Max Bird vient de sortir une vidéo pour revenir sur les problèmes de sa vidéo sur l’homosexualité du 18 mai. En effet cette première vidéo, motivée par la louable volonté de débunker l’argumentaire homophobe du « c’est contre-nature », posait un certain nombre de problèmes.
À l’époque, j’avais écrit sur Facebook :
Pour la journée contre l’homophobie une vidéo qui part d’un bon sentiment et qui est plutôt fun… Un certain nombre de choses sont très bien expliquées, mais d’autres passent à la trappe comme les facteurs génétiques (qui existent !).
Le succès de cette vidéo est donc un peu problématique, car elle a de gros défauts. À l’argument : « l’Homosexualité est contre-nature (donc c’est mal) », il ne faut surtout pas répondre « En vrai, elle est naturelle (donc c’est bien) », car la « naturalité » d’une chose n’a rien à voir avec sa valeur pour la société ou les individus qui la composent.
Léo de Dirtybiology le souligne d’ailleurs :
« Le vrai problème c’est l’argumentation d’appel à la nature. C’est juste dangereux. Et un sophisme. Le fait que ce soit naturel ne doit pas décider la valeur de la chose.
« Si c’est naturel, c’est ok » = non. Tout un tas de trucs naturels sont pratiqués par d’autres espèces et sont moyen bof, comme la nécrophilie, l’infanticide, le cannibalisme ou le viol (ou tout en même temps because fuck you l’élégance). De la même façon, il existe des différences de capacités biologiques sur certains traits entre les populations humaines (digestion du lait, oxygénation, etc), et elles sont naturelles. On en tire des prescriptions morales du coup ? On en fait des différences de valeurs entre populations humaines ?
Et le corollaire pue autant « Si c’est pas contre-nature, c’est pas ok ». Du coup pour avoir une sexualité « valide » il faudrait qu’elle soit également pratiqué par d’autres animaux parce que sinon… c’est mal ?
( http://rationalwiki.org/wiki/Appeal_to_nature )
Fun-fact bonus : le mec dit à la fin « la nature ne fait rien au hasard. […] l’homosexualité a peut-être évolué pour réguler les populations ».
Les deux phrases montrent une incompréhension bien vénère de la bio évolutive. La Nature pratique le hasard ET un trait biologique pour réguler une pop. ça s’appelle de la sélection de groupe et c’est comme les licornes, ça n’existe pas. »
Sur l’existence des facteurs génétiques, je vous renvoie vers mes propres billets sur la question.
Hélas, dans cette deuxième vidéo, en forme de FAQ, Max dit des choses peut-être encore plus discutables que dans la première… « C’est de la vulgarisation scientifique » dit-il lui-même ; c’est donc en tant que telle qu’elle sera critiquée ci-dessous.
Mais dans le but d’être aussi constructif que possible, cet article a été envoyé à Max afin qu’il ait l’occasion de réagir directement dans le texte. L’objectif est de tenter de nous mettre d’accord sur la manière dont ses propos peuvent être compris, et sur le décalage probable d’avec le message qu’il désirait communiquer.
Trop d’affirmations ?
D’abord il y a beaucoup d’affirmations là où le conditionnel serait de mise, les études sur les comportements et orientations sexuelles restant à l’heure actuelle fragiles. Leurs auteurs sont prudents et les vulgarisateurs devraient l’être au moins autant.
Max : «[contrairement aux hommes gay] chez les femmes on observe beaucoup plus de cas de femmes qui deviennent lesbiennes puis qui redeviennent hétéro plus tard. En les questionnant on découvre que souvent elles ont eu une mauvaise expérience avec un homme (…) qui fait qu’elles sont allées vers les femmes par répulsion. Avec le temps ça passe et elles reviennent quand même aux hommes. »
Une telle affirmation nécessite une solide documentation, parce qu’elle risque d’alimenter les clichés qui pourrissent la vie des lesbiennes lesquelles s’entendent dire « c’est parce que tu n’as pas trouvé le bon mec ». On ne s’attend pas à trouver une justification non sourcée de ce cliché dans une vidéo de mise au point sur le sujet de l’homosexualité.
J’imagine que le but était d’illustrer un élément qui revient souvent dans la littérature scientifique, à savoir que l’orientation sexuelle des femmes semble plus « fluide » que celle des hommes, sans que l’on sache si cette fluidité est innée ou bien le produit des influences sociales. Mais si tel était le but il n’était pas impossible de le signaler en deux phrases comme je viens de le faire. Max a d’ailleurs très bien expliqué comment l’homosexualité pouvait représenter un avantage sélectif au sein d’une population, ce qui est un heureux progrès par rapport à la première vidéo où il disait : « Ce n’est pas génétique. Si c’était génétique, le gène aurait forcément disparu, les homosexuels ne procréant pas ». Il est donc capable de vulgariser des notions subtiles.
Droit de réponse de Max
Merci de me donner l’opportunité de répondre.
Tout d’abord sur le relais du commentaire de DirtyBiology (auquel j’ai déjà répondu) je tiens à remettre les points sur les i.
L’argumentation “dangereuse” de l’appel à la nature, je m’en suis déjà défendu dans la seconde vidéo, il s’agit d’un faux procès et, à mon avis, d’une incompréhension de l’angle de la vidéo. A aucun moment je ne prétends défendre tous les comportements naturels, je pointe juste du doigt l’argument “c’est contre-nature” matraqué par les homophobes en expliquant pourquoi il ne tient pas. Idem pour l’attaque sur le hasard, bien sûr que la nature “pratique le hasard” au niveau de l’innovation génétique, mais sur des millions d’années, le hasard n’existe quasiment plus dans la conservation ou la disparition des caractères, et la présence d’un caractère au sein d’autant d’espèces soulève vraiment la question d’un rôle de l’homosexualité. Dire qu’il s’agit-là d’une “incompréhension bien vénère de la bioévolutive” me semble gratuit et plutôt malhonnête.
Maintenant venons-en à tes remarques à toi, que je comprends mieux. En effet ces affirmations sur les comportements homosexuels de certaines femmes “à priori” hétérosexuelle sont ici très résumées et peuvent prêter à confusion.
Il ne s’agit pas ici de tenter d’expliquer la bisexualité, mais bien de souligner un indice fort que l’orientation biologique ne varie pas au cours de la vie, alors que les comportements sexuels, oui.
En effet, appuyer cela des nombreuses références scientifiques montrant que le comportement sexuel est plus variable chez les femmes que chez les hommes, aurait été judicieux.
Voici une source complète abordant ces aspects : http://pdf.lu/62gr
Explication monocausale ?
L’un des aspects les plus ennuyeux de l’approche de Max est l’omniprésence de la référence aux travaux de Jacques Balthazart comme s’ils expliquaient tout. Il néglige totalement les travaux qui ont montré l’existence de facteurs génétiques à l’orientation sexuelle (au moins chez les hommes). Alors, bien sûr, dans cette vidéo de réaction aux critiques, Max fait référence aux facteurs génétiques en expliquant qu’ils sont trop compliqués à décrire pour s’y attarder, ce qui semble contradictoire avec la démarche de vulgarisation scientifique qui ne consiste pas à se contenter d’expliquer ce qui est simple. Mais surtout, il commet une erreur qui me semble importante : un excès de spéculation.
Il est vrai qu’on trouve peu de littérature sur les déterminants de la bisexualité. Et c’est bien à cause de cela qu’il semble audacieux d’évoquer comment la théorie du noyau cérébral de l’air préoptique de Balthazart pourrait en rendre compte malgré tout, puisque c’est derechef faire l’impasse sur les autres facteurs biologiques qu’il reste potentiellement à identifier, décrire et explorer.
On peut être plus sévère encore en questionnant la pertinence même des travaux de Jacques Balthazart puisqu’ils sont loin de faire consensus. Sur ce sujet, voir l’article d’Alloxodia, (bémol : blog hostile aux explications biologiques des comportements genrés et adoptant parfois une posture idéologique).
Droit de réponse de Max
C’est en effet purement spéculatif, et je ne m’en cache pas, je dis bien “c’est de la supposition totale, on n’a vraiment aucune donnée là-dessus” puis “pourquoi pas ?” juste après.
Les raisonnements scientifiques partent souvent de l’imagination avant d’être vérifiés ou non, je ne prétends ici que lancer des hypothèses, pour répondre à une question à laquelle mes abonnés m’ont très souvent demandé de répondre, car c’est avant tout le but de la vidéo, briser des tabous en tenter de donner des clés aux jeunes pour comprendre et accepter leur orientation.
C’est un rôle important (car ni les parents ni l’école ne le tiennent aujourd’hui) et qui me semble souvent perdu de vue dans les débats autour de la vidéo.
Un problème avec la bisexualité ?
Par ailleurs la vidéo n’évoque jamais la possibilité que la bisexualité puisse être liée à des déterminants différents de ceux qui distinguent androsexualité (attirance pour les hommes) et gynosexualité (attirance pour les femmes) per se. En définitive les propos de Max au sujet de la bisexualité sont assez désobligeants, ou en tout cas peuvent être reçus comme une forme de négation de l’existence de la bisexualité en tant qu’orientation.
« si ça se trouve il n’existe pas d’orientation bisexuelle. Il n’y a que des comportements bisexuels »
Dans l’absolu, cette phrase peut être vraie. Admettons… Dans la mesure où à ce jour nous n’avons pas connaissance de facteurs génétiques hormonaux ou anatomiques liées à la bisexualité et qui pourraient démontrer qu’il s’agit d’une orientation biologique. Mais quel est le but de cette déclaration dans une FAQ servant à répondre à des insatisfactions ou à des incompréhensions du public sur la vidéo précédente ? Surtout, sur quels indices se fonde-t-elle ? D’où le vulgarisateur sort-il cette idée ? Ces questions ne sont pas du pinaillage car le problème que pose cette déclaration devient patent avec ce qui suit :
« Un homo aimerait bien être attiré par les femmes »
Il est bien possible qu’un certain nombre d’hommes gay eussent préférés être hétéros. Dans l’absolu, c’est sans doute vrai. Mais est-ce une bonne idée d’en faire une généralité ? Car comment ne pas y voir un jugement qui exprime l’idée que l’homosexualité est toujours combattue par celle ou celui qui la vit, et que le désir universel des humains est l’hétérosexualité ? Si l’on ajoute cela aux remarques précédentes sur le lesbianisme, et le doute exprimé sur l’existence même de la bisexualité, force est d’admettre qu’on ne s’attendait pas un tel hétérocentrisme dans cette vidéo-là.
Droit de réponse de Max
Je ne suis pas hétérocentriste, c’est le monde qui est hétérocentriste. Pourquoi ne pas admettre que la société et ses diktats définissent l’attitude des gens ? Il n’y a quasiment aucun homo qui s’est dit en découvrant sa sexualité “chouette je suis gay ça va être cool !” et je vais me défendre sur ce point. Il y a 5 fois plus de suicides chez les jeunes qui se découvrent homo, l’insulte la plus entendue dans les écoles c’est “PD”. La puissance de rejet des homosexuels dans la société pousse quasiment systématiquement les homosexuels à tenter de se conformer (sources).
Combien d’homos sont sortis avec des filles, se sont forcés, ont essayé, avant de lâcher l’affaire ? Certains arrivent suffisamment à se faire passer pour un hétéro, se marient même, restent avec une femme pour faire plaisir à leur parents, et adoptent un comportement ouvertement homophobe. Ce sont des cas fréquents, qu’on connait, et on fait quoi ? On laisse faire.
Elle est là l’urgence, donner des indices aux jeunes pour se comprendre et des éléments à tous pour tolérer cette variance dans nos populations. On ne mesure pas toujours ce que la peur d’être rejeté peut pousser à faire, et l’incroyable puissance de la société sur les individus.
J’assume totalement ma formule, et je pense qu’on devrait oser en parler plus.
Remarque
Max a bien sûr raison de souligner que la société est hétérocentriste. C’est bien pourquoi il est nécessaire que les influenceurs comme lui ne prennent pas pour des faits les préjugés véhiculés par la société actuelle. C’était le sens de ma critique. Espérons qu’il aura l’occasion de dire de manière explicite que l’hétérocentrisme existe et qu’il est regrettable, y compris dans la bouche de ceux qui luttent contre l’homophobie.
Conclusion
Parmi les critiques formulées contre la première vidéo, on a reproché à Max d’avoir abondé dans le sens de l’appel à la nature. C’était d’ailleurs le cas de ma propre critique à son égard. A la fin de cette seconde vidéo, Max se défend en considérant n’avoir pas défendu que l’homosexualité devait être acceptée car naturelle, et c’est très bien qu’il le dise… Mais c’est pour ensuite ajouter :
« il y a des tas de choses contre-nature qu’on fait qui ne posent aucun problème, comme se couper les cheveux, se brosser les dents… »
Voilà qui est fort ennuyeux, car le concept de « contre-nature » est tout aussi privé de sens que celui de « naturel ». Au lieu de vanter le contre-nature, il faudrait questionner le sens qu’on lui donne quand on l’invoque dans un vrai débat, un sens qui est toujours indexé aux valeurs morales du locuteur, comme par hasard. Le « naturel versus contre-nature » n’a donc rien à voir avec la nature, et il faudrait aider les gens à s’en rendre compte plutôt que d’ajouter une pièce dans la machine.
Ces remarques n’ont pas pour but d’éreinter Max, de le dissuader lui ou quiconque d’aborder ces questions. Si vous voulez faire de la vulgarisation scientifique sur un sujet qui touche aux représentations que nous nous faisons du monde, de notre place dans celui-ci, aux rôles que nous endossons, vous commettrez sans doute des erreurs, des imprécisions, des raccourcis. On vous les pardonnera plus facilement si les formulations que vous employez ne sortent pas d’un chapeau mais peuvent être retracées jusqu’à des sources où les nuances sont disponibles pour qui les cherche.
Droit de réponse de Max
En citant l’exemple de “se couper les cheveux, se brosser les dents” je donne ma définition de “contre-nature”, elle est simple, et formulée oralement juste après “on ne le ferait pas dans la nature”. Il ne me semble pas dangereux d’utiliser cette définition, et je pense qu’on est plus fort contre les homophobes en utilisant leur vocabulaire, en tentant de comprendre d’où vient leur méprise, qui est parfois (souvent?) la nôtre aussi.
Pour conclure je reconnais que la vidéo aurait pu être plus étayée, plus référencée, et qu’on peut m’attaquer sur ma rigueur scientifique. Je le confesse, je ne suis pas un savant, et en résumant une théorie complexe en quelques minutes, je m’exposais aux incompréhensions et aux attaques factuelles, mais j’assume d’avoir pris ce risque, car c’est la simplicité de la vidéo qui a permis la si large diffusion du message. Et si mon exposé est perfectible, son impact sur la jeune génération me semble démesurément positif.
Je reçois des messages d’homosexuels s’étant servi de la vidéo pour en parler à leur parents, de professeurs se servant de la vidéo pour lancer le débat avec leurs élèves, brisant des tabous centenaires avec eux. On me dit que la vidéo change les comportements dans les collèges, les lycées. Certains jeunes qui trouvaient l’homosexualité répugnante et provocatrice, me confessent avoir changé d’attitude. Je croise des couples gays ou lesbiens dans la rue qui me font savoir à quel point la vidéo leur donne de l’espoir quant aux années à venir.
Qu’on remettent en cause ma rigueur, je l’accepte, mais on n’effacera pas le bien que ce sketch a fait à beaucoup de monde.