Point de vue zététique sur le Paranormal

« Des affirmations extraordinaires réclament des preuves plus qu’ordinaires. »

Carl Sagan.
Carl-Sagan

Le statut de la preuve.

Cette citation est parfois mal comprise. D’aucuns pensent qu’elle est fausse, car ils estiment qu’il faut exactement le même niveau de « preuve » pour prouver… tout. Et a priori cela semble vrai : une preuve définitive et absolue peut être exigée tout autant pour l’existence du Yéti ou pour celle de l’Arc de Triomphe… Mais un rhéteur maniant le doute hyperbolique à la Pyrrhon sera capable de nier l’existence de l’un comme de l’autre, précisément parce qu’une preuve absolue, ça n’existe pas.

Il est en effet impossible de réfuter la croyance de celui qui prétend que l’univers tout entier n’est qu’une hallucination ou la projection de son propre esprit. Mais qui voudrait s’y aventurer ? Est-ce employer son temps de manière raisonnable ? Qui veut administrer la preuve absolue qu’il a raison ?

Ceux d’entre nous qui usent du doute méthodique savent que toute proposition irréfutable est étrangère à la pensée critique. Pour être dans le champ de l’analyse rationnelle, une proposition doit être réfutable, c’est pourquoi une preuve scientifique est toujours provisoire, soumise à la découverte éventuelle d’une preuve qui la contredirait ou apporterait des nuances à ce que nous tenons pour vrai aujourd’hui. Je le répète : une preuve absolue, en science, c’est une expression antinomique, une absurdité axiomatique.

Il n’est jamais question en science de prouver de manière absolue « X = Y », mais d’apporter les éléments qui permettent de dire avec une confiance suffisante qu’il est raisonnable de considérer que « X = Y » est exact jusqu’à preuve du contraire.

Et par conséquent la question que se pose un sceptique [et il convient toujours de l’être dans le cadre d’une démarche scientifique] est la suivante : Ai-je une bonne raison de penser que « x = y » est vrai, et au contraire y a-t-il des raisons de penser que c’est faux ? Enfin, une fois cela pris en considération, est-il raisonnable de ma part de considérer que « x = y » est vrai. Nulle part il n’est question de prétendre détenir la vérité mais de faire un choix raisonné entre l’acceptation ou le rejet d’une proposition.

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Le paranormal, quezako ?

La définition de paranormal est « Qui n’est pas explicable par la science. » C’est à la fois extrêmement simple et terriblement nébuleux. Les phénomènes paranormaux sont par définition des phénomènes que nos outils rationnels ne peuvent expliquer. Cela pose deux problèmes :

1- Qui serait assez prétentieux pour affirmer que jamais la science n’expliquera X ?

Dès lors comment affirmer que X est bel et bien paranormal ? Il faut ajouter à la définition que le phénomène n’est pas explicable par la science actuelle, et cela change déjà pas mal de choses.

2- L’existence de X peut-elle être constatée par la science ?

Cette deuxième question est plus pragmatique. Prenons comme exemple l’effet psi, c’est-à-dire la capacité ‘paranormale’ supposée de l’être humain à faire bouger des objets par la pensée, ou bien à communiquer à distance là aussi par le seul moyen de la pensée.

Dans un premier temps la science n’a pas besoin d’établir un modèle explicatif de l’effet psi, ni d’en comprendre les modalités ou n’importe quelle composante. Rien de cela n’est requis pour constater l’existence du phénomène. L’existence de la gravité était perceptible et démontrée bien avant que les physiciens ne commencent à nous expliquer de quoi il s’agit. J’ajoute qu’il est bien possible que nous n’ayons qu’une compréhension tout à fait parcellaire de que ce la gravitation est en réalité, voire que nous soyons condamnés à ne jamais réellement comprendre de quoi il s’agit… Si tel est le cas, la gravitation est, par définition, paranormale.

Notez comme cela n’empêche nullement les scientifiques d’utiliser des modèles théoriques qui donnent des résultats pratiques, ce qui ne laisse place à aucun doute sur l’existence de la gravité. Le paranormal, c’est donc potentiellement ce qui échappe à l’explication scientifique, mais ce n’est certainement pas ce qui échappe à l‘observation scientifique.

Tout phénomène dont un humain fait l’expérience se produit dans un contexte où il est scientifiquement possible de constater la réalité de cette expérience, soit par des observations directes, des mesures sur le terrain ou encore, dans l’hypothèse où l’expérience serait purement subjective, par l’examen de l’activité cérébrale de la personne qui vit ce phénomène. Tout phénomène qui affecte un être humain est ipso facto de nature à être constaté par un autre être humain. Le paranormal ne fait pas exception, et force est de constater qu’aucune expérience scientifique, jamais, n’a produit le constat de la réalité d’un phénomène qui corresponde à ce qu’on appelle le paranormal.

La conclusion rationnelle qui s’impose est donc que les phénomènes paranormaux n’existent pas[1].

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Le curseur vraisemblance.

Mais revenons à la phrase de Sagan : « Des affirmations extraordinaires réclament des preuves plus qu’ordinaires. » Et montrons qu’il s’agit d’un principe de bon sens que nous appliquons tous, sauf quand nous avons déjà décidé de croire quelque chose.

Pour ce faire, réalisons ensemble une petite expérience de pensée.

  1. Vous rencontrez une personne que vous connaissez un peu, mais pas trop… Elle vous dit qu’elle a déjeuné au restaurant la semaine passée. À moins de suspecter qu’elle ait des raisons de mentir (elle cherche un alibi par exemple), rien ne vous permet de penser qu’elle vous ment. Elle vous dit qu’elle a mangé des moules et cette affirmation tout à fait ordinaire vous semble crédible : je suppose que vous acceptez bien volontiers que cette proposition est vraie. Fin de la première étape.
  2. Cette personne que vous connaissez, mais très peu, vous dit que les moules l’ont rendue malade. Rien n’indique qu’elle soit de mauvaise foi, elle croit réellement ce qu’elle vous dit. Pourtant cette affirmation est un peu moins ordinaire que la précédente, en tout cas on peut l’espérer. Et vous pouvez imaginer bien d’autres scénarii où ce ne sont pas les moules qui ont rendu cette personne malade. Sans doute lui demandez-vous si elle est certaine du lien de causalité. Elle vous répond que sur six convives ce soir-là, les trois qui ont mangé des moules ont tous été malades, et l’une de ces personnes est justement présente pour vous confirmer que c’est exact. Je pense que ces informations supplémentaires peuvent vous convaincre qu’il est raisonnable de penser que les moules servies ce soir-là ont bien rendu malades au moins trois clients, c’est un évènement malheureux mais qui n’est pas inconcevable, ce genre de chose arrive parfois. Cette proposition moins ordinaire est assortie des éléments de preuve qui la rendent crédible.
  3. Un peu plus tard, elle vous confie que l’indigestion de moules lui a donné accès à des réminiscences sur ses vies antérieures. Elle fut autrefois un shaman dans les steppes asiatiques et vous donne quelques détails sur ses visions. Jusqu’à présent cette personne semblait tout à fait saine d’esprit, et si elle vous dit cela c’est à l’évidence qu’elle pense que c’est la vérité. D’ailleurs le convive qui a été rendu malade par les moules confirme l’histoire, car lui-même a eu accès à son passé de corsaire dans les mers chaudes des caraïbes. Notez que les preuves sont exactement de la même nature que dans l’étape 2 : deux récits concordants. Pourtant cette fois il vous semble que la proposition extraordinaire selon laquelle une indigestion de moules dans ce restaurant éveille une personne à ce qu’elle a connu dans une vie antérieure est loin d’être avérée, et vous jugez même qu’il est raisonnable de penser que c’est faux en l’état actuel des choses. La personne aura pu se laisser abuser, après tout vous ne la connaissez pas très bien et il se peut qu’elle soit sujette à une vision déformée du monde ou qu’elle soit facilement influencée par diverses modes de suggestion.

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Dans les trois cas ci-dessus présentés vous avez très certainement attribué un niveau de vraisemblance à chaque proposition avancée. Dans le premier cas ce niveau est assez élevé pour qu’elle soit acceptée comme telle. Dans le deuxième cas, la vraisemblance de la proposition est un peu plus faible, il est raisonnable de douter du lien de causalité avancé par le premier témoin, mais les informations supplémentaires suffisent pour convaincre un interlocuteur raisonnable que la version présentée est probablement vraie. Dans le dernier cas on se trouve avec une proposition sans aucun précédent avéré et qui viole ce que l’humain sait ou croit savoir sur la nature et le fonctionnement du monde. À tort ou à raison, vous estimez qu’il vous faut plus que deux témoignages pour attester qu’il est raisonnable de croire que cette indigestion donne accès à des souvenirs d’une vie antérieure.

Vous avez emDoubtFactorployé, peut-être sans le savoir, une logique bayésienne en attribuant a priori un niveau de crédibilité à ce qui vous est raconté. Vous avez placé un curseur de vraisemblance. Et ensuite vous avez comparé les éléments de preuve à ce curseur pour déterminer si oui ou non vous deviez la tenir pour vraie. Et vous avez par vous-même démontré qu’une affirmation extraordinaire réclame des preuves plus qu’ordinaires.

Extraordinary claims require extraordinary evidence. 

***

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—-

[1] Jusqu’à preuve du contraire, évidemment.

2 réponses
  1. Un passant
    Un passant dit :

    L’exemple donné laisse penser qu’un million de témoignages plutôt que deux permettrait d’être sûr que manger des moules pas fraiches permet de voir ses vies antérieures. Or, c’est l’argument que j’entends le plus souvent concernant tout « phénomène » de l’ordre du vécu (NDE, expérience de dieu, …) et il n’est pas du tout convaincant. Tous les jours, tout le monde voit que le sol est fixe et que le soleil tourner autour de la terre. Mais recueillir un million de témoignages du « phénomène » ne changera rien au fait que ce n’est pas qui se passe en réalité.

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