Congrès PRISME – Sur l’emprise mentale et les dérives sectaires

Voici le texte du petit discours d’introduction que j’ai prononcé pour le lancement du congrès du 13 décembre 2025

 

Ouverture du congrès

Bonjour à tous.

Merci d’avoir rejoint aujourd’hui ce premier congrès PRISME : Plateforme de Réflexion et d’Information sur le Sectarisme, la Manipulation et l’Emprise

Je prends la parole quelques minutes pour effectuer des rappels : les phénomènes sectaires ne sont ni marginaux, ni résiduels. Selon les estimations publiques, entre 500 000 et 1 million de personnes en France ont été confrontées à un phénomène d’emprise au cours de leur vie. La Miviludes reçoit chaque année plus de 4 000 signalements, dont environ 20 % concernent des mineurs. Rien que sur les cinq dernières années, la hausse des situations d’emprise signalées dépasse +40 %.

Et ces chiffres ne sont pas des abstractions. Ils représentent des vies bouleversées.

Les cinquante dernières années ont laissé une liste sombre de catastrophes : le suicide collectif de Jonestown en 1978 (918 morts dont 304 enfants), les massacres de l’Ordre du Temple Solaire dans les années 1990 (74 morts), l’attentat au gaz sarin perpétré par Aum Shinrikyō en 1995 (13 morts, plus de 6 000 blessés). Ce sont des repères historiques, mais la réalité contemporaine est tout à fait préoccupante.

En France, les tribunaux jugent encore des affaires graves :

  • Loup Blanc (Jean-Marc B.) : en 2024, le tribunal correctionnel de Tarbes l’a condamné à 9 ans de prison pour viol, agressions sexuelles et abus de faiblesse, à l’encontre de plusieurs femmes rencontrées dans le cadre de ses stages et enseignements spirituels. Le jugement a retenu l’existence d’un ascendant et d’une influence déterminante sur ses élèves.
  • La Grande Mutation : le fondateur, Étienne Guillé, est décédé en 2018 sans avoir été condamné. En revanche, six cadres du mouvement ont été condamnés en juillet 2024 pour abus de faiblesse. L’enquête et le procès ont mis en évidence des exigences financières excessives, un contrôle étroit exercé sur plusieurs adeptes, ainsi que des ruptures familiales rapportées dans les témoignages.
  • Tabitha’s Place : Une information judiciaire a été ouverte en mars 2014 concernant cette communauté pour abus de vulnérabilité, travail dissimulé et travail des enfants. En décembre 2019, une nouvelle information judiciaire a été lancée pour violences présumées sur mineurs. Les témoignages d’adolescents ayant quitté la communauté évoquent un travail harassant dès le plus jeune âge, et l’organisation est régulièrement soupçonnée de fraude aux prestations sociales et de blanchiment de fraude fiscale.
  • Anthroposophie : plusieurs organes liés au mouvement ont tenté, à travers une série de procédures en diffamation, de faire taire le lanceur d’alerte Grégoire Perra. En 2021, leur action s’est soldée par un camouflet judiciaire : le tribunal judiciaire de Strasbourg a condamné l’association plaignante à lui verser 25 000 € de dommages et intérêts. Les procédures bâillon continuent pourtant.
  • Enfin, le naturopathe Thierry Casasnovas est mis en examen en 2023 à Perpignan pour une série de chefs d’accusation incluant « abus de confiance », « faux et usage de faux », « exercice illégal de la pharmacie », « pratiques commerciales trompeuses », « blanchiment » et « abus de faiblesse ». Il est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de participer ou organiser des stages et formations touchant à la santé ou au bien-être.

 

De nombreuses procédures restent ouvertes partout en France. Elles concernent des structures très diverses : des « retraites » de jeûne où des participants ont été hospitalisés, et parfois sont décédés, des communautés fermées signalées pour manquements graves à la protection des mineurs, des thérapeutes autoproclamés visés pour abus de faiblesse ou exercice illégal de la médecine, ainsi que des interventions régulières pour rupture familiale ou emprise psychologique avérée.

Dans ce contexte, la France dispose d’un instrument singulier : la Miviludes. Créée en 2002, elle organise le repérage, l’analyse et la coordination de la réponse publique face aux dérives sectaires. Aucun autre pays ne bénéficie d’un dispositif aussi centralisé, soutenu par une vigilance institutionnelle constante. La législation a récemment évolué, notamment avec l’introduction du délit d’incitation à l’arrêt ou à l’abstention de soins, pensé pour répondre aux dérives pseudo-thérapeutiques qui exposent directement les personnes vulnérables à des risques graves pour leur santé. Ce genre de disposition signale, ou du moins laisse espérer, une mobilisation accrue dans la lutte contre l’emprise.

Mais les phénomènes auxquels nous sommes confrontés ne sont plus ceux des années 1970.

Les mouvements d’aujourd’hui empruntent volontiers les codes de la science, de la spiritualité « naturelle », du coaching ou du bien-être intégral. L’anthroposophie, par exemple, se déploie dans des écoles, des établissements de soins ou des pratiques agricoles en revendiquant une « pédagogie alternative » issue d’un corpus ésotérique du début du XXᵉ siècle. La Scientologie demeure active et continue de recruter à travers des programmes de « développement personnel » soigneusement présentés comme neutres. Certains influenceurs pseudo-thérapeutiques mobilisent un discours de santé totale qui séduit un public vulnérabilisé par l’isolement numérique. S’y ajoutent les pratiques de jeûne extrême, le respirianisme ou diverses formes de « soins énergétiques », dont plusieurs enquêtes ont révélé le potentiel d’abus sexuels, financiers ou psychologiques.

On voit aussi apparaître des situations d’emprise qui ne passent plus par des communautés organisées : un simple échange régulier en ligne peut suffire pour qu’une personne vulnérable se retrouve sous l’influence directe et exclusive d’un « guide » ou d’un pseudo-thérapeute — ou d’un brouteur. Les signalements récents montrent que l’emprise peut désormais se construire dans un tête-à-tête numérique, sans structure formelle autour. On parle parfois d’État gazeux du phénomène sectaire.

À cela se superpose un réflexe social dangereux : la tentation de blâmer les victimes. « Il faut être bête pour y croire », voilà une phrase qui absout le manipulateur, rend invisibles les ressorts psychologiques de l’emprise, et renforce la honte des survivants. Or nous savons que l’emprise n’a rien à voir avec l’intelligence : elle repose sur l’abus de pouvoir, l’isolement, la saturation émotionnelle et la confiscation progressive de l’autonomie.

La grande diversité du phénomène repose pourtant sur un socle commun : un individu qui s’arroge un pouvoir total sur un autre au nom d’une connaissance prétendument supérieure, d’une révélation que « le monde extérieur refuse de comprendre ». L’engrenage cognitif qui suit produit un endoctrinement, un durcissement de la croyance qui rend très difficile le simple fait d’avoir une discussion argumentée avec les personnes sous emprise.

Voilà pourquoi la tâche est immense.

Aider les victimes, soutenir les familles, prévenir l’emprise : tout cela exige de la connaissance. Nous avons besoin des sciences sociales, de la psychologie, des neurosciences, de l’étude des dynamiques de groupe, de l’expertise juridique. Nous avons besoin d’un diagnostic clair pour savoir quelles interventions fonctionnent, dans quels contextes, et comment renforcer l’autonomie des personnes vulnérabilisées.

L’esprit critique joue ici un rôle central. Non pas comme un simple idéal individuel, mais comme une compétence collective d’évaluation de la confiance : qu’est-ce qui mérite d’être cru ? Quelle source gagne ou perd en fiabilité ? Quelle méthode garantit l’intégrité d’une information ? Une société où la confiance est bien calibrée est une société où les manipulateurs ont moins de prise.

C’est tout l’enjeu du projet PRISME : mettre en commun les savoirs, les expériences et les outils qui permettent de comprendre, d’agir, et de protéger. Le défi est considérable, mais il n’est pas hors de portée si nous le relevons ensemble.

Notre initiative n’a pas vocation à effacer, supplanter ou remplacer celle des associations qui, depuis des années, travaillent sur ces sujets, sensibilisent la population et apportent un soutien vital aux victimes, mais d’apporter des outils supplémentaire pour mieux comprendre les phénomènes humains au cœur de cette problématique et distinguer plus efficacement les bonnes et les moins bonnes méthodes pour atteindre notre objectif commun : l’émancipation individuelle, la vigilance collective, la justice pour tous, et la liberté de conscience.

 

Je vous souhaite la bienvenue au congrès PRISME.

 

Acermendax

 

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