Bracelet Remedee : UPSA vend-il une solution ou un mirage ?
Enquête sur une alliance douteuse entre la start-up Remedee Labs et le laboratoire pharmaceutique UPSA autour d’un bracelet censé soulager la douleur chronique grâce aux ondes millimétriques.
Une promesse alléchante
Soulager la douleur chronique sans médicament, grâce à un simple bracelet porté au poignet : voilà la promesse de Remedee Labs, une start-up française créée en 2016. Son produit phare, le bracelet Remedee, propose un dispositif de neuromodulation par ondes millimétriques (OMM), censé stimuler la production d’endorphines pour réduire la douleur. Pour renforcer sa crédibilité, Remedee a conclu un partenariat avec UPSA, un des laboratoires les plus réputés du paysage pharmaceutique français. L’appareil, présenté initialement comme un produit de bien-être, a obtenu depuis 2024 le marquage CE pour l’indication fibromyalgie, et depuis avril 2025 pour l’arthrose, ce qui en fait un dispositif médical de classe IIa en Europe. Ce marquage CE ne constitue toutefois pas une validation de son efficacité clinique par la communauté scientifique : il signifie simplement que le produit répond à certaines exigences de sécurité et de performance déclarative. Il est proposé à la location pour 49,90 euros par mois. Le changement de statut en dispositif médical, quoique significatif sur le plan réglementaire, n’a pas été accompagné de publications évaluées par les pairs venant valider son efficacité thérapeutique.
Une technologie aux fondements scientifiques chancelants
Le bracelet Remedee revendique l’héritage de la thérapie par ondes millimétriques, une pratique expérimentée dans les années 1970 en URSS et peu à peu tombée dans l’oubli. Selon la brochure de l’entreprise, les OMM stimuleraient les terminaisons nerveuses sous-cutanées, ce qui induirait une production d’endorphines et d’autres neuromédiateurs (dopamine, sérotonine), avec un effet antalgique durable.
Pour étayer ces affirmations, Remedee cite quelques publications scientifiques, toutes anciennes, peu reconnues, et issues de journaux marginaux :
- Une étude de Usichenko et al. (2006)[1], parue dans Evidence-Based Complementary and Alternative Medicine, conclut prudemment à un effet hypoalgésique potentiel des OMM. Cette revue a depuis été exclue du Web of Science pour manque de rigueur dans son processus de relecture.
- Une autre étude (Usichenko et al., 2003)[2] est publiée dans Acupuncture & Electro-Therapeutics Research, périodique à la ligne éditoriale ouvertement orientée vers les médecines alternatives.
- Un troisième papier (Alekseev et al., 2010)[3] observe une modification de l’activité nerveuse chez la souris, mais ne permet aucune conclusion sur les effets cliniques chez l’humain.
Aucune de ces publications ne constitue une preuve robuste d’efficacité. Le principal auteur, Taras Usichenko, a depuis cessé toute publication sur les OMM, se consacrant à l’acupuncture.
Une stratégie marketing déconnectée des preuves disponibles
La stratégie de communication de Remedee Labs s’appuie sur un discours technoscientifique séduisant, en mobilisant des concepts biomédicaux légitimes (endorphines, modulation parasympathique, plasticité neuronale) pour habiller un dispositif dont l’efficacité clinique n’a jamais été démontrée. Le livre blanc de l’entreprise (2020) en est un parfait exemple : il consacre vingt pages à exposer le rôle physiologique des endorphines et leur lien théorique avec la douleur ou le sommeil, mais sans jamais apporter la preuve que le bracelet Remedee permet effectivement de déclencher ces effets.
Les rares résultats expérimentaux présentés dans ce document concernent l’étude interne Remedee 0, conduite sur 10 volontaires sains. Celle-ci ne montre aucun effet significatif sur la douleur, et les auteurs eux-mêmes reconnaissent une variabilité trop élevée pour tirer des conclusions robustes.
Le dispositif est pourtant commercialisé à grande échelle, alors même que Remedee revendique vouloir démontrer son efficacité dans de futurs essais toujours en cours. Ce décalage entre la rhétorique de la preuve et la réalité des données disponibles constitue un manquement éthique majeur.
Remedee revendique en outre une capacité à réduire les besoins en opioïdes, et à fournir une alternative sûre à ces médicaments. Si la crise des opioïdes est bien réelle et dramatique, elle ne justifie en rien de promouvoir des solutions dont l’efficacité n’a pas été rigoureusement démontrée. La substitution rhétorique des opioïdes par la promesse endorphinique relève ici d’un storytelling opportuniste, non d’un progrès thérapeutique fondé sur les faits.
Une couverture médiatique complaisante
Fait notable : malgré la faiblesse des preuves, Remedee Labs a bénéficié d’une couverture médiatique largement favorable. De nombreux articles de presse et interventions télévisées ont présenté le bracelet comme une innovation technologique prometteuse, sans jamais interroger la robustesse scientifique des études citées.
Par exemple, en 2023 l’émission Télématin sur France 2 a diffusé un reportage intitulé « Santé – Cadeau “bien-être” : tous efficaces ? » qui valorise le bracelet Remedee comme une alternative douce contre la douleur chronique, sans aucune mise en perspective critique.
Sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, un sujet sur l’arthrose mettait en avant le bracelet comme une solution innovante, en lien avec une étude conduite au CHU de Grenoble, sans mention des limites méthodologiques ni du statut non médical du dispositif (France 3 ARA, 2023, extrait consulté via https://remedeelabs.com/presse/).
Aucun journaliste n’a, à ce jour, mené d’enquête critique sur le produit, son efficacité ou son modèle économique. Cette absence de contradiction publique a contribué à valider implicitement la communication de l’entreprise, en entretenant l’idée d’un consensus scientifique inexistant. Le relais médiatique sans contre-expertise alimente ainsi un engouement qui précède la preuve. À ce jour, aucune de ces apparitions médiatiques ne s’est accompagnée d’un débat contradictoire sur l’efficacité du dispositif, ni d’une interrogation sur l’absence de publication scientifique dans des revues à comité de lecture.
Une absence de progrès qui interroge
Remedee Labs affirme depuis plusieurs années être engagée dans un programme actif de recherche clinique. Pourtant, près de neuf ans après sa création, aucun essai publié dans une revue scientifique évaluée par les pairs ne vient confirmer les promesses initiales. Les études FIBREPIK et EPIKARTHROSE, maintes fois mises en avant, n’ont toujours pas fait l’objet d’une publication formelle. Quant au programme de recherche évoqué dès 2020 dans le livre blanc de l’entreprise, il semble n’avoir produit aucun résultat public exploitable.
L’entreprise met pourtant en avant, depuis 2024, l’obtention du marquage CE pour l’indication « fibromyalgie », et depuis avril 2025 pour la douleur liée à l’arthrose. Ces certifications lui permettent de présenter son bracelet comme un dispositif médical en Europe. Mais ces marquages ne constituent pas une preuve d’efficacité validée par la communauté scientifique — ils signifient simplement que le produit respecte des exigences réglementaires de sécurité et de performance déclarative.
Aucune des études cliniques à l’origine de ces autorisations n’a été publiée à ce jour dans une revue scientifique évaluée par les pairs, et l’entreprise ne donne aucun calendrier ni engagement ferme à ce sujet.
Cette inertie scientifique contraste avec la continuité de la commercialisation du produit, la prolifération des supports marketing, et le déploiement de partenariats industriels comme celui conclu avec UPSA. En 2025, la communication repose encore sur un petit noyau d’études expérimentales datant de plus de vingt ans, et sur des schémas physiologiques hypothétiques autour des endorphines.
Le site de Remedee Labs continue de promettre des résultats à venir et des études en cours, sans calendrier transparent ni engagement à publier dans des revues indépendantes. Cette opacité dans le suivi scientifique constitue un signal d’alerte fort pour tout acteur de santé ou pour tout patient en quête d’arguments fondés.
UPSA, caution déroutante
Depuis 2023, Remedee Labs a reçu le soutien d’UPSA, filiale du groupe japonais Taisho. Cette entreprise historique, célèbre pour ses médicaments comme l’Efferalgan ou le Dafalgan, offre à la start-up une caution redoutablement efficace : celle d’une grande entreprise pharmaceutique.
Mais ce soutien pose question : pourquoi un laboratoire aussi réputé accepte-t-il de promouvoir un dispositif non homologué, aux preuves scientifiques aussi faibles ? UPSA se positionne-t-il comme simple diffuseur de produits de bien-être ou tente-t-il de s’ouvrir au marché juteux des douleurs chroniques sans passer par la rigueur des essais cliniques ?
La même interrogation vaut pour le comité scientifique affiché par Remedee Labs, composé de médecins hospitaliers, chercheurs et spécialistes du système nerveux. À première vue, ces personnalités semblent apporter une caution légitime à l’entreprise. Mais leur simple présence ne constitue pas un gage de validation scientifique. Aucune de ces personnes n’est, à ce jour, co-auteur d’une publication évaluée par les pairs démontrant l’efficacité du bracelet. L’effet de halo conféré par ces noms, même compétents dans leur domaine, ne remplace pas une preuve clinique publiée. Leur rôle exact dans la conception des études, l’interprétation des résultats ou la validation des mécanismes d’action reste opaque.
Cette instrumentalisation possible d’un comité scientifique à visée de communication mérite d’être interrogée : s’agit-il d’un engagement rigoureux ou d’un simple vernis d’expertise ?
Une clientèle vulnérable, un modèle lucratif
Le bracelet Remedee ne se vend pas : il se loue, 49,90 euros par mois. Cette formule d’abonnement crée une rente durable pour l’entreprise. La brochure tarifaire de janvier 2023 précise que toute perte, vol ou non-restitution du bracelet entraîne une pénalité de 249,90 €, soit cinq mois de location. Même sans engagement, ce modèle repose sur des mécanismes financiers coercitifs, mal connus des patients. Des frais de retard, d’impayés ou de remplacement peuvent rapidement rendre cette solution coûteuse, voire dissuasive pour les personnes les plus vulnérables.【source : remedee Brochure-Tarifaire-23012023.pdf】.
L’abonnement inclut également un « coaching santé » et l’accès à une communauté en ligne, sans que la qualification du personnel encadrant, ni la portée réelle de ce suivi ne soient détaillées. EN avril 2024, ils revendiquaient plu de 5000 abonnés (source).
Les témoignages enthousiastes publiés sur le site de Remedee relèvent du marketing classique. Rien n’y permet de distinguer un effet spécifique de l’appareil d’un effet placebo puissant, très documenté dans les douleurs chroniques (Cormier et al., 2016)[4].
Une dérive de la médecine vers le bien-être pseudo-thérapeutique
Ce cas est emblématique d’une tendance alarmante : l’adoption par l’industrie pharmaceutique de dispositifs présentés comme innovants, mais sans assise scientifique sérieuse. Dans le cas de Remedee, la rhétorique médicale masque mal l’absence de validation. L’ambiguïté entretenue entre « prise en charge globale » et traitement d’une pathologie laisse le public mélanger les registres.
Les autorités de santé et les ordres professionnels devraient s’alarmer de ce glissement. L’exploitation d’une clientèle en souffrance avec un dispositif non validé, adoubé par un grand nom de la pharmacie, devrait avoir attiré l’attention des professionnels de l’éthique médicale.
Conclusion
Remedee Labs commercialise un dispositif aux promesses non prouvées, fondé sur une théorie biologique incertaine, validé par aucune publication scientifique solide. Le soutien d’UPSA brouille les lignes entre soin et bien-être commercial. Les douleurs chroniques méritent mieux que des gadgets loués au mois.
Il est urgent de rappeler que toute allégation médicale doit être fondée sur des preuves. Sinon, il ne s’agit pas de médecine, mais de marketing.
Contacté, Remedee Labs, n’avait pas donné suite à mon message au moment de publier cet article. Remedee Labs ou UPSA peuvent exercer leur droit de réponse à ce texte. Tout échange contradictoire sera le bienvenu.
Acermendax
Références
[1] Usichenko TI, Edinger H, Gizhko VV, Lehmann C, Wendt M, Feyerherd F. (2006) Low-intensity electromagnetic millimeter waves for pain therapy. Evid Based Complement Alternat Med. (2):201-7. doi: 10.1093/ecam/nel012. Epub 2006 Apr 24. PMID: 16786049; PMCID: PMC1475937. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16786049/
[2] Usichenko TI, Ivashkivsky OI, Gizhko VV. (2003) Treatment of rheumatoid arthritis with electromagnetic millimeter waves applied to acupuncture points–a randomized double blind clinical study. Acupunct Electrother Res.;28(1-2):11-8
[3] Alekseev SI, Gordiienko OV, Radzievsky AA, Ziskin MC. (2010) Millimeter wave effects on electrical responses of the sural nerve in vivo. Bioelectromagnetics.
[4] Cormier, Stéphanie; Lavigne, Geneviève L.; Choinière, Manon; Rainville, Pierre. Expectations predict chronic pain treatment outcomes. PAIN 157(2):p 329-338, February 2016. | DOI: 10.1097/j.pain.0000000000000379
Merci pour ce billet de blog.
Il y a quelques années, j’avais vu les bracelets Remedee et ayant connu quelqu’un avec une fibromyalgie j’avais beaucoup d’espoir même si je restais sceptique notamment parce qu’il me semblait que le coaching dans l’étude FIBREPIK était probablement ce qui faisait le plus d’effets (quand on accompagne quelqu’un forcément ça marche mieux quand on laisse quelqu’un tout seul ! Qui l’eut cru !) par rapport aux vibrations. Je l’avais lu à l’époque.
Il me semble cependant que l’étude FIBREPIK a été publiée récemment : https://journals.lww.com/md-journal/fulltext/2025/03070/millimetre_wave_based_neuromodulation_combined.49.aspx
Je ne connais pas bien ce journal mais il dit faire du peer reviewing, et je ne suis pas du tout expert dans le domaine ou dans la recherche scientifique, je n’ai aucune idée de s’il est digne de confiance ou non.