La Miviludes est / était la Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Cet organisme de l’État français, créé en 2002 sous l’autorité du Premier ministre est unique au monde. Ses fonctions sont définies par le décret de 2002 qui l’institue :
- Observer et analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire dont les agissements sont attentatoires aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ou constituent une menace à l’ordre public ou sont contraires aux lois et règlements ;
- Favoriser, dans le respect des libertés publiques, la coordination de l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre de ces agissements ;
- Développer l’échange des informations entre les services publics sur les pratiques administratives dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires ;
- Contribuer à l’information et à la formation des agents publics dans ce domaine ;
- Informer le public sur les risques, et le cas échéant les dangers, auxquels les dérives sectaires l’exposent, et faciliter la mise en œuvre d’actions d’aide aux victimes de ces dérives ;
- Participer aux travaux relatifs aux questions relevant de sa compétence menés par le ministère des affaires étrangères dans le champ international.
Sa position unique lui donne accès à l’ensemble des services administratifs, et permet d’engager sans délai des démarches auprès des différents ministères intéressés par les dérives sectaires : justice, intérieur, éducation, santé, etc. Si elle dépendait du ministère de l’intérieur, comment gérer correctement 50% des signalements qui concernent des dérives thérapeutiques ?
Courroie de distribution entre les associations de victimes et les organes de l’état en mesure de déclencher des réponses institutionnelles, la Miviludes fait ouvrir une centaine d’affaires judiciaires par an. Ses agents assurent également une mission de formation des policiers afin d’améliorer leurs capacité d’accueil des témoignages de victime et leurs aptitudes d’enquête sur les questions sectaires.
Cette mission est donc indispensable pour coordonner les efforts contre les manipulations mentales. En mai dernier, nous avions publié une vidéo pour vous rappeler que chacun peut jouer un rôle dans la lutte contre les sectes en prenant attache auprès des professionnels engagés dans ce travail. Encore faudrait-il que ces professionnels restent en poste.
De toute évidence, ce dont nous avons besoin, c’est d’une Miviludes avec plus de moyens humains et financiers afin de contrecarrer la puissance des sectes, en particulier à l’échelle internationale, notamment en ce qui concerne la scientologie et l’anthroposophie. Plus de 20% des français sont ou ont été confrontés dans leur entourage aux problèmes des dérives sectaires. On compte plus de 500 000 adeptes en France. La Miviludes reçoit chaque année toujours plus de signalements.
Interrogées, des agents de la Miviludes nous confient :
« il y a de plus en plus de cas graves ». « Il y a beaucoup d’escrocs dans les salons Bio (…) On constate de l’entrisme dans les milieux décisionnaires. », « Il y a de grandes puissances financières impliquées ».
On apprend notamment que la Miviludes reçoit « beaucoup de signalements liés aux écoles Steiner ». Il nous faut nous arrêter sur ce détail.
Les prises de parole publiques contre l’anthroposophie sont si rares que le mouvement sectaire entend faire croire que Grégoire Perra, ex-anthroposophe engagé dans la dénonciation de ce qu’il a vécu depuis son enfance dans le mouvement, est un affabulateur isolé (voir son blog à cette adresse). Un article récent se faisait l’écho de ces signalements qui restent à ce jour peu connus du grand public. Grégoire Perra est attaqué en diffamation par des médecins anthroposophes et par la Fédération des écoles Steiner-Waldorf. Le délibéré est attendu… aujourd’hui même. Nous avions reçu Grégoire dans notre émission en 2018 :
L’utilité ou l’efficacité de la Miviludes sont parfois critiquées. Il est fort probable que la mission telle qu’elle existe ne soit pas à la hauteur des défis dans un contexte de recrudescence des mouvements ésotériques (voir notre émission sur le sujet). Mais, tout de même, son travail n’est pas sans mérite :
- C’est la Miviludes qui a donné l’alerte dès septembre 2018 au sujet du test sauvage de médicaments anti-alzheimer du Fond Josefa auquel est mêlé l’ultra catholique Henri Joyeux.
- C’est la Miviludes qui a permis qu’éclate l’affaire des reclus de Monflanquin en 2013.
- Etc.
La Miviludes est morte ?
Mais c’est terminé, la Miviludes va disparaître, non pas en étant simplement fermée (ce qui pourrait causer des vagues), mais dispersée au sein d’autres services.
« La Miviludes va être purement et simplement dissoute au sein du ministère de l’Intérieur« , nous confirme un associatif qui collabore avec la mission interministérielle depuis de nombreuses années.
Source : https://www.franceinter.fr/lutte-contre-les-sectes-la-miviludes-va-t-elle-disparaitre
« L’ancien président de la mission Georges Fenech, président de la mission de 2008 à 2012 regrette cette décision car il estime que la lutte contre les sectes et contre la radicalisation sont deux combats différents. « Certes les sectes se retrouvent dans le monde religieux, mais aussi dans la santé, l’éducation, la culture ou le monde sportif« , explique-t-il. À ses yeux, pour faire des économies, on se prive d’un outil fondamental et l’on fait disparaître la lutte contre les sectes. »
Source : https://www.franceinter.fr/lutte-contre-les-sectes-la-miviludes-va-t-elle-disparaitre?fbclid=IwAR2cQ9oW5UTSWGSCN8Tu4w9gMyBzzF4jTLDXyxCG6QeeTrhL34Uhxc91cJo
Une telle décision peut se justifier d’un point de vue idéologique, si l’on opte pour une forme de libéralisme qui croit à l’autonomie de la volonté individuelle, une vision de l’État où celui-ci se désengage de ses responsabilités envers les personnes manipulées et s’illusionne sur la capacité de chacun à ne faire que des choix raisonnables, raisonnés sur lesquels la société n’a aucun droit de regard.
On trouvera sans doute des justifications de cet ordre après la publication officielle de la décision d’étouffer calmement la Miviludes dans une lente et mortelle étreinte administrative « d’optimisation ». Bien sûr, on pourra se battre sur le plan idéologique pour défendre les victimes qui n’ont pas spécialement besoin de la double peine que leur infligera une société qui les déclare coupables de se faire manipuler.
Dans cet article, nous ne tenterons pas une confrontation idéologique, nous allons simplement douter de l’honnêteté et de l’indépendance intellectuelle des personnes qui prennent la décision de frapper la lutte anti-secte, parce qu’à ce stade le doute nous semble une étape nécessaire. Nous vous laisserons juges de ce que ces doutes vous inspirent.
L’Anthroposophie est probablement la secte la plus puissante d’Europe. Aucune autre n’a autant d’argent, d’écoles, d’entreprises, de réseaux… Elle est donc, avec la scientologie (bien plus célèbre) l’ennemie principale de la Miviludes. En 2018, elle gagnait déjà sur le plan judiciaire sa guerre contre la Mission interministérielle.
Les réseaux anthroposophes sont-ils assez puissants, en France, pour obtenir la tête de l’organisme chargé de lutter contre leurs dérives ? L’inquiétude n’est pas nouvelle :
« Catherine Picard, députée PS et présidente de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (UNADFI), déclare en novembre 2005 que la MIVILUDES est trop timorée et ne remplit plus son rôle, « se bornant à communiquer une fois par an un rapport sur l’air de Tout va très bien » et affirme que certains membres du gouvernement Villepin, en particulier Nicolas Sarkozy, « s’affichent comme favorables aux sectes ». »
Source : Wikipédia, article Miviludes.
Regardons le gouvernement sous l’angle de la question de l’entrisme sectaire dans les milieux décisionnaires.
● Marc Guillaume, secrétaire général du gouvernement, est reconnu par tous les acteurs du milieu anti-secte comme l’artisan du démantèlement de la Miviludes.
Pendant 10 ans, il a œuvré pour que les vins de Bourgogne obtiennent une reconnaissance mondiale de l’UNESCO en s’appuyant sur l’Association des Climats du vignoble de Bourgogne, successivement dirigé par Aubert de Villaine (Domaine Romanée-Conti) puis Guillaume d’Angerville (Domaine Marquis d’Angerville), deux exploitations qui emploient la biodynamie.
Parmi la trentaine de mécènes (viticulteurs prestigieux, distributeurs de grands vins en Europe) appartenant à l’Association des Climats du vignoble de Bourgogne, et dont les noms apparaissent à la fin de la vidéo : Les Climats du vignoble de Bourgogne – Terroirs d’histoire et d’excellence – Trésor pour l’humanité, la quasi-totalité pratiquent la biodynamie. La biodynamie est une approche ésotérique mêlant agriculture biologique, homéopathie et astrologie, et elle relève de la pensée anthroposophique.
- La biodynamie dans la bouteille de vin : https://www.charlatans.info/vin-biodynamique.php
- Agriculture biodynamique (Psiram) : https://www.psiram.com/fr/index.php/Agriculture_biodynamique
● Le Premier Ministre Edouard Philippe, quand il était maire du Havre, accueillait les colloques de « L’économie positive » où des milliers d’entrepreneurs sont invités à pratiquer la méditation pleine conscience, une activité que l’on retrouve dans le réseau colibri de Pierre Rabhi, qui intervient d‘ailleurs dans les colloques de 2013 et de 2014, une activité dont la Miviludes soulignait à l’époque qu’elle pose de sérieux problèmes de dérives.
« Aujourd’hui, une action de [Développement Professionnel Continu] sur deux reçoit un avis défavorable en CSI, affirme la directrice de l’agence. Parmi les pratiques mises en cause, l’ANDPC et la MIVILUDES citent l’hypnose (« On a l’impression que la moitié de la France hypnotise l’autre », affirme la directrice de l’agence), les massages, l’aromathérapie, la méditation de pleine conscience ou encore la fasciathérapie.
Source : journal Le Quotidien du Médecin , 30 mai 2017.
« L’époque où l’on vendait des produits de perlimpinpin a tendance à disparaître, analyse le Dr Blisko. Aujourd’hui des gens essaient de vendre des méthodes non médicamenteuses qui peuvent les détourner de la médecine traditionnelle. »
Ibid
Le dernier Président de la Miviludes, Serge Blisko, révèle des pressions vécues autour du dernier rapport, celui de 2016-2017 dans un courrier que l’on nous a transmis :
« Ce que nous avions fait dans notre Guide Santé était d’écrire que la médecine anthroposophique était peu fondée scientifiquement. Nous avons été contraints par les instances judiciaires à retirer cette phrase dans la réédition du Guide Santé de la Miviludes. (…) Sur les conseils du cabinet du Premier Ministre, nous devons rester en stand bye sur cette question. »
Information également disponible dans un article du Point publié tout à l’heure : https://www.lepoint.fr/societe/le-gouvernement-abandonne-t-il-la-lutte-contre-les-sectes-01-10-2019-2338675_23.php?fbclid=IwAR3_8FBdpqvp-s4HSw0puxVe_WWptWq3CNK1KnWHz4lPaagPlaf5kVlKuAU
Quand Serge Blisko quitte la présidence, il n’est pas remplacé. Le bureau du Premier Ministre laisse sans réponse les agents de la Miviludes qui demandent un successeur.
« Il y a deux mois, Loïc Kervran, député LREM, a réclamé d’urgence la nomination d’un nouveau patron pour la Miviludes. Réponse du Premier ministre, deux mois plus tard : « Le processus de recrutement est en cours. » Le recrutement dans les sectes aussi. Et il est plus efficace. C. Ardid »
Source : https://charliehebdo.fr/2019/05/societe/lheure-des-gourous/
Les subventions de la Miviludes, comme celles des associations anti-secte (GEMPPI, UNADFI, CCMM) sont en baisse depuis des années, et ses fonctionnaires au chômage technique puisque les informations ne circulent plus, et que la publication du rapport 2018 n’a pas eu lieu.
● Françoise Nyssen, naguère ministre de la culture, a co-fondé une école Steiner qui a défrayé la chronique. Elle est une anthroposophe très active.
● François Bayrou est Ministre de la Justice du premier gouvernement Philippe. Mis en cause dans l’ Affaire des assistants parlementaires du Mouvement démocrate au Parlement européen, il doit quitter ses fonctions. On peut souligner que, fervent catholique, il fréquente les Béatitudes, mouvement soupçonné de dérive sectaire :
● Au ministère de l’agriculture, Didier Guillaume fait lui aussi l’apologie de la biodynamie jusque sur le site du ministère.
● Nicolas Hulot, un temps ministre de l’environnement, est évidemment favorable à la biodynamie et aux « colibris » de Pierre Rabhi, qui est au minimum très proche de l’anthroposophie. Depuis ses débuts en politique, il a pour mentor Dominique Bourg.
Président du conseil scientifique de la fondation Nicolas-Hulot, vice-président du Grenelle de l’environnement, Dominique Bourg est important dans le paysage. Aux premières assises de l’Écologie humaine : « regards croisés sur l’homme et la nature » de 2014, il déclare : « Ce monde meurt depuis la moitié du XIXe siècle, c’est-à-dire depuis que Darwin a ravalé l’homme au rang des espèces animales » (source)
Dominique Bourg préside le Festival de la Terre où se pressent des dizaines de guérisseurs et promoteurs de thérapies spirituelles : eutonie, réflexologie, biorésonance, reiki, astrologie thérapeutique, psychogénéalogie, fleurs de Bach, respiration alchimique, pranayama, massage thérapeutique sonore avec bols chantants planétaires, kundalini yoga, nada yoga, « tao de la femme », Lu jong… Et autres mouvances ésotériques comme le channeling. La proximité avec des spiritualités connues pour leurs risques de dérives dénoncés dans les rapports de la Miviludes est patente.
Dominique Bourg est co-organisateur en 2016 de « Faire la paix avec la Terre » (« une rencontre entre écologie et spiritualité ») avec l’association Val de consolation, proche entre autres du militant anti-vaccin et chaman Tal Schaller. Le Cercle Laïque pour la Prévention du Sectarisme a signalé le danger représenté par cette association.
On pourrait multiplier les indices de proximité de Dominique Bourg avec d’autres milieux sectaires comme la Nouvelle Acropole et rappeler combien il est ambigu quand il juge que la démocratie est un obstacle à l’écologie…
On peut souligner l’exception du Ministère de la Santé ou Agnès Buzyn a respecté la science et défendu la décision du déremboursement de l’homéopathie en se référant à l’avis des académies de science et de médecine. Mais la complaisance du gouvernement pour les approches spirituelles de la santé reste prégnante avec la nomination par le groupe LaREM de Julien Borowczyk à la tête du Projet de Loi de Financement de la Securité Sociale (PLFSS) 2020. Ce médecin généraliste pratique notamment la mésothérapie, l’homéopathie et l’ostéopathie.
Souvenons-nous que le 14 juillet 2018, Tom Cruise est reçu à l’Elysée par Emmanuel Macron. Nicolas Sarkozy avait accordé la même courtoisie au gourou-acteur dix ans plus tôt. Est-il normal de recevoir de la sorte le numéro 2 de l’une des plus célèbres sectes du monde ?
Gare aux conclusions hâtives
Rien de toute cela ne permet d’affirmer que l’enterrement de la Miviludes via sa décapitation et la dispersion de 4 agents parmi les 12 actuels dans des ministères séparés soit l’œuvre d’une volonté gouvernementale de favoriser des dérives sectaires avec lesquelles des ministres – et peut-être jusqu’au Président – ont des relations complaisantes, voire complices.
Sans vouloir faire de prétérition, il ne nous appartient pas de porter de telles accusations, car il faudrait pouvoir les supporter à l’aide d’un travail d’enquête qui réclamerait les efforts de journalistes chevronnés.
En revanche nous sommes libres de constater que toutes les décisions prises par les autorités depuis l’arrivée de ce gouvernement concourent à établir et à alimenter ces soupçons.
Le gouvernement ne devrait pas vouloir devenir suspect de faire la part belle à des intérêts sectaires. La communauté rationaliste-sceptique pourra difficilement être taxée de nourrir une pensée conspirationniste. Il sera difficile au pouvoir de disqualifier nos critiques à l’aide d’une loi Anti-Fake News bricolée pour répondre aux inquiétudes d’élus visant leur ré-élection. Pour éviter que des doutes légitimes ne conduisent à rejoindre le cortège déjà massif des mécontents vêtus de jaune une large communauté attentive à la culture scientifique, à la probité rhétorique, à la défense des plus fragiles face aux manipulations mentales et à la circulation d’idées virales et dangereuses, le gouvernement devrait faire le choix de renforcer les effectifs de la Miviludes afin de la rendre mieux apte à traquer jusque sur la scène internationale les méfaits des mouvances sectaires, à et enquêter sur plus de signalements impliquant des enfants en danger, des malades manipulés, des enseignements extrémistes, des radicalisations inquiétantes…
Le gouvernement, s’il se paie la Miviludes pour des raisons idéologiques ou spirituelles, fera la part belle aux sectes qui n’en attendaient pas tant, mais il donnera aussi le coup d’envoi à de nouveaux soupçons et décuplera la motivation des sceptiques à dénicher les raisons cachées derrière une décision qui colle trop bien avec un scénario de cinéma où l’influence sectaire s’infiltre jusqu’au sommet du pouvoir et détruit de l’intérieur les instances capables de la reconnaître pour ce qu’elle est et de la traquer.