Le ministère des armées & les pseudo-médecines

Mardi 25 juin 2019, une étonnante vidéo a été mise en ligne sur le compte YouTube officiel du ministère des armées. Son titre : « Référentiel des pratiques de santé alternatives et complémentaires ». La forme est pauvre. La vidéo est dépourvu de bande son. On nous présente une succession d’images plus ou moins fixes remplies de textes. En deux minutes pile, la vidéo fait la promotion de pratiques de soin non conventionnelles qui ont le point commun de ne bénéficier d’aucune preuve scientifique de leur efficacité, même si certaines sont très populaires de nos jours.

Les crédits de la vidéo font mention de l’Agence Innovation Défense, d’Unéo et de Medoucine.

Medoucine est un portail de médecine douce, terminologie très positive de ce qu’on devrait en réalité appeler d’une manière plus neutre : « approche à prétention thérapeutique non intégrée à la médecine scientifique faute de preuves suffisantes de son efficacité propre ». C’est certes un plus long mais aussi plus précis. Le site de Medoucine fait la promotion d’un vaste panel de ces pratiques (l’homéopathie semble absente…), présente un annuaire pour trouver un praticien près de chez soi, et contient une page qui référence les mentions de ces pratiques de soin dans les médias. Ces passages médiatiques servent de caution, leur rôle est de rassurer l’internaute quant au sérieux du site et de ce qu’il promeut. Naguère on trouvait l’estampe « Vu à la télé » pour endormir la méfiance du consommateur. Le procédé est un fallacieux argument d’autorité. Parmi ces témoins de moralités médiatiques, on retrouve malheureusement le service public, avec France 2. On remarquera aussi la présence du Figaro, qui a pourtant été un relai précieux de la tribune contre les Fakemed.

On se demande quel lien peut exister entre ce site (et peut-être une structure associative derrière ?) et le ministère des armées. Mystère.

Unéo est la mutuelle qui gère la complémentaire santé des militaires. Si on creuse un peu les brochures sur son site, on se rend compte qu’Unéo offre une prise en charge partielle de quelques-unes de ces pratiques, en affichant bien que la sécurité sociale ne le prend pas en charge.

Au passage : les diététiciens sont de vrais professionnels, et il ne faudrait pas les mettre au même niveau que les autres « thérapeutes » mis en avant dans la vidéo.

On peut regretter qu’une mutuelle au profit d’acteurs publics fasse le choix de rembourser des pratiques qui dérogent aux exigences de la preuve scientifique. Bien sûr, elle répond aux demandes de ses adhérents, et nous avons bien conscience de la popularité, même imméritée, de ses pratiques. C’est bien la raison pour laquelle nous œuvrons à la critique de ces pratiques, afin que le débat s’installe jusque dans les équipes qui confectionne les offres de mutuelle ! Avec Uneo, on a un lien plus direct avec le ministère des armées. Continuons.

L’Agence Innovation Défense, d’après le site https://www.defense.gouv.fr/aid, est un promoteur de l’innovation au sein des armées. Elle intervient aussi bien sur des projets pilotés d’en haut, les planifiés, que sur des initiatives de la part du personnel, individuelles ou en groupe. On retrouve ce type de structure, à diverses échelles, visant à repérer, pérenniser et valoriser les initiatives internes dans toute sorte de grandes entreprises et de ministère, cela n’a rien de très surprenant. On remarquera que celle des armées dispose d’un très solide budget annuel de 1,2 Milliards d’euros, et qu’il est censé progresser à 1,5 Milliards d’euro en 2022. De quoi financer des innovations très sérieusement.

Le logo de cette agence apparait dès le début de la vidéo, et également en premier dans les crédits finaux. On peut sans péril supposer que c’est elle qui est à l’origine de cette désastreuse vidéo de promotion. L’Agence Innovation Défense, lorsqu’elle repère une innovation prometteuse, comme par exemple l’emploi de médecine non conventionnelle au profit des blessés (« ou des non blessés » comme il est précisé), n’est pas censée en faire simplement la promotion. L’agence a pour rôle de piloter cette innovation en cohérence avec les autres acteurs du ministère, et d’évaluer les bénéfices (ici, une balance bénéfices/risques puisqu’il s’agit de santé) de l’innovation en question pour valoriser cette innovation.

La plaquette de présentation de cette agence illustre le cycle d’innovation dans un schéma qui fait intervenir des organismes de recherche, des universités et des collaborations internationales. Mais tout cela semble être développé sans lien aucun avec le ministère de la santé. On peut s’en étonner.

Au sein du ministère des armées, il existe le Service de Santé des Armées (SSA). Son rôle est de veiller à la santé de nos militaires, et notamment des blessés. La vidéo publiée sur le compte officiel du ministère des armées et intitulée  « Référentiel des pratiques de santé alternatives et complémentaires »  présente-t-elle un référentiel de pratiques dont le SSA ferait usage ? Précisons qu’sein du SSA, il existe l’IRBA, l’Institut de Recherche Biomédicale des Armées. Il n’est cité nulle part dans cette vidéo. A-t-il été associé à cette démarche ? A-t-il mené des recherches pour évaluer ces pratiques ? Que préconise-t-il ?

Comment interpréter cette vidéo ? Il nous semble qu’une agence du ministère des armées, non spécialiste du sujet, a choisi de faire la promotion de pratiques de santé douteuses, sans en référer aux compétences de ses partenaires (Ministère de la Santé, Service de Santé des Armées) en publiant une vidéo bâclée sur un compte officiel. Devant les critiques et les commentaires, la réaction est un silence total peu rassurant, car nous ignorons jusqu’à quel niveau au sein des autorités le recours à des pratiques de soin dénuées de preuve est plébiscité par les responsables de la santé des militaires français.

Le mutisme n’est pas une bonne manière de communiquer, surtout quand on s’équipe d’une chaîne YouTube officielle. Où sont les explications du ministère ?

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Acermendax et  Le Sceptique ordinaire
6 réponses
  1. Vincent
    Vincent dit :

    Souvent en accord avec vos positions, je m’interroge sur la cas des médecines douces non médicamenteuses (par opposition à l’homéopathie, par exemple). Travaillant moi-même dans les sciences dures où l’on peut s’appuyer sur des lois physiques disposant de domaines de validité importants, permettant d’expliquer les mécanismes opérant sur des systèmes souvent bien isolés et (tellement) plus simples que dans le vivant, je crois comprendre qu’en médecine, notre compréhension des systèmes biologiques est si imparfaite que seule l’évaluation globale de l’état de patients constituants des populations représentatives semble à même de mesurer l’efficacité intrinsèque des traitements. Néanmoins, si dans le cas de protocoles chirurgicaux ou médicamenteux, il est bien possible d’isoler les patients recevant des soins de ceux qui sont traités par placebo ou non opérés, qu’en est-il des médecines douces ? En particulier, quand le patient est souvent seul juge de son état (mal-être, lassitude, déprime, manque de confiance en soi, etc.), comment peut-on objectivement évaluer l’efficacité d’un traitement par médecine douce (sophrologie, ostéopathie ou psychologie, par exemple) ? Dès lors, si elles ne peuvent être évaluées au même titre que la médecine moderne, doit-on nécessairement les considérer comme inutiles, voire dangereuses ?

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    • Acermendax
      Acermendax dit :

      Les méthodes en vigueur sont parfaitement aptes à mesurer si le ressenti subjectif des patients est affecté par tel ou tel composant du soin apporté. On sait isoler les effets contextuels (même si parfois ça reste imparfait). On a donc des réponses fiables sur bcp de thérapies non conventionnelles comme l’homéopathie, la sophrologie, l’ostéopathie crânienne, etc.

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