Faut-il enfouir nos déchets radioactifs ?
Petit compte-rendu d’une visite d’un laboratoire préfigurant la structure d’un site de stockage en profondeur…
Un futur « centre industriel de stockage géologique »
À 70km de Nancy, sur le territoire de la commune de Bure, se trouve le laboratoire de l’ANDRA, Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, qui appartenait au CEA 1 jusqu’à son indépendance en 1991.
Ne nous laissons pas abuser par le mot « laboratoire » : c’est un ensemble de plus de 2km de galeries creusées à 500 m de la surface dans une couche d’argile formée voici 160 millions d’années, quand la région était sous la mer.
Il y a 160 millions d’années, nous étions en plein jurassique, au milieu de l’ère des dinosaures… qui ne vivaient pas dans la région, comme vous le savez, puisque les dinosaures sont terrestres. Mais on y trouvait des ichtyosaures par exemple. Cette couche est appelée argilite callovo-oxfordien. Et elle possède des caractéristiques physico-chimiques aptes à limiter la migration des radionucléides. Les modèles prévoient que ceux-ci resteront confinés assez longtemps pour que leur radioactivité décroisse jusqu’à ne plus représenter aucun danger dans le bruit de fond de la radioactivité naturelle. Mais on parle d’une échelle de temps avec 5 zéros, ce qui laisse beaucoup de place pour que les choses tournent mal.
Je me suis rendu sur le site le 25 juillet à l’invitation de l’ANDRA qui souhaite communiquer sur un projet de grande envergure : la construction, tout près du laboratoire, d’un site de stockage définitif (mais réversible) des déchets radioactifs les plus dangereux actuellement sur le territoire français : le projet Cigéo.
Cigéo est un projet à part du laboratoire existant. Celui-ci n’a été autorisé qu’à des fins de recherche scientifique sur la faisabilité du stockage profond. De nouvelles décisions par les autorités politiques sont nécessaires pour la mise en route du chantier dans les prochaines années. Et avec Cigéo, nous sommes dans des proportions pharaoniques. Le budget est de 25 milliards d’euros (ce qui signifie que cela dépassera sans doute les 40 milliards), le site en construction emploiera 2000 personnes, puis 600 durant son fonctionnement, comptera deux cents kilomètres de galeries et il doit pouvoir fonctionner environ un siècle avant d’être fermé définitivement. Il contiendra alors 80.000 m3 de déchets, 10% du volume total, mais plus de 99% de la radioactivité actuellement stockée en France.
Le projet prévoit qu’en 2030 les déchets actuellement vitrifiés et coulés dans de grands fûts de métal seront transportés par voie ferroviaire à l’intérieur de conteneurs en béton et aciers testés pour résister à tous les chocs. Leur stockage ne peut se faire avec une sécurité suffisante que si l’on attend que la température des fûts descende en dessous de 90°C. Cela demande 40 à 70 ans… On mesure les précautions indispensables autour de la manipulation et du transport de telles choses.
Pourquoi ici ?
Tout le monde devrait pouvoir s’accorder raisonnablement pour dire qu’il faut gérer les déchets existants de sorte à limiter leur impact sur l’environnement. Que l’on continue à utiliser l’énergie nucléaire ou que l’on stoppe tout demain, les déchets sont bel et bien là. Les ignorer en espérant bien fort qu’ils disparaissent ne va pas fonctionner. Les balancer à la mer n’est pas non plus une solution responsable, aussi a-t-on abandonné cette option autrefois utilisée. Alternatives écartées : les jeter dans des volcans ou les envoyer dans l’espace ; chaque fois le risque afférent au moindre accident est incontrôlable. Il faut ou bien les traiter par transmutation : utiliser un réacteur qui va transformer les éléments radioactifs en d’autres éléments non radioactifs. Ou bien les stocker à très long terme avec les énormes incertitudes logistiques que ces échelles de temps impliquent.
Mais tous les citoyens ne sont pas d’accord pour que le traitement ou le stockage ait lieu dans leur jardin. On serait plus tranquille si tout ça pouvait se faire loin. Pourtant en 1993 plusieurs conseils généraux votent la candidature officielle de leur département à l’implantation d’un laboratoire. Quatre sites sont initialement sélectionnés dans toute la France : la Haute-Marne, la Meuse, la Vienne et le Gard.
Le site de Bure est retenu par le comité interministériel du 9 décembre 1998, la construction démarre en janvier 2000. Le laboratoire n’est pas destiné à recevoir le moindre déchet, mais à étudier la stabilité du terrain, des galeries et à prendre de grandes quantités de mesures (1 million par jour) pour obtenir une modélisation du sol et des installations qu’on se propose d’y construire.
Depuis l’an 2000, les chercheurs et les agences chargées d’évaluer ce travail estiment avoir validé la faisabilité du stockage géologique de déchets radioactifs. Du point de vue « recherche et développement », le projet est donc mûr pour se poursuivre.
Une forte opposition s’organise, toutefois, avec notamment la création d’une association visant à « rassembler les élus meusiens et haut marnais aux fins de permettre une expression collective de l’opposition au projet de laboratoire et empêcher par tous les moyens légaux, juridiques et démocratiques tout enfouissement de déchets nucléaires en quelque lieu que ce soit ». Leur argument principal consiste à se fier au progrès et aux générations futures qui sauront trouver un meilleur moyen de disposer de tous ces déchets. Ce serait loin d’être absurde si dans le même temps ces opposants n’étaient pas dans leur grande majorité pour un arrêt total du nucléaire qui signifierait un ralentissement conséquent, voire la fin de la recherche dans le domaine. Il faut toutefois rester attentif à tous les arguments qui pourraient remettre en cause le bien-fondé de ces décisions. Cette association est donc démocratiquement pertinente.
Comment se faire une idée ?
Depuis des années l’ANDRA fait de gros efforts de communication envers le public. Les opposants au projet dénoncent une « préoccupante domination informative ». Et de fait, il faut toujours être prudent. Un site aussi controversé que celui-ci, destiné à répondre à des normes draconiennes de sécurité pour éviter une catastrophe écologique potentiellement gravissime doit-il communiquer ? Si oui, comment ? Dans un monde perfusé aux rumeurs, théories du complot et paniques sociales, la moindre opacité réelle ou supposée semble devoir toujours faire le jeu de la peur et de la manipulation. Mais se méfier d’une forme de « propagande » est légitime, et il est raisonnable de chercher à se documenter à une large diversité de sources. Il semblerait que l’ANDRA l’ait compris puisque lors de ma visite de l’installation, j’ai rejoint un groupe de blogueurs, vidéastes et vulgarisateurs intéressés par les questions de l’énergie et/ou de l’environnement. Nous avons posé beaucoup de questions, et vous trouverez sur leurs pages leur propre compte rendu de la visite.
Sur des questions aussi graves, veiller à ce que chacun assume ses responsabilités est primordial, et cela ne peut sans doute pas mieux se faire qu’en ouvrant les vannes du questionnement et de l’information.
À lire chez les collègues présents lors de cette visite
- Le projet Cigéo et l’affreuse complexité des choses (par Anaelle de La Révolution des Tortues)
Une insécurité géologique ?
L’incertitude insupportable que suscite un tel projet provient de la difficulté à comprendre le fonctionnement de la radioactivité, le niveau de la radioactivité « naturelle » dans nos environnements, le niveau de connaissance ou d’ignorance des chercheurs, des ingénieurs… En somme on n’est jamais totalement certain de faire confiance à la bonne personne, surtout à une époque baignée d’un millénarisme écologique que les ravages déjà perceptibles du changement climatique rendent plus crédible que jamais. Il m’a donc semblé utile de répondre à l’invitation et de rendre ici compte de ce que j’ai pu voir sur place.
La descente via le puits principal prend 7 minutes. Il y a en théorie 14 places dans l’ascenseur, nous y tenions difficilement à 10. Déjà on soupçonne le mensonge !! À une telle profondeur, nous dépendons totalement des ascenseurs, les puits ne contenant aucun autre moyen de remontrer. Il existe des échelles dans les installations dont la profondeur n’excède pas 250 m. Ici, en cas de problème, il nous faudrait gagner les niches de secours équipées en eau et provision pour 24h.
Dans un décor digne de la base secrète d’un méchant de James Bond, faut-il faire confiance à l’accent québécois puissamment séduisant de notre guide, quand il nous explique l’histoire du site, les diverses expériences réalisées ou en cours sur la stabilité des structures ?
Les résultats produits dans le laboratoire et échangés avec des chercheurs internationaux, indiquent que le stockage géologique apporte les garanties de confinement nécessaire pour réduire les risques environnementaux. Et la « vérité de science » semble bien devoir se limiter à cela et à rien de plus. Le plus fort impact environnemental surviendra avec la lente diffusion de la radioactivité. Dans trois cent à quatre cent mille ans, arrivera à la surface une radioactivité correspondant à une fraction de celle qui existe à l’état naturel. Les accidents humains peuvent bien sûr se produire au cours de l’exploitation du site, mais aucun scénario ne permet d’envisager une pollution à long terme par les déchets stockés en profondeur, contrairement aux stockages en surface qui nécessitent un entretien continu des installations.
Un phénomène naturel peut nous éclairer sur le devenir d’une telle dose de radioactivité dans la roche. Cela se passe au Gabon, ou plus exactement dans des roches aujourd’hui situées dans ce pays et qui, deux milliards d’années dans le passé, contenaient tellement d’uranium (dont plus de 3% d’Uranium 235) qu’une réaction en chaîne de fission nucléaire autoentretenue s’y est produite durant 150 à 850 000 ans, impliquant 500 tonnes d’uranium, et produisant 100 milliards de kWh. Ce lieu, ce sont les mines d’Oklo. Ce qui est intéressant dans le cas d’Oklo c’est que les produits de fission non volatiles (les « déchets radioactifs ») n’ont que très peu migré (moins d’un mètre) dans la roche en deux milliards d’années. Bien sûr, un site de stockage fabriqué par l’homme n’est pas totalement comparable à ce type de réacteur naturel, mais il apporte son lot d’informations.
Une solution sans danger ?
Dans un projet visant à descendre à 500m de profondeur des milliers de tonnes de déchets industriels moyennement ou fortement radioactifs, la partie la plus dangereuse est constituée par… les déchets radioactifs. Le projet est donc dangereux par nature. Beaucoup d’activités humaines, d’ailleurs, sont dangereuses, raison pour laquelle nous mettons en place des stratégies de gestion des risques pour établir ce qui peut être fait et ce qui doit être interdit.
J’ignore si le stockage géologique est définitivement la meilleure solution envisageable, mais on peut être à peu près certain que même la meilleure et la plus définitive des solutions à un tel problème comporte des risques. Exiger une solution sans risque, ce serait commettre le sophisme de la solution parfaite, celui qui écarte toutes les idées comportant des défauts et force à l’immobilisme. Cette posture de rejet de tout ce qui n’est pas une solution parfaite est parfois confondue avec le principe de précaution, et au nom de celui-ci on milite ici et là contre absolument tous les projets qui cherchent à assumer la responsabilité de la gestion des déchets qui déjà s’accumulent.
Néanmoins il ne faut pas escamoter le débat public, puisqu’établir le seuil de risque acceptable n’est pas du ressort de la science, mais bien de la société. Il faut donc que celle-ci soit informée et trouve réponse à toutes les questions que des données factuelles et scientifiques peuvent éclairer. Et le dialogue doit permettre de dégager les lignes de désaccord et de mettre en lumière les arguments pro et anti qu’on est obligé de prendre en considération pour prendre une décision éclairée.
L’ASTEC se propose de suivre le dossier, éventuellement sous la forme d’un court documentaire résumant les informations ci-dessus et contextualisant les raisons de soutenir ce projet et celles de s’y opposer.
Crédit Photos : Rodolphe, alias Le Réveilleur.
« L’ASTEC se propose de suivre le dossier, éventuellement sous la forme d’un court documentaire résumant les informations ci-dessus et contextualisant les raisons de soutenir ce projet et celles de s’y opposer. »
Disposer d’une approche sceptique sur les raisons de s’y opposer me parait en effet crucial. Je m’attendais bien à ce que les aspects scientifiques tiennent debout dans ce projet, et cet article ne devrait pas surprendre qui n’est pas excessivement méfiant envers tout projet public à risque, mais c’est vraiment les arguments contre que j’aimerais voir disséqués!
Merci pour cet article.La présentation du site a t elle inclus les risques (notamment d’incendie) dans les déchets stockés ?
https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/dechets-nucleaires-a-bure/stockage-de-dechets-nucleaires-a-bure-des-experts-s-inquietent-de-lacunes-face-au-risque-d-incendie_2278989.html
Oui. Les déchets bitumineux posent problème dans la configuration actuelle, et il faudra probablement les reconditionner pour pouvoir les stocker là bas, sauf modification des plans du site de stockage.
j’effectue un stage en étude des risques d’incendie sur les déchets MAVL non bitumineux. De mon point de vue (ce n’est qu’une opinion) le risque est plutôt bien pris en compte
Merci pour cet article.
juste une remarque : « Il contiendra alors 80.000 m3 de déchets, 10% du volume total, mais plus de 99% de la radioactivité actuellement stockée en France. »
=> c’est 4% pas 10.
Comment ce foutre dans la merde… Gaia n’est pas notre poubelle. Il y’a des technologie pour cela, de tout façon il faut que 24 h a la Confédération pour nettoyer notre planète. Pour pouvoir accédé a cette technologie, il et demande que chaque être humain, (le minimum quoi) de trier c’est déchet… c’est pas gagnée les amis…
Si c’est une parodie de conspirationniste, chapeau. bas
Sinon…
Des technologies ? pour faire quoi ? (et je préfère pas demandé par qui…)
La confédération ? (de nettoyage galactique genre star trek ?)
Trier les déchets ? vraiment ?
Oublie pas d’éteindre la lumière quand tu sors d’une pièce, le monde risque d’exploser dans le cas contraire.
Blague à part, faut vraiment revenir sur Terre (non mais Gaia c’est franchement ridicule) les gaillards.
j’ai comme un doute car Gaya est le nom du maitre d’œuvre pour l’étude du projet Cigéo
Bure et son projet ici décrit
> certainement l’une des meilleures analyses sur le sujet :
http://www.villesurterre.eu/images/ethique-fascicule-complet-coul-sans-p-blanche.pdf
et il se dit que ce groupe de réflexion a repris du service…