Le Psychopathe & l’Évolution

Article inspiré de mon intervention sur la chaîne Le Psylab lors de la soirée Hannibal, il y a un an.

La question que m’inspire le cas de Hannibal Lecter est celle-ci : pourquoi y a-t-il des psychopathes ?

 

Dans le langage courant, le psychopathe est un malade. Il est anormal, inadapté à la vie en société. Personne n’a envie d’être un psychopathe. Il faudrait sans doute être fou pour vouloir être un psychopathe.

Si de nombreux désordres psychologiques ont une origine environnementale ou des causes développementales, la psychopathie est un peu particulière, car il semble qu’elle ait une composante génétique assez marquée 1. On observe que les psychopathes sont en très grande majorité de sexe masculin. Ils souffrent d’une condition congénitale qui les ampute de certaines capacités qui, à nous autres, semblent élémentaires, comme l’empathie ou la culpabilité. Ils semblent notamment avoir une faible capacité à percevoir les signes associés à la peur et à la détresse.

Bien sûr, cela ne fait pas de la psychopathie une condition uniquement commandée par les gènes, loin de là, mais cela pose la question de la perpétuation des traits génétiques associés avec des comportements dont on peut dire sans trop se mouiller qu’ils ne sont pas corrélés avec une très forte adaptation de l’individu dans son environnement social.

Pourquoi le terrain génétique associé à une condition terriblement handicapante n’a-t-il pas totalement disparu ? Eh bien, sans doute parce qu’il doit apporter son lot d’avantages malgré tout. Et donc le psychopathe ne serait pas juste un monstre maladapté, mais une variante de l’être humain au contraire très ajusté à son environnement.

Être un psychopathe : avantages vs inconvénients.

Le psychopathe a quelques libertés que nous nous refusons (de bon gré). Il peut trahir, tricher, exploiter autrui sans état d’âme, et jouit des avantages afférents. Néanmoins il souffre aussi d‘inconvénients : il ne peut compter sur personne et risque d’avoir une mauvaise réputation. Quand on est un être humain, la mauvaise réputation est un danger considérable pour la survie et la reproduction. La réputation c’est tout ce que vous possédez, c’est la valeur que les gens vous accordent.

Par conséquent, pour que les avantages contrebalancent les terribles risques encourus, il faut rassembler un certain nombre de paramètres contextuels.

  • Il faut développer des talents de manipulateur pour que les gens ne voient pas qu’ils sont exploités. Cela requière une bonne intelligence.
  • Il est préférable d’avoir un penchant pour la domination afin de se hisser dans une position de pouvoir qui permet de ne dépendre d’aucune amitié véritable.

Ce deuxième élément explique peut-être pourquoi les psychopathes sont bien plus souvent des hommes que des femmes. Dans nos sociétés, ce critère de domination est bien plus difficile à remplir si vous êtes une femme ; vos gènes de psychopathe ne se transmettront bien que si vous êtes un homme. S’ils se retrouvent dans un corps de femme par les caprices hasardeux de la reproduction sexuée, ils ont tout intérêt à ne PAS induire de comportement antisocial.

Mais il y a un troisième facteur, et c’est le plus important.

  • Pour être un psychopathe heureux il faut vivre au milieu de nombreux, très nombreux non-psychopathes. D’un point de vue évolutionnaire, la psychopathie peut représenter une « stratégie » efficace mais sous le couperet d’une forte fréquence-dépendante. Il faut avoir autour de soi assez de gens pour ne pas manquer de cibles potentielles, conserver un relatif anonymat (qui protège votre réputation) et se trouver dans une société que des abus peu nombreux n’ont pas rendue complètement méfiante.

Les psychopathes sont donc condamnés à rester une infime minorité sous peine de perdre les avantages qui permettraient à leurs gènes d’envahir la population. Notez bien que ce sont là des explications putatives ; il s’agit de spéculations sur le type de sélection que notre société peut réaliser sur un matériel génétique très complexe.

 

Une stratégie évolutionnairement stable ?

On appelle « stratégies évolutionnairement stables » des solutions que la sélection naturelle retient au fil des générations (sans impliquer l’existence d’aucun réel « stratège »). Il peut s’agir de caractères physiologiques ou comportementaux. Les traits de la psychologie humaine répondent eux aussi à des impératifs de ce genre.

Ainsi, par exemple, la sélection darwinienne aura tendance à favoriser les comportements népotiques. Celui qui accorde des bénéfices à ses proches parents aux dépens des autres permet à ses gènes du népotisme2 de se diffuser dans la population. La personne népotique aura peu d’empathie pour les individus qui ne lui sont pas apparentés, et contribuera donc à la diffusion de ce caractère, un caractère qui participe très probablement à façonner des individus psychopathes. Les lignées népotiques peuvent donc plus facilement produire des psychopathes qui, eux, vont exploiter à leurs avantage propre tout le monde y compris leurs proches.

D’ailleurs, la psychopathie est sans doute le résultat de plusieurs facteurs. Pour être un psychopathe et transmettre ses gènes efficacement (donc sans être identifié comme un monstre) il faut cumuler ces facteurs : être à un bout du spectre du manque d’empathie, au bout du spectre de la domination, et être plutôt plus intelligent que la moyenne pour être capable de manipuler son entourage.

 

Ce que les psychopathes nous disent de l’humain

En fait, il est frappant de constater que les psychopathes ont des lacunes dans les qualités qui constituent justement les plus extraordinaires points forts de notre espèce. Homo sapiens a mauvaise presse, et on déplorera volontiers que les humains soient moins rationnels qu’on le souhaiterait, que leur jugements soient approximatifs, et qu’ils s’aveuglassent à la délicieuse illusion de n’être pas des animaux… Et on peut s’agacer des incivilités, des impolitesses et de la violence que l’on croise trop souvent.

Mais le fait est que les villes les plus violentes sur Terre ont des taux d’agressions entre humains beaucoup moins élevés que dans le monde animal, y compris chez nos plus proches cousins (les bonobos exceptés). Quand on compare les comportements humains avec la manière dont nous imaginons les comportements d’autrui, on constate que ces tristes créatures humaines sont beaucoup moins égoïstes, âpres au gain et plus intéressés par l’honnête et la justice qu’on ne le croit.

Et c’est la bonne nouvelle que nous donnent les psychopathes. Notre espèce est exceptionnelle. Nous sommes beaucoup plus altruistes que les autres animaux. Nous aidons systématiquement les autres, même quand ils ne nous sont pas apparentés, c’est loin d’être la règle dans la nature. Nous avons un sens de la justice beaucoup plus large, nous avons le sens du mérite. Nous avons un sens de l’équité spectaculaire et donc nous réagissons très mal à l’injustice. En fait, nous sommes des hypersensibles de l’injustice, c’est pour ça que nous avons l’impression de vivre au milieu de gens méchants et égoïstes. Et c’est pour ça que les psychopathes un peu habiles peuvent tirer leur épingle du jeu. Les PDG et les personnes en position de pouvoir ont souvent des résultats élevés dans les tests de personnalité psychopathique.

Il est donc bien possible que nous soyons une espèce de primates particulièrement gentils, attentifs aux autres, mais manipulés par une minorité d’enfoirés près à tout pour dominer le monde. De là à voir des complots partout, il faudrait croire que les psychopathes puissent se faire assez confiance les uns aux autres pour organiser une réelle oppression des gentils singes que nous sommes. Et c’est peu probable.

Quand on voit les décisions des personnages politiques et leur manière de gérer des crises, on se rend compte que même si la moitié d’entre eux étaient des psychopathes, ils restent des singes beaucoup moins intelligents qu’ils se plaisent à l’imaginer.

Le ‘bon’ psychopathe est celui qui se hisse incognito en position de pouvoir

 

 

 

Quelques références sur le sujet :

 

  1. Fontaine N, Viding E (2008) Genetics of personality disorder.Psychiatry 7: 137–141
  2. parler de gènes du népotisme est probablement un abus de langage. Disons qu’il est probable que certains terrains génétiques prédisposent à des comportements plus népotiques. Dès lors ces terrains auront un ‘avantage sélectif’ en raison du comportement qu’ils contribuent à produire.
13 réponses
  1. Notions d'Histoire
    Notions d'Histoire dit :

    « Ce deuxième élément explique peut-être pourquoi les psychopathes sont bien plus souvent des hommes que des femmes. Dans nos sociétés, ce critère de domination est bien plus difficile à remplir si vous êtes une femme ; vos gènes de psychopathe ne se transmettront bien que si vous êtes un homme. S’ils se retrouvent dans un corps de femme par les caprices hasardeux de la reproduction sexuée, ils ont tout intérêt à ne PAS induire de comportement antisocial. »

    Je n’ai pas très bien compris ce passage. En quoi le critère de domination est plus difficile à remplir en étant une femme ? Vous voulez parler de la structure des sociétés de type patriarcal et donc qu’il y a une légitimation du comportement dominateur des hommes alors que l’on juge non-acceptable cela pour les femmes ?
    Mais comment savoir dans ce cas, si cela impacte véritablement la transmission des gènes ?J’ai du mal à concevoir en quoi une femme psychopathe aurait plus de difficultés à pouvoir exercer son intellect pour transmettre ses gènes, y compris dans un environnement défavorisant.

    Un article très intéressant.

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    • Acermendax
      Acermendax dit :

      Oui,la structure actuelle offre peu de place à des femmes qui exprimeraient les facteurs héréditaires de la psychopathie, et par conséquent il y a une forme de ‘prime’ aux facteurs qui s’exprimeraient chez les hommes et resteraient plus silencieux chez les femmes. Mais nous parlons d’hypothèses explicatives permettant d’illustrer les stratégies évolutionnairement stables. Seule la génétique nous dira un jour si ces hypothèses sont correctes.

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      • Notions d'Histoire
        Notions d'Histoire dit :

        Merci pour ton retour Mendax. C’était ce qu’il me semblait à te lire. C’était aussi ce qui me semblait le plus logique mais j’avais un doute, vu que ce n’est pas mon domaine. 😉

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      • Claire BM
        Claire BM dit :

        Il est possible aussi que les femmes soient plus douées pour dissumuler leur psychopathie et qu’elles soient en aussi grand nombre que les hommes, commentant leurs crimes sur les plus vulnérables dont elles ont la charge: les enfants, les malades, les vieillards…

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  2. Bruno
    Bruno dit :

    Très intéressant mais je suis toujours gêné par une explication de type gène du népotisme même si c’est au pluriel. Il me semble qu’il faut être un peu plus prudent avant d’imputer à la génétique des comportements qui peuvent être, pour ce qu’on en sait, 1/ tellement multigeniques 2/ non génétiques qu’une expression comme cela est à fort risque d’être au mieux très imprécise. Au pire d’être un rideau de fumée qui interdit de chercher ailleurs.
    Merci de votre approche globale de toute façon

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    • Acermendax
      Acermendax dit :

      Vous avez raison. La formulation est toujours inadéquate quand elle peut être entendue comme « le gène X est responsable de Y, ce caractère extraordinairement complexe et subtil du comportement humain ». on court le risque d’un essentialisme génétique qui ne fait pas avancer la connaissance. Je vais voir si je peux reformuler certaines phrases.

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  3. Poulpy
    Poulpy dit :

    On pourrait aussi considérer que toutes les personnes psychopathes de manière pathologique (génétique) n’adoptent pas un comportement dit « d’instinct » (comme proposé dans l’article).
    Mais que l’éducation d’une personne psychopathe par exemple pourrait lui faire adapter un comportement social à la « norme ». Un individu peut être conditionné à penser et à vivre contre sa volonté propre ou ses instincts. Ce qui pour moi semblerait logique et expliquerait également la propagation de ces gènes.

    Ensuite on peut aussi imaginer à l’inverse que la société et son modèle hiérarchique favorise les comportements népotiques et que la question des gênes est peut être mineur dans son influence à des comportement dit de psychopathe.

    Article très agréable en tout cas, les points de vue de vos articles sont toujours intéressant et ouvert, ça fait plaisir.

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    • Acermendax
      Acermendax dit :

      Sur des caractères aussi subtils et complexes, il me semble que l’on peut dire que le facteur génétique ne jouera qu’un rôle de prédisposition. Le déterminisme de la conduite de l’individu est forcément sous le contrôle de nombreux autres facteurs puissants tels que ceux que vous citez.

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  4. curieux
    curieux dit :

    Article très intéressant. Ceci dit, il fait implicitement l’hypothèse que la psychopathie est un trait suffisamment ancien pour être impacté par la sélection naturelle. Le cas échéant, cela pourrait expliquer pourquoi ce trait a été conservé car étant récent.

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  5. Pierre
    Pierre dit :

    > Il est donc bien possible que nous soyons une espèce de primates particulièrement gentils, attentifs aux autres, mais manipulés par une minorité d’enfoirés près à tout pour dominer le monde.

    C’est la thèse avancée dans le livre « La ponérologie politique : Etude de la genèse du mal, appliqué à des fins politiques » écrit par un psychologue polonais ayant subi le communisme… et il est vraiment très convaincant. Je conseille sa lecture, il faut s’accrocher car les 150 premières pages sont indigestes, par contre la suite est vraiment intéressante.

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  6. Baudouin de Crombrugghe
    Baudouin de Crombrugghe dit :

    Un préalable pour comprendre les principales clés biologiques du comportement:

    Croire que le comportement intrinsèque est seulement lié à la culture est une aberration scientifique aussi folle que de croire que la culture a un fondement génétique.
    La culture joue certes un rôle mais des recherches récentes montrent que celui lié à notre biologie est plus important.

    Notre métabolisme lié à quatre substances constitue la clé principale de nos variations de comportements et elles ont chacune un siège génétique

    1) L’Ocytocine (OXTR):
    Hormone de l’attachement et de l’empathie, aussi appelée avec un peu d’exagération « Hormone de la confiance et de l’amour » ou encore « Hormone du bonheur ».
    Une déficience sur les récepteurs de l’ocytocine engendre une absence d’empathie affective ou une atrophie égotique de l’empathie caractéristique des comportement manipulateurs, prédateurs, narcissiques, psychopathes, sociopathes, triades noires,…

    2) La Dopamine:
    Dite « Hormone du plaisir ». Elle joue aussi un rôle sur le contrôle des mouvements. Son taux doit être équilibré. Trop, c’est l’excès d’enthousiasme ou la perte de contrôle (effet drogue)… et trop peu, c’est la catatonie.

    3) La Sérotonine:
    « Hormone de l’humeur et de l’attention » sensible aussi à l’environnement.
    En lien avec la Dopamine, elle joue aussi un rôle dans l’impulsivité.

    4) La monoamine oxydase A (MAO-A):
    Enzyme dont le métabolisme est lié au niveau d’agressivité (le fameux « gène du guerrier »).
    Le gène de son métabolisme est situé sur le chromosome « X », donc le métabolisme de la MAO-A, contrairement aux trois précédent, diffère selon le sexe.
    Classé en deux catégorie (guerrier et non-guerrier) comportant chacune plusieurs sous-catégories selon le sexe.

    Par ordre de niveau d’agressivité:
    * 2 Répétitions : Variante «guerrière» pathologique.
    * 2 et 3 Répétitions ♀ : Deux copies de variantes «guerrières».
    * 2 et 4 Répétitions ♀ : Une copie chacune de variante «guerrière» et «normale».
    * 3 Répétitions : Variante «guerrière» classique.
    * 3 et 3.5 Répétitions ♀ : Une copie chacune de variante «guerrière» et «normale».
    * 3.5 Répétitions : Variante «normale».
    * 3.5 et 5 Répétitions ♀ : Variantes «normales».
    * 4 Répétitions Variante «normale».
    * 4 et 5 Répétitions ♀ : Variantes «normales».
    * 5 Répétitions : Variante «normale».

    Les femmes disposant de deux allèles sur leur chromosome « X », elles ont moins de chances d’être « agressives » que les hommes.
    De plus, chez les hommes, la testostérone exacerbe l’effet du métabolisme des MAO-A.

    La réalité est évidemment plus complexe et il existe bien entendu d’autres substances influant sur le comportement et un large champ d’investigations sur ces autres influences mais ces quatre-là sont les principales, les plus connues et celles qui impactent de la façon la plus évidente sur le comportement.

    En résumé, selon notre configuration génétique, nous pouvons parfaitement manifester un tempérament intrinsèquement plus dangereux qu’une personne estimée par cliché ethnique, religieux ou sexuel comme plus «agressive» ou porteuse d’un autre défaut sujet à cliché.
    Le comportement intrinsèque n’a génétiquement RIEN à voir avec les haplogroupes (chromosome Y et ADN mitochondrial) ou la croyance ou la culture.

    Les vraies personnes dangereuses (et c’est probablement le cas pour tous les terroristes de quels bords qu’ils soient) le sont le plus souvent intrinsèquement.

    La réalité est évidemment plus complexe et l’environnement a aussi son importance (méthylations en épigénétique,…) mais, malgré-tout, ceci reste une clé essentielle pour comprendre l’impact de la biologie sur le comportement.

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