Bonus -Suaire de Turin- L’emplacement des clous
Les clous sont la preuve de l’authenticité !?
C’est l’un des derniers bastions des défenseurs du suaire : Le Christ du suaire a des clous dans les poignets, pas dans les paumes. Or, dit-on, au Moyen Âge, on croyait que Jésus avait été cloué dans les mains. Un faussaire de cette époque ne pouvait pas inventer ce détail anatomique, donc le suaire est authentique. Cette idée impressionne. Elle repose pourtant sur un malentendu : l’imagerie médiévale n’est pas aussi uniforme qu’on le prétend.
On trouve dans l’art chrétien antérieur au suaire — parfois de plusieurs siècles — des représentations de la crucifixion avec des clous au poignet ou dans l’avant-bras. Le célèbre Évangéliaire de Rabbula (vers 586), manuscrit syriaque conservé à Florence, montre le Christ cloué de façon ambiguë, avec des fixations situées plus bas que la paume. Sur le Psautier d’Utrecht (vers 820–830) les clous semblent enfoncés dans les poignets. D’autres exemples issus de l’art byzantin ou carolingien (ivoire de Lorsch, psautier de Stuttgart, plaques irlandaises) vont dans le même sens. Faisons bien attention ; les églises médiévales n’avaient pas vocation à fournir une description scientifique de la crucifixion, mais à évoquer la Passion. De ce fait, tout attribut anatomique précis y est généralement absent, et il est donc difficile de réaliser une observation nette du positionnement des clous qui pourrait réfuter « l’argument du poignet ». Mais justement… l’affirmation selon laquelle seul le poignet était connu comme lieu de crucifixion dans l’art ancien n’est pas étayée visuellement par des sources explicites : en réalité ces œuvres restent silencieuses sur cette question.
Le débat sur l’emplacement des clous dans la crucifixion oppose depuis longtemps les partisans du poignet aux défenseurs de la paume. Frederick T. Zugibe, médecin légiste connu pour ses prises de position pro-suaire, soutenait que plusieurs zones dans la main — et non uniquement le poignet — pouvaient permettre une suspension sans déchirure des tissus. Il écrivait notamment : « Il existe plusieurs zones solides dans la main permettant un clouage viable. Les deux affirmations contraires [sur l’impossibilité des paumes et la nécessité du poignet] sont incorrectes. » (The Crucifixion of Jesus, 2005). Même Pierre Barbet, souvent invoqué comme “preuve” du clouage au poignet, admettait plusieurs hypothèses, dont la paume supérieure. Ces débats montrent surtout que la question est anatomiquement ouverte, qu’elle l’était déjà au XXe siècle, et qu’aucune configuration ne permet de trancher définitivement en faveur d’une empreinte historique
L’évolution de la médecine légale ne plaide pas en faveur d’un secret réservé aux modernes. Il s’agit de questions techniques largement accessibles dès que l’on expérimente la suspension de charges sur des structures osseuses.
Les artistes médiévaux n’étaient pas prisonniers d’une seule tradition iconographique : ils puisaient dans différents modèles pour représenter la Passion, capables de varier selon l’espace culturel et théologique. Le détail du poignet n’a donc rien d’une exclusivité “impossible” à l’époque.
Et les pieds alors ?
Si l’on accorde tant d’importance à la position des clous dans les mains, pourquoi ne pas examiner avec la même rigueur ceux des pieds ? Le suaire montre une trace plantaire presque complète du pied droit, mais seulement le talon du gauche. Cela a conduit plusieurs sindonologues, dans le sillage de Pierre Barbet, à supposer que les pieds étaient superposés l’un sur l’autre et traversés d’un seul clou. Ce scénario est devenu un standard de la littérature pro-suaire, censé refléter un mode de crucifixion plausible, voire méconnu au Moyen Âge. Mais là encore, les faits archéologiques bousculent le récit.
Le seul cas bien documenté de crucifié — le squelette de Giv’at ha-Mivtar, découvert en 1968 près de Jérusalem — montre un clou enfoncé latéralement à travers le talon (calcanéum), sans recouvrement des pieds. Aucune preuve archéologique ou textuelle ne confirme le modèle proposé par les partisans du suaire. En revanche, l’iconographie chrétienne médiévale tardive, notamment à partir du XIIIᵉ siècle, représente régulièrement le Christ avec les pieds croisés et cloués ensemble — souvent avec un seul clou. L’image du suaire semble donc bien plus proche d’une convention artistique gothique que d’un témoignage physique issu du Ier siècle.
Les empreintes de sang censées attester de ce montage n’apportent pas non plus de confirmation décisive. Leur orientation ne suit pas une logique gravitationnelle attendue, ni une distribution cohérente avec les flux sanguins d’un corps suspendu. Là encore, on perçoit davantage une esthétique pensée pour susciter l’émotion qu’une documentation anatomique rigoureuse. Les sindonologues affirment qu’un faussaire médiéval n’aurait jamais imaginé ce type de crucifixion. Mais il est permis de penser, à l’inverse, que ce faussaire a justement imité ce qu’il voyait dans les œuvres de son temps.
Acermendax
Sources
- Barbet, P. (1953). A Doctor at Calvary. Garden City, NY: Image Books.
- Center for Inquiry. (2021). Crucifixion Evidence Debunks Turin “Shroud”. https://centerforinquiry.org/blog/crucifixion-evidence-debunks-turin-shroud
- Haas, N. (1970). Anthropological observations on the skeletal remains from Giv‘at ha-Mivtar. Israel Exploration Journal, 20(1–2), 38–59.
- Henderson, G. (1987). From Durrow to Kells: The Insular Gospel-books 650–800. London: Thames & Hudson.
- Ruffin, C. B. (1999). The Shroud of Turin: The Most Up-To-Date Analysis of All the Facts Regarding the Church’s Controversial Relic. Our Sunday Visitor.
- Zugibe, F. T. (1989). Two Questions About Crucifixion. Bible Review, avril 1989, 35–43. Disponible en ligne sur le site de la Biblical Archaeology Society
- Zugibe, F. T. (2005). The Crucifixion of Jesus: A Forensic Inquiry. New York: M. Evans & Company.




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