Cancer, chimiothérapie… et “énergie du foie” : dérive pseudomédicale à l’hôpital de Mercy ?
Témoignage
Julien* apprend que sa mère est atteinte d’un myélome multiple. Très vite, elle est prise en charge par une équipe hospitalière compétente, humaine, réactive. Les documents d’information sont clairs, sourcés (notamment ceux de l’ARC), et tout semble mis en œuvre pour accompagner au mieux la patiente dans cette épreuve.
Dans ce parcours sans faute, on propose à sa mère un ensemble de soutiens complémentaires : coiffeur spécialisé, accompagnement psychologique… et une consultation de « médecine chinoise », dans le cadre de la fameuse médecine intégrative. L’intitulé interpelle Julien. Il prévient sa mère : aucun soin invasif ne doit être accepté, surtout avec un système immunitaire affaibli. Il insiste aussi sur l’absence de preuves scientifiques solides concernant cette pratique.
Sa mère le rassure : elle ira « voir ce que c’est », sans s’engager davantage.
Le rendez-vous a lieu. Le praticien prend le pouls, évoque un « déséquilibre énergétique du foie » et affirme que la chimiothérapie provoque des « inflammations dans les organes ». Il lui recommande d’éviter des aliments comme le poivre ou le piment. Aucun suivi. Pas d’autres conseils. Le praticien est cordial, la séance s’achève.
Mais pour Julien, la pilule ne passe pas : comment une patiente sous chimiothérapie peut-elle se voir proposer un “diagnostic énergétique” non fondé, au sein même d’un hôpital ? Comment un simple flyer, estampillé du logo de l’établissement, peut-il donner autant de crédit à ce qui relève de la croyance plus que de la médecine ?
Le flyer de l’hôpital de Mercy : une caution institutionnelle à des pratiques non scientifiques
Le document remis à la mère de Julien est un tract publicitaire à en-tête du Centre Hospitalier Régional Metz-Thionville – site de Mercy, affichant clairement l’offre de « médecine traditionnelle chinoise ». Ce flyer vante les vertus du bilan énergétique, une prétendue évaluation en quatre étapes (interrogatoire, observation de la langue, perception de la voix, palpation des méridiens) permettant de détecter des déséquilibres « des fonctions énergétiques » d’organes.
On y lit que ces bilans peuvent déboucher sur des recommandations alimentaires, ou des pratiques comme l’acupuncture, la moxibustion, les ventouses ou la phytothérapie. Le langage employé entretient une confusion grave entre médecine fondée sur les preuves et pratiques issues d’une cosmologie ancienne, sans validation clinique.
Pire encore : le flyer associe nommément plusieurs médecins hospitaliers, certains exerçant en réanimation ou dans des services critiques, à ces pratiques énergétiques, leur conférant une autorité médicale apparente. Ce brouillage de légitimité est renforcé par la mention de Doctolib, qui donne l’illusion d’un soin reconnu, validé, remboursé — alors qu’il ne s’agit que d’un habillage marketing.
Aucune mention explicite n’est faite de l’absence de preuve d’efficacité de ces méthodes. À l’inverse, le flyer affirme que l’acupuncture est « sûre », que les effets secondaires sont rares, et évoque des indications comme les nausées liées à la chimiothérapie, ce qui contredit les recommandations de la HAS (HAS, 2019).
Une évidence à rappeler d’urgence : la médecine énergétique n’est pas de la médecine
Les concepts utilisés dans ces consultations — « bilans énergétiques », « méridiens », « déséquilibre du foie », etc. — ne correspondent à aucune réalité mesurable en médecine scientifique. Il ne s’agit pas d’une médecine complémentaire, mais d’un système de représentation sans preuve d’efficacité au-delà de l’effet placebo.
Des revues rigoureuses l’ont établi : les bénéfices attribués à la médecine traditionnelle chinoise (MTC), y compris l’acupuncture, ne résistent pas à une évaluation fondée sur les standards de la science clinique (Colquhoun & Novella, 2013 ; Ernst, Lee & Choi, 2011). Les études qui prétendent montrer l’efficacité de ces approches souffrent très souvent de biais méthodologiques majeurs, d’absence de groupe témoin, ou d’effets non spécifiques (Zhang et al., 2010).
Présenter un diagnostic non médical, dans un contexte de grande vulnérabilité psychologique, n’est pas un acte neutre : cela peut orienter des choix alimentaires, thérapeutiques, voire inciter au rejet partiel ou total du protocole médical établi.
Enjeux sanitaires, éthiques et légaux
Même si le praticien ne propose pas de soin actif, le simple fait d’annoncer un “déséquilibre énergétique” constitue un diagnostic, au sens large du terme. Cela expose les patientes à un double risque :
- Un brouillage cognitif : le patient ne sait plus distinguer ce qui relève du symbolique ou du médical. Cela peut engendrer confusion, inquiétude, voire rejet de certains traitements.
- Un risque d’emprise douce : le recours à des discours ésotériques, surtout lorsqu’ils émanent d’un personnel apparemment validé par l’hôpital, peut fragiliser le discernement critique et ouvrir la porte à d’autres dérives.
Sur le plan légal, l’article L4161-1 du Code de la santé publique interdit l’exercice illégal de la médecine, y compris l’établissement de diagnostics ou la prescription de conduites à tenir sans diplôme médical. Le cadre hospitalier ne dispense pas de cette obligation. Si le praticien n’est pas médecin et donne des consignes à visée thérapeutique, il outrepasse la loi.
La présence de ces consultations dans l’offre hospitalière donne aussi l’illusion d’un adoubement institutionnel. Le réflexe du père de Julien — « Si c’est dans l’hôpital, c’est que c’est fiable » — est parfaitement compréhensible… et précisément ce que les charlatans exploitent depuis toujours.
Conclusion
L’histoire de Julien n’est pas une anecdote. Elle illustre le glissement dangereux d’un hôpital vers une médecine “intégrative” qui n’est plus de la médecine, qui n’offre plus aucune garantie quant à sa balance bénéfices/risques. Sous prétexte de confort et d’ouverture, certains établissements tolèrent des pratiques qui contredisent l’éthique de la médecine fondée sur les preuves.
Dénoncer ces pratiques n’est pas une question d’idéologie, mais de rigueur, de santé publique, et de respect pour les patients & patientes qui méritent une information claire, honnête et fondée sur ce que la science nous permet de savoir, et pas sur les fantasmes des praticiens, fussent-ils diplômés.
Acermendax
NB : si l’hôpital de Mercy souhaite un droit de réponse, il lui sera accordé volontiers.
Références
- Colquhoun, D., & Novella, S. P. (2013). Acupuncture is theatrical placebo. Anesthesia & Analgesia, 116(6), 1360–1363. https://doi.org/10.1213/ANE.0b013e31828f2d5e
- Ernst, E., Lee, M. S., & Choi, T. Y. (2011). Acupuncture: does it alleviate pain and are there serious risks? Pain, 152(4), 755–764. https://doi.org/10.1016/j.pain.2010.11.004
- Zhang, Q. et al. (2010). Methodological issues in acupuncture trials: a systematic review. Trials, 11, 22. https://doi.org/10.1186/1745-6215-11-22
- Code de la santé publique, article L4161-1.
- HAS. (2019). Acupuncture : état des connaissances et conditions de son usage. Synthèse en ligne sur has-sante.fr.
*Le prénom a été modifié à la demande du témoin pour garantir l’anonymat.
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !