Rêves d’Apocalypse [TenL 143]

Émission enregistrée le 17 décembre.
Invité : Jean-Loïc Le Quellec

Éditorial

La science se trompe, un peu tout le temps. Et c’est là toute sa force, puisqu’elle se corrige. Elle hésite, elle tâtonne, et parfois elle change de paradigme.

Vous connaissez la ville de Troie (non, pas Troyes dans l’aube mais Ilium en Turquie). Pendant des siècles, la cité décrite par Homère dans L’Iliade était considérée comme un pur mythe, une légende grecque sans fondement. Jusqu’à ce qu’Heinrich Schliemann, archéologue amateur mais obstiné, découvre en 1870 les ruines de ce qui pourrait bien être la véritable Troie. La science s’était trompée en rejetant trop vite un récit ancien, mais elle a fini par corriger son erreur. Pensons à la civilisation minoenne en Crète, révélée au début du XXe siècle par Arthur Evans alors qu’on ne connaissait d’elle que des récits mythologiques sur le roi Minos et son labyrinthe. Ou encore les Scythes, ces nomades longtemps jugés « primitifs » par Hérodote, mais dont les tombes gelées de Sibérie ont révélé une culture d’une richesse insoupçonnée : bijoux d’or finement travaillés, textiles somptueux et tatouages complexes. Même la préhistoire, ce temps lointain où l’Homme taillait la pierre, nous a surpris : les fresques rupestres de Chauvet ou Lascaux prouvent que nos ancêtres n’étaient pas seulement des survivants brutaux, mais aussi des artistes d’une sensibilité extraordinaire.

Ces exemples nous rappellent combien nous aimons découvrir ce que nous pensions perdu. Il y a une magie irrésistible dans l’idée qu’une civilisation avancée, oubliée depuis des millénaires, puisse ressurgir du sable ou des profondeurs de la mer. Qui n’a jamais rêvé de l’Atlantide, engloutie par les flots, ou des mystérieuses cités d’El Dorado, enfoncées dans la jungle ? Cet appétit est bien légitime puisque notre histoire est une aventure inachevée, et que des pans entiers du passés restent méconnus.

C’est sur ce désir profond de découverte que jouent des séries comme « Ancient Apocalypse » (traduit « À l’aube de notre histoire ». Dans sa première saison, Graham Hancock, journaliste et écrivain, a captivé des millions de spectateurs en suggérant qu’une civilisation perdue, d’une sophistication incroyable, aurait existé bien avant les premières sociétés humaines connues. Son argument ? Des structures anciennes comme les pyramides de Gizeh ou les mégalithes de Göbekli Tepe seraient les vestiges de peuples disparus, victimes d’un cataclysme oublié. La science, selon lui, refuse d’ouvrir les yeux, et l’archéologie académique lui voue une haine tenace car il faudrait préserver les théories actuelles coûte que coûte.

À travers des séries comme celle-là, nous assistons à la naissance d’une mythologie contemporaine, où des récits alternatifs du passé s’enracinent dans notre imaginaire collectif. Ces nouvelles « légendes » répondent à des besoins profondément humains : donner du sens à un monde complexe, combler les lacunes de nos connaissances et raviver la fascination pour l’inconnu. Ces récits alternatifs fonctionnent comme des systèmes interprétatifs autonomes, échappant délibérément aux validations scientifiques classiques. Ils opèrent selon une logique propre, où chaque réfutation devient une preuve supplémentaire du complot. Là où les mythes anciens étaient enracinés dans des croyances religieuses, les récits contemporains se parent d’un vernis pseudo-scientifique puisque c’est désormais le mode par lequel se fait le récit des origines du monde.

Pour nous dévoiler la structure de la mythologie contemporaine qui se construit sous nos yeux, je reçois Jean-Loïc Le Quellec, anthropologue, préhistorien et spécialiste des mythes, auteur de divers ouvrages dont le très mordant « Des Martiens au Sahara »

 

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *