La science a ses limites
La science n’explique pas tout !
Vous avez déjà entendu, lu ou prononcé cette sentence. Elle tombe dans un débat ou dans une discussion au moment où il faudrait avouer que l’on n’a pas d’argument pour soutenir une opinion sur un phénomène non expliqué (voire non avéré).
Elle abonde à la bouche de ceux qui veulent croire aux voyages astraux ou au pouvoir de guérison des pierres. Puisque la science n’explique pas tout, il faudrait accepter que leur conviction personnelle, souvent fondée sur des ouï-dire, est raisonnable. Il faudrait respecter leur opinion. Respecter est ici le maître mot, mais dans ce contexte il a le sens un peu particulier que l’on est prié de se retenir de critiquer, de questionner, de demander des preuves. Puisque la science a ses limites, alors on veut pouvoir croire à l’existence du Monstre du Loch Ness, mais surtout on veut pouvoir le dire sans recevoir de contredit. Au nom de la liberté.
Sauf que non. Cela ne fonctionne pas de cette manière.
Tout ne s’explique pas ?
Expliquer, ce n’est pas produire une agréable narration, un récit confortable, c’est décrire la chaîne causale d’événements qui produit le phénomène dont il est question. Expliquer est donc une tâche ardue qui nécessite de franchir d’innombrables obstacles entre la nature telle qu’elle existe dans son infinie complexité et notre compréhension de ce qui s’y passe. La science implique un travail laborieux, lent, et elle affiche des résultats imparfaits, souvent approximatifs. Mais ce sont des résultats fiables, et ce n’est pas rien. Pour frustrante que soit notre ignorance, il serait sage de ne pas oublier que le peu que l’on sait n’a pas été acquis par la transcommunication instrumentale, par le chamanisme, l’astrologie, la méditation ou la prière, mais bien par l’utilisation d’une méthodologie rationnelle et sans cesse raffinée. La science n’explique pas tout, mais ce qu’elle n’explique pas, on se demande bien qui saurait l’expliquer mieux, et comment l’on pourrait évaluer la validité de ce savoir.
En effet une connaissance que l’on ne sait pas justifier est-elle toujours une connaissance ? Quand, deux fois par jour, une montre cassée indique l’heure exacte, en devient-elle fiable ?
Celui qui dit « la science a ses limites », pose souvent ce préambule à une affirmation sans preuve (parfois elle est improuvable du reste) que l’on devrait accepter pour vraie au nom de tout ce qu’on ignore sur l’univers. Ce sophisme se nomme l’appel à l’ignorance. On peut toujours se dire « oui mais si jamais X est vrai, alors... » et imaginer des litanies de conséquences toute parsemées d’hypothèses ad hoc. Sur la base de ce que l’on ignore à propos de phénomènes hypothétiques, on peut construire des histoires cohérentes, c’est d’ailleurs le point de départ de beaucoup d’œuvres de fiction. Or, on ne demande pas à la fiction de nous décrire comment marche le monde, et en échange elle ne prétend pas le faire.
On explique quand même pas mal de choses.
Tout phénomène que les sens humains nous permettraient d’observer est accessible à l’expérimentation scientifique. Ce n’est pas forcément facile, cela peut nécessiter des protocoles complexes, longs, rébarbatifs, mais il n’y a aucune raison pour dire par exemple que la communication avec les défunts ou le voyage astral échapperait à la règle. Même des phénomènes réputés immatériels peuvent être étudiés, puisque ceux qui les rapportent sont faits de matière, possèdent un cerveau également fait de matière, et que l’on peut observer cette matière et mettre en place des protocoles dans lesquels le phénomène présumé a une action sur cette matière.
« La science n’explique pas tout » est alors un faux-fuyant qu’emploient ceux qui veulent continuer de croire en s’exonérant de tout effort pour prouver ce qu’ils disent. Bien sûr, rien ne les oblige à prouver ce qu’ils pensent, rien ne doit empiéter sur leur liberté de le penser. C’est un droit primordial. De même nous devons jouir de la liberté primordiale de rappeler à ceux qui voudraient convaincre les autres de la justesse de leurs thèses sur tel ou tel phénomène, qu’il existe un moyen connu, reconnu, éprouvé, pour eux de le faire. Ce n’est pas en vendant des livres, des conférences ou des films. Ce n’est pas en racontant des histoires sympathiques. Ce n’est pas non plus en dénigrant le travail des autres ou en jouant la victime offensée par le scepticisme légitime qui accueille leurs prétentions. Non, ce moyen de faire leurs preuves, c’est la pensée méthodique, rigoureuse, expérimentale, ouverte, réfutable.
Bref, c’est la science qui prouvera l’existence de l’âme si l’âme existe ; c’est la science qui prouvera l’éventuelle existence de n’importe quel phénomène paranormal. On peut le dire avec une certaine assurance parce que c’est ce que nous enseigne l’histoire du savoir humain. Aucune connaissance apportée par la science n’a jamais été réfutée par une méthode magique ou par l’intuition. Quand une connaissance scientifique devient caduque, c’est toujours le résultat de plus de science.
… Jusqu’à preuve du contraire.
C’est pour ces bonnes raisons que vous ne pouvez vous attendre à voir les gens rationnels épouser votre opinion si vous ne vous astreignez pas à l’étayer avec des arguments vérifiables, avec des preuves réfutables. Et c’est pourquoi encore, si vous échouez à convaincre les sceptiques, la raison de cet échec est à rechercher en premier lieu dans l’hypothèse que votre opinion mérite d’être revue et corrigée.
« […] s’exonérant de tout* effort » dans le paragraphe avant la dernière image ! Mouhaha le réflexe correcteur en action !
Sinon, j’aime bien ces petits articles qui donnent des outils pour formuler clairement et de manière concise une réponse à tous ces igna… gens qui affirment des trucs péremptoires du genre « vous, les scientifiques, êtes tellement fermés d’esprit » ou « personne n’explique ça ! ».
Arriverai-je un jour à faire entendre raison à ma famille à propos de la non-scientificité de la psychanalyse ? Je ne sais pas, mais vous m’y aidez, c’est sûr.
En parlant de réflexe correcteur… « Pour frustrante que soi notre ignorance » je pense qu’il manque un t.
Encore un excellent article qui m’aide à avancer dans mes réflexions. Merci !
Scientifiques ou pas, ouverts d’esprits ou non, généraliser n’a jamais rien apporté de bon et de toute façon ce n’est pas rationnel.
Ce moment gênant où l’on se reconnaît dans 80% de la définition du scientiste … c’est si grave que ça de penser que tout peut, ou sera, être expliqué par la science ? 😡
Adjoint à la fameuse maxime « un problème sans solution est un problème mal posé », qui écarte des questions vides de sens, telles que le « sens de la vie », la « place de l’homme dans l’univers ».
Navré pour la teneur agressive du smiley, je n’avais pas moyen de savoir en quoi il serait traduit.
Bonjour,
il me semble que c’est bien parce que tu crois que la question du sens de la vie est vide qu’il est intéressant de te la poser.
C’est bien parce que le monde naturel dans lequel nous évoluons est absurde qu’il devient vital pour l’être humain de trouver le sens qu’il veut donner à sa vie (par exemple faire de la zététique pour essayer de réduire l’ignorance et la manipulation et améliorer la connaissance donc peut être le bonheur).
Les questions existentielles du type « le sens de la vie », sont des paradoxes, elles n’ont aucune raison d’être posées car elles ne possèdent tout simplement pas de réponse. En posant cette question on part du postulat qu’il y a une volonté à l’existence de l’homme, externe à sa propre survie. Hors un postulat de ce type rentre en contradiction avec nos connaissances sur la formation de l’univers après le mur de Planck ou encore la théorie de l’évolution.
Pour ce qui est de ta seconde réflexion, il s’agit du simple fait de trouver sa place dans une société, puisque nous sommes des êtres dotés de grandes capacités sociales.
A ta question « c’est si grave que ça de penser que tout peut, ou sera, être expliqué par la science ? » je suis bien obligé de te répondre… oui
je m’explique. La science est un processus continue et cumulatif. Nous nous appuyons sur ce qui a été fait avant nous pour découvrir de nouvelles connaissances. Donc ce que nous découvrirons demain n’est pas encore connu aujourd’hui. La science ne pourra jamais tout expliquer du monde sensible parce que ses outils (les mathématiques, la raison etc) sont humains et pourront jamais correspondre à la réalité brute et absurde de la matière.
De plus, la science ne pourra pas expliquer ce qui n’est pas son objet, ce qui est unique, non mesurable, subjectif, spirituel etc. Pour illustrer cela, la science ne pourra pas expliquer ce que sont « les milles et unes nuits », ce qu’est « la France » (et non pas seulement son territoire), ou « l’amour ». Bien sur, on pourra toujours mesurer plein de chose mais la science ne pourra pas rendre compte de l’émotion que je vis à lire un livre (c’est le boulot de la littérature), ce que sont toutes les abstractions de la cité (c’est le boulot du droit ou de la politique) ou encore ce qu’est ma vie avec ma compagne (c’est de nouveau le boulot de la littérature ou de la poésie). Nos vies ne se réduisent pas à ce qui se passe dans notre corps (même si bien sur ça en fait partie).
Reste le monde spirituel. Je ne vois pas comment la science pourrait expliquer rigoureusement (hypothèse1) l’ame ou Dieu. Si on s’accorde sur le fait que ce sont des choses spirituelles (hypothèse2) (Dieu n’est pas un grand papa avec une barbe qui se cache dans les nuages et l’ame ne devient pas pesante dans le corps le jour de notre mort alors que personne ne l’avait vu durant toute notre vie ) alors la science ne pourra rien en dire car ce n’est pas perceptible par les sens et l’expérimentation (« Tout phénomène que les sens humains nous permettraient d’observer est accessible à l’expérimentation scientifique. »). Que l’âme et Dieu existe ou non, qu’on y croit ou pas, la science ne peut rien en dire car ses résultat donneront la meme chose dans les deux cas. La science pourra toujours expliquer le monde et l’homme sans avoir besoin de recourir à l’hypothèse de Dieu ou de l’âme. En effet, si la science ne pouvait pas expliquer la nature alors cela voudrait dire que le phénomène manquant est physique ce qui contreviendrait à notre hypothèse2. Sinon, on peut recourir à la magie ou à des « hommes de paille » et inventer des dieux et des âmes qui sont spirituelles quand ça nous arrange et physiques quand ça nous arrange mais cela n’est pas rigoureux, ce qui contrevient à l’hypothèse1 posée en début de paragraphe.
enfin, la science ne peut pas répondre aux questions métaphysiques ou ontologiques car elle dépend des réponses à celles ci. Par exemple, la science ne peut pas répondre à la question: pourquoi l’outil mathématique permet-il de rendre compte du monde (ou une variante pourquoi l’outil mathématique est il plus efficace que les autres outil pour rendre compte du monde?). Plus ironiquement, il sera difficile à la science de répondre à la question pourquoi les scientistes veulent ils absolument imposer le modèle de la science physique aux autres domaines de la connaissance hors de la connaissance de la nature (phusis).
Pourquoi est ce grave ce penser que la science pourra tout expliquer? parce que ça correspond à une méconnaissance fondamentale du monde et de l’homme: le monde ne se réduit pas à ce qu’en dit la science. Nous vivons au quotidien dans un monde ou chaque instant est singulier (il ne se reproduira jamais) et nous l’interprétons subjectivement, « La science manipule les choses et renonce à les habiter ». Par contre, la science continuera a expliquer le monde sensible avec ses outils propres (et c’est une bonne chose).
Le risque est de croire à un monisme matérialiste et que le monde se réduit à ce qu’en dit la science et ainsi de vivre une vie inhumaine (où la question du sens de la vie est vide de sens) dans un monde qui se réduise à son absurdité.
(j’espère avoir été un minimum clair)
Bon, c’est vrai que je me suis très mal exprimé. Par « tout », j’avais en tête les phénomènes physiques, ce qui peut être observé, scruté et mesuré.
La question du sens de la vie, du beau, de l’amour, en sont encore très loin, puisqu’il nous faudrait maîtriser intégralement le fonctionnement de notre cerveau.
Malgré ça, j’ai une vision extrêmement mécanique du monde, où nous ne serions que le dernier produit d’un raffinement évolutionniste ayant commencé avec les mono-cellulaires il y a des millions d’années. Il n’y a pas de place pour le spirituel, l’abstrait, dans cette vision. Une IA naturellement développée, c’est tout ce à quoi je réduis l’être humain.
Néanmoins, je ne prosélyte pas cette vision, laissant chacun juge de sa pensée.
ta position me semble contradictoire. S’il n’y a pas de place pour le spirituel et l’abstrait… il n’y a pas de place pour la science…
Mais encore ? Je ne vois pas bien le lien entre le spirituel (religion, mysticisme, esprits …) et la science, qui étudie le monde matériel, physique.
La science étudie le monde matériel avec des outils conceptuels de nature spirituelle: des concepts, des chiffres, des raisonnements, etc. Tous ces éléments ne sont pas physiques ou matériels.
Ainsi, la position scientiste et matérialiste que tu défends me semble contradictoire car elle se nie elle même: la science explique tout et dit que tout ce qui spirituel n’a pas de place or la science est de nature spirituelle et non matérielle.
Je ne suis pas tout à fait d’accord Nicolas : Les concepts scientifiques ne supposent pas une réalité, dans le sens où ils n’interagissent pas avec la matière. En cela, ils sont différents du « spirituel » dont parle Mini. Ce type de spirituel, selon ses défenseurs, interagit avec la matière.
D’ailleurs, bien que je cherche à éviter de penser en scientiste et que je ne cautionne pas cette position, je n’arrive pas à me dire que par exemple, on n’arrivera jamais à trouver ce qu’est la conscience. Le beau, c’est subjectif, mais la conscience, ça « existe », nan ? On a des tests je crois ! Cette conviction m’embête quelque peu quand je parle de science avec un rhétoriste pro-« la science n’explique pas tout »
« oui mais si jamais X est vrai, alors… »
La science avance pas mal grâce à ce principe, non?
Si le mouvement des planètes est elliptique alors …, Si on accepte l’existence des nombres négatifs, alors…, Si les adipocytes jouent un rôle dans l’agressivité du cancer de la prostate, alors…
Bien sûr. Il faut bien poser des hypothèses pour produire de la connaissance. Mais en science on évite de tenir un raisonnement dont toutes les prémisses sont hypothétiques. On les teste et on les valide au lieu de les empiler à la manière d’un scénariste.
Mais je vous rejoins sur l’idée que distinguer la vraie science de la fausse science est parfois très compliqué.
Peut être que la premiére qualité d’une hypothése c’est d’être explicite. Et c’est ce qui pose probléme dans nombre d’hypothéses sous entendues, car construire du travail rigoureux là dessus semble bien aléatoire…
Il me semble que toute la difficulté repose sur un double sophisme : « Puisque la science n’explique pas tout, il faudrait accepter que leur conviction personnelle, souvent fondée sur des ouï-dire, est raisonnable. Il faudrait respecter leur opinion. » Déjà il faudrait définir ce que la science est censée faire, et les méthodes qu’elle emploie pour le faire. D’autant que la croyance au fait qu’il existe « une » science est discutable (l’opinion inverse, qui est qu’il existe « des » sciences, possède quelques arguments pour se défendre) : est ce que les sciences « sociales et historiques » et les sciences « de la nature » sont elles vraiment assimilables l’une à l’autre ?
En tout cas en ce qui concerne les domaines (et ils existent sans aucun doute) ou la science n’a pour le moment pas de réponse indiscutable, la prudence devrait mener à ne pas se servir de la science comme une « arme de guerre » dans un combat dans laquelle elle ne peut pas vraiment trancher…
Il me semble que dans de multiples domaines, on se sert des « sciences exactes » d’une façon tout a fait idéologique. On va prendre un exemple pratique : les horoscopes si présents (encore aujourd’hui dans les magazines féminins) : il me semble que l’étude d’Adorno (philosophe allemand, un des fondateur de la « théorie critique ») est bien plus pertinente que les études « scientifiques » sur le sujet