Art, militance et Pensée critique (TenL#55)
Enregistré le 26 novembre 2017
Invité : Maxime GINOLIN.
Editorial
Les artistes engagés ont toujours été à l’avant-poste de la remise en question des confortables certitudes de la société. Contre l’ordre établi, il faut du talent et de la motivation pour faire entendre un message critique. L’urgence d’une situation, d’un préjudice, d’une injustice insupportable ne souffre pas vraiment la contradiction. Quand il s’agit de défendre des valeurs, le compromis n’est pas envisagé et le débat peut faire figure d’obstacle au changement jugé nécessaire.
À travers le prisme de la militance, c’est-à-dire l’attitude du militant, certaines choses sont simplement inacceptables et d’autres non négociables. Des générations de militants ont transformé notre monde. Nous bénéficions aujourd’hui de ce qu’on appelle les acquis sociaux, des droits et des libertés qui n’allaient pas de soi dans le passé, qui nous semblent des évidences aujourd’hui… mais qui pourraient bien disparaître demain si on laisse à la manœuvre ceux que ces acquis dérangent.
Ce préambule pour souligner le respect que l’engagement doit pouvoir susciter, l’importance qui est la sienne. On peut douter toutefois des résultats qu‘il est raisonnable d’espérer obtenir en ne mobilisant que des valeurs et de la motivation. Les mouvements populistes et réactionnaires savent motiver leurs troupes autour de certaines valeurs avec autant de talent que les mouvements dit progressistes ou libéraux. Ce qui les distingue, c’est le contenu de leur argumentaire et, souvent, la relation entre leur discours et l’éclairage que la science donne sur le fonctionnement de la nature et de la société.
Si la logique militante a pour objectif la transformation du monde, la première étape logique semble bien être de décrire au mieux l’état actuel du monde et les mécanismes par lesquels le changement attendu peut être obtenu. Cela implique d’être méthodique et rigoureux et pas seulement motivé et vigoureux. En d’autres termes, cela exige de la méthode.
On peut donc s’attendre à ce que la science : sa méthode, ses résultats, soient pleinement embrassés par les militants parce qu’un argument reposant sur une connaissance solide a toutes les chances de mieux résister aux contre-discours. Dans un monde idéal, en tout cas. Mais l’humain est plus sensible aux appels à l’émotion qu’aux démonstrations logiques. Il est donc tentant de l’attraper par les sentiments, quitte à tordre les faits. Qui veut la fin veut les moyens, et travestir la réalité devient une stratégie acceptable.
Le risque, c’est qu’à convaincre avec de mauvais arguments, on construit des convictions sur des fondations bien fragiles, on n’éclaire pas vraiment les gens et on les prépare à ce que des menteurs plus doués les amadouent vers des idées douteuses. On peut se demander si le jeu en vaut la chandelle.
Du côté des rationnalistes on se montre donc volontiers critique avec l’argumentaire des militants, y compris, voire surtout, quand la cause nous parait mériter d’être défendue avec la force des connaissances produites par la science. Mais nous ne devons pas oublier qu’il faut souvent la vigueur de convictions bruyamment partagées pour que certaines questions se posent enfin, que des travaux reçoivent financement et attention, et que le monde de la recherche s’attache à son autocritique avec toute le soin qu’elle mérite.
Nous recevons Maxime Ginolin, artiste engagé, dont le parcours est marqué par le besoin d’agir pour améliorer le monde et un scepticisme sur les moyens déployés à cette fin. Parviendrons-nous, avec lui, à décrire la synthèse de l’esprit critique et de l’esprit de militance ?
« Cela implique d’être méthodique et rigoureux et pas seulement motivé et vigoureux »
Je trouve cette phrase très poétique.