On identifie sans mal certaines idéologies pour ce qu’elles sont : des combinaisons de valeurs, d’idéaux et des stratégies déployées pour les défendre.

J’ai été contacté, via LinkedIn, par une personne travaillant « pour la marque Top Santé » et son « Prix Top Santé qui récompensera des produits et services mis en avant sur la nouvelle verticale du site Topsante.com lancée cet été : Ma santé au quotidien. » Il y a de nombreuses catégories dans le concours : nutrition, compléments alimentaires, pharmacie, soin au naturel, parents, éco-responsables, service & High tech et accessoires santé, campagne de prévention. On constate que le cœur de la problématique est commercial : il s’agit pour la plupart de catégories de produits liés à la thématique « santé ».

Cerise sur le gâteau, on nous offre des places pour la soirée de remise des prix au Pavillon Gabriel, animé par monsieur François Sarkozy. Des paillettes dans notre vie.

Mon interlocuteur commence par croire que nous sommes des spécialistes de la santé. Je l’ai aimablement détrompé ; d’autres, hélas, entretiendraient cette méprise. Ça s’est déjà vu. Je vous conseille d’être attentif aux vraies qualifications des « concourants » et des lauréats.

Le projet : présenter nos « compétences dans le dossier Révélation du magazine Top Santé et sur le site dans la rubrique « ma santé au quotidien » » avec un partage sur les réseaux sociaux puis une invitation à voter sur les titres possédés par le Groupe Reworld media qui possède des magazines comme Grazia, Biba, Closer ou Marie France. « On va parler de l’événement sur toutes ces marques-là de manière à générer un très gros trafic au niveau des votants pour offrir une très grosse visibilité aux concourants. On va toucher plus de 18 millions de contacts sur cette opération. Euh. Il y a un ticket d’entrée, c’est pour ça que je filtre énormément au niveau des concourants. (…) Il y a aussi du label (…) on vous cède les droits du label Top Santé pour toute une année que vous allez pouvoir apposer sur tous vos supports. On est sur un budget global de 5000€. »

Après questionnement, on me confirme qu’il faudrait que nous donnions 5000€ pour avoir le droit de concourir. (« Il y a un travail rédactionnel derrière tout ça, un travail humain puisqu’on va monter votre article de A à Z et vous aurez un droit de regard et de correction, la seule chose qu’on va vous demander c’est un travail de validation.»)

On me promet un « véritable retour sur investissement », puisque la moindre insertion publicitaire dans le magazine Top Santé, une « marque très très forte » revient à 7500€. Heureusement pour nous, « Dans le cadre du prix, je peux me permettre de faire des pack ultra-remisés parce que si je peux offrir du contenu à mes lectrices ça va me permettre de les fidéliser, et c’est là où moi je vais y gagner.» Pour « une campagne qui va durer 4 mois », je suis censé comprendre que c’est une affaire en or.

Je reste sage au téléphone, j’écoute bien attentivement, sans faire de commentaire.

Sentez-vous le doute poindre en vous ?

On m’explique que c’est le même format que pour le « Prix du bien-être Marie France » qui en est à sa 4ème édition. « On a copié le format parce qu’on sait que ça marche très très très très bien sur Marie France. »

 « À vous de me dire si ça peut s’intégrer dans votre stratégie de communication.

— Absolument pas.

— Au moins ça a le mérite d’être clair. Je vous en remercie. Pour quelle raison ? »

Le magazine Top Santé n’est pas exactement le genre de revue qui fait montre de la rigueur attendue quand on parle de ces sujets (Cf : une vidéo de Mr Sam à leur sujet). Tout leur contenu n’est pas à jeter, on a vu pire, bien sûr (Santé magazine par exemple), mais bon… Le mélange des genres entre ce qui relève de la santé et du bien être, ainsi que la complaisance envers les pseudo-médecines nous empêche de considérer que le patronage de Top Santé améliorerait notre image. On serait même en droit d’estimer que c’est le contraire qui se passerait. Finalement, tout cela n’est qu’une opération de communication, de la publicité grimée en concours où les votants ont le choix entre des marques qui ont payé leur droit à figurer dans la liste. Nous n’avons pas la même culture, les mêmes priorités, les mêmes méthodes.

Est-il possible que nous prenions la santé plus au sérieux que le journal « Top Santé » ?

Sur la Tronche en Biais, nous invitons des gens pour partager avec le public un moment d’échange, ce moment d’échange étant la vraie valeur ajoutée de l’opération. Personne ne nous paie pour apparaître sur la chaîne ; je ne paierai jamais pour qu’on parle de zététique dans un journal. Quand nous présentons un livre à l’antenne, ou vous conseillons une vidéo, c’est parce que son contenu nous semble digne d’intérêt ; personne ne nous verse un centime pour le faire.

Mon interlocuteur comprend tout à fait. Ou presque. « Je ne peux pas prendre la décision à votre place. Ca peut vous offrir une visibilité vraiment énorme. »

Je vous annonce officiellement que la Tronche en Biais ne sera pas candidate au Prix Top Santé (et qu’elle n’est pas intéressée par les offres de partenariats commerciaux qui arrivent chaque semaine dans notre boite aux lettres). Nous ne pensons pas que le logo « Top Santé » améliore la crédibilité de nos contenus. Nous aimerions que les questions de santé et de bien être soient traitées autrement que comme de la marchandise à refourguer à « des lectrices » dont on vend l’attention à des marques qui distribuent des « crèmes et huiles visage », des « sérum visage », des « masques et gommages », des « nettoyants visage » etc. (voir la liste des gagnants 2019 du Prix Marie France)

Cela étant dit, nous ne rejetons pas les gros tirages parce qu’ils vendent des espaces publicitaires, nous rejetons seulement ceux qui n’ont pas la culture du partage des savoirs, de la rigueur des sciences, du respect du public.

À propos des propriétaires de Top Santé (https://fr.wikipedia.org/wiki/Reworld_Media)

Acermendax

Le 17 mai 2020, nous avons joué en direct une pièce de théâtre depuis nos appartements pas encore totalement déconfinés. Voici pourquoi.

Présentation

La « Peste Rose » est une pièce écrite en 2010. Avant le Mariage pour Tous et la vague d’homophobie que l’interminable débat sur le sujet a provoqué en 2013. Et évidemment avant le confinement que nous avons connu cette année. Mais après l’épisode de la grippe H1N1 de 2009 qui avait fait causé beaucoup de remous… tout en nous laissant dans l’idée que les coronavirus faisaient plus de peur que de mal.

Quand nous nous sommes retrouvés confinés, j’ai repensé à ce texte qui met en scène 4 personnages enfermés dans un appartement. Ils regardent une épidémie se propager dans les médias et affecter les discours politiques. Je me suis dit que ça valait la peine de proposer à mes amis de la jouer en direct depuis nos confinements respectifs. Ils ont accepté. Puis ils ont pris très au sérieux le travail de préparation, nous avons répété plusieurs fois et sans leur implication rien n’aurait été possible. J’avais sous-estimé le travail nécessaire à une « simple » lecture, car la distance, l’isolement, les barrières techniques ont considérablement compliqué les choses.

Il faut saluer en particulier l’équipe technique, dont Lise qui s’est chargée de réaliser le direct tout en jouant dans la pièce le rôle de la ministre de la santé.

L’homophobie existe

Avant de lancer le coup d’envoi, je dois dire un mot de la date de la représentation. Le 17 mai 2020, c’est trente ans jour pour jour après que l’organisation Mondiale de la Santé a retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Si vous avez plus de 30 ans vous êtes né dans un monde où être homo signifiait officiellement être malade pour l’OMS. En France cette déclassification a eu lieu le 12 juin 1981, il y a 39 ans. Le 17 mai est devenue la journée internationale de lutte contre les LGBTphobies, c’est aussi la date de la publication du rapport annuel de SOS homophobie. Un lien dans la description de la vidéo vous permettra d’y avoir accès dès le 18 mai.

Ce rapport montre que les discriminations et les violences ne disparaissent pas ; au contraire, les signalements augmentent ces dernières années. Bien sûr, le monde actuel est plus tolérant sur ces questions que par le passé, mais il reste des actes, des paroles, des comportements qui entraînent des souffrances que rien ne justifie. Nous avons donc de nombreux progrès à faire.

Par exemple, il existe encore de révoltantes thérapies de conversion : des gens convaincus qu’ils peuvent « soigner » leur enfant ou plus rarement eux-même. Ce sont en général des thérapies de type spirituel, ce sont surtout des efforts vains, violents et très culpabilisants. Le 1er mars 2018, quand le Parlement Européen a adopté un texte appelant les Etats membres à interdire les thérapies de conversion, 29 eurodéputés français ont voté contre ou se sont abstenu. Je profite de ma prise de parole pour le rappeler afin qu’ils en aient honte et je citerai parmi eux  Rachida Dati, actuellement en campagne pour la mairie de Paris, et Nadine Morano qui est l’eurodéputée de ma région.

Il faut attendre le jeudi 7 mai 2020, 13 jours avant notre pièce, pour que l’Allemagne vote l’interdiction de ces thérapies destinées aux mineurs. On estime que mille jeunes allemands y étaient soumis chaque année. Combien sont-ils en France ?

Dans le texte joué ce soir, se trouvent des phrases homophobes qui ne sont pas des inventions, mais des citations venues du monde politique ou religieux. Pour les trouver, vous pouvez vous aider de la version pdf qui est librement disponible via un lien ajouté dans la description de cette vidéo. Vous pouvez aussi vous procurer la version papier de la pièce avec un autre lien.

Pas de neutralité

Sur ce blog, et sur la chaîne La Tronche en Biais, nous œuvrons pour plus d’esprit critique, de littératie scientifique, de culture du débat. Nous pensons que plus d’autonomie intellectuelle protège contre les idées à la con. Et nous préférons mettre en avant la méthode afin d’aider tout le monde à penser mieux plutôt que de dire ce qu’il faudrait penser. Néanmoins, nous ne sommes pas neutres, et nous pensons que certaines idées méritent d’être battues en brèche. Ce texte est clairement engagé contre l’homophobie, et cet engagement est pleinement compatible avec le reste de notre travail. Il ne l’éclipsera jamais, mais nous n’avons pas l’intention de laisser dire ou croire que ce n’est pas notre rôle de questionner les représentations que nous nous faisons tous les uns des autres ; c’est exactement ce que fait cette pièce de théâtre, en toute non-neutralité. Et nous l’assumons sereinement.

J’espère que vous apprécierez le spectacle préparé pendant le confinement, que vous passerez un moment agréable et utile en notre compagnie.

Vous pouvez vous procurer la version papier de ce texte sur cette page.

Après la représentation, L’équipe s’est réunie pour une after en direct disponible ici :

Rideau.

Acermendax

Selon un sondage commandé à l’IFOP par Charlie Hebdo il y a quelques jours ; à la question suivante : « En France, la loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse autorise l’expression de critiques, y compris outrageantes, à l’encontre d’une croyance, d’un symbole ou d’un dogme religieux.

Personnellement, êtes-vous favorable à ce droit de critiquer, même de manière outrageante, une croyance, un symbole ou un dogme religieux ? »

Les français répondraient non à 50%

Source

Cela voudrait dire que la moitié des français veulent interdire ce qu’on pourrait appeler un droit au blasphème. Il y a des choses qu’on ne doit pas dire concernant les croyances, les symboles et les religions.

NB : la monétisation de cette vidéo est « limitée » par YouTube…

D’abord je me permets de douter un peu de la valeur de ce résultat. Le sondage vient en réaction à l’affaire Mila où une adolescente de 16 ans qui fait des lives sur Instagram, en réponse à une insulte homophobe, a répliqué par des propos très virulents sur la religion de celui qui l’insultait, en l’occurrence l’islam. Il est bien possible que dans ce contexte les gens soient un peu échaudés par les images de Mila, par les messages de haine, par les réactions outrées des uns et des autres, et n’aient pas bien réfléchi à la portée réelle de leur réponse. C’est cela ou bien la moitié des gens autour de nous veulent interdire le blasphème, et sincèrement j’en doute.

Parce que je crois que les français tiennent trop à leur liberté d’expression pour accepter ce genre d’interdiction.

Autour de cette affaire il y a eu des propos que je qualifierais de débile (au sens propre), notamment de la part de la ministre de la justice, Nicole Belloubet sur Europe 1 quand elle ditque « l’insulte à la religion c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience. C’est grave ».

On a aussi le délégué général du Conseil français du culte musulman Abdallah Zekri, à l’antenne de l’émission Les Vraies Voix sur Sud Radio : « qui sème le vent récolte la tempête ». « Elle l’a cherché, elle assume ».

Et de l’autre côté on a le spectacle vaseux des médias d’extrême droite qui tentent de se faire passer pour les champions de la laïcité en défendant Mila. No comment.

Une jolie shitstorm, donc. Et j’aimerais en profiter pour partager une réflexion sur la liberté d’expression, la liberté de conscience et le blasphème.

Je commence avec une définition glanée sur le site de l’Eglise catholique.

 « du grec blapein, « léser, nuire » et pheme « réputation » : Le blasphème consiste à proférer contre Dieu, intérieurement ou extérieurement, des paroles de haine, de reproche, de défi, à dire du mal de Dieu, à manquer de respect envers Lui dans ses propos, à abuser du nom de Dieu pour couvrir des pratiques criminelles, réduire des peuples en servitude, torturer ou mettre à mort. Le blasphème s’oppose directement au deuxième commandement (CEC 2148). Son interdiction s’étend aux paroles contre l’Église du Christ, les saints, les choses sacrées. Le blasphème est en soi un péché grave (CIC, canon. 1369).

https://eglise.catholique.fr/glossaire/blaspheme/

Le blasphème contre le Saint Esprit est le refus délibéré d’accueillir la miséricorde de Dieu par le repentir (CEC 1864). »

En Islam on parlera plutôt d’apostasie, mais on aura une définition tout aussi large. Le blasphème c’est large, et c’est toujours défini d’abord par ceux qui voudraient l’interdire et jamais par ceux qui en font usage. Le blasphème en réalité c’est ce qui est insupportable au croyant. Point.

Une parenthèse pour préciser que dans un Etat laïc le blasphème n’existe tout simplement pas, puisqu’on ne reconnait à personne la propriété d’une vérité sur Dieu. Cf l’intervention de Mona Ozouf dans CàVous :  https://twitter.com/cavousf5/status/1225844423222648837

A quoi sert le blasphème ?

Quand on pose la question c’est, je pense, qu’on n’a pas compris le concept. Le blasphème ce n’est pas une insulte. La preuve on peut blasphémer sans insulter : « Je renie Dieu ». Si vous vous sentez insulté ben c’est vraiment très triste.

À l’inverse, insulter un croyant, ben c’est de l’injure avant d’être du blasphème, et c’est répréhensible au titre des droits des personnes ciblée

Le blasphème peut prendre des formes tapageuses. Par exemple si je dis « Je déteste Dieu. C’est une ordure, je voudrais qu’il meure dans d’atroces souffrances » il faut comprendre que c’est très différent de dire « Je déteste ce mec, là, Charlie. C’est une ordure et je voudrais qu’il meure dans d’atroces souffrances ».

Dans le premier cas il y a blasphème, dans le second il y a menace, appel à la haine, voire au meurtre. Le blasphème est une offense qui ne peut pas faire de victime. Plus exactement : la victime c’est la croyance, et une croyance n’a aucun droit, ne peut faire valoir aucun préjudice sur sa personne, ou bien alors c’est Dieu. Et j’estime qu’il faut être très orgueilleux ou avoir une foi bien fragile pour vouloir prendre la défense de Dieu. Laissez-le gérer ça.

Le blasphème en tant que tel n’est donc pas une insulte car il ne vise pas les individus mais les idées. Ensuite… Le blasphème ça ne sert pas à argumenter ou à démontrer quoi que ce soit. « Regardez : une église brûle. Il est où Dieu ? » est une phrase qui ne peut rien démontrer, ce n’est pas son but. Tous les énoncés n’ont pas pour but d’être des arguments. Quand on veut débattre, on s’y prend autrement.

Maintenant que j’ai dit ce que n’est pas le blasphème, essayons de voir ce que c’est.

Le blasphème est la transgression d’un interdit, c’est un affront au sacré. Dire « l’islam c’est de la merde » ou « le judaïsme c’est pourri », ça peut déplaire à beaucoup de gens, c’est peut-être vulgaire et même stupide, mais c’est un énoncé qui tire sa raison d’être de lui-même.

Le fait de pouvoir le dire est important, parce que c’est comme ça que se manifeste l’existence d’une liberté de conscience. Le blasphème n’est donc pas du tout l’ennemi de la liberté de conscience ; c’est tout l’inverse. Le blasphème est un moyen de mesurer si l’on est autorisé à exprimer publiquement son opinion sur des questions relatives au sacré. Et il n’y a pas que du religieux dans le sacré. Vous avez le droit de dire « j’emmerde la démocratie » ou « l’athéisme c’est que de la connerie ». Cela heurte les valeurs profondes de certaines personnes, mais elles s’en remettront. Et je gage que vous ne recevrez pas de menace de mort.

Pour finir je vais me permettre de donner un conseil. Comment faut-il réagir face à un blasphème, quand un énoncé s’attaque à une idée importante pour nous, la rabaisse, la salit ?

Selon moi, nous avons trois options raisonnables.

1. La première c’est d’ignorer ce genre de propos, généralement peu construits, peu écoutés, peu enclins à initier une conversation utile. Il y a de la sagesse à ignorer les gros cons qui respirent autour de nous.

2. La deuxième c’est de demander à l’individu de justifier ses propos. « Ah, vous trouvez que la laïcité va détruire notre civilisation ? Et qu’est-ce qui vous permet d’arriver à une telle conclusion ? » En général ça ne va pas aller beaucoup plus loin, et votre ouverture au dialogue sera une réponse en réalité extrêmement forte.

3. La troisième qu’il ne faut pas négliger c’est votre droit légitime à exprimer votre mépris envers un propos qui vous offense. Vous pouvez dire « merde » au blasphémateur et passer à autre chose. Vous n’en serez que plus heureux.

Mais si vous voulez faire taire la satire, l’outrance, l’absurde, le rejet, le libre exercice de la critique des idées, évitez de croire que 50% des français sont derrière vous. Il ne faut pas trop se fier à ce que les sondages ont l’air de dire sur des questions aussi complexes.



A lire sur le sujet :

https://actuelmoyenage.wordpress.com/2020/02/06/etre-mila-le-blaspheme-au-moyen-age/

J’ai déjà parlé de l’incroyance sur ce blog, et de la manière dont le langage autorise mal à parler de ce que l’on ne croit pas sans que l’on soit hautement tenté de comprendre qu’il est question de ce que l’on croit ne pas être.

Cette nuance primordiale échappe souvent, je le vois dans les conversations. Je vais donc essayer de la rendre concrète : prenons l’exemple d’une jarre dans laquelle quelqu’un a placé une quantité importante mais inconnue de billes. Si vous me demandez si je crois que la jarre contient un nombre pair de bille, je vous répondrai non. Si vous voulez en conclure que je crois que la jarre contient un nombre impair de bille, vous êtes imprudent. En réalité, je ne crois pas non plus que la jarre contient un nombre impair de bille. Je peux regarder cette jarre, admettre qu’elle contient des billes et ne tenir aucune croyance du genre. Notez que je ne suis pas agnostique du nombre de billes, puisqu’il suffit de l’ouvrir et de les compter pour avoir une réponse définitive. Mais en l’absence d’un tel comptage, je ne crois rien par rapport à la question d’un nombre pair ou impair. Il s’agit bien d’une absence de croyance.

Je voudrais commencer en essayant de prendre un peu la mesure de l’injonction socio-culturelle intransigeante sur la question de la croyance en Dieu. Le langage lui-même est pris en otage. La non-croyance n’est désignée qu’en référence à la croyance en Dieu, et tous les mots qui désignent les non-croyants sont forgés dans un paradigme de croyant : infidèles, impies, mécréants, incroyants, incrédules… athées. Ces mots à connotation très négative stigmatisent l’anormalité ou l’indésirabilité de leur posture.

C’est parce que nous vivons dans un monde où, des millénaires durant, la croyance a eu tous les pouvoirs, où Dieu est une question omniprésente dans notre histoire, dans notre société, que l’on range dans un même sac ceux qui ne partagent pas l’option métaphysique dominante. Ce sac, c’est l’athéisme, et c’est problématique.

Que dit la philosophie ?

« “Atheism” is typically defined in terms of “theism”. Theism, in turn, is best understood as a proposition—something that is either true or false. It is often defined as “the belief that God exists”, but here “belief” means “something believed”. It refers to the propositional content of belief, not to the attitude or psychological state of believing. This is why it makes sense to say that theism is true or false and to argue for or against theism. If, however, “atheism” is defined in terms of theism and theism is the proposition that God exists and not the psychological condition of believing that there is a God, then it follows that atheism is not the absence of the psychological condition of believing that God exists (more on this below). The “a-” in “atheism” must be understood as negation instead of absence, as “not” instead of “without”. Therefore, in philosophy at least, atheism should be construed as the proposition that God does not exist (or, more broadly, the proposition that there are no gods). 
This definition has the added virtue of making atheism a direct answer to one of the most important metaphysical questions in philosophy of religion, namely, “Is there a God?” There are only two possible direct answers to this question: “yes”, which is theism, and “no”, which is atheism. Answers like “I don’t know”, “no one knows”, “I don’t care”, “an affirmative answer has never been established”, or “the question is meaningless” are not direct answers to this question. »

Source : https://plato.stanford.edu/entries/atheism-agnosticism/

En résumé : l’athéisme est initialement défini dans un paradigme théiste. Il faut être en présence de l’idée de Dieu pour pouvoir désigner la position de ceux qui ne tiennent pas cette idée pour vraie. Les débats philosophiques portant généralement sur la question ontologique, celle de l’existence de Dieu, alors l’athéisme est résumé à la posture de ceux qui disent non.
Pour éviter de réduire l’athéisme à une invention du paradigme croyant, on a proposé de lui fournir une définition « positive » : l’athéisme est la conséquence d’une position naturaliste, d’un matérialisme ontologique. En d’autres termes ceux qui considèrent que l’Univers trouve sa cause dans des processus physiques, affirment l’inexistence du surnaturel, et donc ne croient pas en dieu.

Les philosophes admettent que le terme athée est polysémique et qu’il peut aussi désigner l’état mental de celui qui ne croit pas en Dieu ou croit en son inexistence. Cet athéisme psychologique est une notion très intéressante, mais elle est généralement marginale car inopérante dans la recherche de la réponse à « Dieu existe-t-il ? » qui occupe, allez savoir pourquoi, bien plus de temps de cerveau disponible que la question des facteurs psychologiques qui conduisent à cette croyance (Cf L’ironie de l’évolution, chapitre 4).

Déjà nous voyons qu’il est faux d’affirmer qu’il existe un consensus philosophique sur les contours du concept d’athéisme, et que personne n’est rationnellement fondé à imposer sa définition aux autres.

Un désaccord

Je suis en désaccord avec la définition que le(s) dictionnaire(s) donne(nt) à « athée » (Cf la Pastille de Vled) et nous venons de voir que du côté des philosophes, en lieu et place d’un consensus, nous avons plutôt un choix instrumental dans le cadrage de la notion en raison d’une longue tradition apologétique et du poids de la pensée religieuse sur toutes les entreprises de réflexion métaphysique. Pour les philosophes, l’athée est donc en général et pour faire simple, la personne qui, à la question « Dieu existe-t-il ? », répond non. J’estime qu’il faut se demander si c’est bien avec cette question que l’on doit catégoriser les gens dans leur rapport au concept de Dieu. Je pense que c’est une erreur de procéder ainsi, et je proposerai une nomenclature plus adéquate un peu plus bas.

Autre problème : dans la tradition philosophique, le mot croyance est incroyablement polysémique car toute représentation mentale peut recevoir cette étiquette. Nous aurions sur le monde des croyances justifiées et des croyances injustifiées, des croyances fausses et des croyances correctes, et rien d’autre. Cette prémisse, si on l’admet, anéantit d’emblée, par le seul pouvoir illocutoire de cette définition de « croyance », la possibilité d’avoir sur une question une absence de croyance. Or, j’ai bien une absence de croyance sur le nombre pair ou impair de billes dans la jarre, ce qui est une position sceptique. C’est bien l’acte du sceptique de penser que l’on peut suspendre son jugement, ne pas « croire » en X, tout en agissant au quotidien conformément à ce que le contexte nous incite à estimer le plus raisonnable, même si cela concerne X plus ou moins directement.

Illocutoire : qui s’accomplit par l’usage même de la parole.

https://www.cnrtl.fr/definition/illocutoire

C’est donc peut-être parce que je défends la posture philosophique du sceptique que je suis particulièrement sensible aux défauts de cette approche qui fait de toutes nos représentations mentales des croyances. Je défends une nuance entre la position ontologique (mon jugement sur ce qui EST ou sur ce qui n’EST pas) et les choix et idées que nous faisons de manière pragmatique dans des situations où s’impose à nous de faire ces choix.
Par exemple, je peux avoir peur dans une maison « hantée » sans pour autant croire aux fantômes. Telle personne peut éviter une échelle par habitude, par biais de conformité ou pour d’autres raisons qui ne nous disent pas si elle croit en la malchance. Ces exemples illustrent bien qu’agir ou ressentir d’un côté et « croire en la réalité d’une représentation mentale » de l’autre sont choses dissemblables. C’est pourquoi j’estime utile de préciser mon vocabulaire en souhaitant qu’il soit utilisé le plus largement possible :

Nomenclature proposée :

● Théisme : On répond oui à la question « Croyez-vous / pensez-vous qu’il existe un Dieu, qu’il s’est révélé à l’Homme et entretient une relation avec lui »

● Déisme : On répond oui à la question « Croyez-vous / pensez-vous qu’il existe une entité douée de volonté à l’origine de l’univers » (s’y ajoute toutes les sortes de croyances possibles entre cette position minimale et le théisme)

● Panthéisme : On répond oui à la question « Croyez-vous / pensez-vous que Dieu est la Nature, douée d’une forme de volonté créatrice »

● Athéisme : On répond non à « Croyez-vous / pensez-vous qu’il existe un ou des dieux »

● Apathéisme : On répond « Rien à cirer » aux questions concernant le ou les dieux. Et convenons que cela peut aussi constituer une position sur l’axe épismétique que nous verrons plus bas. C’est la seule option qui implique nécessairement une indifférence à la question de Dieu.

● Négathéisme : On répond oui à « Croyez-vous / pensez-vous qu’il n’existe pas de dieu(x) ». J’ai forgé ce mot pour les raisons mêmes qui m’ont poussé à écrire cet article. Peut-être choisirez-vous de l’utiliser pour clarifier vos conversations.

Ces termes s’appliquent à la dimension ontologique de la question de Dieu : la relation de la personne à la question de son existence. Mais cette question possède une deuxième dimension, celle de la connaissance que l’on pense détenir.

● L’agnostique répond non à « puis-je acquérir une connaissance (définitive) au sujet de dieu ?»

C’est le sens strict de ce mot depuis son invention par Thomas Huxley : « J’ai inventé le mot « Agnostique » pour qualifier les personnes qui, comme moi, se confessent désespérément ignorantes sur bien des sujets à propos desquels les métaphysiciens et les théologiens, qu’ils soient orthodoxes ou hétérodoxes, professent dogmatiquement leur plus extrême certitudes »[1]
La forme militante de l’agnostique serait : « je n’ai pas la connaissance, et vous non plus ; personne n’a la connaissance ». Il s’agit d’une posture rationnelle dont j’ai déjà parlé dans cet article.

Le gnostique, par opposition, est dans la position où l’on répond oui à cette question. On peut retrouver des explications allant dans le même sens sur diverses sources, la plupart anglophones

Moins connu, mais tout aussi utile : l’ignosticisme, à la question « Dieu existe-t-il ? » répond « Je ne dispose pas d’une définition cohérente de Dieu, et par conséquent la question n’a pas de sens pour moi. » Les ignostiques renvoient les croyants de tous bords faire un travail de définition de ce en quoi ils croient.

Les deux axes (ontologique / épistémiques) étant distincts, on peut « cumuler » certaines étiquettes ci-dessus. Il est tout à fait possible d’être agnostique et n’importe laquelle des 5 options de l’axe ontologique. En particulier on peut sans problème (et cela arrive souvent chez les militants de l’athéisme) être à la fois athée et agnostique… et même ignostique en prime.

Cette nuance entre un axe ontologique et un axe épistémique n’est pas une tocade de militant athée puisqu’on la retrouve clairement dans l’encyclopédie de philosophie de Stanford : « On peut, de manière cohérente, croire que l’athéisme [ici au sens de négathéisme] (ou le théisme) est vrai tout en niant que l’athéisme (ou le théisme) est démontré vrai. »[2]

Il existe d’autres dimensions à la question de Dieu. Donnons deux exemples.

L’antithéisme juge l’idée de Dieu offensante, moralement rédhibitoire, et professe qu’on est fondé à espérer qu’il n’existe pas. C’est la position défendue par Thomas Nagel[3] ou encore par Christopher Hitchens[4]. On l’entend aussi dans le sens d’une opposition au théisme, c’est-à-dire à la croyance en l’existence d’un dieu. (Je conseille à tout le monde de ne pas donner à antithéisme un autre sens que l’un de ces deux-là, sinon les conversations sur le sujet deviennent compliquées).

L’anticléricalisme s’oppose au pouvoir des institutions religieuses qui prétendent parler au nom de Dieu.

Objection

La présentation ci-dessus ne fait pas forcément l’unanimité, et la possibilité que je défends d’être à la fois athée et agnostique suscite quelques réactions de rejet. J’ai notamment reçu la critique suivante de la part d’un sceptique intéressé par les questions d’apologétique :

« Je dirais que seules des personnes qui n’ont jamais entendu parler de quelque chose peuvent réellement être dans une position d’absence de croyance. Par exemple, un enfant qui n’a jamais entendu parler du Bigfoot est dans une absence de croyance par rapport à son existence ou inexistence. »

Connaître l’existence d’une hypothèse, et même lui accorder un traitement bayésien pour évaluer le niveau de crédence qu’on lui accorde, suffit-il pour tenir une « croyance » ? Il me semble que la charge de la preuve incombe à ceux qui affirment que nous avons tous une croyance vis-à-vis de tous les concepts portés à notre connaissance, parce sinon nous en revenons à la puissance performatrice du langage qui décide que la croyance c’est cela parce que la croyance c’est cela, et dont un sceptique est en droit de douter. Je ne vois pas au nom de quoi on ne pourrait pas être sans avis, sans « croyance » sur Jésus Christ, par exemple. Vouloir tout réduire à des chiffres bayésiens sensés définir ce que l’on croit me semble très insuffisant. L’approche bayésienne nous aide à évaluer l’évolution de nos représentations, à comparer notre niveau de crédence avec celui d‘un interlocuteur pour identifier quel aspect de la question en jeu nous sépare, mais elle ne dit quasiment rien de nos options ontologiques… L’approche bayésienne ne nous renseigne que sur 3 options ontologiques : 0%, 100% ou entre les deux. D’un point de vue ontologique rien ne distingue un 0,1 % d’un 99,9 %, ou plus exactement il n’y a pas de frontière objective à franchir, puisqu’il n’y a pas de bornes délimitant le doute, et pourtant ce continuum ne saurait se réduire à un vaste 50/50 ; il semble évident qu’il existe plus de nuances que cela.


NB : Le bayésianisme n’est pas le sujet principal de cet article, et le paragraphe ci-dessus est très insatisfaisant, et insuffisant pour exprimer ma pensée (encore incomplète) sur le sujet. Je vous renvoie vers un échange avec Monsieur Phi sur Twitter, où il défend l’utilité du bayésianisme dans ce contexte (ce que je ne conteste pas). Ca se passe ici.


Pour savoir s’il est possible d’être athée et agnostique à la fois, il peut être utile de se demander ce qu’en pensent les personnes concernées.

Un petit sondage

J’ai demandé sur Twitter aux gens se reconnaissant « athées » de choisir quel énoncé retranscrit le mieux leur relation au concept « Dieu ».

  1. Je crois que Dieu n’existe pas.
  2. Je ne crois/pense rien au sujet de son existence.
  3. Je sais qu’il n’existe pas.

Les 3 options sont complémentaires : pour qui se dit athée (dans les différentes acceptions du terme), il ne peut pas exister d’autre choix logique.

Les choix 1 et 3 correspondent aux « vieilles » définitions de l’athéisme, celles des dictionnaires et d’une partie de la philosophie, ce que j’ai proposé d’appeler négathéisme. On voit bien que la moitié des athées de l’échantillon ne s’y retrouvent pas.

Le choix 2 devrait être celui des apathéistes, et aussi de beaucoup de ceux qui se disent  « agnostiques » (en donnant à ce mot le sens d’athéisme faible qu’il a souvent dans le langage courant). Les ignostiques et les antithéistes pourraient sans doute émarger aux 3 propositions. Tous ceux qui estiment que l’Univers ou la Nature est Dieu n’entrent pas dans la catégorie athée, ils ne sont pas concernés par ce sondage.

Évidemment, un tel sondage est très biaisé car les répondants ne sont pas n’importe qui : ils ont un lien plus ou moins étroit avec le compte twitter de la TeB, et ont donc probablement été exposés à nos idées sur le sujets, fréquentent des sites similaires, partagent avec nous un certain nombre d’idées, peuvent être influencés par les commentaires qui entourent le sondage, etc. On ne pourra pas tirer de conclusion ferme des réponses fournies, ni établir une nouvelle définition de l’athéisme simplement en traitant ces données.

L’utilisation dans les énoncés du verbe « croire » sans en préciser le sens est source d’hésitation et de plaintes de la part des internautes, de même que le sens de « Dieu » que j’ai pourtant incité à recevoir dans sa signification la plus large (et donc dans le sens du déisme, voire du panthéisme). Quant au flou autour du mot athée, il constitue l’objet même de ma démarche.

On a porté à mon attention un possible biais de désirabilité vers le choix 2 pour les athées qui ne veulent pas admettre qu’ils « croient » quoi que ce soit (Merci Franck Ramus). C’est en effet possible. Ce biais va dans le sens d’une concentration des votes pour la proposition 2, qui est celle dans laquelle je me reconnais moi-même.

Pour tirer de ce sondage biaisé un enseignement utile et au moins un peu fiable, il nous faut choisir soigneusement la question à laquelle nous voulons qu’il nous aide à répondre. Pour moi cette question est la suivante :  obtiendra-t-on une réponse très majoritaire ou un éparpillement des choix ? Les biais mentionnés plus haut feront pencher la balance vers une réponse stéréotypée, or on constate une distribution 27%, 54%, 19%, qui correspond à un relatif éparpillement. Même si l’option 2 sort en tête, aidée par les biais d’échantillonnage, 46% des répondants ne se reconnaissent pas dans cette option.

Qu’en conclure ? Que le mot athée revêt divers sens chez ceux qui se réclament de cette catégorie. On trouve des athées qui affirment l’inexistence de Dieu, d’autres qui tiennent une croyance sur cette non-existence, et, de toute évidence, des athées qui veulent s’en tenir à une posture de non-croyance.

Vers une définition minimale ?

La diversité des réalités individuelles derrière le mot athée interdit selon moi de se contenter de la définition des dictionnaires qui en fait la position de ceux qui, à la question « Dieu existe-t-il ? »,  répondent non.

Les athées ne constituent pas un groupe homogène, il ne s’agit pas d’une catégorie que l’on jugerait robuste en systématique, la science de la classification des êtres vivants. En effet, dans cette discipline on sait bien que les catégories construites sur l’absence partagée d’un caractère sont fragiles et souvent fausses. Il est légitime de rassembler dans un même groupe tous les êtres vivants qui possèdent des plumes, mais certainement pas d’en faire autant avec tous ceux qui n’en possèdent pas, car alors on obtiendrait un groupe rassemblant pêle-mêle le castor, la vipère, la coccinelle, le champignon de Paris et le bacille de la tuberculose. Un tel groupe n’apporte rien à la connaissance des apparentements des organismes qu’il contient. Et pourtant ces organismes existent.
Ce que tous les athées partagent, le caractère commun minimal, c’est l’absence de croyance en dieu.  Cela en fait un groupe difficile à définir. Et pourtant les individus qui se reconnaissent dedans existent.

Il faut donc selon moi donner à athée le sens le plus large pour qu’il englobe tous ceux qui s’en réclament (ou alors il faut les corriger et les diriger vers d’autres catégories bien définies). Ce qui les rassemble tous c’est l’absence d’adhésion à « l’hypostase Dieu ».

Cette position sur l’usage des mots est aussi celle de Matt Dillahunty (The Atheist Experience), et globalement des New Atheists anglosaxons. Il ne faut donc plus définir l’athéisme comme la position de ceux qui répondent non à la question « Dieu existe-t-il ? », car la moitié des athées trouvent la question mal posée et préféreront vous répondre mu.

Hypostase : Le terme hypostase désigne selon les époques, le contexte et les auteurs une substance fondamentale, un principe premier, l’individualité qui existe en soi ou la substance durable, la personne.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hypostase

Conséquences

L’athéisme ainsi conceptualisé est la position par défaut de l’esprit humain qui n’accepte pas de croire d’emblée, mais fait peser le fardeau de la preuve sur les énoncés qui affirment l’existence de quelque chose. Les sceptiques admettent cela sans problème sur l’intégralité des sujets, je ne m’attends pas à ce qu’on puisse défendre la position inverse, inopinément, sur la question de dieu.

L’athéisme au sens large est donc une absence de croyance de la même manière que ne pas collectionner de timbres est une absence de hobby. Nous savons que chauve n’est pas une couleur de cheveux, et que je n’ai pas besoin d’abonnement pour ne pas aller à la piscine.

L’agnosticisme n’en perd par pour autant toute sa légitimité initiale de positionnement sur l’axe épistémique. On peut ne pas croire et estimer que la connaissance est impossible ; on est alors athée et agnostique. On peut même croire (en l’existence ou en l’inexistence) tout en reconnaissant qu’il est impossible d’avoir une certitude rationnelle, et donc rien n’interdit à l’agnostique d’être croyant.

Enfin, un athée (et peut-être même un croyant) agnostique est en droit d’estimer que les propositions sur lesquelles il est amené à exprimer un avis sont mal formulées (au sens mathématique : l’énoncé est incohérent / incompréhensible), et en conséquence de répondre mu et à se considérer, en plus du reste, ignostique.

Peut-être ma position sur ces questions est-elle plus sophistiquée que la moyenne, et peut-être relève-t-elle d’un scepticisme radical qui ne devrait pas aujourd’hui être appelé athéisme, mais la langue est vivante et l’usage, bien souvent, fait loi.

Bref, quand on parle d’athéisme, il faut se demander si l’on parle d’une croyance ou d’une absence de croyance, et faire évoluer notre lexique pourrait nous y aider.

[1] « invented the word “Agnostic” to denote people who, like [himself], confess themselves to be hopelessly ignorant concerning a variety of matters, about which metaphysicians and theologians, both orthodox and heterodox, dogmatise with the utmost confidence. (1884) » T.H. Huxley The Agnostic Annual (1884)

[2] « one can consistently believe that atheism (or theism) is true while denying that atheism (or theism) is known to be true. »  https://plato.stanford.edu/entries/atheism-agnosticism/

[3] Nagel, Thomas, 1997, The Last Word, Oxford: Oxford University Press. doi:10.1093/0195149831.001.0001

[4] Christopher Hitchens, Dieu n’est pas grand, 2007, Belfond.

La Miviludes est / était la Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Cet organisme de l’État français, créé en 2002 sous l’autorité du Premier ministre est unique au monde. Ses fonctions sont définies par le décret de 2002 qui l’institue :

  • Observer et analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire dont les agissements sont attentatoires aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ou constituent une menace à l’ordre public ou sont contraires aux lois et règlements ;
  • Favoriser, dans le respect des libertés publiques, la coordination de l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre de ces agissements ;
  • Développer l’échange des informations entre les services publics sur les pratiques administratives dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires ;
  • Contribuer à l’information et à la formation des agents publics dans ce domaine ;
  • Informer le public sur les risques, et le cas échéant les dangers, auxquels les dérives sectaires l’exposent, et faciliter la mise en œuvre d’actions d’aide aux victimes de ces dérives ;
  • Participer aux travaux relatifs aux questions relevant de sa compétence menés par le ministère des affaires étrangères dans le champ international.

Sa position unique lui donne accès à l’ensemble des services administratifs, et permet d’engager sans délai des démarches auprès des différents ministères intéressés par les dérives sectaires : justice, intérieur, éducation, santé, etc. Si elle dépendait du ministère de l’intérieur, comment gérer correctement 50% des signalements qui concernent des dérives thérapeutiques ?

Courroie de distribution entre les associations de victimes et les organes de l’état en mesure de déclencher des réponses institutionnelles, la Miviludes fait ouvrir une centaine d’affaires judiciaires par an. Ses agents assurent également une mission de formation des policiers afin d’améliorer leurs capacité d’accueil des témoignages de victime et leurs aptitudes d’enquête sur les questions sectaires.

Cette mission est donc indispensable pour coordonner les efforts contre les manipulations mentales. En mai dernier, nous avions publié une vidéo pour vous rappeler que chacun peut jouer un rôle dans la lutte contre les sectes en prenant attache auprès des professionnels engagés dans ce travail. Encore faudrait-il que ces professionnels restent en poste.

De toute évidence, ce dont nous avons besoin, c’est d’une Miviludes avec plus de moyens humains et financiers afin de contrecarrer la puissance des sectes, en particulier à l’échelle internationale, notamment en ce qui concerne la scientologie et l’anthroposophie. Plus de 20% des français sont ou ont été confrontés dans leur entourage aux problèmes des dérives sectaires. On compte plus de 500 000 adeptes en France. La Miviludes reçoit chaque année toujours plus de signalements.

Interrogées, des agents de la Miviludes nous confient :  

« il y a de plus en plus de cas graves ». « Il y a beaucoup d’escrocs dans les salons Bio (…) On constate de l’entrisme dans les milieux décisionnaires. », « Il y a de grandes puissances financières impliquées ».

On apprend notamment que la Miviludes reçoit « beaucoup de signalements liés aux écoles Steiner ». Il nous faut nous arrêter sur ce détail.

Les prises de parole publiques contre l’anthroposophie sont si rares que le mouvement sectaire entend faire croire que Grégoire Perra, ex-anthroposophe engagé dans la dénonciation de ce qu’il a vécu depuis son enfance dans le mouvement, est un affabulateur isolé (voir son blog à cette adresse). Un article récent se faisait l’écho de ces signalements qui restent à ce jour peu connus du grand public. Grégoire Perra est attaqué en diffamation par des médecins anthroposophes et par la Fédération des écoles Steiner-Waldorf. Le délibéré est attendu… aujourd’hui même. Nous avions reçu Grégoire dans notre émission en 2018 :

L’utilité ou l’efficacité de la Miviludes sont parfois critiquées. Il est fort probable que la mission telle qu’elle existe ne soit pas à la hauteur des défis dans un contexte de recrudescence des mouvements ésotériques (voir notre émission sur le sujet). Mais, tout de même, son travail n’est pas sans mérite :

La Miviludes est morte ?

Mais c’est terminé, la Miviludes va disparaître, non pas en étant simplement fermée (ce qui pourrait causer des vagues), mais dispersée au sein d’autres services.

« La Miviludes va être purement et simplement dissoute au sein du ministère de l’Intérieur« , nous confirme un associatif qui collabore avec la mission interministérielle depuis de nombreuses années.

Source : https://www.franceinter.fr/lutte-contre-les-sectes-la-miviludes-va-t-elle-disparaitre

« L’ancien président de la mission Georges Fenech, président de la mission de 2008 à 2012 regrette cette décision car il estime que la lutte contre les sectes et contre la radicalisation sont deux combats différents. « Certes les sectes se retrouvent dans le monde religieux, mais aussi dans la santé, l’éducation, la culture ou le monde sportif« , explique-t-il. À ses yeux, pour faire des économies, on se prive d’un outil fondamental et l’on fait disparaître la lutte contre les sectes. »

Source : https://www.franceinter.fr/lutte-contre-les-sectes-la-miviludes-va-t-elle-disparaitre?fbclid=IwAR2cQ9oW5UTSWGSCN8Tu4w9gMyBzzF4jTLDXyxCG6QeeTrhL34Uhxc91cJo

Une telle décision peut se justifier d’un point de vue idéologique, si l’on opte pour une forme de libéralisme qui croit à l’autonomie de la volonté individuelle, une vision de l’État où celui-ci se désengage de ses responsabilités envers les personnes manipulées et s’illusionne sur la capacité de chacun à ne faire que des choix raisonnables, raisonnés sur lesquels la société n’a aucun droit de regard.

On trouvera sans doute des justifications de cet ordre après la publication officielle de la décision d’étouffer calmement la Miviludes dans une lente et mortelle étreinte administrative « d’optimisation ». Bien sûr, on pourra se battre sur le plan idéologique pour défendre les victimes qui n’ont pas spécialement besoin de la double peine que leur infligera une société qui les déclare coupables de se faire manipuler.

https://twitter.com/jbaptistemalet/status/1178790816246091776

Dans cet article, nous ne tenterons pas une confrontation idéologique, nous allons simplement douter de l’honnêteté et de l’indépendance intellectuelle des personnes qui prennent la décision de frapper la lutte anti-secte, parce qu’à ce stade le doute nous semble une étape nécessaire. Nous vous laisserons juges de ce que ces doutes vous inspirent.


L’Anthroposophie est probablement la secte la plus puissante d’Europe. Aucune autre n’a autant d’argent, d’écoles, d’entreprises, de réseaux… Elle est donc, avec la scientologie (bien plus célèbre) l’ennemie principale de la Miviludes. En 2018, elle gagnait déjà sur le plan judiciaire sa guerre contre la Mission interministérielle.

Les réseaux anthroposophes sont-ils assez puissants, en France, pour obtenir la tête de l’organisme chargé de lutter contre leurs dérives ? L’inquiétude n’est pas nouvelle :

« Catherine Picard, députée PS et présidente de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (UNADFI), déclare en novembre 2005 que la MIVILUDES est trop timorée et ne remplit plus son rôle, « se bornant à communiquer une fois par an un rapport sur l’air de Tout va très bien » et affirme que certains membres du gouvernement Villepin, en particulier Nicolas Sarkozy, « s’affichent comme favorables aux sectes ». »

Source : Wikipédia, article Miviludes.

Regardons le gouvernement sous l’angle de la question de l’entrisme sectaire dans les milieux décisionnaires.

Marc Guillaume, secrétaire général du gouvernement, est reconnu par tous les acteurs du milieu anti-secte comme l’artisan du démantèlement de la Miviludes.

Pendant 10 ans, il a œuvré pour que les vins de Bourgogne obtiennent une reconnaissance mondiale de l’UNESCO en s’appuyant sur l’Association des Climats du vignoble de Bourgogne, successivement dirigé par Aubert de Villaine (Domaine Romanée-Conti) puis Guillaume d’Angerville (Domaine Marquis d’Angerville), deux exploitations qui emploient la biodynamie.

Parmi la trentaine de mécènes (viticulteurs prestigieux, distributeurs de grands vins en Europe) appartenant à l’Association des Climats du vignoble de Bourgogne, et dont les noms apparaissent à la fin de la vidéo : Les Climats du vignoble de Bourgogne – Terroirs d’histoire et d’excellence – Trésor pour l’humanité, la quasi-totalité pratiquent la biodynamie. La biodynamie est une approche ésotérique mêlant agriculture biologique, homéopathie et astrologie, et elle relève de la pensée anthroposophique.


● Le Premier Ministre Edouard Philippe, quand il était maire du Havre, accueillait les colloques de « L’économie positive » où des milliers d’entrepreneurs sont invités à pratiquer la méditation pleine conscience, une activité que l’on retrouve dans le réseau colibri de Pierre Rabhi, qui intervient d‘ailleurs dans les colloques de 2013 et de 2014, une activité dont la Miviludes soulignait à l’époque qu’elle pose de sérieux problèmes de dérives.

« Aujourd’hui, une action de [Développement Professionnel Continu] sur deux reçoit un avis défavorable en CSI, affirme la directrice de l’agence. Parmi les pratiques mises en cause, l’ANDPC et la MIVILUDES citent l’hypnose (« On a l’impression que la moitié de la France hypnotise l’autre », affirme la directrice de l’agence), les massages, l’aromathérapie, la méditation de pleine conscience ou encore la fasciathérapie.

Source : journal Le Quotidien du Médecin , 30 mai 2017.

« L’époque où l’on vendait des produits de perlimpinpin a tendance à disparaître, analyse le Dr Blisko. Aujourd’hui des gens essaient de vendre des méthodes non médicamenteuses qui peuvent les détourner de la médecine traditionnelle. »

Ibid

Le dernier Président de la Miviludes, Serge Blisko, révèle des pressions vécues autour du dernier rapport, celui de 2016-2017 dans un courrier que l’on nous a transmis :

« Ce que nous avions fait dans notre Guide Santé était d’écrire que la médecine anthroposophique était peu fondée scientifiquement. Nous avons été contraints par les instances judiciaires à retirer cette phrase dans la réédition du Guide Santé de la Miviludes. (…) Sur les conseils du cabinet du Premier Ministre, nous devons rester en stand bye sur cette question. »

Information également disponible dans un article du Point publié tout à l’heure : https://www.lepoint.fr/societe/le-gouvernement-abandonne-t-il-la-lutte-contre-les-sectes-01-10-2019-2338675_23.php?fbclid=IwAR3_8FBdpqvp-s4HSw0puxVe_WWptWq3CNK1KnWHz4lPaagPlaf5kVlKuAU

Quand Serge Blisko quitte la présidence, il n’est pas remplacé. Le bureau du Premier Ministre laisse sans réponse les agents de la Miviludes qui demandent un successeur.

« Il y a deux mois, Loïc Kervran, député LREM, a réclamé d’urgence la nomination d’un nouveau patron pour la Miviludes. Réponse du Premier ministre, deux mois plus tard : « Le processus de recrutement est en cours. » Le recrutement dans les sectes aussi. Et il est plus efficace. C. Ardid »

Source : https://charliehebdo.fr/2019/05/societe/lheure-des-gourous/

Les subventions de la Miviludes, comme celles des associations anti-secte (GEMPPI, UNADFI, CCMM) sont en baisse depuis des années, et ses fonctionnaires au chômage technique puisque les informations ne circulent plus, et que la publication du rapport 2018 n’a pas eu lieu.


Françoise Nyssen, naguère ministre de la culture, a co-fondé une école Steiner qui a défrayé la chronique. Elle est une anthroposophe très active.


François Bayrou est Ministre de la Justice du premier gouvernement Philippe. Mis en cause dans l’ Affaire des assistants parlementaires du Mouvement démocrate au Parlement européen, il doit quitter ses fonctions. On peut souligner que, fervent catholique, il  fréquente les Béatitudes, mouvement soupçonné de dérive sectaire :


● Au ministère de l’agriculture, Didier Guillaume fait lui aussi l’apologie de la biodynamie jusque sur le site du ministère.


Nicolas Hulot, un temps ministre de l’environnement, est évidemment favorable à la biodynamie et aux « colibris » de Pierre Rabhi, qui est au minimum très proche de l’anthroposophie. Depuis ses débuts en politique, il a pour mentor Dominique Bourg.

Président du conseil scientifique de la fondation Nicolas-Hulot, vice-président du Grenelle de l’environnement, Dominique Bourg est important dans le paysage.  Aux premières assises de l’Écologie humaine : « regards croisés sur l’homme et la nature » de 2014, il déclare : « Ce monde meurt depuis la moitié du XIXe siècle, c’est-à-dire depuis que Darwin a ravalé l’homme au rang des espèces animales » (source)

Dominique Bourg préside le Festival de la Terre où se pressent des dizaines de guérisseurs et promoteurs de thérapies spirituelles : eutonie, réflexologie, biorésonance, reiki, astrologie thérapeutique, psychogénéalogie, fleurs de Bach, respiration alchimique, pranayama, massage thérapeutique sonore avec bols chantants planétaires, kundalini yoga, nada yoga, « tao de la femme », Lu jong…  Et autres mouvances ésotériques comme le channeling. La proximité avec des spiritualités connues pour leurs risques de dérives dénoncés dans les rapports de la Miviludes est patente.

Dominique Bourg est co-organisateur en 2016 de « Faire la paix avec la Terre » (« une rencontre entre écologie et spiritualité ») avec l’association Val de consolation, proche entre autres du militant anti-vaccin et chaman Tal Schaller. Le Cercle Laïque pour la Prévention du Sectarisme a signalé le danger représenté par cette association.

On pourrait multiplier les indices de proximité de Dominique Bourg avec d’autres milieux sectaires comme la Nouvelle Acropole et rappeler combien il est ambigu quand il juge que la démocratie est un obstacle à l’écologie


On peut souligner l’exception du Ministère de la Santé ou Agnès Buzyn a respecté la science et défendu la décision du déremboursement de l’homéopathie en se référant à l’avis des académies de science et de médecine. Mais la complaisance du gouvernement pour les approches spirituelles de la santé reste prégnante avec la nomination par le groupe LaREM de Julien Borowczyk  à la tête du Projet de Loi de Financement de la Securité Sociale (PLFSS) 2020. Ce médecin généraliste pratique notamment la mésothérapie, l’homéopathie et l’ostéopathie.


Souvenons-nous que le 14 juillet 2018, Tom Cruise est reçu à l’Elysée par Emmanuel Macron. Nicolas Sarkozy avait accordé la même courtoisie au gourou-acteur dix ans plus tôt. Est-il normal de recevoir de la sorte le numéro 2 de l’une des plus célèbres sectes du monde ?

Gare aux conclusions hâtives

Rien de toute cela ne permet d’affirmer que l’enterrement de la Miviludes via sa décapitation et la dispersion de 4 agents parmi les 12 actuels dans des ministères séparés soit l’œuvre d’une volonté gouvernementale de favoriser des dérives sectaires avec lesquelles des ministres – et peut-être jusqu’au Président – ont des relations complaisantes, voire complices.

Sans vouloir faire de prétérition, il ne nous appartient pas de porter de telles accusations, car il faudrait pouvoir les supporter à l’aide d’un travail d’enquête qui réclamerait les efforts de journalistes chevronnés. 

En revanche nous sommes libres de constater que toutes les décisions prises par les autorités depuis l’arrivée de ce gouvernement concourent à établir et à alimenter ces soupçons.

Le gouvernement ne devrait pas vouloir devenir suspect de faire la part belle à des intérêts sectaires. La communauté rationaliste-sceptique pourra difficilement être taxée de nourrir une pensée conspirationniste. Il sera difficile au pouvoir de disqualifier nos critiques à l’aide d’une loi Anti-Fake News bricolée pour répondre aux inquiétudes d’élus visant leur ré-élection. Pour éviter que des doutes légitimes ne conduisent à rejoindre le cortège déjà massif des mécontents vêtus de jaune une large communauté attentive à la culture scientifique, à la probité rhétorique, à la défense des plus fragiles face aux manipulations mentales et à la circulation d’idées virales et dangereuses, le gouvernement devrait faire le choix de renforcer les effectifs de la Miviludes afin de la rendre mieux apte à traquer jusque sur la scène internationale les méfaits des mouvances sectaires, à et enquêter sur plus de signalements impliquant des enfants en danger, des malades manipulés, des enseignements extrémistes, des radicalisations inquiétantes…

Le gouvernement, s’il se paie la Miviludes pour des raisons idéologiques ou spirituelles, fera la part belle aux sectes qui n’en attendaient pas tant, mais il donnera aussi le coup d’envoi à de nouveaux soupçons et décuplera la motivation des sceptiques à dénicher les raisons cachées derrière une décision qui colle trop bien avec un scénario de cinéma où l’influence sectaire s’infiltre jusqu’au sommet du pouvoir et détruit de l’intérieur les instances capables de la reconnaître pour ce qu’elle est et de la traquer.

Nous assistons peut-être à la réussite d’un complot, d’un vrai, celui des sectes ésotériques contre la démocratie.

Parmi les mots qu’on s’envoie à la figure, « raciste » revient souvent, à bon ou mauvais escient, ce qui créée un flou autour de sa signification. Raciste est un adjectif, il sert à qualifier des idées, des discours ou des actes. Une table peut être blanche et/ou carrée, un programme politique peut-être capitaliste et/ou raciste, c’est factuel.

L’article sera illustré par les tweets (d’une même personne) qui m’ont porté à entamer son écriture…

Il y a donc une précaution à prendre dans l’usage de ce terme, c’est d’éviter de le confondre avec d’autres mots comme connard, pouffiasse, ordure ou fumier. Ce sont là des insultes, des mots employés pour exprimer le mépris ou le dégoût que nous inspire une situation, un comportement, un individu. Les injures sont utiles pour faire état de notre jugement personnel, de notre ressenti, pour manifester notre forte opposition, pour charger d’affect ce que nous avons à dire.

Le mot raciste ne sert pas à ça. Le raciste est un partisan du racisme. Obviously.

Le racisme est une idéologie fondée sur la croyance en l’existence des races et (surtout) sur l’existence d’une hiérarchie entre elles. Il existerait des humains supérieurs aux autres, en vertu de quoi on doit les traiter différemment et leur octroyer des droits et des devoirs particuliers. Comme par hasard le raciste appartient invariablement à la catégorie supérieure de son classement favori et développe volontiers un discours ethnocentrique et xénophobe teinté d’agressivité. Il s’autorise alors des jugements subjectifs qui ont valeur d’évidences impossibles à remettre en question dans son cadre local de cohérence : le racisme est un dogmatisme.

À cela on peut répondre sereinement que les « races humaines » ne sont pas un concept scientifiquement solide, les différences entre les groupes ethniques étant de très loin inférieures aux différences moyennes qui séparent les individus au sein des groupes (cela est lié à la forte variabilité individuelle ; Cf notre interview d’Evelyne Heyer). Ces différences inter-groupes ne permettent certainement pas un classement selon l’intelligence (qu’il faudrait commencer par définir « objectivement » avant d’oser entreprendre un tel projet) et c’est la même chose pour n’importe quel caractère complexe. Mais il faut immédiatement compléter cette réponse d’un « Et alors ? », car l’existence des races si elle s’avérait, ne constituerait pas ipso facto une raison de traiter différemment les individus, de les hiérarchiser, de leur octroyer plus ou moins de droits. La doctrine humaniste affirme même l’exact contraire en disposant que « les humains naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Notez bien qu’ici il n’est pas question de dogmatisme, puisque cette déclaration ne se place pas sur le plan ontologique mais sur celui des droits ; on établit une règle qui engage les humains les uns envers les autres, on pose un contrat entre nous.

Certes il y a bien un cadre idéologique à l’humanisme, c’est le même que celui qui nous permet de dire « sois gentil avec ta sœur », « prête tes jouets », « ne crache pas sur les gens », « s’il te plait, ne sois pas un sale con », des injonctions et des conseils dont on peinerait à « démontrer » la valeur universelle. Mais j’attire votre attention sur le fait que personne n’est obligé de vous prouver qu’être altruiste est préférable à défendre l’exploitation des plus faibles. Si vous n’en êtes pas déjà convaincu, on est en droit de renoncer à investir temps et énergie dans les débats que vous voudriez amorcer.

Je dis ça, je dis rien.

Il reste donc au raciste, qui penserait « savoir » que les races existent, bien du travail pour démontrer que sa doctrine est valable, et la réponse à lui apporter ne se limite pas à « les races n’existent pas », mais bien : « ne cherche pas à naturaliser les différences qui, à toi, te paraissent justifier qu’on classe les gens dans des catégories ».

Le racisme est corrélé à certains traits de caractère et attitudes, et notamment au sexisme et à l’homophobie (source). Dans le cas qui nous occupe ici, c’est en réaction à des échanges sur l’homophobie que notre raciste a trouvé l’inspiration et la motivation pour intervenir. Cela n’a rien de surprenant.

Mais l’humain étant ce qu’il est, nous sommes tous le con de quelqu’un, et vous trouverez facilement une âme charitable pour vous traiter de raciste au débotté et pour pas un rond. Utilisé comme une insulte, raciste peut servir à disqualifier l’adversaire, c’est un procédé rhétorique fallacieux, un ad hominem. Pour éviter cet écueil, il faut, je crois, veiller à qualifier de raciste une parole ou un acte plutôt que la personne qui émet cette parole ou cet acte. J’y vois un autre avantage, celui de ne pas essentialiser l’autre, de ne pas l’enfermer dans une boite qui le définirait à jamais et l’empêcherait de changer son opinion, et à nous-même de faire évoluer notre opinion sur lui.

Entendons-nous bien :  les personnes qui adhèrent au racisme peuvent effectivement se comporter comme des connards et mériter les épithètes injurieuses qu’elles reçoivent. Volontiers agressive, voire violente, leur attitude ne m’inspire aucun respect. Mais il pourrait bien être dangereux de croire que tous les racistes sont forcément de gros connards, parce qu’un jour viendra où le racisme saura s’incarner dans des personnages sympathiques, séduisants, enjôleurs, et alors nous serons démunis si le mot « raciste » devient antonyme de ces attributs. Le mot raciste sera impuissant à décrire le réel, il ne sera plus qu’une insulte parmi d’autres, bien incapable de lutter contre ce qu’il dénonce.

N’est-ce pas le destin qu’est en train de vivre le mot facho ?


Si par l’usage que l’on en fait, raciste devient une infamie, une injure, une tache, s’il est dégainé pour dénigrer l’autre, l’autocritique devient impensable, le raciste ce sera toujours autrui, et celui qui me désigne ainsi sera simplement mal intentionné envers moi. Plus personne n’acceptera l’idée d’être raciste… sans que cela n’égratigne le racisme.

En préliminaire, une déclaration de biais potentiels de ma part. Je réagis à ce sondage à chaud et en ayant à l’esprit les nombreux défauts du précédents, j’ai un a priori négatif sur ce travail parce que je n’ai vu nulle part de mea culpa de la part des auteurs concernant le sondage de 2018, pas la moindre reconnaissance des critiques formulées tandis que toute la presse française se faisait le relais hyperactif d’une information faussée. Mon avis est d’emblée plutôt négatif parce que ce sondage 2019 en reprend la structure dans le grandes lignes et s’entête à réduire en quelques images une lecture politique qui va, au moins dans une large partie des interprétations qu’il suscitera, pointer du doigt des familles politiques et escamoter la dimension sociale et épistémologique de la crise dans le rapport au réel que représente le conspirationnisme endémique. La critique qui suit est donc sévère et à charge, peut-être trop, non pas par rejet du travail de Conspiracy Watch mais au contraire par peur que le travail important qu’ils ont choisi de faire soit entaché durablement par le soupçon d’être orienté et trompeur, et par contagion que l’ensemble de ceux qui ont une activité de « lutte » contre les idéations conspirationnistes s’en trouvent plus mal qu’avant. On ne peut pas se le permettre.


L’an dernier, j’ai eu l’occasion de montrer les nombreuses failles d’un sondage Ifop – Conspiracy Watch – Fondation Jean Jaurès, que l’on a vu se répandre dans absolument tous les médias.

Aujourd’hui ça recommence ? Les auteurs ont tenu compte de quelques critiques, (j’apprends qu’ils ont reçu des conseils de scientifiques que je respecte) mais on retrouve dans l’ensemble les mêmes tares rédhibitoires qui rendent tous les résultats inexploitables, car ils sont orientés, caricaturaux, et présentés avec ce qui ressemble à l’intention de délivrer un message politique. Si tel n’était pas le cas, des corrections plus sérieuses auraient été apportés suite aux critiques du sondage de 2018.

Regardons ensemble une série non exhaustive de failles dans ce nouveau sondage.

À la question « les Illuminatis sont une organisation secrète qui cherche à manipuler la population » je réponds OUI, ce qui me donne un point de « croyance complotiste ». Et pourtant Oui est la bonne réponse car c’est bien la définition des illuminatis dans la culture populaire. La réponse n’implique pas que je crois qu’ils existent pour de vrai. Je réponds également OUI à « Les Jedis sont les ennemis des Siths ».

La question est mal posée. La réponse ne vaut rien.

Deuxième question à laquelle je réponds OUI également : il faut en effet être initié pour reconnaître les symboles associés aux théories du complot, et ce sans avoir besoin de croire que ces théories sont fondées. La formulation soigneuse des questions, de sorte à s’assurer qu’elle sont univoques est, normalement, LE talent attendu chez celui qui rédige un sondage. Un an après un ratage complet, comment peut-on expliquer que ce type d’erreur persiste ?

Les sondeurs ont choisi un certain nombre de croyances conspi, mais ils n’ont pas épuisé tout le spectre. Dès lors se hasarder à faire (comme il y a un an) un comparatif entre les différentes sensibilités politiques pour voir « qui c’est les plus conspis » est une faute. On pouvait appeler ça une erreur il y a un an, désormais c’est plus grave.

Où sont les barres d’erreur ? Quel est le niveau de significativité ?

Si l’on avait testé la croyance aux complots russes dans les médias, ou un pilotage secret des Gilets Jaunes par un parti d’opposition, les pro-Macron auraient fait un « meilleur » score. Le « niveau de croyance » donné ici ne dépend que des croyances testées. Pourquoi celles-ci et pas d’autres ?

Je l’ai déjà signalé quand j’ai critiqué le précédent sondage : on force à répondre des gens qui n’ont jamais entendu parler d’un « complot ». Quelle conséquence cela a-t-il ? Eh bien que certaines personnes, étonnées d’apprendre l’existence de cette narration, vont émettre une forme de « pourquoi pas » qui n’est pas illégitime, qui correspond à une forme de doute, et qu’on ne pourra considérer comme une adhésion que si l’on agglomère entre elles les catégories, ce que ces sondages ne manquent pas de faire. Ce procédé ne peut que gonfler le score final. Est-ce le but ?

Par exemple si seuls 31% des gens interrogés connaissent les chemtrails et que 15% de ces mêmes gens interrogés y croient, on voit bien qu’il y a comme un problème. Ce 15% ne marque pas une adhésion, c’est impossible. C’est un autre phénomène qui a lieu, une sorte de doute/soupçon qui n’est jamais considéré pour ce qu’il est dans ce sondage.

Nouveauté par rapport à l’an dernier : désormais on nous fournit un tableau qui montre que ceux qui ont entendu parler d’une « théorie du complot » ont plus tendance à y croire que les autres… Progrès également : les sondés pouvaient répondre « je ne sais pas », ce qui réduit un peu (heureusement) la portée des critiques apportées dans ce billet.

Est-ce qu’on en tient compte dans la phrase-résumé final ? Dans la manière dont les journaux vont résumer les données ? Non et non.

***

La porosité entre conspirationnisme et croyance dans le paranormal est un résultat… connu, attendu, et donc obtenu. Ce sondage ne nous l’apprend pas. On le sait grâce à de vraies études scientifiques pré-existantes.

  1. Neil Dagnall, Kenneth Drinkwater, Andrew ParkerAndrew Denovan and Megan Parton. (2015) Conspiracy theory and cognitive style: a worldview. Front. Psychol. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2015.00206
  2. Emilio Lobato  Jorge Mendoza  Valerie Sims  Matthew Chin (2014). Examining the Relationship Between Conspiracy Theories, Paranormal Beliefs, and Pseudoscience Acceptance Among a University Population. Applied cognitive Psychology
  3. Drinkwater, K and Dagnall, N and Parker, A (2012) Reality testing, conspiracy theories, and paranormal beliefs. Journal of Parapsychology, 76 (1). pp. 57-77. ISSN 0022-3387
  4. Etc.

Page 21 on nous annonce :

« Plus elles adhèrent aux thèses complotistes et moins les personnes accordent de l’importance au fait de vivre en démocratie. »

Sans être un mensonge, ceci est une lecture orientée des données. Permettez que je vous raconte une petite histoire : lors d’une dictée dans une école on a remarqué que les enfants meilleurs en orthographes avaient aussi de plus grands pieds. La taille des pieds a-t-elle une conséquence sur le niveau en orthographe ? Non, cette relation est la conséquence d’une variable cachée (ou variable de confusion) : les enfants aux plus grands pieds étaient aussi les plus plus âgés, ils étaient dans les grandes classes de l’école. C’est leur âge qui est la cause de leur plus petit nombre de fautes.

Dans notre cas, la variable de confusion qui n’a pas été mise en avant est certainement : « sentiment d’avoir réussi / raté sa vie » (données heureusement présentes dans le sondage… et très certainement liées au positionnement politique vu plus haut). Mais alors le lien qu’on cherche à montrer ici existe-t-il vraiment ? La réponse n’est pas dans le sondage. Et parce que la réponse n’est pas là, alors cette image sera utilisée de manière trompeuse ; les auteurs sont-ils censés l’ignorer ?

La dernière question a quelque chose de scandaleux dans sa remise en cause de la liberté d’expression alors même qu’un climat de répression violente règne sur le pays et que le pouvoir porte atteinte aux libertés des citoyens. Peut-être fallait-il la poser, ou peut-être fallait ne pas vouloir justifier les tentations de censure qui se font jours un peu partout. Nous constatons d’ailleurs, à la lumière de ces résultats, que les Pro Macron et les Pro Fillon sont favorables à une limitation de la liberté d’expression… des autres.


Pour conclure

Entendons nous bien : la pensée conspirationniste est un grave problème, elle nourrit une vision manichéenne et une mécanique du soupçon qui aboutissent à des positions extrêmes que le débat pacifique peine à canaliser. Si la critique que je porte ici n’est à ce point sévère, c’est parce que tout cela sera utilisé dans les médias pour servir des lignes éditoriales écrites d’avance. Les auteurs du sondage ne sont pas censés l’ignorer. Ils n’ignorent pas non plus l’existence de l’effet Streisand et que les coups de projecteurs sur les « théories du complot », par simple effet d’exposition, alimentent une illusion de vérité. Je n’ai pas de solution miracle à proposer, mais à tout le moins qui veut parler des théories du complot au grand public doit choisir un moyen de le faire qui ne laisse pas la place aux raccourcis et aux caricatures.

Si l’on voulait être soupçonneux, ce que ne manqueront pas d’être les personnes tentées par les narratifs conspirationnistes, on se trouve en présence d’un sondage qui gonfle le problème du conspirationnisme et qui émane d’une structure dont la raison d’être est la lutte contre les théories du complot et qui par ce sondage justifie qu’on lui donne de l’argent pour faire un autre sondage qui justifiera qu’on lui donne de l’argent, etc. Je ne veux pas accuser les auteurs d’une telle dérive ; je les en crois innocents, mais le doute est consommé.

J’ai personnellement tout intérêt à ce que l’on considère le problème des théories du complots comme grave et urgent, car mon activité s’en trouve valorisée. Mais si je deviens complaisant avec des procédés manipulatoires ou tendancieux, alors je contreviens aux principes que je suis censé promouvoir. Nous ne pouvons qu’être prompt à la critique des méthodes de ceux qui ont pour devoir d’être exemplaires.

Le sujet est assez grave et répandu pour ne pas s’en remettre à des procédés qui vont surtout créer du buzz puis de ne rien apporter, me semble-t-il, en l’état actuel des données publiées, aux connaissances scientifiques.


Les médias en parlent…

Source : Le Figaro

Et à vous non plus.

On peut être un brillant chercheur et croire en Dieu. Statistiquement, une grande culture scientifique est corrélée avec l’incroyance, mais cette règle générale ne dit rien sur les individus ; chacun peut y déroger. La méthode scientifique est universaliste : elle a vocation à être employée par tous et à produire des connaissances utilisables par chacun, même à ceux qui ne correspondent pas aux stéréotypes.

Le jour où des islamistes feront proprement des statistiques, les statistiques ne deviendront pas islamistes. Le jour où les fachos pratiqueront scientifiquement (l’adverbe est super important) la sociologie, la sociologie ne deviendra pas fasciste. Le jour où les écologistes feront de la physique nucléaire, cette dernière ne deviendra ni plus ni moins écolo qu’elle ne devrait l’être aujourd’hui. Le jour où les créationnistes comprendront la biologie… Vous avez saisi l’idée.

***

Bien sûr les post-modernes jugeront hautement naïve cette position, parce qu’ils veulent croire être les seuls à comprendre que les humains étant ce qu’ils sont, toute activité humaine s’accompagne de relations asymétriques où les individus ont tendance à adopter les postures qui leur assurent plus de pouvoir. Mais la réalité est qu’on peut admettre ce principe et juger malgré tout que les disciplines scientifiques exercées scientifiquement sont les environnements les moins mal protégés contre ces dérives, et donc ne pas être entièrement obnubilés par toutes les possibilités d’instrumentalisation, au mépris des autres réflexions sur le sujet.

Et, bien sûr, les racistes, sexistes, suprémacistes idéologues et extrémistes de tous poils chercheront toujours à faire dire à la science ce que leurs délires leur inspirent… Et le meilleur remède n’est pas de leur abandonner ceux qui sont tentés de les écouter, mais au contraire de leur fournir de quoi ne pas se faire manipuler.

***

La zététique, telle que nous la comprenons et la pratiquons, a pour dimension principale d’être une didactique des sciences et un encouragement à douter de nos convictions afin de les mettre à l’épreuve. Elle n’est pas un militantisme pro-athée, même si, par principe opposée à la pensée dogmatique, elle est nécessairement du côté de la critique de la religion. Elle n’est pas plus un courant militant gauchiste, même si le « contexte » et le « déterminisme », la prise en compte des origines des préjugés et des représentations mentales sont des notions clefs qui l’inscrivent contre l’obscurantisme et une idolâtrie des traditions.

La zététique n’est pas une doctrine anti-fasciste ou anti-ceci, elle est bien plus que cela, elle est un acide universel qui s’attaque à nos idées les moins argumentées, les moins solides, les moins vraies, les plus frelatées, corrompues, pernicieuses.

Le leitmotiv de notre équipe est de bien distinguer les individus à qui l’ont doit par principe un respect absolu (on ne tue pas les gens, on ne les torture pas, on ne les cogne pas), les idées dont on respecte seulement le droit d’exister, d’être pensées et exprimées, mais jamais d’échapper à la critique, et enfin les arguments dont le rôle est de s’en prendre plein la tête afin de nous aider à faire le tri entre les idées bonnes et celles qui méritent de finir à la poubelle.

Ne pas s’astreindre à cette discipline, c’est courir le risque de croire une idée juste parce qu’elle nous plaît et pas parce qu’elle est vraie. C’est un luxe de rentier bien portant dans une société tranquille, jouissant du privilège de jamais n’avoir à pâtir des conséquences d’une telle erreur. C’est aussi courir le risque de croire que celui qui pense différemment ne peut qu’être mon ennemi, et ça c’est un peu trop ressembler à un salaud pour prétendre dans le même temps être le gentil de l’histoire. La zététique est d’une certaine manière plus subversive que bien des militantismes. Mais elle est exigeante, et elle demande notamment de ne jamais oublier le Putain de Facteur Humain, car le PFH conduit à des résultats parfois bien éloignés de nos objectifs (en cause : les biais cognitifs, la pensée de groupe, la réactance, etc.).

J’ai déjà eu l’occasion de dire que nous devions être attentif à la violence involontaire de la démarche sceptique.

Les spécialistes de la pensée extrême et de la lutte contre les dérives sectaires savent qu’il n’existe pas de recette miracle. Néanmoins un élément crucial revient toujours : il faut garder le contact avec la personne en cours de radicalisation, car l’ostraciser, la bannir, c’est la livrer tout entière aux facteurs qui l’influencent, à une communauté ou l’entre-soi alimente la pensée extrême.

Essentialiser le camp adverse comme s’il était constitué d’individus prédestinés à être des ennemis est contraire à la zététique, pas parce que ce serait « méchant » mais parce que cela est irrationnel, incohérent avec l’objectif de permettre au plus grand nombre d’obtenir leur indépendance intellectuelle, leur autonomie mentale, dans le respect de la liberté d’expression qui seule permet de se débarrasser des idées frelatées. Le jour où les personnes radicalisées dans des pensées extrêmes s’approprieront les outils de la pensée critique (pas juste pour faire joli, mais avec l’intention de s’en servir correctement) alors ce qui risque vraiment de se passer, c’est que leurs idées… changent. Nous allons donc travailler à faire connaître les concepts de l’esprit critique et la méthode scientifique partout où la chance nous sera donnée de le faire. Depuis les débuts de la chaîne, nous essayons de le faire avec les milieux du militantisme progressiste (par exemple ici, ou encore là… et cela a été pris par certains comme une attaque contre ces milieux), nous avons traité de la question religieuse et même participé à un débat apaisé. Il n’y a aucune raison de ne pas effectuer le travail vers les autres publics.

Jusqu’à preuve du contraire.

Il n’y a en tout cas aucune raison de confisquer les outils de la pensée critique, car ce serait mal comprendre leur importance. A l’image de la couverture vaccinales, ces outils ne peuvent jouer pleinement leur rôle que si un maximum de gens y sont initiés. Pour prouver quelque chose à quelqu’un, il faut d’abord lui faire accepter la valeur de la preuve et le principe d’une démonstration correcte. La zététique n’est pas la panacée, mais elle est plus utile partagée que consommée en cachette.

Article invité

Ce blog est un lieu où partager des réflexions critiques sur certains discours, ce que Vincent a proposé avec ce regard historique sur une mouvance militante dont il est difficile de critiquer les méthodes et la rhétorique sans devoir dans le même mouvement expliquer que l’exercice de cette critique n’implique pas une opposition aux principes brandis. J’ai accepté de publier cet article qui ne reflète que la pensée de son auteur car il défend le concept clé sans lequel nous ne pouvons plus garantir l’échange d’idées, l’esprit critique, la libre information et la prise de décision éclairée : la liberté d’expression.

Acermendax

1 Les fruits

C’est surtout depuis l’automne 2015 que les efforts de censure et de prise (ou plutôt, de renforcement) de contrôle sur les campus universitaires, par des étudiants et des enseignants militants, s’est intensifiée, et est devenue très difficile à nier. À l’université du Missouri, Melissa Click, une professeur de communication, demandait “du muscle” [1] pour écarter, par la force ou l’intimidation, un étudiant-journaliste… qui n’était pourtant nulle part ailleurs que sur une pelouse du campus, sur laquelle des étudiants-activistes avaient planté leurs tentes à l’occasion d’une protestation prolongée, et dont ils entendaient interdire l’accès à toute personne jugée indésirable. À l’université de Yale, Nicholas Christakis, un enseignant responsable d’un dortoir était très sèchement pris à partie verbalement [2], par un groupe d’étudiants furieux : son épouse, également enseignante et également dotée de responsabilités administratives, avait, en réponse à des initiatives administratives visant à réguler les déguisements portés par les étudiants pour Hallowe’en, rédigé un e-mail demandant s’il s’agissait bien de quelque chose dont l’université devait se soucier. Considérant que la liberté individuelle de se vêtir selon ses souhaits constituait un danger évident pour au moins une partie du corps étudiant, qui pourrait se sentir marginalisée ou agressée par certains costumes, les étudiants ont fait comprendre à Nicholas Christakis que son rôle administratif aurait dû le pousser à leurs yeux à soutenir les règles vestimentaires. “Il ne s’agit pas de créer un espace intellectuel, il s’agit de créer un foyer ici !”, s’exclamera une étudiante pendant l’échange, une sorte de condensé de l’état d’esprit qu’elle aura partagé avec nombre de ses condisciples.

Au printemps 2017, Bret Weinstein, un professeur de biologie évolutive à l’université d’Evergeen, se trouvait contraint, pour sa sécurité physique, d’éviter le campus. Evergreen pratiquait depuis les années 1970 l’évènement du “jour d’absence”, une pratique consistant pour les étudiants et employés afro-américains à ne pas se présenter sur le campus, un jour donné, dans le but de mettre en évidence leur importance dans le bon fonctionnement et la richesse humaine de l’université. En 2017, il avait été décidé que ce seraient les étudiants et employés euro-américains (‘blancs’) qui seraient cette fois incités à s’absenter du campus un jour durant. Aucune obligation légale, mais le message était clair : celui ou celle qui ne suivrait pas cette incitation se définirait lui/elle-même comme un ennemi de la cause antiraciste. Weinstein a objecté, considérant qu’il s’agissait là d’une dérive préoccupante de ladite cause. Il s’est retrouvé dans une situation similaire à celle de Christakis, mais plus intense encore : la police du campus lui a signalé qu’elle ne pourrait assurer sa sécurité, et des groupes d’étudiants furent aperçus en train de stopper des véhicules circulant sur le campus, à la recherche de Weinstein. L’on ne peut que spéculer sur ce qui serait advenu si l’enseignant, par manque de prudence, avait ainsi été appréhendé. D’autres exemples, nombreux, existent : au Canada, Jordan Peterson à Toronto, et, dans son sillage, Lindsay Shepherd à Wilfried Laurier [3], épinglée par sa hiérarchie pour avoir montré à ses étudiants une vidéo d’un extrait de débat télévisé figurant le même Peterson.

Notons que ces quelques incidents sont purement internes aux universités : une autre pratique très courante est la tentative de dés-invitation de conférenciers extérieurs, parfois accompagnée, lorsqu’elle échoue, de violence (notamment à l’université de Berkeley). Citons entre autres les exemples de Charles Murray [4], Richard Dawkins [5], Ayaan Hirsi Ali [6], Milo Yiannopoulos [7], Maryam Namazie [8]… Tous coupables, d’une manière ou d’une autre, de transgresser l’orthodoxie de la gauche académique.

2 Les racines

Pourquoi, tout d’un coup, une telle éruption sur les campus, aux États-Unis et dans le reste de l’anglosphère ? Il faut savoir que ce n’est pas la première fois qu’une controverse sur les universités, et l’orthodoxie qu’elles cultiveraient, prend des proportions importantes [9]. Le sujet était également dans l’air du temps de la fin des années 1980 au milieu des années 1990 [10], aux États-Unis. C’est Allan David Bloom, professeur de philosophie, qui allume la première mèche avec un ouvrage remarqué [11], dans lequel il reproche aux étudiants contemporains un relativisme intellectuel débilitant, les empêchant d’exercer un jugement intellectuel sur quoi que ce soit, et les reléguant au seul exercice du jugement moral. Le livre a bien vieilli, parce que son propos reste d’actualité, mais souffre d’un défaut de taille : Bloom parle d’expérience, en tant qu’enseignant, et ne fournit pas de références bibliographiques. Ce qui fait que les inquiétudes de Bloom seront faciles à écarter pour ceux qui pensent, ou veulent qu’il soit pensé, que son diagnostic est erroné. Quelques années plus tard, Roger Kimball [12] puis Dinesh d’Souza [13], deux auteurs plus aisément classables que Bloom comme ‘conservateurs’, et donc, susceptibles de voir leurs arguments écartés d’un revers du coude du fait de leur coloration politique, publient leurs propres livres sur le sujet. N’ayant lu ces ouvrages, je ne peux juger de leur qualité.

C’est finalement le livre Higher Superstition [14] de Paul Gross et Norman Levitt qui va précipiter les événements. Son titre annonce la couleur : je le traduirais en français par “la gauche académique et ses querelles avec la science”. Gross et Levitt y font l’inventaire d’une galaxie d’idées ayant acquis une notoriété croissante dans les universités américaines, à tel point d’en être devenues des paradigmes souvent dominants. La ‘gauche académique’ rejette assez frontalement les méthodes, résultats et idéaux d’objectivité de la science, considérés comme porteurs de faillite morale. La science, masculine et misogyne, colonialiste et impérialiste, excluante des “autres” manières de savoir, voilà l’ennemi que s’est érigé la ‘gauche académique’. Il n’est pas seulement, loin s’en faut, reproché aux chimistes et aux ingénieurs d’accepter et d’encourager certaines applications dangereuses, violentes ou polluantes de leurs recherches. Il n’est pas seulement, loin s’en faut, reproché aux biologistes d’avoir négligé des questionnements sur l’anatomie féminine, ou aux historiens d’avoir fait l’impasse sur tel ou tel intellectuel afro-américain. Il est avancé, par exemple, que la méthode scientifique est intrinsèquement masculine et excluante envers les “women’s ways of knowing”–et ce reproche se décline à l’envi : exclusion des “savoirs ancestraux” de peuplades indigènes, etc. Gross et Levitt pointent également du doigt les discours abscons de la part d’auteurs reprochant à la science son caractère ‘fixe’, ‘linéaire’, ‘ordonné’… Le tableau peint par Gross et Levitt est saisissant, et interpelle un physicien mathématicien du nom d’Alan Sokal, qui rédige un canular pour évaluer l’étendue des dégâts : son texte [15] au contenu scientifiquement absurde, mais où certains grands noms de la ‘gauche académique’ sont abondamment cités, et qui s’enthousiasme du potentiel de la théorie de la gravitation quantique à devenir une science ‘non-linéaire’, ‘imprévisible’ et in fine ‘libératrice’, est publié, ce qui enclenche une controverse académique majeure, et sera à l’origine de la publication de nombreux autres ouvrages détaillant les absurdités de la ‘gauche académique’ [16–18].

Le contenu du fameux volume Impostures intellectuelles [19], rédigé un peu plus tard par Sokal avec Jean Bricmont, pose la question suivante : pourquoi le canular de Sokal, publié dans une revue de sociologie américaine animée par des éditeurs américains, et provoqué par la lecture d’un ouvrage sur la ‘gauche académique’ américaine, a-t-il résulté in fine en un livre consacré à ces penseurs français que sont Lacan, Deleuze, Baudrillard et consorts ? La réponse est la grande influence du poststructuralisme français sur l’université américaine à partir des années 1970. Jacques Derrida y popularise, en critique littéraire, la déconstruction, avec l’aide de son ami Paul de Man [20]. Michel Foucault est lu, sur les campus américains, avec ferveur. Une partie de son œuvre est à l’origine de la popularité de l’idée selon laquelle une discussion, un échange d’idées, un désaccord, une dialectique, n’a jamais que l’apparence d’une tentative d’approximer la vérité : ce qui se joue en réalité, pour les foucaldiens, est une lutte d’influence, de pouvoir, non seulement entre deux personnes mais surtout entre des groupes auxquels elles appartiennent. Derrida comme Foucault, et d’autres, doivent beaucoup à Martin Heidegger, le philosophe existentialiste allemand, fortement compromis pour ses nettes sympathies national-socialistes, étroitement corrélées à son anticapitalisme antisémite (il qualifiera les juifs de “peuple calculant” et fustigera leur “déracinement”, illustration de son opposition conjuguée au rationalisme, au cosmopolitisme, et au libéralisme).

L’École de Francfort de théorie critique, un mouvement intellectuel s’étant développé durant la République de Weimar, a également eu une influence sur la ‘gauche académique’ américaine, via l’un de ses chefs de file Herbert Marcuse. L’École de Francfort travailla principalement à adapter les théories marxistes aux conditions de son époque, en adoptant une approche à la fois plus empirique, plus pragmatique, plus dialectique (moins orthodoxe), mais aussi plus ‘ésotérique’ (psychanalyse, méfiance accrue envers les sciences et l’Aufklärung (nom allemand des Lumières) [21] . . . ). Du travail d’Adorno et Horkheimer, deux des gros poissons de l’École de Francfort, Foucault regrettera [22] son ignorance initiale : leur convergence, bien qu’indépendante, était, reconnut-il, fort nette. Mais revenons à Marcuse, jeune élève de Heidegger, qui aura tenté un temps de synthétiser la pensée du maître avec celle de Marx [23]. Plus tard, aux États-Unis, c’est avec Freud que Marx se trouvera combiné [24], pour renouveler la charge contre les sociétés capitalistes. Mais c’est bien l’essai Repressive Tolerance [25] qui doit nous préoccuper ici : dans ce texte publié en 1965, Marcuse défend la suppression de la parole considérée comme réactionnaire, dans la mesure des possibilités pour les progressistes d’exercer cette censure. Il sera peu de dire que les universités auront représenté une aubaine dans ce sens. Ceux qui connaissent les arguments contre la censure [26], se réclamât-elle du camp de la tolérance et du progrès, ne seront pas surpris par la suite : aux yeux de la ‘gauche académique’, tout ce qui ne rentrait pas dans l’orthodoxie détaillée entre autres par Gross et Levitt ou Hoff Sommers [27] est progressivement devenu réactionnaire.

Il est donc réactionnaire de considérer qu’il existe à l’échelle des moyennes statistiques des différences physiologiques et psychologiques non triviales entre hommes et femmes [28], voire même que le sexe biologique est une réalité chez l’humain [29]; de considérer que les mythes de création de peuplades indigènes d’Amérique ont une valeur de vérité inférieure à celle des connaissances archéologiques [14]; de manquer d’enthousiasme à l’égard de la “discrimination positive”, etc. Peu importe que ces positions puissent être défendues avec des arguments factuels solides, il faut garder en tête ce que ses disciples américains ont gardé de Foucault : l’arbre à l’apparence scientifique ou philosophique, cache la forêt de la volonté de puissance. Une idée très nietzschéenne, philosophe dont Jacques Bouveresse se demande encore aujourd’hui comment il peut être une influence clé de tant d’intellectuels se réclamant de la gauche. La même question est encore plus pertinente à propos de Heidegger [30, 31] et de Carl Schmitt. Mais c’est bien le spectre de ce que j’appellerai le XIXe siècle étendu (1789-1939), allemand, qui apparaît en transparence derrière la ‘gauche académique’ contemporaine. Là où, à partir de Fichte et de son nationalisme rousseauïen, et du mysticisme nostalgique des romantiques, et jusqu’au paroxysme heideggérien, la philosophie allemande avait proclamé [24, 32] l’incompatibilité ontologique de l’Enlightenment (ou l’Aufklärung), rationnel, individualiste, libéral et cosmopolite, peut-être bon pour les britanniques ou les français, avec l’esprit allemand, organique, viscéral, poétique et authentique, la ‘gauche académique’ et ceux qui se sont laissés conquérir par ses idées fixes, proclament aujourd’hui que celle-là est peut-être bon pour l’homme ‘blanc’ ‘cisgenré’ [33] (voir notamment un partisan de l’intersectionnalité déclarant que “la liberté permet aux hommes blancs de tout contrôler” [34]), mais que la richesse humaine des homosexuels, des peuples non européens, etc. ne conservera sa dignité que par le biais de l’abandon de la méthode, des résultats et des idéaux d’objectivité scientifiques [35].

Cette orthodoxie est devenue une donnée importante de la vie universitaire dans l’anglosphère. Certains répondront que l’ampleur des dégâts est ici exagérée. Sans doute trouvera-t-on quelques personnes qui répliqueront que, s’ils déplorent éventuellement certains excès militants, l’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. D’autres expliqueront que la filiation intellectuelle douteuse de la militance intersectionnelle ne saurait disqualifier le mouvement. D’autres encore affirmeront qu’il n’y a rien de mal à vouloir rendre l’intégralité de la vie universitaire compatible avec les velléités de ‘justice sociale’. À ces personnes, je serai(s) heureux d’exposer pourquoi je pense qu’elles se trompent.

Références

[1] CBSN, Mizzou professor resigns journalism school courtesy appointment.
[2] Michael Hausam, Yale Students Whine and Moan About a Lack of Safe Space.
[3] Think Club, FULL RECORDING – Lindsay Shepherd Interogated by Wilfried Laurier University’s Gender Police.
[4] Will DiGravio, Students Protest Lecture By Dr. Charles Murray at Middlebury College.
[5] ‘Richard Dawkins’ Berkeley event cancelled for ‘Islamophobia’’, BBC (24/07/2017).
[6] R. Pérez-Peña and T. Vega, ‘Brandeis Cancels Plan to Give Honorary Degree to Ayaan Hirsi Ali, a Critic of Islam’, The New York Times (08/04/2014).
[7] ABC News, Milo Yiannopoulos Speech Protests Turns Violent at UC Berkeley.
[8] S. Sandhu, ‘Maryam Namazie: Secular activist barred from speaking at Warwick University over fears of ’inciting hatred’ against Muslim students’, The Independent (25/09/2015).
[9] G. Lukianoff, Unlearning Liberty: Campus Censorship and the End of American Debate (Encounter Books, 2014).
[10] R. Hughes, Culture of Complaint: The Fraying of America (Oxford University Press, 1993).
[11] A.D. Bloom, The Closing of the American Mind (Simon and Schuster, 1987).
[12] R. Kimball, Tenured Radicals: How Politics Has Corrupted Our Higher Education (HarperCollins, 1990).
[13] D. D’Souza, Illiberal Education: The Politics of Race and Sex on Campus (Free Press, 1991).
[14] P.R. Gross and N. Levitt, Higher Superstition: The Academic Left and its Quarrels With Science (Johns Hopkins University Press, 1994).
[15] A. Sokal, ‘Transgressing the boundaries: Toward a transformative hermeneutics of quantum gravity’, Social Text 46/47, 217 (1996).
[16] N. Koertge, ed., A House Built On Sand: Exposing Postmodernist Myths About Science (Oxford University Press, 1998).
[17] O. Benson and J. Stangroom, Why Truth Matters (Continuum, 2006).
[18] P. Boghossian, Fear of Knowledge: Against Relativism and Constructivism (Oxford University Press, 2006).
[19] A. Sokal and J. Bricmont, Impostures Intellectuelles (Éditions Odile Jacob, 1997).
[20] D. Lehman, Signs of the Times: Deconstruction and the Fall of Paul De Man (Poseidon Press, 1991).
[21] M. Horkheimer and T.W. Adorno, Dialectic of Enlightenment, edited by G. Schmid Noerr (Stanford University Press, 2002).
[22] Radical Archives, Foucault on the Frankfurt School (1978), http://radicalarchives.org/2013/07/08/foucault- on- the- frankfurt- school/ (visited on 20/08/2015).
[23] R. Wolin, Heidegger’s Children: Hannah Arendt, Karl Löwith, Hans Jonas, and Herbert Marcuse (Princeton University Press, 2001).
[24] S.R.C. Hicks, Explaining Postmodernism: Skepticism and Socialism from Rousseau to Foucault (Scholargy Publishing, 2004).
[25] H. Marcuse, ‘Repressive Tolerance’, in A Critique of Pure Tolerance, edited by R.P. Wolff, B. Moore, Jr. and H. Marcuse (Beacon Press, 1965).
[26] Univerity of Toronto Debate, Freedom of speech includes the freedom to hate.
[27] C.H. Sommers, Who Stole Feminism? How Women Have Betrayed Women (Simon & Schuster, 1994).
[28] S. McKinnon, Neo-liberal Genetics: The Myths and Moral Tales of Evolutionary Psychology (Prickly Paradigm Press, 2006).
[29] J Metz, No Such Thing As Biological Sex.
[30] R. Wolin, The Seduction of Unreason: The Intellectual Romance With Fascism from Nietzsche to Postmodernism (Princeton University Press, 2004).
[31] E. Faye, Arendt et Heidegger : Extermination Nazie et destruction de la pensée (Albin Michel, 2016).
[32] G. Garrard, Counter-Enlightenments: From the eighteenth century to the present (Routledge, 2006).
[33] R. Soave, ‘Black Lives Matter Students Shut Down the ACLU’s Campus Free Speech Event Because ‘Liberalism Is White Supremacy’’, Reason (04/10/2017).
[34] T. Smith, Thomas Smith vs Sargon of Akkad Debate #Mythcon.
[35] J. Rauch, Kindly Inquisitors: The New Attacks on Free Thought, Expanded (The University of Chicago Press, 2013).

L’outing, c’est dévoiler de force une partie de la vie intime de quelqu’un, c’est affirmer au monde que l’on sait que telle personne a une identité ou une orientation sexuelle « non-traditionnelle » (vocabulaire tchétchène). En 2017, être homo ou bi (ou pan ou toute autre orientation non hétéro) semble accepté, et avec le mariage pour tous, notre société a bonne conscience. On pourrait se dire que l’outing est inoffensif. On aurait tort.

L’outing est le fait de révéler l’homosexualité ou la transidentité d’une personne sans son consentement, voire contre sa volonté1. (Wikipédia)

La difficulté d’être non-cis-hétéro demeure. Il faut souvent des années pour accepter cette « différence », pour accepter d’être qui l’on est sous le regard d’autrui, en particulier sous celui des proches et de la famille à qui, bon gré mal gré, il faut annoncer que l’on n’est pas exactement tel·le que l’on s’attend à ce que nous soyons. Une identité ou une orientation romantico-sexuelle différente de la majorité, c’est d’abord un apprentissage sur soi, et c’est une chose dont tôt ou tard il faut accepter d’avoir à la « révéler » dans une société où le sexe pâtit encore de tous les tabous, où les désirs sont des fautes qu’il faut confesser, où le corps est coupable de nuire à l’âme et à ce que nous aurions de pur, où le sida a fait de la peur de la mort la compagne tutélaire des premiers émois, dans une société où le sexe est, au moins dans le langage, l’outil de flétrissure ultime pour signifier son mépris d’un individu (vous avez tous des insultes en tête sans besoin qu’ici je les énumère). Le coming-out est l’un des actes les plus chargés de sens qu’on puisse commettre. L’outing l’est donc tout autant.

 

Il n’est pas question ici du geste politique que représente l’outing de personnalités puissantes, quand leurs actes ou leurs paroles portent atteinte aux libertés des minorités sexuelles. On peut envisager de  justifier (pensons à en douter malgré tout) la dénonciation de l’hypocrisie de ceux qui se mettent en position de pouvoir et accroissent le malheur de ceux-là mêmes qu’ils devraient être en mesure de comprendre et d’aider. L’outing ordinaire, de tous les jours, n’est pas celui-ci. C’est un acte de pure oppression et de pure malveillance.

Aujourd’hui encore ces informations intimes, une fois rendues publiques, sont de nature à enrayer la carrière de certaines personnes dans certains milieux (comme la politique) et de leur compliquer la vie. C’est particulièrement difficile pour les plus jeunes, mais c’est aussi très dur pour celles et ceux (nombreux·ses) que des questionnements, des doutes, voire des agressions, ont fragilisé·e·s. Si vous ne connaissez pas la deuxième cause de mortalité chez les jeunes, documentez-vous. Si vous ignorez par quel facteur est multiplié ce risque chez les jeunes LGBT+, sans doute serez-vous choqués.

 

La haine imbécile et vengeresse, ou bien idéologique et totalitaire, est la principale motivation de l’outing. Qui s’en rend coupable ? On pense bien sûr aux homophobes claniques de la soutane, de la kippa ou du qamis. On pense aux brutes épaisses shootées à la testostérone, aux xénophobes de toutes obédiences pour qui cette différence en vaut bien une autre. On pense aux énervés sans cause, à ceux qui se cherchent des ennemis pour exprimer par la violence ce qu’ils ne savent pas gérer autrement. On pense aux paumés sans avis, sans méchanceté, qui croient gagner quelque chose à reproduire les agressions dont ils sont témoins, à se ranger du côté des plus forts. On pense moins, mais cela risque de changer, aux miliciens clavicoles de la justice, à ces nouveaux chevaliers de la morale, parabalanis modernes, Tartuffes de la lutte sociale, et in fine piètres militants.

Il existe des endroits initialement fondés avec de bonnes intentions où vous n’avez droit à la parole et au respect qu’à condition de révéler vos failles intimes,vos différences, tout ce qui dans le reste de la société vous fragiliserait. Il est de ces « safe spaces » où se joue une sorte de bingo de l’oppression qui donne un laisser-passer à certains pour juger, catégoriser et condamner les autres s’ils sont sujets à moins d’oppressions qu’eux. Ainsi se construisent de nouvelles sortes de brutes, shootées à l’indignation facile. Et ceux-là et celles-ci rejoignent le cortège des obscurantistes pour juger les humains d’après leur plumage et jeter l’opprobre sur ceux qui les dérangent, en mêlant à leurs critiques des éléments qui n’appartiennent pas au monde du débat d’idées, mais à celui de l’agression personnelle et de la discrimination.

 

Celui qui oute ne peut se prévaloir de connaître toutes les conséquences de son acte, à quel point il peut nuire ni à quel point la cible de son geste souffre d’une fragilité particulière 1. Parfois l’environnement de l’outé peut se retourner contre lui ; parfois l’intéressé lui-même peine à résoudre ses propres questions d’identité. Mais l’oppresseur choisit toujours de se cacher derrière cette ignorance : il traite tout le monde de la même manière, dit-il. Certains iront jusqu’à arguer que l’orientation n’étant pas une tare, la cacher relèverait d’une honte indue qu’il convient de ne pas respecter. Sauf qu’on ne peut pas outer tout le monde, ce sont encore les minorités qui trinquent.

 

C’est toujours à la personne concernée, et à elle seule, de déterminer le moment de son coming-out, le moment où le regard des autres peut changer, où peut-être une nouvelle étape de sa vie débute. Cette liberté, intimement liée à des questions d’identité, d’estime de soi et d’accomplissement personnel ne se négocie pas. Déposséder l’individu de ce choix, de son contrôle sur ce qu’il laisse voir de qui il est, est un acte d’une grande violence.

Désormais l’outing peut venir de tous les bords. Plus personne n’est en sécurité nulle part si on laisse s’installer ce type de comportement oppressif dans les rangs de celles et ceux qui luttent pour le respect des marginalisés, des minorités et des cibles habituelles de l’oppression. Il est peu vraisemblable que la tolérance et l’amour du prochain inspirent demain les factions les plus brutales et conservatrices qui s’adonnent à l’outing, mais on peut espérer qu’il est utile d’activer la sonnette d’alarme du côté des progressistes qui mettent au pinacle de leurs valeurs le respect des individus.

Lorsque l’outing n’est pas un acte profondément inconsidéré qui oublie l’autre dans un monde encore trop homophobe, il est un acte malveillant qui véhicule l’idée qu’on peut nuire en révélant l’orientation sexuelle. Il participe alors à la représentation mentale collective d’un monde où la sexualité revêt une dimension de vice qu’il faudrait expier, et est donc un acte d’oppression systémique. Sauf quand il est question du vécu des oppressions, la sexualité des individus n’est jamais un argument, pas plus qu’aucun des autres attributs que nous ne pouvons pas choisir. Ceux qui cherchent à salir les non-hétéros et ceux qui disqualifient la parole de qui n’a pas la bonne orientation participent au même problème.

Ils nous pourrissent la vie.

 

Acermendax

J’ai rédigé ce texte en réaction à l’outing subi par mon complice Vled, mais j’ai préféré attendre qu’il s’exprime lui-même sur la question dans la vidéo ci-dessous.