Sur l’inculture cinématographique des zététiciens
Réaction, à un article intéressant de Vivien Soldé publié par le site du Cortecs. Vous pouvez le lire ici.
D’emblée, je signale à quel point je trouve triste que tout soit écrit avec l’intention visible de se payer les sceptiques (qui « envahissent un territoire déjà bien occupé avec leurs grands sabots de « zététiciens » et de la « méthode qui permet de répondre à tout » sans s’intéresser une seconde à ce qu’il se passe déjà sur place. »), Alexis Seydoux en tête, avec des formules dépréciatives qu’on réserve en général (dans nos productions) pour les pires imposteurs.
Comme trop souvent, la bienveillance semble optionnelle quand on critique ceux qui ont une activité de critique, alors qu’on pourrait les contacter pour évoquer des sujets et éclaircir certains points de manière constructive… Sur le sujet des documenteurs par exemple, j’aurais répondu favorablement à une proposition d’échange public de M Soldé pour explorer le rapport à l’image, les travaux existant, et la manière dont on peut aider le public à s’éduquer à une réception plus critique des images, d’où qu’elles viennent. Je ne vous cache pas que cela n’est plus d’actualité en ce qui me concerne, parce qu’estimant qu’il faut que les critiques apprennent à distinguer leurs alliés et leurs ennemis, je ne les encourage pas quand ils font publiquement la confusion.
Je vous invite à garder de la distance critique avec ce billet, comme il se doit, mais à accepter les appels à la prudence et à la méthode qu’il formule… Même si je ne sais pas d’où sort l’idée que l’intentionnalité d’un film qui cherche à « détromper » ne serait pas aussi, via cet exercice, de « convaincre » de quelque chose ; raison pour laquelle mon propos est de rappeler qu’il faut se méfier des intentions que l’on prête (ou que l’on omet de prêter) à tout créateur de contenu. Je ne sais pas non plus d’où sort l’idée qu’il existerait une « distinction stricte » entre films de propagandes et films complotistes (parfois appelés — peut-être incorrectement — « documenteurs » ).
Lors de cette table ronde j’étais accompagné d’Alexis Seydoux (de l’ALDHHAA) qui est bien plus cultivé que moi en histoire (et en histoire des documentaires) et qui pourrait mieux que moi répondre à ce papier. Je rappelle que j’y étais présent en tant qu’auteur de « Les Lois de l’Attraction Mentale » qui n’est ni un documenteur ni un film sur les documenteurs, mais un film qui offre des pistes d’explication au succès populaire de certains types de récits pseudo-scientifiques en mobilisant l’expertise de chercheurs qui s’intéressent, notamment, aux croyances (et d’un auteur/scénariste). Je n’ai rien théorisé du tout, ni dans ce film, ni durant la conférence ; j’ai même rappelé le flou sémantique que j’observais depuis ma situation sur le mot « documenteur ». À l’INHA, ce jour-là, je venais parler de mon travail de sceptique confronté aux rhétoriques déployées par les acteurs de la désinformation que j’analyse et contredis depuis 10 ans. Surtout qu’on me signale si j’ai prétendu faire plus que cela ! Et qu’on me dise comment j’aurais dû être plus humble dans mon intervention (à part en refusant l’invitation). D’avance, merci.
La table ronde est visible ici :
Je m’arrête sur quelques points qui me chagrinent :
« c’est ici le reproche principal que fait Ania Szczepańska à Thomas Durand sur son film. L’absence de conscientisation de l’énonciation en fait un film qui ne veut pas assumer de point de vue, ou du moins serait tenté de le justifier par la sainte objectivité. »
Ceci relève à la fois de la Lapalissade et du procès d’intention. Rendez-vous compte que je me sens mis en demeure d’écrire ici : « Je ne crois pas à la « sainte objectivité » », et de préciser qu’il est évident que nous avons fait des choix de cadrage, que j’ai fait des choix de montage et que le casting des experts interrogés est le résultat de mille choix qui ne sont pas toujours les miens. Rien de tout ça n’est « objectif » mais résulte des contingences qui entourent la démarche du créateur, conjugués à l’effet qu’il désire produire chez son audience. L’ignoriez-vous ?
En fait, tout cela est tellement entré dans le langage cinématographique que j’avais imaginé que tout le monde le savait, au moins vaguement. Grâce aux compétences de Vivien Soldé, nous découvrons qu’il faut que ce type de documentaire trouve un moyen d’interroger sa propre fabrication à l’image, d’expliciter les codes suivis ou contestés, les processus, les effets, etc. s’il veut échapper au jugement des sachants qui savent que l’absence de cette déconstruction ostensible signe une vénération naïve à la « sainte objectivité ». Bigre ! De fait, on a quitté le terrain où j’avais quelque chose à dire sur ce qui relève du fonds des discours servis par tous ces procédés ; finalement je m’étais trompé de conférence.
Attention, cet extrait est magique :
« Comment quelqu’un qui ne connait rien à l’égyptologie peut faire la différence entre le documentaire de la TeB et le Hold up de Barnérias puisqu’il fonctionne sur le même régime ? »
Evidemment Pierre Barnérias, comme vous le savez, n’a jamais parlé d’égyptologie. Et évidemment la FORME du documentaire est justement tout sauf un gage de vérité. Le travail du sceptique ne consiste pas à inventer une forme de discours dont vous pourriez ne plus douter. Nous le savons. Vous le saviez aussi certainement. Vivien Soldé ne le sait pas, ou alors il en sait beaucoup, beaucoup plus, et je suis incapable de comprendre son propos à cause de mes connaissances « proches du néant ».
Je vais conclure avec une évidence. Je crois qu’il est possible de mettre en avant les travaux des sciences de la communication sur les objets documentaires, de rappeler l’existence d’une littérature scientifique sur le sujet, de définitions et de théorisations sur les différents objets et leur histoire, sans nécessairement chercher à descendre ceux qui en parlent sans mobiliser les mêmes corpus de connaissances (et qui pourraient avoir tort de le faire tout en étant en mesure d’écouter les critique et de faire évoluer leur avis et discours). Depuis la sortie de notre film en 2016, personne n’a trouvé le temps de nous proposer de parler avec des scientifiques au fait de toutes les théories sur la propagande et le cinéma, de la manière dont un objet tel que celui-ci véhicule probablement, et justifierait malgré lui (?), sans les interroger, des codes que nous aurions tous intérêt à savoir désamorcer dans notre rapport quotidien à l’information. Dommage.
Acermendax
NB : La réponse d’Alexis Seydoux au même article de Vivien Soldé est disponible ici.
En visionnant la table ronde, j’avais été stupéfait des attentes que certain.e.s des participant.e.s avaient sur la production elle-même. Pourquoi exiger de ne pas utiliser un medium tant que tous les codes ne sont pas maîtrisés et critiqués ?
De ce que j’en avais compris, la production visait à singer le documenteur en intercoupant les scènes avec des expert.e.s que vous estimiez intéressant d’écouter sur le sujet.
Personne n’a prétendu passer un examen en cinéma ou faire une étude critique des codes du médium.
Et dans ce cas, pourquoi les critiques ne proposent pas de participer à l’exercice avec l’œil d’expert.e.s du cinéma (sauf si c’est pour le faire avec le prisme de la psychanalyse …) ?
Bref je partage votre étonnement.