Ne vous laissez pas influencer par la thématique donnée dans le titre. On ne va pas faire du drama. On ne va pas faire de politique. On va faire de la zététique : l’art du doute méthodique.
Voilà ce qui se passe. Une frange de l’Internet, plutôt remontée contre les LGBT et les sciences humaines qui se penchent sur les questions d’oppression et de domination me tombe dessus depuis des semaines avec agressivité et moquerie en disant que je fais honte à la zététique à ne pas savoir reconnaître un garçon d’une fille. Si c’est vrai, c’est grave.
Comme d’habitude tout ça est régurgité par tout un tas d’ahuris qui glissent ce nouvel élément de langage dans leurs attaques, et ressortent des accusations d’être trop politisé. Naguère une petite bande disait « la zététique c’est de droite », donc pas bien, et aujourd’hui une grosse clique dit « la zététique c’est trop woke », donc pas bien.
Dalibor de la chaine Psyhodelik a encore sorti toute une série de vidéos pour dire à quel point il était un meilleur zététicien que moi. Et ça semble convaincre des gens puisque ce conflit a fait perdre plus de mille abonnés à la TeB, une première en huit ans et demi. Ceci étant j’ai vu qu’il était à la mode de dire « la zététique me déçois, je me désabonne » tout en ayant un compte abonné et partageant le pire de la complosphère ce qui suscite en moi… le doute.
Face à tout ça il y a plusieurs réactions possibles
- Batailler pied à pied, répondre à chaque attaque, à chaque homme de paille, à chaque commentaire. Consacrer mon temps à essayer de convaincre tout le monde. Faire un burn out. Et mourir
- Dire à tous ces cons d’aller se faire cuire le cul et les ignorer.
- Ignorer tous ces cons sans même leur dire d’aller se faire cuire le cul.
- Rester calme, ne pas réagir, et continuer d’essayer de faire avancer la compréhension des gens, notamment sur la question du genre comme je m’y emploie sur Twitter avec mon compte personnel en jouant les Socrate du dimanche avec plus ou moins de talent.
- Tout plaquer. Fermer la chaîne et vivre de l’immense fortune accumulée grâce tout mon travail, mes héritages et les chèques des grands industriels qui nous téléguident.
- J’ai choisi l’option 6 : Essayer de tirer quelque chose d’utile de tout ça en donnant des explications contextuelles sur l’origine des propos qu’on me reproche, en apportant des éléments qui vous permettront peut-être de mieux comprendre ce que la science dit de ces questions, et en défendant ma manière de concevoir la zététique et de la pratiquer.
Soyons méthodiques. Soyons zététique.
Je précise que je suis loin d’être expert de la question du genre, et que je ne suis pas militant sur cette thématique. Cette vidéo n’a pas pour but de décréter une vérité sur le sujet mais d’élaguer un peu les herbes folles qui mettent la pagaille. Si je parle de ce sujet, c’est parce que je suis très étonné du niveau de certitude de ceux qui veulent imposer leur avis. Je pense qu’on y gagnerait tous en appliquant le précepte suivant : juger moins pour comprendre mieux.
Allons-y
1. Le contexte
Le 8 juillet 2019 je réagis au tweet de la revue Psychologies qui partageait la veille l’avis d’une psychanalyste[1].
La psychanalyse, on en a un peu marre. Quasiment le monde entier s’en est débarrassé, mais en France on continue d’aimer cette pseudoscience criminelle qui s’affiche dans tous nos médias. C’est une honte, mais c’est pas le sujet.
Cette psychanalyste répond à la question de Lucie, 6 ans « Je veux devenir un garçon. Pourquoi n’est-ce pas possible ?»
La réponse est « Tu ne peux pas devenir un garçon, Lucie. »
Tout part de là. J’ai remis en question la réponse de cette psychanalyste, (et je vais l’analyser pour vous dans un instant) et je me suis coltiné des tas de gens très intelligents qui m’ont sorti leur cours de biologie du collège pour me montrer que je suis complètement crétin et téléguidé par de l’idéologie. Et depuis cet épisode, essentiellement, je me contente de demander sur Twitter à ceux qui ne veulent pas que Lucie puisse devenir un garçon de me donner la définition sur laquelle ils s’appuient pour énoncer une telle interdiction.
J’espère que ça vous parait aussi important qu’à moi que celles et ceux qui veulent interdire l’usage d’un mot à quelqu’un soient capables d’en définir précisément les contours. Dans cette situation, moi je n’impose rien à personne, je me contente de douter de la réponse de la psychanalyste et de la certitude de tous ceux qui, apparemment, savent mieux qui est Lucie que Lucie elle-même. Ce que j’apporte c’est du doute. Vous avez le droit de ne pas aimer, mais vous aurez du mal à expliquer que ce n’est pas de la zététique.
Revenons à la réponse de la psychanalyste
« Tu ne peux pas devenir un garçon, Lucie, parce que tu es née, comme ta mère, dans un corps de fille. De même que ton frère est né, comme ton père, dans un corps de garçon. Et ça on ne va pas le changer. »
Ca veut dire quoi « naître dans un corps de fille ? » Je suis né avec mon corps, mais si on me disait que je suis né dans un corps de garçon, ça voudrait dire que je suis une chose, une entité, qui est placée à l’intérieur d’un corps. C’est une conception dualiste. Ce n’est pas parcimonieux. L’approche la plus raisonnable, la plus rationnelle, la plus zététique est aussi la plus matérialiste, elle consiste à dire que, jusqu’à preuve du contraire, je suis mon corps et pas une chose qui habite mon corps, et si on veut être plus précis, je suis la conscience que mon cerveau, en relation avec mes autres organes, produit à chaque instant.
Selon ce point de vue, qui peut se discuter, mais qui est le plus zététique que je connaisse, vous n’êtes pas né dans un corps de fille ou de garçon vous êtes avec votre corps, le vôtre, qu’on va ensuite ranger dans une catégorie pour plein de raisons plus ou moins bonnes.
Retour à la psychanalyse :
« Parce qu’on ne peut pas revenir en arrière et renaître dans un corps différent. Cela fait partie des limites que la vie nous impose. Elles peuvent nous mettre en colère parce que nous aimerions n’en avoir aucune et pouvoir réaliser tous nos désirs et accomplir tous nos rêves. Devenir fille si on est garçon ou garçon si on est fille. Ou même être (pourquoi pas ?) les deux à la fois. Et en plus, voler comme les oiseaux et nager comme les poissons. On aimerait bien mais ce n’est pas possible. »
Hypothèse : Et si le cerveau de Lucie produisait une conscience qui se reconnait comme plus proche des attributs associés traditionnellement aux garçons qu’à ceux associés traditionnellement aux filles ? Et si l’identité de genre était une question biologique, physiologique, biochimique… ? Je n’en sais rien. C’est une hypothèse qu’il faudrait tester avant de l’écarter.
Je vous rappelle qu’il existe des résultats indiquant que de tels facteurs biologiques sont impliqués dans l’orientation sexuelle. On n’est pas hétéro ou homo par choix ou parce qu’on a été influencé par une mère castratrice comme les charlatans de la psychanalyse l’ont soutenu et le soutiennent peut-être encore. On est hétéro ou homo parce que quelque chose dans l’histoire de la construction de notre cerveau nous amène à exprimer telle ou telle attirance, ou aucune. Et nous avons appris, lentement, à nous débarrasser des comparaisons insultantes qui rapprochaient l’homosexualité de la bestialité ou de la pédophilie. On a compris que c’était indigne de faire ces comparaisons.
Mais pas chez les psychanalystes où la question de Lucie sur son genre est reléguée au niveau du rêve de voler comme un oiseau.
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[Parenthèse. Je suis désolé, je sens que je suis obligé de mettre les points sur les i, pour éviter les mouvements de panique : je ne suis pas en train de dire qu’il faut faire de la chirurgie ou des traitements hormonaux à la petite Lucie, 6 ans. Je ne sais pas quelle est la bonne manière de l’écouter et de l’accompagner pour qu’elle vive sa vie au mieux. Je répète : je ne sais pas ce qu’il faut faire, je laisse ça aux gens dont c’est le métier et qui sont à jour de ce qu’en dit la science. Mais je suis très étonné par le nombre de gens qui sachent, y compris une psychanalyste qui rend un verdict définitif sans jamais avoir rencontré la personne en question.]
La psychanalyste poursuit :
« On a donc le choix : continuer à réclamer ce que l’on n’a pas ou accepter de vivre avec ce que l’on a et qui n’est peut-être pas si nul que ça. »
Le problème c’est qu’il me semble très maladroit et violent de dire que Lucie veut ce qu’elle n’a pas, quand en réalité Lucie exprime qu’elle est autre chose que ce qu’on lui dit qu’elle est. Notre psychanalyste fait comme si « Être autre chose que ce qu’on me dit que je suis » était équivalent à « ne pas avoir ce que je désire ». Vous vous rendez compte du niveau d’absence d’écoute de cette psychanalyste ?
« Pourquoi voudrais-tu tellement être un garçon, Lucie ?»
Ca c’est bien. Il faut en effet poser la question et ne pas supposer qu’on sait déjà qu’il s’agit d’un caprice.
Il faudrait surtout demander à Lucie ce que ça veut dire pour elle de « devenir un garçon ». Si jamais elle répond qu’elle veut des chromosomes XY ou bien qu’elle veut avoir des testicules qui produisent des spermatozoïdes, alors on pourra lui répondre que c’est impossible, en effet. Mais si jamais « devenir un garçon » ça veut dire autre chose pour elle, ce qui est probable, alors nous devrions sans doute revoir la réponse.
« La vie de ton frère te semble mieux que la tienne ? C’est possible mais il faudrait savoir pourquoi. Son corps et son sexe te semblent mieux que les tiens ? C’est ce que pensent beaucoup de filles, mais elles se trompent. Car si leur sexe n’est pas aussi apparent que celui des garçons, elles ont en revanche à l’intérieur de leur corps des organes qui leur permettront plus tard d’avoir des bébés dans leur ventre. » Etc.
Alors, bien sûr, je pense qu’il est sage de commencer par rassurer l’enfant, de lui expliquer comment fonctionne son corps, d’écarter les idées reçues, les fausses hiérarchies et les mauvaises raisons de vouloir s’identifier à tel ou tel groupe. Mais le problème c’est que, moi, je ne connais pas Lucie. Pas plus que vous. Et madame la psychanalyste non plus. On ne sait pas comment cette jeune personne se sent. On ne sait rien des raisons de son questionnement, de sa biologie, de sa psychologie et de son environnement. Et parce qu’on ne sait rien de tout ça, il est rationnel de se retenir d’affirmer ce qu’elle doit être ou ce qu’elle ne peut pas être.
Voilà quelle est ma position sur ce sujet qui a donné lieu à beaucoup d’attaques et de moqueries quand des gens s’amusent à aller pêcher ce que j’ai dit en 2019 pour créer du drama en 2023.
2. Quelques éclaircissement sur le sexe et le genre
Pour éviter —au moins un peu— que des tas de commentaires me fassent dire ce que je n’ai pas dit, et croiser un peu moins de caricatures stupides, je suis obligé de parler du fond. Je vais essayer d’être clair, concis et prudent.
Le mot sexe, en biologie, désigne plusieurs choses.
Fondamentalement chez les animaux et les plantes au moins, le sexe désigne la fonction de reproduction dans un processus anisogamique. Les corps qui produisent de grands gamètes sont des femelles. Les corps qui produisent de petits gamètes sont les mâles. C’est binaire. C’est facile.
[En réalité c’est pas si facile que ça parce qu’on pourrait discourir sur les espèces hermaphrodites et les cas de changement de sexe au cours de la vie comme chez les poissons clown, qui montrent que la nature se moque éperdument de notre envie que tout soit rangé dans des boîtes. Donc, binaire et facile »… mollo.]
C’est binaire. C’est facile. Mais ça concerne uniquement nos cellules sexuelles. Corrigez moi si je me trompe, mais vous n’avez pas connaissance de la taille des gamètes des gens autour de vous. Certains humains n’en produisent pas. Ce n’est donc jamais ce critère que vous utilisez pour dire monsieur ou madame.
Continuons avec le mot sexe. En biologie, on peut s’intéresser au déterminisme génétique. Nous possédons normalement une paire de chromosomes sexuels : XX ou XY où se trouvent des gènes responsables de la mise en place des organes de la reproduction et des caractères sexuels secondaires : stature, musculature, répartition des tissus adipeux, largeur du bassin —autrement dit la silhouette— pilosité, voix.
Mais là il y a des exceptions avec des gens qui sont XXY ou XYY, ou juste X, ou encore avec une translocation du gène SRY[2]. Et cela aboutit à des corps qui présentent des caractères sexuels primaires et parfois secondaires qu’un regard extérieur assignera facilement à homme ou femme, mais qui sont destinés à être stérile. Il existe des humains XX que vous classeriez sans hésitation chez les hommes et des humains XY que vous classeriez sans hésitation chez les femmes.
On peut ajouter la question du rôle des hormones dans le développement du fœtus puis de l’enfant avec des personnes qui possèdent le gène SRY responsable de la masculinisation du corps, mais dont les récepteurs à la testostérone ne fonctionnent pas. Ils auront un corps que vous classerez, et moi aussi, dans la catégorie femme. Et puis il y a le taux d’hormone qui peut varier et aboutir à des caractères très sexualisés… ou très peu.
Evidemment, dans la majorité des cas on retrouvera bien les chromosomes XX chez des personnes identifiées comme femmes et des XY chez les personnes identifiées comme hommes. Mais là encore, corrigez moi si je me trompe, vous n’avez pas accès aux chromosomes des gens. Moi non plus. Ce n’est donc pas ce critère qu’utilisent tous ceux et toutes celles qui savent apparemment mieux que moi ce qu’est un garçon ou ce qu’est une fille.
La présence des organes sexuels est LE critère utilisé pour enregistrer les nouveaux né dans la case garçon ou la case fille. Ca fonctionne dans l’écrasante majorité des cas. Mais il y a des personnes intersexuées, et leur cas ne peut pas toujours se résoudre avec un coup de bistouri. Cela prouve que ce critère est imparfait, qu’il faut être prudent. Mais de toute façon, corrigez-moi si je me trompe : vous n’avez pas accès au contenu du caleçon ou de la culotte des gens quand vous les appelez monsieur ou madame. Ca veut donc dire que les organes sexuels ne sont pas le moyen par lequel vous les distinguez.
Dans la vie de tous les jours, dans le champ social on classe les gens chez les hommes ou chez les femmes non pas en vertu de leurs gamètes, de leurs chromosomes ou de leurs partie génitales mais en vertu de la présence des caractères sexuels secondaires : silhouette, pilosité, voix. Ces caractères sont fortement corrélés à la présence des gamètes, des chromosomes et des organes sexuels, c’est bien pour ça qu’ils marchent : ce sont des signaux efficaces. Et quand il arrive que ces signaux soient ambigus : on ne sait pas si on est face à un monsieur ou à une madame, les gens normaux vont poser la question, et si la personne vous dit qu’elle est un monsieur, alors vous allez l’appeler monsieur. In fine le vrai critère c’est ce que les gens déclarent sur eux-mêmes.
Je ne dis pas que c’est suffisant et que ça règle tous les problèmes, je dis que dans la vie de tous les jours, c’est ça le vrai critère que nous utilisons, et alors il faudrait peut-être se demander pourquoi ?
Dans le dictionnaire on nous dit que l’homme c’est « le mâle de l’espèce humaine ». Or, ce qui définit un mâle, ce ne sont pas ses poils ou la tessiture de sa voix, ou son prénom, mais sa fonction dans la reproduction. Ce qui définit une femelle, ce n’est pas qu’elle soit coquette, porte des jupes et un sac à main, mais qu’elle produise des ovules. Et donc il existe des mots pour aider à distinguer ce qui relève de la fonction biologique de reproduction du rôle social codé, stéréotypé, étroitement lié au sexe mais non confondu avec lui. Un rôle social par lequel les individus se placent eux-mêmes en fonction de leur ressenti dans une case ou dans un autre, ou bien, transgression suprême considèrent que les cases sont imaginaires, construites par la société, et qu’on peut les refuser. Et ça, en gros c’est ce qu’on appelle le genre.
Et c’est l’ensemble des paramètres qui constituent le genre que nous utilisons vous et moi tous les jours pour savoir si on appelle une personne madame ou monsieur. L’usage faisant loi en linguistique, il me semble que si vous voulez absolument une définition à homme et femme, c’est du côté du genre que vous devriez creuser et pas du côté de la biologie. Et c’est un biologiste qui vous le dit.
À cause de cela, je suis étonné par la confiance totale en leur propre jugement qu’expriment les gens qui affirment détenir le véritable sens des mots homme et femmes mais ne savent pas dire pourquoi, sur quel critère, ils peuvent interdire à une personne trans de s’identifier au genre qui ne correspond pas au sexe enregistré à sa naissance. Je pense que ça manque de prudence, d’humilité et que ça revient à vouloir essentialiser, biologiser l’ensemble des attributs traditionnellement associés à tel ou tel sexe.
Je parle de tout cela de manière plus approfondie dans le chapitre 23 de Quand est-ce qu’on biaise, sorti il y a 4 ans. Et je pense être dans mon rôle quand je souligne la présence agressive de ces certitudes encombrantes parce que, justement, pour moi, c’est ça la zététique.
3. « Ma » zététique
La zététique ce n’est pas la science. En science on produit des connaissances. En zététique on se demande « pourquoi est-ce que je crois ce que je crois ? » et en première analyse on s’intéresse à ce que la science peut en dire.
Le zététicien, il va rendre compte de ce que la science dit ou ne dit pas sur un sujet et met à l’épreuve de la logique et de la dialectique les théories ou les discours qui revendiquent d’énoncer une vérité. Ca peut finir en débunkage, en entretien épistémique, en analyse, peu importe, à chaque fois on se demande s’il existe de bonnes raisons de soutenir une thèse.
Y a-t-il eu un miracle à Fatima en 1913 ? L’homéopathie est-elle efficace ? Peut-on se fier à Didier Raoult ? Les Pyramides d’Egypte sont-elles des centrales électriques ? La zététique aide à trouver la réponse. Dans les cas susnommé la réponse est non.
Mais ça ce sont les sujets faciles. Ce que l’art du doute permet de faire quand on est vraiment bien entraîné (par exemple après 8 ans de pratique quotidienne) c’est se pencher sur les concepts avec lesquels on pense. L’esprit critique ça sert à décider ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire. Et pour ça il faut secouer un peu les fondations, pour voir si ça tient. La zététique, ça casse pas des briques, mais ça aide à casser les concepts.
Nous passons notre temps à percevoir le monde, à le décrire, à l’expliquer, à le prévoir à l’aide de concepts qui sont des créations de l’esprit et qui ne coïncident pas exactement avec le réel. C’est un peu dur à avaler, mais le plus grand service que la zététique peut rendre c’est sans doute de faire admettre cette grande vexation, ça nous rendra plus humbles.
Nous ne disposons pas d’une définition parfaite, étanche, complète et consensuelle du vivant. Et pourtant la biologie fait des prouesses. Le mot espèce est une convention de langage qui date d’avant la théorie de l’évolution et qui est inapplicable dans de très nombreuses situations. Ca j’en parle dans l’Ironie de l’évolution, lisez-le j’aime ce livre. Les concepts omniprésents sans bonne définition abondent : émotion, jeu, intelligence, infini, liberté, temps… Si vous vous penchez sur ces notions pour en délimiter sérieusement les contours, vous ne serez pas déçus du voyage.
La zététique peut servir à nous rappeler qu’il est bon de douter que les mots soient le fidèle reflet du réel, qu’il est bon de nous souvenir que les sciences évoluent, que nos connaissances se périment et que nos certitudes actuelles ne sont pas forcément de meilleure qualité que celles des humains d’il y a mille ans, et que nous serions bien ridicules de nous imaginer détenir une connexion privilégiée avec la vérité.
Quand on pratique cette zététique là, on a des scrupules à tracer des frontières et à dire aux autres qu’ils doivent les respecter parce qu’elles sont réelles, qu’elles le droit de les contraindre. Face à ça, on se met à demander des raisons de croire aux définitions utilisées pour interdire ou pour obliger les gens.
4. La politique n’est pas ce que vous croyez.
Y a-t-il une dérive politique de la zététique ? C’est bien de se poser la question. C’est bien d’être attentif à l’exploitation idéologique des outils. Mais attention, parce que l’influence politique n’est pas forcément là où vous la voyez.
Relayer presque tous les jours des paniques morales de l’extrême droite, tourner en ridicule le combat contre le sexisme, dénoncer les abus de la frange ultragauchiste des ZEM, mais taper tranquillement la discussion avec Conversano et donner de la visibilité au cercle cobalt promoteur d’une science raciste, ça n’est pas apolitique juste parce que le mec qui fait tout ça prétend que c’est apolitique.
Spoiler : c’est de la politique, même quand ça énonce des choses qui vous semblent être des évidences qui devraient s’imposer à tout le monde.
Il y a autre chose qui est politique, c’est l’injonction irritée qu’on nous adresse de ne pas traiter certains sujets, de ne pas relayer l’état des connaissances en sciences humaines sous prétexte qu’elles seraient politisées, mais en réalité parce que ce qu’elles disent contredit certaines évidences confortables.
Vous devriez le savoir, je l’ai déjà dit, la science n’a pas pour rôle de nous dire des choses agréables. Elle est primordiale justement parce qu’elle est le moyen par lequel nous corrigeons nos idées fausses. Si c’était facile de porter un jugement sur le fonctionnement du monde, nous n’aurions pas besoin des sciences. Dans la sphère sceptique on sait se moquer des platistes qui se bouchent les oreilles, mais je suis désolé de vous dire que face aux études sur le genre je vois un paquet de gens pas idiots dont l’attitude n’a rien à envier aux platistes.
Est-ce que la science c’est politique ?
Eh bien non, mais dans un certain sens… oui. Les sciences se construisent au contact du reste de la société, il y a donc une dimension politique dans le recrutement des chercheurs, dans le financement des laboratoires et des travaux, dans la reconnaissance sociale, médiatique des résultats, dans les politiques de transfert des connaissances vers le public, dans l’utilisation ou non des connaissances dans l’éducation et dans les décisions démocratiques.
La plupart du temps c’est invisible, inodore, incolore, indolore. Mais parfois les résultats de la science gratouillent là où ça dérange. On a connu ça avec l’héliocentrisme. Ca a été et ça continue un peu d’être le cas des sciences de l’évolution qui contredisent les évidences des créationnistes et mettent en porte-à-faux l’ensemble des religions. Sur la Tronche en Biais on en parle, c’est même l’origine de mon propre engagement. L’évolution, et la manière dont elle dérange notre manière de voir le monde c’est mon sujet préféré. Allez dire à ceux qui voient comment ça contrarie leur vision du monde que ça n’est pas politique. C’est avant tout scientifique, mais c’est aussi politique, ne serait-ce que parce que la connaissance scientifique réfute certains discours normatifs, dogmatiques et obscurantistes.
Et s’il y a une chose que mon travail sur les conséquences de la théorie de l’évolution m’a appris c’est que les étiquettes que nous posons sur les objets de la nature, et en particulier les êtres vivants, sont fatalement erronées. Nous créons des catégories pour ranger les êtres c’est frénétique, on ne sait pas faire autrement pour essayer de comprendre comment tout ça fonctionne. Alors évidemment la question des catégories homme-femme est dans la mire, c’est forcément un sujet qui se retrouve dans le périmètre des choses que je vais être amené à traiter. Et évidemment ça va déranger les certitudes de certaines personnes. Si ça vous dérange vous, comprenez bien que ça n’est pas mon but et retenez-vous, au moins dans un premier temps, de sauter sur l’idée que je le fais par idéologie pro-ceci ou anti-cela, que j’ai été matrixé, que j’ai perdu toutes mes facultés d’analyse. Être bousculé, irrité, agacé par la zététique vous savez bien que ça fait partie du processus.
L’inconfort que provoque l’approche zététique de la question, c’est le signe que cette approche remet en cause certaines manières de catégoriser les êtres humaines, et ça c’est politique. C’est politique, mais c’est aussi scientifique, et c’est résolument zététique.
Sur la question du genre il y a plein de gens qui disent des conneries de tous les côtés, on a du dogmatisme et de l’extrémisme, de la mauvaise foi, des gens qui ne s’écoutent pas, vous allez devoir vous faire votre avis tout seul. Et si ça vous semble compliqué, vous pouvez aussi suspendre votre avis. Vous pouvez écouter, questionner et ne pas prendre parti. Il me semble sage d’attendre d’avoir de bonnes raisons de tenir une opinion.
De mon côté, avec l’équipe de l’ASTEC, je vais continuer de débunker des idées reçues, de vulgariser des travaux scientifiques, de tenter de contribuer à vous aider à questionner les certitudes, les dogmatisme, les automatismes et les mauvais argumentaires qui cherchent à faire passer le camp d’en face pour un ramassis d’abruti.
Franchement, vous avez cru, vous, à cette idée que je serais incapable de distinguer une fille d’un garçon ? Vous avez vu la quantité d’énergie qu’il faut déployer pour réagir à un récit aussi bête ? J’ai l’impression que ces sujets là, désormais, il va falloir qu’on en parle parce que vraiment on entend beaucoup, beaucoup trop de conneries.
Des bisous
Acermendax
[1] Affaire relayée par le Cercle Cobalt
[2] http://acces.ens-lyon.fr/biotic/procreat/determin/html/chromy.htm