Faut-il croire aux miracles ?
Entretien Sceptique enregistré le 13 décembre 2023
Invité : Matthieu Lavagna
Introduction
Les Entretien Sceptiques sont des conversations où le zététicien défend sa pratique du doute et questionne un interlocuteur sur les raisons qu’il a de croire ce qu’il croit, de penser ce qu’il pense.
Aujourd’hui je reçois Matthieu Lavagna, diplômé en philosophie et en théologie de l’Institut Docteur Angélique (Un « institut » fondé par Arnaud Dumouch avec qui j’ai déjà eu un Entretien Sceptique) et également étudiant en mathématiques. Il travaille également au sein l’Association Marie de Nazareth pour y développer l’apologétique. (Directeur de la publication : Olivier BONNASSIES)
Voici ma prise de parole de 15 minutes :
« Des propositions extraordinaires demandent des preuves extraordinaires. »
« Un homme sage ajuste sa croyance aux preuves. »
Ces phrases sont devenues des classiques, et elles sont finalement le condensé de la réponse que la sagesse et le bon sens donnent aux histoires de miracle depuis des siècles et des siècles. Je pourrai presque m’arrêter là, mais la forme choisie pour cet entretien me donne 15 minutes pour présenter le point de vue sceptique (et, je le crois, scientifique) sur la question des miracles.
Je commencerai par clairement définir les termes que je vais utiliser dans cet entretien. Si l’on ne prend pas cette précaution, on peut passer des heures à débattre sans jamais comprendre ce que l’on est train de se dire.
Il faut commencer par distinguer spiritualité et religion. La vie de l’esprit, la spiritualité, n’a pas besoin de la croyance en une entité consciente hors du temps qui serait à l’origine de tout. La spiritualité n’implique pas de croire au surnaturel ; vous êtes spirituel si vous philosophez, même en adoptant une pensée matérialiste. La religion est une sous-espèce très particulière de vie spirituelle où ce qu’il faut croire est dicté par des prophètes et réajusté par des autorités religieuses au gré des besoins du siècle. Vous déléguez à d’autres le soin de savoir ce que Dieu attend de vous. C’est souvent l’obéissance aux castes religieuses et la générosité envers les œuvres de l’Église ainsi que des réductions d’impôt. On peut vivre une vie très spirituelle sans croire à Dieu, aux diables ni évidemment aux miracles.
Je veux aussi rappeler une distinction cruciale entre le déisme et le théisme. L’usage des mots peut varier, aussi je vais rappeler le mien. Le déisme est la croyance en l’existence d’une entité créatrice du monde quelque part dans ou en dehors du cosmos et de son espace-temps. Cette entité créatrice ne révèle pas son existence, elle ne s’exprime au travers d’aucun texte, et c’est pourquoi le déisme ne fait aucun cas des miracles, ou plus exactement vous laisse libre d’en penser ce que vous voulez. Le théisme est très différent, c‘est la croyance selon laquelle cette entité cosmique parle avec les humains. Elle a édicté des lois, nous en a informé et nous jugera si nous contrevenons à sa volonté. Une telle entité peut produire des miracles, et il faudra nous souvenir que dans le cadre de cette Entretien Sceptique la position de mon interlocuteur est celle d’un théiste : quelqu’un qui sait ou prétend savoir ce que Dieu attend des humains, ce qu’il leur a dit, et comment il veut que nous le comprenions. Cette position est infiniment plus audacieuse que celle du déisme.
J’en viens aux miracles. Et d’emblée je dois affirmer clairement que ce concept n’appartient pas à mon ontologie — à la manière dont j’appréhende le monde. Et donc je ne l’utilise qu’en réponse aux allégations de celles et ceux qui y croient. Je sais que certaines choses sont aujourd’hui énigmatiques, inexpliquées, et à leur sujet je prends soin de suspendre mon jugement et d’accepter de ne pas savoir. La plus grande ennemie de la connaissance n’est pas l’ignorance mais l’illusion de la connaissance. Face à l’inconnu, je trouve très important de ne pas se réfugier dans une explication qui n’explique rien comme « C’est Dieu qui l’a fait » mais de se retrousser les manches pour essayer de comprendre ce qu’il se passe.
Les miracles sont détectés par celles et ceux qui croient déjà en Dieu, il ne s’agit donc pas de preuves permettant de commencer à croire mais de confirmations autorisant à justifier ce que l’on croyait. Demander à un athée de donner une définition à un concept qui ne rentre pas dans sa vision du monde serait injuste pour l’athée comme pour le concept. Je vais donc utiliser la définition fournie par le catholicisme en appliquant un principe de charité selon lequel a priori ce concept est sensé et rationnel dans la vision du monde de mon interlocuteur.
La définition de l’Eglise catholique : « Fait extraordinaire et suscitant l’admiration en dehors du cours habituel des choses. Manifestation de la puissance et de l’intervention de Dieu qui apporte une révélation de sa présence et de la liberté dont il use pour accomplir ses desseins. La Bible désigne les miracles en termes de puissance (Ex 9 ; 16), de prodiges (Rom 1 ; 19-20) de guérison (Jn 9 ; 1-41) et de signes (Jn 3 ; 2). Le miracle n’a pas son but en soi, il dirige nos regards plus loin en révélant la présence immédiate de Dieu. Le miracle n’est pas explicable scientifiquement. »
En résumé c’est un fait inexplicable qui peut être interprété comme un signe de Dieu. C’est un acte de communication entre Dieu et ses fidèles
Or TOUT peut être interprété comme un signe si on est motivé.
Comment décider si un signe vient de Dieu, de la Vierge ou du diable ? Eh bien les autorités religieuses jugent d’elles-mêmes de l’authenticité selon la conformité des déclarations à l’idée que l’on s’en fait d’avance. Autrement dit, en religion Dieu n’a pratiquement pas la liberté de dire autre chose que ce qu’on attend de lui. Prenez le temps d’intégrer cette simple donnée : on n’a jamais rien appris de nouveau avec un miracle. Pourtant délivrer une information que personne ne connait, voilà qui pourrait tout à la fois exalter la foi et faire progresser notre espèce. Mais non, cela n’arrive pas. Et, puisque nous sommes entre nous, disons-le : on sait pourquoi cela n’arrive pas.
Le concept de miracle en tant que signe interprétable est donc un mode de communication parfaitement inefficace ; c’est une insulte à l’intelligence qui est censée se trouver derrière. C’est une insulte car tout cela autorise les abus, les escroqueries, les manipulations, les dérives sectaires qui n’ont qu’à mimer le mode de communication des miracles pour impressionner des foules déjà convaincues qu’il s’agit de la manière dont Dieu est censé s’exprimer. Dieu tout puissant qui se retrouve souvent confondu avec des gourous manipulateurs à cause de ses choix de communication, c’est quand même pas de chance, et cette confusion incessante au fil de l’histoire devrait au minimum inquiéter ceux qui croient à l’existence du diable. C’est peut-être lui qu’ils écoutent.
Par conséquent je me répète : TOUT peut être interprété comme un signe de Dieu si l’on est motivé. Et pourtant RIEN n’est inexplicable, sauf à avoir atteint la connaissance totale de tout ce qui est connaissable. Ce n’est pas notre cas : la connaissance progresse, et cela a des conséquences pour le Dieu des miracles, j’y reviendrai. Le miracle est donc une impasse logique, un piège mental, et nous pouvons tous nous en rendre compte : toutes les religions prétendent détenir des signes interprétés comme l’action de Dieu validant leur doctrine. Mais aucune ne reconnait que les miracles des autres valident les autres doctrines. Les croyants ne sont pas d’accord entre eux et rien dans leur approche ne leur permet de départager qui a tort et qui a raison. L’histoire est remplie des conflits engendrés par ces idées et leur mode d’administration de la preuve. Et ce problème d’incapacité à réfuter les hypothèses erronées n’est pas cantonné au passé, on continue de tuer pour ces raisons aujourd’hui.
Si les sciences sont si précieuses et jouent un rôle crucial dans les progrès humains c’est justement parce qu’elles ont développé les outils intellectuels qui permettent de départager les hypothèses et de se débarrasser des idées fausses sans devoir tuer, torturer ou intimider ceux qui les croient. Si vous expliquez la réussite d’une expérience dans votre laboratoire par un miracle, c’est à dire par une suspension des lois de la nature en votre faveur, pouvez-vous sincèrement espérer être convaincant. « T’inquiète frérot, crois-moi » n’est pas une manière de démontrer que l’on a raison, vous le savez aussi bien que moi. En science, le miracle est une hypothèse coûteuse, et si une preuve suffisante avait été apportée de l’existence d’un seul miracle, vous seriez déjà au courant, rien n’aurait pu arrêter la diffusion de cette information renversante sur toutes les chaînes dans toutes les langues. L’existence de notre discussion de ce soir est quasiment une preuve de l’absence de preuve. Quasiment !
Les miracles sont reconnus et défendus par des systèmes de pensée dogmatiques, et ce dogmatisme pose une difficulté supplémentaire : une fois qu’un miracle est reconnu officiellement, il ne sera jamais renié. Le miracle officiel est irréfutable, incorrigible, il est une vérité définitive. Or nous savons tous que ce qui était inexpliqué naguère peut l’être aujourd’hui. La technologie moderne serait inexplicable et potentiellement miraculeuse aux yeux de nos aïeux. À l’inverse des situations miraculeuses du passé seraient sans doute très facilement explicables par la science moderne. Mais est-il déjà arrivé qu’une religion disent « La science vient de proposer une explication à tel événement réputé miraculeux, alors nous considérons qu’il ne faut plus y voir un miracle. »
Cela n’est jamais arrivé. Soit c’est parce que tous les miracles reconnus par toutes les religions sont réellement tous des évènements surnaturels, soit c’est parce que le concept de miracle est avarié, il ne permet aucun progrès de la pensée.
Parlons catholicisme : les autorités de Lourdes reconnaissent très exactement ce que je viens de dire.
- Je cite Marc Hallet dans son livre « Les apparitions de la vierge et la critique historique », Marc Hallet, 2015, page 385)
- « En 1992, le Dr Mangiapan, alors Président du bureau médical, reconnaissait
publiquement : « il y a aujourd’hui une véritable crise du miracle » disait-il. Et de reconnaître, l’air sinistre et désabusé, que les antibiotiques avaient fait diminuer les interventions divines et que le scanner lui-même « fait reculer le Ciel ». Il concluait ainsi : « J’ai passé ma vie à proclamer que nous étions menacés de pénurie. Oui, d’une totale pénurie de guérisons inexplicables ! Dieu est toujours là, mais on ne peut plus déceler son travail. Tragique conclusion. Ne croirait-on pas entendre un boutiquier fatigué pleurant son petit fonds de commerce définitivement balayé par une grande surface ? » - « depuis 2005, le Comité médical international de Lourdes a assoupli ses critères. Il n’exige plus, entre autres, que la maladie soit considérée comme incurable. Cette mesure a permis à cinq guérisons d’être reconnues « remarquables » par ce Comité en 2008 »
Si l’ajustement d’un règlement destiné à compenser les progrès de la science est le juge de ce qui est ou n’est pas un fait inexplicable interprétable comme la volonté de Dieu, on se retrouve en terrain très meuble. Et en vérité c’est bien pour cela que les miracles occupent une place famélique non seulement dans notre vie quotidienne mais aussi dans celle des croyants. Ces actes de communication de Dieu envers nous qui devraient être d’une importance absolument considérable sont relégués au rôle d’ostentations folkloriques : ils ne sont pas pris au sérieux par les hautes autorités religieuses où l’on trouve des hommes érudits, cultivés et souvent prudents.
L’Église du 14e siècle sait parfaitement que le linge de Lirey, aujourd’hui connu sous le nom de Suaire de Turin est un objet fabriqué par un contemporain et pas le tissu qui aurait entouré le cadavre de Jésus Christ. Et pourtant six siècles plus tard des tas de gens, préalablement chrétiens, crient au miracle. Le Pape Clément 7 en 1390 interdit que l’objet soit traité comme une relique ; comment voulez-vous être plus catholique que ça ?
Comme je l’ai dit, il ne me revient pas de définir ce qu’est un miracle, à quoi cela peut ou ne peut pas servir ou de distinguer un vrai bon miracle valide émanant d’une entité réelle d’une imposture scandaleuse inventée par des charlatans. Ce soir, cette conversation existe à la demande de Mattieu Lavagna, fervent catholique et auteur de « soyez rationnel, devenez catholique » un livre qui a vocation à apporter la démonstration logique de l’existence de Dieu, de la divinité de Jésus et de la véracité du dogme catholique, un livre qui repose sur l’idée qu’un argumentaire purement logique et rationnel s’appuyant notamment sur le Suaire de Turin, la danse du Soleil de Fatima ou d’incroyables récits de guérisons à Lourdes DOIT amener le destinataire à croire ce que croit l’auteur.
Et c’est ce phénomène qui me parait prodigieux ; la capacité à croire que c’est la logique qui conduit au théisme, que la science rapproche de Dieu, que ceux qui ne croient pas ou qui doutent, sont plus incultes, plus biaisés, plus motivés, mais qu’une bonne démonstration ou un prêche de qualité peut les reconnecter au créateur de l’Univers.
Je n’ai pas d’explication absolue au phénomène de la persistance de cette attitude démentie par les faits depuis des générations. Pour tout vous dire cela me semble souvent inexplicable, mais je ne vais pas crier au miracle. Je vais plutôt accepter de ne pas savoir et tenter lorsque j’en ai l’occasion, d’interroger les certitudes de celles et de ceux qui arrivent à des conclusions qui me semblent périlleuses et en tout cas hautement douteuses puisque… « Un homme sage ajuste sa croyance aux preuves. »
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