« Il y a sur les routes américaines en ce moment 5000 camions de camp de concentration (…) où se trouvent des victimes innocentes et terrifiées. » Comme les animaux stressés refusent souvent de sortir du camion, Yourofsky affirme « ils savent ce qui les attend », une idée qui n’est pas l’avis de la science, la conscience de la mort n’étant vraisemblablement pas partagée par tous les animaux, même parmi les mammifères.

Une fois cette horreur bien exposée, Yourofsky passe au jugement moral des « mangeurs de viande » rendu inévitable par les 22 minutes précédentes. « Ils se promènent » comme si c’était « naturel de consommer la violence et la mort »… Cette rhétorique mériterait d’être explicitée parce que jusqu’à preuve du contraire les humains ont toujours mangé de la viande, et par définition la viande s’obtient par la mort souvent violente d’un animal… et que l’on juge cela bien ou mal, ne permet pas de décider que cela ne soit pas naturel. On est là au cœur de l’un des malentendus les plus profondément enfouis en nous, la confusion naturel = bien.

Aussitôt Yourofsky repasse au mode empathique en plaçant l’auditeur dans la position du jeune animal à peine né dont la mort est déjà programmée, sans que nous ayons eu droit à une démonstration sur l’aspect non naturel dont il parlait juste avant. Lorsqu’il dit que les animaux n’ont rien fait pour mériter la cruauté que l’homme leur inflige, on peut légitimement se demander si quiconque a jamais prétendu que les animaux étaient coupables de quoi que ce soit. Ce qu’il dit est donc factuellement vrai mais aussi trivial et dialectiquement impertinent : nous n’avons pas besoin que Yourofsky réponde à des accusations que personne ne porte. Après tout ce temps, nous n’avons pas quitté le registre du jugement moral et de la culpabilisation.

 « En quittant la salle, vous pouvez participer à l’arrêt d’un massacre au lieu de contribuer à tous les massacres et tous les problèmes de cette planète » … Ici, clairement, pour Yourofsky tous les problèmes de la planète se résument à la cause animale. Deux minutes plus tard le clou est enfoncée car la violence faite aux animaux est « La pire forme de cruauté et de violence de la planète ».

Pour la troisième fois, G.Y. dit qu’il n’est pas un politicien, qu’il est honnête, sincère, qu’il n’a rien à vendre. Quelle curieuse déclaration. Celui qui cherche à changer la vie de ses concitoyens ne fait-il pas de politique ? Mais bien sur que si, au sens propre, au sens de prendre part à la vie commune, aux décisions sur les règles qui nous gouvernent. Deux phrases plus loin il enjoint les auditeurs à faire leur révolution personnelle, à agir, à changer leurs habitudes… à changer le monde. La stratégie de communication employée est loin de la franchise et du sérieux que réclame les problèmes réels de la cause animale.

 

Au bout de 26 minutes, G.Y. milite pour la limitation de la souffrance sur la planète. Ici, clairement les mots sont dits, c’est le cœur de son sujet : agir en cohésion avec le principe moral de maximiser le bien être et de minimiser la souffrance. La notion n’est pas très compliquée, et Yourofsky a jusqu’ici insisté si lourdement sur le mal, la cruauté, l’inhumanité de l’homme vis-à-vis des animaux que personne ne peut passer à côté de ce point essentiel.

Mais alors que l’on s’attend à un développement, à ce qu’on passe aux solutions à proposer face à ce constat, aux données de la science sur les stratégies à mettre en place pour limiter la souffrance animale, pour communiquer efficacement, pour rendre le message audible à la population générale mal informée et peu désireuse de le faire… nous assistons à un acharnement. Yourosfsky piétine sur place et répète les atrocités commises par l’homme et ajoute qu’une fois l’animal mort, c’est commettre encore une atrocité que de le manger. Ce n’est pas vrai du point de vue utilitariste/conséquentialiste de la morale qu’il défendait un peu plus tôt : une fois l’animal mort, s’en nourrir ne peut pas être mal de ce point de vue, car cela ne peut pas entrainer de souffrance. Mais l’orateur continue sur sa lancée : « on parle de verser du vinaigre dans la plaie d’autrui » dit-il pour évoquer le régime omnivore.

Cette phrase a-t-elle un intérêt pour la cause ? Va-t-elle emporter l’adhésion des mangeurs de viande qui se demandent si Yourofsky pourrait avoir raison ? Ou bien est-elle si caricaturale et hors sujet qu’elle risque de susciter le doute sur la santé mentale de celui qui la prononce, jetant le discrédit sur l’ensemble de son intervention ? Après quelques centaines de conférences, c’est une question que M. Yourofsky aurait dû se poser.

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  L’écueil du déni de la science

C’est à partir de maintenant que les choses deviennent embarrassantes. (27 minutes)

« Êtes vous conscients que, physiologiquement, le corps humain est 100% herbivore ? »

« la longueur de notre intestin est 7-13 fois celle de notre tronc. », ce qui pour M. Yourofsky correspond à la longueur des intestins de tous les herbivores sur Terre. Chez les carnivores, l’intestin n’est « que 3 à 6 fois la longueur du tronc » ce qui leur permet d’avoir un transit plus rapide « pour se débarrasser des protéines animales, cholestérol, graisses saturés, acides trans-graisseux…» Il dresse une comparaison, entre l’homme et les carnivores pour montrer à quel point ils sont dissemblables : « Les carnivores ne transpirent pas », ils halètent pour se rafraichir, nous dit-il. Les carnivores et les omnivores ont des griffes, et pas les herbivores qui ont des ongles ou des sabots. Il ajoute que les enzymes salivaires que nous possédons ne sont présentes que chez les herbivores.

 Tout cela est simpliste, caricatural et trompeur. Yourofsky agit comme si les animaux devaient nécessairement appartenir à deux catégories : carnivore OU herbivores, quand en réalité les animaux évoluent bien souvent par leur capacité à se nourrir de ce dont ils disposent, quoi que ce soit : fruits, insectes, racines, poisson, chair, sang, charognes… Les espèces animales changent de régime alimentaire au cours du temps en fonction de leur environnement.

 

La vérité est que tous les mammifères transpirent (tous à des degrés divers), c’est même très certainement à partir de cette fonction du corps qu’a évolué la mamelle qui donne son nom à ce grand groupe d’animaux. La vérité est que la denture seule donne une information pertinente sur le régime alimentaire d’une espèce. Les griffes ne sont pas l’apanage des carnivores et des omnivores. Les oiseaux ont des griffes, alors que certains mangent des graines, les rongeurs ont également des griffes. Si leur présence ne signifie pas carnivorie, pourquoi leur absence signifierait-elle herbivorie ? Aucun requin n’a de griffe, par exemple.

Les grands singes, comme l’homme ont des griffes transformées en ongle, parce que la fonction de préhension de la main a supplanté la fonction d’arme de la griffe, ce qui ne dit rien sur le régime alimentaire, car celui-ci est lié avant tout à la denture. On sait que les grands singes qui nous sont le plus étroitement apparentés ont un régime principalement herbivore, mais épisodiquement carnivore et volontiers insectivore. La viande tient une place minime dans leur régime, mais la nier serait mentir, et avoir un menteur pour porte parole serait toxique à n’importe quelle cause juste.

 

 Pourquoi ces mensonges ?

 On ne peut pas imaginer que Gary Yourofsky n’ait jamais été confronté aux informations lui permettant de corriger son discours. C’est un homme public qui milite depuis des années et qui s’est exprimé dans des centaines d’amphithéâtres. Cela signifie qu’il déforme délibérément la réalité et que nous sommes en présence d’un discours idéologique qui met l’objectif au-dessus de toute autre considération. La fin justifie les moyens, et dans cette optique, on s’attend à ce que beaucoup des suiveurs de Yourofsky n’aient aucun mal à considérer que ces petits arrangements avec la réalité ne représentent rien, ne posent aucun problème, sont insignifiants en regard de la cause défendue. C’est une manière de penser qui est à la source de tous les fanatismes, de tous les dogmatismes et de tous les terrorismes. Je ne pense pas que les défenseurs des droits des animaux aient envie ni intérêt à poser un orteil sur ce chemin-là.

 

La preuve par l’absurde ?

 Le défit de l’écureuil arrive à la 29ème minute, et nous flirtons à nouveau avec les sommets de la stupidité. Yourofsky demande aux étudiants d’aller attraper un écureuil sur le campus avec leur bouche. Sans outil, ni cage, sans artifice de « faux carnivore »; puis de le manger en entier « yeux, nez, figure, doigts de pied, queue, anus, le sang et la fourrure et tous les organes. (…) vous ne pouvez pas choisir quelle partie du corps vous pouvez manger. »

Pourquoi diable ce brillant orateur de la cause animale propose-t-il une chose aussi absurde ? Qui a jamais prétendu qu’un prédateur avait l’obligation légale de toujours consommer la proie en entier, qu’ils n’avaient pas le « droit » de choisir des portions plus alléchantes que d’autres ? Le défi de l’écureuil est tristement absurde. Yourofsky feint d’ignorer (ou ignore réellement auquel cas il devrait s’instruire) ce que les anthropologues savent de l’évolution humaine, à savoir que nos ancêtres sont devenu à une époque reculée de redoutables chasseurs. Très endurants, habiles et capables de se coordonner pour attaquer, ils utilisaient des outils, ce qui ne faisait pas d’eux des « faux-carnivores » en vertu d’une règle édictée par M. Yourofsky, mais des chasseurs plus efficaces.

Parmi les espèces du buisson évolutif de la lignée humaine, certaines avaient un régime purement herbivore. C’est le cas de Paranthropus boise, qui date d’il y a plus d’un million d’années. Ces espèces-là se sont éteintes, et ce sont celles qui consommaient de la viande qui ont survécu et qui sont à l’origine de notre existence. Ces faits là ne justifient pas que nous tuions des animaux pour nous en nourrir, ils rappellent simplement que les arguments développés pendant trente minutes par Yourofsky sont fallacieux, mensongers, nocifs, qu’ils vont forcément nuire au message végé auprès d’un public qui n’est pas ignorant de ces domaines.

 

Le cas de l’Homo sapiens

 Homo sapiens est très doué pour l’adaptation, et cela est valable pour son régime alimentaire. Son régime a varié au fil des âges, et personne ne nie que quelque part dans notre arbre généalogique nous avons des herbivores strictes, nous en portons les marques : mâchoire, muscles faciaux plus adaptés à la nourriture végétale, absence de croc. Homo sapiens n’a pas le profil du pur carnivore, c’est une évidence. Convenons que la famille des grands singes est composée, essentiellement, d’herbivores et d’omnivores. Là n’est pas la question, puisque les espèces évoluent. Quand le régime alimentaire de nos ancêtres a commencé à contenir plus de viande, la taille du cerveau a augmenté, les deux évènements sont allés de paire qu’il y ait causalité ou non, ce qui fait que, historiquement, nous sommes devenus qui nous sommes en partie grâce à ce régime carné. Tels sont les faits. Le régime omnivore (ou encore végétarien ‘flexitarien’) est donc le plus adapté à notre physiologie : avoir une alimentation la plus variée possible est le seul moyen de garantir notre équilibre diététique. Et en plus, ce n’est pas une grande nouvelle, on le sait bien. Mais surtout : Et alors ?

Que notre organisme soit basiquement omnivore et pas herbivore ne rend pas plus supportable la souffrance animale, et surtout le nier ne rend pas Gary Yourofsky plus convaincant ; cela le rend suspect de mentir sur tous les autres points de son discours. Et cela devrait alarmer tous les activistes de la cause animale.

Le corps humain n’est pas fait pour manger telle ou telle chose. Utiliser des tournures de phrase téléologiques (qui supposent un objectif aux caractères que possèdent les espèces) c’est faire un profond contresens quant à ce que dit la théorie de l’évolution. Aucun discours rationnel ne devrait contenir de phrase de ce genre. Et aucune parole publique ne devrait négliger de faire l’effort d’être rationnelle.

 

 rabbit childLe défi de la pomme et du lapin.

 Exactement dans le même ordre d’idée que le défi de l’écureuil,et en revenant sur sa preuve par l’enfant mentionnée plus tôt, G.Y. met au défi son auditoire de faire la chose suivante : « Si vous pensez réellement que l’humain est censé manger de la viande, alors je vous lance un défi. Placez un bébé dans une cage avec un lapin et avec une pomme, et dites moi lequel il va manger et avec lequel il va jouer. Si le bébé mange le lapin et joue avec la pomme, alors vous avez gagné. »

Que veut dire être censé de faire quelque chose pour un animal ? Rien. Ce genre de tournure de phrase commet l’erreur de projeter un but sur l’animal. Les oiseaux n’existent pas pour voler et fienter sur nos pare-brise. Les baleines n’existent pas pour manger des crevettes. Et les bébé humains n’expriment manifestement qu’une gamme restreinte de ce qu’un adulte de son espèce est capable de faire dans la nature. Il s’agit encore une fois d’un appel aux émotions, et en aucun cas d’un argument rationnel se basant sur des connaissances solides sur le régime alimentaire « naturel » de l’espèce humaine. Il s’agit d’un vulgaire artifice de rhéteur sans lien avec les vraies raisons pour lesquelles on peut choisir de devenir végé.

 

Que nous dit notre instinct ?

« Notre espèce à zéro instinct carnivore » (31 min), il est vrai que les enfants ont spontanément un attrait vers les fruits, les sucreries, les bonbons… On pourrait y voir un argument au végétarisme, sauf que ces mêmes enfants n’ont aucun attrait pour les légumes verts ; bien souvent les enfants mangeront leur viande sans touche aux légumes. Peut-on vraiment en tirer une leçon sur la présence ou non d’instinct carnivores ? Là encore, le plus sage est de se tourner vers l’histoire et la biologie qui nous montrent que les peuples végétariens, s’ils existent, sont rarissimes et que les traces des hommes préhistoriques que l’on retrouve prouvent qu’ils consommaient des animaux. À partir de là, il n’est pas utile d’épiloguer sur l’existence ou non d’un « instinct carnivore » : nos enfants mettent tout ce qu’ils trouvent dans leur bouche.

 

Le spectre de la maladie

« D’où pensez vous que la plupart de nos maladies actuelles proviennent ? Du broccoli ? des myrtilles ? du Choux ? des framboises ? des épinards ? des avocats ?»

Et la bactérie E. coli ou la salmonelle, parfois responsables d’intoxication, d’où viennent-elles ? demande Yourofsky. « De la merde ! La merde humaine ou animale. » Or Les brocolis ne chient pas ! CQFD

Quels sont les faits ? La salmonelle, il est vrai, est un pathogène qui se transmet d’un animal à un autre, ou via une eau contaminée par un animal. E. coli a pour habitat le tractus digestif, les intestins. C’est une bactérie très commune, nous en avons tous en nous, elle représente 80% de notre flore intestinale. Notre corps compte plus de bactéries que de cellules humaines ! Bien évidemment la quasi-totalité des souches sont parfaitement bénignes.

Gary Yourofsky brandit salmonelle et E.coli pour faire peur, mais on pourrait tout autant évoquer les toxines végétales. La quasi-totalité des molécules actives dans les médicaments sont tirées des plantes ; pas parce que les plantes sont gentilles et veulent nous soigner, mais parce qu’elles synthétisent des composés qui repoussent ou qui tuent les animaux qui les menacent ou les consomment. Le règne végétal est celui des empoisonneurs. Et pensez aux champignons avec lesquels il est si facile de s’intoxiquer. En prenant ces exemples on pourrait employer le même ton que Yourofsky et affirmer que la viande ne contient jamais de toxines mortelles, contrairement aux plantes, et que par conséquent il est absurde de consommer autre chose que de la viande. Si cela vous parait inepte dans ce sens là, en réalité cela ne l’est pas beaucoup moins dans l’autre sens.

 

Ce qui vient après la minute 35 sur la diététique, l’origine du cholestérol, etc. est peut-être vrai. Je n’ai pas réalisé les recherches nécessaires pour vérifier les dires de M. Yourofsky. Le problème est, bien sûr,  que les 35 minutes précédentes m’ont appris qu’il est malheureusement nécessaire de douter sérieusement des dires de cet homme. Il a plusieurs fois perdu le droit de bénéficier du bénéfice du doute. C’est la rançon de la méthode choisie qui ne s’embarrasse pas de la vérité : nous n’avons plus de raison de le croire.

 

« La protéine animale est trop acide pour le corps humain »… Il n’y a pas « une » protéine animale, et on retrouve un certain nombre d’entre elles dans tous les types d’organismes. La phrase n’a donc pas beaucoup de sens. Essayons tout de même de comprendre ce que cela peut bien vouloir dire.

Il est vrai que de la viande consommée en grande quantité peut devenir toxique, car leur métabolisation par notre corps produit notamment de l’acide urique. Donc il ne faut pas en consommer de grandes quantités. Les diététiciens s’accordent à dire que 50% des protéines devraient provenir des plantes et 50% des animaux.

Pour Yourofsky les protéines animales seraient la principale raison pour laquelle  «1/3 des mangeurs de viande souffrent du cancer. »… sauf qu’on ignore d’où sort ce chiffre. Est-il imaginaire ? A-t-il pour unique but d’illustrer le propos ? Est-ce important qu’il soit vrai ou faux ?

Gary Yourofsky poursuit en disant que les populations qui mangent le plus de viande souffrent plus d’ostéoporose et de cancer. Oui. Mais dire cela, c’est se livrer à une malhonnête confusion des variables. Oui, les sociétés où l’on consomme le plus de viande souffrent de plus d’ostéoporose. C’est aussi le cas de celles où l’on écoute le plus de musique classique. Pourquoi ? Parce que ces sociétés sont celles qui présentent une plus longue espérance de vie et l’ostéoporose est une maladie qui se déclare chez les personnes âgées. Un grand nombre de cancer également. Mais s’il n’y a pas de lien de causalité entre l’écoute de Beethoven et le cancer, il n’y a pas de raison a priori pour qu’il y en ait entre la consommation de produits animaux et l’ostéoporose. [Edit : les japonais vivent un peu plus vieux que nous, et souffrent moins d’ostéoporose. Ils mangent moins de viande mais plus de poisson. Cet effet n’est donc pas lié à un régime végétalien.]

 

Après avoir proféré ce sophisme, Yourofski propose de jeter les publications scientifiques, quand bien même elles seraient d’accord avec lui, et de nous contenter d’observer autour de nous. Passons sur ce formidable moment de déni de la science.

 

Les gens meurent.

« Combien de membres de votre famille ou de vos amis sont morts d’une maladie ? » Il entame la litanie des gens qu’il connait morts d’un cancer, d’une attaque cardiaque, atteints d’un diabète ou bien d’asthme… Et on se demande bien ce que cela pourrait prouver que l’on ne le savait pas déjà : les gens meurent. Et les maladies cardiaques, ainsi que les cancers, en sont la principale cause dans nos sociétés occidentales. Ce n’était pas la peine de jeter les études scientifiques, sauf à vouloir de force incriminer dans ce constat un facteur que la science ne met pas en accusation.

Yourofksy reconnait qu’il existe d’autres paramètres, comme la pollution (en oubliant les autres facteurs de l’hygiène de vie) mais comment relier les attaques cardiaques à la pollution, nous dit-il ? Ce genre de question biaisée laisse de côté les principaux déterminants diététiques de ces maladies, comme l’excessive consommation de sucre et de graisses saturées ou la sédentarisation des modes de vie. Yourofksy aimerait que l’on oublie tout cela pour ramener tous ces problèmes à une causalité centrale, celle qui est au cœur de son obsession personnelle. Notons que c’est un invariant de la pensée conspirationniste, sectaire et généralement irrationnelle de chercher à tout expliquer à travers un concept unique, qu’il soit Dieu, les Aliens, le Protocole des Sages de Sion… ou la viande.

 

 Après un plaidoyer très inspiré contre l’addiction des américains au fromage, à la minute 42, Yourosky s’étonne de la présence de nombreux magasins de vitamines qu’il met sur le compte d’un déséquilibre complet du régime des américains… sans évoquer la possibilité pourtant reconnue que les suppléments alimentaires sont parfaitement inutiles. Les gens achètent des compléments alimentaires (vitamines et calcium), non pas parce que les protéines animales dissolvent leurs os, mais parce qu’ils imaginent en avoir besoin. Le même phénomène existe avec l’homéopathie, c’est parfaitement connu. Pourquoi Yourofsky saute-t-il directement sur la conclusion qui l’arrange ? Je pense qu’il est clair que c’est parce qu’il n’est pas dans une démarche de compréhension de la vérité, mais uniquement dans un processus de persuasion où tout argument est bon à prendre. À cause de cela, le propos de Yourofksy repose presque exclusivement sur des branches pourries.

 

Écologie

Il faut attendre la 43ème minute pour que le sujet de l’écologie et de l’environnement soit abordé. Cet thème central, primordial, rationnellement étayé par ce que la science nous enseigne ne sera développé que durant… deux minutes.

 

Dégoût

Puis vient le thème du goût. Le conférencier admet aimer le gout de la viande, du fromage et des œufs. Il n’en mange plus, non pas à cause du gout mais par choix éthique. On est loin, et heureusement des justifications ‘naturelles’ servies tout au long de la conférence. Puis il nous présente pendant 8 minutes les produits V qui reproduisent le gout de la viande et la grande variété des autres produits. Ensuite il décrit en des termes purement dégoûtants la viande (chair, veine, tendon, muscle) le lait (contenant du pus) les œufs (menstruations de la poule) et le miel (vomi d’abeille), criant appel aux émotions de son public, là où on espérait qu’il questionnerait leur sens moral et des responsabilités.

 

La radicalité sinon rien.

A la minute 58, Yourofsky revient à la charge. Désormais l’auditeur n’a plus d’excuse pour son comportement alimentaire. Désormais il est informé. L’auditeur peut choisir d’être bon, de ne plus faire de mal à des animaux qui ne l’ont jamais agressé, jamais violé, ni abusé, ou bien choisir de rester radicalement cruel et devenir responsable de la torture, de la mutilation, de la détresse, du stress et de la mort de centaines d’animaux. On apprend donc que le monde est binaire : il y a le bien et il y a le mal. Point. Yourofsky est incapable de se résoudre à demander aux gens de réduire leur nourriture carnée car son seul but est d’éliminer complètement ce comportement. Et le message est donc celui-ci : être flexitarien est mal, c’est cruel, c’est horrible puisque ce n’est pas « bien », le bien étant exclusivement le régime végétalien et le mode de vie végan.

D’un bout à l’autre de cette conférence, le jugement moral est placé avant les faits, avant la connaissance, avant la réflexion, avant la raison. Cela ne peut évidemment pas produire des comportements alimentaires raisonnables, mais au contraire encourager les idéologies orthorexiques, et aggraver les troubles alimentaires du public essentiellement jeune qu’il touche. D’un point de vue utilitariste, ce discours de Gary Yourofsky est probablement le vecteur de plus d’accroissement de la souffrance humaine que de soulagement de la souffrance animale. C’est pourquoi on doit questionner la valeur de ce discours et l’exemplarité qu’il est censé véhiculer.

 

 

Pour finir en beauté avec des images violentes qui vont s’adresser directement au centre des émotions du cerveau de son public, Yourofsky présente 6 minutes d’une vidéo où l’on voit des hommes méprisables, haïssable, qui maltraitent, brutalisent et torturent des veaux et des vaches avec un sadisme révoltant et totalement inacceptable. Il a raison de dénoncer des pratiques de ce genre. Et ces pratiques sont punies par la justice ! Mais pourquoi finir son intervention avec cette brutalité là, avec l’intention ferme et délibérée de plonger son auditoire dans le dégoût et la culpabilité ?

ohio farm brutality

 

 

 Une conférence qui n’est pas à la hauteur de la cause.

La cause est noble, l’objectif est sincère (pas nécessairement bon, mais j’accorde à Yourofksy qu’il pense sincèrement que sa cause est bonne). Mais la méthode est celle du lavage de cerveau, de l’appel aux émotions, de l’appel à la nature, de la diversion, de la culpabilisation… Où est l’appel à la raison ?

Il existe d’excellentes raisons, éthiques, économiques, écologiques et morales pour désirer l’arrêt de la l’exploitation animale, l’arrêt de la consommation de viande, l’arrêt du marchandage des animaux. Où sont ces bonnes raisons ? Pas dans « le discours le plus importante de votre vie », qui porte mal son nom. C’est un discours mensonger et abêtissant, et personne n’en a donc besoin, surtout pas la cause animale. Les végan méritent d’être représentés par des personnes qui ne prennent pas leur public pour un ramassis d’ignorants à manœuvrer, mais pour des individus responsables qu’il faut informer et instruire.

Le comble de l’amalgame

Article initialement publié sur la page FB de La Tronche en Biais le 10 janvier 2015.

Après le choc, la sidération, la consternation et la tristesse, nous nous sommes demandés si nous pouvions faire quelque chose. Les réactions tous azimuts, souvent confuses, émues, fébriles, nous ont inquiétés. Les attaques perpétrées dans la foulée contre les lieux de culte musulman sont une insulte supplémentaire, l’expression d’une haine proche parente de celle des assassins. Ceci dit, les imprécations xénophobes des internautes ne nous ont pas choqués davantage que les amalgames de ceux qui refusent de voir le rôle de l’idéologie religieuse dans ce crime, et se réfugient derrière l’anti-islamophobie par peur-réflexe du racisme.

Charlie Hebdo, c’est la liberté d’expression, c’est l’exercice de la critique sur tous les sujets, c’est le refus du sacré sans lequel il n’y a pas de pensée rationnelle. Le journal ne fait pas de la zététique au sens propre, et pourtant sans les caricaturistes nous n’aurions pas la culture de la démystification, et notre émission n’existerait sans doute pas.
Un moment nous avons songé a tourner un épisode spécial de la Tronche en Biais  pour parler de l’idéologie qui est à l’œuvre ici, mais notre chaine n’est pas assez mûre, nous n’avons pas présenté suffisamment de concepts pour aborder une question aussi sensible. Et puis, nous voulions éviter que certains puissent avoir le sentiment que nous faisons preuve d’opportunisme.

Mais rester silencieux nous est impossible.

Le shitstorm qui recouvre les réseaux sociaux nous montre l’importance d’être prudent dans la manière d’expliquer les choses. L’acte de mercredi est extrêmement grave parce que nous assistons à la mise à mort de journalistes pour la seule raison qu’ils auraient manqué de respect à une certaine vision du monde. Leur liberté de ton, leur impertinence n’épargnait personne. Ils étaient l’antithèse la plus totale de l’idée du sacré, et c’est l’amour du sacré qui a armé les mains de ceux qui les ont assassinés. Nous devons donc questionner le sacré. Lire la suite

Le Principe du scandale

 

Le scandale du sang contaminé, le scandale de la maladie de la vache folle, la panique de la grippe aviaire, l’hystérie sur les lasagnes au bœuf de cheval, la polémique sur le lien entre vaccins et autisme, celle autour du réchauffement climatique, ou encore la condamnation par un tribunal de sismologues italiens reconnus coupables de n’avoir pas prévu un séisme meurtrier… Ces évènements ont en commun le problème de l’estimation du risque et des mesures à prendre pour assurer notre sécurité collective. Ils sont le contexte dans lequel on fait intervenir (à tort ou à raison) le principe de précaution qui a été ajouté à la Constitution Française en 2005, et… qui pose des problèmes de définition d’autant plus importants que le concept a envahi nos vies, et imprègne toujours un peu plus les décisions publiques et privées.

 

Sa première formulation date du Sommet de la Terre de Rio en 1992 :

« En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. »

Nul doute ; la motivation est tout ce qu’il y a de positive. Sa formulation semble découler du bon sens même. Depuis que nous avons ce vocable sous la main, on se demande comment on pourrait s’en passer. Il nous semble crucial, vital, car on a vu par le passé avec quel mépris certains grands groupes motivés par la recherche du profit ont traité la vie humaine. Qu’on se souvienne du médiator ou des fabricants de cigarettes, et alors bien sûr on souscrit au principe de précaution. Mais ne le faisons-nous pas de manière un peu hâtive et irréfléchie ?

Principe de précaution

 

Le principe de précaution contient-il quelque chose ?

Tout l’intérêt du principe de précaution réside dans le fait qu’il est censé s’appliquer en cas d’incertitude scientifique sur l’innocuité (jamais garantie) ou sur la toxicité de telle ou telle chose. Il est l’outil ultime pour susciter le débat lorsqu’un doute sanitaire ou environnemental est soulevé. Revers de la médaille : quand vous avez un marteau, tout ressemble à un clou… et avec le principe de précaution on a tôt fait de voir des menaces partout.

 

On se trouve ici dans la situation bien particulière où la question n’est pas la prévention des risques, basée sur ce que l’on sait , mais dans celle de l’incertitude du risque, c’est-à-dire sur ce que l’on ignore. L’inconnue n’est pas l’occurrence du danger, mais son existence… qui demeure hypothétique. Rappelons-nous qu’il est scientifiquement impossible de prouver l’inexistence[1] de quelque chose, et nous aurons mis le doigt sur ce qui cloche : le risque hypothétique ne peut pas disparaître, et le principe de précaution peut donc se muer en commandement à l’inaction perpétuelle. Selon les contextes l’inaction peut se révéler source de risques bien plus grands.

 

 Le Graal du risque zéro.

Politiquement, c’est un casse tête car celui qui prend la décision de ne pas se soumettre au principe encoure le risque personnel d’être tenu pour responsable d’une faute. Il devient alors tentant de toujours s’incliner devant lui, et le principe devient une menace pour tout progrès dont les conséquences à long ne peuvent, par définition, être certifiées par aucun expert, car les prédictions sont difficiles, surtout en ce qui concerne l’avenir.

En dépit de l’avancée de la technologie, les statistiques continuent de frapper à l’intérieur du périmètre de nos certitudes. Il y a peu de temps, en France, un enfant est mort au cours d’une « banale » opération de l’appendicite. Aussitôt on s’émeut, car aucun de nous ne veut vivre avec cette épée de Damoclès. Nous voulons avoir le contrôle de ce qui nous arrive, ou tout au moins une illusion de contrôle, un contrôle placebo : le principe de précaution.

 

« Le principe de précaution permet de garantir la confiance dans les médicaments », justifiait début juillet la ministre de la Santé Marisol Touraine.

Le principe de précaution dans toutes les bouches nous donne l’impression que les risques sont inacceptables, qu’ils appartiennent au passé. C’est surtout le symptôme que dans notre société personne ne veut assumer les risques (ce n’est pas porter un jugement que de le constater). Pourtant il n’est pas vrai qu’il vaut toujours mieux éviter un risque. Ce qui est vrai en revanche c’est que tout risque devrait être encouru en connaissance de cause : c’est la désinformation qui est le vrai scandale, dans un sens comme dans l’autre. À n’avoir pour horizon que le risque zéro, on écarte le seul objectif raisonnable qui est la recherche du plus grand rapport bénéfice/risque… et on oublie le risque que fait encourir l’inaction.

 

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Quelle idéologie est à l’œuvre ?

Le principe est constamment invoqué par des groupes s’opposant à l’usage de technologies ou au développement de nouvelles méthodes, ou bien par des politiques qui refusent ainsi d’être mis en cause (Le Principe de Ponce Pilate ?). On le brandit dès qu’une inquiétude gagne le public, dès qu’un débat se médiatise autour d’une technologie, et il devient le leitmotiv d’une véritable rhétorique de la peur.

Une rhétorique que l’on retrouve dans les thématiques principales des médias et des grandes formations politiques avec le sentiment d’insécurité et le pessimisme. Cette idéologie anxiogène n’a pas besoin d’être nommée pour être présente et pour peser sur la population, et il est tentant de faire le lien avec les fausses impressions du public sur l’état du monde. Contrairement à ce qu’une majorité d’entre nous perçoit, notre époque est la moins violente de toute l’histoire connue, et les progrès sociaux son réels. La tolérance progresse pour de vrai, la sécurité alimentaire aussi, et de manière générale toutes les formes de sécurité : les chiffres des accidents diminuent dans tous les domaines. L’espérance de vie (en bonne santé) continue de progresser.

Le principe tel que définit dans la loi précise que : « l’expertise scientifique indépendante et pluridisciplinaire » est nécessaire pour « l’information du public et l’élaboration des décisions publiques » mais la parole des expert est négligée quand elle n’est pas tout simplement escamotée.

 

Attention, principe de précaution

 

Les raisons d’un tel succès ?

Les raisons sont multiples.

1- L’heuristique de disponibilité est le nom donné à un mode de raisonnement intuitif fondé sur les informations immédiatement accessibles. Ce mode fonctionne bien pour régler les petits problèmes de la vie quotidienne, mais c’est aussi un piège cognitif qui affecte notre représentation du monde, car quelles sont les informations disponibles autour de nous ? Nous voyons à la télévision et dans la presse une litanie de faits divers violents, de scandales financiers ou sanitaires, de catastrophes écologiques ou industrielles. Si ces évènements sont couverts aussi largement, c’est pour des raisons médiatiques, bien sûr, mais aussi, au départ, parce qu’ils sont plus rares que les évènements positifs quotidiens. C’est connu : les journaux ne parlent pas des trains qui arrivent à l’heure. Avec le temps, ces évènements, ces dangers ponctuels, à force d’être exposés dans les médias intègrent notre représentation du monde et nous conduisent à surestimer les risques.

2- La relation effet-dose n’est pas un concept familier à nos concitoyens. L’effet d’un facteur (un produit chimique par exemple, ou un rayonnement quelconque) dépend de la dose de ce facteur. Le principe de Paracelse ne dit pas autre chose : « Tout est poison, rien n’est poison, c’est la dose qui fait le poison.»

Par conséquent lorsqu’une étude montre qu’un facteur A représente un danger significatif lorsqu’il est présent dans la proportion X, il est faux de dire simplement que A est dangereux, car cela amène à penser que la proportion X/100 ou X/1000 est dangereuse alors qu’elle ne l’est pas. cette subtilité est pourtant ignorée de manière quasi-systématique dans les médias. Pire, le concept d’hormèse nous montre qu’il arrive bien souvent qu’une toxine en très faible dose puisse avoir un effet bénéfique ; la notion de seuil est donc primordiale, mais rarement retenue.

3- Le déni de la science auquel s’attèlent toutes sortes d’écoles de pensée, depuis le New Age et les médecines alternatives jusqu’aux théories du complot est renforcé par le traitement journalistique des « controverses » scientifiques. Les journalistes ont pour habitude de présenter les deux points de vue d’un sujet (sophisme, puisqu’il peut exister une multitude de point de vue sur la plupart des sujets, mais passons), et ce faisant, ils négligent de considérer comment fonctionne la science. En présentant systématiquement « deux opinions » comme si elles méritaient l’attention publique l’une autant que l’autre, les médias rabaissent la valeur du consensus scientifique, c’est-à-dire le niveau de vérité le plus élevé auquel nous ayons accès, au niveau d’une parole parmi d’autres.

Cela érode la confiance dans la parole des experts scientifiques dans la population… et parmi les élus ! Il est par exemple grand temps de dire que les climatosceptiques ne sont pas sceptiques : ils nient les résultats des experts en climatologie de tous les laboratoires du monde.

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4 – Nous avons peur de l’inconnu plus que du danger lui-même. C’est une vérité observée par les psychologues. nous sommes moins effrayés par un risque fort et avéré que par un risque faible mais mystérieux. Le besoin de contrôle joue probablement un rôle là aussi. C’est évidemment une réaction irrationnelle, nous admettrons tous que celui qui fume un paquet de cigarette par jour tout en s’inquiétant des effets néfastes des ondes Wifi ne fait pas preuve d’une grande perspicacité dans ses sujets d’inquiétude.

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Que reste-t-il de ce beau principe ?

Dans notre idéologie du risque zéro, nous nous sommes pourvus d’un principe très réconfortant, mais qui n’est d’aucune aide pour décider rationnellement des mesures à prendre contre des risques par définition non identifiés… et qui n’a pas vocation à améliorer la prévention envers des risques avérés. Ainsi, il n’y a pas de principe de précaution routière, mais bien de la prévention routière. Autre exemple : l’exploitation des gaz de schistes fait courir des risques clairement identifiés, voire quantifiés, et à ce titre les pouvoirs publics disposent de toutes les informations pour prendre une décision éclairée, le principe de précaution ne devrait donc pas être invoqué (http://www.huffingtonpost.fr/olivier-godard/retour-principe-de-precaution_b_4240830.html). Mais il l’est tout de même car il fait partie de l’arsenal rhétorique, des mots clefs que les politiques se sentent forcés d’utiliser pour rassurer le bon peuple.

En revanche le principe de précaution est nécessaire pour faire condamner des opérateurs mobiles à des amendes en raison de dommages dont l’existence est scientifiquement indémontrée et pour tout dire improbable. Le principe, encore lui, plaide pour que soient démontées des antennes relai sur plainte des riverains, antennes en l’absence desquelles le signal électromagnétique des appareil téléphonique individuels doit être amplifié pour assurer la communication, ce qui accroit l’exposition des utilisateurs. Même en l’absence de danger cette décision est absurde.

 

L’analyse critique du contenu de ce Principe superstar des vingt dernières années nous oblige à constater qu’au nom de bonnes intentions défendues dans un climat de refus des risques et des responsabilités, notre société prend des décisions et prononce des sanctions déraisonnables et défavorables au développement des technologies et des connaissances. Or, il n’y a pas de démocratie sans la pleine prise en considération des connaissances scientifiques par ceux qui représentent le peuple, et leur utilisation dans des débats d’idée éclairés. Il se pourrait bien que le Principe de Précaution soit l’ennemi de la raison.

 

 

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Références pour approfondir le sujet :

http://lemondepolitique.free.fr/dossier/precaution/retraitindex.htm

http://www.lopinion.fr/19-mai-2014/principe-precaution-ras-bol-chercheurs-12450

[1] http://youtu.be/-dr5It4xr98?t=6m44s

 Pour aller plus loin.

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Le cercle de l’empathie s’élargit.

La défense des êtres sensibles, capables d’éprouver douleur et émotion, contre l’exploitation et la torture, voilà qui ne peut être qu’une bonne cause. Mais il y a un mais.

L’Homo sapiens, en inventant la civilisation, la philosophie et le congélateur a de facto hérité de l’impératif moral de cesser de se regarder le nombril. La théorie de l’évolution est catégorique : nous partageons la majeure partie de nos gènes et l’essentiel de note histoire généalogique avec les autres êtres vivants de la planète. Les siècles passés nous ont appris à penser l’altruisme comme une fin en soi, une vertu. Bon an mal an, nous avons tous en tête la règle d’or, et nous avons appris que Descartes avait tort : les animaux ne sont pas seulement des machines qui feignent la douleur ou la joie, ou alors seulement dans la mesure où cette condition nous échoit tout autant. Il n’y a pas de différence qualitative entre l’Humain et les autres animaux, seulement une différence de degré.

Et, tant que nous y sommes, nous n’avons pas le monopole de la conscience. En 2012 la Déclaration de Cambridge sur la Conscience[1] signée par des dizaines de neurobiologistes dit ceci :

 « Les preuves indiquent que les humains ne sont pas les seuls à posséder les substrats neurologiques qui produisent la conscience. Les animaux non-humains, mammifères et oiseaux notamment, et beaucoup d’autres créatures comme les pieuvres possèdent également ces substrats neurologiques.»

Le mouvement d’amplification de nos valeurs morales, entamé il y a quelques siècles à peine, qui a connu un moment crucial avec la Déclaration des Droits de l’Homme puis l’abolition de l’esclavage… finira par ne plus accepter la souffrance des êtres sensibles. L’utilisation des animaux en tant que source de nourriture, de matériaux ou de travail (bête de somme, cheval, dromadaire…) est traditionnelle, on a toujours fait comme ça. Les traditions (y compris religieuses) ont en quelque sorte institutionnalisé le fait que la nature existe pour l’usage de l’Homme. Elles nous ont débarrassés de toute mauvaise conscience en justifiant moralement l’inhumanité de nos comportements vis-à-vis des animaux. Mais cela ne pouvait pas durer éternellement. En 1970, on invente le mot spécisme pour décrire la distinction de traitement que nous appliquons entre les Humains et les autres animaux.

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Définition du spécisme : « Par analogie avec le racisme et le sexisme, l’attitude consistant à refuser indûment le respect envers la vie, la dignité, ou les besoins d’animaux appartenant à d’autres espèces que l’espèce humaine.» (source : wikipedia)

Le même mot désigne les différences de traitement entre les animaux de compagnie et les autres : en France en 2014, on juge moral de manger du porc, mais pas du chien… et le cheval est un peu polémique. Il semble peu vraisemblable qu’aucune explication rationnelle ne justifie de penser ainsi, et il faudra donc faire face à nos contradictions.Peter Singer a beaucoup écrit sur le sujet : « Je soutiens qu’il ne peut y avoir aucune raison — hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur — de refuser d’étendre le principe fondamental d’égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces ». (La Libération animale).

À l’heure actuelle la plupart des animaux de laboratoire vivent dans des conditions très étroitement surveillées, et les autorités scientifiques occidentales ont toutes ratifié depuis une quinzaine d’années le principe des 3 R : Réduire, Raffiner, Remplacer. En France, un décret de 1987 règlemente l’utilisation des animaux pour la recherche. Les scientifiques réduisent au minimum leurs besoins en animaux, prennent en compte leurs besoins, limitent leur souffrance avec des protocoles très strictes, et travaillent à remplacer le modèle animal par un modèle cellulaire ou virtuel autant que possible. Ces améliorations, il faut le reconnaître, ont été accélérées par la mobilisation de l’opinion publique par les mouvements de protection animale, ces mouvements sont donc utiles ! 

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Les défenseurs de la cause animale ont raison de fustiger toutes les souffrances infligées aux animaux afin qu’elles soient combattues, évitées, limitées. Mais cela ne doit sans doute pas les autoriser à dire n’importe quoi, ni à faire n’importe quoi. Et malheureusement les défenseurs de la cause animale les plus impliqués dans cet engagement franchissent trop souvent la ligne rouge de l’irrationnel.

 

Ranger la corrida dans la case « Culture » n’est PAS une réponse convaincante à ceux qui dénoncent le spectacle d’une mise à mort.

 

 

Alors pourquoi ont-ils si souvent tort ?

 La justice près de chez vous !

  • La grosse dame et les poneys

En 2013, la vidéo prise aux Pays-bas d’une grosse dame qui monte et maltraite des poneys sous l’œil rieur de l’homme qui la filme enflamme Internet. La famille subit des menaces, sa maison est dégradée, tandis que la police confisque les poneys. Sur des pages françaises, on peut lire le désir de dizaines ou de centaines de personne de traiter cette personne de la même manière qu’elle a traité l’animal. Le standard moral des amoureux des bêtes ressemblerait à la loi du talion ?

  • Le tortionnaire de chaton.

Un affreux crétin nommé Farid Ghilas torture un chat à Marseille et diffuse la vidéo le 27 janvier 2014 pour faire parler de lui. C’est une réussite, toute la France connectée d’horrifie de son geste cruel et imbécile. La réprobation est unanime, des pétitions circulent, signées par des dizaines de milliers de personne ; Antoine de Caunes y va de son commentaire indigné, pourtant peu enclin qu’il est à prendre sa plume pour traiter des guerres et des massacres. Le lynchage en ligne est lancé, les menaces de mort se multiplient. En quelques jours, l’individu est condamné à un an de prison ferme (la justice aurait-elle cédé à la pression des indignés ?). Plus tard, des photos circulent, montrant un visage tuméfié et statuant faussement que Ghilas aurait été tabassé en prison (ce n’est pas lui sur la photo). À nouveau, une grande partie des internautes prend la parole pour se réjouir de la violence déployée. Pour rappel, dans le même temps se déroulent la rébellion islamiste au Nigéria, et notamment le massacre de Kawuri et le massacre de Waga Chakawa (plus d’une centaine de morts en tout).

  • Dans une affaire similaire, en Angleterre, en 2010, une femme qui avait jeté un chat dans la poubelle, avait été retrouvée grâce aux internautes. Traduite en justice, elle avait reçu des centaines de menaces de mort.
  • Trois connards tuent un chat.

En mai 2014, trois jeunes hommes alcoolisés ne trouvent rien de plus intelligent à faire que maltraiter un chat dans un parc de Vouziers. Leur acharnement est tel qu’ils brisent les os de l’animal qui mourra peu après. Pas de chance, ils sont filmés (ce sont des connards peu intelligents), et la police les interroge « J’en ai déjà buté deux chez ma mère avec une carabine, je ne suis pas ému, je n’aime pas les chats », répond Robin Marcheras, 23 ans.

Cette phrase très brillante n’apaise pas les passions et Internet délivre son habituel lot d’appel à la justice, y compris quelques réclamations à la peine de mort pour ce genre d’affaire, ou encore « Je rêverais de participer au lynchage de ces minables mecs! ». Juste après avoir écopé de 6 mois de prison et visiblement affecté par un long harcèlement en ligne, le jeune de 23 ans s’est suicidé il y a quelques jours. La fragilité psychologique de l’individu datant d’avant les faits, le lien direct entre le harcèlement des internaute et sa mort n’est pas établi, mais la question se pose cruellement.

Cette mort n’est pas sans provoquer de nouveaux commentaires D’après une journaliste du journal L’Ardennais « L’annonce de son suicide (…) a suscité de vives réactions sur le site internet du journal, ainsi que sur la page Facebook qui a enregistré pas moins de 772 commentaires dont plus de la moitié, d’une violence extrême allant jusqu’à l’appel au meurtre, a dû être supprimée.»

Sur d’autres sites d’actualité, on peut lire ce genre de propos : « Je ne me réjouis pas de la mort de cet individu, toutefois, je n’éprouve aucun sentiment de compassion pour lui. J’aurais aimé que cet homme ait mis fin à ses jours accablé par le remords… ce dont je doute, le soupçonnant de n’avoir pensé qu’à sa petite personne en voulant quitter cette Terre seulement sous la pression extérieure que son acte abominable a suscité. Lâche dans ses actes jusqu’à la fin !» Finalement peu de compassion et d’humanisme, comme si l’amour de l’animal auréolait l’auteur d’une supériorité morale qui le rend apte à juger.

Arrêtons nous là, tant il est évident que ces exemples ne prouvent en aucun cas que la protection animale soit forcément associée à des comportements de ce genre. Les débordements de haine internautiques ci-dessus montrent seulement qu’une émotion légitime envers un acte insupportable libère une parole haineuse et violente, et cela incite donc à la prudence et à la retenue sur les sujets de ce genre. Bien sûr, rien ne dit que ceux qui tiennent ces propos violents soient impliqués réellement dans la protection animale. Alors regardons les véritables activistes des droits des animaux, et gageons qu’ils se comportent mieux.

 front de libération des animaux

Le Front de Libération des Animaux (ALF en anglais)

 Ce groupe d’action organisé de façon non-pyramidale, c’est-à-dire en cellules autonomes qui sont considérées membres du front dès lors que leurs actions répondent à trois critères, est considéré par le FBI comme un groupe terroriste (le groupe n’a tué personne a ce jour, mais la menace est constitutive du terrorisme). On estime que l’ALF met en place une action par jour dans le monde.

 Aux USA, les cellules d’ALF vandalisent les maisons et les voitures de scientifiques travaillant avec des modèles animaux sur la physiologie, diffusent sur internet les adresses et noms de leurs époux(ses) et enfants ainsi que l’école qu’ils fréquentent. On a également rapporté l’utilisation de dispositifs explosifs, parfois factices mais parfois véritables. Plusieurs scientifiques estimés par leurs collègues ont démissionné suite à ces harcèlements, ce qui signifie que des programmes de recherche dont dépendent les futures découvertes sur les maladies comme le sida, Alzheimer ou le diabète, ont été stoppés. Le pouvoir de nuisance de ces groupes extrémiste est donc bien réel, au moins sur les malades et leurs proches.

Un exemple édifiant.

En 1999, le front de libération animal veut faire fermer une ferme fournissant des animaux de laboratoire à Newchurch en Angleterre. Tous les moyens sont bons : pendant 5 ans se succèdent manifestations, dégradations, incendies, menaces de mort envers la famille Hall, ses employés, ses enfants… et même profanation de la tombe et vol du corps de la belle-mère du propriétaire. Sous la pression, le propriétaire a finalement renoncé à élever des cochons d’inde pour revenir à des élevages plus traditionnels. Le corps volé a finalement été retrouvé par la police.

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PETA (Pour un Traitement Ethique des Animaux)

Bien sûr, on ne peut absolument pas confondre toute la cause du droit des animaux avec ce petit groupe fanatique. Il est plus honnête de considérer le travail réalisé par PeTA (People for the Ethical Treatment of Animals). Fondée en 1980, c’est sans doute la plus influente organisation du domaine avec 3 millions de membres et 300 employés. Elle se fait connaître en dénonçant les mauvais traitements de singes dans un laboratoire de traumatologie. On a par la suite évoqué la possibilité que les photos fussent des mises en scène[2][2].

La cause, nous l’avons dit, est bonne. Mais qu’en est-il des faits, des actions de PeTA ? Eh bien PeTA refuse de condamner les actes du front de libération animale (ALF). Actes jugés terroristes, souvenez-vous. PeTA fournit de l’argent aux cellules de ALF, en tout cas celles qui se retrouvent face à la justice. Parmi les autres actions de PeTA, il y a cet encouragement curieux aux enfants de boire de la bière plutôt que du lait, et la critique absolue adressée aux chaines de fast-food qui font cuire des steaks végétariens sur le même grill que la viande. Enfin, PeTA recueille des milliers d’animaux de compagnie chaque année, mais au lieu de leur trouver un foyer, elle en euthanasie 90%.

Ce taux est de 2-3% pour la SPA… Mais dans le même temps, on doit bien admettre qu’une association comme la SPA, en concentrant ses efforts sur les animaux de compagnie, est sans aucun doute coupable de spécisme envers toutes les espèces qu’elle ne protège pas activement (rats, insectes, « nuisibles », etc). En toute rigueur, la critique se tient, mais on pourra tout de même juger que l’action de la SPA est bénéfique et doit être encouragée car elle ne cause de mal à personne.

 

Ce qui vient d’être dit sur Péta est profondément étonnant car cela ne cadre pas avec le niveau de moralité attendu d’un mouvement de ce genre. Il semble indispensable de citer des déclarations de responsables de PETA ou d’organisations affiliées pour vérifier si leurs idées

« Dans un monde parfait, il n’y aurait que des animaux qui ne sont pas humains, ils seraient libérés de toute ingérence humaine, et vivraient en harmonie avec l’écologie. » (Position de PETA sur les animaux domestiques)

 « Je ne suis pas morose, mais j’aimerais mieux ne pas être en vie. La vie n’est rien en soi, il n’y a que la nature dans son entité qui a de l’importance. La place que j’occupe aurait plus de valeur si elle était vide… comme ça, rien ni personne ne souffrirait à cause de moi. » Ingrid Newkirk, présidente fondatrice de PETA.

 « Même si les tests animaux produisaient un remède contre le sida, nous serions contre.» Ingrid Newkirk, citée dans « Politics, » Vogue, September 1989, p. 542.

 « Même si elle ne provoque aucune douleur, la recherche est fasciste et suprémaciste » Ingrid Newkirk, Washington Magazine, 1986

 « Selon nous, d’un point de vue éthique, nous n’avons pas à protéger les nouvelles espèces développées au moyen de croisements sélectifs… nous ne nous opposons pas à l’extermination des animaux domestiques puisqu’ils sont nés de la manipulation des hommes. » (Wayne Pacelle, cité dans Animal People)

 « Le chat, comme le chien, doit disparaître. Nous devrions libérer les chats domestiques de notre domination en stérilisant, stérilisant et stérilisant encore jusqu’à ce que notre pathétique version du chat ait cessé d’exister. » John Bryant, Fettered Kingdoms: An Examination of A Changing Ethic (Washington, DC: (PeTA), 1982, p. 15.

 « Je déteste le « bien-être animal », c’est comme dire « Battons les esclaves seulement trois fois par semaine et non plus cinq fois. » ; « La question n’est pas d’aimer les animaux. C’est de se battre contre l’injustice. Mon objectif est que les humains aient le moins de contact possible avec les animaux. » Gary Yourofsky, fondateur de Animals Deserve Adequate Protection Today and Tomorrow (ADAPTT), et conférencier au sein de PeTA’.

 « Si la guérison naturelle n’est pas possible, compte tenu des ressources de l’environnement, cela peut etre une bonne chose pour l’organisme de changer de forme. Certaines personnes appellent ça mourir.» Sydney Singer, director, Good Shepherd Foundation, The Earth Religion (Grass Valley, California: ABACE Publications, 1991), p. 52.

« La vie d’une fourmi a autant de valeur que la vie de mon enfant. » (Micheal Fox, vice-président, « Inhumane Society », Fox Publication, 1992)

« Un seul rat mort pour trouver un remède à toutes les maladies serait déjà inadmissible. » (Chris Derose, directeur, Last Chance for Animals, cité dans « Biting Back », Los Angeles Times, 1990)

tous des animaux

On a demandé à Susan Rich, coordinatrice des communications pour l’organisme PETA : « Si vous étiez sur un radeau de sauvetage avec un bébé et un chien et que le radeau devait chavirer, lequel sauveriez-vous? » Réponse de Rich : « Je ne suis pas sûre; peut-être l’enfant, peut-être le chien. » (Steve Kane Show, WIOD-AM Radio, Miami, Floride).

Quelle philosophie ?

Mais, encore une fois, si l’on considère qu’il est peut-être injuste de s’arrêter sur les paroles hors contextes de ces leaders des mouvements de protection animale, tournons-nous vers des écrits des autorités intellectuelles du mouvement. Tom Regan, professeur de philosophie à l’université de Pennsylvanie, est auteur du premier ouvrage philosophique consacré à la question du droit des animaux (Les Droits des animaux). Il est considéré comme le leader philosophique des mouvements de protection animale. Il estime que la mort d’un humain et celle d’un animal ne représente pas un dommage équivalent. Parce que les humains possèdent des « intérêts scientifiques, philosophiques, esthétiques, sacramentels dont sont dépourvus les autres animaux », un être humain en bonne santé a plus à perdre en mourant qu’un animal en bonne santé. Pour autant il milite pour la totale abolition de la recherche scientifique sur les animaux, ce qui le conduit à une position qui semble franchement en contradiction avec ce qui vient d’être dit : « Le point de vue des droits ne peut se satisfaire que d’une totale abolition de la recherche. Même en admettant que nous risquions d’être exposés dans le futur à des maux plus grands que ceux des animaux de laboratoire, et même en admettant que le nombre des humains et des autres animaux qui bénéficieront de ces travaux est supérieur à celui des animaux utilisés, cette pratique demeure mauvaise car injuste. » (Tom Regan — The Case for Animal Rights, p 389). On se rend compte que les conclusions pratiques qu’il tire de sa théorie morale vont à l’encontre de l’utilitarisme : il admet lui-même que sa position peut causer plus de mal que de bien, et il semble s’en satisfaire, donnant par là même l’absolution aux activistes extrémistes.

On est en droit de s’étonner des conclusions auxquelles aboutissent des personnes aussi influentes au sein des mouvements de protection des animaux.

 droit des animaux

Quelle rhétorique ?

L’argumentaire des protecteurs des droits des animaux contient suffisamment de bons arguments pour qu’on n’accepte pas les débordements, les exagérations et les sophismes.

  • Le point Godwin des protecteurs des animaux consiste à comparer l’abattage des animaux de boucherie avec l’extermination des juifs lors de la seconde guerre mondiale et de prétendre que toute objection est nécessairement une marque de spécisme. Il suffit pourtant de se rapporter aux écrits de Tom Regan pour voir que la comparaison est, au mieux, abusive. Le concept de zoocide est suffisamment grave pour ne pas le comparer de force à un génocide.
  • Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est tout aussi abusif de comparaison du le traitement des animaux de cirque avec l’esclavage des Noirs.
  • Combattre l’utilisation des animaux dans la recherche scientifique en l’estampillant toute entière « vivisection » est une insulte aux animaux qui souffrent vraiment de traitements douloureux.
  • On lit trop souvent que la recherche animale est inutile, que les résultats ne sont pas applicables aux humains, que l’on tue des millions d’animaux pour rien, voire que ces méthodes sont dangereuses pour la santé humaine. On est très clairement dans un discours anti-science. Qu’en est-il en réalité ? Au 20ème siècle les recherches sur les animaux ont par exemple permis de comprendre le cycle de vie de la malaria et l’étiologie de la tuberculose. Les thérapies géniques de ces dernières années produisent des vaccins. Une étude de 2000[3] a montré que la recherche animale associée à 150 molécules testée a permis de détecter la grande majorité des 211 effets toxiques que ces molécules peuvent avoir sur l’humain. Bref : ça marche, et c’est pour cela que les scientifiques continuent de travailler ainsi.

Le simple fait de pouvoir dresser cette liste est le constat d’un échec partiel des mouvements de protection des animaux malgré leurs nombreux succès et leur utilité de premier ordre dans le débat public. L’extrémisme idéologique d’une partie non négligeable des militants est préjudiciable à la cause. Vivre et penser à travers le crible exclusif de l’antispécisme est aussi dangereux que n’importe quelle autre forme de dogmatisme, il polarise le débat entre le camp des bons et celui des mauvais, instaure une dictature de la pensée à l’intérieur du groupe militant. On retrouve cette polarisation et ce dogmatisme dans une partie du mouvement végan dès lors que l’idéal se transforme en intégrisme (c’est-à-dire que l’idéologie s’installe dans chaque aspect de la vie)

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« Je crains l’homme d’un seul livre » Thomas d’Aquin.

Un zoocide.

L’espèce humaine soixante milliards d’animaux par an pour se nourrir, se vêtir, etc. Si l’on compte les poissons et autres animaux marins, le chiffre dépasse mille milliards. C’est une situation frappante, sidérante. Il ne semble pas déplacé de parler de véritable zoocide, puisque ces morts d’animaux d’élevage ou sauvage s’accompagne de la destruction des milieux naturels qui conduisent à un taux d’extinction d’espèce alarmant. Pourquoi ne pas communiquer sur ces chiffres sans les barbouiller de jugements moraux ou de comparaison discutables ? Pourquoi le militant ne pourrait-il pas faire de l’autre, le non-militant, un futur allié, l’amener en douceur à changer d’opinion ? C’est pourtant bien plus efficace que prendre le parti de la culpabilisation qui renforce les résistances cognitives.

Quand ils vilipendent l’éditeur d’un livre dérangeant « Cruauté envers les animaux » où l’auteur présente à la manière d’un catalogue Ikea des sévices absurdes à des animaux forcément innocents, les pro-animaux se couvrent de ridicule. En se drapant dans le costume des outragés dans lesquels paradent si communément les religieux offensés par la libre pensée, ils font reculer leur cause. On les dirait incapables de gérer leurs émotions, comme s’il leur fallait crier que le mal est mal et qu’il faut le punir pour supporter leur propre existence. Qui cela pourrait-il convaincre?

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Happening de PeTA

Le discours des pro-animaux dès qu’il se teinte de misanthropie ne peut pas être convaincant, il devient incommunicable : seuls ceux qui pensaient déjà ainsi sont rassurés dans leurs convictions par ce discours, tandis que les autres ne reçoivent que la partie misanthropique qui leur permet de disqualifier le propos entier. Game over. Ce discours est clivant là où il devrait communiquer les valeurs antispécistes : il est donc nuisible à tout le monde.
Non, les animaux ne sont pas plus généreux, plus attentifs, plus fidèles que l’Humain. L’Homme et les autres animaux ont moins de différence qu’on veut le dire. L’humain n’a pas l’apanage de l’intelligence, de l’outil, de l’amour… Mais il n’est pas non plus celui qui a inventé l’égoïsme, la violence ou la duperie, il n’est pas responsable de tous les maux, et nous en tant qu’individu avons le droit de poursuivre nos aspirations propres, sans que l’on nous tienne pour responsable de toutes les atrocités perpétrées dans le monde. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons réellement faire face à ces responsabilités qu’en dernière extrémité, nous sommes les seuls à pouvoir assurer.

L’exploitation des animaux, notre indifférence face à la souffrance animale sont peut-être les choses qui dans mille ans donneront un nom infâme à l’époque dans laquelle nous vivons, tout comme beaucoup de nos contemporains ont jugé bien mal le Moyen-Âge… Mais le changement d’époque vers une civilisation plus respectable ne se fera pas à marche forcée sous la férule d’un Front de Libération des Animaux qui fait beaucoup plus de mal que de bien.

 

 

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Autres citations

http://www.naiaonline.org/naia-library/articles/quotes-from-the-leaders-of-the-animal-rights-movement/

[3] Olson, H., G. Betton, D. Robinson, K. Thomas, A. Monro, G. Kolaja, P. Lilly, J. Sanders, G. Sipes, W. Bracken, M. Dorato, K. Van Deun, P. Smith, B. Berger, and A. Heller. 2000. Concordance of the toxicity of pharmaceuticals in humans and in animals. Regulatory Toxicology and Pharmacology 32: 56–67.

« L’homosexualité est une abomination. »

Ce propos de Christine Boutin dans une interview donnée au magasine Charles d’avril 2014 a été répercuté avec gourmandise dans toute la presse nationale, et il a suscité de nombreuses réactions outrées dans tous les milieux. Visiblement, il y avait beaucoup d’émotion en jeu. Arrêtons nous sur le mot « Abomination« : « Ce qui suscite l’horreur ». Indéniablement, c’est assez violent, et implicitement haineux.

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Madame Boutin est abominée.

Les réactions :

— Franck Riester (UMP) : « Scandalisé par les propos indignes de Christine Boutin sur l’homosexualité. Tout simplement une honte. »

— Jean-François Copé (UMP) « Les propos de Christine Boutin sur l’homosexualité sont insupportables, inacceptables, impardonnables. »

— Compte twitter du Parti Socialiste «Le Parti socialiste condamne les propos homophobes de Christine Boutin »

Abomination, n.f.

Horreur, dégoût quasi sacré qu’inspire ce qui est impie, maudit, mal ou monstrueux.

Des centaines d’internautes ont commenté, scandalisés. Face à ces critiques, Madame Boutin admet que ses propos ont été « maladroits » mais a refusé de répondre à une journaliste qui voulait savoir  si elle continuait de les penser.

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Quelques autres abominations bibliques, comme se raser ou manger du homard…

 Justice ?

Christine Boutin passera en jugement dans un an. Cela signifie que la justice française juge la plainte recevable : dire que l’homosexualité est une abomination relève donc d’un propos qui n’a a priori pas sa place dans la république. Il sera temps d’y revenir quand aura lieu le jugement.

Mais madame Boutin a évoqué une origine Biblique. Et elle a raison.

« Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination.»  (Lévitique 18:22).

Nous sommes en présence d’une affaire où une personnalité politique sera jugée pour avoir prononcé une parole directement tirée de la Bible.

Que peut-on en conclure ? Que le livre dont est tiré la citation visiblement fautive contrevient sans doute à la loi qui interdit les ouvrages incitant à la haine.

Il y a fort à parier qu’aucun des responsables politiques ou des journalistes qui ont dénoncé les propos de Madame Boutin n’ira au bout de la logique de cette affaire. Il semble qu’un voile d’immunité protège les religions à notre époque. Pourquoi ?

pape

Parce que !