Extrasensoriel : est-ce réel ? [Niveau critique]
Émission Niveau Critique N°5, sur TikTok
Enregistrée le 27 novembre 2025
Ce que recouvre réellement le mot « extrasensoriel »
Derrière la perception extrasensorielle se cache une famille disparate de prétentions. On nous parle de télépathie (lire les pensées), de clairvoyance (voir à distance), de précognition (voir l’avenir), de télékinésie ou psychokinèse (agir sur la matière par la pensée), de psychométrie (deviner le passé d’un objet en le touchant), de médiumnité (communiquer avec les morts), de « remote viewing » (vision à distance sous perfusion de jargon militaire), de sorties hors du corps, de voyages astraux, de guérison énergétique, de diagnostic intuitif, et parfois même de « dialogue avec les cellules ».
Ce sont des phénomènes très différents, qui ne reposent pas sur les mêmes récits, sur les mêmes pratiques, et concernant souvent des communautés différentes. Le point commun n’est pas dans les faits – il est dans la promesse : vos sens officiels ne sont que la partie émergée de l’iceberg, vous êtes plus puissant que ce qu’on vous a dit, et moi, pour un tarif modique, je peux vous aider à accéder au reste.
D’où viennent ces histoires de « pouvoirs » ?
Naturellement les coach et gourous prétendent transmettre une sagesse du fond des âges et des pratiques millénaires, mais en réalité le récit extrasensoriel tel qu’il circule aujourd’hui est un produit moderne, fabriqué à la jonction du spiritualisme du XIXᵉ siècle, de la psychologie naissante et du marketing contemporain.
Au XIXᵉ siècle, le succès des séances de spiritisme, des tables tournantes et des médiums en transe donne déjà une structure au récit : certaines personnes auraient un « don », un sixième sens, une capacité à capter des messages invisibles. On convoque les esprits, les fluides, les plans subtils. C’est spirituel, c’est spectaculaire, mais ce n’est pas encore « scientifique ».
Le XXᵉ siècle, lui, invente le vocabulaire pseudo-scientifique du « paranormal ». On ne parle plus d’esprits, on parle de psi, on met des sujets dans des labos, on invente des cartes de Zener, des protocoles prétendument rigoureux. On ne dit plus « don », on dit « perception extrasensorielle ». Ce n’est plus de la foi, c’est de la « recherche ». Sur le papier, ça s’écrit Parapsychologie, et c’est parfois pratiqué par des gens sérieux et rigoureux.
Puis arrivent la Guerre froide et ses fantasmes : si l’URSS développe des espions télépathes, il faut bien que les États-Unis financent des programmes de remote viewing pour ne pas être distancés dans la course au n’importe quoi. On verse de l’argent public sur des projets qui consistent, en gros, à demander à des gens de fermer les yeux et de dire ce qu’ils « perçoivent » d’une cible secrète. On trouve des succès anecdotiques, on oublie les flops massifs, et on ressort ensuite le tout sous forme de légende : vous voyez bien, la CIA y croyait, donc c’est sérieux.
Il est amusant de constater qu’au moment de dire cela on oublie que la CIA est maitresse dans l’art de disséminer de la désinformation, et que ses histoires auraient très bien pu être destinées aux ennemis géopolitiques, afin qu’ils gaspillent des ressources dans des travaux sans espoir.
Enfin, la vague New Age des années 1970-1980 fait le reste. On mélange un peu de parapsychologie, beaucoup d’ésotérisme, des bouddhas en plâtre, deux pincées de « quantique » en poudre, et l’on obtient le décor idéologique de nos formations contemporaines : tout est énergie, tout est vibration, votre conscience est illimitée.
Le résultat : un imaginaire extrêmement séduisant, très rentable, et extraordinairement peu compatible avec ce que l’on sait réellement de la psychologie, de la neurobiologie ou de la physique.
Mais bien sûr om faut garder l’esprit ouvert ! Sait-on jamais.
De la croyance au business : comment on fabrique des clients « extra-sensoriels »
Une fois l’imaginaire posé, le marché suit. Aujourd’hui, l’extrasensoriel n’est plus seulement une croyance : c’est un secteur économique.
On vous propose des stages pour :
- « développer votre intuition télépathique » ;
- « activer votre troisième œil » ;
- « ouvrir vos capacités de médium » ;
- « apprendre le remote viewing en 5 week-ends » ;
- « maîtriser la guérison quantique » ;
- « devenir coach intuitif certifié » (certifié par qui ? par d’autres coachs intuitifs, évidemment).
La promesse implicite est toujours la même : vous avez en vous un potentiel extraordinaire que la société matérialiste a bridé ; moi, je peux le réveiller.
La mécanique commerciale est d’une banalité déprimante. D’abord, on pathologise le quotidien : vous vous sentez perdu, en manque de sens, angoissé ? C’est que vous n’êtes pas aligné avec vos « capacités innées ». Ensuite, on propose un récit flatteur : si vous souffrez, c’est précisément parce que vous êtes plus sensible, plus réceptif, plus « connecté » que les autres. Enfin, on offre une porte de sortie payante : formation, coaching, accompagnement, niveau 1, puis niveau 2, puis masterclass, puis certification que vous pourrez à votre tour monnayer. C’est un peu la révélation des Pyramides commerciales.
Le glissement est subtil mais crucial : on ne vend pas seulement une croyance, on vend une identité.
- Vous n’êtes plus quelqu’un qui a peur de l’avenir ; vous êtes un « précognitif » qui doit apprendre à gérer ses flashes.
- Vous n’êtes plus quelqu’un qui projette ses envies sur les autres ; vous êtes un « télépathe » qui ne sait pas encore maîtriser ses perceptions.
- Vous n’êtes plus quelqu’un de suggestible ; vous êtes un « canal » pour des messages d’ailleurs.
Et si un quidam ose demander des preuves, on le jugera « fermé », « rationaliste étroit », voire « complice du système ». L’exigence de preuve devient une pathologie, voire une trahison. C’est hélas efficace, cela verrouille l’engagement de la recrue.
Pour suivre mon travail plus facilement :
Une rhétorique très simple pour des promesses très grandes
On pourrait croire que derrière ces promesses se cachent des théories profondes. En pratique, le logiciel rhétorique est d’une simplicité enfantine :
- Amplifier l’anecdote
On accumule des histoires frappantes : le rêve prémonitoire, l’appel téléphonique quelques secondes avant l’accident, la sensation d’être observé. On néglige systématiquement les milliers de rêves, d’appels, de sensations qui n’ont mené à rien. On laisse le cerveau faire ce qu’il sait très bien faire : sélectionner les coïncidences et oublier tout le reste. - Invoquer la science sans la pratiquer
On cite des mots : « ondes cérébrales », « fréquences », « champ quantique », « inconscient collectif ». On mentionne, de loin, quelques expériences (Ganzfeld, remote viewing, effets faibles) sans dire que les réplications strictes échouent, que les biais méthodologiques sont massifs, que les méta-analyses n’établissent rien de robuste. La science devient un simple décor, un habit d’autorité - Dissoudre l’échec dans le flou
Si le stage ne marche pas, c’est que vous « résistez », que votre mental « bloque », que vous avez des « croyances limitantes ». Autrement dit : le dispositif ne peut pas avoir tort, donc c’est vous qui êtes en défaut. Là encore, c’est une vieille technique de manipulation relookée en spiritualité 2.0. - Monétiser la boucle
Comme vous ne progressez pas assez vite, il vous faut le niveau supérieur, le module avancé, l’accompagnement individuel. Et si vous progressez, c’est la preuve que la méthode est extraordinaire, pas que l’on vous a simplement appris à vous raconter vos propres biais de façon plus sophistiquée.
Douter avec méthode : l’apport de la zététique
Le but de la zététique, dans ce contexte, n’est pas de venir casser une ambiance ou piétiner des espoirs gratuitement. Il est de rappeler une évidence que tout le monde feint d’oublier : si ces pouvoirs existaient à l’échelle où on les raconte, nous n’aurions pas besoin de stages pour les détecter.
- Si la télépathie était opérationnelle, il suffirait d’organiser quelques expériences bien construites, dans des labos différents, pour obtenir des effets massifs.
- Si la précognition était un trait humain significatif, les marchés financiers, les assurances, la sécurité civile seraient envahis de médiums systématiquement meilleurs que le hasard.
- Si la guérison « énergétique » avait une efficacité clinique solide, les essais contrôlés randomisés la mettraient en évidence, et elle sortirait des cabinets privés pour entrer dans les protocoles hospitaliers.
Ce n’est pas ce que l’on observe. Ce que l’on observe, c’est un fossé immense entre la mythologie des pouvoirs et ce qu’il en reste quand on enlève la suggestion, les coïncidences, les reconstructions de mémoire et les illusions de contrôle. Ce fossé, il faut le montrer sans prendre les tenants-croyants pour des idiots. Et il ne faut pas s‘imaginer que l’on peut sauver les gens de leurs croyances. En revanche nous avons collectivement le devoir de prendre soin les uns des autres, et cela passe aussi par la remise en question de nos certitudes les plus affirmées quand elles deviennent prosélytes.
La zététique ne sert pas à aller ennuyer son voisin pour le soigner de sa crédulité mais à entraver la progression des énoncés et des histoires qui veulent être crues sans faire aucun effort de véracité.




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