On identifie sans mal certaines idéologies pour ce qu’elles sont : des combinaisons de valeurs, d’idéaux et des stratégies déployées pour les défendre.

Il fallait bien que les hurlements de certains extrémistes finissent par en exciter d’autres…

Certaines figures un peu connues de la zététique se font pourrir depuis  environ 4 ans, et sont même harcelées par une petite clique d’ultra-gauchistes de salon qui leur reprochent d’être littéralement l’antichambre du fascisme. « La zététique c’est de droite » dit-on sur Twitter. Et le REC, « un rassemblement du RN ». Dans le même temps, des journalistes nous accusent même d’être à la solde des multinationales dans des délires de type complotiste dans les pages du Monde ou de la revue Zilsel. Evidemment, je ne m’attarde pas sur les montagnes d’injures et de menaces venues de la complosphère : cet aspect-là fait en quelque sorte partie du job, malheureusement.

Bon an, mal an, les gens de la zététique gardent le cap. Nous renonçons à discuter avec ces gens fanatisés. Nous continuons de produire aussi bien que possible des contenus de vulgarisation scientifique et de promotion de l’esprit critique, et même à organiser des événements comme la Nuit Zététique et les REC de Toulouse. Travailler nous semble être la meilleure réponse aux accusations éclatées qui cherchent à nous atteindre (et regardez, au lieu d’avancer sur mes projets, je consacre du temps à écrire ce billet. Cela me désole) au prétexte que, essentiellement, nous ne serions pas (ou pas assez, ou pas bien) de gauche.

 

Hier, un article puant la rhétorique zemmourienne publié par le journal Marianne croit pouvoir constater que « le wokisme est dans la place » et que la zététique a été dévoyée hors du rationalisme. La preuve : on valorise la bienveillance. Et nous sommes contre le racisme, en plus !

Extrait de Madame Anne-Sophie Nogaret :

« Malgré le crédit dont elle bénéficie, la très populaire chaîne YouTube « La Tronche en Biais » a pu adopter une position très éloigne de la rationalité qu’il prétend défendre sur els questions de sciences humaines ? »

Cette phrase vient après une relecture déficiente du contenu de notre émission de janvier 2019 sur le racisme avec Evelyne Heyer, commissaire de l’exposition sur le racisme du Musée de l’Homme, autrice de « L’odyssée des gènes ». Dans notre émission, il n’a jamais été dit que « seuls les « racisés » (comprendre les Noirs et les Arabes) sont victimes de discrimination. » précisément parce que le racisme ne se limite pas simplement à de la discrimination (qui peut certes frapper n’importe qui, mais pas avec la même probabilité), chose qui a été expliquée lors de ces deux heures de direct. Il serait souhaitable que la journaliste veuille corriger rapidement cette présentation fausse. Je l’invite à poser des questions quand elle n’est pas sûre d’avoir compris quelque chose, la section commentaire peut servir à ça.

L’article de Mme Nogaret semble me présenter comme l’un des organisateurs des REC dans une phrase au minimum ambigüe qu’il serait appréciable de voir corriger elle aussi, au cas où la suppression pure et simple de ce tissus d’intox ne serait pas possible.

Il est préférable de citer ses sources afin d’être bien compris, alors je dépose ici les captures d’écran de l’article payant écrit par Mme Nogaret. Je les supprimerai si un droit de réponse libre d’accès est accordé à ceux à propos desquels le journal à laissé publier de fausses informations. Parce que, voyez-vous, le mouvement Zet n’a pas « perdu de vue son objet : la recherche de la vérité et non le soin a priori des sensibilités fragiles » (ce qui serait de toute façon un aux dilemme).

 

Après environ 4 ans d’ambiance pourrie par les obsessions politiques de celles et de ceux qui ne font pas de zététique mais voudraient qu’elle s’aligne avec leurs priorités personnelles, je pense que la majorité des Zets aimeraient bien que ces deux grandes familles de toxiques obnubilés par leur grille absolue de détection du mal s’occupent de se renifler le derrière entre eux sans nous mêler à leurs turpitudes.

 

Je mets ci-dessous le lien vers notre émission de janvier 2019. Bien humblement, je conseille à tout le monde de lire plus de science et de dire moins de conneries.

 

Acermendax

 

L’un des arguments les plus récurrents que l’on reçoit lorsqu’on critique les concepts de Dieu, les dogmes et divers croyances en une transcendance, consiste à se voir reprocher de s’imaginer plus malin que de grands savants du passé dont on sait bien, par les écrits qu’ils ont laissés, qu’ils croyaient en Dieu. Les athées qui parlent de leur athéisme et osent le défendre sur le terrain de la raison sont accusés de se croire plus brillants que Pascal, Descartes, Kant, Leibnitz, Gödel, ou même l’anticlérical mais déiste Voltaire ! Les croyants qui argumentent ainsi veulent montrer que les vrais savants sont comme eux, croyants, que la vraie science s’accorde avec leur religion. Mais au lieu de le démontrer, ils l’insinuent en s’appuyant sur les croyances de personnages morts depuis longtemps.

Il est parfois malaisé de répondre, notamment parce que l’argument est malhonnête, cache ses accusations implicites et ignore à la fois le contexte historique et les conditions de production des traces écrites faisant état des convictions spirituelles de ces personnages.

Je veux partager avec vous un extrait de « DIEU, la contre-enquête », Chapitre 29 « Science & Religion : compatible ou pas ? », aux pages 306-309. Dans cet extrait, je livre ma réponse à cette rengaine qui amalgame l’homme de paille, l’analogie douteuse et une décontextualisation de la croyance de nos prédécesseurs.

 

Un conflit cognitif

« Bien entendu, on peut citer de très nombreux intellectuels, de grands savants, dont il reste des témoignages de leur profonde piété. Les apologètes n’y manquent jamais ; dresser une telle liste leur procure toujours beaucoup de satisfaction, car il est plaisant de classer les humains en deux catégories et de se placer soi-même dans celle où l’on compte tant de personnes si remarquables. Ce type de mille-feuilles où l’on épingle une litanie de cas individuels en vue d’en inférer une règle générale est fallacieux par principe, et il se double d’une imposture quand les noms remontent à quelques siècles et concernent des personnes élevées dans la foi, disciplinées dans des écoles confessionnelles, conditionnées par une société qui exigeait des marques d’affiliation religieuse, bref enfoncées dans leur temps comme nous le sommes dans le nôtre, et lourdement incitées à ne surtout pas critiquer trop fort certaines choses. Tous ceux qui ont vécu au xiiie siècle des cathares de Minerve et de Lavaur, au xive siècle de Jeanne Daubenton, au xvie siècle de Giordano Bruno, Etienne Dolet et de la Saint-Barthélemy, au xviie siècle de Lucilio Vanini, Casimir Liszinski et de la chasse aux sorcières, au xixe siècle de Francisco Ferrer, et encore dans les régions des xxe et xxie siècles où tenir des propos semblables à ceux que j’écris dans ces pages met en danger leurs auteurs, ne sont peut-être croyants que de circonstances, voire de façade, contraints d’afficher la foi sans laquelle on ferait de leur vie un enfer[1]. Il est injuste et indigne d’aligner leurs noms pour tresser des guirlandes pseudo-argumentaires. Nous ne sommes pas en mesure de savoir ce que croyaient vraiment une bonne partie de nos prédécesseurs ni ce qu’ils croiraient aujourd’hui à la lumière des connaissances dont ils ne disposaient pas, ou encore ce que nous aurions cru en leur temps ou si nous étions nés dans trois siècles. Il est fallacieux de multiplier les anecdotes pour défendre l’idée que les esprits les plus brillants sont les plus croyants.

Dans leur livre, messieurs Bolloré et Bonnassies dressent sur 70 pages (chapitres 12 à 15) une longue liste de scientifiques de premier plan qui sont ou étaient de fervents croyants. Une telle liste (mélange d’appel à l’autorité et d’argument ad populum) ne permet pas de statuer sur la validité des convictions. Ce sont les arguments que ces personnes ont utilisés pour défendre leurs idées qui nous disent ce que valent ces idées. À cela, la réponse n’est bien sûr pas d’opposer une interminable liste des savants incroyants qui travaillent dans les laboratoires du monde, mais des données scientifiques.

Les scientifiques de profession sont moins croyants que la population générale[2]. C’est particulièrement vrai aux États-Unis où la population est plus pieuse que dans la plupart des démocraties modernes. En 1916, le psychologue américain James H. Leuba montre que parmi les scientifiques de carrière (mathématiciens, biologistes et physiciens/astronomes), seuls 27 % croient en un « Dieu personnel[3] ». Le même auteur évalue cette part à 15 % en 1933[4]. Soixante ans plus tard, le déclin de la croyance chez les scientifiques était confirmé par Larson et Witham qui l’estiment à seulement 7 %[5]. Un sondage publié dans la revue Nature en 1998 montrait que parmi les scientifiques les plus réputés, les membres de la National Academy of Science, 93 % se considéraient non-croyants[6]. Le taux d’athéisme dans ce pays est passé de 8 % l’année de ce sondage en 1998 à 21 % en 2021 selon un sondage Gallup[7]. Nous n’avons donc aucune raison de penser que cette proportion ait pu chuter.

Une étude récente reprend et complète d’anciennes données qui montrent la difficile compatibilité entre science et religion. Les chercheurs américains Jonathon McPhetres et Miron Zuckerman, spécialistes en psychologie et en cognition sociale, montrent que le degré de religiosité est corrélé avec une faible connaissance des sciences et une attitude plutôt hostile envers elles. Ils montrent aussi, sans surprise, que le niveau de religiosité des parents et la place de la religion dans l’éducation des enfants prédit, vingt ans plus tard, l’attitude de ces derniers envers la science[8]. Ceux éduqués religieusement sont plus téléologistes dans leur conceptualisation des animaux et plus essentialistes vis-à-vis des classes sociales et des classes d’animaux. Les croyants sont plus victimes de pareidolies, l’illusion de voir des formes structurées (souvent des visages) là où il n’y en a pas[10], ce qui les rend plus enclins à vivre des expériences paranormales. La croyance dans le surnaturel, notamment d’ordre religieux, est corrélée à une plus forte croyance dans les théories du complot[11], ce qui fait des croyants de meilleurs vecteurs de la diffusion de fake news. Autrement dit, la croyance religieuse a tendance à placer les croyants dans un monde un peu spécial où leurs perceptions de la réalité sont plus biaisées que celles de la moyenne des humains.

Ces résultats ne font que constater l’existence du conflit, qu’on le veuille ou non, entre deux modes de cognition dont chacun peut difficilement être embrassé si l’autre n’est pas, d’une manière ou d’une autre, épistémiquement disqualifié. Pour ma part, je plaide pour la science. »

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Références

[1] Voir Eyschen C. (dir.), Les martyrs de la libre pensée, Éditions de la Libre Pensée, 2018.

[2] Ecklund E. H., Johnson D. R., Scheitle C. P., Matthews K. R. W. et Lewis S. W., « Religion among Scientists in International Context: A New Study of Scientists in Eight Regions », Socius, 2016.

[3] Leuba J. H., The Belief in God and Immortality, Boston, Sherman, 1916.

[4] Leuba J. H., God or Man? A Study of the Value of God to Man, New York, Henry Holt and Company, 1933..

[5] Larson E. et Witham L., « Scientists are still keeping the faith », Nature, vol. 386, 1997, p. 435-436.

[6] Larson E. et Witham L., « Leading scientists still reject God », Nature, vol. 394,1998.

[7] https://news.gallup.com/poll/1690/religion.aspx

[8]McPhetres J. et Zuckerman M., « Religiosity predicts negative attitudes towards science and lower levels of science literacy », PLoS ONE, vol. 13, 2018, e0207125.

[9] Diesendruck G. et Haber L., « God’s categories: The effect of religiosity on children’s teleological and essentialist beliefs about categories », Cognition, vol. 110, 2009, p. 100-114.

[10] Riekki T., Lindeman M., Aleneff M., Halme A. et Nuortimo A., « Paranormal and Religious Believers Are More Prone to Illusory Face Perception than Skeptics and Non-believers », Applied Cognitive Psychology, 2013.

[11] van Prooijen J. W., Douglas K. M. et De Inocencio C., « Connecting the dots: Illusory pattern perception predicts belief in conspiracies and the supernatural », Eur J Soc Psychol, vol. 48, 2018, p. 320-335.

Pour son numéro du 25 aout 2022, le journal Marianne a choisi pour thème de son dossier : « Dieu n’existe pas » avec deux interviews et des extraits de mon livre « DIEU, la contre-enquête ».

La journaliste Margot BRUNET m’avait posé quelques questions pour ce dossier, mais cet entretien n’a pas été retenu dans les 8 petites pages qui lui sont dédiées. J’ai songé qu’il pourrait malgré tout vous intéresser. Je vous recommande bien sûr la lecture du dossier complet

 

 

Interview avec TCD.

La première version de la couverture mentionnait “Les raisons de croire existent, mais elles pourraient vous surprendre”. Quelles sont ces raisons ? 

Il y a d’abord des raisons historiques, sociales, traditionnelles, familiales, nous héritons d’un narratif sur le monde où Dieu joue souvent un rôle. A travers le monde, les croyants croient parce qu’ils sont élevés « pour ça », dans des rites différents, des religions variées, des dogmes contradictoires. Mais par chance le croyant est toujours né dans la bonne version de l’histoire, celle qui est Vraie avec une majuscule. Et puis derrière tout cela, il y a une histoire plus longue qui est celle de notre cerveau depuis des dizaines de millions d’années. Le cerveau des primates humains est conformé d’une manière qui maximise nos chances de survivre et de nous reproduire. Et cela a des conséquences sur nos intuitions, nos présupposés, notre appétit intellectuel. Nous avons tous les mêmes petits raccourcis mentaux très utiles pour traiter les informations de notre environnement de sorte à rester en vie. Il se trouve que ces raccourcis forment des « pentes de l’esprit humain » et au fond des vallées que cela produit se trouvent des concepts intuitifs, très faciles à penser, bien plus difficiles à questionner, quasiment universels, et Dieu en fait partie.

 

Est-ce qu’on voit selon vous émerger un mouvement qui veut prouver scientifiquement l’existence de Dieu, et votre ouvrage est-il une réponse à ce mouvement ? 

L’envie de prouver l’existence de Dieu par la raison date d’avant la science, c’était l’un des leitmotivs de la théologie chez Thomas D’Aquin et d’autres avant lui. Aux Etats-Unis le mouvement de l’Intelligent Design essaie depuis plus de soixante ans de faire entrer la religion dans les cours de science des enfants. On n’assiste à rien de vraiment nouveau, mais il y a actuellement une offensive en France avec le mouvement évangélique qui organise depuis 2019 des séminaires clairement créationnistes nourris de « science biblique », et par exemple le livre « Dieu, la Science les preuves » de MM. Bonnassies et Bolloré qui arbore les couleurs (mais sans l’assumer) d’un concordisme décomplexé attaché à réécrire l’histoire des sciences pour donner l’illusion que le progrès de la connaissance conforte la théologie et que, finalement, la science rapproche de Dieu.

 

La science doit-elle, selon vous, s’attarder sur la question de l’existence de Dieu ? Si oui, pourquoi, et en quoi cela nourrit la science ? Qu’est-ce que l’étude de l’existence de Dieu apporte à la science ? 

Il y a au moins deux dimensions à cette question. La plus simple est de se demander si un chercheur peut enquêter sur une hypothétique entité éternelle et toute puissante, et la réponse est oui dès lors qu’on dispose d’une définition minimale de cette entité et que l‘on peut tester des hypothèses en interrogeant les phénomènes par l’expérimentation des faits faisant intervenir la matière et l’énergie : ce que la science est en mesure de traiter. Le problème est que les croyants ne sont pas d’accord sur la définition de Dieu, sur sa nature, sur ses intentions, ses moyens d’agir et que jusqu’à aujourd’hui Dieu peut expliquer absolument tout et son contraire, ce qui, en science, revient à n’expliquer… rien. Sur cet aspect, rien est donc à peu près tout ce que Dieu peut offrir à la science : les découvertes se font justement parce qu’on ne se contente pas de « c’est Dieu qui l’a fait ».

L’autre dimension, c’est la question de l’origine et de la fonction éventuelle de la croyance en Dieu dans l’histoire humaine. Pourquoi est-ce aussi répandu ? Pourquoi cela joue-t-il si souvent un rôle structurant dans une société ? L’anthropologie, l’histoire, la sociologie, la psychologie et de nombreuses autres sciences humaines apportent des clefs de réponse et il est à mon sens très important que ces questions scientifiques se développent et que les réponses soient partagées dans le grand public.

Je m’efforce de traiter ces deux grands aspects dans mon livre.

J’ai adressé un droit de réponse au journal Libération le soir même de la parution de l’article de Elisa Thévenet « Rationalisme. Zététique : esprit critique, es-tu là ? ». L’ASTEC communiquera de son côté via son Conseil d’Administration puisque sa gestion de l’argent des donateurs est entachée par l’article en question.

J’ai quelques mises au point à faire.

« Les gens nous écoutent parce qu’on est plus compréhensibles. [Les chercheurs] sont lus par 20 personnes parce qu’ils sont chiants ! » Thomas C. Durand Fondateur de la Tronche en biais — Libération 30 aout 2021.

Damned, j’ai dit un truc qu’il ne fallait pas !

Parfois on répond aux interviews par écrit, le plus souvent c’est au téléphone. Je commence à avoir l’habitude de l’exercice, je l’aborde avec décontraction. Je constate aujourd’hui que cette décontraction est excessive, je dois y remédier. Le grand inconvénient du téléphone, c’est que l’on parle un peu trop, en tout cas plus qu’on n’aurait écrit (je plaide coupable) et qu’on ne sait jamais quelle phrase sera retenue pour le papier. Si Elisa Thévenet avait eu la délicatesse de m’envoyer les phrases qu’elle avait choisi de retenir pour cet article, ce qu’ont fait la plupart des journalistes qui m’ont interviewés jusqu’ici, j’aurais apporté une correction à cette phrase-là parce que ce n’est pas ainsi que je souhaite m’exprimer, surtout dans un article où la présentation faite de moi me donne la glaçante impression que l’on parle d’un arriviste. Je veux me garder des procès d’intention, mais tout se passe comme s’il existait un angle narratif à ce papier, indépendant de tout ce que j’aurais pu dire. Cela me rappelle un reportage de Canal+ en 2018 où le journaliste cherchait à nous faire dire que nous étions « en guerre contre » les complotistes. Vled et moi avons gentiment décliné. Plusieurs fois. Quel était le titre du sujet publié ? « Vidéos complotistes : La guerre est déclarée ». Le contenu n’était pas mauvais en soi, hein, mais vous comprenez bien qu’on ne pouvait guère lutter contre un narratif préétabli. L’article d’Elisa Thévenet tend à montrer que les zététiciens sont dogmatiques, opportunistes et incompétents. Soit c’est la vérité, soit c’est du mauvais journalisme. Dans les deux cas il s’agirait d’assumer cet angle.

Revenons d’abord sur la citation que certains agitent sur Twitter en écumant depuis sa parution.

C’est regrettable : beaucoup de scientifiques sont considérés comme un peu « chiants » par le public, jargonneux, pointilleux et parfois incompréhensibles aux néophytes, mais ce n’est franchement pas comme ça que je voudrais le dire, et ma phrase était maladroite. Si la plupart des grands chercheurs et des grandes chercheuses actuelles ne sont reconnues dans la rue que par 50 personnes dans le monde et impressionnent leurs étudiants mais pas leur coiffeur, c’est parce que leur métier est de produire de la connaissance, pas des contenus accessibles, populaires et viraux. Je suis toujours admiratif de ceux qui savent ajouter la popularisation à leur travail de découverte. Je leur donne la parole autant que je peux, avec mon équipe sur La Tronche en Biais depuis 7 ans, justement parce que je pense qu’on mérite des stars de leur niveau plutôt que… vous voyez ce que je veux dire.

Nos plus de 130 invités n’ont rien de chiant ! Ils ont compris tout l’intérêt de l’exercice de vulgariser des sujets complexes au plus grand nombre, et ils le font avec nous. Et soyons honnêtes : notre public reste essentiellement adulte et diplômé, signe qu’on a encore de la marge pour être « moins chiants » nous-mêmes afin de toucher un public plus large. Tout ça est finalement subjectif, et d’une grande banalité. Je rappelle dans « La Science des Balivernes » que les propos délirants des complotistes, des gourous et pseudo-thérapeutes ont justement pour grand avantage d’être « intéressants » alors que les vérités de science, elles, sont un peu plus exigeantes. Voilà pour ce qui se cache vraiment derrière la phrase mise en exergue.

Je le sais, pourtant, qu’il faut faire attention à sa manière de parler devant un·e journaliste, mais jusqu’à présent je n’avais pas eu à regretter une phrase. C’est désormais chose faite. J’espère que cette maladresse n’aura blessé personne et n’induira pas en erreur sur ce que je pense de la profession que j’admire le plus, et que j’ai pratiqué.

***

Mais allons un peu plus loin concernant l’article.

Je dois signaler qu’il contient des faits inexacts et gênants sur mes revenus personnels qui, cette fois, n’ont guère de chance de provenir d’une maladresse dans ma manière de présenter les choses ; les revenus évoqués sont ceux de l’Association pour la Science et la Transmission de l’Esprit Critique, qui m’emploie, pas les miens. C’est d’ailleurs moi qui ai fourni le chiffre.

Et pourtant on peut lire :

« les vidéos de la Tronche en biais rapportent 5 000 euros par mois à son cofondateur, Thomas C. Durand. Unique salarié de son association créée en 2016, il travaille aux côtés d’une vingtaine de bénévoles. »

Relisez bien et demandez-vous à quoi ressemble ce portrait. Collez-moi un cigare dans la bouche et un fouet dans la main et le tableau est complet, et le procédé rappelle le journalisme d’insinuation qui sévit contre les rationalistes depuis un an. La réalité est un peu différente, avec des frais de fonctionnement, des investissements, des projets comme la Nuit Zététique du 11 septembre, des CDD pour des équipiers sur les productions audiovisuelles, ainsi que des formations en préparation pour eux. Après ma carrière de chercheur, j’ai passé quelques années pas loin du seuil de pauvreté au moment de la création de la Tronche en Biais. Si aujourd’hui j’ai un peu plus que le salaire médian en France, cela date de l’été 2021 et reste fragile. C’est d’ailleurs formidable de pouvoir vivre de ce travail grâce à la générosité d’un public motivé. Voilà, vous savez l’essentiel. Pour Libération, cette information était capitale, je suis bien obligé de la rectifier pour eux. J’ignore combien touche madame Thévenet ; le plus petit salaire des employés de la rédaction de Libération est de 2131€ brut.

Nous sommes la proie quotidienne de complotistes qui nous hurlent leurs accusations de corruption sur tous les réseaux sociaux, et voici que Libération vient de leur livrer une fausse information qu’ils ajouteront à l’avenir dans leur arsenal ! Le journal a pourtant conscience du problème puisqu’il a publié le 17 mars dernier la tribune « La lutte contre la désinformation en ligne est en danger » dont je suis signataire. Il faudrait que la rédaction se mette d’accord avec elle-même.


Rappel

Le contexte de cet article, c’est une guerre de l’information où des mouvements conspirationnistes souvent proches de l’extrême droite inondent les réseaux sociaux de narratifs délirants et dangereux, avec pour tête de pont le blog France Soir qui a récemment commis un article anonyme se concluant par un appel au crime (dans lequel je suis nommément cité) qui a suscité une juste indignation, Cf la tribune sortie aujourd’hui dans l’Express. Cela n’empêche pas Libération de parler de « porosité avec l’extrême droite » dans un article où le lecteur est amené à faire le rapprochement entre cette affirmation douteuse dirigée contre un mouvement qui dépasse largement ma personne, et le nom du seul membre de la communauté convoqué pour se justifier (sans avoir conscience de devoir le faire) : le mien.


Sur les considérations idéologiques du mouvement zététique développées dans l’article, je trouve que c’est toujours une bonne chose qu’on s’inquiète des dérives potentielles d’un mouvement. Ces dérives ne sont pas nécessairement liées aux activités des têtes que vous connaissez sur YouTube, (je suis certain que cette nuance échappera à Twitter). L’article parle d’une scission entre des progressistes et des vulgarisateurs plus connus et bourrés « d’angles morts » et vous serez peut-être surpris d’apprendre que 3 des 4 vulgarisatrices citées pour illustrer ce propos se sont fermement désolidarisées sur Twitter, signe que, quand même quelque chose s’est mal passé entre les interviews menées par Elisa Thévenet et la publication.

« Leur credo : la méthode scientifique. Leur église : le scepticisme. »

Elisa Thévenet, de Libération, a décidément tout compris à la zététique.

Tout irait un peu mieux, peut-être, si l’on cessait de croire que la zététique prétend avoir le monopole de l’esprit critique et de la raison. Sur la Tronche en Biais, par exemple, nous sommes des vulgarisateurs militants dont l’activité principale est de réagir aux discours trompeurs qui instrumentalisent la science et abusent de rhétorique pour propager des croyances douteuses, ce serait un comble de finir par le faire nous-mêmes, nous y sommes attentifs. En 2020 nous avons beaucoup travaillé sur la désinformation envahissante autour du covid-19 car nous nous intéressons à la manière dont se forgent et se propagent des croyances antagonistes aux savoirs les mieux établis. Nous n’avons pas forcément grand chose à dire sur « l’organisation sociale du processus scientifique », non parce que ce serait inintéressant mais parce qu’il y aurait un risque important que le thème ne soit pas traité correctement. Regardons les choses en face ; je suis biologiste de formation, cela imprègne ma manière de me poser des questions, de choisir mes interlocuteurs, et mon vocabulaire ; cela ne vous surprend pas, et je ne devrais donc pas avoir à le dire, mais ces temps-ci il faut rappeler des évidences. Il va de soi que l’approche de la TeB n’épuise pas le réel, que nous sommes incapables de tout traiter, de tout analyser et que ceux qui attendant cela de nous, de moi en particulier, me font trop d’honneur et m’attirent trop d’emmerdes.

Vivement que des sociologues, des anthropologues, des historiens, des économistes vulgarisateurs et vulgarisatrices encore plus nombreux nous apportent leurs analyses pour enrichir l’art du doute ! Je souhaite que nous continuions d’en inviter beaucoup sur la TeB, parce qu’à la vérité j’apprends à peu près au rythme des émissions ; j’invite des experts pour apprendre ce qu’ils ont à dire car il se trouve que souvent j’étais ignorant avant de leur parler.

Nous nous tenons loin des dogmatismes, nous sommes ouverts à toutes les expertises scientifiques, et nous rappelons régulièrement que nous ne sommes pas spécialistes des sujets que nous traitons, qu’il faut être prudent avec notre présentation des choses. Comme il se doit.


Laissez-moi revenir sur la vidéo postée dans la nuit du 3 au 4 juillet. Du point de vue des chiffres, c’est une franche réussite, aucune de nos vidéos n’a jamais été à ce point partagée chez les conspis où un mot d’ordre de pouce rouge a circulé. Beaucoup d’entre eux ont appris notre existence et risquent de découvrir le petit monde de la zététique, voire d’y trouver des choses intéressantes.

La vidéo en question

Sur Twitter on s’est beaucoup indigné de mon usage répété du mot con. Je remets le contexte : il s’agit d’un vlog de réaction à chaud après avoir assisté à une manifestation choquante à deux cents mètres de chez moi. Mon état d’esprit n’était pas de me lancer dans une énième  tentative de pédagogie pour expliquer aux gens qu’ils ont mal compris le monde — ceux que cela intéresse trouveront beaucoup de contenus de ce type sur la Tronche en Biais, peut-être plus que sur n’importe quelle autre chaîne YouTube francophone. Abonnez-vous.

Ce vlog était donc un coup de gueule. Si vous ne voulez pas écouter un coup de gueule, c’est bien votre droit. Mais si vous les confondez avec des analyses sourcées et circonstanciées, ça va vous jouer des tours.

Quelques faits : Il n’existe pas de lien robuste entre QI et croyance aux Théories du complot, tel est l’état de la littérature scientifique. Certains papiers montrent une corrélation négative, mais trop faible pour en faire un critère pertinent pour caractériser ces populations. En somme, on peut avoir un QI normal, voire élevé, et croire des histoires bien débiles (au sens propre). Je le sais. Nul ne peut me l’apprendre pour la simple raison que je le dis depuis des années sur cette chaine.

Seulement voilà, pour m’interdire de penser que les complotistes qui applaudissent Wonner-Boutry-Trotta-Foucher-Perrone sont cons, il faudrait affirmer que le con a forcément un QI faible, que la définition de l’intelligence par le QI est suffisante. Et ce serait être bien peu regardant avec ces concepts, et finalement bien ignorant des SHS sur ces questions. Je pense qu’il faudrait avoir un peu plus de respect pour ces disciplines, je vous invite donc à vous méfier de ceux qui vous disent qu’ils détiennent une définition de l’intelligence les autorisant à disqualifier votre usage du mot (ou incidemment du mot « con »).

Par exemple, Henri Broch, qui n’est pas la personne la moins versée en zététique que vous croiserez, estime que l’intelligence des gens qui croient des inepties est questionnable. Nous en avons parlé il y a quelques temps ; de mémoire il disait « il faudrait voir un peu ce qu’on entend par intelligence », et je crois que c’est présent dans son interview de 2016 sur la TeB.

J’utilise le mot « con » dans mes écrits depuis pas mal de temps. J’ai ma propre définition du terme, elle peut vous aider à mieux cerner mon propos, mais vous n’êtes pas obligé de la connaitre pour comprendre l’idée quand, dans une vidéo, je montre l’inanité de l’attitude des conspis qui hurlent à la dictature, à la suppression de la liberté d’expression tout en se pavanant (généralement en bravant les mesures d’hygiène obligatoires) sur une place d’où, à l’occasion, ils ont expulsé l’UNICEF, sans être inquiétés par la police dans un pays où les gilets jaunes par centaines ont été éborgnés, maltraités, brutalisés…

  • S’ils croient à ce qu’ils racontent, leurs actes sont incohérents : ils se comportent comme des cons.
  • S’ils ne croient pas à ce que racontent ceux qu’ils applaudissent (et qui parlent de crime contre l’humanité et du Diable à l’œuvre) alors ils légitiment une parole avariée au lieu de se mobiliser auprès de forces politiques cohérentes: ils se comportent comme des cons.

Ce décalage irréductible entre les idées défendues et les actes posés signale, pour moi, un manque d’intelligence, un manque de questionnement, une absence de traitement des données disponibles, un aveuglement, insérez-ici la description qui vous agrée.

La bienveillance est un principe de la pensée critique, car elle est la partenaire de l’ouverture d’esprit, elle permet la charité épistémique, l’écoute authentique, la prise en compte des subjectivités, des vécus, des cadres de lecture et concoure à une meilleure communication qui permet de faciliter la manifestation de la vérité (ou ce ce qui s’en rapproche). Tout ça, on le sait, on le dit depuis longtemps, et notre ouverture au dialogue nous est d’ailleurs reprochée par certains. Si vous voulez poser la bienveillance comme un absolu, de manière dogmatique, vous avez bien le droit, si ça se trouve vous avez raison, mais vous avez quitté le monde du scepticisme. D’accord ? Voilà pour la remise en contexte.

Faut-il dire aux cons qu’ils sont cons ?

Dans ce vlog, en choisissant d’énoncer ce constat crument là où généralement depuis 6 ans je m’efforce de ne pas provoquer de réactance, j’ai opté pour la stratégie frontale : personne n’aime être traité de con, et je cherche à susciter une réaction. Deux choix principaux s’offrent à eux : rejeter en bloc tout ce que dit celui qui emploie ce mot (ce que feront tous ceux qui de toute façon rejettent en bloc notre travail pédagogique et sourcé depuis un an et demi d’épidémie : keskonsanfou ?) ou bien se dire « merde, alors, j’aimerais bien qu’on me traite mieux. Qu’est-ce que je peux faire ? ».

Dire à des gens dans une situation bien précise qu’ils se comportent comme des cons, leur rappeler qu’ils n’ont aucune envie d’agir conformément à leurs croyances, qu’ils ne désirent pas en assumer les conséquences directes ou indirectes, ce n’est pas les pousser à se radicaliser, c’est leur rappeler qu’ils ne sont pas encore radicalisés, qu’ils ne veulent pas l’être et qu’ils sont bienvenus dans le groupe de ceux qui voudraient ne pas se comporter comme des cons.

La stratégie frontale n’est pas la meilleure. Elle est même parfois totalement à proscrire. Mais ceux qui veulent l’interdire à tout le monde en toutes circonstances devraient prouver qu’elle n’est jamais utile. J’ai de bonnes raisons de penser qu’ils n’y arriveront pas, moi aussi je connais un peu la littérature.

Bref, c’est une stratégie discutable, mais notez bien que les meilleures stratégies n’ont pas un taux de réussite très impressionnant, aussi il est intelligent de diversifier les approches.

  • Mon vlog « coup de gueule » vous a plu, tant mieux.
  • Il vous a déplu, tant pis.
  • Vous trouvez que c’est une bonne occasion pour prendre vos distances avec une partie de la communauté Zététique qui bafoue, selon vous, ses principes : eh bien d‘accord ça nous aide à mieux comprendre le paysage, c’est gentil.
  • Vous pensez que tout ça est un débat stérile et qu’il faudrait prendre au sérieux les dangers de la pensée conspirationniste, et notamment assumer que nous sommes des militants de la pensée critique, et donc que nous nous opposons idéologiquement à des visions du monde ancrées sur le ressenti, la révélation, la vérité intérieure, l’ésotérisme et la réification de concepts censés dicter aux individus ce qu’ils sont… Alors je vous dirai que moi aussi.

J’ajouterai que je vais continuer, avec mes coéquipiers de la TeB et de l’ASTEC à œuvrer en ce sens, avec les maladresses intrinsèques à mon tempérament, et en comptant sur vous pour proposer des améliorations quand vous avez de bonnes idées.

J’ai pour position qu’on peut discuter avec tout le monde, mais pas n’importe comment et dans n’importe quel contexte. Jusqu’à présent une certaine frange m’a reproché de n’être pas assez frontal / excluant, de ne pas dénoncer les méchants qui concentrent leurs attentions. Je suis surpris que cette même frange s’étrangle quand je pose un acte qui ressemble à celui qu’ils réclamaient. Je suis surpris de leur manque de bienveillance dans la manière de s’en offusquer au nom de la bienveillance. Je suis surpris de leur sens des priorités. Je suis surpris par la forme insistante de leur intolérance, par la pureté militante qu’ils réclament alors même que leur militance pour la pensée critique n’a pas produit à ma connaissance beaucoup d’effets dont ils puissent se réclamer pour donner des leçons. Je suis très surpris par tout ce qui se passe. Cela m’arrive souvent. Il faut dire que je suis un peu con, très ignorant, plein d’a priori, et toujours à l’écoute des critiques. A tel point que je vous écris ceci depuis mon lieu de vacances où l’on me fait les gros yeux à cause du temps que je vous consacre.

Si j’ai le temps et l’énergie, j’enregistrerai une vidéo à partir de ce texte. Mais, pour vous dire le fond de ma pensée, je crois et j’espère avoir mieux à faire, on devrait tous avoir mieux à faire que se tirer dans les pattes pour se donner le sentiment d’exister (Tiens, vous voyez, là, ma prose se teinte d’une attribution interne, d’une hypothèse sur les intentions ou ressentis d’autrui. C’est risqué. Mais ça fait partie de la manière dont les humains lisent leur environnement, et il faudrait éviter de se prétendre immunisé ; je ne le suis pas !)

Ce n’est pas sur la TeB ou ce blog que vous avez pu voir, en six ans, des revendications sur la vraie zététique, sur la seule voie acceptable, sur la supériorité de notre approche sur celle des autres. On sait bien que ce qu’on fait est émaillé de bourdes. Ça va d’ailleurs continuer. On a fait notre chemin sans l’aide et les encouragements des rageux, on pourra continuer sans eux. Mais s’ils changent d’attitude, ils sont les bienvenus, ce serait trop con de les considérer indignes de la tâche commune et immense qui nous attend.

Acermendax

Le titre du billet est bien sûr inspiré de la réplique d’Audiard : « Je ne parle pas aux cons, ça les instruit », et vous donc aurez compris que les « cons », chez nous, ne sont pas des ennemis.

J’observe depuis quelques temps l’émergence de critiques adressées aux créateurs de contenus « sceptiques » qui leur reprochent de se prétendre apolitiques ou neutres. La critique vient de personnes qui semblent avoir de réelles compétences, notamment en sciences sociales. Ce sont des militants en premier lieu motivés par leurs idées politiques, notamment anticapitalistes.

Pour rappel : les fachos du net nous considèrent comme des gauchistes invétérés, certains militants gauchistes nous voient comme hyper compatibles avec le fascisme, mais une bonne majorité des gens ne cherchent simplement pas à identifier notre opinion politique quand nous produisons une vidéo sur la chloroquine, les pyramides, les dérives sectaires ou la philo des sciences. Ils évaluent nos contenus selon d’autres critères ; ils ont bien raison.

NB : quand je dis qu’ils ont raison d’évaluer nos contenus selon d’autres critères, c’est parce que je pense qu’ils ont raison d’évaluer nos contenus selon d’autres critères, pas parce qu’ils sont plus nombreux. La coïncidence me semble néanmoins assez heureuse.

La grille de lecture de ces nouveaux sceptiques-envers-les-sceptiques est d’abord politique. C’est leur droit. Vous ne me verrez pas dire qu’ils ont tort de militer, que leurs idées sont forcément mauvaises, qu’ils abordent mal la question. Mais ils ont un problème : ils ne respectent pas la position de ceux qui estiment que la grille de lecture d’un vulgarisateur n’est pas nécessairement politique, ou très marginalement. Le respect que j’ai pour leur démarche, ils ne l’ont pas pour la mienne.

Mon travail sur la TeB, sur mon blog, dans mes livres est d’abord porté par une grille épistémique, je mets en avant la valeur que j’accorde au fait de ne pas croire (et diffuser) des choses fausses, et de désirer obtenir la plus grande fidélité possible entre mes représentations mentales et le monde réel.

Ceux qui assènent tout le temps : « tout est politique » sont autorisés à y voir ma position politique. Ils pourront constater que je ne prétends pas être neutre : je préfère le vrai au faux, je m’oppose à ceux qui confondent fiction et réalité, et j’assume le choix des sujets traités qui est évidemment le reflet -reconnu comme tel- de mes propres intérêts et questionnements. Je ne me sens pas concerné par les critiques lancées contre les « apolitiques ».

Sur la Tronche en Biais, à mon initiative, nous avons parlé de racisme avec Evelyne Heyer, commissaire scientifique de l’exposition « Nous et les autres, du préjugé au racisme » au Musée de l’Homme. Nous avons parlé de la chasse avec Pierre Rigaux, militant de l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages, nous avons parlé des déterminants du terrorisme avec le chercheur en psychologie sociale Jais Adam-Troian, et ces choix, qui nous sont reprochés sur un registre politique, nous les assumons sur le même registre. Toutefois, tous nos contenus n’ont pas cette dimension, notre travail principal est ailleurs, et certains semblent ne pas nous en accorder le droit. Nous nous passerons de leur bénédiction.

De l’autre côté, ceux qui veulent se dire « apolitiques » (quel que soit le sens que l’on puisse donner à ce terme que je n’emploie jamais) ne me dérangent pas, en tant que tels, dans mon travail de promotion des outils de la pensée critique, des vertus épistémiques, du doute méthodique. Si ça se trouve ils sont de droite. Ou d’extrême gauche et antisystèmes. Ça colore leur vocabulaire, mais ça ne change rien à ma manière de leur expliquer ce qu’est un biais cognitif, une méta-analyse ou un raisonnement circulaire. S’ils veulent débattre de questions politiques, ils trouveront certainement des militants pour venir s’opposer à leurs idées. Mais il y a une quantité de sujet que l’on peut aborder, traiter, dont on peut même débattre sans adopter la grille de lecture du « tout est politique », et il serait souhaitable d’en tenir compte et de respecter la manière dont ces questions peuvent être traitées de manière apaisée.

Il y a dans la posture critique des sceptiques-envers-les-sceptiques une injonction dérangeante et agonistique qui exige que les individus acceptent d’être rattachés à une étiquette politique pour avoir le droit de s’exprimer. J’estime qu’un zététicien doit au contraire mettre de côté ces étiquettes pour s’intéresser à d’autres dimensions du discours, moins polarisantes, plus facilement objectives. Cela ne revient pas à nier la complexité des dimensions que ces étiquettes sont censées refléter, mais ça permet de rester focalisé sur les sujets en question.


Mon scepticisme n’est pas apolitique puisqu’il est public, militant, habité par le désir de contribuer à améliorer la société. Ma position n’est pas neutre puisque je défends l’idée que la méthode scientifique vaut mieux que les autres pour évaluer si une hypothèse est juste, ou fausse, ou indécidable. Je ne prétends pas être objectif puisque tout mon travail consiste précisément à expliquer pourquoi nos subjectivités s’invitent dans tous nos jugements et nous obligent à adopter une méthode quand nous voulons en limiter les biais. Je me permets donc d’être étonné quand certains semblent ignorer tout cela et fondent leur critique sur l’idée personnelle (subjective !) qu’ils se font de la démarche qui est la mienne et celles de pas mal de collègues. Et j’écris ce billet pour que tout cela soit dit, dans l’espoir de n’avoir pas à m’en justifier à l’avenir.


Mon parcours, mes compétences, ma sensibilités sont ce qu’ils sont, même modulés par l’équipe qui m’entoure dans ce travail. Peut-être suis-je coupable de ne pas comprendre les sceptiques-envers-les-sceptiques. En fait, je dois l’admettre, quelque chose m’échappe. Ces personnes qui ont de réelles compétences, dont le discours consiste à se dire plus savants que nous, plus experts de l’esprit critique, connaissent forcément le danger de la réactance, les phénomènes de tribalisme, et ils devraient mettre en conformité leurs buts et leurs moyens : ils devraient nous donner envie d’être comme eux. Et face à un échec manifeste, ils devraient changer de méthode. Mais, je le répète, peut-être suis-je incapable de saisir leur véritable objectif.

Ceux qui veulent apporter les lumières d’un angle de vue politique sur les dynamiques d’adhésion à des récits pseudo-scientifiques (ou scientifiques, d’ailleurs) sont les bienvenus, on a besoin d’eux, ils sont utiles. Mais ceux qui nous toisent du haut de leurs convictions en estimant qu’on ne fait rien de bon quand on a une approche différente de la leur ne peuvent pas espérer sérieusement qu’on leur accorde du temps et de l’énergie. Désormais, sur les réseaux sociaux, les notifications sont tellement envahissantes que le bouton bloquer est devenu un outil nécessaire. Je ne rechigne plus à en faire usage.

Acermendax

Un peu de contexte…

Avec quelques réactions au présent billet.

J’ai été contacté, via LinkedIn, par une personne travaillant « pour la marque Top Santé » et son « Prix Top Santé qui récompensera des produits et services mis en avant sur la nouvelle verticale du site Topsante.com lancée cet été : Ma santé au quotidien. » Il y a de nombreuses catégories dans le concours : nutrition, compléments alimentaires, pharmacie, soin au naturel, parents, éco-responsables, service & High tech et accessoires santé, campagne de prévention. On constate que le cœur de la problématique est commercial : il s’agit pour la plupart de catégories de produits liés à la thématique « santé ».

Cerise sur le gâteau, on nous offre des places pour la soirée de remise des prix au Pavillon Gabriel, animé par monsieur François Sarkozy. Des paillettes dans notre vie.

Mon interlocuteur commence par croire que nous sommes des spécialistes de la santé. Je l’ai aimablement détrompé ; d’autres, hélas, entretiendraient cette méprise. Ça s’est déjà vu. Je vous conseille d’être attentif aux vraies qualifications des « concourants » et des lauréats.

Le projet : présenter nos « compétences dans le dossier Révélation du magazine Top Santé et sur le site dans la rubrique « ma santé au quotidien » » avec un partage sur les réseaux sociaux puis une invitation à voter sur les titres possédés par le Groupe Reworld media qui possède des magazines comme Grazia, Biba, Closer ou Marie France. « On va parler de l’événement sur toutes ces marques-là de manière à générer un très gros trafic au niveau des votants pour offrir une très grosse visibilité aux concourants. On va toucher plus de 18 millions de contacts sur cette opération. Euh. Il y a un ticket d’entrée, c’est pour ça que je filtre énormément au niveau des concourants. (…) Il y a aussi du label (…) on vous cède les droits du label Top Santé pour toute une année que vous allez pouvoir apposer sur tous vos supports. On est sur un budget global de 5000€. »

Après questionnement, on me confirme qu’il faudrait que nous donnions 5000€ pour avoir le droit de concourir. (« Il y a un travail rédactionnel derrière tout ça, un travail humain puisqu’on va monter votre article de A à Z et vous aurez un droit de regard et de correction, la seule chose qu’on va vous demander c’est un travail de validation.»)

On me promet un « véritable retour sur investissement », puisque la moindre insertion publicitaire dans le magazine Top Santé, une « marque très très forte » revient à 7500€. Heureusement pour nous, « Dans le cadre du prix, je peux me permettre de faire des pack ultra-remisés parce que si je peux offrir du contenu à mes lectrices ça va me permettre de les fidéliser, et c’est là où moi je vais y gagner.» Pour « une campagne qui va durer 4 mois », je suis censé comprendre que c’est une affaire en or.

Je reste sage au téléphone, j’écoute bien attentivement, sans faire de commentaire.

Sentez-vous le doute poindre en vous ?

On m’explique que c’est le même format que pour le « Prix du bien-être Marie France » qui en est à sa 4ème édition. « On a copié le format parce qu’on sait que ça marche très très très très bien sur Marie France. »

 « À vous de me dire si ça peut s’intégrer dans votre stratégie de communication.

— Absolument pas.

— Au moins ça a le mérite d’être clair. Je vous en remercie. Pour quelle raison ? »

Le magazine Top Santé n’est pas exactement le genre de revue qui fait montre de la rigueur attendue quand on parle de ces sujets (Cf : une vidéo de Mr Sam à leur sujet). Tout leur contenu n’est pas à jeter, on a vu pire, bien sûr (Santé magazine par exemple), mais bon… Le mélange des genres entre ce qui relève de la santé et du bien être, ainsi que la complaisance envers les pseudo-médecines nous empêche de considérer que le patronage de Top Santé améliorerait notre image. On serait même en droit d’estimer que c’est le contraire qui se passerait. Finalement, tout cela n’est qu’une opération de communication, de la publicité grimée en concours où les votants ont le choix entre des marques qui ont payé leur droit à figurer dans la liste. Nous n’avons pas la même culture, les mêmes priorités, les mêmes méthodes.

Est-il possible que nous prenions la santé plus au sérieux que le journal « Top Santé » ?

Sur la Tronche en Biais, nous invitons des gens pour partager avec le public un moment d’échange, ce moment d’échange étant la vraie valeur ajoutée de l’opération. Personne ne nous paie pour apparaître sur la chaîne ; je ne paierai jamais pour qu’on parle de zététique dans un journal. Quand nous présentons un livre à l’antenne, ou vous conseillons une vidéo, c’est parce que son contenu nous semble digne d’intérêt ; personne ne nous verse un centime pour le faire.

Mon interlocuteur comprend tout à fait. Ou presque. « Je ne peux pas prendre la décision à votre place. Ca peut vous offrir une visibilité vraiment énorme. »

Je vous annonce officiellement que la Tronche en Biais ne sera pas candidate au Prix Top Santé (et qu’elle n’est pas intéressée par les offres de partenariats commerciaux qui arrivent chaque semaine dans notre boite aux lettres). Nous ne pensons pas que le logo « Top Santé » améliore la crédibilité de nos contenus. Nous aimerions que les questions de santé et de bien être soient traitées autrement que comme de la marchandise à refourguer à « des lectrices » dont on vend l’attention à des marques qui distribuent des « crèmes et huiles visage », des « sérum visage », des « masques et gommages », des « nettoyants visage » etc. (voir la liste des gagnants 2019 du Prix Marie France)

Cela étant dit, nous ne rejetons pas les gros tirages parce qu’ils vendent des espaces publicitaires, nous rejetons seulement ceux qui n’ont pas la culture du partage des savoirs, de la rigueur des sciences, du respect du public.

À propos des propriétaires de Top Santé (https://fr.wikipedia.org/wiki/Reworld_Media)

Acermendax

Le 17 mai 2020, nous avons joué en direct une pièce de théâtre depuis nos appartements pas encore totalement déconfinés. Voici pourquoi.

Présentation

La « Peste Rose » est une pièce écrite en 2010. Avant le Mariage pour Tous et la vague d’homophobie que l’interminable débat sur le sujet a provoqué en 2013. Et évidemment avant le confinement que nous avons connu cette année. Mais après l’épisode de la grippe H1N1 de 2009 qui avait fait causé beaucoup de remous… tout en nous laissant dans l’idée que les coronavirus faisaient plus de peur que de mal.

Quand nous nous sommes retrouvés confinés, j’ai repensé à ce texte qui met en scène 4 personnages enfermés dans un appartement. Ils regardent une épidémie se propager dans les médias et affecter les discours politiques. Je me suis dit que ça valait la peine de proposer à mes amis de la jouer en direct depuis nos confinements respectifs. Ils ont accepté. Puis ils ont pris très au sérieux le travail de préparation, nous avons répété plusieurs fois et sans leur implication rien n’aurait été possible. J’avais sous-estimé le travail nécessaire à une « simple » lecture, car la distance, l’isolement, les barrières techniques ont considérablement compliqué les choses.

Il faut saluer en particulier l’équipe technique, dont Lise qui s’est chargée de réaliser le direct tout en jouant dans la pièce le rôle de la ministre de la santé.

L’homophobie existe

Avant de lancer le coup d’envoi, je dois dire un mot de la date de la représentation. Le 17 mai 2020, c’est trente ans jour pour jour après que l’organisation Mondiale de la Santé a retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Si vous avez plus de 30 ans vous êtes né dans un monde où être homo signifiait officiellement être malade pour l’OMS. En France cette déclassification a eu lieu le 12 juin 1981, il y a 39 ans. Le 17 mai est devenue la journée internationale de lutte contre les LGBTphobies, c’est aussi la date de la publication du rapport annuel de SOS homophobie. Un lien dans la description de la vidéo vous permettra d’y avoir accès dès le 18 mai.

Ce rapport montre que les discriminations et les violences ne disparaissent pas ; au contraire, les signalements augmentent ces dernières années. Bien sûr, le monde actuel est plus tolérant sur ces questions que par le passé, mais il reste des actes, des paroles, des comportements qui entraînent des souffrances que rien ne justifie. Nous avons donc de nombreux progrès à faire.

Par exemple, il existe encore de révoltantes thérapies de conversion : des gens convaincus qu’ils peuvent « soigner » leur enfant ou plus rarement eux-même. Ce sont en général des thérapies de type spirituel, ce sont surtout des efforts vains, violents et très culpabilisants. Le 1er mars 2018, quand le Parlement Européen a adopté un texte appelant les Etats membres à interdire les thérapies de conversion, 29 eurodéputés français ont voté contre ou se sont abstenu. Je profite de ma prise de parole pour le rappeler afin qu’ils en aient honte et je citerai parmi eux  Rachida Dati, actuellement en campagne pour la mairie de Paris, et Nadine Morano qui est l’eurodéputée de ma région.

Il faut attendre le jeudi 7 mai 2020, 13 jours avant notre pièce, pour que l’Allemagne vote l’interdiction de ces thérapies destinées aux mineurs. On estime que mille jeunes allemands y étaient soumis chaque année. Combien sont-ils en France ?

Dans le texte joué ce soir, se trouvent des phrases homophobes qui ne sont pas des inventions, mais des citations venues du monde politique ou religieux. Pour les trouver, vous pouvez vous aider de la version pdf qui est librement disponible via un lien ajouté dans la description de cette vidéo. Vous pouvez aussi vous procurer la version papier de la pièce avec un autre lien.

Pas de neutralité

Sur ce blog, et sur la chaîne La Tronche en Biais, nous œuvrons pour plus d’esprit critique, de littératie scientifique, de culture du débat. Nous pensons que plus d’autonomie intellectuelle protège contre les idées à la con. Et nous préférons mettre en avant la méthode afin d’aider tout le monde à penser mieux plutôt que de dire ce qu’il faudrait penser. Néanmoins, nous ne sommes pas neutres, et nous pensons que certaines idées méritent d’être battues en brèche. Ce texte est clairement engagé contre l’homophobie, et cet engagement est pleinement compatible avec le reste de notre travail. Il ne l’éclipsera jamais, mais nous n’avons pas l’intention de laisser dire ou croire que ce n’est pas notre rôle de questionner les représentations que nous nous faisons tous les uns des autres ; c’est exactement ce que fait cette pièce de théâtre, en toute non-neutralité. Et nous l’assumons sereinement.

J’espère que vous apprécierez le spectacle préparé pendant le confinement, que vous passerez un moment agréable et utile en notre compagnie.

Vous pouvez vous procurer la version papier de ce texte sur cette page.

Après la représentation, L’équipe s’est réunie pour une after en direct disponible ici :

Rideau.

Acermendax

Selon un sondage commandé à l’IFOP par Charlie Hebdo il y a quelques jours ; à la question suivante : « En France, la loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse autorise l’expression de critiques, y compris outrageantes, à l’encontre d’une croyance, d’un symbole ou d’un dogme religieux.

Personnellement, êtes-vous favorable à ce droit de critiquer, même de manière outrageante, une croyance, un symbole ou un dogme religieux ? »

Les français répondraient non à 50%

Source

Cela voudrait dire que la moitié des français veulent interdire ce qu’on pourrait appeler un droit au blasphème. Il y a des choses qu’on ne doit pas dire concernant les croyances, les symboles et les religions.

NB : la monétisation de cette vidéo est « limitée » par YouTube…

D’abord je me permets de douter un peu de la valeur de ce résultat. Le sondage vient en réaction à l’affaire Mila où une adolescente de 16 ans qui fait des lives sur Instagram, en réponse à une insulte homophobe, a répliqué par des propos très virulents sur la religion de celui qui l’insultait, en l’occurrence l’islam. Il est bien possible que dans ce contexte les gens soient un peu échaudés par les images de Mila, par les messages de haine, par les réactions outrées des uns et des autres, et n’aient pas bien réfléchi à la portée réelle de leur réponse. C’est cela ou bien la moitié des gens autour de nous veulent interdire le blasphème, et sincèrement j’en doute.

Parce que je crois que les français tiennent trop à leur liberté d’expression pour accepter ce genre d’interdiction.

Autour de cette affaire il y a eu des propos que je qualifierais de débile (au sens propre), notamment de la part de la ministre de la justice, Nicole Belloubet sur Europe 1 quand elle ditque « l’insulte à la religion c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience. C’est grave ».

On a aussi le délégué général du Conseil français du culte musulman Abdallah Zekri, à l’antenne de l’émission Les Vraies Voix sur Sud Radio : « qui sème le vent récolte la tempête ». « Elle l’a cherché, elle assume ».

Et de l’autre côté on a le spectacle vaseux des médias d’extrême droite qui tentent de se faire passer pour les champions de la laïcité en défendant Mila. No comment.

Une jolie shitstorm, donc. Et j’aimerais en profiter pour partager une réflexion sur la liberté d’expression, la liberté de conscience et le blasphème.

Je commence avec une définition glanée sur le site de l’Eglise catholique.

 « du grec blapein, « léser, nuire » et pheme « réputation » : Le blasphème consiste à proférer contre Dieu, intérieurement ou extérieurement, des paroles de haine, de reproche, de défi, à dire du mal de Dieu, à manquer de respect envers Lui dans ses propos, à abuser du nom de Dieu pour couvrir des pratiques criminelles, réduire des peuples en servitude, torturer ou mettre à mort. Le blasphème s’oppose directement au deuxième commandement (CEC 2148). Son interdiction s’étend aux paroles contre l’Église du Christ, les saints, les choses sacrées. Le blasphème est en soi un péché grave (CIC, canon. 1369).

https://eglise.catholique.fr/glossaire/blaspheme/

Le blasphème contre le Saint Esprit est le refus délibéré d’accueillir la miséricorde de Dieu par le repentir (CEC 1864). »

En Islam on parlera plutôt d’apostasie, mais on aura une définition tout aussi large. Le blasphème c’est large, et c’est toujours défini d’abord par ceux qui voudraient l’interdire et jamais par ceux qui en font usage. Le blasphème en réalité c’est ce qui est insupportable au croyant. Point.

Une parenthèse pour préciser que dans un Etat laïc le blasphème n’existe tout simplement pas, puisqu’on ne reconnait à personne la propriété d’une vérité sur Dieu. Cf l’intervention de Mona Ozouf dans CàVous :  https://twitter.com/cavousf5/status/1225844423222648837

A quoi sert le blasphème ?

Quand on pose la question c’est, je pense, qu’on n’a pas compris le concept. Le blasphème ce n’est pas une insulte. La preuve on peut blasphémer sans insulter : « Je renie Dieu ». Si vous vous sentez insulté ben c’est vraiment très triste.

À l’inverse, insulter un croyant, ben c’est de l’injure avant d’être du blasphème, et c’est répréhensible au titre des droits des personnes ciblée

Le blasphème peut prendre des formes tapageuses. Par exemple si je dis « Je déteste Dieu. C’est une ordure, je voudrais qu’il meure dans d’atroces souffrances » il faut comprendre que c’est très différent de dire « Je déteste ce mec, là, Charlie. C’est une ordure et je voudrais qu’il meure dans d’atroces souffrances ».

Dans le premier cas il y a blasphème, dans le second il y a menace, appel à la haine, voire au meurtre. Le blasphème est une offense qui ne peut pas faire de victime. Plus exactement : la victime c’est la croyance, et une croyance n’a aucun droit, ne peut faire valoir aucun préjudice sur sa personne, ou bien alors c’est Dieu. Et j’estime qu’il faut être très orgueilleux ou avoir une foi bien fragile pour vouloir prendre la défense de Dieu. Laissez-le gérer ça.

Le blasphème en tant que tel n’est donc pas une insulte car il ne vise pas les individus mais les idées. Ensuite… Le blasphème ça ne sert pas à argumenter ou à démontrer quoi que ce soit. « Regardez : une église brûle. Il est où Dieu ? » est une phrase qui ne peut rien démontrer, ce n’est pas son but. Tous les énoncés n’ont pas pour but d’être des arguments. Quand on veut débattre, on s’y prend autrement.

Maintenant que j’ai dit ce que n’est pas le blasphème, essayons de voir ce que c’est.

Le blasphème est la transgression d’un interdit, c’est un affront au sacré. Dire « l’islam c’est de la merde » ou « le judaïsme c’est pourri », ça peut déplaire à beaucoup de gens, c’est peut-être vulgaire et même stupide, mais c’est un énoncé qui tire sa raison d’être de lui-même.

Le fait de pouvoir le dire est important, parce que c’est comme ça que se manifeste l’existence d’une liberté de conscience. Le blasphème n’est donc pas du tout l’ennemi de la liberté de conscience ; c’est tout l’inverse. Le blasphème est un moyen de mesurer si l’on est autorisé à exprimer publiquement son opinion sur des questions relatives au sacré. Et il n’y a pas que du religieux dans le sacré. Vous avez le droit de dire « j’emmerde la démocratie » ou « l’athéisme c’est que de la connerie ». Cela heurte les valeurs profondes de certaines personnes, mais elles s’en remettront. Et je gage que vous ne recevrez pas de menace de mort.

Pour finir je vais me permettre de donner un conseil. Comment faut-il réagir face à un blasphème, quand un énoncé s’attaque à une idée importante pour nous, la rabaisse, la salit ?

Selon moi, nous avons trois options raisonnables.

1. La première c’est d’ignorer ce genre de propos, généralement peu construits, peu écoutés, peu enclins à initier une conversation utile. Il y a de la sagesse à ignorer les gros cons qui respirent autour de nous.

2. La deuxième c’est de demander à l’individu de justifier ses propos. « Ah, vous trouvez que la laïcité va détruire notre civilisation ? Et qu’est-ce qui vous permet d’arriver à une telle conclusion ? » En général ça ne va pas aller beaucoup plus loin, et votre ouverture au dialogue sera une réponse en réalité extrêmement forte.

3. La troisième qu’il ne faut pas négliger c’est votre droit légitime à exprimer votre mépris envers un propos qui vous offense. Vous pouvez dire « merde » au blasphémateur et passer à autre chose. Vous n’en serez que plus heureux.

Mais si vous voulez faire taire la satire, l’outrance, l’absurde, le rejet, le libre exercice de la critique des idées, évitez de croire que 50% des français sont derrière vous. Il ne faut pas trop se fier à ce que les sondages ont l’air de dire sur des questions aussi complexes.



A lire sur le sujet :

https://actuelmoyenage.wordpress.com/2020/02/06/etre-mila-le-blaspheme-au-moyen-age/

J’ai déjà parlé de l’incroyance sur ce blog, et de la manière dont le langage autorise mal à parler de ce que l’on ne croit pas sans que l’on soit hautement tenté de comprendre qu’il est question de ce que l’on croit ne pas être.

Cette nuance primordiale échappe souvent, je le vois dans les conversations. Je vais donc essayer de la rendre concrète : prenons l’exemple d’une jarre dans laquelle quelqu’un a placé une quantité importante mais inconnue de billes. Si vous me demandez si je crois que la jarre contient un nombre pair de bille, je vous répondrai non. Si vous voulez en conclure que je crois que la jarre contient un nombre impair de bille, vous êtes imprudent. En réalité, je ne crois pas non plus que la jarre contient un nombre impair de bille. Je peux regarder cette jarre, admettre qu’elle contient des billes et ne tenir aucune croyance du genre. Notez que je ne suis pas agnostique du nombre de billes, puisqu’il suffit de l’ouvrir et de les compter pour avoir une réponse définitive. Mais en l’absence d’un tel comptage, je ne crois rien par rapport à la question d’un nombre pair ou impair. Il s’agit bien d’une absence de croyance.

Je voudrais commencer en essayant de prendre un peu la mesure de l’injonction socio-culturelle intransigeante sur la question de la croyance en Dieu. Le langage lui-même est pris en otage. La non-croyance n’est désignée qu’en référence à la croyance en Dieu, et tous les mots qui désignent les non-croyants sont forgés dans un paradigme de croyant : infidèles, impies, mécréants, incroyants, incrédules… athées. Ces mots à connotation très négative stigmatisent l’anormalité ou l’indésirabilité de leur posture.

C’est parce que nous vivons dans un monde où, des millénaires durant, la croyance a eu tous les pouvoirs, où Dieu est une question omniprésente dans notre histoire, dans notre société, que l’on range dans un même sac ceux qui ne partagent pas l’option métaphysique dominante. Ce sac, c’est l’athéisme, et c’est problématique.

Que dit la philosophie ?

« “Atheism” is typically defined in terms of “theism”. Theism, in turn, is best understood as a proposition—something that is either true or false. It is often defined as “the belief that God exists”, but here “belief” means “something believed”. It refers to the propositional content of belief, not to the attitude or psychological state of believing. This is why it makes sense to say that theism is true or false and to argue for or against theism. If, however, “atheism” is defined in terms of theism and theism is the proposition that God exists and not the psychological condition of believing that there is a God, then it follows that atheism is not the absence of the psychological condition of believing that God exists (more on this below). The “a-” in “atheism” must be understood as negation instead of absence, as “not” instead of “without”. Therefore, in philosophy at least, atheism should be construed as the proposition that God does not exist (or, more broadly, the proposition that there are no gods). 
This definition has the added virtue of making atheism a direct answer to one of the most important metaphysical questions in philosophy of religion, namely, “Is there a God?” There are only two possible direct answers to this question: “yes”, which is theism, and “no”, which is atheism. Answers like “I don’t know”, “no one knows”, “I don’t care”, “an affirmative answer has never been established”, or “the question is meaningless” are not direct answers to this question. »

Source : https://plato.stanford.edu/entries/atheism-agnosticism/

En résumé : l’athéisme est initialement défini dans un paradigme théiste. Il faut être en présence de l’idée de Dieu pour pouvoir désigner la position de ceux qui ne tiennent pas cette idée pour vraie. Les débats philosophiques portant généralement sur la question ontologique, celle de l’existence de Dieu, alors l’athéisme est résumé à la posture de ceux qui disent non.
Pour éviter de réduire l’athéisme à une invention du paradigme croyant, on a proposé de lui fournir une définition « positive » : l’athéisme est la conséquence d’une position naturaliste, d’un matérialisme ontologique. En d’autres termes ceux qui considèrent que l’Univers trouve sa cause dans des processus physiques, affirment l’inexistence du surnaturel, et donc ne croient pas en dieu.

Les philosophes admettent que le terme athée est polysémique et qu’il peut aussi désigner l’état mental de celui qui ne croit pas en Dieu ou croit en son inexistence. Cet athéisme psychologique est une notion très intéressante, mais elle est généralement marginale car inopérante dans la recherche de la réponse à « Dieu existe-t-il ? » qui occupe, allez savoir pourquoi, bien plus de temps de cerveau disponible que la question des facteurs psychologiques qui conduisent à cette croyance (Cf L’ironie de l’évolution, chapitre 4).

Déjà nous voyons qu’il est faux d’affirmer qu’il existe un consensus philosophique sur les contours du concept d’athéisme, et que personne n’est rationnellement fondé à imposer sa définition aux autres.

Un désaccord

Je suis en désaccord avec la définition que le(s) dictionnaire(s) donne(nt) à « athée » (Cf la Pastille de Vled) et nous venons de voir que du côté des philosophes, en lieu et place d’un consensus, nous avons plutôt un choix instrumental dans le cadrage de la notion en raison d’une longue tradition apologétique et du poids de la pensée religieuse sur toutes les entreprises de réflexion métaphysique. Pour les philosophes, l’athée est donc en général et pour faire simple, la personne qui, à la question « Dieu existe-t-il ? », répond non. J’estime qu’il faut se demander si c’est bien avec cette question que l’on doit catégoriser les gens dans leur rapport au concept de Dieu. Je pense que c’est une erreur de procéder ainsi, et je proposerai une nomenclature plus adéquate un peu plus bas.

Autre problème : dans la tradition philosophique, le mot croyance est incroyablement polysémique car toute représentation mentale peut recevoir cette étiquette. Nous aurions sur le monde des croyances justifiées et des croyances injustifiées, des croyances fausses et des croyances correctes, et rien d’autre. Cette prémisse, si on l’admet, anéantit d’emblée, par le seul pouvoir illocutoire de cette définition de « croyance », la possibilité d’avoir sur une question une absence de croyance. Or, j’ai bien une absence de croyance sur le nombre pair ou impair de billes dans la jarre, ce qui est une position sceptique. C’est bien l’acte du sceptique de penser que l’on peut suspendre son jugement, ne pas « croire » en X, tout en agissant au quotidien conformément à ce que le contexte nous incite à estimer le plus raisonnable, même si cela concerne X plus ou moins directement.

Illocutoire : qui s’accomplit par l’usage même de la parole.

https://www.cnrtl.fr/definition/illocutoire

C’est donc peut-être parce que je défends la posture philosophique du sceptique que je suis particulièrement sensible aux défauts de cette approche qui fait de toutes nos représentations mentales des croyances. Je défends une nuance entre la position ontologique (mon jugement sur ce qui EST ou sur ce qui n’EST pas) et les choix et idées que nous faisons de manière pragmatique dans des situations où s’impose à nous de faire ces choix.
Par exemple, je peux avoir peur dans une maison « hantée » sans pour autant croire aux fantômes. Telle personne peut éviter une échelle par habitude, par biais de conformité ou pour d’autres raisons qui ne nous disent pas si elle croit en la malchance. Ces exemples illustrent bien qu’agir ou ressentir d’un côté et « croire en la réalité d’une représentation mentale » de l’autre sont choses dissemblables. C’est pourquoi j’estime utile de préciser mon vocabulaire en souhaitant qu’il soit utilisé le plus largement possible :

Nomenclature proposée :

● Théisme : On répond oui à la question « Croyez-vous / pensez-vous qu’il existe un Dieu, qu’il s’est révélé à l’Homme et entretient une relation avec lui »

● Déisme : On répond oui à la question « Croyez-vous / pensez-vous qu’il existe une entité douée de volonté à l’origine de l’univers » (s’y ajoute toutes les sortes de croyances possibles entre cette position minimale et le théisme)

● Panthéisme : On répond oui à la question « Croyez-vous / pensez-vous que Dieu est la Nature, douée d’une forme de volonté créatrice »

● Athéisme : On répond non à « Croyez-vous / pensez-vous qu’il existe un ou des dieux »

● Apathéisme : On répond « Rien à cirer » aux questions concernant le ou les dieux. Et convenons que cela peut aussi constituer une position sur l’axe épismétique que nous verrons plus bas. C’est la seule option qui implique nécessairement une indifférence à la question de Dieu.

● Négathéisme : On répond oui à « Croyez-vous / pensez-vous qu’il n’existe pas de dieu(x) ». J’ai forgé ce mot pour les raisons mêmes qui m’ont poussé à écrire cet article. Peut-être choisirez-vous de l’utiliser pour clarifier vos conversations.

Ces termes s’appliquent à la dimension ontologique de la question de Dieu : la relation de la personne à la question de son existence. Mais cette question possède une deuxième dimension, celle de la connaissance que l’on pense détenir.

● L’agnostique répond non à « puis-je acquérir une connaissance (définitive) au sujet de dieu ?»

C’est le sens strict de ce mot depuis son invention par Thomas Huxley : « J’ai inventé le mot « Agnostique » pour qualifier les personnes qui, comme moi, se confessent désespérément ignorantes sur bien des sujets à propos desquels les métaphysiciens et les théologiens, qu’ils soient orthodoxes ou hétérodoxes, professent dogmatiquement leur plus extrême certitudes »[1]
La forme militante de l’agnostique serait : « je n’ai pas la connaissance, et vous non plus ; personne n’a la connaissance ». Il s’agit d’une posture rationnelle dont j’ai déjà parlé dans cet article.

Le gnostique, par opposition, est dans la position où l’on répond oui à cette question. On peut retrouver des explications allant dans le même sens sur diverses sources, la plupart anglophones

Moins connu, mais tout aussi utile : l’ignosticisme, à la question « Dieu existe-t-il ? » répond « Je ne dispose pas d’une définition cohérente de Dieu, et par conséquent la question n’a pas de sens pour moi. » Les ignostiques renvoient les croyants de tous bords faire un travail de définition de ce en quoi ils croient.

Les deux axes (ontologique / épistémiques) étant distincts, on peut « cumuler » certaines étiquettes ci-dessus. Il est tout à fait possible d’être agnostique et n’importe laquelle des 5 options de l’axe ontologique. En particulier on peut sans problème (et cela arrive souvent chez les militants de l’athéisme) être à la fois athée et agnostique… et même ignostique en prime.

Cette nuance entre un axe ontologique et un axe épistémique n’est pas une tocade de militant athée puisqu’on la retrouve clairement dans l’encyclopédie de philosophie de Stanford : « On peut, de manière cohérente, croire que l’athéisme [ici au sens de négathéisme] (ou le théisme) est vrai tout en niant que l’athéisme (ou le théisme) est démontré vrai. »[2]

Il existe d’autres dimensions à la question de Dieu. Donnons deux exemples.

L’antithéisme juge l’idée de Dieu offensante, moralement rédhibitoire, et professe qu’on est fondé à espérer qu’il n’existe pas. C’est la position défendue par Thomas Nagel[3] ou encore par Christopher Hitchens[4]. On l’entend aussi dans le sens d’une opposition au théisme, c’est-à-dire à la croyance en l’existence d’un dieu. (Je conseille à tout le monde de ne pas donner à antithéisme un autre sens que l’un de ces deux-là, sinon les conversations sur le sujet deviennent compliquées).

L’anticléricalisme s’oppose au pouvoir des institutions religieuses qui prétendent parler au nom de Dieu.

Objection

La présentation ci-dessus ne fait pas forcément l’unanimité, et la possibilité que je défends d’être à la fois athée et agnostique suscite quelques réactions de rejet. J’ai notamment reçu la critique suivante de la part d’un sceptique intéressé par les questions d’apologétique :

« Je dirais que seules des personnes qui n’ont jamais entendu parler de quelque chose peuvent réellement être dans une position d’absence de croyance. Par exemple, un enfant qui n’a jamais entendu parler du Bigfoot est dans une absence de croyance par rapport à son existence ou inexistence. »

Connaître l’existence d’une hypothèse, et même lui accorder un traitement bayésien pour évaluer le niveau de crédence qu’on lui accorde, suffit-il pour tenir une « croyance » ? Il me semble que la charge de la preuve incombe à ceux qui affirment que nous avons tous une croyance vis-à-vis de tous les concepts portés à notre connaissance, parce sinon nous en revenons à la puissance performatrice du langage qui décide que la croyance c’est cela parce que la croyance c’est cela, et dont un sceptique est en droit de douter. Je ne vois pas au nom de quoi on ne pourrait pas être sans avis, sans « croyance » sur Jésus Christ, par exemple. Vouloir tout réduire à des chiffres bayésiens sensés définir ce que l’on croit me semble très insuffisant. L’approche bayésienne nous aide à évaluer l’évolution de nos représentations, à comparer notre niveau de crédence avec celui d‘un interlocuteur pour identifier quel aspect de la question en jeu nous sépare, mais elle ne dit quasiment rien de nos options ontologiques… L’approche bayésienne ne nous renseigne que sur 3 options ontologiques : 0%, 100% ou entre les deux. D’un point de vue ontologique rien ne distingue un 0,1 % d’un 99,9 %, ou plus exactement il n’y a pas de frontière objective à franchir, puisqu’il n’y a pas de bornes délimitant le doute, et pourtant ce continuum ne saurait se réduire à un vaste 50/50 ; il semble évident qu’il existe plus de nuances que cela.


NB : Le bayésianisme n’est pas le sujet principal de cet article, et le paragraphe ci-dessus est très insatisfaisant, et insuffisant pour exprimer ma pensée (encore incomplète) sur le sujet. Je vous renvoie vers un échange avec Monsieur Phi sur Twitter, où il défend l’utilité du bayésianisme dans ce contexte (ce que je ne conteste pas). Ca se passe ici.


Pour savoir s’il est possible d’être athée et agnostique à la fois, il peut être utile de se demander ce qu’en pensent les personnes concernées.

Un petit sondage

J’ai demandé sur Twitter aux gens se reconnaissant « athées » de choisir quel énoncé retranscrit le mieux leur relation au concept « Dieu ».

  1. Je crois que Dieu n’existe pas.
  2. Je ne crois/pense rien au sujet de son existence.
  3. Je sais qu’il n’existe pas.

Les 3 options sont complémentaires : pour qui se dit athée (dans les différentes acceptions du terme), il ne peut pas exister d’autre choix logique.

Les choix 1 et 3 correspondent aux « vieilles » définitions de l’athéisme, celles des dictionnaires et d’une partie de la philosophie, ce que j’ai proposé d’appeler négathéisme. On voit bien que la moitié des athées de l’échantillon ne s’y retrouvent pas.

Le choix 2 devrait être celui des apathéistes, et aussi de beaucoup de ceux qui se disent  « agnostiques » (en donnant à ce mot le sens d’athéisme faible qu’il a souvent dans le langage courant). Les ignostiques et les antithéistes pourraient sans doute émarger aux 3 propositions. Tous ceux qui estiment que l’Univers ou la Nature est Dieu n’entrent pas dans la catégorie athée, ils ne sont pas concernés par ce sondage.

Évidemment, un tel sondage est très biaisé car les répondants ne sont pas n’importe qui : ils ont un lien plus ou moins étroit avec le compte twitter de la TeB, et ont donc probablement été exposés à nos idées sur le sujets, fréquentent des sites similaires, partagent avec nous un certain nombre d’idées, peuvent être influencés par les commentaires qui entourent le sondage, etc. On ne pourra pas tirer de conclusion ferme des réponses fournies, ni établir une nouvelle définition de l’athéisme simplement en traitant ces données.

L’utilisation dans les énoncés du verbe « croire » sans en préciser le sens est source d’hésitation et de plaintes de la part des internautes, de même que le sens de « Dieu » que j’ai pourtant incité à recevoir dans sa signification la plus large (et donc dans le sens du déisme, voire du panthéisme). Quant au flou autour du mot athée, il constitue l’objet même de ma démarche.

On a porté à mon attention un possible biais de désirabilité vers le choix 2 pour les athées qui ne veulent pas admettre qu’ils « croient » quoi que ce soit (Merci Franck Ramus). C’est en effet possible. Ce biais va dans le sens d’une concentration des votes pour la proposition 2, qui est celle dans laquelle je me reconnais moi-même.

Pour tirer de ce sondage biaisé un enseignement utile et au moins un peu fiable, il nous faut choisir soigneusement la question à laquelle nous voulons qu’il nous aide à répondre. Pour moi cette question est la suivante :  obtiendra-t-on une réponse très majoritaire ou un éparpillement des choix ? Les biais mentionnés plus haut feront pencher la balance vers une réponse stéréotypée, or on constate une distribution 27%, 54%, 19%, qui correspond à un relatif éparpillement. Même si l’option 2 sort en tête, aidée par les biais d’échantillonnage, 46% des répondants ne se reconnaissent pas dans cette option.

Qu’en conclure ? Que le mot athée revêt divers sens chez ceux qui se réclament de cette catégorie. On trouve des athées qui affirment l’inexistence de Dieu, d’autres qui tiennent une croyance sur cette non-existence, et, de toute évidence, des athées qui veulent s’en tenir à une posture de non-croyance.

Vers une définition minimale ?

La diversité des réalités individuelles derrière le mot athée interdit selon moi de se contenter de la définition des dictionnaires qui en fait la position de ceux qui, à la question « Dieu existe-t-il ? »,  répondent non.

Les athées ne constituent pas un groupe homogène, il ne s’agit pas d’une catégorie que l’on jugerait robuste en systématique, la science de la classification des êtres vivants. En effet, dans cette discipline on sait bien que les catégories construites sur l’absence partagée d’un caractère sont fragiles et souvent fausses. Il est légitime de rassembler dans un même groupe tous les êtres vivants qui possèdent des plumes, mais certainement pas d’en faire autant avec tous ceux qui n’en possèdent pas, car alors on obtiendrait un groupe rassemblant pêle-mêle le castor, la vipère, la coccinelle, le champignon de Paris et le bacille de la tuberculose. Un tel groupe n’apporte rien à la connaissance des apparentements des organismes qu’il contient. Et pourtant ces organismes existent.
Ce que tous les athées partagent, le caractère commun minimal, c’est l’absence de croyance en dieu.  Cela en fait un groupe difficile à définir. Et pourtant les individus qui se reconnaissent dedans existent.

Il faut donc selon moi donner à athée le sens le plus large pour qu’il englobe tous ceux qui s’en réclament (ou alors il faut les corriger et les diriger vers d’autres catégories bien définies). Ce qui les rassemble tous c’est l’absence d’adhésion à « l’hypostase Dieu ».

Cette position sur l’usage des mots est aussi celle de Matt Dillahunty (The Atheist Experience), et globalement des New Atheists anglosaxons. Il ne faut donc plus définir l’athéisme comme la position de ceux qui répondent non à la question « Dieu existe-t-il ? », car la moitié des athées trouvent la question mal posée et préféreront vous répondre mu.

Hypostase : Le terme hypostase désigne selon les époques, le contexte et les auteurs une substance fondamentale, un principe premier, l’individualité qui existe en soi ou la substance durable, la personne.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hypostase

Conséquences

L’athéisme ainsi conceptualisé est la position par défaut de l’esprit humain qui n’accepte pas de croire d’emblée, mais fait peser le fardeau de la preuve sur les énoncés qui affirment l’existence de quelque chose. Les sceptiques admettent cela sans problème sur l’intégralité des sujets, je ne m’attends pas à ce qu’on puisse défendre la position inverse, inopinément, sur la question de dieu.

L’athéisme au sens large est donc une absence de croyance de la même manière que ne pas collectionner de timbres est une absence de hobby. Nous savons que chauve n’est pas une couleur de cheveux, et que je n’ai pas besoin d’abonnement pour ne pas aller à la piscine.

L’agnosticisme n’en perd par pour autant toute sa légitimité initiale de positionnement sur l’axe épistémique. On peut ne pas croire et estimer que la connaissance est impossible ; on est alors athée et agnostique. On peut même croire (en l’existence ou en l’inexistence) tout en reconnaissant qu’il est impossible d’avoir une certitude rationnelle, et donc rien n’interdit à l’agnostique d’être croyant.

Enfin, un athée (et peut-être même un croyant) agnostique est en droit d’estimer que les propositions sur lesquelles il est amené à exprimer un avis sont mal formulées (au sens mathématique : l’énoncé est incohérent / incompréhensible), et en conséquence de répondre mu et à se considérer, en plus du reste, ignostique.

Peut-être ma position sur ces questions est-elle plus sophistiquée que la moyenne, et peut-être relève-t-elle d’un scepticisme radical qui ne devrait pas aujourd’hui être appelé athéisme, mais la langue est vivante et l’usage, bien souvent, fait loi.

Bref, quand on parle d’athéisme, il faut se demander si l’on parle d’une croyance ou d’une absence de croyance, et faire évoluer notre lexique pourrait nous y aider.

[1] « invented the word “Agnostic” to denote people who, like [himself], confess themselves to be hopelessly ignorant concerning a variety of matters, about which metaphysicians and theologians, both orthodox and heterodox, dogmatise with the utmost confidence. (1884) » T.H. Huxley The Agnostic Annual (1884)

[2] « one can consistently believe that atheism (or theism) is true while denying that atheism (or theism) is known to be true. »  https://plato.stanford.edu/entries/atheism-agnosticism/

[3] Nagel, Thomas, 1997, The Last Word, Oxford: Oxford University Press. doi:10.1093/0195149831.001.0001

[4] Christopher Hitchens, Dieu n’est pas grand, 2007, Belfond.