Un univers sans créateur est-il possible ? – Débat avec Ousmane TIMERA

Lundi 9 décembre 2024, j’ai participé sur le discord de RPMP (Religion-Philosophie-Métaphysique-Politique) à un débat avec Ousmane TIMERA, philosophe et islamologue sur deux sujets qu’il avait proposés. Le premier était Un univers sans créateur est-il possible ? Au bout d’une heure, il est convenu de passer au deuxième thème, le coran est-il divin ? (j’en parle ici)

Le débat est disponible en vidéo à cette adresse (à partir de jeudi 12, 17h30)

Voici en version texte mon propos introductif au débat. En ma qualité de non-croyant – sceptique, je n’avais pas de doctrine à défendre, pas d’assertion ontologique à tenir, et je me tenais disposé à offrir une réponse aux arguments que mon interlocuteur théiste musulman doit présenter pour justifier sa position. Vous pouvez consulter la vidéo pour voir si cet objectif est rempli.

 

Propos introductif

Je vais tenter d’incarner une posture de scepticisme scientifique, c’est-à-dire de refuser de croire des propositions qui ne sont pas raisonnables : soit qu’elles soient absurdes, incompréhensibles, épistémiquement couteuse ou tout simplement impossibles à prouver, voire déjà réfutées. Dans une conversation comme celle-ci, voici l’objectif que je me fixe et à l’aune duquel j’aimerais être jugé :

  1. Expliciter la manière dont le doute méthodique et le questionnement nous préservent en partie des croyances fausses, et
  2. Tenter de comprendre les raisons pour lesquelles mon interlocuteur défend la position qui est la sienne. Je gagne au débat si à la fin je comprends mieux pourquoi nous pensons ce que nous pensons.

Je précise donc immédiatement que je ne vais pas ce soir en direct prouver l’inexistence de Dieu. Ce serait un défi aussi idiot que de demander à monsieur Timera de me démontrer que ma grand-mère n’élève pas des dragons invisibles dans son garage, en cachette. Pour prouver l’inexistence d’une chose, il faut disposer d’une définition claire et nette de cette chose qui permette d’établir des tests d’hypothèse. Si les dragons de ma grand-mère sont clairement définis comme des créatures très malpolies qui étalent toujours leurs excréments sur les murs en faisant des tâches indélébiles, alors la présence de ces tâches serait un bon argument pour leur existence tandis que l’absence de tache plaiderait pour l’inverse… Mais dans un cas comme dans l’autre, en réalité, nous n’aurions pas de preuve définitive. Et pour croire aux dragons invisibles, il vous en faudrait sans doute un peu plus.

Je vous invite à vous demander quelle hypothèse pourrait bien être testée au sujet de Dieu, et si vous pensez avoir la réponse, je vous demanderai comment il se fait que depuis des siècles les humains avant nous, qui n’étaient pas plus bêtes que nous, n’aient jamais été capables de produire une preuve ? Pour la preuve j‘utilise la définition de Dan Sperber « Un énoncé qui, lorsqu’il est compris, emporte l’adhésion ». En mathématique, quand vous avez compris la démonstration d’un théorème, alors ce théorème, pour vous, est prouvé.

Comment se fait-il, si des preuves de l’existence de Dieu existent, que les religions se soient imposées par la force et jamais par la raison ? Comment expliquer que dans les pays où l’éducation est la plus poussée, la religiosité soit la plus faible ? Comment expliquer que dans tous les pays du monde les chercheurs les plus éminents soient systématiquement moins croyants que la population générale ? L’état du monde s’explique mal si Dieu existe et qu’il y a des preuves. Cela montre selon moi la validité de la posture dite ignostique.

 

Un point de vocabulaire s’impose pour que vous compreniez clairement ce que je vais dire dans cette conversation. Je n’impose rien, mais si vous voulez me comprendre, il faut accepter le sens que je donne aux mots que j’utilise. Voici la nomenclature que je propose :

  • Le théiste répond oui à la question « Pensez-vous qu’il existe un Dieu, qu’il s’est révélé à l’Homme et entretient une relation avec lui »
  • Le déiste répond oui à la question « Pensez-vous qu’il existe une entité douée de volonté à l’origine de l’univers »— Et c’est tout. Bien sûr, un déiste peut avoir tout un tas de croyances sur cette entité qui le rapprochent ou l’éloigne d’un théiste.
  • Le panthéiste répond oui à la question « Pensez-vous que la Nature est Dieu, qu’elle est douée d’une forme de volonté créatrice »
  • L’Athée répond non à « Pensez-vous qu’il existe un ou des dieux » Ce n’est pas quelqu’un qui va forcément répondre oui à la question, très différente : « Pensez-vous qu’il n’existe pas de Dieu »
  • L’apathéiste répond « Rien à cirer » aux questions concernant le ou les dieux.

Ces termes s’appliquent à la dimension ontologique de la question de Dieu : la relation de la personne à la question de son existence. Mais cette question possède une deuxième dimension, celle de la connaissance que l’on pense détenir, la dimension épismétique.

  • L’agnostique répond non à « puis-je acquérir une connaissance (définitive) au sujet de dieu ?»

C’est le sens strict de ce mot depuis son invention par Thomas Huxley : « J’ai inventé le mot « Agnostique » pour qualifier les personnes qui, comme moi, se confessent désespérément ignorantes sur bien des sujets à propos desquels les métaphysiciens et les théologiens, qu’ils soient orthodoxes ou hétérodoxes, professent dogmatiquement leur plus extrême certitudes »

La forme militante de l’agnostique serait : « je n’ai pas la connaissance, et vous non plus ; personne n’a la connaissance ».

  • Le gnostique, par opposition, répondra que oui, on peut avoir des connaissances avérées sur Dieu.
  • Enfin l’ignostique, à la question « Dieu existe-t-il ? » répond « Je ne dispose pas d’une définition cohérente de Dieu, et par conséquent la question n’a pas de sens pour moi. » Les ignostiques renvoient les croyants de tous bords faire un travail de définition de ce en quoi ils croient.

 

Ces notions doivent vous permettre de comprendre ma position sur le premier sujet de ce soir :

— Un univers sans créateur est-il possible ? —

Pour répondre « oui, l’univers peut exister sans avoir été créé », il suffit d’être ouvert d’esprit, d’admettre que nous restons encore bien ignorants de beaucoup de choses, que derrière le Big Bang se trouve quelque chose que pour le moment nous ne pouvons pas connaître, et que lorsqu’on ne sait pas, on se retient d’affirmer. Quand on ne sait pas, on admet que oui, peut-être qu’une hypothèse pour l’heure invérifiable est correcte.

En revanche, pour pouvoir répondre non, comme le fait Ousmane Timera, il faut savoir énormément de choses. Il faut savoir définir ce qu’est un créateur, expliquer en quoi consiste l’acte de création dont on affirme qu’il a nécessairement eu lieu. Pour retenir cette hypothèse extraordinaire, il faut pouvoir réfuter toutes les autres possibilités, il faut démontrer qu’un créateur est nécessaire. En d’autres termes, dans cette discussion la charge de la preuve incombe totalement à celui qui affirme qu’il sait qu’un créateur existe et qu’il ne peut pas en aller autrement. C’est un peu injuste de prime abord, mais cela est lié au fait que la posture sceptique est humble alors que la posture théiste à de très fortes prétentions.

 

Depuis des milliers d’années, les humains croient dans des forces surnaturelles, et pourtant on n’a jamais vu l’explication démontrant l’existence de Dieu être présentée au monde et admise par les humains doués de raison, capable d’écouter, de comprendre. S’il existait une preuve, une seule, de ce que croit monsieur Timera, elle aurait par définition convaincu une grande majorité des humains. C’est ce qui passe avec la science où les idées sont proposées, discutées, mises à l’épreuve et dont certaines sont admises par la quasi-totalité de ceux à qui on les explique. C’est presque miraculeux à quel point ça fonctionne bien. Et on voit clairement que les religions échouent à réaliser une telle chose.

Quand on est raisonnable, et je pense qu’il faut l’être, quand on veut éviter de croire des choses fausses, on doit avoir recours à la prudence épistémique : on demande des preuves. Je m’attends à ce que monsieur Timera veuille passer en revue ce que les apologètes appellent les « preuves de l’existence de Dieu ». Je les connais, elles sont dans mon livre. Nous allons sans doute entendre parler du Kalâm, du réglage fin de l’univers, de la seconde loi de la thermodynamique, peut-être même de la malheureuse preuve ontologique, et pourquoi pas de la preuve par les miracles, de la preuve par la morale, de la preuve par la raison.

J’ignore beaucoup de choses, mais je sais que les arguments de ce type ne sont pour ainsi dire jamais utiles pour convaincre celui qui n‘est pas déjà un croyant. Il s’agit de récits qui rationalisent une croyance déjà présente. Je suis prêt à parier que Monsieur Timera ne croit pas en dieu à cause de l’argument du kalam, mais pour d’autres raisons, sans doute liées à son histoire familiale et personnelle.

Ma première question, pour ouvrir ce débat, serait de lui demander : Monsieur Timera, quelle est LA raison principale, la meilleure, pour laquelle vous croyez en un créateur de l’univers ?

 

Acermendax
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