Morale religieuse : Vers les pires abus
L’hypocrisie des purs : Comment l’idéologie religieuse homophobe et sexiste fabrique l’impunité des abuseurs
Dans les milieux religieux conservateurs, la pureté sexuelle n’est pas qu’un idéal spirituel : c’est une arme politique et un instrument de domination. On y glorifie la chasteté, on y fustige l’homosexualité, on y prêche la soumission des femmes. Et pourtant, ce sont souvent ces bastions autoproclamés de vertu qui abritent les scandales les plus massifs de violences sexuelles.
Il ne s’agit pas d’anecdotes isolées ni de simples défaillances humaines : ces dérives prospèrent dans un climat moralement toxique. Une morale obsédée par le contrôle du corps et du désir, associée à des structures patriarcales fermées, engendre mécaniquement des comportements d’hypocrisie, de dissimulation et d’abus.
La façade de pureté : un système d’impunité morale
Les recherches en psychologie morale ont mis en évidence un phénomène appelé moral licensing — que l’on peut traduire par « licence morale ». Il désigne la tendance, bien documentée, à s’autoriser certains manquements parce qu’on se perçoit soi-même comme moralement irréprochable (Merritt, Effron & Monin, 2010).
Dans les institutions religieuses, cette mécanique prend une dimension collective : le prestige spirituel, le port de l’habit ou la réputation de sainteté fonctionnent comme des boucliers moraux. Les abus commis par les figures de l’autorité sont alors perçus comme impensables, et donc invisibles. Ce n’est pas seulement la faute d’individus déviants, mais celle d’un système qui confond la vertu affichée avec la vertu réelle.
Le zèle public, la culpabilité intime
La psychologie des croyants montre que la culpabilité religieuse associée à la sexualité produit des effets paradoxaux. Une étude corrélative menée par Grubbs et al. (2015) auprès d’hommes chrétiens a mis en évidence une association entre honte religieuse, sentiment de péché et perception d’« addiction » à la pornographie. Autrement dit : plus la morale est rigide, plus la transgression devient envahissante dans la conscience, même sans passage à l’acte.
Le phénomène de surcompensation morale joue alors à plein : quand une personne se sent menacée dans son identité vertueuse, elle adopte des positions plus extrêmes pour la restaurer (Zhong, Ku, Lount & Murnighan, 2010). Dans le domaine religieux, cela se traduit par une rhétorique de plus en plus agressive contre la sexualité et les minorités sexuelles — une façon d’exorciser sa propre ambivalence, avec d’évidentes conséquences sociétales sur les personnes concernées.
Une étude exploratoire plus ancienne (Adams, Wright & Lohr, 1996) avait suggéré une corrélation entre homophobie déclarée et excitation homosexuelle mesurée. Les résultats, controversés et non reproduits, ne permettent pas de conclure scientifiquement, mais ils illustrent une dynamique que confirment nombre d’observations : l’homophobie militante sert souvent de masque psychologique à des pulsions ou des désirs jugés inavouables dans le cadre religieux.
Quand l’autorité protège le crime
Les abus ne sont pas nés d’hier, et ils ne prospèrent pas seuls. Ils s’enracinent dans des structures d’autorité masculines et fermées. Les travaux du John Jay College of Criminal Justice (Terry et al., 2004) sur les abus commis dans l’Église catholique américaine ont montré comment la culture du silence, la gestion interne des plaintes et la mobilité discrète des prêtres ont permis à un grand nombre d’abuseurs d’agir pendant des décennies.
Ces logiques se retrouvent, sous d’autres formes, dans les milieux évangéliques fondamentalistes : culte du leader charismatique, absence de contre-pouvoirs, isolement des fidèles, théologie de la soumission. Des études qualitatives (Garland & Argueta, 2010) montrent comment la structure même des communautés — l’asymétrie d’autorité, la peur du scandale, la confusion entre spiritualité et loyauté — crée un climat où la dénonciation devient presque impossible.
Dans ces milieux, l’abuseur n’est pas simplement un prédateur : il est un détenteur de pouvoir moral, protégé par la sacralisation de sa fonction. C’est ce pouvoir qui rend les crimes durables.
La religion comme fabrique d’hypocrisie
Il est aisément concevable que les institutions où la sexualité est réprimée et la hiérarchie sacralisée puissent générer plus d’abuseurs que d’autres, mais il est surtout certain qu’elles offrent un refuge idéal à ceux qui savent instrumentaliser la foi pour dominer.
Le prêtre, le pasteur ou le prophète autoproclamé bénéficie d’un capital de confiance quasi absolu. Ses victimes, elles, se heurtent à la muraille du sacré : on leur apprend à se taire, à pardonner, à ne pas “faire de tort à l’Église”. Leur fragilité vient d’un système où la loyauté envers Dieu passe avant la justice, et où celui qui dénonce trahit plus sûrement que celui qui viole.
Dans ce système, l’hypocrisie, loin d’être une anomalie, devient une stratégie de survie. Quand le désir est considéré comme une faute et la désobéissance comme un péché, le mensonge devient la seule issue. Ceux qui prêchent la pureté la plus stricte se condamnent eux-mêmes à vivre dans la dissimulation. Dans un système où tout se tait, le silence finit par servir les plus calculateurs. Les scandales religieux se distinguent par cette double emprise : la contrainte physique s’y mêle à la domination spirituelle, et la foi devient l’outil même du contrôle.
Il serait malhonnête de réduire ce constat au seul monde chrétien. Si les données empiriques sont aujourd’hui bien plus abondantes dans les sociétés occidentales, c’est avant tout une question d’accès à l’information. Le silence ne vaut pas innocence : dans d’autres contextes religieux — notamment musulmans —, tout indique que la même logique de pouvoir moral, de honte et d’impunité prévaut, souvent avec des moyens de coercition sociale encore plus implacables. L’absence d’enquêtes systématiques ne traduit pas une moindre gravité, mais une invisibilisation plus complète encore des victimes, étouffées par la sacralisation du patriarcat et la peur du blasphème.
Une mécanique irréparable ?
Il n’y a pas de paradoxe dans ces scandales : ils ne trahissent pas la morale religieuse, ils en révèlent la mécanique. L’obsession de la pureté crée les conditions de la faute, la peur du désir nourrit la dissimulation, et la hiérarchie masculine convertit la honte en instrument d’ordre. Ceux qui se posent en gardiens du bien ne tombent pas malgré leur rigorisme moral sonore : ils chutent à cause de lui.
Dans ce type de système, la transgression n’est pas une rupture mais un rouage. Le contrôle permanent du corps et du comportement engendre une double vie, puis une culture du silence qui protège les puissants. Le crime finit par y jouer un rôle fonctionnel : il entretient la peur, et donc l’obéissance.
L’abondance des chantres puritains de l’intolérance morale qui tombent précisément par là où ils fustigent les autres (voir liste ci-dessous) n’a donc rien d’accidentel ! Et, hélas, rien ne permet d’affirmer que l’on peut sauver la religion en tant qu’institution en la débarrassant de ces effets pervers.
Acermendax
Illustration du problème
Figures religieuses conservatrices et anti-LGBT impliquées dans des affaires de violences sexuelles
Cette liste rassemble plusieurs figures religieuses américaines connues pour leur activisme conservateur ou leurs positions publiques hostiles aux droits LGBT, et qui ont fait l’objet de condamnations, de poursuites ou d’enquêtes pour violences sexuelles.
Les informations ci-dessous proviennent de sources judiciaires, médiatiques ou institutionnelles vérifiables.
Condamnés ou plaidé coupables au pénal / reconnus
- Tony Alamo — Évangéliste, fondateur de l’Alamo Christian Foundation, connu pour des discours virulents contre les LGBT. Condamné en 2009 à 175 ans de prison pour transport de mineures à des fins sexuelles (Mann Act).
- Jack Schaap — Pasteur de la First Baptist Church of Hammond (mouvement fondamentaliste). En 2013, condamné à 12 ans (144 mois) pour transport d’une mineure à des fins sexuelles.
- Josh Duggar — Ancien dirigeant de FRC Action, militant conservateur pro-famille (et anti-LGBT), travaillant pour le Family Research Council. Condamné en 2022 à près de 13 ans pour détention / réception d’images pédopornographiques. Le pourvoi a été rejeté en 2024. Circonstances aggravantes pour les institutions : Duggar avait déjà été impliqué dans des allégations d’abus sexuels sur mineures en 2015 (ses propres sœurs)
- Robert Morris — Fondateur et ancien pasteur de Gateway Church (Texas), figure évangélique influente, conseillé spirituel à Donald Trump. En octobre 2025, il a plaidé coupable à cinq chefs d’actes indécents sur mineur concernant des abus commis dans les années 1980, lorsqu’il était jeune prédicateur, contre une fille de 12 à 16 ans. Sa condamnation prévoit 6 mois de prison, puis probation, inscription sur le registre des délinquants sexuels, et restitution monétaire.
- Dennis Hastert — Ancien président de la Chambre des représentants des États-Unis (républicain, record de votes anti-LGBT). Condamné en 2016 pour infractions financières liées à des paiements destinés à dissimuler des abus sexuels anciens sur mineurs.
- Bernard Preynat — Prêtre catholique lyonnais, défenseur d’une morale sexuelle stricte. Condamné en 2020 à cinq ans de prison pour agressions sexuelles sur mineurs (1971-1991). Son cas, couvert par le cardinal Barbarin, a révélé l’ampleur du silence institutionnel au sein de l’Église de France.
- Tony Anatrella — Prêtre et psychanalyste français, conseiller du Vatican sur la sexualité. Accusé d’avoir imposé à des hommes des « thérapies de conversion » à caractère sexuel. Sanctionné canoniquement en 2018 pour abus de pouvoir et atteintes sexuelles.
- Roger Vangheluwe — Évêque de Bruges (Belgique). A reconnu publiquement en 2010 avoir agressé sexuellement son neveu mineur pendant des années. Démissionné, mais jamais poursuivi en raison de la prescription.
Poursuivis pénalement (procédures en cours, inaptitude, inculpations non abouties)
- George Pell — Cardinal australien, ancien archevêque de Melbourne et de Sydney, proche du Vatican et symbole du conservatisme catholique. Opposé à l’ordination des femmes et au mariage homosexuel. Condamné en 2018 pour abus sexuels sur deux enfants de chœur, peine annulée en 2020 par la Haute Cour d’Australie, au bénéfice du doute raisonnable. Le cas Pell reste emblématique de la protection institutionnelle dont ont bénéficié les abuseurs au sein de l’Église.
- Theodore McCarrick — Ancien cardinal catholique. Inculpé en 2021 dans le Massachusetts pour des agressions sexuelles remontant aux années 1970. Ultérieurement déclaré inapte à être jugé pour cause de démence. (Défroqué en 2019.)
Actions civiles / enquêtes indépendantes
- Paul Pressler — Ancien juge texan, promoteur de la “resurgence” conservatrice au sein de la Southern Baptist Convention. Accusé par plusieurs hommes d’abus sexuels durant leur adolescence. Plusieurs actions civiles engagées ; en 2023, un règlement a été conclu. Aucun chef pénal porté à l’encontre de Pressler n’est connu.
- Eddie Long — Pasteur de New Birth Missionary Baptist Church (Atlanta), connu pour sermons anti-gay. Poursuivi au civil par quatre, puis cinq jeunes hommes pour coercition sexuelle. Un règlement confidentiel a été conclu en 2011.
- Bill Gothard — Fondateur de IBLP (Institute in Basic Life Principles), prônant une doctrine patriarcale, anti-LGBT. Nombreuses allégations de harcèlement et d’agressions sexuelles. Poursuite civile lancée en 2016 abandonnée pour prescription ; d’autres procédures sur la responsabilité de l’IBLP encore en cours.
- Doug Phillips — Animateur du mouvement Vision Forum, promoteur du patriarcat chrétien. Assigné en 2014 par son ex-nourrice pour exploitation sexuelle et abus spirituel ; règlement confidentiel en 2016.
- Ravi Zacharias — Apologète évangélique réputé. Après sa mort, une enquête indépendante (2021) a confirmé des abus sexuels et exploitations. Aucune poursuite pénale (décédé en 2020).
- Michel Santier — Évêque français, promoteur d’une “pastorale du corps” axée sur la chasteté et la conversion. Sanctionné par le Vatican en 2022 pour abus spirituels à caractère sexuel sur de jeunes hommes adultes.
- Jean Vanier — Fondateur de L’Arche, figure spirituelle mondialement respectée. Une enquête interne (2020) a révélé des abus sexuels et spirituels sur plusieurs femmes, commis dans un cadre mystico-religieux présenté comme une guidance.
Références
- Adams, H. E., Wright, L. W., & Lohr, B. A. (1996). Is homophobia associated with homosexual arousal? Journal of Abnormal Psychology, 105(3), 440–445.
- Garland, D. R., & Argueta, C. A. (2010). How clergy sexual misconduct happens: A qualitative study. Social Work & Christianity, 37(1), 1–27.
- Grubbs, J. B., Exline, J. J., Pargament, K. I., Hook, J. N., & Carlisle, R. D. (2015). Transgression as addiction: Religious shame, guilt, and sexual compulsion among Christian men. Journal of Sex Research, 52(1), 37–48.
- Merritt, A. C., Effron, D. A., & Monin, B. (2010). Moral self-licensing: When being good frees us to be bad. Social and Personality Psychology Compass, 4(5), 344–357.
- Terry, K. J., et al. (2004). The Nature and Scope of Sexual Abuse of Minors by Catholic Priests and Deacons in the United States, 1950–2002. Washington, DC: John Jay College of Criminal Justice, U.S. Conference of Catholic Bishops.
- Zhong, C.-B., Ku, G., Lount, R. B., & Murnighan, J. K. (2010). Compensatory virtue: Cleansing the moral self after threat. Journal of Experimental Social Psychology, 46(5), 859–862.




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